L’Histoire et la Géographie - Yasmina Azzoug - E-Book

L’Histoire et la Géographie E-Book

Yasmina Azzoug

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Beschreibung

Une femme se souvient d'Amar et Brahim, deux Algériens jetés dans leur siècle. Ce ne sont pas des héros. Et pourtant, leurs vies ne sont pas si ordinaires, ce sont un grand-père et un père oscillant entre l'Algérie et la France, depuis la Seconde Guerre mondiale jusqu'aux années 2000. Il y a Amar, le persévérant, austère mais malicieux, un Bartleby au fatalisme têtu. Et il y a Brahim, le rêveur empêché, un Docteur Jeckyll et Mister Hyde crépitant comme la vague. Il y a leurs deux cœurs, saturés d'émotions et de paradoxes. Et il y a Elle, leur point de jonction.
Dans ce récit intimiste à trois voix, vous croiserez du bleu et du vert, des fruits, des oursins, des femmes tatouées, du dialecte, du silence, un tableau qui délire, des yeux de chat, une Américaine, deux meilleurs amis décomplexés et un peu fêlés, un certain Dj'èha, des poubelles, des « événements », des Arioulites encore très contemporains, et bien-sûr, l'année 1962, une année pas tout à fait comme les autres.


À PROPOS DE L'AUTEURE


Yasmina Azzoug est née en 1974 à Toulouse (France). Elle a un parcours de manager en Direction Commerciale au sein de multinationales, puis d'entrepreneur. Elle a également été consultante dans le secteur culturel. L’Histoire et la Géographie est son premier roman.

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L’Histoire et la Géographie

Yasmina Azzoug

L’Histoire et la Géographie

roman

CHIHAB EDITIONS

© Éditions Chihab, 2021.

www.chihab.com

Tél. : 021 97 54 53 / Fax : 021 97 51 91

ISBN : 978-9947-39-388-8

Dépôt légal : janvier 2021.

Àmesparents

Nouscroyonsêtrelesrégentsdel’histoire, alorsquenoussommesd’abordlesdisciplesdusol.

VidaldeLaBlache

Chacundenoustientunemottedetemps

quis’effritesanscesse, sedispersecommedugrès.

Jeposemamainsurlaterre

etjesensdansletréfonds

lesgisementsinépuisablesdutemps.

Titos Patrikios

Lavieestl’ensembledesfonctionsquirésistent

àlamort.

Bichat

Icioulà, desmotssurgissent.

Parcequ’onpeutpenseretaimerdansplusieurslanguesàlafois.

Bèba : Papa, Papy

Yèma : Maman, Mamie

Mânie : Mamie

Khalti : Tante, Cousine

Ici et en ces temps-là

JecoursenregardantlesrefletsdelaGaronne. Jesuisàlamoitiédemonparcours. Moncœurbataurythmedemesjambes, oupeut-êtreest-celecontraire ? Jenesaispasàquelmomentleschosess’inversent, àquelmomentlecorpsaffrontelagéographiedesmètresàavaler, etàquelmomentilselaisseporterparquelquechosedeplusgrandquelui. Jemesureladistanceparcourueenjetantuncoupd’œilverslepontNeufderrièremoi.

— Pasmal, diraitlaGéographie.

— Peutmieuxfaire, diraitl’Histoire.

Messéancesderunningmefontétrangementpenseràvous, àchaquefois. C’estcommesimarespirationetmonsecondsoufflenesetrouvaientpasdansmoncorps. Ilssontdanslajoiedevoussavoirlàaucreuxdemoi. Jefaisduneufavecduvieux, commecepontNeufquiestleplusvieuxpontdeToulouse. Jesuishabitéeparcescorpsquim’ontfabriquéeetquimetraversent. Jesuisunsquelettequicourtàtraverslestemps, uneméduseaufonddelaGrandeBleue, sacarcassetransparentefaitedebullesd’oxygèneetd’aqueducsquienjambentlesannéesversd’autrescarcasses. Jesuislecourant, concentréesurmonsouffleetsurlechemindroitdevant.

Moncœurcognecommeunegrenade, commecellesdetonjardinquetum’apportaisencadeau.

— Oui, lapleinesaisontombeenmêmetempsquetonanniversaire, petite.

Danschacunedeleursgraines, ilyamilleémotionsquim’aidentàrespirer, surtoutquandjeslalomedansmessouvenirs, commeentrelesrangéesdetonjardin, etjusqu’aufiguieretàcesfiguessaturéesd’étéquejecueillaishisséesurlesépaulesdemononcle, tonfilsquiteressembletant, aussigrandquetoi, sigrandpourmoi, àl’époquesimenue. J’escaladaissesépaulesetjepartaisàlachasse. J’avaisl’impressiond’êtreaccrochéeaumâtd’unbateau. Tuavaisbricolédesperchesspéciales : c’étaitplusieursroseauxsecsenfiléslesunsdanslesautres ; tuyavaisfaitdesentaillesàl’extrémitépourformerunemain ; c’estellequiallaitattraperlesfruitsnichéssouslesfeuillesausommetdecetimmensearbre.

— Regarde, là, ilyenaunequisecache !

— Non, pascelle-là, laissons-luiencoreunpeudetemps.

— Alors, celle-là, regarde !

— Ahnon, celle-làencoremoins...

— Ben, alors, celle-là, regarde !

— Où ? Jenevoisrien.

— Là, là…

— C’estoù, là-là ?

Sonregardsuivaitmondoigtquipointaitversl’arbre.

— Envoilàunequiestbiencachée. Oui, tuasraison, celle-là, allonslachercher.

— Etilyenauneautre, là, justelabrancheàcôté ! Etlà-bas, regarde, del’autrecôté !

— Doucementetdansl’ordre, ellesnevontpass’envoler !

Ilfaisaitmonterlaperchelà-hautdansleciel, lapetitemainfaisaitsontravailetrevenaitlentementversnous. Quellejoiedemangerautombédel’arbrecesbombesd’unnoirviolet, avecleurstorsescharnusàenéclater ! Quandj’ouvrais, jedécouvraisunécrindecheveuxd’ange, piquésdegrainesquicrépitaientsouslesdents. Cefruitétaitunterritoireàpartentière, unecontradiction : c’étaitfermeetmoelleux, lisseetcroustillant, sucréetacidulé. Parfois, jecroquaisdirectementdanslapeau, sanspeler. J’avaisl’impressiond’avalerdel’arbreoudelaterre.

— Mmmm…

— Tuneluiasmêmepasdonnéletemps, disait-ilenfaisantsemblantdemegronder.

— Letempsdequoifaire ?

Ilmeregardaitparen-dessous, puisiléclataitderire. Ettoiaussi, BèbaAmar.

Souscemêmefiguier, tum’asseyaispourmesoignercontremesennemisdelaplage. Lesfeuillesdel’arbrecoupéespleuraientdulait. Çasentaitlateinturepharmaceutique.

— Çafaitremonterlesépinesd’oursins.

— Aïe, aïe, aïe !

— Jen’aipasencorecommencé, petite.

— Maissi, tuascommencé, écoute ! Aïe ! Aïe !

— Là, jevaiscommencer. Tupeuxcommenceràpleurnicher. Vas-y, jet’écoute. Allez.

— Non, tunem’écoutespas, jedisaisd’unairpitoyable. Regarde, tum’opèresàpiedouvert… Aïe !

— Arrêtedebouger, çacasselesépines. Ellesvonts’enfoncer. Çaseraencorepluslongàenlever. Etçavafairemal.

Jemesolidifiaisetfixaisunpointimaginaire, enapnée. Commechezledentiste, j’attendaislaroulette. Tupoursuivaistonopération, enriantsouscape. Traître. Parfois, tuéclataisderire, commesituoubliaisquej’étaislà.

— PourquoivousvousacharnezaveclaplagedeDjambaralorsquecelled’àcôtéesttrèsbien ?

Lesépiness’étaientplantéessousmespiedsenremontantdecetteplagesauvagedunomducorsaireJeanBart. Lesaccentsetleséchosàtraversletempss’étaientamalgaméspourformerDjambar. Lesglaces, lescoquillagesetlesoleillaissaientlaplaceàcettedouleurpiquante. Jeregardaismonpiedentransparenceetj’apercevaisleurnoirdecorbeaufichéprofondémentdanslachair. Unefoislelaitappliqué, tuextirpaispatiemmentlespointesnoiresàl’aided’uneaiguilledésinfectéeavecdel’alcooletd’unepinceàépiler. Tonœilétaitvif. Aufonddemoi, jecroistoujoursquelefiguiersoigneetenlèvelesépinesdelavie. Aumoindresouffledeventàproximitédel’undecesarbres, moncœursegonfleetseremplitdejoie. Ilestsoulagé, mêmequandiln’yarienàsoulager.

Penserauxfiguesd’Aïn-Taya, c’estaussitôtfairesurgirLeveilley. Cesdeuxlieuxsidifférentsformaientlebinômedemesvacancesd’été. Ilsétaientlespointsdedépartdeplagesdiamétralementopposées. LaGaronneperdsesrefletsvertsets’arrimeàlaGrandeBleue. JejouedanslesvaguesduClubdesPins, cetteplagedecitadins, avecbeignetsetchouchousàl’ouestd’Alger. Bèbasegaraitsurleparkingbondé. Dèsquejesortaisdelavoiture, duplusprèsauplusproche, lescouleurss’additionnaientenaccordéon. Dusabledoré, l’écume, dusabledoré, deslanguesd’eau, dusabledoré, desvagues, delamerbleuciel, delamerbleumarine, delamerbleunoire, l’horizon, lesrefletsdorésdusoleil, leciel, leblancmousseuxdesnuages, dubleu, encore. Lepaysages’enroulaitetsedépliait.

Surlebleuimmenses’accrochaientdeblanchesvirgules. Lesvaguesdansantesnousentouraientd’unedélicieuseappréhension, tantôtdouces, tantôtpuissantes, unesuccessionderouleauxetd’ondulations.Ellesformaientunevagueunique, elmoudja. Ellearriveàpasdeloup, faituneinfimemarchearrièrepourrentrerleventreetfairedisparaîtresonnombril, s’étireversleciel, s’enroulesurelle-même, s’arronditpourdéferler. Etpuis, ellefrappe. Ellelave. Elleremplitetellevide. Elleestunbruyantbouillonnementquiestdéjàreparti. Jesuisàfleurd’écume. Jeregardeenfrissonnantcettemoussecrépitante. Sesélémentsretournéspourraientpeut-êtremerévélerl’enversdeschoses. Schhhhhh, schhhhhh, schhhhhh. Jel’entendschuchoteraucreuxdemesoreilles.

— Cequelesautresnetedisentpas, jeteledirai... cequelesautresnetedisentpas, jeteledirai, lacolèredemesgrandsfonds, leshistoiresdesbas-fonds, lesbleusjoyeuxetlesoutre-bleus…

Jeposemesmainsàplat, pourmieuxsentirlesgrainsdoréss’éloigner. J’écouteleurroulis. Ilss’incrustentdansmapeau. Jemerelève, lemaillotpleindesable. Moncœurbatfort, j’ail’impressiondemieuxsentiràquelendroitilsesitue. Lesyeuxbrûlent, lesoreillessifflent, jetousse, jecrachel’eausalée, maisdéjàjem’élancepourallerencueilliruneautre.

— Resteprèsdemoi, ilyaducourant.

Cetteintensitéétaitvécuetoutaubord. Bèbanemelaissaitpasm’éloigner. LaGrandeBleueesttraître. Lespiedsaccrochésàcesablequis’échappaitsousmoi, jelaressens. Elles’engouffre, avanceetrecule, commeunressacintérieur. Elleestjoyeuseetmélancolique. Cettevaguequivientetquirepart, ceglissement, cegrondement, c’esttoi, Bèba, quiaimaittantcebleu, unbleujoyeux, unbleumenaçantquicachaitd’autresbleus.

EtquandleshabitantsdeLeveilleynedescendaientpasverslebleu, c’étaitluiquimontaitthéâtralementverseuxsouslaformed’unvendeurdepoissonsàlacriée. C’estunvieuxquivienthurlerdepuismilleanssouslesfenêtresenpoussantdevantluiunecharretteenbois. Sonvisageeststrié, iln’apasdedents, sesvêtementssontgris, sesjambessemblentflotterau-dessusdusol. Iln’apasbesoindevanterlafraîcheurdesessardines, déjàunenuéed’enfantsetdefemmesaccourtetleprendd’assaut. Labalanceetsespoidsenlaitonvalsent, lesmainsagilesdéversentlamarchandisedirectementdanslapassoiredelacliente. Ilrepartentraînantdespieds, commeassomméparunraiddesauterelles. Àpeinea-t-iltournélecoindelaruequelesfemmesontnettoyélepoisson, ajoutépoivreetcumin, etregardél’horlogepourlamenacerd’avancerplusviteversl’heuredudéjeuner. Stupéfait, Bèbadisait :

— Lamesseaétévitedite. L’heureasonné.

Aïn-Taya, Leveilley... Dansmatêteetenm’aidantdemesdixdoigts, jemerésumaislasituation. YèmaYoussra, magrande-tantepaternelle, sœurdeMâniedeLeveilley, Djohar, mèredeBèba, estégalementmonarrière-grand-mèrematernellepuisquemèredeMânied’Aïn-Taya, magrand-mèrematernelleetmèredeYèma. Mânied’Aïn-TayaestdonclaniècematernelledeMâniedeLeveilley. Monpèreetmagrand-mèrematernellesontdonccousins, commesiLeveilleyavaitsautéuneclasse. YèmaYoussraétaituneexfiltréedeLeveilleyàAïn-Taya, tandisquesesdeuxsœursvivaientàquelquesmètresl’unedel’autre. Lesrelationsentrelesmembresdenotrefamillesontrégiesparundécrochagequimedemandetoujoursunmomentd’arrêtpoursituerlapersonneàquijeparledansl’arbregénéral. C’estcommesij’avaisunpiedsurunemarcheetl’autresurlamarchesupérieure. Jetitubeetremonted’unétagedansletemps. Avecnosescaliers, àtoutinstantetentoutpoint, nouspouvonstrouverunfaisceaud’événementsetd’objetsquimontrentquelafamilles’estamonceléeentrenous. Àchaquedéraillement, nousembarquonsquelqu’unavecnous. L’avantage, c’estquenoustombonsrarementdanslevide. Ilyatoujoursquelqu’unquisefaitdéraillerdessus. C’étaitunegrottedestalactitesetstalagmites. Çasédimentait, çasuintait, çafermentaitsévèredanslegangfamilial. Dallas. MauvaisesgrainesdeJeanBart.

Maislesombresd’Aïn-TayaetdeLeveilleyétaientrecouvertesd’unsoleilsipuretsiincandescent. Ilvousfaisaitdireàtouslesdeuxquelesfiguesétaiententraindemûrir, là, aucœurdel’après-midibrûlant. Jelesimaginaisdansunfour, jelesentendaiscroustiller, grésiller, leurpulpe, leursgraines, lejus, lemiel, sedorantàpoint. Ellesassouvissaientleursoifdesoleil, l’incorporaientauplusprofondd’elles-mêmes. Commenous. Ellessegonflaient, semouchetaientousestriaient, enceintesdetantdelumière, elless’offraientaucieljusqu’às’entrouvrirdélicatement, laissanttransparaîtreleurchair, prémissedesdélices. Cesoleilétaitàlabonnetempérature, assezpourfairecoulerquelquesgouttessurlefront, pourfairelasieste, poursentirlecarrelagefraissouslespiedsdanslesmaisonsenAlgérie.

Moncœurméditerranéenbatfort. Jel’écoute, carvous, vousneparliezpas. Defaçontrèsdifférente, vousétieztouslesdeuxsilencieux. L’unsetaisait, l’autretempêtait. C’estcommeça, diraitl’un. Jevousplieetvousdéplie, j’inspireetj’expire. Histoire, Géographie, Histoire, Géographie. Danschaquegrainedesouvenir, ilyamillesouffles. Géographie, Histoire. Expirer. Reprendresonsouffle. S’emmêlerlessouffles. Aïn-Taya, Leveilley, ici, là-bas. Quandonn’aplusdejambes, ilrestelereste. LatêtedanslaGrandeBleue, lesfiguesetlesgrenadesaucœur.

Là-bas

AmarvitàAïn-Taya, unestationbalnéaireetagricoleenAlgérie. Lesjournaliersytranspirentàfleurdefalaise. Sonnomprovient, dit-on, d’uneanciennefontaineoùlesoiseauxvenaientboire. Aïn-Taya, c’estlasourcedesoiseaux. Cepaysestcriblédesourcesetpourtant, rienn’yajamaiscoulédesource.

BrahimvitàLeveilley, unquartierpopulairedelabanlieued’Alger. Cequartiertiresonnomdedeuxfrèresnégociantsentissus, originairesdelarégionbordelaise. Ilgrouilled’ouvriersdanslebâtiment,laconstructionmécanique, lesjardinsmaraîchers, lesmoulinsàfarine. Lestravailleursrefontlemondedanslescafés, habilléscommedeszazous, faisantpassernerveusementleurcigaretted’unemainàl’autreenattendantdetrouverdesréponsesàtoutescesquestionspolitiquessuspenduesdansl’air.

Aïn-Taya, c’estlanoblessedelaterre, sespropriétaires, lesbellesmaisonscarréesavecbriquesettuiles, lespalmiers, lesmondanitésfeutrées. Leveilleyestfièred’êtreunecitadinepopulaireetfestive. Ellemoquelacampagnardearistocrateetaustèrequi, certes, s’activelematinsurlesmarchésetvas’allongersurlaplagedansl’après-midi. Toutelajournée,Leveilleytraînesespiedsdanslespetitesruellesdéfoncéesetbourdonnantes. ElleestcaléeentreKouba, lequartierrésidentielpourlescolonsoùlesgrandesmaisonsblanchessaturentl’aird’argent, etOued-Chahièh, terrainvagueabritantunbidonville.

Aïn-Tayaestuneéglisedefraîcheurveloutée, avecl’eaucourantetoutel’année. Leveilleyestunsoukétouffantavecseslégendairescoupuresquotidiennes. Ilyabiendeschâteauxd’eauàproximité, maisleshabitantspensentqu’ilssontpleinsd’air, commecepays. Parfoisquandonmontedansunbus, onal’impressionderentrerdansunfour. Onregardel’asphaltetremblerdechaleur.

Leveilleyaquelquechosequigrondeenelle. Elles’accrocheàsesruesendénivelé. C’estSanFrancisco. Onmonteentirantlalangue, ondescendemportéparsoncorps, ons’arrêtesurdesruesenplateaudevantleboulangeroulecaféquifontl’angle, ontombedelafalaise, oragesetétincellesentremêlés. Sansamour, sanscolère, sanstonnerre, onyfane. Oncréedestornadeslocalisées. Lescœursetlesâmessontentropplein, ilfautendécoudre. Parfois, ungarsestentraindepoussersavoitureenpanne. Spontanément, d’autresgarsviennentformerunegrappeautourdelui. Çaseraàceluiquipousseraitlemieuxouleplusfort, jusqu’àsequerelleravecsonvoisin, quin’ariendemandé, etl’autrenonplusd’ailleurs. Çamonte, çaracle, çahurle. Lepropriétairefinitpartousleschasser. Ilpréfèreresterseulavecsesproblèmes. Dégazage, çaretombecommeunmonstremarinquis’enrouleetvarejoindrelesprofondeurs.

— Ahlèllèl, peste-t-il, qu’est-cequec’estquecesgens ?

Lapoubelle, ças’appelle. ÇarendfolleAïn-Taya, quiarronditledosetsetait.

LeveilleyetAïn-Tayanesemélangentpasbeaucoup. Cesdeuxuniversontleurscodesdeconduiteetleursexpressions. Leursintonationsdevoixdisentunevisiondumondedifférente. Lesdeuxs’apprécientdeloin, duboutdeslèvres. Vingtkilomètreslesséparent. Ilsseregardentdepartetd’autredelabaied’Alger, l’uneestaucentredecetteéchancrurebleue, plusprocheducœurvibrantdelacapitale, doncducentredumonde ; l’autreestposéeverslehautdelacourbure, elleaunpiedversAlger, unpiedversl’Est, laregardantainsidetrois-quarts, unpeuhautaine, commesiquelquechosedeplusimportantl’appelaitauloin, verslaKabylie. L’énergieviolentetoiselaforcetranquille. Aïn-TayaregardeLeveilleydetraverscarc’estunlieudeluxure. Leveilleyleluirendbien : traîtresse, Aïn-TayaauraitabritédenombreuxAlgérienssympathisantsdesFrançaispendant « lesévénements ».Maisenfin, toutcelan’estpasbienclair.

Durantlesvacancesd’été, jefaisaislarouteentreLeveilleyetAïn-Tayacommeunvoyageàl’intérieurduvoyage. Lorsqu’onmedisaitdedescendredevoiture, c’étaitavecdesmotsdifférents. J’avaischangédeterritoire. DepuisLeveilley, onrejoignaitleportetlefrontdemer, lelongdelarouteditemoutonnière, cettevoiequirappelaitl’embarquementdesmoutonsd’AlgérieverslaFrance. Jelesimaginaisgalopantlelongdurivage. Jemedirigeaisdoncverslacampagne. L’odeurdelavillesemétamorphosaitprogressivementencetairdefind’après-midisaturédeboisbrûlé, decaroubeetdeselmarin. LaMéditerranéetiraitsontraittoutlelongdelacôte. Jevoyaisdubleu, duvert, dujaune, àperpétuité. Del’HistoireetdelaGéographieàpertedevuesouslesoleil.

Chapitre 1 | 1980, Amar

Lesoleilapparaît. Lalumièrerendsescouleursaumonde. C’estcemomentoùleschosesfrémissentennous. Lebleuestlà. L’orangesecalecontrelui. Ilyaquelquesvapeursdeblancentreeux. Ilyasurtoutlesilenceduciel. Laterreselave. Pasnous. Lerougeetl’orangeremplissentl’horizon, puisilsdisparaissent. Leblancs’étireetnoiefinalementlescouleurs. Etdéjàlesoleilécrasetoutcebeaumondeets’installepourlajournée, commeuneampoulepuissanteauloin. Lesdeuxmainscaléescontrelefront, jelèvelesyeuxaucielpourobserverlestchoutchoumalèh. Lesmouettessontcommemoi, ellescherchentleurchemin, ellesverslaplageàquelquesmètresdelà, etmoidansmajournée. Aujourd’hui, jemesensvieux. Jesuisdroitcommeun « i », plantédansmonchampalorsquelalistedescoursess’allonge. D’abordlesharicotsverts, puislemaïs, puislestomates. Penseràtaillerleraisin. Penseràréglerlesfacturespourlesemis. RamenerlecrottindechezSalah. Passerauxhallesavantneufheures. RevenirpourlescoursesdeHouria. Couvrirlesjeunesplantsavantlesoleildemidi. Manger. Fairelaprière, paslasieste. Reveniricipourlasuite, carilyatoujoursunesuite. C’estcommeçalaCréation.

Bien, commençons. Mêmesilesoleilatourné, mêmesitouslesjoursilglisseunpeuplusverslagaucheduchamp, ilfautcommenceravantdesefairetorpillerparlachaleur. Laterres’étiredusoleild’hieretdesjoursd’avant. Ellesezèbreparendroitscommeungâteauquisortdufour, elleasoif. Jemarchejusqu’àlasourcedeAïn-Bèylèk, àlalimiteNord-Estdemonterrain. Jedoislibérerl’eaulà-bas. Heureusementqu’elleétaitlàcettesource, sinonjenepourraispasirriguer. J’avaiseudunif, duflair, lorsdel’achat. J’avaistoutcalculé. Onl’atoujoursappeléecommeçacettesource, « lerobinetdel’État ». LesFrançaisavaientconstruitunpetitbassinoùflottaientquelquesbarques. Ilyavaitdesconcoursdepêcheenété. Ilyavaitdessortiesd’eaupourirriguerleschampsautour. C’estdelàquevenaitmoneau. Eux, ilsl’appelaient « Fontaine-fraîche ». L’eauétaittrèspureetpotable. Ilsaimaientvenirenexcursion. Descoloniesdevacancespique-niquaient, nosenfants, eux, nefaisaientqu’apprendre « Àlaclairefontaine ». Desmosaïquesbleuesetdoréesdécoraientlebassin. Lesarbresetlesroseauxsebalançaientau-dessus. Lesmuretsquiclôturaientlelieuétaientpeintsàlachauxblanche. Aujourd’hui, c’estundépotoirdedébrisetdedessinsvulgairesfaitsparlesjeunes. Quandjeregardelesmosaïquesdécolorées, j’ail’impressionqu’unemainatoutéparpilléaveccolère. Ilssontlesquatrefersenl’air, commesoufflésparunebombe.

Aïn-Bèylèk, c’étaitaussicettepartiehautedemonterrainquejelaissaisenfriche. Jemesouviensquelesautoritésfrançaisesmecherchaienttoujoursdespouxsurcettefrontièreentremonbienetlebiendel’État. Jen’avaispasledroitd’ycultiverdeslégumes.

— Allez-y, disaientlesreprésentantsofficiels, personneneviendraregardercesfriches, c’estjustedelarocaille. Noussommesoccupésavecdesdossiersimportants. Vousfaitescequevousvoulez, nousn’ygagnonsrien, nous. C’estjustepourêtresympathiquesavecvous, nosamislesArabes.

Jel’aifaitqu’unefois, jem’ensouviens, j’aiplantédesfèves. Uneforêtavaitpoussé, descageotsetdescageotsdefèves ! Commeparhasard, lesautoritésétaientrepasséespourmedirequefinalementj’avaispasledroit. Ilsm’avaientlaisséunematinéepourramassercequejepouvais, puisilsontmislefeuaureste. Salesgraines, commeditl’autre… J’enavaisétémaladeetjem’étaisjurédenepasrecommencer. Plustard, àl’Indépendance, certainsprendrontdegrandesparcellesautourdemonterrain. C’étaitleurs « biensvacants ». Moi, j’aiprisquelquesmètrescarrés, soixante-cinqtrèsprécisément, pourtirerunelignedroiteentremonchampetcepassé.

Unedemespetites-fillesdisaitqu’avoirlamainverte, c’étaitsavoirparlerauxgraines, c’étaitparcequ’onavaituncœurpurouquelquechosecommeça. Jenesaispasoùellevachercherdeschosespareillescettepetite. Cequejesais, c’estquecertainesannées, lescolonschezquijetravaillaisavaienttellementdelégumesqu’ilsnesavaientplusoùlesranger. Cequejesais, c’estquej’aimepincerlesgrainesentrelesdoigts, lesfaireroulerpoursentirleursformes, puisleslaissertomberdanslaterreetattendredelesvoirgermer. Lagraineprendparfoissontemps. Ellesetourneetseretournedanslaterre, elleregardeautour, elleobserve, ellehésite, reprendunpeud’eauetunpeudesoleil, etunbeaumatin, elleseditqu’ilfautquandmêmeyaller, qu’ilfauts’agiter. Etleschosessortentetças’enchaînesansréfléchir. LaNature, elleréfléchitavant, ellenesegrattepaslatêtependantouaprès, parcequec’esttroptard, c’estjustedesquestionsderiches. Nous, onseposelesquestionsdedemainmatin. Planifiertroploin... quisaitjamaiscequ’ilyaquandonvatroploin ? Jemesensbienavectoutcevertautourdemoi. Dèsquelespremièrespoussessortaient, j’étaisfierdecettechoseminusculequiallaitgrandir. Parfois, quandiln’yavaitpersonneàcôtédemoi, jememettaisàgenouxetjeregardaiscevertsortirdeterre. J’auraiseuenvied’êtreencoreplusprèsdelui, mecollerpourlesentirrespirer, respireraveclui, entoutpetitmaistellementplusfortquedansmespoumonscomprimés. Jeregardaisleverts’appuyersurlaterrepoursortirdetoutessesforces. Ils’arrachaitausolcommemoij’essayaisdem’incruster. Jeleregardaisàl’envers. Sijeregardaisassezlongtempslebrindevert, ilsemettaitàdanserdevantmesyeux. Jelouchaissurcettepetiteviederiendutout. J’effleuraisunefeuilleduboutd’undoigt. C’étaitdouxethumide. LaCréation, c’estquelquechosequandmême. Parfois, jeportaismondoigtàmesnarinespourdécouvrirs’ilyavaituneodeur. J’aimaisenparticulierlesfeuillesdetomatesquinesentaientpasdutoutlatomate. Leurodeurannoncel’été, lessaladesavecdel’huiled’olive, lessandwichsdespetits. Lesfeuillesetlesfleurss’accrochaientauxtuteurspourgrimperversmoijouraprèsjour. Parfoisj’avaisl’impressiondepréférerregarderpousserduvertquemesenfants. Houriaremarquaitça.

— Tuestoujoursdanslejardin, ellemereprochait.

Jemedonnaisdesclaques, enmedisantquec’étaitpéché. Maisrienàfaire, levert, c’étaitmontruc, c’esttoujoursmontruc. Jenerépondaispas, oubienunvagueoui. Jepensaisdéjààlafindelarécolteetàlaprochaine, etàtoutescesgrainesàvenir.

Jemerégalaisdetestomatesetd’unépidemaïsgrillédanstonjardin. Desannéesplustard, j’adoreraistoujoursvoirgermerdesgraines. Tesbellesmainsrugueusesretournaientlaterreetymétamorphosaientlesoleil. Tuascontinuéàjardinerlongtemps, bienaprèslaretraiteetmalgrélafatigue. Tesfruitsetteslégumesirriguaienttoncœur.

Jedescendsunmomentversl’autreboutduterrain, pleinEst. C’estlalimitedemonterritoire – Tarf-El-Chèrba. C’estlàoùcommenceunautremonde, celuidesvoisins, celuidesétrangersàlafamille. QuandjesuisàTarf-El-Chèrba, onnemevoitplus. Onaperçoitmonbleudetravailouleboutdemonchapeau. J’aimecettefrichesauvage. Detouteslesfaçons, jen’aipasletempsdetoutfaire. C’estfiniletempsoùjepayaisunexploitantpourqu’ilvienneavecsontracteurm’aideràretournerlaterre. Etjen’aiplusassezdelégumespourembaucherunsalarié. Etpuis, j’aimemecacherdanslesherbeshautes. J’entreposemonmatériel, lessemis, l’engrais, lesdéchets. Àl’époque, ilyavaitBlèke. Cedobermannoirsurveillaitleterraincontrelesvoleurs. Pardeuxfois, deshommess’étaientintroduitsdansmonjardinpourmevoler. Jel’aiappelécommeçaenréférenceàunlivrequelisaientmespetits-enfants. Ilsontbienriparceque, danscelivre, Blèkeétaitunrequin. Jen’avaispasletempsderéfléchiràunautrenom. Houriam’avaitfaitunedispute.

— C’estsale. Cen’estpasbien, cen’estpasmusulman. Tuoubliesquelàoùunchienpasse,lesangesnerentrerontpas ?

— Ilneserapasdanslamaison. Est-cetonaffaire ? Est-cequecesontteslégumessurlesquelstuastranspiréquelesvoleursvolent ? Jeneleslaisseraipasm’insulterencoreunefois.

Nousnelevoyionsjamais. Tul’attachaisdanslajournéeetledétachaisàlanuittombée. Toutjustesinousentendionsseschaînestinterquandnousnousapprochionsdesacabane. Blèke, c’étaitlanuitprêteàbondir, lesnaseauxfrémissants, lagueuleouverte. C’étaitl’équivalentdu « Ghoul » quifaitpeurdanslescontes.

Jenel’aipasremplacéquandilestmort. Çam’avaitfaitbizarredemedébarrasserdesoncorps. Jesentaisencoresonpoidsraidesurmesbras. Cen’étaitqu’unanimal, maisquandmême, lavies’estarrêtée. Jen’aipasregardésagueulequandjel’aisoulevé. J’essayaisdenepaspenseretdefairevite. Çamerappelaitbeaucoupdesouvenirsenfouisaufonddemesyeux. Mesbrastremblaientquandjel’aidéposéàladéchèterie.

Jelibèrel’eauendirectionduchampetverstouteslesrigolesquiirriguentmaparcelle, enlevanticiunbarragedeterre, enremettantunautreailleurs. L’eaus’avanceetfaitdespetitstourbillons. LevoisinSalahm’avaitaidéàfabriquercesystèmed’arrosagequiépouselescourbesetlescreuxduterrain. Onavaitenchaînélesrigolesetlespetiteséclusesavecdesmottesdeterreautourducheminquicoupelejardinendeux. Àcertainsendroits, ilfallaitmarchercommesurdesœufspournepasabîmermacathédraleagricolecommeill’appelait. Aveclabêche, jedirigeleflotdel’eau. Jevissemonchapeaudepailleplusprofondémentsurmatête. Lesobliquessecroisentsousmonregard : lechamp, lesrigoles, lesmursderoseauxsecsenfoncésdanslesol, commedescanissessauvagespourdélimitermonterrain, monnez, monarcadesourcilière, lalignedemabouche, lesbordsduchapeau, lesrayonsdusoleilquipassentàtraverslesintersticesdelapaillepourallertapercontremonvisagerecouvertdetranspiration. Monchapeau, jel’appellesombrero.C’estmescopainsprimeursespagnolsquim’ontapprislemot. IlsétaientnombreuxàAïn-Taya, etlesItaliensaussi. Ons’entendaitbien, mêmes’ilsétaientdursenaffaires. J’aibeaucoupapprisaveceux. Jegardaislesoreillesetlesyeuxgrandsouverts. Ilfallaitsesouvenirdesmeilleursvendeursdesemis, dessaisons, descycleslunaires, desjoursfavorablesàlaHalleCentrale. Ilfallaitapprendreetsesouveniravectoutl’espacedisponibledanssatête. C’estcommeçaquandonnesaitnilireniécrire.

Labandeintérieuredesombreroestunpeurugueuseauniveaudufront, ellemedémange. Jesuisfatigué, maislecieljaunedesoleilesttamiséparsombrero. Sonodeurdepaillelégèrementfuméem’apaisemêmeaprèstoutescesannées. Lesrangéesdelégumess’étirent, enrangsd’oignonsbiendroits. Lejardins’enrouleetgrimpeenhauteurlelongdestuteursenroseauxsecs. Ilsformentcommedestipisd’indiens. Desrectanglesetdescarrésvertsétaientalignés. Jelesavaismisaupas. Lesoleilfaitbrillertoutcevert. Ondevineàpeineleslégumesquivontarriveràtraverstoutcefeuillage. Ilssontdanscetteforêt. Ilsregardentautourd’euxlescheminsdeterrequej’avaistassésavectoutmoncorpsetlabrouetterempliedecaillasses. Labêchen’yavaitpassuffi, j’avaisécrasé, parcouru, tapédespiedssurtoutescesmottesettouscescailloux. Àforce, laterredesmerveillesétaitremontéeàlasurface. Elleétaitsombrecommeducharbon. Elleétaitlourdedansmamain. Onauraitditqu’ellevenaitd’êtredémouléeparlaCréation. Elles’écartaitetsecraquaitpargrospaquetscompacts.

L’eaumetiredemesrêveries. Ellesaturelaterre. Jemebaissepourremonterlebasdemonjean. Puis, jem’active. Jevaisetjeviens, tantôtdroit, tantôtpenché. J’attrapel’eauavecmesmainspourmodifieretpétrirlescontoursdelaterre. L’horizondusoleiletceluidelaterresemélangentdansmesyeux. J’affrontelaterre. C’estça, ouvrieragricole, c’estêtredebiaisàquarante-cinqdegrésdusol, parfoisrepousséparlaterrequirefusedecéderettrouvetouslescheminspourt’expulserhorsduchamp. Jesuisunhommedematériaux, domptantlecimentetlaterre, lesparpaingsetleslégumes, maçon-agriculteur, agriculteur-maçon. Monmétier,c’estouvrier, celuiquifait, celuiquiproduitquelquechose. Tantôtj’enfouisdesgraines, tantôtj’empiledesbriques. L’unedemespetites-fillesmeregardedeloin. Jeluifaisunpetitsourire.

— Jevaisaucoinsouslecoing, dit-elleenfaisantrésonnersavoix.

— Tufaiscequetuveux, maistun’abîmesrien, jerépondsavecfermeté.

Jejouaisdanscegrandrectangledevégétation. J’embrassaistousteslégumesd’unregard, jehumaislesfruitsquejen’avaispasencoremangés, jecouraisd’unsillonàl’autre, faisantlacourseavecl’eauquis’écoulait, medisantquesij’arrivaisavantelle, j’auraisgagné, j’étaisdéjàsouslefiguierquelesépisdemaïsm’appelaient, quelesgrainsderaisinscintillaientauloin, quelescrapaudss’étaientenfuisprécédésdeleurscroassements, quel’odeurduboisbrûlésedissipaitauloin, quelesvaguesdelamers’étaientdéjàretirées, emportantlesmouettes, jeslalomaisentrelesrangéesdeharicots, jevoyaisauloinmescousins, leursjeuxnem’intéressaientpas. Monimaginationtentaitdetrouversoncheminverstoi. Lorsquejeteregardaistravaillerdanstonjardin, j’imaginaisquetureplantaislesgrainesdetonpasséetleschosesdetavie. Tupensaisêtreseuldevanttonmonde, oubliantsansdoutemaprésence. Maisj’étaislà. Jesentaislesvibrationsdetoncœur.Lesenfantsnemettentpasautantdemotssurleschosesquelesadultes. Ilslessentent. Ilslesabsorbent. Jeteregardaiscommeuneénigmeposéelà, lisseetrugueuse, faroucheetattentionnée. Tuétaiscommel’ArchangeGabriel. Tonimmenseombreportéem’empêchaitdevoirderrièretoi, c’est-à-direletempsavanttoi.Tuétaisunbarrageetuncenseur.

Jelaregardeuninstantetjeretourneàmesaffaires. Ilfautresterconcentré. Laterreestcommemoi, elleasonvisagerésignéetsérieux. Elleattendqueleshommesarrêtentdeluimarcherdessus. Elledoitsourireenmevoyantm’époumonerau-dessusd’elle. J’espèrequ’elleadelatendressepourmoi, moiquiétaisallél’extirperaucolon, commeondemandeuneprincessequineseraitpasdesonrangenmariage. Onn’ycroitpasetpourtantlemiraclealieu. CelafaisaitplusieurssemainesquejetournaisautourdesprimeursespagnolsquivenaientreleverleslégumesetlesfruitschezValade, lepatrondelaHalleCentrale. Jesouriaisetdisaisduboutdeslèvresquej’aimeraisavoirunterrain, toutpetit, toutmodeste, mêmecaillouteux, maisàmoi, pasloindechezmoi. Ilssavaientquej’étaisdroitetpastrèsambitieux, quejen’allaispasleurfairedelaconcurrence. C’estpeut-êtrepourçaqu’ilsontfiniparmedirequ’ilsyréfléchiraient. Jenevoulaispluspenseràça, c’estdupassé, etpuis, j’aidutravail. Mais, c’estcommeça, leschosesreviennent, commelesvaguesdelamer. Direqu’àuneépoque, onl’entendaitdepuismonchamp. Désormais, lebétonbouchelesoreillesetlavue. C’estcommeça. Oui, c’estcommeçaqueçaavaitcommencépourmoi, pasloindecettemer. Jelaregardais, jehumaisl’air, jedescendaisrarement, jen’aimaispaslasensationdel’eau, d’ailleursjenesavaispasnager. Cetraitbleum’accompagnaitdumatinjusqu’ausoir. C’étaitlechemindutravailetlechemindelamaisondemesparents. Jemedemandaissiletraitsefiniraitunjour, sij’étaiscondamnéautravaildejournalieragricole. Dubleuàperpétuité. Jen’aimaispasl’étenduebleue. Ellemedonnaitlevertige. Jerêvaisd’étendueverte.

Tuvivaisdansunestationbalnéaire, une « coquettecité » avecunemajoritéd’habitantseuropéens. Maistun’asjamaisprofitédel’EdenCinémaouduSplendid-Ciné. Tun’aspassirotéuncaféàl’HôtelChaletNormand. Tun’espasalléenvoyeruntélégrammeausémaphoreduCapMatifou. Tun’aspasnonplusétéinvitéàl’inaugurationduTamarisHôtelenjuin1929, cepalaceenfrontdemeravecdeschambresluxueuses, celieuoùl’onsepavane, celieudepavanadecommelorsquel’onpasselapommade. Tun’aspasvulesalondejeux, lechampagne, lesrobeslongues, lesvestons, lescigares, lesfauteuilscapitonnés, lescheminées, lemarbre, lestuc, lesstatues, leslustresdecristal, lesvoilages, lebouquetdefleurslancéàl’adressedel’épousedupropriétaireparunpilotequiavaitspécialementsurvolélaplage. Tun’oubliaispas, etpersonned’indigènen’oubliait, qu’ilyavaitàproximitéunTribunalrépressif, undépôtdeforçats, le5e RégimentdeTirailleurs, deuxpelotonsdelaGardeRépublicaineMobile, deuxbrigadesdegendarmerieetundépôtdedynamite.

Unjour, Valadem’ainterpelé.

— Amar, ilparaîtquetuveuxacheterduterrain, medit-ild’unairsoupçonneux. Tuasgagnéàlaloterie ?

Sonnéqu’ilpuissemeparler, alorsqu’ilmedisaitàpeinebonjourlesjoursoùilétaitdebonnehumeur, jeluiréponds.

— Oui, c’estvrai.

— Combientupeuxmettre ?

— Etbien, j’imaginequeçadépendraduterrain, jerépondslentement.

— C’estpasunchiffreça, dit-ilenlevantlesyeuxversleciel.

— Etbien, disonsquejepayeraileprixdumarché. Connaissez-vousquelqu’unquivoudraitvendre ?

— Çadépenddecequej’ygagne...

— C’estvrai, vousavezraison…

Jelaissepasseruntemps, puisjeleplantelà, cemafieux.

— Voussavez, jedisaisjusteçacommeça. Quecelanevousempêchepasdepasserunebonnejournée, jedisavecunpetitsourire.

Jevoulaisduterrainpropre. Jel’attendraiencorelongtemps. Lapropretén’étaitpaschosenaturellepourcertainshommes.

Commentest-cequeças’estdébloqué ? Jenelesauraijamais. Etait-ceuntoutpetitrééquilibragepolitiqueenverslesindigènes ? Etait-ceunbesoind’argentfraispourcertainspropriétairesquiavaientdesterresàneplussavoirquoienfaire ? Etait-cejustedelasympathiequis’étaitcachéeaufonddel’époque ? Etait-ceunhasardcommelesétoilesdansleciel ? Dieuseullesait. C’estcommeça. Unjour, Valadeaaboyé.

— Demain, passevoirRamirezàhuitheures.Ilt’expliquera.

Etilm’aexpliquéqu’ilyavaitdesparcellesàvendreàcôtédechezmoi, qu’ilfallaitfairevite, quejemetrouveungarsquiachèteraavecmoiparcequ’avecmonâge, onnemeprendrapasausérieux, qu’ilfallaitreveniraveclamoitiédel’argentdanstroismois, qu’ilfallaitnepastropposerdequestionetquetoutiraitbienainsi, quejeseraipropriétaire. Çaressemblaitplusàunultimatumqu’àuneproposition.

— Est-cebienvrai, jedemandepourgagnerdutemps.

— Tum’asdéjàvurire ?

J’aiétéjetédansl’ultimatum. Longtemps,jeregarderail’actedeventesanscomprendreceboutdepapier.

Terrainpourunusagedeculturemaraîchère. 1931. Notaire : MaîtreAndréGodin (2ruedelaLiberté, Alger). Propriétaires : RenédeFlottedeRoquevairetOdetteFernandeDupont (veuveAdrienFernandelGastonGodillot). IlsembleraitquecetteOdetteaitsubiensemarier. D’abordàuncertainFernand, filsdenotaireetdontl’ascendanceparsamèredonnaitlevertige. Sonarrière-grand-pèreétaitcomte, sonpère, marquis, songrand-père, vicomte, sonarrière-grand-père, marquisetbaron. Puis, elles’estmariéeàceRené, filsdevicomte, chevalierdelalégiond’honneur, chefduservicecartographieaugouvernementgénérald’Algérie. Toutesleursépousesavaientdesprénomsfleuris – Eugénie, Alix, Jeanne, Pauline, Aglaé, AngéliqueetLouise. Mêmelepèredunotaireavaiteulalégiond’honneuretavaitétéchefdebataillondeZouaves. Çat’enboucheuncoin ? Etmoidonc ! Savais-tuquiétaientcesgens ? Jedoutequ’ilssepromenaientsurleursparcelles. Tuaspayédeuxfoistaterreenquelquesorte, puisqu’ilsl’avaientcolonisée. Audébutdetonsiècle, lesFrançaisetlesEspagnolsfuyaientlamisèreetparfoislafamine. Onleurattribuaitdesparcellesdeterrededixàvingthectares. 500000hectaresontétéattribuésauxémigrésalsaciens-lorrains. UncertainMonsieurdeRichemontdétenaitmille-cinqcenthectaresàBirtouta. Ont’apermiscejour-làd’acheter1625mètrescarrés. Peud’AlgériensontachetédesterresauxFrançaisàcetteépoque-là. Commentlesas-tuconvaincus ? As-tupayéleprixfort ? Était-ceduhasardetdelachance ? Maissansdouten’était-cepasdonnéàtoutlemonded’êtreélégant, fier, bienélevéettravailleur ! Est-cequetuétaisaussibeauquesurcettephotoennoiretblancoùtuétaisenuniformemilitaire ? Danstonmanteauépaisenlaine, avecdesboutonsdorés, descordelettesdedécoration, toncouvre-chefenlaine, turessemblaisàunsoldatdel’arméenapoléonienne. Rasédeprès, levisagelisse, tonregardestdirigéverslephotographe. Cettephotonelaisserienentrevoir. Riennedépasse. Croisédanslarue, onnesauraitpasdiresaprofession. Est-ilnotableousimpleemployé ? Est-ilaristocrateouissudupeuple ? Onnesauraitnonplusdiretanationalitéoutesorigines. Tuétaistoujoursbienhabillé, pasluxueusement, maistrèsconvenablement, commeunrespect. Tuavaistoujoursunechemise, jamaisdet-shirt,unpantalonentoileouenvelours, aupireunjeandecouleurfoncée, unpullouunvestonenlaine, unevestedecostume, rarementd’anorakoudeparka. Lescouleursétaientaccordéesentreelles. Quandtuavaisundoute, tunousmontraisdeuxvêtementsetdemandaissilesdeux « marchaientl’unavecl’autre ». Tuasl’allured’unhommepolitiquefaceàsondestinquandtuteprésentespournégocierlavente.

— Bonjourmonsieur.

— AhAmar, tevoilà !

— Jeviensvousvoirpournotreaffaire, avecAhmoudaquiestlàavecmoi.

— Ilparaîtquetuesunbontravailleur. Teslégumessont-ilsbons ?

— Oui, jel’espère.

— Laparcellesurlaquelletutravaillesnetesuffitdoncpas ? Tuesgourmand !

— Non, monsieur, loindelà. J’aimeraisquelquechosed’unpeuplusgrand…

— Ah, monsieurlefellahalafoliedesgrandeurs !

— Jenesuisqu’unsimpleagriculteur. Voussavez, ilfautprendresoindelaterre, lalaissersereposerd’uncôtéetlacultiverdel’autre. Etpuis, nousavonsdebeauxlégumesetdebeauxfruits. Çaseraitdommagedenepasplanter.

— Ah, monsieurlefellahestégalementunconnaisseur. D’ailleurs, tuparlesbien, pourunfellah.

— Mercimonsieur. C’estsympathiquedevotrepart.

Commentj’auraisunaccent ? Lefrançaisétaitmalanguedenaissanceimposée. Jeréajustelecoldemachemisepourqu’ilrestebiendroitainsiquemesnerfs. Jeserremespoingsintérieurement – nepasavoirpeurmaintenant –, ilfautavoirpeurdel’avenir, denepasluidonnertoutcequemesmainspourraientluidonneràcetavenir, etpourluidonner, ilmefautdelaterre, neplusêtredelamain-d’œuvrejournalièreàbasprixsurlaterredesautres, neplusallerdecolonencoloncommeunmisérable. L’avenir, c’estmoietmesmainsvertes. Ilfautquejem’accrocheàlaterre, quejem’enracinepournepasmefaireemporterparletorrentdesFrançaiscontrelequeljenepeuxpasgrandchose. Jefermelesyeuxsurleprésentetlesrouvresurl’avenir.Ilyalaforcedeschoses, maisilyaaussilaforcedusol. Leshommesquiparlentaunomdel’Histoirem’ennuient. Jeveuxm’incrusterdanslaterre, voilàcequejeveuxfaire.

— As-tudesenfants, fellah ?

— Non, monsieur, pasencore.

Jepenseàsonaccentquandiljettecemotdefellah. Lui, ilaunmauvaisaccent.

— Comment ! Tuimaginest’ensortiravecseulementdeuxbras ?

— Avecl’aidedemonépouse, demonmeilleuramietdemesfrères… EtsurtoutparlagrâcedeDieu, j’ajoute.

— VouslesAhmedetMohammed, vousnechangerezjamaisavecvosinch’Allah, semoque-t-ilenlevantlesyeuxauciel.

Ilsecouesesmains. Jemetais. Monvisageaussisetait, c’estcequ’ilsaitlemieuxfaire. Enréalité,jenesuispasencoremarié, çanem’intéressepastrop. Etjenem’entendsniavecmesfrèresniavecmessœurs. Parcontre, j’aimonmeilleurami, FaroukLeBoulanger, quideviendramonbeau-frère.Jenecroispasauxlendemainsinch’Allah. Jecroisenmesmains. Monregardestimmobile, posélà. Pasunseuldemescheveuxnebouge, jesuislaqué. Jenetentepasl’humouraveccemonsieur, pastantquejen’aipasdonnél’enveloppepleined’argent, monenveloppeenpapierkraftmarron. C’estlemarchanddelégumesquimel’adonnéelorsquej’airéaliséquejenesavaispasoùj’allaismettrecetargent, monflouss. Uneenveloppeestunobjetdeluxepourunagriculteur, l’argentaussid’ailleurs. Lepapierétaitécornéauxbords, ilavaitfaitdesallers-retoursentremesmainsamassantleflouss. Iln’yavaitpasdetempsàperdre, lemonsieurs’estdécidéetilchangerapeut-êtred’avis. J’avaishypothéquémonfuturterrainauprèsd’unamicorsedemononcle, Costails’appelait. Ilm’aprêtédel’argentetenéchangejemesuisengagéàleluirembourserauboutdedeuxans. Sinon, leterrainluireviendrait. Mafamillem’atraitédefou. Touslesjours, mêmelorsquelecielétaitbascommemonmoral, chaquesemainedechaquemois, j’aitravaillédurementlaterrepourêtresûrderetirerdechaqueparcelledeterrainlemeilleurdecequ’ellepouvaitdonner, afinquejepuisselevendreetamasser, caillouxaprèscailloux, l’argentnécessaire. JefaisaiscommelesFrançais. IlsallaienttouslestroisjoursdéposerleurrécolteàlaHalleCentrale. Celaamortissaitlesprixdemarchéquibougeaient, ilsmedisaient. Etenparallèle, jetravaillaisentantquemaçon. Mesmainsetmespiedscommençaientdéjààsefissureretàsedessécher. Çanem’empêchaitpasdemetenirdroit. Mondosregardaitlavieenluidisant – Vas-y, continue, jesuislà. Toujourslesmêmesmouvementsquotidiens. Toujourslesmêmesdéplacementsquotidiens. Jen’avaispasvraimentletempsderalentir. Heureusement, lecœurestsolidementaccroché. J’aiamassédufoulouss, lespiècesd’unsou, dessordi, cespiècesgrisâtres.Jen’avaispasdel’argent, ça, c’étaitpourlesriches, j’avaisduflouss, unesommedefoulouss, cettemasselégèreàpeinepoinçonnéequelespauvresontdansleurmain, aveccetteodeursalequis’accroche, sonbruitmétallique, tandisquelesrichesontdesbilletssilencieux, colorés, propres, rangésdansunportefeuille ; lacouleurgrisâtredéteintsurlequotidien, mefaitvoirlemondeàtraversdelapoussière, commeunvoile. Etpuisunjour, cevoileselèveunpeucarlasommedefouloussdonneduflouss, puisdel’argent, puisledépartversunenouvellecoursepouramasserdunouveaufoulouss, – pommesdeterre, choux, navets, oranges, maïs, haricots, figues, raisins, aubergines, poivrons, pommesdeterre, choux, navets, oranges, maïs, haricots, figues, raisins, aubergines, poivrons, pommesdeterre,choux, navets...

Lepapiermarron-marronnassedel’enveloppeestpropre, pasdetachesdessus, horsdequestiondesalirl’avenir. Jel’avaisenveloppéedansunfoulardjaunedemamère. Yèmam’aditquelesmotifspiquésdedoréseraientunporte-bonheur. Ledosdel’enveloppeestarrondicommeunpain. Jenel’aipasferméeaveclacolledurabat. Àtoutmoment, jevoulaisvoircequ’ilyavaitàl’intérieur, compteretrecompter. Jel’aienfouiedanslelingedeYèma, enpensantquepersonnen’iraitregarderlà. Laporteduplacardétaitdetouteslesfaçonsferméeàclé. Laclefétaitsurelle, enveloppéedansunmouchoir. Jen’aipasvouluqu’ellevendesesdeuxbijouxenor. Chaquefoisquejevoulaisrenflouerl’enveloppe, j’allaislavoir. Nousbâtissionsl’avenirensemble. Pourlesecondterrain, c’estHouriaquiprendralarelève. Lesfemmessontfortes, malgréleurcaractèredebonnesfemmesquejedéteste. Laviolencepeutbienleurpassersurlecorps. Ellesclignentdesyeux, puisellesregardentailleurs, devant, loin.

Donc, cetteenveloppe, jelatiensfortdansmamain. Elleattend, commemoi.

— AvecvotresplendideterrainetlavolontédeDieu, jetravailleraidur. Laterreestbelleparici, elleadusoleiletdel’eauàvolonté.

— C’estcequetupenses, l’airmarinatendanceàtoutflétrir. Jenesaispassitufaisunebonneaffaire.

— Ahmoudam’aditquec’était11000francs. Voilà, jevousaiapportécinquantepourcentaujourd’hui. Etaussiuncourrierdegarantiepourlerestant.

— Attends, attends, fellah ! Qu’est-cequetuvasfairedeceterrain ? Jeneveuxpasdeloupsurnosterres.

— Jevaislecultiver, monsieur. JevendraiunepartiedelarécolteàMonsieurFioletMonsieurMercadal. C’estlesprimeursquivousontparlédemoi. L’autrepartieserapournourrirmafamille.

— Jenesuispassûrpourleprix. Jevérifierai.Etd’abord, quevas-tuplanter ?

Ahmoudaveutintervenirsurleprix.

— Monsieur, onabesoind’unprixferme, cen’estpasunefaçon…

Enunefractiondesecondederegard, jel’arrête. JeregardeceMonsieur, etjeluisouris. Mesmainsmontrentlesgrainesquidéjàgerment.

— Aucentre, ilyauralegarde-manger : pommesdeterre, haricotsextra-finsetmangetout, maïs, tomates, aubergines, poivrons. Surlesbords, jeplanterailesfruits : quatrefiguiers, duraisinavecdescanissesenroseaux, desgrenades, desoranges, desprunes, despommes, desfraisesdesboisàl’ombredufiguierblanc, descoingspourlaconfitureenhiver, etpuis...

— Desfraisesdesbois ! TutecroisenFrance ?

— NoussommesenquelquesorteenFrance, monsieur, non ?

L’airs’étirecommeunélastiquedansmesoreilles. Ahmoudaetl’autrenesaventpasquoidireetretiennentleurrespiration. Avantqu’ilsn’expirent, jepoursuis.

— Etpuis, lagariguette, c’estpourlesBretons ! Ici, c’estlaMéditerranée. Jevouslaferaigoûter, vousverrezqu’onavaitraison.

— Oui, tuasraison. C’estvraiqu’ici, c’estnotregarde-manger.

Ahmoudasedandineàcôtédemoi. Toutpeutdéraper. MonsieurestunFrançaisduSud, unFrançaisd’Algérie. Etmoiaussi, jesuisunKabyle, jepeuxexploseràtoutinstant.

— Jelaisserailehautduplateauenfrichedansunpremiertempsenattendantdevoirquelestlerendement. LapartieNordservirapourentreposerlematérieletpourtirerl’eaudupuits.

— C’estvraiquetuasaccèsaupuitsdanscettehistoire. Ontefaitvraimentunbonprix. Tuvasavoirl’eauauxfraisdelaprincesse !

— Jevousfaisconfiance, monsieur. Vousavezcalculélebonprix.

— Bien, alors, commentfait-on ?

Ahmoudaessaiedelemettredanssapoche.

— Ontravailledepuistrèslongtempsenconfiance, voussavez, monsieur. Mais, ilyalesautorités. Vouslesconnaissez. C’estbiend’écrireunpapier. Commeça, toutestfait. Vitefaitetbienfait. N’est-cepas ?

L’autreafroncélessourcils.

— Lenotairevousenverralepapier.

Ahmoudainsiste. Sonfrontestsoucieux. Ilouvrelesmainsensignedebonnevolonté.

— Alors, onyvatousensemble ?

— Non, jen’aipasletemps, etmonclientnonplus. Sivousnemefaitespasconfiance, nouspouvonsenresterlà.

L’aircontinuedes’étirer. Etlà, jenesaispascequimeprend. Jesouriscommejepeux. Jemesuisavancé, poussépeut-êtreparlesAncêtresquim’attendaientsouscetteterre.

— Vousavezmonentièreconfiance, monsieur. Voilàcinquantepourcent, jevouslesremetsetvouslesdonnerezàcetautremonsieur, jeluidisenluitendantl’enveloppe.

L’autreestsurpris. Illaprend, lapalpe. Jecontinueavantquesaboucheneseremetteàparler.

— Vousavezmaparoled’honneurquelerestantseraremislejourdunotaire.

— Commetuparlesbien, fellah.

— Mercimonsieur !

— Allez, jetesouhaitequandmêmebonnechance.

— Àbientôt, monsieur.

Voilà, unFrançaist’avenduuneparcelledeterre. Cepropriétaireseferareprésenterparsafemmedevantlenotaire, entantquegéranted’unesociétés.a.r.l.quidétenaitleterrain. Lefloussetladiscrétioncomptentpourtoutlemonde. Lasociétéf.r.o.serala « sociétévenderesse ». C’estjolimentditpourunesociétépécheressedontl’acterefuserad’indiquerl’originedelapropriété. Ledroitsaitsetaire.

— Encequiconcernel’originedepropriétédulotdeterrainprésentementvendu, lespartiesetplusspécialementlesacquéreursdéclarentdispenserexpressémentlenotairesoussignédelareproductionici. Ilneseraremisaucuntitredepropriétéauxacquéreurs.

Lesclercsdenotaireetl’interprètetraducteurétaientchargésdetetraduireenarabeetenmotscourantstoutescesaffaires. Lesphrasesàrallongeontdûtedonnerlevertige. Tuvoulaisenfinir. Detoutefaçon, tuasfaitconfianceettuasdéjàpayé « enbonnesespècesdemonnaieetbilletsdeBanqueacceptéscommenuméraireavantcejourethorslavuedunotairesoussigné. »

Mesépaulesretombent. Maboucheestcadenassée. JeregardeAhmoudasanslevoir. Ilestencolère. Mais, jen’aidonnéquemapartie, paslasienne. Ilouvrelabouche, etlareferme. Ilfaitunpasetilseravise. Ilreculeetretourneaumêmeendroit. Ilsecouelatêteetilmarmonnependantunbonmoment.

— Ahlèllèl, ahlèllèl…

Finalement, ilmesourit.

— Ahlèllèl, quelletêtetunousdonnes, monsieurlepropriétaire ! Ondiraitquetuasvulediable !

Jenedisrien. Moncœurestfumant. Monsourire, jelegardepourmoietpourl’avenir. Mesyeuxenfoncéss’enfoncentencoreplusprofond.

Tuavaisdix-huitans. Touteuneviedéjà. Ettuasmodifiélecadastrefrançais. Tonnomn’apparaîtrapasdansl’annuairedespropriétaires-viticulteurs, tousEuropéens, etc’estpeut-êtremieuxpourlasuitedel’Histoire. Tuserasunrésistantgéographique. Pendantquelesplansdemodernisationdel’agriculturealgériennesesuccédaient, avecsafarandoledediscourspolitiquesautourdel’érosiondesterres, desrendementsetdesperspectivesdécennales, tesmainsmagiciennesettespiedsdegéantseronsoccupésàluttercontrelescailloux, lasécheresse, lescriquets, lesparasites, l’érosiondetonmental. Tulaissaistatêteaufraisdespréoccupationsextérieures. Iltefaudraencorevingtanspouracquériruneparcelledeuxfoisplusgrande. Vingtansdelabeurpourextirperàmainsnuesunpeumoinsd’undemihectared’Algérieetbâtirtamaisonetsonjardin.

JeregardeAhmouda. Cetoncledecinquanteansm’apermisd’acheterenétantàmescôtés. Jenesavaispasencoreàcemomentqu’iloublieraitparfoisd’êtrehonnête. Commecettefoisoùilrachèteraendouceunepartiedeceterrainàmonpèrequiavaitbesoind’argentpourallerfairelafête. Ilaencaissél’argent, unebouchéedepain, derrièremondos. Monpèreétaitétrange. Ilétaitcommerçant, ilvendaitunpeudetout. Ilbricolaitàdroiteàgauche. Ilamassaitdel’argentetledépensait. Ilnesavaitrienfairedesesmains, ilavaitjustesalanguevive. C’