L'inconnu du pont de l'Alloix... - Jean Bruyat - E-Book

L'inconnu du pont de l'Alloix... E-Book

Jean Bruyat

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Beschreibung

Un village de la vallée du Grésivaudan en Isère. Hameau de Montalieu à St Vincent de Mercuze, au XIX è siècle. Une tranche de vie romancée de la charbonnière de Giuseppe, Garibaldien convaincu, aux forges de Monsieur le Marquis, en passant par l’école et les travaux des champs.

Trois enfants, Clovis, Luigi et Lili, cheminent sur les sentes de ce passé aux valeurs traditionnelles de la campagne d’autrefois. Lors d’une veillée consacrée aux mondailles – la région produisait beaucoup de noix – Clovis, perçoit soudainement le bruit d’une chaîne que l’on traine sur le perron du château, une ancienne maison forte.

Le garçon sort aussitôt. Il a juste le temps d’apercevoir une ombre mystérieuse qui glisse silencieuse sur les murs de la petite chapelle, à droite du portail, puis disparait. Quelques mois plus tard, la vieille Mélanie Pupin, dite « la Fouine », découvre le corps sans vie d’un homme sous le pont qui enjambe la petite rivière de l’Alloix. Qui est ce personnage que personne au village ne connait ? Hasard malencontreux ou simple coïncidence, Giuseppe a quitté le village la veille…Les enfants enquêtent.


À PROPOS DE L'AUTEUR

Petit fils de cultivateurs, et fils d’ouvriers, Jean Bruyat nait à Saint Martin d’Hères dans la banlieue grenobloise, de parents originaires de deux villages de la Drôme des Collines. Au cours de son parcours professionnel d’Instituteur à Saint Martin d’Hères, puis de Directeur d’école à Saint Vincent de Mercuze dans le Grésivaudan, il s’implique dans de nombreux projets individuels ou collectifs (écriture, théâtre, cinéma) en partenariat avec le Conseil Départemental, le Conseil régional, la Direction Régionale des Affaires Culturelles Rhône-Alpes, la Direction Départementale de l’Éducation Nationale, la Direction Départementale de la Jeunesse des Sports et des Loisirs…mais aussi avec des écrivains, des comédiens…des Associations, des entreprises et des Collectivités locales…)

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Jean Bruyat

L’inconnu du pont de l’Alloix…

À tous ceux, connus, inconnus, anonymes, qui, dans ce village, furent, un jour, mes compagnons de route et de vie…

Que sont mes amis devenus

Que j'avais de si près tenus

Et tant aimés…

…Un village de la vallée du Grésivaudan en Isère. Hameau de Montalieu à St Vincent de Mercuze, au XIXème siècle. Une tranche de vie romancée, de la charbonnière de Giuseppe, Garibaldien convaincu, aux forges de Monsieur le Marquis, en passant par l’école et les travaux des champs.

Trois enfants cheminent sur les sentes de ce passé aux valeurs traditionnelles de la campagne d’autrefois. Ils se trouvent, malgré eux, mêlés à une intrigue nourrie par les évènements historiques de l’époque.

« …Rien ne s’efface, tout survit. Hier à demain vient se coudre. Le chemin garde dans sa poudre les pas de ceux qui l’ont suivi… ». Léon Deubel.

Dans ce roman, le lecteur découvrira, entre autres, une trilogie voulue par l'auteur, entre le terroir, la réalité historique, et l'enquête qui sera menée en vue d'élucider un meurtre.

Un garçon, Clovis, va mettre tout en œuvre afin de trouver une explication aux mystères qu'il perçoit, à diverses reprises, dans les environs immédiats du hameau depuis une soirée de "mondailles" dans la cuisine du château du Montalieu, un certain samedi soir...

Avant-propos

Le village de Saint Vincent de Mercuze fut, autrefois, un haut-lieu de la sidérurgie en Dauphiné. La famille de Marcieu construisit un haut-fourneau au lieu-dit « la Combe d'Alloix », non loin de la maison natale de Doudart de Lagrée {1}. Ce haut-fourneau fonctionnait grâce au charbon de bois exploité dans les forêts environnantes, notamment au-dessus du hameau du Montalieu.

Personnages principaux :

Les enfants :

Clovis Germain,

Lili Miéloux,

Luigi Forneri

Les adultes :

Le père de Luigi : Giuseppe Forneri, charbonnier de son état

Sa femme Mama Térésa

Le bagnard : Mario Gatuzzi

L’amiral : Maurice Finet dit clairon

La fouine : Mélanie Pupin

Le commis d’Antoine Berru : Victor Orset

Autres personnages :

Le chouineur : Pierrot Millet

Le fermier : Antoine Berru et sa femme, la Marie

Le trio des aïeules : Marie Pradel, Claire Mongeot, et Paulette Bérard

Un autre fermier : le Toine Machon

L’instituteur : Hector Droulet

Le montreur d’ours : Noël

La servante de Doudart de Lagrée : Philomène

Les gendarmes : le brigadier-chef Chanceau et son adjoint Pandore.

Le bossu : Gaspard

Le violoneux – Jacques Féréol

Le propriétaire du moulin à huile : Louis Rival

Les métayers du marquis : Augustine et Roger Gras

Les grands parents de Clovis : Léa et Francis Germain

Le peigneur de chanvre et cordier, père de Lili : Gaston Miéloux

Le maire : Eole

Le curé : Moïse

Le grand père de Lili : le papé, Firmin Miéloux

1

Les flancs de la Chartreuse commençaient à se parer de ces flammèches cuivrées révélatrices d’un début d’automne précoce. Quelques villageois tenaient veillée ce samedi soir dans la cuisine de l’ancien château fort où François de Bellecombe, au quinzième siècle, rendit hommage au Dauphin Louis II, le futur roi Louis XI.

Le feu crépitait dans la cheminée. Suspendu à une crémaillère, un chaudron de cuivre ronronnait tranquillement. L’usage et les ans avaient conjugué leurs efforts pour le parer d’un vernis d’automne, roux, moiré de jaune. Les flammes venaient lécher son fond bosselé et noirci témoin de nombreuses vies passées au service des locataires des lieux, Augustine et Roger Gras, métayers de Monsieur le Marquis.

À l’intérieur une soupe de pois aux lardons mijotait. De temps à autres, de petites bulles venaient déchirer la surface. Chacune, à son tour, libérait en éclatant un délicieux fumet qui rajoutait un cachet certain au bien être des lieux.

La lumière tremblante des bougies disposées à même la table dans des soucoupes en porcelaine blanche que les ans avaient délicieusement craquelées, faisait danser les ombres sur les murs. Elles glissaient furtives. Parfois, elles s’attardaient, démesurées, puis s’échappaient capricieuses, entre sol et plafond, espérant que quelqu’un, par surprise, les capture et les colle subrepticement à ses basques.

Dans l’âtre, de multiples langues fourrées dévoraient les grosses bûches de fayard, pourpres, sur leurs chenets de fonte grise. Au-dessus de la marmite émergeait la frêle silhouette d’Augustine. Elle paraissait irréelle derrière le rideau des vapeurs qui se dégageaient. De légers voiles aériens ajoutaient leur caresse au mystère ambiant. Aspirées par le conduit béant du foyer, toutes ces fumées montaient jusqu’au cœur de la nuit. D’aucun aurait pu penser qu’elles se perdaient. Sauf Léa Germain, la femme de Francis. Elle se crut obligée de confier à son petit-fils qui se désespérait de voir se gaspiller tant de chaleur :

⸺ Dame ! C’est pas perdu, mon P’tiot, elles s’en vont réchauffer le petit Jésus.

Clovis Germain, garçon d’une dizaine d’années, ne répondit pas à sa grand-mère. Il en avait pourtant bien envie. Ce n’était pas par timidité mais il était chaque fois assez troublé lorsque ce personnage était évoqué. Pour lui, le petit Jésus, c’était le nouveau-né de la crèche. Rien d’autre qu’un bébé. Et depuis le temps, il avait eu tout loisir de se réchauffer. Le garçon ne pouvait pas s’empêcher de se triturer le cerveau à ce sujet. Il ruminait :

M’enfin ! Comment croire que ce petit, entre âne et bœuf, pouvait tenir là-haut, accroché au ciel ? Qu’est-ce qui le retenait ? Un nuage plus gros, plus important que les autres ? Mais alors, quand le ciel est tout bleu. Pas possible ! Une  corde ? Non ! Bien sûr que non, elle serait trop longue ! En tout cas ce n’est pas le père de Lili Miéloux qui aurait pu la fabriquer ! Il n’aurait jamais eu assez de chanvre. Alors, peut-être qu’il serait retenu par une main invisible ? Pourquoi pas ! Celle de Dieu ? Diable !

Une énigme de plus ! Décidément les grandes personnes sont bien compliquées. Pourtant grand-mère Léa était quelqu’un digne de confiance. Cependant le désarroi du petit Clovis avait été porté à son comble, l’autre jour, lorsqu’il avait évoqué, avec elle, un livre dont le maître d’école, Monsieur Hector Droulet, avait lu un passage en classe. « De la terre à la lune ».

Le garçon, en bon élève, prétendit qu’un jour peut-être, comme l’évoquait cette histoire, les hommes se poseraient sur la lune. Avec le même aplomb, Léa lui avait affirmé :

⸺ Eh ben mon P’tiot! Quand le bon Dieu verra ça, il poussera la lune un peu plus loin ! On ne pourra jamais se poser dessus ! Jamais !

Le garçon en fut très désappointé. Une chose, selon Léa, semblait sûre : il y avait des mains providentielles dans l’immensité du ciel ! Mais, comment ce personnage invisible pouvait-il déplacer la lune ? Comme ça, sans rien dire, sans effort. Quelle puissance ! À moins que…La religion, poussée à l’extrême, serait-elle une entrave au progrès scientifique annoncé par ce Monsieur Jules Verne dans son roman ? Clovis suivait-il déjà un raisonnement avant-gardiste ? Ni lui, ni personne ne pouvait l’affirmer.

Augustine, en bonne maîtresse de maison, finissait de dresser la table et déjà de nombreux voisins s’affairaient. Les  « franquettes » et les « mayettes », par sacs de jute de cinq kilos chacun, s’amoncelaient sur la grande table de la cuisine et occupaient tous les espaces laissés vides par les assiettes. Le parfum subtil des noix s’autorisait, en avant-première, à sourdre entre les mailles fines des sacs et venait titiller les narines les plus proches.

Tous les participants avaient pris l’habitude de se réunir chez « la Mère » comme ils l’appelaient. Sans doute un vieux réflexe né du compagnonnage toujours présent dans la vallée. Une grande partie du village se retrouvait donc au moment des mondailles, après le ramassage des noix dont la renommée dépassait largement les frontières du département.

Chacun, entre deux frappes sèches de massette, y allait de sa petite histoire. Les divers potins du village prenaient corps à l’immense satisfaction des oreilles gourmandes des gamins présents, toujours à l’affût. Les anecdotes ne tardèrent pas à meubler la soirée. Les préoccupations habituelles à propos du temps qu’il allait faire ou des récoltes, laissèrent place aux derniers ragots. Les plus croustillants. Ceux qui faisaient glousser de rire et rougir de plaisir les enfants dont la tête s’enfonçait lentement entre les épaules.

C’était au cours de ces soirées que se forgeait chez les plus jeunes une approche du monde des adultes. Certes, une approche seulement. Plutôt un tutoiement, encore plein d’équivoques et d’incertitudes. C’était évidemment le cas, ce soir comme tous les samedis. Clovis accompagné de ses amis Luigi, le fils de Giuseppe le charbonnier et Lili, dont le père était peigneur de chanvre, étaient très attentifs. Les garçons ne perdaient pas une miette de cette veillée. Leurs oreilles se tenaient prêtes, à l’affût, pour une exceptionnelle récolte de bons gros mots. Ces mots que les enfants ne prononcent que tout bas en frissonnant de délectation. Une moisson de mots gouleyants à souhait qu’ils ne comprenaient pas toujours mais qu’ils engrangeaient pour mieux les resservir un peu plus tard. Des mots qu’ils allaient garder précieusement, bien au chaud pour les cultiver. Des mots qu’ils laisseraient germer tranquillement. Bref des mots qu’ils dégusteraient et savoureraient en les servant le moment voulu quand ils seraient mûrs. Ils en raffolaient. Ils en salivaient d’avance.

Les récits se trouvaient la plupart du temps ponctués par les rires des hommes et le gloussement poli, voire parfois gêné des femmes. Mais ce n’étaient que pures convenances devant ces messieurs. Il suffisait d’ailleurs de surprendre la conversation de ces dames autour du lavoir. Comme, celui qui est près de la maison de Gaétan Ferret. Le plus proche de l’école. Plus de doute. Finie la retenue ! Leurs propos rivalisaient sans peine avec ceux des hommes les plus grivois. À ne pas laisser tomber dans toutes les oreilles ! Les planches du lavoir, entre la mousse généreuse du savon et les aller et retours répétés des brosses à chiendent, en entendaient de belles. De véritables friandises d’obscénités. Des bijoux de récits, ciselés aux grossièretés les plus élaborées. Elles en racontaient de belles les dames ! Que de mots incongrus dans de si jolies bouches, aurait dit Monsieur le Marquis. Du grand art ! Et ça, les enfants le savaient aussi. C’est pourquoi ils trainaient souvent du côté du lavoir, prétextant le remplissage d’arrosoirs que d’ailleurs, ils renversaient souvent. Par pure maladresse. Évidemment.

Ce soir, Pierrot Millet, dit « le Chouineur » - car il se lamentait souvent - évoquait la dernière crue de l’Isère.

⸺ Dites donc, z’avez entendu, l’Isère qu’est encore sortie de son lit ? L’a noyé toutes les cultures du bas…chez l’Antoine Galland. La garce ! Y a pu  rien ! Tout recouvert sous ben trente centimètres d’eau !

Pour faire plus vrai et appuyer ses dires, il simulait cette hauteur en plaçant ses mains au-dessus l’une de l’autre à bien cinquante centimètres. Déformation involontaire de pêcheur incorrigible…

⸺ Chui allé voir, Eh ben, y a pu rien du tout ! Que d’la boue, que j’vous dis ! Bernique ! Pauvre Antoine ! Va pas ben récolter c’t année !

Il ponctuait le tout d’une grimace située entre dépit, révolte et impuissance sans donner préférence à l’un quelconque de ces vocables. Impossible de choisir. Les trois allaient de pair. Des hochements de têtes silencieux et compatissants lui répondaient. Les casquettes acquiesçaient poliment. Quelques regards polissons anticipaient la suite de l’histoire et glissaient de l’un à l’autre. Une sorte de jeu visuel emprunté au « touche-touche » de l’école : je capte un clin d’œil et aussitôt je l’adresse à quelqu’un en face de moi qui le répercute à son tour, et ainsi de suite. Jusqu’à ce qu’un joyeux drille, oubliant volontairement le côté tragique de la situation, prenne tout haut le relais, suivi par un autre comparse qui, profitant de l’occasion lance :

⸺ Ben oui, Antoine, l’a pas de pot ! Ça va lui faire un sacré boulot !

⸺ Sur quoi, un autre renchérit :

⸺ Ah ouais et même que j’dirai qu’en plus, avec sa Marie, qu’est comme l’Isère. Elle sort souvent du lit. L’est comme qui dirait, toujours en crue ! De Dieu ! La garce !

⸺ Ben, mon gars, à qui le dis-tu ! Même qu’elle déborde de partout. Alors quand ça monte, ben, ça monte ! Ça monte ! Faut endiguer ! Ou alors, faut laisser faire.

⸺ T’es un vrai connaisseur l’ami ! Sûr qu’elle monte la garce ! Une adepte de la grimpe qu’a jamais le vertige d’ailleurs…S’cramponne même à la planche du lavoir. L’ai vue l’autre jour, à tombée de nuit, avec le Victor de La Flachère…Tu sais ! Le nouveau commis du père Berru. Ouais ! Le grand balaise ! De Dieu, elle l’astiquait ben, la planche. L’était ben savonnée ! Et hardi petit que ça y allait ! L’en gémissait de satisfaction, la gueuse ! De la belle ouvrage que je dis ! Un gaillard ce commis ! Respect bonhomme !

⸺ Ouais ! Un gaillard qu’à un papier jaune dans la poche…Crut bon de préciser Gaétan d’un air méfiant plein de sous-entendus.

Cette remarque qui semblait pourtant anodine, fit peser aussitôt un lourd silence sur l’assemblée. Les bouches se turent. Les têtes basculèrent vers la table. Avait-il révélé tout haut une sorte de tabou ? Visiblement ce mystérieux papier jaune suscitait une crainte réelle. Les enfants, toutes oreilles dehors, en déduisirent que ce papier jaune devait avoir un pouvoir extraordinaire et qu’il devait se passer de drôles de choses autour du lavoir. Aussi se promirent-ils d’aller encore plus souvent remplir des arrosoirs qui bien sûr se videraient toujours aussi vite de leur contenu.

Les rires grasseyants et sourires en coin reprirent bientôt. Malice au bord des yeux, prête à basculer et à plonger dans l’assiette de soupe fumante que venait de servir Augustine, la conversation continua, nullement perturbée par ces révélations qui ne faisaient que confirmer ce que tout le monde savait déjà. Elle avait, comme on disait dans tout le village, le feu au cul, la Marie !

⸺ Faudra en plus qu’y fasse gaffe à la rivière ! Pas simple mon gars ! Pas simple ! Deux problèmes en même temps ! Un œil posé sur l’Isère et l’autre à surveiller la Marie ! C’est louche ! Non ?

⸺ Bah ! Y sait naviguer l’Antoine depuis l’temps que les deux quittent le lit !

⸺ L’problème c’est qu’y en a une qui prévient pas !

⸺ Ah ouais ! Laquelle ?

Nouveaux éclats de rire qui empêchaient aux enfants de connaître le fin mot de l’histoire. Il y avait toujours une main protectrice qui se posait sur leur tête et qui leur frottait le dessus du crâne. Elle semblait dire :

⸺ T’as bien l’temps de connaître tout ça mon garçon ! En attendant, bouche-toi les oreilles, casse tes noix et surtout tache moyen de pas trop abimer les cerneaux !

Déçus de ne pas en savoir d’avantage, Clovis Luigi et Lili continuaient malgré tout leur travail. La massette retombait, froide. Point final à leur curiosité insatisfaite. Point de départ à la mise en liberté surveillée des cerneaux qui rebondissaient sur la table et qui parfois, trop épris d’évasion, basculaient par terre.

Pendant tout ce temps, une expression ne manqua pas d’obnubiler les pensées de Clovis jusqu’à la fin de la soirée. Il ruminait ce qui pour lui constituait une énigme de plus d’autant que, garçon d’une extrême sagacité, il avait remarqué la gêne qui s’en suivit au niveau de l’assemblée…Gaétan a parlé d’un « papier jaune » qui serait dans la poche de Victor, le commis du père Berru. Qu’est-ce que c’est donc que ce papier jaune ? Le papier, normalement il est blanc ou presque ! Non ?  Bizarre !

2

En règle générale, les potins s’interrompaient dès les premières mesures de « Jean Benatru » lancées par le fameux trio des aïeules, accompagné, ce soir-là, par ce grand échalas de Jacques Féréol et son crincrin. Le violon, coincé entre épaule et menton tiré en galoche laissait parfois échapper des miaulements plaintifs auxquels personne ne prêtait attention tant l’auditoire était habitué. Les fausses notes faisaient tellement partie du décor que lorsqu’exceptionnellement il n’y en avait pas, l’assemblée avait l’impression qu’il manquait quelque chose. Alors, les têtes se tournaient en direction du virtuose et le grand Jacques, à peine perturbé, se voyait obligé d’en rajouter quelques-unes. Histoire de faire plus vrai. Il n’en fallait pas davantage pour retrouver l’atmosphère habituelle. Et tout le monde était content.