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Bluetown, ville touristique pourvue d'îles paradisiaques est la proie d'un audacieux voleur de tableaux. Robert Fisher, policier local, ne possède ni piste ni indice. Alan Katerman, éminent chirurgien, est missionné dans cette petite ville. Homme solitaire, il proposera son aide pour dévoiler le coupable. Ses investigations le conduiront à redécouvrir la passion et braver du danger, sur une île mystérieuse. Mais, plus dur que de résoudre cette enquête, il devra se remettre du deuil d'un amour de jeunesse.
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Seitenzahl: 227
Veröffentlichungsjahr: 2021
Opérations délicates
Escapades nocturnes
Entre amis
Contre toute attente
Éternels souvenirs
Un air de vacances
De surprise en surprise
Escapades en amoureux
Surprenantes révélations
Curieux binôme
L’île « rocher »
Le secret de l’île
Travail d’équipe
Plan dangereux
Nouveaux départs
La maison de Fisher
La convocation
Épilogue
Jeudi 11 juillet 1968, 20 h 17.
La porte s’ouvrit et se referma tout aussi vite. L’étrange silhouette, cagoulée, sombrement vêtue, pénétrait dans la maison. Immobile, elle vérifia l'absence de ses occupants. Le mouvement du balancier d’une horloge rompait à lui seul, le silence de la demeure. Le personnage se déplaça le long du corridor, en direction de l’escalier pour atteindre l’étage. Sans manifester d'émotion, munie de sa lampe torche, il se hissa à pas feutrés tel un félin. Très rapidement, il arriva dans la pièce où se situait l’objectif de sa visite. Large de deux mètres, sur une hauteur d’un bon mètre, un magnifique paysage de bord de mer rendait admiratif notre hôte improvisé. Le subtil mélange des couleurs de ce tableau agrippait de toute évidence les âmes romantiques. Il s’approcha sans un bruit, enleva un gant et tâta du bout des doigts, avec précaution, les différents reliefs de la peinture. Il semblait vouloir apprivoiser celle, qui allait bientôt devenir sa propriété. Il cessa de contempler sa victime et regretta de ne pas pouvoir profiter plus longtemps de cet instant. Il opéra, non sans dissimuler un sourire aux commissures. Doté d’un scalpel, dont il savait faire usage avec virtuosité, il découpa soigneusement les contours de la toile. Il enroula celle-ci et la mit dans un étui approprié. Cette délicate chirurgie ne prit pas plus de cinq minutes. Une fois l’objet du délit harnaché autour de sa taille, notre habile voleur quitta les lieux, comme une ombre. Audehors, le vent violent omniprésent restera le seul témoin de ce furtif évènement.
Quelques minutes plus tard, dans le bureau de Robert Fisher, le shérif du comté.
— Ouah ! Quel temps ! s’exclama Brooks, après avoir refermé la porte à toute vitesse.
Le sergent s’essuya les pieds et traversa les pièces. Il se débarrassa de son coupe-vent, tout ruisselant d’eau, et l’accrocha au porte-manteau.
Tout en s’amusant à tâter son étoile, Fisher parcourrait avec une sorte de désinvolture le dossier d’une affaire en cours. Puis, il leva les yeux vers son subalterne, pour l’interroger sur sa mission.
— Alors ? C’est fait ? Personne ne t’a vu ?
— Oui ! J’ai procédé comme d’habitude. J’ai mis les provisions et les journaux. Mais, chose étrange, pas la moindre présence de Duncan !
— Pff ! Manquait plus que cela. Où est-il parti sous ce déluge ? Questionna-t-il, inquiet. Il reposa le dossier.
— Allez donc savoir, avec ce genre de type.
Brooks, fidèle à lui-même, ne se souciait pas de ce type de détail. Il prit une tasse de café pour se réchauffer.
Un beau labrador, couleur sable, les scrutait du regard.
— C’est le chien de Katerman ? Il ne semble pas avoir peur de l’orage.
— Oui ! Normalement c’est Jim qui doit le garder. Mais il est sorti avec ses amis. J’espère que lui aussi ne va pas créer des problèmes.
Il se grattait nerveusement le cuir chevelu.
— D’ailleurs, je ne vais pas tarder à le ramener.
Il prit la laisse et de son pas nonchalant, s’approcha de la fenêtre pour contempler au-dehors.
— Ha ! C’est votre fils, à seize ans, il veut s’amuser. Et puis, si l’on garde ce chien, c’est pour la bonne cause. Non ?
Depuis la mort de sa femme, Robert Fisher avait perdu de son assurance. Les rapports avec Jim étaient tendus. En outre, son statut conférait une responsabilité, parfois lourde à porter. Brooks affichait un portrait tout opposé. Il s’efforçait de rester optimiste, en toute circonstance. De nature dynamique, il employait des méthodes modernes, privilégiant l’action à la réflexion. Cela engendrait dans certains cas quelques conflits et désaccords. Toutefois, sensible au drame qui touchait son supérieur, il favorisait le mieux possible l’entente.
— Inutile de me le rappeler. Ce soir, Bluetown s'apparente à une cocotteminute, qui risque d’exploser à tout moment.
Il s’essuya vigoureusement le front et après un silence qui parut interminable :
— Je souhaite que l’intervention sur le petit se passe bien.
Au même moment, à l’autre bout de la ville…
Les yeux tournés vers le plafond du bloc opératoire, un groupe d’hommes et de femmes écoutaient le clapotis de la pluie. L’orage avait commencé depuis plus d’une heure. Tous espéraient qu’il allait prendre fin, assez rapidement, car il engendrait un vacarme insoutenable. Ils s’observaient les uns, les autres, cherchant dans le regard de chacun une quelconque solution. Prisonniers de la nature déchaînée, ils attendaient, figés et angoissés, une accalmie.
Soudain, comme par magie, le bruit diminua d’intensité. À travers les masques des infirmières, il s’échappa un soupir de soulagement. Le froissement des blouses se distinguait de manière intempestive. Les murs, tapissés de blanc, renvoyaient la puissante lumière du néon, surplombant le jeune enfant. À présent, tous s’affairaient autour de la table où reposait, depuis plus de trois heures, le petit Tom. Le silence était enfin de retour.
L’averse qui tombait incessamment, sur le toit de l’hôpital, rendait les choses plus compliquées que prévu. Heureusement, l’opération était sur le point d’être terminée. Habitué aux situations difficiles, le chirurgien, imperturbable, maintenait toute sa concentration. La température du bloc ne dépassait pas quinze degrés. Les yeux rivés sur les appareils électroniques, il s’assurait que la santé de son jeune patient demeurait toujours bonne. La longue intervention, capitale pour l’enfant, se présentait comme l'une des plus compliquées qu’il avait réalisée, jusqu’à lors. Des gouttes de sueur perlaient sur son front. Attentive, l’infirmière la plus proche devait l’éponger, de temps en temps. En outre, dans ces circonstances, tout le personnel prenait beaucoup plus de précautions que d’ordinaire.
Âgé de dix ans, au visage angélique, Tom fait partie de ceux qui aiment profiter de la vie, à chaque instant. Issu d’une famille modeste, et parce qu’il a reçu une bonne éducation, il était devenu un être joyeux, dynamique et sociable. Malheureusement, ce qui prédominait dans sa personnalité, c’était ce cœur trop faible, pour satisfaire ses multiples péripéties.
Peter et Sarah, ses parents, attendaient patiemment dans une pièce, spécialement réservée. Six mois auparavant, la santé de leur fils s’était brusquement dégradée. Ils n’eurent plus d’autre choix que celui d’envisager, sur leur enfant, ce dernier recours. Aux problèmes financiers, s’ajoutaient de nombreux examens préopératoires, angoissants. De surcroît, trouver un donneur compatible engendrait une condition incontournable à remplir. Cependant, depuis l’arrivée de l’éminent chirurgien dans la ville, il y a maintenant quatre mois, la famille avait regagné quelques espoirs. Fort heureusement, en ce mois de juillet, la chance leur avait enfin souri. Le cœur, tant recherché, apparut. Ensuite, très rapidement, Katerman constitua une solide équipe, particulièrement préparée pour ce difficile travail.
Alan Katerman n’est pas un homme comme les autres. Grand spécialiste des transplantations cardiaques, il venait d’obtenir, depuis peu, une réputation mondiale. Son éblouissante carrière fut liée aux nombreuses années d’efforts. En conséquence, on sollicitait ses services pour les opérations qui s’avéraient trop délicates.
Maintenant, le praticien effectuait les dernières auscultations, dans le but de déceler un éventuel problème. Pendant ce temps, Dorothy, la psychologue, rassurait les parents. Elle leur certifiait qu’ils ne devaient avoir aucune crainte, à l’égard de la transplantation, s’appuyant sur les exploits du talentueux chirurgien. Tout en discutant, ils s’approchèrent du bloc.
De la nervosité apparaissait dans l’attitude de la maman, elle commença à manifester son impatience. Elle ne pouvait plus tenir en place. Son mari essaya, en vain, de la calmer. Elle tournait la tête, tantôt à droite, tantôt à gauche. Son regard alternait la psychologue et son petit garçon, qu’elle entre-apercevait au travers de la porte du bloc.
C’est à ce moment précis que tout s’accéléra. Le personnel se déplaça de plus en plus vite. Qui pouvait expliquer un changement, si soudain ? Dans le couloir, les parents restèrent figés, comme de simples spectateurs. Pouvions-nous envisager une complication ? Cette agitation était-elle normale ?
Cela ne rassurait pas du tout la maman, qui demanda angoissée :
— Que se passe-t-il ? Y a-t-il un problème ?
— Rassurez-vous, tout est normal. Les infirmières se préparent à quitter la pièce, pour emmener le petit dans la chambre de réveil.
— Mais oui ! Ma chérie ! Ne t’inquiète pas, tout va bien se passer.
Brusquement, les portes du bloc s’ouvrirent, laissant passer une sorte de table roulante, accompagnée par deux infirmières. À présent, Tom était tout emmitouflé, dans une couverture chauffante. Son visage très pâle nous laissait, néanmoins, planer quelques incertitudes sur le succès de l’opération. Sarah s’était blottie contre l’épaule de son mari, et sans un mot, sanglotait à chaudes larmes. Elle suivait du regard le chariot, s’éloigner dans le long couloir de l’hôpital. Elle releva la tête et aperçut les yeux larmoyants de son mari. Cherchant absolument à se rassurer, elle désira parler au chirurgien. En un geste, elle se dégagea et se dirigea, d’un pas décidé, vers l’entrée du bloc.
— Où allez-vous ? intervint Dorothy.
— Je veux parler au chirurgien !
— Je suis désolée, mais pour le moment, cela ne va pas être possible.
Peter s’efforça de la maintenir à l’écart du docteur, faisant preuve de force, pour l’en empêcher. La psychologue se plaça devant elle. Devant le refus de son mari, Sarah n’insista pas et fit demi-tour. Il la saisit par la taille et l’emmena loin de ce lieu, si éprouvant.
Le restant du personnel rangeait le matériel du bloc. Katerman avait les yeux rivés sur la table de travail, comme s’il examinait encore le petit. À quoi pensait-il ? Personne ne pouvait le savoir. Une opération d’une telle ampleur ne laissait jamais personne insensible.
À présent, la majorité du personnel était partie, excepté une jeune infirmière, étudiante, qui l’attendait, patiemment, sur le seuil de la porte.
— Docteur ! Vous venez ?
— Hein ! Quoi ? balbutia-t-il.
À cet instant, il prit conscience qu’il n’y avait plus que lui dans la pièce.
— Heu ! Oui, j’arrive !
Il suivit la jeune femme qui s’empressa d’éteindre les lumières du labo, afin de clore, définitivement, ce douloureux évé-nement.
Dans le couloir, il n’y avait plus personne. Les parents étaient, certainement, repartis chez eux. Adossé contre le mur, il se remémora toute l’opération, dans ses moindres détails, afin de discerner une éventuelle erreur de sa part. Toutefois, après quelques instants, un sourire apparut sur son visage qui confirma que, selon lui, tout s’était heureusement bien passé. Silencieuse, la jeune femme l’observait. Ce sourire s’adressait-il à elle ? Alan Ka-terman possède un physique et un charme qui sont loin de laisser indifférente la gent féminine. Bien que timide, elle voulut en avoir le cœur net. Elle osa rompre le silence.
— Alan ! Est-ce moi qui te fais sourire ainsi ?
— Pardon ? Heu ! Non ! Désolé, je pensais à l’opération.
À cette seconde, elle s’aperçut de la sottise qu’elle venait de commettre. Le sourire qu’elle lui avait renvoyé se figea instantanément. De par sa naïveté, elle venait d’employer des termes, un peu trop familiers avec le médecin. En conséquence, elle décida au plus vite de se corriger :
— Excusez-moi, docteur Alan ! Je voulais tout simplement dire que vous avez fait du très beau travail !
— Merci ! s’empressa-t-il de dire.
Il la regardait dans les yeux, avec une certaine pointe ironique. Son visage, souriant et presque déconcertant, paralysait la jeune femme. Elle ne pouvait plus cacher le trouble qu’il lui avait provoqué. Ses joues changèrent de couleur. Désarçonnée et agacée par sa propre attitude, elle partit brusquement en direction des vestiaires.
Maintenant, seul dans le vaste couloir, il se décida à quitter les lieux. Il lui fallait, à présent, regagner son domicile. Tout en enlevant sa blouse, il se dirigeait vers l’ascenseur. Pendant qu’il rejoignait le rez-de-chaussée, il tâta le fond de ses poches, à la recherche des clés de vestiaire. Il se rappela alors qu’il devait les récupérer à l’accueil, car tout objet personnel est exclu dans le labo. L’hôpital, à cette heure tardive, était désormais silencieux. Seuls quelques bureaux restaient éclairés. Il traversa rapidement le long couloir, qui le séparait de l’accueil principal. Il voulait signaler à Carol, la standardiste, qu’il allait rentrer chez lui.
Arrivé sur place, une jeune femme était assise à son bureau. Dans la pièce qui l’entourait, de nombreux formulaires de diverses couleurs jonchaient par-ci, par-là. Prisonnière par d’épaisses vitres, elle apparaissait comme un poisson, au milieu d’un aquarium géant. La tête baissée, probablement préoccupée par son travail, elle ne remarqua pas sa présence. Il s’annonça en tapant au carreau, ce qui la fit sursauter.
— Oh ! Tu m’as fait peur ! Excuse-moi, Alan ! Je ne t’ai pas entendu arriver.
La porte entrouverte laissait échapper une douce mélodie. Carol aimait bien rompre le silence monotone de ses nuits, en écoutant de temps à autre, sa radio. Comme à son habitude, elle affichait un grand sourire, donnant à son visage plein de fraîcheur et d’éclats. Jolie femme, aux cheveux châtain clair, le subtil mélange de son maquillage était en parfaite harmonie avec son petit foulard, aux couleurs pastel. Préférant la jupe aux pantalons, elle s’habillait toujours de façon très soignée, sans artifices ou des tenues ambiguës. Après sa rude journée, elle représentait sans aucun doute, une bouffée d’oxygène.
— Désolé, car loin de moi était l’intention de vouloir te faire peur. Il se fait tard et la fatigue commence à se faire ressentir, je vais donc me rentrer.
— Bien ! Bonne décision ! répondit-elle avec son grand sourire.
De nature discrète, elle préférait ne pas trop s’intéresser à la vie privée de ceux qu’elle côtoyait. Toutefois, ce soir-là, elle ne put s’empêcher de faire allusion à l’opération du petit garçon.
— Dis-moi ! Avant que tu partes, juste un mot. Tom !
Le regard de la jeune femme exprimait un sentiment de malaise, comme de la crainte. Ayant beaucoup d’estime pour elle, il préféra mesurer ses propos.
— Je pense qu’il est maintenant hors de danger. C’est un solide garçon. Tu peux être rassurée, car j’ai constitué, autour de lui, une bonne équipe. Ainsi, il va vite se rétablir.
— Ha ! Me voilà soulagée, je vais enfin pouvoir dormir, tranquillisée !
— À propos de dormir !
Il la regardait avec ses yeux rieurs.
— Oui ! C’est vrai, tes clés ! Excuse-moi, je te retarde. Tiens ! Les voici. Je te souhaite une bonne nuit !
Il fit un geste de la main, au niveau du front, comme s’il s’adressait à un chef militaire. La porte de cette étrange prison de verre s’était, sans bruit, déjà refermée. Désormais, elle ne pouvait plus l’entendre. Toutefois, en lisant sur ses lèvres, elle devina qu’il lui souhaitait également une bonne nuit. Par jeu, elle lui dédicaça un dernier sourire, avant de plonger, de nouveau, sur ses inséparables formulaires. Clés en main, il se dirigea sans plus tarder, vers son vestiaire, laissant apparaître un léger sourire.
Habillé de son vieux compère de blouson marron, l’écharpe lui masquant une partie du visage, il sentait l’air frais au fur et à mesure, qu’il avançait vers la sortie. À chaque ouverture des portes automatiques, la chaleur s’échappait par le hall de l’hôpital. Une fois dehors, un vent glacial lui fit face. Le magnifique temps, des semaines passées, évoquait déjà un vague souvenir. En outre, les feuilles qui recouvraient la plupart des chemins d’accès, au parking, corroboraient avec la violence de l’orage. Une centaine de mètres le séparait de la voiture. C’était une sorte de pick-up, qu’il avait pris en location, pour la ville et ses environs, pendant toute la durée du séjour.
Dans la nuit noire, hormis quelques insectes qui voltigeaient, dans la lumière des lampadaires, il ne distinguait pas grand-chose. Ses yeux prirent quelques instants pour s'habituer à l’obscurité. La journée devenait éprouvante et fastidieuse. Il sentait la fatigue l’envahir à nouveau. Il n’avait qu’une hâte, celle de se mettre au chaud. Aussi, il accéléra le pas. Enfin, au contour d’un buisson, il découvrit son véhicule, salvateur de ce mauvais temps. Une petite pluie fine rentrait, insidieusement, dans ses vêtements.
Il monta sans tarder, s’essuya le visage tout humidifié, démarra et s’éloigna. Bien content de quitter ces lieux, il avait le sentiment d’avoir réussi la mission, confiée. À présent, on ne distinguait plus que la faible lueur des phares d’un petit pickup, dans cette nuit obscure de ce 11 juillet.
Dix kilomètres séparent l’hôpital du domicile de Katerman. Toutefois, il existe une route secondaire, sinueuse, qui longe la côte. Les îles environnantes offrent de magnifiques panoramas, contrairement à Mountain Valley, localité où il a vécu une grande partie de son enfance. Le soir, les derniers rayons du soleil viennent s’effacer dans la mer tumultueuse. Probablement pour profiter de ce charmant paysage, il décida de prendre ce trajet.
La visibilité sur la route était mauvaise, ce qui rendait la conduite difficile. Au volant de son pick-up, il essayait au mieux de se frayer un passage, dans cette nuit obscure. Il était presque vingt et une heure. Pour seul réconfort, il ne possédait que la chaleur de son habitacle. Les yeux rivés sur le tracé que lui dictaient ses phares, il réalisait l’erreur d’avoir choisi ce retour, si imprudent. Sur le tableau de bord, quelques photos étaient posées en vrac, souvenirs de son passé. Parmi elles, le visage d’une jeune femme souriante, aux cheveux châtain clair, se répétait de nombreuses fois.
La lumière des phares faisait entr’apercevoir un muret, sur le bas-côté. Il séparait la chaussée de l’océan. En contrebas, les bruits assourdissants, des vagues étaient perceptibles depuis la route. Elles déferlaient, avec violence, sur les rochers. Dans cette mer déchaînée, les reflets du soleil, à sa surface, apportaient une touche de poésie. Pour les âmes romantiques, ce spectacle saisissant était magnifique. La couleur bleuâtre, dominant ce tableau, devait être à l’origine du nom de la ville juxtaposée : Bluetown.
Les touristes avaient grands plaisirs à observer toutes ces îles, situées à quelques kilomètres de la côte. L’une d’entre elles se distinguait, par son aspect original. Elle donnait l’apparence d’un immense rocher, sur lequel on avait enraciné une grande étendue d’arbres. Toutefois, à cette heure tardive, les derniers rayons du soleil avaient bien du mal à se montrer au travers de cette forêt suspendue. L’île apparaissait, dans ces circonstances-là, sous un autre visage. Elle semblait beaucoup plus fantasmagorique, plus angoissante qu’auparavant.
Alan, depuis le début de son séjour, était attiré par cette île hypnotiseuse. Néanmoins, il se devait d’être le plus vigilant possible. La fatigue, omniprésente, le faisait bailler de plus en plus souvent ; À tel point qu’il dut fixer son attention sur quelque chose, pour ne pas s’endormir. Malheureusement, la route ne lui apportait aucune aide, si bien qu’il risquait l’endormissement. Aussi, pour se changer les idées, il se décida à regarder ses photos souvenirs, plus précisément celles de la jeune femme. Il se remémora.
L’action se déroulait en Californie, dans une jolie petite ville, calme et paisible, aux pieds des montagnes. Mountain Valley était le petit havre de paix, où résidaient Leslie Scott et Alan Katerman. Elle avait vingt ans et espérait réaliser tous les rêves qui fourmillaient dans sa tête. Audacieuse, sauvage, moderne étaient les mots qui la caractérisaient le mieux, mais elle restait, cependant, bien mystérieuse. Lui, c’était un jeune homme de vingt et un an, issu d’un orphelinat. N’ayant aucune ambition, il se contentait de profiter des plaisirs de la vie, au détriment parfois de ses études. C’était un garçon sportif, intrépide, robuste, au regard sombre et dont l’aspect physique suscitait, parfois, quelques jalousies. L’apparition de la nouvelle école universitaire, en cette année 1953, avait donné un essor considérable, pour la jeune population. C’est ainsi qu’ils se retrouvèrent, tous deux étudiants, dans cette université, souhaitant faire carrière dans le domaine médical.
Ce fut, sauf erreur, un lundi après-midi que tout commença. Dans un beau ciel bleu, le soleil réchauffait au travers de la vitre, le cours de chimie où lui-même et quelques-uns de ses amis, se faisaient un malin plaisir de dissiper la classe. Malgré l’autorité de leur professeur, cela n’empêchait pas certains de jouer avec les tubes à essai, créer des réactions chimiques amusantes pour se faire remarquer. Leslie, assise dans les premiers rangs, était très sensible aux pitreries et ne pouvait s’empêcher de rigoler, le plus discrètement possible. Monsieur Baker, avait de façon générale une grande patience avec ses élèves. Toutefois, alors que sa craie blanche remplissait le tableau de formules, il se décida à intervenir :
— Monsieur Katerman ! Quand vous aurez décidé d’arrêter vos galéjades, nous pourrons peut-être poursuivre le cours.
— Ça veut dire quoi « galéjade » monsieur ? Demanda un des élèves du premier rang, ahuri.
Le professeur se tourna face à la salle. Il montra un air de satisfaction dans les yeux, à la vue de cet auditoire ignorant. Les joues creuses, les cheveux gris, clairsemés, il était assez grand et mince. Il donnait l’apparence d’un vieux savant. Alors que l’assistance profitait de son cours pour se divertir, elle respectait, néanmoins, le talentueux chimiste. Aussitôt, tous les chahuts s’arrêtèrent. Le silence prit la place. Il annonça avec éloquence :
— Je pense que monsieur Katerman est à même de vous l’expliquer ; Mais, pour l’instant, je vous demanderai de bien vouloir mettre en évidence les réactions qui sont écrites au tableau.
— Oh ! s’exclamèrent, en cœur, tous les élèves.
Mécontents, ils se décidèrent, quand même, à se mettre au travail sérieusement ; Ce ne fut pas sans bruit.
— Et en silence ! Merci !
Un dernier bourdonnement en signe de protestation se fit entendre. Alan se devait, en quelque sorte, de se faire oublier. Cependant, il remarqua les petits sourires que lui adressait Leslie, retournée de temps à autre. Obligation oblige, le cours reprit son train-train quotidien. Soudain, une sonnerie retentit. Elle n’avait pas le son habituel de celle qui annonçait la fin du cours, elle semblait plus aiguë. Steven et Michaël, deux camarades, n’hésitèrent pas à le féliciter, pour le désordre.
— J’avoue que tu es assez doué. Proclama Michaël.
La plupart des élèves s’étaient levées, pour aller chercher le matériel au fond de la salle, nécessaire aux expériences. Leslie avait profité de ce tumulte pour se rapprocher d’Alan et de ses deux compères. Elle les écoutait discrètement. Alan remarqua sa présence et s’en approcha. Elle se décida, timidement, à lui parler.
— J’admets également que vous m’avez fait beaucoup rire.
La sonnerie se faisait de plus en plus persistante, presque insupportable. Puis, Alan sentit ses yeux éblouis, par une intense lumière. Comme deux phares dans la nuit ! Deux phares ?
À cet instant, il aperçut les deux phares du véhicule qui lui faisait face. Instinctivement, il tourna le volant pour éviter la collision. Le mince sourire qui était sur son visage disparut, laissant place à de la frayeur. La voiture de l’autre automobiliste frôla la sienne de très près, sans toutefois toucher. Tout se passa très vite, il essaya de braquer pour remettre le pickup dans la bonne direction. Il y parvint, mais l’avant-droit heurta, un court instant, le muret. Le pied sur le frein, il immobilisa la voiture, au plus vite. Il entendait, au loin, le son strident du klaxon, de celui qui avait failli le heurter.
Que s’était-il passé ? S’était-il endormi ? La chaleur de l’habitacle, ajouté à la fatigue de la journée, est sûrement à l’origine de son assoupissement. Quelle que fût la cause, il dut admettre la réalité, celle d’avoir évité le pire. Au volant, il s’essuya les yeux pour mieux se réveiller. Il descendit quelque peu la vitre, afin que l’air frais gifle son visage, encore endormi. Il coupa le moteur et réfléchit à ce qu’il allait entreprendre. Le vent violent se brisait sur le pare-brise et provoquait, par moments, quelques secousses. Il ne se sentait pas trop rassuré, sur le bord de cette route. Aussi, il décida d’agir au plus vite. Il ouvrit la boîte à gant et prit la lampe torche. Il sortit, une main dans une poche de son blouson, l’autre avec la lampe et longea la voiture. Par moments, des bourrasques s’abattaient sur lui. Il s’accroupit pour mieux voir les dégâts. Seule, l’aile avant-droite était endommagée. Il comprit rapidement qu’une partie de la carrosserie frottait sur le pneu et qu’il risquait une crevaison, à tout moment.
— Il me faut une barre de fer.
Il se redressa et scruta autour de lui. Il ne distinguait pas grand-chose, mais avait une notion assez exacte du lieu où il se situait. De mémoire, il se rappela qu’il existait une sorte de terrain vague dans les environs, où l’on entreposait un peu n’importe quoi. La lampe braquée devant lui, il traversa la route et longea la forêt qui faisait face à la mer. De temps en temps, il se retournait pour voir les phares de son pick-up se fondre dans la nuit. Il n’aimait pas du tout le laisser seul, mais n’avait pas d’autre solution. Ses vêtements ruisselaient, de plus en plus, ce qui ajouté au froid rendait la marche plus difficile. Enfin, après un bon kilomètre, il aperçut au détour des arbres le petit chemin qui servait d’accès au fameux terrain. Le sol était glissant, la progression s’avérait délicate.
— Plus que quelques mètres et j’y suis !
Le sol était légèrement en pente, il s’agrippa comme il put aux branches pour avancer sans tomber. Après un ultime effort, il arriva sur le lieu où jonchaient des tas de détritus de toutes sortes. De sa lampe, il fit un rapide tour d’inspection. La chance lui sourit alors, à quelques pas de lui, une petite barre de fer, rouillée, reposait dans les hautes herbes. Il l’examina de près et convenu qu’elle était suffisamment solide pour sa besogne. Il repartit en direction de la route. Toutefois, au moment où il s’en retournait, il remarqua au loin, noyé dans l’obscurité, un petit halo lumineux. Alan était dubitatif.
— C’est étrange ! Je croyais que personne ne vivait, ici !
Après quoi, il reprit hâtivement la route. Le retour fut moins difficile que l’aller. Si bien que dix minutes lui suffirent pour rejoindre les phares de sa voiture. Armé de sa barre de fortune, après quelques efforts, la carrosserie ne frotta plus sur le pneu. Ensuite, il se glissa à toute vitesse dans l’habitacle pour se réchauffer. Complètement trempé, il démarra et reprit la destination de son domicile. Il ne restait plus beaucoup de kilomètres à parcourir. Dans un dernier coup d’œil en direction de l’île, qui s’avérait toujours aussi menaçante et inquiétante, de par sa silhouette, il vociféra :
— Plus question de dormir maintenant, il faut rentrer !
Il n’aurait jamais imaginé une telle déconvenue, en prenant ce trajet. S’il avait pris la route principale, il serait sûrement déjà rentré. Fort heureusement, ce qui lui donnait du baume au cœur, ce fut la réussite de l’opération. Alors qu’à présent, il entrait dans les premières rues de Bluetown, la santé du petit Tom restait gravée dans son esprit. En outre, tous les évènements de la journée firent leurs apparitions, probablement dut à la fatigue. Les visages de Leslie et Carol se mélangeaient, comme par enchantement.