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La Charmeraie. Sept somptueux pavillons de chasse répartis sur un vaste domaine boisé, où se niche un magnifique château. Son propriétaire Eugenio est marié à Cassandra, de trente ans sa cadette. Lorsque celle-ci rencontre Joanna, la nouvelle gardienne de La Charmeraie, elle développe une haine féroce à son encontre et ne reculera devant rien pour tenter de la chasser. Mais Joanna se sent bien dans ce domaine, auquel elle se sent inexplicablement connectée. Elle va peu à peu en découvrir l'histoire et les recoins mystérieux, ainsi que le vrai visage de Cassandra, et va alors prendre une décision lourde de conséquences : elle ne partira pas. La Charmeraie a un propriétaire, mais elle ne peut avoir qu'une maîtresse.
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Veröffentlichungsjahr: 2023
CHAPITRE 1
CHAPITRE 2
CHAPITRE 3
CHAPITRE 4
CHAPITRE 5
CHAPITRE 6
CHAPITRE 7
CHAPITRE 8
CHAPITRE 9
CHAPITRE 10
CHAPITRE 11
CHAPITRE 12
CHAPITRE 13
CHAPITRE 14
CHAPITRE 15
CHAPITRE 16
CHAPITRE 17
CHAPITRE 18
CHAPITRE 19
CHAPITRE 20
CHAPITRE 21
CHAPITRE 22
Mince, élancée, ses beaux cheveux roux tombant sur ses épaules, Joanna Malezzi était une superbe jeune femme de vingt-deux ans, dynamique et passionnée d’archéologie et d’histoire ancienne. Aussi avait-elle accepté avec joie de remplacer le vieux Laurent, qu’elle connaissait depuis son enfance, en tant que gardienne du domaine « La Charmeraie », cette vaste propriété qui la faisait rêver depuis des années et dont elle allait pouvoir explorer les moindres recoins en compagnie de Terry, son magnifique berger allemand qui ne la quittait jamais.
Vêtue d’un pantalon noir et d’une longue tunique assortie, Joanna sortit de la maisonnette qu’elle occupait avec son chien de l’autre côté de la route, traversa celle-ci et, debout devant la haute grille de la propriété, elle resta un instant à observer celle-ci, l’esprit rêveur.
La Charmeraie était un vaste domaine boisé, comptant une majorité de charmes, ce qui lui avait valu son nom bien des années auparavant. Niché au creux des arbres, sur une petite hauteur, se tenait un superbe château comptant pas moins de cinquante pièces somptueusement meublées avec les meubles d’origine, ce qui, à une époque, lui avait valu pour une très courte période d’être un musée visité par la multitude de touristes qui fréquentaient régulièrement cette région. Bien avant cette période, les propriétaires de La Charmeraie exploitaient quelques fermes situées dans les abords immédiats, aujourd'hui disparues, et pratiquaient également l'élevage des chevaux, faisant d'eux les heureux propriétaires d'un domaine prospère.
Outre le château, quelques coquets pavillons de repos, à l'origine pavillons de chasse, étaient disséminés dans tout le domaine, cachés par les petits bosquets au sein desquels ils se trouvaient. Le bâtiment dans lequel vivait Laurent et qui serait désormais l’endroit où Joanna passerait le plus clair de son temps, était une vaste bâtisse qui avait autrefois servi de corps de garde aux soldats chargés d’assurer la protection des comtes qui avaient occupé le château au fil des siècles, et qui portait le nom de « cathédrale », en raison de la présence d’un petit clocher situé au-dessus de la porte d’entrée. Laurent n’en occupait qu’une petite partie et, debout près d’une fenêtre, il observait sa jeune remplaçante. Celle-ci poussa la grille avec une joie non dissimulée. Laurent sortit de la Cathédrale et il s’adressa à elle en souriant :
—Bonjour, Joanna. Alors, tu admires ton nouveau domaine ?
—Bonjour, Laurent, comment vas-tu ?
—Tout va bien, mon petit... Je vais sans doute regretter un peu La Charmeraie, mais je ne suis pas fâché de prendre enfin ma retraite et de te passer le flambeau...Tu verras, Joanna, tu te plairas ici, et Terry pourra gambader autant qu’il le voudra !
Joanna sourit :
—C’est vrai que Terry et moi, nous serons heureux ici, Laurent, mais je crois que je vais tout de même garder ma maison, après tout, elle n’est pas si éloignée de mon lieu de travail !
Ils échangèrent un sourire, puis Laurent prit son interlocutrice par le bras en poursuivant :
—Viens, je vais te faire visiter La Cathédrale.
Joanna s’exclama en souriant :
—Voyons, Laurent, oublies-tu le nombre de fois où je suis venue jouer chez toi lorsque j’étais enfant ?! Je la connais par cœur, ta Cathédrale !
Laurent sourit à son tour :
—Tu as raison, Joanna !
La jeune fille considéra son interlocuteur pendant quelques secondes en silence, puis poursuivit d’un air malicieux :
—En revanche, je suppose que tu ne serais pas fâché de me faire visiter le domaine, afin de te repaître une dernière fois de ce paysage qui a été ton univers pendant... Pendant combien de temps, au fait, Laurent ?
—Je suis né ici, Joanna, mon père était déjà gardien de La Charmeraie lorsque je suis né... Mais tu as raison, cela me fera plaisir de parcourir les lieux une dernière fois, et je suis très sensible à ton idée.
Ils échangèrent un sourire ému, puis se dirigèrent vers l’arrière de la bâtisse, où se trouvait un hangar. Se tournant vers sa compagne, Laurent lui dit :
—Attends-moi là, Joanna, je reviens...
Surprise, elle l’interrogea d’un air curieux :
—Pourquoi ? As-tu peur que ton Grison ne me reconnaisse pas et me donne une ruade ?
Il secoua négativement la tête en souriant et disparut à l’intérieur du hangar dont une partie avait été aménagée en écurie des années plus tôt, puis en ressortit presque aussitôt, tenant par la bride un superbe cheval à l’abondante crinière noire. Stupéfaite, Joanna s’exclama :
—Mais... Qu’est devenu Grison ?!
—Il reste avec moi, j’en suis le propriétaire légal depuis de nombreuses années. La Charmeraie est une très vaste étendue, et il te faudrait des heures entières pour la parcourir à pieds. J’ai par conséquent pensé qu’il te faudrait un moyen de locomotion plus rapide pour parcourir ton nouveau domaine...Voici donc Dahlia Noir, ton cheval.
—Oh, Laurent, tu... tu n’aurais pas dû ! Je suis très touchée...
Ils s’étreignirent avec émotion, Joanna enfourcha sa monture, tandis que son compagnon se juchait sur Grison, son âne fidèle, puis les deux cavaliers et le chien se mirent en route. Tandis qu’ils progressaient le long d’un sentier, Joanna demanda :
—Quel est le nom des propriétaires de La Charmeraie, Laurent ?
—Il s’agit d’une richissime famille, les Scriabelli... Heureusement que cela fait plusieurs années qu’ils ne reviennent au domaine que très rarement et pour peu de temps !
—Pourquoi donc dis-tu cela, Laurent ?
—D'après ce que j'ai entendu dire, les membres de cette famille ont toujours été des gens vaniteux, qui dédaignent leurs employés, qu’ils considèrent comme leurs inférieurs ! Les actuels propriétaires ont un fils qui doit avoir quatre ou cinq ans de plus que toi. L'épouse déteste cordialement les enfants, et c’est une chance qu’elle ne t’ait pas aperçue jouant dans les allées proches de la Cathédrale quand tu étais petite lorsqu’ils étaient en visite, elle n’aurait pas du tout apprécié et t’aurait aussitôt chassée !
—Sont-ils méchants à ce point-là ?!
—Ils le sont, tu peux me croire, Joanna, et à mon avis, c’est héréditaire !
—Comment cela, héréditaire ?
—D’après ce que l'on m'a raconté dans ma jeunesse, les Scriabelli ne seraient pas les héritiers légaux du château et du domaine, et leurs ancêtres seraient à l’origine de la destruction totale de la famille des comtes qui avaient bâti la propriété... Malheureusement, aucun document prouvant leur forfait n’a été découvert, bien que des rumeurs aient couru selon lesquelles des archives seraient dissimulées quelque part... Si tu veux mon avis, de tous ceux que j’ai connus, seul le vieux Comte est quelqu’un de gentil dans cette famille... Je ne connais pas son fils, j’ignore de quel bois il est fait... Quant à sa seconde épouse... Mieux vaut éviter d'en parler, si tu veux mon avis...
Joanna prononça d’un air pensif :
—Ces archives...Tu veux dire qu’elles pourraient être dissimulées dans la propriété même ?
Laurent stoppa Grison, scruta son interlocutrice, puis s’écria :
—Allons bon, voilà que j’ai trop parlé !... Toi, ma petite, tu as une idée derrière la tête ! Aurais-tu l’intention de jouer les détectives, comme lorsque tu étais enfant et que tu menais des enquêtes imaginaires dans le bosquet derrière la Cathédrale ?!
Joanna avait elle aussi stoppé Dahlia Noir, et elle demanda :
—Comment se fait-il que tu me connaisses aussi bien, Laurent ?!
L’espace d’une fraction de seconde, une ombre voila le regard de Laurent, qui se ressaisit aussitôt et répondit en souriant :
—As-tu donc oublié que je t’ai vue grandir, Joanna ? Tu passais bien plus de temps ici, à mes côtés, que chez toi auprès de tes parents ! Je me suis toujours demandé pourquoi, d’ailleurs...
Le regard perdu au loin, Joanna Malezzi déclara d’un air songeur :
—Je ne sais pas, Laurent... Lorsque je me trouvais en présence de mes deux parents à la fois, je sentais confusément qu’il existait une certaine tension entre eux, et, bien que je ne fusse qu’une enfant, j’éprouvais une sorte de malaise indéfinissable qui me poussait à me réfugier auprès de toi... Je me sentais bien à tes côtés, Laurent, comme si je t’avais toujours connu et qu’il y avait un lien invisible qui nous reliait... En fait, pour moi, tu étais, et tu es toujours, d’ailleurs, quelqu’un de ma famille...
Talonnant légèrement les flancs de Grison afin que la jeune fille ne vît pas le trouble qu’avaient suscité ses paroles, Laurent reprit la route sans mot dire. Perplexe, Joanna remit sa monture au pas à son tour sans poser davantage de questions, observant son compagnon à la dérobée.
Un moment plus tard, les deux cavaliers débouchèrent dans une clairière au sein de laquelle trônait un coquet pavillon de chasse, tel un diamant dans son écrin de velours vert.
Le découvrant pour la première fois, ses escapades enfantines passées se bornant uniquement aux alentours de la Cathédrale, Joanna stoppa Dahlia Noir en s’écriant :
—Seigneur, Laurent, ce pavillon est magnifique !
Désignant l’endroit d’un large geste du bras comme s’il en eût été lui-même le propriétaire, Laurent annonça fièrement :
—Voici le Pavillon des Biches, Joanna. Approche-toi et observe les poignées des portes et des fenêtres, ainsi que les motifs de fer forgé du petit balcon.
Joanna sauta à bas de Dahlia Noir puis, suivie de Terry, elle obéit à son interlocuteur et laissa échapper une exclamation d’admiration en découvrant les fers forgés savamment travaillés par un artiste. Celui-ci leur avait donné la forme de biches tantôt allongées, tantôt debout, tantôt guettant l’ennemi prédateur, tantôt veillant sur leurs petits ou les allaitant. La jeune femme rejoignit son compagnon et prononça :
—C’est un travail admirable, Laurent ! L’artiste qui a réalisé ces motifs a eu un tel souci du détail que l'on jurerait que ces biches vont s’animer et faire irruption dans la forêt !... À propos, Laurent, y a-t-il des animaux sur le domaine ?
—Bien entendu, Joanna, puisque cette chère Comtessa Scriabelli a exigé que des biches et des cerfs vivent sur la propriété ! D’ailleurs, cela fera partie de tes attributions de veiller à la santé de chaque membre du troupeau...
Joanna considéra Laurent pendant quelques secondes en silence, puis elle déclara :
—Je suis en train de penser à quelque chose... Lorsque tu m’as contactée pour m’informer que tes patrons étaient d’accord pour que la personne que tu leur recommanderais reprenne ton poste, j’ai accepté spontanément parce que La Charmeraie m’a toujours fait rêver, mais à la lumière de tout ce que tu viens de m’apprendre, je me rends compte qu’en fait, je n’avais aucune idée du travail qui m’attendait... Dis-moi, Laurent, où comptes-tu aller lorsque tu quitteras la Cathédrale ?
—Eh bien, je... À vrai dire, je n’y ai pas réfléchi... Peut-être que je louerai un appartement en ville.
—Un appartement en ville ?! Mais... Et Grison ?!... Réfléchissons, Laurent... J’ai une chambre d’ami assez spacieuse dans ma maison, tu pourrais peut-être t’y installer en attendant que je sois parfaitement au courant du travail qui m’attend et que je sois capable de le faire seule, non ? Et puis, Grison pourrait rester ici et tu le verrais à chacune de tes visites... Qu’en penses-tu ?
Laurent scruta son interlocutrice, parut réfléchir intensément, sous le regard légèrement anxieux de son interlocutrice, puis il déclara :
—Très bien, je me rends à tes arguments.
Avec un sourire éclatant, Joanna s’écria :
—Oh, merci, Laurent, je suis tellement heureuse que tu acceptes mon offre !… Poursuivons-nous la visite ?
Amusé par l’enthousiasme de la jeune femme, Laurent acquiesça en souriant et elle remonta en selle, puis ils se remirent en route.
Au cours de leur chevauchée, Joanna put découvrir le Pavillon des Colombes, le Pavillon des Lions, le Pavillon des Sangliers, le Pavillon des Chiens, le Pavillon des Chats, et enfin, le Pavillon des Papillons, dont les motifs de fer forgé étaient tous aussi criants de vérité que ceux du Pavillon des Biches. Joanna ne cessait de s’extasier à chacune de ses découvertes et elle eut un petit cri de joie en remarquant une biche et son petit qui traversaient le sentier. Terry voulut s’élancer à leur poursuite, mais Joanna lança un ordre bref qui l’immobilisa aussitôt :
—Terry ! Non !
Laurent échangea un sourire avec elle en constatant :
—Tu l’as bien dressé, Joanna, je te félicite !
Il leva ensuite la tête, scruta le ciel, puis reprit :
—Il vaudrait mieux rentrer, la nuit ne va pas tarder à tomber.
La jeune femme eut un hochement de tête affirmatif et ils rebroussèrent chemin.
Près d’une heure plus tard, ils arrivèrent en vue de la Cathédrale, mirent pied à terre, conduisirent leurs montures à l’écurie, et, après leur avoir donné les soins nécessaires, ils pénétrèrent à l’intérieur de la bâtisse. D’un air ému, Joanna passa une main légèrement tremblante sur les meubles dont elle n’avait oublié aucun détail durant les années qu’elle avait passées loin de Laurent et de La Charmeraie. Suite à la mort accidentelle de ses parents, elle s'était retrouvée dans un pensionnat, alors qu’elle n’était âgée que de douze ans, puis, plus tard, elle s'était inscrite à l’université où elle avait suivi des études d’archéologie. Elle n'était de retour sur le lieu de son enfance que depuis quelques mois, et de revoir La Cathédrale lui faisait réaliser à quel point elle avait langui de ce lieu pendant toutes ses années d'exil involontaire... Laurent l’observa un instant en silence, puis remarqua :
—Tout cela t’a manqué, n’est-ce-pas, Joanna ?
Les yeux emplis de larmes, elle se retourna et répondit :
—Tu ne peux pas t’imaginer à quel point La Charmeraie m’a manqué durant ces douze ans... Combien toi, tu m’as manqué, Laurent, surtout après le décès de mes parents !
Un instant, ils se fixèrent avec intensité, puis tombèrent dans les bras l’un de l’autre et s’étreignirent avec émotion. Laurent relâcha ensuite sa compagne et, la scrutant comme s’il voulait graver ses traits dans sa mémoire, il prononça d’un ton grave :
—Tu m’as beaucoup manqué toi aussi, Joanna, et ce, d’autant plus que je t’ai toujours un peu considérée comme ma fille...
—Est-ce pour cette raison que tu as commis la folie de m’offrir Dahlia Noir ?
Il répondit en souriant :
—Ne t’inquiète donc pas autant pour moi, Joanna ! Si je t’ai offert Dahlia Noir, c’est parce que j’avais la possibilité de le faire, mon petit ! Crois-tu donc que je n’ai pas accumulé des économies tout au long de ma carrière ?!
Retrouvant l’un des gestes de son enfance, Joanna caressa la joue de son interlocuteur du dos de la main, puis sourit à son tour en disant :
—Je te remercie encore une fois pour ce cadeau, Laurent...
Elle s’interrompit durant quelques secondes, puis déclara pensivement :
—Je me suis toujours demandé pour quelle raison tu ne t’es jamais marié et pourquoi tu n’as pas fondé une famille, toi aussi, Laurent...
Les mains de Laurent se crispèrent sur le dossier de la chaise à laquelle il était appuyé, et il se détourna brusquement en répliquant d’un ton un peu trop bougon qui surprit la jeune femme, sans qu’elle osât pour autant en demander la raison :
—Sans doute n’étais-je fait ni pour être père, ni pour être époux... Je préfère que nous changions de sujet, Joanna.
Il se retourna et Joanna acquiesça sans mot dire. Laurent poursuivit alors :
—Surveiller s’il y a ou non des réparations à effectuer au château ou dans les pavillons et vérifier qu’elles sont faites correctement fait aussi partie de ton travail, Joanna. Et si tu tiens à garder ton emploi aussi longtemps que moi, mon petit, tu ne devras en aucun cas discuter les décisions de la famille Scriabelli, même si tu estimes qu’elles sont stupides !
—Mais… Quel genre de décisions stupides ces gens pourraient-ils prendre ?!
Laurent ne répondit pas immédiatement, puis avoua en soupirant :
—L’une de ces décisions stupides a déjà été prise, malheureusement...
La jeune femme fronça les sourcils :
—Quelle est cette décision, Laurent, et quand a-telle été prise ?
—Il y a trois ans, alors que tu étais encore en train de suivre tes cours à l’université, cette chère Comtessa Scriabelli a décidé que le château et le bosquet qui l’entoure seraient de nouveau ouverts au public...Veiller à ce qu’aucune dégradation ne soit commise par les visiteurs est encore l’une de tes attributions, Joanna.
—Quelle idiotie, franchement ! Gâcher un aussi bel endroit de cette manière ! Et... Quels sont les jours et horaires d’ouverture qui ont été décidés ?
—Du mardi au samedi, de neuf heures à dix-huit heures, avec fermeture durant les mois d’été... Ce qui est déjà une stupidité en soi, puisque c'est en été qu'il pourrait y avoir le plus de visiteurs !
—Si tu veux mon avis, Laurent, je crois que je n’ai aucune envie de rencontrer ces gens !... Il est tard, viens jusque chez moi, afin que je te montre ta chambre et que je te fasse visiter un peu la maison.
Laurent hocha affirmativement la tête et, quelques minutes plus tard, ils pénétrèrent dans la maison de Joanna Malezzi. Celle-ci marchait en tête, si bien qu’elle ne s’aperçut pas du trouble et de l’émotion que ressentait Laurent, qui caressait les meubles et les murs comme s’il se fût agi d’une personne aimée qu’il n’avait pas revue depuis des années. Joanna se retourna et, avec un sourire radieux, elle prit son compagnon par la main et l’entraîna jusqu’à la chambre qu’elle avait l’intention de lui attribuer en disant :
—Voilà, Laurent, tu es ici chez toi ! Voici ta chambre, et bien entendu, tu pourras utiliser les autres pièces de la maison ! Mais qu’est-ce que tu as, Laurent ?! Tu es d’une telle pâleur ! Est-ce que tu ne te sens pas bien ?
Accompagnant sa réponse d’un geste évasif, il expliqua :
—Ce n’est rien, Joanna, simplement la fatigue. Je me fais vieux, tu sais...
—Dans ce cas, je vais me hâter de préparer quelque chose à manger, et ensuite, nous pourrons aller nous coucher. Tu restes dormir ici, bien entendu.
Il la remercia d’un sourire et, un moment plus tard, ils étaient attablés autour du repas confectionné par la jeune femme, devisant de choses et d’autres.
Joanna Malezzi et Laurent revenaient de nourrir le troupeau de biches et de cerfs et de parcourir le parc au pas sur le chemin du retour vers la Cathédrale, et ils venaient à peine de mettre pied à terre dans l’écurie, lorsqu’une voix au ton méprisant retentit dans leur dos :
—Que faites-vous donc ici, Laurent ?! Je vous croyais à la retraite et déjà parti loin d’ici !
Les deux cavaliers firent volte-face et découvrirent une grande femme blonde au maquillage sophistiqué et aux vêtements coûteux qui les observait d’un air peu aimable.
Au moment où Laurent s’apprêtait à répondre, Joanna le prit de vitesse, et, faisant un pas en avant et arborant son plus charmant sourire, elle prononça :
—Bonjour, je suis Joanna Malezzi, et je suppose que vous devez être la Comtessa Scriabelli.
Elle s’interrompit un instant, puis poursuivit, toujours souriante malgré l’irrépressible envie de gifler son interlocutrice qui la torturait :
—Laurent est encore ici parce que je lui ai demandé de rester quelques jours auprès de moi, afin de m’aider à me familiariser avec toutes les tâches que j’aurai à accomplir ici pour mon travail.
La Comtessa Scriabelli toisa la jeune fille avec une moue dubitative, puis remarqua :
—Ah, voilà donc ce qui va remplacer notre ancien gardien ! Et ça ne connaît même pas son métier, puisque ça a besoin d’un vieillard devenu inutile pour s’acquitter de sa tâche !
Les deux compagnons de la Comtessa blêmirent, et Joanna répliqua d’un ton dur :
—Vous êtes blessante, Madame, et je vous prie de nous respecter, nous ne sommes plus au temps des seigneurs et de leurs serfs, que je sache !
Laurent lui saisit le bras en chuchotant :
—Calme-toi, Joanna, je t’en prie !
La Comtessa les observa l’un après l’autre, puis laissa tomber de son air le plus hautain :
—Dites-vous bien que je peux vous renvoyer dès que j’en aurai envie, ma petite ! Pour l’instant, vous êtes employée à l’essai, mais à la première faute professionnelle de votre part, vous pourrez vous chercher un autre emploi ! Quant à vous, Laurent, je ne veux plus vous revoir ici, oubliez cet endroit et allez mourir ailleurs que chez moi !
Sur ces derniers mots, elle se retourna et s’éloigna en faisant claquer ses hauts talons, laissant ses deux interlocuteurs pantois. Ils entendirent la portière de sa voiture se refermer, puis le moteur se mettre en route et le véhicule quitter les lieux. Stupéfaits par autant de mépris, Laurent et Joanna échangèrent un regard, puis la jeune femme explosa :
—Non, mais pour qui se prend-elle, celle-là ?! De quel droit se permet-elle de nous traiter ainsi ?!
Laurent soupira :
—Nous ne sommes que ses employés, Joanna, et elle en profite pour nous le rappeler à chaque instant !
—Voyons, Laurent, ne me dis pas qu’elle t’a toujours traité ainsi !
—C’est pourtant la vérité...
—Pourquoi ne m’en as-tu pas parlé plus tôt ?!
—Pardonne-moi, Joanna, j’aurais dû te le dire, c’est vrai, mais j’étais tellement persuadé que tu ne la rencontrerais jamais, tant elle vient si rarement, que je n’ai pas jugé utile de te prévenir... J’aurais tant voulu t’épargner et affront !
—Je ne te reproche rien, voyons, Laurent, ne te sens pas visé !... Et il est hors de question que tu t’en ailles parce que cette... pimbêche te l’a ordonné ! Quel toupet, franchement ! Après tout, nous sommes dans un pays libre, et si tu as envie de rester encore quelques jours de plus avec moi, alors fais-le et ne t’occupe pas de la Comtessa Scriabelli ! Et de toute façon, tu ne travailles plus pour elle, tu es mon ami, et si j’ai envie de t’inviter chez moi, c’est mon droit, non mais !... Mais qu’est-ce que tu as, Laurent, pourquoi me dévisages-tu ainsi ?!
Maîtrisant à grand-peine son émotion, Laurent répondit :
—Tu me rappelles tellement ta mère, Joanna ! Lorsqu’elle se mettait en colère, ses yeux brillaient comme les tiens, et tu as la même expression qu’elle dans ces moments-là !
Ils restèrent quelques instants silencieux, évoquant le visage de Louisa Malezzi, disparue beaucoup trop tôt, puis ils gagnèrent la Cathédrale, perdus dans leurs pensées respectives.
De trente ans plus âgé que son épouse Cassandra, le Comte Eugenio Scriabelli était d’un tempérament doux et compatissant, ainsi que l’avait laissé entendre Laurent à Joanna, et beaucoup des amis du couple se demandaient comment deux êtres dotés de caractères aussi différents avaient pu se marier dix ans plus tôt.
Ce soir-là, le comte était installé devant son piano, jouant avec âme l’un des nocturnes de Chopin, lorsque son épouse pénétra dans la luxueuse demeure qu’ils occupaient, en claquant fortement la porte. Habitué aux fréquents caprices de Cassandra, Eugenio n’y prêta guère attention et continua à jouer, tandis que les hauts talons de la jeune femme résonnaient rageusement sur le carrelage du vestibule. Cassandra jeta son sac sur un fauteuil en un geste de colère, puis, frappant du poing sur le haut du piano, elle s’exclama :
—Ne pourrais-tu cesser de jouer du piano un instant, Eugenio ?!
Sans se départir de son calme, le comte poursuivit son morceau en répondant posément :
—Il ne me reste plus que quatre mesures à jouer, ma chérie, alors sois patiente, veux-tu !
Elle hurla presque :
—Seigneur, comme tu peux être exaspérant, parfois ! On dirait que tu ne vis que pour ta satanée musique classique !
Eugenio Scriabelli acheva de jouer son morceau, puis se tourna vers elle et lui répondit avec son plus charmant sourire :
—Voyons, ma chérie, ignores-tu donc que la musique adoucit les mœurs ?!
Cassandra eut un haussement d’épaules dédaigneux et, se levant, il l’attira à lui et déposa un léger baiser sur son front en chuchotant d’un ton apaisant :
—Allons, Cassandra chérie, explique-moi donc la raison pour laquelle tu es aussi furieuse !
Tout en se dégageant d’un geste brusque, elle expliqua avec hargne :
—C’est de ta faute, tu aurais dû m’accompagner, Eugenio !
—Et... où donc aurais-je dû t’accompagner, chérie ?
—Comme si tu ne le savais pas ! À La Charmeraie, bien entendu ! Aurais-tu donc oublié que Laurent a pris sa retraite ?!
—Bien sûr que non, voyons ! Est-ce le départ de Laurent qui t’a mise dans cet état ?!
—Non, c’est la personne qui le remplace qui m’horripile !
—Ah bon ?! Pourquoi, qu’est-ce qu’il a qui t’a déplu ?
—Tu veux dire qu’est-ce qu’elle a qui me déplaît autant !
—Comment cela, elle ? Veux-tu dire que la personne qui remplace Laurent est une femme ?!
—Une jeune péronnelle prétentieuse, oui ! Et qui se croit tout permis, qui plus est ! Elle a osé me tenir tête et m’a parlé comme si j’étais la dernière des dernières ! Il faut la congédier sur le champ, Eugenio, m’entends-tu ?! Je ne veux pas d’elle sur mes terres, et je ne veux plus jamais la revoir !
Tout en entourant les épaules de son épouse d’un bras protecteur, Eugenio Scriabelli rectifia doucement :
—Sans doute veux-tu parler de nos terres, ma chérie ! Voyons, ne sois pas aussi radicale, Cassandra. Explique-moi donc ce que t’a dit cette jeune péronnelle prétentieuse dont tu m’as parlé, et ensuite seulement, nous aviserons.
Il l’entraîna vers le canapé, ils s’y installèrent et, nichant sa tête contre l’épaule de son époux, la Comtessa commença à parler. À mesure qu’elle progressait dans sa narration, une lueur amusée s’allumait dans le regard d’Eugenio, qui songeait :
—Hum, tout compte fait, le départ de mon vieil ami Laurent a du bon, et l’arrivée de cette jeune femme va enfin mettre un peu de piment dans la morne existence que je mène depuis de si longues années !
Cassandra conclut son récit par ces mots :
—Eh bien, Eugenio, qu’as-tu l’intention de faire, maintenant ?
—Eh bien... Rassure-toi, mon amour, je vais aller régler moi-même cette affaire et signifier à cette jeune femme qu’elle nous doit le respect !
Les yeux brillants de colère, la jeune femme s’exclama d’un ton péremptoire :
—Tu lui signifieras tout simplement qu’elle peut se chercher un autre emploi, Eugenio, c’est compris ?! D’ailleurs, je t’accompagnerai, sinon cette pimbêche serait capable de te faire changer d’avis !
Eugenio soupira :
—Très bien, ma chérie, comme tu voudras... Nous irons dans quelques jours.
—Pourquoi pas dès demain matin ?
—As-tu oublié que je donne un concert dans deux jours, Cassandra ? Je dois m’entraîner au maximum afin d’être performant !
La jeune femme eut un geste de colère et quitta la pièce en marmonnant :
—La musique, toujours la musique ! Comme si c’était vital !
Le comte la regarda s’éloigner avec un léger sourire mi-amusé, mi-dépité, puis il retourna à son piano et se remit à jouer sans voir son épouse qui, debout sur le seuil de la pièce et l’observant d'un air furieux, mettait les mains sur ses oreilles afin de ne plus l’entendre.
Une semaine plus tard, et alors que Joanna et Laurent partageaient leur repas dans la Cathédrale, on frappa à la porte. Ils échangèrent un regard surpris et la jeune fille se leva en prononçant :
—Je me demande qui peut bien venir nous rendre visite à cette heure-ci, Laurent !
Elle ouvrit la porte et fronça les sourcils en s’écriant :
—Vous ?! Mais que venez-vous faire ici, je croyais vous avoir déjà donné ma façon de penser, non ?!
Bousculant Joanna sans ménagement, Cassandra Scriabelli pénétra de force à l’intérieur sans même lui adresser un regard. Joanna s’apprêtait à refermer la porte lorsqu’un homme d’une soixantaine d’années retint le battant. Jusqu’à présent, il s’était tenu en retrait derrière la porte, si bien que Joanna ne l’avait pas aperçu, pas plus que lui-même n’avait vu le visage de la remplaçante de Laurent. Aussi, lorsqu’ils se trouvèrent face à face, eut-il un geste de recul et chancela-t-il soudain en murmurant :
—Seigneur ! C’est impossible !
Sourcils froncés, Joanna le soutint en s’écriant :
—Que vous arrive-t-il, Monsieur ? Êtes-vous souffrant ?!
D’une voix faible, il répondit :
—Aidez-moi à m’asseoir, mon petit, je vous en prie.
Elle hocha affirmativement la tête et l’entraîna vers le salon, qu’ils avaient presque atteint lorsque la voix aiguë de Cassandra se fit entendre :
—Mais que fait-il encore ici, celui-là ?! Chéri, viens voir, Laurent est encore...
Elle apparut sur le seuil de la salle à manger et, se ruant vers son époux, elle repoussa violemment Joanna en hurlant :
—Que lui avez-vous fait, espèce de petite garce ?!
Furieuse, Joanna répliqua :
—Vous êtes ici chez moi, Comtessa, et je vous prie de me respecter, tout comme vous respecterez mes invités à l’avenir, si avenir il y a !
Malgré son état de faiblesse, Eugenio ne put s’empêcher d’admirer intérieurement le courage de sa jeune hôtesse, et il pressa légèrement l’épaule de son épouse en murmurant :
—Je ne me sens pas bien, Cassandra, aide-moi, je t’en prie.
Alerté par les cris des deux femmes, Laurent fit irruption et s’empressa de soutenir le visiteur en s’écriant :
—Monsieur le Comte, que vous arrive-t-il ?! Attendez, je vais vous installer sur le canapé... Joanna, apporte donc un verre d’eau pour Monsieur le Comte, veux-tu.
La jeune femme s’exécuta, suivie par le regard haineux de la Comtessa. Elle revint au bout de quelques minutes et aida Eugenio à boire, ne pouvant s’empêcher de trouver celui-ci plutôt sympathique, bien qu’il fût l’époux de la Comtessa. Tandis qu’il buvait à petites gorgées, Cassandra Scriabelli arpentait nerveusement la pièce sans cesser d’observer alternativement Joanna Malezzi et Laurent. Lorsque la jeune femme posa sa main sur le front du comte afin de vérifier s’il avait de la fièvre, elle se précipita vers elle et, lui saisissant le poignet, elle le lui tordit violemment en grondant :
—Je vous interdis de poser la main sur mon mari ! C’est à cause de vous s’il est dans cet état ! Si vous aviez vidé les lieux lorsque je vous l’ai ordonné l’autre jour, nous n’en serions pas là ! Je vous garantis que si vous n’obéissez pas, vous et Laurent, vous...
La voix d’Eugenio Scriabelli claqua comme un coup de fouet :
—Tais-toi, Cassandra !
—Mais Eugenio, cette fille...
—Je t’ai dit de te taire, Cassandra ! Aide-moi à me relever, nous rentrons !
—Mais qu’est-ce que cela signifie, Eugenio ?! Ne me dis pas que toi, le Comte Scriabelli, tu vas céder devant une péronnelle qui s’impose chez toi sans même demander ton accord, pas plus que devant un vieil idiot à la retraite qui s’incruste chez nous sans nous demander notre avis ! Je refuse de...
Rassemblant le peu d’énergie qu’il lui restait, Eugenio gifla son épouse, la laissant pantoise et la main posée sur sa joue endolorie. S’adressant à l’ancien gardien de La Charmeraie, le comte prononça alors :
—Aide-moi à me relever et conduis-moi jusqu’à la voiture, Laurent, je t’en prie, j’ai mal à la poitrine.
Joanna proposa :
—Voulez-vous que j’appelle une ambulance ?
Cassandra passa près d’elle en la bousculant sciemment, et lança dédaigneusement :
—Je suis assez grande pour m’occuper correctement de mon époux, merci ! Je reviendrai demain avec un huissier qui vous expulsera manu militari !
Jetant un bref coup d’œil aux deux hommes, Joanna s’aperçut que le comte avait subitement pâli et, saisissant son interlocutrice sous un coude, elle la pilota fermement vers la porte en grondant :
—Seriez-vous donc aveugle, insensible et égoïste au point de ne même pas vous apercevoir que votre mari pourrait être victime d’un malaise cardiaque, uniquement afin de satisfaire vos caprices ?! Sortez de chez moi immédiatement et n’y revenez plus !
—La Cathédrale ne vous appartient pas ! —Tant que je travaillerai ici et que je l'occuperai, j'y serai chez moi, comme tout locataire dans une location, ne vous en déplaise !
Un instant, elles s’affrontèrent du regard, puis la Comtessa quitta la Cathédrale en relevant fièrement la tête et rejoignit son époux qui l’attendait dans leur voiture. Elle s’installa au volant, claqua rageusement la portière et démarra en trombe. Laurent passa un bras protecteur autour des épaules de Joanna et tous deux suivirent des yeux le véhicule qui s’éloignait à vive allure, puis la jeune fille soupira :
—Cette femme est vraiment immonde, Laurent ! Comment ce pauvre homme a-t-il pu épouser une furie pareille ?!
L’ancien gardien de La Charmeraie soupira à son tour :
—Le Comte Eugenio se sentait seul depuis la mort accidentelle de son épouse, il y a vingt ans, et il était inconsolable... Jusqu’au jour où Cassandra est apparue dans sa vie... Ils ont commencé à se voir régulièrement pendant six mois et puis... le malheureux l’a épousée il y a dix ans, et tu vois le résultat !
—Le pauvre, je le plains sincèrement... Retournons à l’intérieur, veux-tu.
Ils retournèrent dans la salle à manger et Joanna servit le café en remarquant :
—Tu sembles bien connaître le Comte Scriabelli, Laurent, est-ce que je me trompe ?
—Non, tu as raison, Joanna, Eugenio et moi, nous sommes des amis d’enfance... Bon, je te remercie pour le repas et le café, il est tard et je vais rentrer. Veux-tu que je revienne demain matin pour te prêter main-forte, au cas où la Comtessa tiendrait parole et t’enverrait les huissiers ?
Joanna sourit :
—J’espère bien que tu vas venir, oui, mais pour m’aider à soigner les biches !... À moins que tu ne sois fatigué, bien entendu !
Il déposa un léger baiser sur son front en lui rendant son sourire, lui souhaita une bonne nuit, puis quitta La Charmeraie, suivi des yeux par son interlocutrice.
De retour chez eux, le Comte Scriabelli repoussa son épouse, qui le soutenait, et se dirigea en titubant vers le téléphone, provoquant l’étonnement de sa compagne :
—Mais qu’est-ce que tu fais, Eugenio ?
—Va préparer mon lit, Cassandra, j’ai besoin de repos !
Elle ouvrit la bouche pour protester, puis se ravisa et s’éloigna à grandes enjambées. Eugenio composa un numéro de téléphone, parla brièvement à son interlocuteur, raccrocha, puis, une main appuyée sur sa poitrine, il composa un autre numéro et eut tout juste le temps de parler à son correspondant avant de s’effondrer sur le sol. Alertée par le bruit de sa chute, Cassandra se précipita dans le vestibule et s’exclama :
—Eugenio ! Seigneur ! Que t’arrive-t-il ?!
—Je me sens mal, Cassandra, il faut appeler une ambulance !
Accroupie auprès de lui, le regard dur, Cassandra gronda :
—Pourquoi t’obéirais-je, Eugenio ?! Tu as eu l’audace de me frapper et de me traiter comme une moins que rien devant deux de nos domestiques ! Je te garantis que dès demain, cette pimbêche et son vieux protecteur disparaîtront de notre existence.
Avec une force dont elle ne l’aurait pas cru capable dans l’état de faiblesse où il se trouvait, il lui enserra le poignet comme dans un étau et gronda à son tour :
—Tu laisseras tranquilles Laurent et la petite, c’est compris ?! Je t’interdis de tenter quoi que ce soit contre eux, Cassandra !! Et si tu persistes à vouloir t’en prendre à eux, notre mariage est terminé ! Est-ce clair ?
—Voyons, Eugenio, tu ne ferais pas une chose pareille ! Tu ne compromettrais pas ta vie de famille pour une donzelle dont tu ne connais rien ! Je vais... Eugenio, qu’est-ce que tu as ?! Eugenio, réponds-moi, voyons !
Devenu livide, le malheureux venait de perdre connaissance, toujours agrippé au poignet de son épouse. Lui adressant un regard méprisant, celle-ci lui détacha les doigts un à un en ricanant :
—Une fois que tu seras crevé, rien ne m’empêchera de virer ces deux indésirables, mon chéri ! Après tout, qu’est-ce qui m’oblige à appeler un médecin ? Puisque je suis en train de préparer ta chambre à l’étage, j’ignore tout de ton malaise !
Elle en était à ce point de son monologue lorsque la sonnette de la porte d’entrée retentit. Cassandra se releva, alla ouvrir, eut un mouvement de recul en reconnaissant son visiteur et balbutia :
—Toi ? Mais que... Mon Dieu, viens vite, ton père a eu un malaise, il faut que tu m’aides à le transporter dans sa chambre, je suis tellement inquiète pour lui !
Le jeune homme qui se trouvait sur le seuil écarta légèrement son interlocutrice, pénétra rapidement dans le vestibule, examina son père, tâta son pouls, puis, se retournant vers sa compagne, il l’interrogea rudement :
—Que lui as-tu fait, vipère ?!
Prenant son air le plus innocent, elle répondit :
—Mais rien du tout, je t’assure ! Je m’apprêtais à...
De nouveau, on entendit la sonnette et elle alla ouvrir en hâte, trop heureuse d’échapper ainsi au regard inquisiteur de son interlocuteur. Elle recula en découvrant le médecin de famille qui se tenait sur le pas de la porte, puis s’exclama :
—Ah, Docteur, vous voilà enfin ! J’avais tellement peur que vous arriviez trop tard après mon coup de fil !
Le médecin lui lança un regard aigu, puis pénétra dans la maison sans mot dire et examina rapidement son patient. Il se releva presque aussitôt en déclarant d’un ton sans réplique :
—Il faut l’hospitaliser sur le champ ! Depuis quand est-il inconscient ?
Le jeune homme se releva à son tour en répondant :
—Il m’a téléphoné il y a quelques minutes et lorsque je suis arrivé, il avait déjà perdu connaissance.
—Alors, il n’y a pas une minute à perdre, nous n’avons pas le temps d’attendre une ambulance. Transportons-le dans ma voiture !
Sous le regard inquiet de Cassandra, les deux hommes soulevèrent délicatement le comte et quittèrent la maison. Le médecin démarra en trombe, roulant à vive allure vers la clinique la plus proche et donnant ses instructions au jeune homme qui, installé à l’arrière avec son père, pratiquait sur lui un massage cardiaque, priant le ciel pour qu’il ne fût pas trop tard…
Sourcils froncés, la Comtessa Cassandra Scriabelli s’adressa à l’infirmière qui venait de lui parler :
—Comment cela, je n’ai pas le droit de lui rendre visite ?! Voyons, Mademoiselle, faut-il que je vous répète une nouvelle fois qui je suis ?!
Devant l’air impassible de son interlocutrice, elle poursuivit en martelant chaque mot :
—Je suis la Comtessa Cassandra Scriabelli, l’épouse du Comte Eugenio Scriabelli, qui se trouve actuellement dans cette chambre dont vous m’interdisez l’accès ! Non, mais, pour qui vous prenez-vous, à la fin, et de quel droit m’empêchez-vous de voir mon époux ?!