L'Interne - Tome 4 - Emily Chain - E-Book

L'Interne - Tome 4 E-Book

Emily Chain

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Beschreibung

Démêlerez-vous le vrai du faux ?

Juste après avoir appris la vérité sur les hommes de sa vie, Julia disparaît mystérieusement. James affirme à tout le monde qu’elle a décidé de prendre du temps pour elle... mais l’instinct de Dean lui souffle que la réalité est tout autre. Le doute l’assaille quand il reçoit soudainement des pages arrachées d’un carnet. Il est ainsi confronté à l’intimité d’une femme anonyme qui semble au plus mal. Qui se cache derrière ces lettres ? Une patiente, une collègue… ? Une chose est sûre, il la connait, et mieux que ce qu’il ne le croit. Et s’il n’y avait qu’une seule et même personne derrière tout ça ? Et si c’était celle que l’on n’aurait jamais soupçonnée ? Facile de tirer les ficelles quand on est dans l’ombre…

Clôturant sa célèbre saga entre les deux rivaux médecin et avocat, Emily Chain nous dévoile les dernières pièces de son puzzle de façon magistrale. Suspense, trahisons et frissons vous accompagneront tout au long de votre lecture.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

À propos du tome 1 :

"L'écriture est fluide , les scènes médicales sont très bien décrites , les scènes de sexes sont subtiles ce qui change d'autres romances, ce que j'ai beaucoup aimé." - Cindy R. sur Babelio.

"Si vous aimez les histoires d'amour avec des hauts et des bas... foncez foncez foncez ! Vous allez le dévorer autant que moi en très peu de temps." - Di Anna sur Booknode

À PROPOS DE L'AUTEURE

Emily Chain écrit depuis toujours et dans des styles assez diversifiés : des récits fantastiques aux thrillers en passant bien sûr par la romance. Elle s'intéresse à des personnages auxquels les lecteurs peuvent s'identifier facilement, comme Julia. Elle est l'auteure aussi de la trilogie Aux délices d'Amsterdam, une romance de Noël.

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Partie 1

« Un être vous manque et tout est dépeuplé. » — Alphonse de Lamartine

Chapitre 1

Dean

Mercredi, 19 °C — fortes précipitations sur le littoral.

Je fixe la pluie qui s’abat sur les vitres devant moi et je frissonne. Dès que je vois des gouttelettes d’eau sur du verre, je la revois. Elle marche dans la nuit, sous un torrent de pluie d’une démarche sereine.

Plusieurs fois, dans mon souvenir, elle se retourne vers moi pour m’offrir un sourire confiant.

Elle voulait me prouver qu’elle était forte. Peut-être même se le dire à elle-même. La mâchoire serrée, je n’ai pas pu la retenir contre son gré dans l’habitacle de ma voiture même si je le souhaitais au plus profond de moi. Tara m’a appelé tandis que Julia s’avançait vers chez elle, à l’encontre de mon conseil. J’avais décroché sans la lâcher des yeux.

— Quoi ?

— Tu es avec Julia ? Tout va bien ? Je n’ai pas eu de nouvelles et…

Des bruits de verres qui tintent m’empêchaient de bien entendre sa voix.

— Où es-tu ?

— À… Milan.

Son ton avait tout de suite changé et la part en moi d’ami proche avait tout de suite décelé qu’il y avait un souci.

— Qu’est-ce qu’il se passe ? Tout va bien avec ton frenchie ?

— On va dire que je ne suis pas une top-modèle et que j’aurais dû m’attendre à…

Sa phrase avait été coupée sûrement à cause de la pluie abondante et la tempête qui se levait de mon côté.

— Tara ?

— … dimanche et je crois que je vais… mais tu sais ce n’est pas si… pensé à toi et…. nouvelles de Julia.

Son discours n’avait aucun sens pour moi et la conversation s’était arrêtée ici. Depuis, j’ai reçu quelques messages que j’ai ignorés pour la plupart, ne sachant pas quoi lui dire.

Quand j’avais raccroché, la silhouette de Julia n’était qu’un souvenir. L’appartement était allumé devant moi et j’avais hésité à rester planté là toute la nuit. Sauf que Julia avait été très claire.

— Tu t’en vas. Je n’ai pas envie que James pense que mes paroles viennent de toi. On se retrouve demain à l’hôpital.

Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai obéi à cet instant. J’ai mis le contact et j’ai démarré.

— J’espère que tu sais ce que tu fais, avais-je soufflé en quittant des yeux l’immeuble pour m’insérer dans la circulation.

Sauf que l’avenir lui a donné tort. Elle pensait être plus intelligente et prête que cette satanée réalité. Et en fin de compte, j’ai aussi cru qu’on pourrait arranger les choses simplement. Est-ce une erreur de ma part ? Oui. Une terrible même. Mon amour pour elle m’a poussé à l’écouter.

Parfois mon esprit rejoue la scène autrement pour avoir encore un fragment de souvenir d’elle. Dans ces moments-là, je suis impuissant et idiot, à la regarder se retourner vers la voiture pour me faire signe que je peux partir. À chaque fois, j’acquiesce et mets le contact.

La nuit dernière, la fin de mon cauchemar a été différente des dizaines d’autres. Au lieu de rouler sans but et de m’exploser contre un mur sans douleur, m’entraînant dans un néant aussi insupportable que la douleur qui m’habite depuis quelques semaines, je ne suis pas parti tout de suite. J’ai voulu la regarder rentrer dans son loft. Observer avec minutie l’endroit où elle disparaissait de mon champ de vision. Comme si j’avais besoin d’être sûr à cent pour cent qu’elle y avait mis les pieds. C’était vital pour moi et c’est ce qui me tue à petit feu aujourd’hui.

Je ne l’ai pas vue. Je n’ai pas la certitude qu’elle soit entrée dans ce bâtiment. Le coup de téléphone de Tara m’a empêché de m’en assurer.

Je n’ai aucune certitude, que des suppositions. Avait-elle déjà des problèmes avant que je ne mette le compteur en marche, que j’avance sur la chaussée ou dépasse le bâtiment ?

Je tremble. Ces possibilités me broient l’estomac. Je n’arrive pas à m’enlever cette culpabilité omniprésente des dernières semaines.

Vingt-sept jours sans nouvelles.

Si la position haut placée de James a réussi à faire avaler des couleuvres à tout le monde sur son absence, je sais très bien qu’elle a disparu dès ce soir-là. Comment ? Où et pourquoi ? Je n’en ai aucune idée.

A-t-elle eu le temps de lui avouer qu’elle savait tout ? Je ne peux pas répondre.

Face à l’eau qui abonde sur les rebords de la fenêtre de la salle de repos, j’essaie de m’imaginer où elle peut bien être. Quelque part dans le froid ou est-elle non loin ?

La possibilité de la revoir est-elle envisageable ? Je ne veux pas me résoudre à croire que cela n’est pas possible, néanmoins, il est inévitable de le penser.

Vingt-sept jours que je ne dors quasiment plus. Personne ne s’inquiète et je n’ai pas réussi à me résoudre à appeler la mère de Julia qui doit recevoir des nouvelles trafiquées de la part de son gendre. À quoi bon lui avouer que sa fille a disparu si je n’en sais pas plus.

L’estomac tordu par l’angoisse de cette nouvelle réalité, je m’avance vers un petit lavabo pour poser de l’eau sur mon front humide de sueur. J’ai pris une douche il y a combien de temps ? Quand ai-je dormi pour la dernière fois ? Suis-je en état de travailler ?

Oui. Cette dernière réponse est une évidence. Si je ne suis pas à l’hôpital, je tourne comme un lion en cage et cela est impensable. Je ne peux plus fixer mon plafond en hurlant que je suis responsable de cette situation. Et taper contre un sac de boxe n’est pas non plus une réaction utile.

Au lieu de ça, j’essaie de faire comme tout le monde. J’ignore la disparition de Julia de la façon la plus plausible.

S’il n’y avait pas Harold ici, les choses seraient plus simples. Sauf que mon ami s’est attaché à Julia et souhaite en savoir plus. Il a essayé de la contacter et j’ai dû lui inventer le pire, une dispute entre nous d’une violence inouïe qui l’a décidée à ne plus venir dans cet hôpital. Ce mensonge pourrait me coûter très cher si son corps était retrouvé et que James voulait m’imputer son crime, sauf que je n’avais plus la force de l’entendre me questionner sur elle. Depuis que j’ai raconté ça, il a stoppé ses questions et je crois que, secrètement, il me maudit. Il préférerait sans doute que je sois parti à sa place et moi aussi. Si j’avais pu prendre sa place ce soir-là, quoiqu’il ait pu lui arriver, je l’aurais fait.

Cependant, c’est impossible.

Je l’ai laissée y aller seule et tant qu’elle n’est pas dans mes bras, la culpabilité va me ronger. C’est évident et je l’ai accepté.

Je revois son dernier sourire courageux en sortant de l’habitacle de mon 4x4. Il pleuvait des cordes, mais elle n’en avait rien à faire. Elle a plongé ses yeux dans les miens et j’espère les voir à travers le reflet de la vitre aujourd’hui, en vain.

La nausée me gagne en m’infligeant l’image de cette eau intarissable contre le carreau. Elle me rappelle que les jours passent mais ne sont pas si différents de ce soir-là. Le mécanisme doit se répéter quelque part. Les yeux de Julia doivent fixer, comme moi, des gouttes d’eau tomber sur une vitre. C’est tout du moins ce que j’espère au plus profond de moi.

Je soupire. J’ai encore du temps avant ma garde. J’ai plusieurs heures devant moi, un sac déjà fait et l’esprit toujours fixé sur un seul objectif : elle.

Quand j’ouvre les yeux, je quitte mes rêves où elle s’y trouve pour la retrouver dans mes pensées. Pas une seule minute ne passe sans que Julia ne m’obsède.

— Arrête de ne voir qu’elle partout, a murmuré Sy.

D’habitude, il ne donne jamais de conseil. Il se contente d’observer et d’écouter. Ainsi, quand il m’a dit ça, lundi dernier en plein entraînement, j’ai eu du mal à retenir mon étonnement. Les autres aussi d’ailleurs. Nous l’avons tous fixé, et au lieu de s’expliquer, il s’est mis à m’attaquer de plus belle. Ses coups ont été puissants et j’ai terminé très vite au tapis.

— Tu vois ça, a-t-il lâché, il y a quelques semaines tu n’aurais jamais été par terre. Ma bouche serait collée contre les tapis pour t’avoir parlé comme ça. Tu deviens mou, lent… gentil.

Il avait dit ça comme si c’était un défaut. Les autres avaient grimacé avant que je ne le toise.

— Si tu as peur que je lui fasse des cadeaux, tu te trompes. Le jour où je serai devant lui, il le regrettera amèrement.

— Je n’ai pas peur que tu retiennes tes coups, a-t-il dit. Ce qui m’inquiète, c’est que tu ne penses qu’à elle. Toutes les nuits sont réservées à la salle ou à tes gardes. La journée, tu enquêtes, tu travailles ou tu t’entraînes. Plus une seule seconde n’est allouée à autre chose.

— Tu crois que ça m’amuse de devoir attendre je ne sais quoi ? Que j’aime avoir que ces activités chaque jour ?

J’avais été froid pour lui faire comprendre que ce n’était pas une partie de plaisir pour moi. Que ce n’était pas volontaire d’être une loque. Sauf que j’ai beau essayer de me sortir de cette torpeur, je n’y arrive pas.

— On pourrait y aller tout de suite, histoire d’arrêter de se retrouver ici sans rien faire, à chuchoter…

Son impatience avait juste créé un haussement de sourcils de la part de tout le monde. Mark avait remis les choses dans leur contexte, nous demandant de reprendre un peu notre calme et le tour était joué. Nous étions revenus dans le rang.

Cependant, je commence à être comme Sy. Je suis à cran et j’ai besoin d’avancer.

Je n’ai pas l’impression de respirer. Les heures s’enchaînent et se ressemblent à l’identique. Enfin presque.

Je ne sais pas si je vais avoir encore cette drôle de surprise dans mon casier, mais cela devient récurrent. Un ange gardien ou une mauvaise blague, je n’en ai aucune idée. Mais cela me permet de penser à autre chose pendant un instant.

Je sais que je devrais en parler à quelqu’un. Les gars trouveraient sûrement cela suspect, mais j’ai préféré garder le silence jusqu’à avoir une petite explication, même infime.

Aujourd’hui est un jour identique aux dizaines d’autres qui m’obligent à faire semblant. Je me redresse et rejoins mon vestiaire pour commencer ma garde plus tôt que prévu. Une voix fluette me fait sursauter à peine ai-je posé la main sur mon casier.

— Tu es déjà là, Dean ?

Je regarde Lucy me fixer et je souris. Elle vient juste d’avoir son diplôme. Elle débarque dans la cour des grands et cela me fait quelque chose.

À cette époque de l’année, je devrais tout savoir des petits jeunes devant moi. Cependant, je n’ai pas la moindre idée de qui ils sont. Impossible de choisir les meilleurs éléments pour une opération ou déléguer mes heures de visite à la personne idéale. J’ai comme déconnecté de ce qui faisait de moi le meilleur. J’ai laissé mes sentiments prendre le dessus.

Allie, une de mes anciennes internes, devrait être à sa place et, sans hésiter, me hurlerait dessus de la décevoir en oubliant l’important, les patients.

Avant Julia, j’étais celui qu’on rêvait d’avoir comme supérieur. Les internes souhaitaient me voir sauver des vies sans respecter la hiérarchie, m’observer diagnostiquer l’impensable et me suivre en opération avec un sourire jusqu’aux oreilles…

Au lieu de ça, j’ai une équipe que je ne connais pas et une attention amoindrie de mon côté. Des jeunes trop motivés et des erreurs de débutants qui s’enchaînent.

Parce qu’être une petite main, c’est bien plus simple que d’assumer soi-même ses choix médicaux une fois titulaire. Ils agissent avant de réfléchir et je vais devoir leur apprendre que chaque décision revêt une conséquence.

— Je préfère faire un tour sans obligation avant ma garde, oui, dis-je.

Elle acquiesce même si elle n’a pas l’air de bien comprendre à quel point s’imprégner du lieu avant de tomber dans la cohue des choses à faire est importante.

J’ai toujours aimé être dans l’hôpital sans être de garde. Juste pour constater ce que je n’ai pas le temps de voir à cause de l’urgence habituelle.

Quand j’ouvre le casier, je pense forcément à ce que je vais potentiellement trouver. D’ailleurs, je me surprends à vouloir y voir quelque chose. Pourtant, c’est malsain et mauvais d’avoir un admirateur secret qui me laisse des morceaux de lettres. Je n’ai encore pas compris la moitié de ces dernières. Elles sont toujours arrachées de façon à ce que je ne comprenne que des petits fragments d’histoires qui ne se suivent pas.

Cependant, quand ma main se pose sur le papier jauni, je sens que celle-ci n’est pas comme les autres. En effet, trois pages arrachées d’un cahier m’attendent. Leur contenu est intact.

Fébrile, je survole les premières lignes. Je suis happé par l’écriture et je n’arrive pas à relever les yeux. L’écriture est fluide et percutante. J’ai l’impression d’être aspiré dans l’histoire de cette inconnue. Car oui, aujourd’hui j’en ai la certitude, il s’agit d’une femme. Mais qui est-ce ?

Une infirmière ayant besoin d’un confident ? Une patiente ? Une aide-soignante ? Une médecin ? Qui pourrait avoir accès aussi aisément à mon casier pour y glisser de telles lettres ?

Les questions se posent dans un coin de ma tête tandis que je lis les mots qui coulent sur le papier. L’encre noire est parfois effacée sous des bulles de larmes. Je l’imagine pleurer en s’ouvrant de la sorte à un cahier, une plume dans la main.

Était-elle au courant que ces mots termineraient dans mon casier ? Suis-je en train de vivre un canular ?

Je n’ai aucune réponse et je m’en fiche.

Chapitre 2

Julia

La première chose que je fais chaque matin depuis un moment, c’est de faire un bilan de ce que je sais. Les odeurs, l’analyse de ce que je vois, mes souvenirs, l’état de mon corps et mes pensées. C’est devenu un rituel pour ne pas perdre pied.

L’odeur est ce qui est le plus percutant. Mon nez se replie chaque matin à cause de la forte odeur de détergent. Mousse blanche, javel et ce produit miracle que ma mère adore tellement.

— Si tu veux avoir la meilleure moquette possible, utilise ça !

Elle exhibait fièrement son bidon de produits nocifs pour toutes créatures vivantes sans se rendre compte à quel point c’était dangereux.

Même si je n’ai jamais utilisé un tel produit, je l’ai senti à de nombreuses reprises, notamment dans la tour du cabinet d’avocat de James. Je sais maintenant où il se procure de tels produits.

Pour les autres odeurs, je ne pourrais dire puisque mon nez semble brûlé par l’acidité des nettoyants.

Deuxième étape : décrire mon environnement. Cela est assez facile.

Étant donné que cela fait des semaines que je suis ici, je commence à connaître par cœur chaque millimètre de cette pièce. Je pourrais presque dire « chambre » sans le côté charmant et agréable. Dans mon esprit, je garde en tête qu’il ne s’agit ni plus ni moins d’une cellule. Dans cette prison dorée, il y a de nombreux éléments. D’un côté, un mur immonde orangé, taché d’ombre brunâtre que j’imagine être du sang séché, mais je n’en ai pas la certitude. Les autres murs sont unis d’un blanc crème vieillot. L’ameublement détonne de l’état global de la pièce. Chaque élément semble avoir été choisi avec goût et je reste encore étonnée de la façon dont les meubles sont assortis les uns aux autres. On dirait qu’on a pensé pendant des heures cette chambre avec amour et bienveillance. Sauf que son utilisation est bien loin de tout cela.

J’essaie de ne pas me détourner de mon but en me remettant à lister les éléments de la pièce. Faire cela chaque jour m’aide à ancrer des faits dans mon esprit, mais aussi à savoir si quelque chose a bougé.

Au fond de la pièce, il y a une sorte de lit d’enfant. Je n’ai pas pu aller voir, mais de loin, avec les petits barreaux que j’aperçois, c’est à cela que ça me fait penser. La lumière n’est pas géniale et plusieurs parties de la pièce sont plongées dans un semblant de noir.

Juste à côté de moi, il y a un lit double. Avec des renforts sur les côtés. Peut-être qu’au départ, ils avaient pensé m’attacher dessus au lieu de me laisser bêtement par terre comme une bête.

Il me fait souvent envie et je regrette de ne pas pouvoir m’y étaler. La literie a l’air impeccable et toute neuve. Il y a une couverture avec des points blancs dessus et la couleur de fond paraît un petit peu jaune. Mais je ne sais pas si c’est à cause de la lampe teintée qui est tout le temps allumée.

Sur ma droite, il y a une petite coiffeuse où j’ai aperçu une brosse il y a quelques jours. Mais elle a disparu, comme tout le reste ; des choses viennent et partent dans cette pièce durant mon sommeil. En face de moi, par terre, j’ai trois coussins.

L’un est bleu, l’autre violet et le troisième je le dirais marron ou noir ; je n’arrive pas à bien distinguer. Ils servent surtout quand l’inconnue vient. Elle s’assoit dessus et m’observe. Tout du moins, c’est ce qu’elle fait quand je suis réveillée. Parce que je l’ai déjà surprise plusieurs fois assise face à la coiffeuse, se regardant dans un miroir, pensant que je dormais encore. Un jour, elle était au-dessus du berceau et j’ai cru qu’elle sanglotait. Puis la réalité est revenue et elle s’est retournée avec un visage si froid et condescendant que j’ai compris qu’une personne comme elle ne devait pas être capable de pleurer.

Plusieurs fois j’ai eu peur de m’endormir, imaginant que cette femme pourrait me faire du mal dans mon sommeil. Mais le corps humain ne peut pas tenir indéfiniment sans dormir. Les premiers temps, je tombais de sommeil, ma tête littéralement écrasée contre mes genoux et je perdais connaissance. Quand je me réveillais, j’étais complètement désorientée. Je tirais sur mes chaînes, découvrais souvent que je n’étais pas seule et gardais alors le silence.

En effet, l’inconnue est souvent là quand je me réveille. On dirait qu’elle programme mon sommeil et c’est angoissant.

Je n’ai jamais voulu jouer son jeu. Elle me parle, essaie de faire la conversation comme si nous étions de vieilles amies, sans avoir le moindre remords dans sa voix. C’est comme si elle vivait très bien le fait de me savoir prisonnière de James. Parce qu’il n’y a aucun doute, cette femme sait. Si j’étais encore dans une chambre, sans qu’elle ait le droit de m’adresser la parole et sans que je porte des attaches, je pourrais lui laisser le bénéfice du doute. Mais une femme attachée dans une pièce, c’est suspect. Il est impensable qu’elle ne sache pas que je suis ici contre ma volonté. Mais ça n’a pas l’air de la déranger.

Au tout début, j’ai cru qu’elle avait peur. Ensuite, au troisième jour il me semble, j’ai ouvert les yeux face à elle. Dans la prunelle de son œil droit, je me souviens avoir aperçu quelque chose d’effrayant. Elle a essayé de dissimuler ce manque de bienveillance, mais cela n’a pas suffi. Ses efforts n’ont pas été suffisants. J’ai l’impression qu’une partie d’elle m’en voulait. Je n’ai jamais réussi à replacer la raison de cette colère que je lis au fond d’elle, presque une haine. Peut-être qu’avant moi elle était dans cette pièce attachée et que maintenant elle est obligée de faire autre chose. C’est une supposition parmi toutes les autres. Je n’ai que ça à faire de mes journées : penser et imaginer toutes sortes de scénarios possibles. James envahit également très souvent mon esprit, quelquefois ma mère ou Tara. Le plus dur, c’est quand je pense à mon avenir. Je sais que je ne devrais pas essayer d’imaginer ce genre de choses dans mon état. Je tente de me faire violence et de ne voir qu’au jour le jour. Cependant, la seule visite que je reçois est cette femme. Mon esprit tourne donc très rapidement en rond. Je n’ai aucun élément extérieur ni même des informations. Tout bêtement, si j’avais le journal, je pourrais savoir le jour… J’aurais des faits divers à lire, à imaginer, à penser, à méditer. Sauf que là, je n’ai rien. Aucune nouvelle de ma famille, de mes proches, ni même du monde extérieur. J’essaie de retenir à peu près les jours qui passent en voyant la nuit venir sur le puits de lumière juste au-dessus de moi. Je sais que depuis je me suis levée dans cette chambre il y a eu douze jours de pluie, sept un peu couverts et plus d’une dizaine d’ensoleillés.

Le problème, c’est que tout ce que je sais, je ne peux le certifier. J’ai remarqué que le manque de sommeil commence à me faire douter de certaines choses. Je ne sais plus si je me suis réveillée le jour même ou si cela date d’il y a beaucoup plus d’heures. Je n’arrive plus à me souvenir si j’ai vu cette inconnue aujourd’hui ou si cela remonte à deux ou trois jours. Mais n’ayant plus aucun repère spatio-temporel, à part ce puits de lumière, je ne sais plus. J’ai peur de m’endormir et de perdre le fil d’une journée. La nourriture qu’il me donne est tout juste suffisante pour me permettre de survivre. Je sens que mon corps commence à avoir des carences.

Combien de temps vais-je pouvoir tenir dans cet état ? C’est la grande question que je me pose.

Alors depuis hier soir, j’essaie de me recréer les rêves que je faisais. Ceux dans lesquels Dean était mon mari. Sauf que la fatigue les rend un peu plus noirs que la dernière fois. Ils sont moins lumineux et fluides. Je me perds souvent dans des détails inutiles et me réveille angoissée.

Néanmoins, le simple fait de vivre avec mon beau médecin dans mes rêves m’aide à tenir le coup. Je l’imagine dehors, en train de soulever des montagnes pour me retrouver. Parfois, sous un coup d’angoisse, je le vois également se faire attraper par les hommes de James. Peut-être qu’avant même que je rentre de ce fourgon, il avait des soucis. C’est ce qui m’angoisse le plus, je crois.

J’ai tellement peur d’apprendre que pour lui aussi, c’est fini. Que nos deux destins sont liés, mais pas de la manière que je l’espérais.

Ce matin en me réveillant, j’ai également pensé à Tara.

Elle est à Paris avec son beau Français et ne doit absolument pas se préoccuper de moi. Je l’imagine complètement épanouie, dans de jolies robes visitant l’une des plus belles villes de cette planète. Je suis heureuse de me dire que le monde continue à tourner sans moi. Je n’ai jamais été du genre mégalo, à penser être indispensable à tout le monde. Je veux le bonheur des personnes que j’aime. Mais je doute que Dean soit en train de vivre une vie parfaitement paisible dans son coin. Il doit s’inquiéter, se morfondre et peut-être même désespérer de ne pas m’avoir forcée à l’écouter.

—  Je ne sais pas où tu es, mais j’espère que tu vas bien.

Mon murmure accompagne la fermeture de mes paupières une nouvelle fois trop lourdes pour continuer cette journée.

Chapitre 3

Dean

Je viens de terminer mon petit tour du service avant de prendre la relève. N’étant pas complètement en tenue, personne ne m’a dérangé et j’ai pu me renseigner sur mes patients sans trop de problèmes.

Néanmoins, quand j’approche d’une femme très jeune, je réalise que ma chance de débuter une journée paisible vient de s’arrêter net.

—  Est-ce que vous allez bien ?

J’observe cette infirmière, que je ne connais ni d’Ève ni d’Adam me demander une chose aussi intime que la façon dont je me porte.

—  Qu’est-ce que cela peut vous faire ?

—  Sachez que nous ne sommes pas simplement les petites mains de Messieurs les médecins. Nous voyons, entendons et observons les autres. Et excusez-moi de vous le dire, mais vous êtes devenu un fantôme qui déambule dans les couloirs de cet hôpital. Ce n’est absolument pas rassurant pour le personnel soignant ou les patients.

—  Ah oui ?

Je fais bien attention que nous soyons seuls dans ce couloir pour lui répondre avec toute la franchise et le peu d’amabilité dont je suis capable en ce moment.

—  Je suis vraiment désolé de déranger vos petites habitudes ou de ne pas avoir un sourire niais sur le visage toute la journée. Est-ce que cela est problématique pour vous ? Je m’en contrefiche. Je ne suis absolument pas d’humeur à jouer les faux-semblants.

L’infirmière se met à rire. Je suis vexé et agacé de son comportement. Pourquoi est-elle aussi tenace ?

—  Sachez une chose, nous aimions tous Julia. Son départ un petit peu étrange nous affecte tous. Vous n’êtes pas le seul à souffrir. Et d’ailleurs, nous pensons tous que vous êtes responsable de son départ. Il n’est pas nécessaire d’être très intelligente pour savoir que vous avez été le souci principal de cette femme ici. Et croyez-moi, nous préférerions l’avoir elle plutôt que vous.

Cette réaction est plutôt récente. Si j’avais énormément la cote au niveau des infirmières, je comprends bien que ce temps est révolu. En effet, le départ de Julia a placé mes alliées de l’autre côté. En même temps, je ne peux pas vraiment leur en vouloir. Puisque la raison officielle de son absence est assez floue et que je ne peux pas me défendre sans mentir. Je sais très bien que Julia n’est pas partie de son plein gré, c’est impossible. Elle m’aurait prévenu. Ou Tara aurait été mise au courant. Sa disparition est logique. Simplement, je suis le seul à le savoir. Toutes les autres personnes ici présentes sont complètement convaincues que je suis le responsable. En quelque sorte, elles ont raison puisque je n’ai pas réussi à la protéger convenablement. Mais je ne suis pas responsable de son absence. L’enflure dans cette histoire, c’est James. Je n’ai absolument aucune idée de ce qu’il a fait à Julia, mais une chose est sûre, faire semblant est le plus dur. Mes amis m’ont dit de rester à l’écart. Je sais que les gars ont raison, mais je commence en avoir marre d’entendre des réflexions du genre. En fin de compte, c’était beaucoup plus simple quand je me faisais draguer à tout va.

—  Écoutez, Mademoiselle. Je ne vous connais absolument pas. Ce qui veut dire que vous ne me connaissez pas non plus. Vous avez simplement entendu des rumeurs. Savez-vous que dans un hôpital, il y a énormément de choses colportées sans la moindre preuve. Si vous connaissez également ma réputation, vous savez que j’ai été accusé à tort de faits immondes l’année dernière. Et sans Julia, je ne serais pas ici aujourd’hui. Ce qui veut dire, qu’il n’y a absolument aucune chance que je sois responsable de son départ, puisque sa présence me protégeait. Alors au lieu de répéter des idioties, apprenez à réfléchir avant de venir me voir.

Je commence à m’éloigner, avant de me souvenir d’un petit détail. Je pivote vers elle, croise son regard un petit peu méfiant et rajoute :

—  Une autre chose. Vous avez dit que me voir dans cet état n’était pas bon pour les patients. Je n’ai reçu absolument aucune plainte ni réflexion de leur part ou de leurs proches. Sachez que je suis même aux petits soins pour leur éviter de voir le visage que j’ai chaque matin dans le reflet de mon miroir. Alors, ne doutez jamais que je sois un bon médecin. Nous n’avons pas besoin d’être bien moralement pour être bon médicalement. Je ne suis pas un psychologue ou un coach de vie. Je soigne les gens. Je diagnostique. Vous avez besoin d’avoir un sourire idiot sur le visage pour vous sentir belle, d’accord, mais cela ne changera rien au fait que vous êtes une bonne ou une mauvaise infirmière. La façade que vous présentez ne reflète absolument pas qui vous êtes.

Mon petit discours la tétanise. En temps normal, j’aurais été un peu plus sympathique, mais là, ça suffit. Comme le dit la fille inconnue dans son journal, il faut dire stop un jour ou l’autre. Aujourd’hui, c’est mon jour. J’en ai marre d’afficher une tête neutre, des paroles sans incidence et un comportement irréprochable. À quoi cela va-t-il me servir d’être lisse et parfait, sans attirer l’attention, alors qu’au final, de toute façon, si un jour par malheur le corps de Julia était retrouvé quelque part, tout le monde pensera que c’est de ma faute ? Alors oui, effectivement, de l’extérieur, j’ai autant de raison que les autres d’être coupable. Parce que personne ne sait qui je suis, personne n’a entendu les conversations que nous avons eues et à quel point je suis attaché à cette femme.

Même Harold pense que je suis responsable.

Avant d’être l’ami de Julia, il était le mien. Sauf que l’arrivée de cette femme a absolument tout bouleversé. J’ai moi-même changé.

Et comme l’a si bien dit cette inconnue sur ce bout de papier, « Parfois, il suffit d’une chose, d’une parole, d’une personne pour changer absolument toutes les vérités de votre vie. Mais quand cela disparaît, votre monde n’a plus aucune raison d’exister. Alors qu’avant, il tournait sans elles. »