L'oeuvre théâtrale de Maupassant - Guy de Maupassant - E-Book

L'oeuvre théâtrale de Maupassant E-Book

Guy de Maupassant

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Beschreibung

Ce livre propose à la lecture l'intégrale de l'Oeuvre Théâtrale de Guy de Maupassant. On compte dans cette oeuvre 6 pièces de théâtre dont deux qui ne furent jamais représentées et une qui fut restée inachevée. La pièce (érotique) "À la Feuille de rose, maison turque" fut représentée le 13 avril 1875, pour la première fois, chez les peintres Becker et Leloir, dans leur atelier de la rue de Fleurus. Cette pièce fut publiée pour la première fois en 1945. Guy de Maupassant (1850 - 1893) a marqué la littérature française par ses six romans, dont Une vie en 1883, Bel-Ami en 1885, Pierre et Jean en 1887-1888, mais surtout par ses nouvelles, (parfois intitulées contes), comme Boule de suif en 1880, les Contes de la bécasse (1883) ou Le Horla (1887). Cette édition intégrale contient : - HISTOIRE DU VIEUX TEMPS - UNE REPETITION - MUSOTTE - LA PAIX DU MENAGE - LA TRAHISON DE LA COMTESSE DE RHUNE - A LA FEUILLE DE ROSE, MAISON TURQUE

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Table des matières

HISTOIRE DU VIEUX TEMPS

UNE REPETITION

Personnages.

Scène Première

Scène 2

Scène 3

Scène 4

MUSOTTE

Personnages

Acte Premier

Scène Première

Scène II

Scène III

Scène IV

Scène V

Scène VI

Scène VII

Scène VIII

Scène IX

Scène X

Scène XI

Acte Deuxième

Scène Première

Scène II

Scène III

Scène IV

Scène V

ACTE TROISIÈME

Scène Première

Scène II

Scène III

Scène IV

Scène V

Scène VI

Scène VII

Scène VIII

LA PAIX DU MENAGE

Personnages

Acte Premier

Scène Première

Scène II

Scène III

Acte Deuxième

Scène Première

Scène II

Scène III

Scène IV

LA TRAHISON DE LA COMTESSE DE RHUNE

Personnages

Acte Premier

Scène Première

Scène II

Scène III

Scène IV

Scène V

Scène VI

Acte Deuxième

Scène Première

Scène II

Scène III

Scène IV

Scène V

Scène VI

Scène VII

Scène VIII

Scène IX

Scène X

Scène XI

Acte Troisième

Scène Première

SCÈNE II

Scène III

Scène IV

Scène V

Scène VI

À la Feuille de rose, maison turque

Personnages

Scène I

Scène II

Scène III

Scène IV

Scène V

Scène VI

Scène VII

Scène VIII

Scène IX

Scène X

Scène XI

Scène XII

Scène XIII

Scène XIV

Scène XV

Scène XVI

Scène XVII

Scène XVIII

Scène XIX

Scène XX

Scène XXI

Scène XXII

Scène XXIII

Scène XXIV

Scène XXV

Scène XXVI

Scène XXVII

Scène XXVIII

Scène XXIX

Scène XXX

Scène XXXI

HISTOIRE DU VIEUX TEMPS

(1879)

Guy de Maupassant

A Madame Commanville

Madame, je vous ai offert, alors que vous seule la connaissiez, cette toute petite pièce qu’on devrait appeler plus simplement «dialogue». Maintenant qu’elle a été jouée devant le public et applaudie par quelques amis, permettez-moi de vous la dédier.

C’est ma première oeuvre dramatique. Elle vous appartient de toute façon, car après avoir été la compagne de mon enfance, vous êtes devenue une amie charmante et sérieuse; et, comme pour nous rapprocher encore, une affection commune, celle de votre oncle que j’aime tant, nous a, pour ainsi dire, faits de la même famille. Veuillez donc agréer, Madame, l’hommage de ces quelques vers comme témoignage des sentiments très dévoués, respectueux et fraternels de votre ami bien sincère et ancien camarade.

Je ne publierai point cette frêle comédie sans adresser mes bien vifs remerciements à l’homme éclairé et bienveillant qui l’a accueillie et aux artistes de talent qui l’ont fait applaudir.

Sans M. Ballande, qui ouvre si généreusement son théâtre aux inconnus repoussés ailleurs, elle n’aurait peut-être jamais été jouée. Sans Mme Daudoird, si fine comédienne, si attendrie et si charmante dans le rôle de la vieille marquise, et sans M. Leloir, qui porte avec tant de dignité les cheveux blancs du comte, personne ne l’eût, sans doute, remarquée.

Le succès, grâce à eux, a dépassé mes espérances: aussi je veux écrire leurs noms à la première page pour les assurer de ma profonde reconnaissance.

Guy de Maupassant

Paris, le 23 février 1879.

Chambre Louis XV. Grand feu dans la cheminée. On est en hiver. La vieille marquise est dans son fauteuil, un livre sur les genoux; elle paraît s’ennuyer.

UN VALET, annonçant.

Monsieur le comte.

LA MARQUISE

Enfin, cher comte, vous voici;

Vous pensez donc toujours aux vieux amis, merci Je vous attendais presque avec inquiétude;

De vous voir chaque jour on a pris l’habitude;

Puis, je ne sais pourquoi, je suis triste ce soir.

Venez, auprès du feu allons nous asseoir Et causer.

LE COMTE, s’asseyant après lui avoir baisé la main.

Moi, je suis tout triste aussi, marquise,

Et lorsqu’on se fait vieux, cela démoralise.

Les jeunes ont au coeur cargaison de gaieté;

Un nuage en leur ciel est bien vite emporté,

Et toujours tant de buts, tant d’amours à poursuivre!

Nous autres, il nous faut de la gaieté pour vivre;

La tristesse nous tue, elle s’attache à nous

Comme la mousse à l’arbre épuisé. Voyez-vous,

Contre ce mal terrible il faut bien se défendre.

Et puis, tantôt, d’Armont est venu me surprendre

Nous avons remué la cendre des vieux jours,

Parlé des vieux amis et des vieilles amours;

Et, depuis ce moment, comme une ombre incertaine,

Je revois s’agiter ma jeunesse lointaine.

Aussi je suis venu, tout triste et tout blessé,

M’asseoir auprès de vous, et parler du passé.

LA MARQUISE

Moi, depuis le matin, l’horrible froid m’assiége;

J’entends souffler le vent, je vois tomber la neige.

A notre âge, l’hiver afflige et fait souffrir;

Quand il gèle bien fort on croit qu’on va mourir.

Oui, causons, car un bon souvenir de jeunesse

Ravive par instants notre froide vieillesse.

C’est un peu de soleil…

LE COMTE

Mais dans un jour d’hiver;

Mon soleil est bien pâle et mon ciel bien couvert.

LA MARQUISE

Allons racontez-moi quelque folle équipée.

Vous étiez, dit l’histoire, un grand traîneur d’épée,

Jadis, monsieur le comte, insolent, beau garçon,

Riche, bon gentilhomme et de fière façon;

Vous avez fait scandale, et croisé votre lame

Avec plus d’un mari; car une belle dame,

Un soir que nous causions, m’a raconté, tout bas,

Que tous les coeurs sauraient au seul bruit de vos pas.

Si l’on ne m’a menti, vous avez été page,

Grand coureur de ruelle et faiseur de tapage;

Et vous avez dormi quatre mois en prison

Pour un certain manant pendu dans sa maison,

Lequel avait, dit-on, femme jeune et jolie.

La femme d’un manant, comte, quelle folie!

Quatre mois en prison pour cela! C’eût été

Dame de haute race et de grande beauté,

Soit… Voyons, prouvez-moi quelque galante histoire

De grande dame; amour romanesque, et l’armoire

Classique où le mari, dans ses retours subits,

Surprend l’amant transi parmi les vieux habits.

LE COMTE

Et pourquoi donc toujours, toujours la grande dame?

Les autres, cependant, plaisent aussi: la femme

Est faite pour charmer, qu’elle soit noble ou non.

La grâce est sans aïeux et la beauté sans nom.

LA MARQUISE

Merci! Je ne veux point de vos amours banales.

Vous avez autre chose au fond de vos annales,

Cher comte, et maintenant, je vous écoute. Allez!

LE COMTE

Il faut vous obéir, puisque vous le voulez.

Ah! Certes, le proverbe est bien vrai, sur mon âme,

Qui prétend que Dieu veut ce que veut une femme.

Quand je vins â la Cour j’étais sentimental;

J’ouvris bientôt les yeux; le réveil fut brutal Par exemple. J’aimai, j’aimai la toute belle

Comtesse de Paulé. Je la croyais fidèle.

Je la surpris, un soir, aux bras d’un autre amant;

J’en eus le coeur brisé, marquise, et sottement

Je la pleurai deux mois! Mais la Cour et la Ville

Ont bien ri. Cette engeance est envieuse et vile,

Siffle les malheureux, applaudit au succès;

J’étais trompé, j’avais donc perdu mon procès.

Pourtant, bientôt après, j’eus une autre maîtresse;

Mais nous logions encore â deux dans sa tendresse.

L’autre était un poète. Il lui tournait des vers,

L’appelait fleur, étoile, astre de l’univers,

Et je ne sais quels noms. Je provoquai le drôle;

C’était un bel esprit, il resta dans son rôle;

Trop lâche pour se battre, il fit un plat sonnet…

Et l’on en rit encor, me traitant de benêt.

La leçon, cette fois, mit un terme à mes doutes,

Je cessai d’en voir une, et je les aimai toutes.

Or je pris pour devise un dicton très ancien:

«Bien fol est qui s’y fie» et je m’en trouvai bien.

LA MARQUISE

Mais, autrefois, quand vous déclariez votre flamme,

Et soupiriez aux pieds de quelque belle dame,

L’enveloppant d’amour, de respects et de soins,

Parliez-vous ainsi?

LE COMTE

Non; mais avouez du moins,

Entre nous, que la femme est une enfant gâtée.

On l’a trop adulée, et surtout trop chantée.

Ses flatteurs attitrés, les faiseurs de sonnets,

Lui versant tout le jour, comme des robinets,

Compliments distillés au suc de poésie,

En ont fait un enfant gonflé de fantaisie.

Aime-t-elle du moins? Point du tout; il lui faut,

Non l’amour de vingt ans, et dont le seul défaut

Est d’aimer saintement, comme on aime à cet âge,

Mais un roué; celui qu’on regarde au passage

Avec étonnement et presque avec respect,

Toute femme s’émeut et tremble â son aspect,

Parce qu’il est, mérite assurément fort rare,

Le premier séducteur de France et de Navarre!

Non qu’il soit jeune, non qu’il soit beau, non qu’il ait

De grandes qualités… Rien; mais cet homme plait

Parce qu’il a vécu. Voilà la chose étrange;

Et c’est ainsi pourtant que l’on séduit cet ange!

Mais quand un autre vient demander, par hasard,

De quel tribut payer l’aumône d’un regard,

Elle lui rit au nez et demande la lune!

Et, vous le savez bien, je ne parle pas d’une,

Mais de beaucoup.

LA MARQUISE

C’est très galant; encor merci!

A mon tour, à présent, écoutez bien ceci:

Un vieux renard perclus, mais de chair fraîche avide,

Rôdait, certaine nuit, triste et le ventre vide;

Il allait, ruminant ses festins d’autrefois,

La poulette surprise un soir au coin d’un bois,

Et le souple lapin qu’on prenait à la course.

L’âge, de ces douceurs, avait tari la source;

On était moins ingambe et l’on jeûnait souvent.

Quand un parfum de chassé apporté par le vent

Le frappe, un éclair brille en sa vieille prunelle.

Il aperçoit, dormant et la tête sous l’aile,

Quelques jeunes poulets perchés sur un vieux mur.

Mais renard est bien lourd et le chemin peu sûr,

Et malgré son envie, et sa faim, et son jeûne:

«Ils sont trop verts, dit-il, et bons… Pour un plus jeune.»

LE COMTE

Marquise, c’est méchant, ce que vous dites là;

Mais je vous répondrai: Samson et Dalila,

Antoine et Cléopâtre, Hercule aux pieds d’Omphale.

LA MARQUISE

Vous avez en amour une triste morale!

LE COMTE

Non; l’homme est comme un fruit que Dieu sépare en deux.

Il marche par le monde; et, pour qu’il soit heureux,

Il faut qu’il ait trouvé, dans sa course incertaine,

L’autre moitié de lui; mais le hasard le mène;

Le hasard est aveugle et seul conduit ses pas;

Aussi presque toujours, il ne la trouve pas.

Pourtant, quand d’aventure il la rencontre…, il aime;

Et vous étiez, je crois, la moitié de moi-même

Que Dieu me destinait et que je cherchais, mais

Je ne vous trouvai pas, et je n’aimai jamais.

Puis voilé qu’aujourd’hui, nos routes terminées,

Le sort unit, trop tard, nos vieilles destinées.

LA MARQUISE

Enfin, cela vaut mieux, mais vous avez péché,

Et je ne vous tiens pas quitte à si bon marché.

Savez-vous, mon cher comte, à quoi je vous compare?

Votre coeur est fermé comme un logis d’avare:

Vous êtes l’hôte; quand on vient pour visiter Vous vous imaginez qu’on va tout emporter,

Et ne montrez aux gens qu’un tas de vieilleries.

Voyons, plus de détours et trêve aux railleries!

Tout avare, en un coin, cache un coffret plein d’or,

Et le coeur le plus pauvre a son petit trésor.

Qu’avez-vous tort au fond? Portrait de jeune fille

De seize ans, qu’on aima jadis; légère idylle

Dont on rougit peut-être et qu’on cache avec soin,

N’est-ce pas? Mais, parfois, plus tard, on a besoin

De venir contempler ces images, laissées

Là-bas, derrière soi; ces histoires passées

Dont on souffre et pourtant dont on aime souffrir.

On s’enferme tout seul, une nuit, pour ouvrir Certain vieux livre et son vieux coeur; comme on regarde

La pauvre fleur donnée un beau soir, et qui garde

La lointaine senteur des printemps d’autrefois!

On écoute, on écoute, et l’on entend sa voix Par les vieux souvenirs faiblement apportée.

Et l’on baise la fleur, dont l’empreinte est restée

Comme au feuillet du livre à la page du coeur.

Hélas! Quand la vieillesse apporte la douleur,

Vous embaumez encor nos dernières journées,

Parfums des vieilles fleurs et des jeunes années!

LE COMTE

C’est vrai! Même à l’instant j’ai senti revenir,

Tout au fond de mon coeur, un très vieux souvenir;

Et je suis prêt à vous le raconter, marquise.

Mais j’exige de vous une égale franchise,

Caprice pour caprice, et récit pour récit;

Et vous commencerez.

LA MARQUISE

Je le veux bien ainsi.

Pourtant mon histoire est un simple enfantillage.

Mais, je ne sais pourquoi, les choses du jeune âge

Prennent, comme le vin, leur force en vieillissant,

Et d’année en année elles vont grandissant.

Vous connaissez beaucoup de ces historiettes:

C’est le premier roman de mutes les fillettes,

Et chaque femme, au moins, en compte deux ou trois;

Je n’en eus qu’une seule; et c’est pourquoi, je crois,

Je l’ai gardée au coeur plus vive et plus tenace;

Et dans ma vie elle a rempli beaucoup de place.

J’étais bien jeune alors, car j’avais dix-huit ans;

J’avais appris â lire avec les vieux romans;

J’avais souvent rêvé dans les vieilles allées

Du vieux parc, regardant, le soir, sous les sautées,

Les reflets de la lune, écoutant si le vent

Ne parlait pas d’amour à la branche, et rêvant

A celui que tout bas la jeune fille appelle,

Qu’elle attend, qu’elle croit que Dieu créa pour elle!

Puis voilé que celui que j’avais tant rêvé,

Jeune, fier et charmant, un jour, est arrivé;

Et je sentis bondir mon coeur de jeune fille.

Je me pris à l’aimer; il me trouva gentille…

Mon beau jeune homme, hélas! Partit le lendemain;

Rien de plus: un baiser, un serrement de main,

Un regard échangé qu’il oublia bien vite.

Il s’était dit: «Elle est mignonne, la petite.»

Et cela lui sortit du coeur; mais Dieu défend De se jouer ainsi de l’amour d’une enfant!

Ah! Vous trouvez la femme insensible; elle saute

De caprice en caprice; allez, c’est votre faute.

Elle pourrait aimer, mais vous l’en empêchez;

Le premier amour qui lui vient, vous l’arrachez!

Pauvre fille! J’étais bien folle et bien crédule;

Mais vous allez trouver cela fort ridicule,

Vous qui raillez l’amour… Longtemps je l’attendis!

Comme il ne revint pas, j’épousai le marquis.

Mais je confesse que j’aurais préféré l’autre!

J’ai mis mon coeur à nu, découvrez-moi le vôtre

Maintenant.

LE COMTE, souriant

Ainsi, c’est une confession?

LA MARQUISE

Et vous n’obtiendrez pas mon absolution

Si vous raillez encor, méchant homme insensible.

LE COMTE

C’était dans la Bretagne, à l’époque terrible

Qu’on nomme la Terreur. Partout on se battait,

Moi, j’étais Vendéen; je servais sous Stofflet.

Or, cela, dit, ici commence mon histoire.

On venait, ce jour-là, de repasser la Loire.

Nous étions demeurés, pétés en partisans,

Quelques braves amis, quelques vieux paysans,

Et moi leur chef, en tout peut-être une centaine,

Cachés dans les buissons qui contournaient la plaine,

Protégeant la retraite et cédant peu à peu.

Nos hommes, à la fin, avaient cessé le feu;

Et l’on se dispersait, selon notre coutume,

Quand un soldat soudain, un Bleu, qui, je le présume,

S’était, grâce aux buissons, avancé jusqu’à nous,

Sauta dans le chemin et me tira deux coups

De pistolet. J’ouvris la tête de ce drôle;

Mais j’avais, pour ma part, deux balles dans l’épaule.

Tout mon monde était loin. En prudent général,

J’enfonçai l’éperon aux flancs de mon cheval.

Alors, à travers champs, et la tête éperdue,

Comme un fou qui s’enfuit, j’allai, bride abattue;

Tant qu’enfin, harassé, brisé, n’en pouvant plus,

Je tombai, tout en sang, au revers d’un talus.

Mais bientôt, prés de moi, je vis une lumière

Et j’entendis des voix. C’était une chaumière

Où je heurtai, criant: «Ouvrez, au nom du roi!»

Et puis, à bout de force et tout midi de froid,

Je m’affaissai, soudain, en travers de la porte.

Suis-je resté longtemps étendu de la sorte?

Je ne sais; mais, alors que je repris mes sens,

J’étais dans un bon lit bien chaud; de braves gens,

Attendant mon réveil avec inquiétude,

S’empressaient, m’entouraient, pleins de sollicitude;

Et je vis, au milieu de ces lourdauds Bretons,

Comme un oiseau des bois couvé par des dindons,

Une enfant de seize ans! Ah! Marquise, marquise,

Quelle tête ingénue et quelle grâce exquise!

Comme elle était jolie avec ses cheveux blonds

Sous son petit bonnet, si soyeux et si longs,

Qu’une reine pour eux eût donné sa richesse!

Puis elle avait des pieds et des mains de duchesse;

Si bien que je doutai très fort de la vertu De sa grosse maman; j’aurais pour un fétu Vendu mes droits d’auteur, à la place du père.

Dieu! Qu’elle était jolie avec sa mine austère

Et pudique! Et durant quatre nuits et trois jours

Elle ne quitta pas mon chevet; et toujours

Je la voyais auprès de moi, tantôt assise,

Tantôt debout, lisant dans son livre d’église

Et priant, mais pour qui? Pour moi, pauvre blessé?

Ou pour un autre? Puis, son petit pied pressé

Allait, venait, trottait lestement par la chambre;

Et puis, de ses yeux clairs et dorés comme l’ambre,

Elle me regardait; car elle avait un oeil Jaune comme celui de l’aigle, et plein d’orgueil;

Et même j’éprouvai, quand je vous vis, marquise,

Pour la première fois, une grande surprise,

En retrouvant cet oeil et ce regard pareil Qu’on eût dit éclairé d’un rayon de soleil.

Elle était, sur ma foi, si fraîche et si jolie

Que, presque à mon insu, j’avais fait la folie

De me mettre à l’aimer. Mais voilà qu’un matin

J’entendis le canon gronder dans le lointain.

Mon hôte entra soudain; tout pâle et hors d’haleine:

«Les Bleus! Les Bleus! dit-il, ils vont cerner la plaine,

Sauvez-vous!» Cependant j’étais bien faible encor,

Mais je me dépêchai, car le temps pressait fort.

Comme un cheval frissonne au bruit de la trompette,

La fièvre du combat me montait à la tête.

Mais elle, tout de noir vêtue, et comme en deuil,

Quelques larmes aux yeux, m’attendait sur le seuil.

Elle tint l’étrier quand je me mis en selle;

En galant chevalier je me penchai vers elle,

Et déposai gaiement un baiser sur son front.

Elle se redressa comme sous un affront;

Un fauve éclair jaillit de sa fière prunelle,

Et rougissant de honte: «Ah!: Monsieur», me dit-elle.

Certes, elle n’était point ce que j’avais pensé;

Elle avait trop grand air, et j’avais offensé

Gauchement, lourdement, la noble jeune fille

L’enfant de quelque ancienne et fidèle famille

Que de vieux serviteurs cachaient au milieu d’eux,

Quand le père, avec nous, luttait contre les Bleus.

Ah! Je fis tout d’abord contenance assez sotte;

Mais j’étais, en ce temps, quelque peu Don Quichotte,

Et tous les vieux romans tournaient le cerveau.

Aussi, de mon cheval, descendant aussitôt

Je fléchis humblement un genou devant elle,

Et je lui dis: «Pardon, pardon, mademoiselle;

Ce baiser, croyez-moi, car je ne mens jamais,

N’est point d’un libertin ou d’un étourdi, mais,

Si vous le voulez bien, sera de fiançailles.

Je reviendrai, si le permettent les batailles,

Chercher gage d’amour que je vous ai laissé.»

Soit! dit-elle en-riant. Adieu! Mon fiancé.

Elle me releva; puis de sa main mignonne

M’envoyant un baiser: «Allez, on vous pardonne,

Dit-elle, et revenez bientôt, bel inconnu!»

Et je partis…

LA MARQUISE, tristement.

Et vous, n’êtes pas revenu?

LE COMTE

Mon Dieu! Non. Mais pourquoi? Je ne sais trop moi-même

Je me suis dit: Est-il possible qu’elle m’aime

Cette enfant que je vis un instant? Pour ma part

L’aimais-je? J’hésitais. J’arriverais trop tard,

Peut-être pour trouver ma belle jeune fille

Aimant quelque autre, aimée et mère de famille?

Et puis ce vain propos d’un fou, dit en passant,

Sans doute avait glissé sur elle, lui laissant

Un mignon souvenir, une douce pensée.

Et puis, la trouverais-je où je l’avais laissée?

M’étais-je pas trompé? Ne valait-il pas mieux Garder ce souvenir lointain, frais et joyeux,

La voir toujours telle que je me l’étais peinte,

Et ne point revenir et la revoir, de crainte

De ne trouver, hélas! Que désillusion?

Mais il m’en est resté comme une obsession,

Une vague tristesse au coeur, et comme un doute

D’un bonheur coudoyé, mais laissé sur ma route.

LA MARQUISE, avec des sanglots dans la voix.

Elle l’aurait peut-être aimé, cet inconnu?

Dieu seul le sait! Mais vous n’êtes point revenu.

LE COMTE

Marquise, aurais-je donc commis un si grand crime?

LA MARQUISE

Ne me disiez-vous point, tout à l’heure: «J’estime

Que l’homme est comme un fruit que Dieu sépare en deux.

Il marche par le monde; et, pour qu’il soit heureux,

Il faut qu’il ait trouvé, dans sa course incertaine,

L’autre moitié de lui; mais le hasard le mène;

Le hasard est aveugle et seul conduit ses pas;

Aussi, presque toujours, il ne la trouve pas.

Pourtant, quand d’aventure il la rencontre, il aime.

Et vous étiez, je crois, la moitié de moi-même

Que Dieu me destinait et que je cherchais, mais

Je ne vous trouvai pas, et je n’aimai jamais.

Puis voilà qu’aujourd’hui, nos routes terminées,

Le sort unit, trop tard, nos vieilles destinées.

Trop tard, hélas, car vous n’êtes pas revenu!

LE COMTE

Marquise, vous pleurez!

LA MARQUISE

Ce n’est rien, j’ai connu

La pauvre fille dont vous parliez tout à l’heure;

Ce récit m’attrista; voilà pourquoi je pleure.

Ce n’est rien.

LE COMTE

L’enfant qui jadis reçut ma foi,

Marquise, c’était vous!

LA MARQUISE

Eh bien! Oui, c’était moi…

Le comte se met à genoux et lui baise la main. Il est très ému.

LA MARQUISE

Allons, n’y pensons plus; il est un temps aux roses.

Notre vieux front pâli n’est plus fait pour ces choses.

Rirait bien qui pourrait nous voir en ce moment!

Relevez-vous; et pour finir ce vieux roman,

Souvenir du passé qui n’est plus de notre âge,

Tenez, comte, je vais vous rendre votre gage;

Je ne suis plus fillette et j’ai le droit d’oser.

Elle l’embrasse sur le front. Puis, avec un sourire triste.

Mais il a bien vieilli, votre pauvre baiser.

UNE REPETITION

(1880)

Guy de Maupassant

Personnages.

— M. DESTOURNELLES, 55 ans.

— Madame DESTOURNELLES, 25 ans.

— M. RENÉ LAPIERRE, 25 ans.

— Un domestique

Un salon. Portes au fond et à droite. Madame Destournelles, habillée en bergère Watteau, arrange sa coiffure devant la glace.

Scène Première

M. DESTOURNELLES, en redingote, prêt à sortir, entre par la porte de droite, et s’arrête stupéfait en apercevant sa femme.

M. DESTOURNELLES

Madame, qu’est-ce donc que cette mascarade?

Je comprends! Vous allez jouer quelque charade!

Mme DESTOURNELLES

Vous l’avez dit, monsieur.

M. DESTOURNELLES

Le costume est charmant.

Vous êtes adorable en cet accoutrement.

Mme DESTOURNELLES

Fi donc! Des compliments? Mais je suis votre femme,

À quoi bon?

M. DESTOURNELLES

La réplique est cruelle, madame.

Je dis la vérité simple, c’est mon devoir Et d’homme et de mari.

Mme DESTOURNELLES

Merci.

M. DESTOURNELLES

Peut-on savoir À quel sujet ma femme est devenue actrice,

Et poète peut-être, ou collaboratrice

De quelque auteur fameux? J’ignorais jusqu’ici Que l’art vous eût jamais

causé quelque souci.

Pardon. Et la charade?

Mme DESTOURNELLES

C’est une comédie.

M. DESTOURNELLES

Bravo! Vous chaussez donc le socque de Thalie?

Alors, si ce n’est point être trop indiscret,

Pourrais-je, en vous priant, connaître le sujet?

Mme DESTOURNELLES

Une églogue.

M. DESTOURNELLES

Parfait! C’est une bucolique!

Et, l’avez-vous choisie avec ou sans musique?

Mme DESTOURNELLES

Sans musique.

M. DESTOURNELLES

Tant pis!

Mme DESTOURNELLES

Et pourquoi, s’il vous plaît?

M. DESTOURNELLES

À mon avis du moins, c’eût été plus complet

Je suis très pastoral. Je trouve que sur l’herbe

Un petit air de flûte est d’un effet superbe.

Et puis tout vrai berger, étendu sous l’ormeau,

Ne doit chanter l’amour qu’avec un chalumeau.

C’est l’accompagnement forcé de toute idylle:

L’usage en est resté depuis le doux Virgile.

Mme DESTOURNELLES (ironique)

Je ne vous savais point si pétillant d’esprit.

J’avais, jusqu’à ce jour, méconnu mon mari.

À présent je voudrais vous faire prendre un rôle;

En marquis Pompadour vous seriez vraiment… Drôle.

M. DESTOURNELLES (un peu blessé)

Madame, c’est très vrai. Qui pourrait faire bien

Une chose à laquelle on n’entend juste rien?

Mme DESTOURNELLES

Vous en voulez beaucoup à cette comédie?

M. DESTOURNELLES

Certes; je n’aime pas les bergers d’Arcadie!

Et puis je veux laisser à chacun son métier.

Tout le monde, il est vrai, pourrait être portier;

Mais acteur… Oh non pas! Cela c’est autre chose.

Vous ignorez comment on rit, on marche, on cause

Quand on a, par hasard, un public devant soi.

Votre grand naturel est de mauvais aloi.

Mme DESTOURNELLES (nerveuse)

Je sais depuis longtemps cette vieille rengaine.

M. DESTOURNELLES (pédantesquement)

Le vrai dans un salon est du faux sur la scène,

Et le vrai sur la scène est faux dans un salon!

L’actrice, dans le monde, a souvent mauvais ton,

Je vous l’accorde, mais, quand vous prenez sa place,

Votre plus doux sourire a l’air d’une grimace.

Mme DESTOURNELLES (sèchement)

Et vos charmants conseils ont l’air impertinent.

Est-ce fini?

M. DESTOURNELLES

Non. Pas encore. - Maintenant,

Vos pièces de salon, fausses et précieuses,

Me prennent sur les nerfs, et me sont odieuses.

Voilà mon sentiment. Quant au petit monsieur Frisé, la bouche en coeur, et roide comme un pieu,

Débitant gauchement ses fades sucreries,

Autant fait par le ciel pour ces galanteries

Qu’un âne pour chanter une chanson d’amour;

Commerçant le matin, et le soir troubadour,

Qui, calculant le prix ou des draps ou des toiles,

Répète vaguement des couplets aux étoiles,

Et quitte son comptoir d’un petit air léger Pour prendre la houlette et devenir berger,

C’est un sot le matin, et le soir c’est un cuistre

Dont le rire est stupide et la grâce sinistre!

Encore, eussiez-vous pris quelque morceau plaisant

Qui, sans prétention, pourrait être amusant!

Mais choisir une églogue! Et quelle mise en scène?

C’est dans ces prés fleuris où serpente la Seine.

Ce salon représente un champ, frais et coquet.

Pour plus de vraisemblance on y pose un bouquet

À droite est une dame habillée en bergère;

Elle écoute, effeuillant un rameau de fougère,

Un monsieur costumé; c’est un petit marquis;

Il porte lourdement un habit rose exquis,

S’incline, et dans la main il tient une houlette

Qu’il présente à la dame avec un air fort bête.

— Trois tabourets épars simulent des brebis -

Tout est faux, le décor, les gens et les habits,

Est-ce vrai? Ce dindon, enfin, qui fait la roue,

Doit vous baiser la main, quand ce n’est point la joue,

Et par cette faveur son orgueil attisé

À d’autres libertés se croit autorisé.

Puis ces longs tête-à-tête où l’on feint la tendresse;

Où l’honnête femme a des rôles de maîtresse…

Il hésite et cherche ce qu’il doit dire.

Sont d’un mauvais exemple aux gens de la maison.

Mme DESTOURNELLES (très blessée)

Vraiment! Je n’aurais pas prévu cette raison!

Mais comme je veux être une femme soumise,

Que je ne veux pas voir ma vertu compromise

Aux yeux de Rosalie ou de votre cocher,

Je renonce à jouer.

M. DESTOURNELLES (haussant les épaules)

Bon! Pourquoi vous fâcher?

Mme DESTOURNELLES (la voix tremblante, exaspérée)

Rien que ce tête-à-tête à présent m’épouvante!

Personne encor sur moi n’a rien dit, je m’en vante!

Songez: si le concierge apprend par un valet

Qu’un jeune homme à pieds fut vu; qu’il me parlait

D’amour, et qu’il avait la perruque poudrée,

La nouvelle en ira par toute la contrée.

Le facteur, en donnant ses lettres chaque jour,

Distribuera ce bruit aux portes d’alentour:

Il ira grossissant de la loge aux mansardes.

Et tous, du balayeur de la rue aux poissardes

Qui roulent leur voiture avec les: “ce qu’on dit”

Me toiseront, des pieds au front, d’un air hardi!

M. DESTOURNELLES (embarrassé, humble)

Voyons, si j’ai tenu quelque propos maussade,

Ce n’était, après tout, qu’une simple boutade.

Mme DESTOURNELLES (suffoquant, les larmes aux yeux)

Je sais que nous devons tout supporter, soupçons,

Injures, mots blessants de toutes les façons!

Nous devons obéir à la moindre parole,

Etre humbles et toujours douces; c’est notre rôle,

Je le sais; mais enfin ma douceur est à bout.

Nos maîtres… Nos maris, qui se permettent… Tout,

Rôdent autour de nous ainsi que des gendarmes,

Nous accusent sans cesses, espionnent…

M. DESTOURNELLES (caressant)

Pas de larmes,

Je t’en prie; et faisons la paix. Pardon, C’est vrai,

Je fus brutal et sot… Je l’avoue, et suis prêt

A tout ce qu’il faudra pour que tu me pardonnes.

Tiens, je baise tes mains. Comme elles sont mignonnes!

J’y veux mettre ce soir deux gros bracelets d’or;

Mais tu joueras. - M’as-tu pardonné?

Mme DESTOURNELLES (très digne)

Pas encore.

M. DESTOURNELLES

Non? Mais bientôt.

Mme DESTOURNELLES (de même)

Qui sait?

Scène 2

Les mêmes, René LAPIERRE en marquis Louis XV.

UN DOMESTIQUE (annonçant)

Monsieur René Lapierre.

M. RENÉ (entrant)

En marquis Louis Quinze.

M. DESTOURNELLES

Ah! Votre partenaire;

Au revoir.

(saluant M. Lapierre)

Beau marquis.

M. RENÉ

Monsieur, pour vous servir.

M. DESTOURNELLES

Le costume est charmant et vous sied à ravir.

Il sort. René baise la main de Madame Destournelles.

Scène 3

MADAME DESTOURNELLES, M. RENÉ.

Mme DESTOURNELLES (nerveuse, la voix sèche)

Au moins, avez-vous bien retenu votre rôle?

M. RENÉ

Je n’en oublierai point une seule parole.

Mme DESTOURNELLES

Alors nous commençons puisque vous êtes prêt:

Je suis seule d’abord. Le marquis apparaît.

Sans me voir il arrive au milieu de la scène;

Pendant quelques instants il rêve et se promène;

Et puis il m’aperçoit. Nous y sommes?

M. RENÉ

J’y suis.

Elle s’assied sur une chaise basse. Il s’approche d’elle avec des grâces

prétentieuses.

Mme DESTOURNELLES

Soyez plus libre et plus naturel.

M. RENÉ (s’arrêtant)

Je ne puis;

J’en suis fort empêché, car mon habit me gêne.

Son épée se prend entre ses jambes.

Mme DESTOURNELLES (sèchement)

Votre rapière va s’échapper de sa gaine.

Vous paraissez épais et lourd. Recommençons.

(Il fait le même manège que tout à l’heure, mais d’une façon encore plus maniérée.)

Vous n’avez pas besoin de toutes ces façons,

Monsieur.

M. RENÉ (vexé)

Je voudrais bien vous voir prendre ma place,

Madame. Comment donc voulez-vous que je fasse?

Mme DESTOURNELLES (impatiente)

Comme si vous étiez un marquis naturel;

Un vrai marquis. Quittez cet air trop solennel,

Et marchez simplement comme un monsieur qui passe.

Relevez quelque peu votre épée, avec grâce;

Une main sur la hanche; et puis promenez-vous,

Sans avoir tant de plomb fondu dans les genoux.

Vous êtes empesé comme un dessin de mode.

M. RENÉ

Si je ne portais point cet habit incommode…

Mme DESTOURNELLES

Vous me faites l’effet d’un marquis croque-mort,

Soyez donc gracieux.

Il recommence.

M. RENÉ

Est-ce bien?

Mme DESTOURNELLES

Pas encore.

Que l’homme est emprunté! Dire que toute femme,

J’entends femme du monde, est actrice dans l’âme.

La femme de théâtre est gauche, et ne sait pas

Sourire, se lever, s’asseoir, ou faire un pas

Sans paraître tragique. Un rien les embarrasse.

Cela ne s’apprend point, c’est affaire de race.

On peut acquérir l’art, mais non le naturel.

Par l’étude on devient ce que fut la Rachel Qui demeura toujours roide ou prétentieuse,

Souvent fort dramatique, et jamais gracieuse.

Moi, j’ai joué deux fois, et j’eus un succès fou.

J’avais une toilette exquise, un vrai bijou.

On m’applaudit, c’était comme une frénésie;

J’ai cru que je ferais mourir de jalousie

Madame de Lancy qui jouait avec moi.

Je disais quelques vers: je ne sais plus trop quoi;

Quelque chose de drôle et qui fit beaucoup rire.

Mais, la deuxième fois, je n’avais rien à dire;

Je faisais une bonne apportant un plateau

Où devait se trouver un verre rempli d’eau.

J’apportai le plateau; mais j’oubliai le verre.

L’acteur me regarda d’une façon sévère;

Le public se tordait; alors je m’aperçus

Que j’avais le plateau voulu, mais rien dessus.

Ma foi, je n’y tins pas, j’ai ri comme une folle.

Le monsieur n’a pas pu reprendre la parole

Tant on était joyeux. On a ri tout le temps!

(se tournant vers René qui la regarde fixement en l’écoutant)

Mais que faites-vous donc, Monsieur, je vous attends?

M. RENÉ

Madame, j’écoutais.

Mme DESTOURNELLES

C’est moi qui vous écoute.

Vous n’avez pas de temps à perdre. Allons, en route.

Eh bien?

M. RENÉ (après une longue hésitation)

Je ne sais plus du tout le premier vers.

Mme DESTOURNELLES (furieuse)

Monsieur, vous commencez à m’agacer les nerfs.

M. RENÉ

Quand j’aurai le premier, tous viendront à la suite.

Mme DESTOURNELLES

Certes, ils viendront. À moins qu’ils ne prennent la fuite.

M. RENÉ (se frappant le front)

Comme on oublie! Allons, soufflez-moi, rien qu’un peu.

Mme DESTOURNELLES

Ah! Puissé-je, en soufflant, rallumer votre feu.

Elle souffle.

M. RENÉ (il récite avec embarras)

Je te vis, charmante bergère,

Assise, un jour, sur la fougère;

Oui, là-bas, je te vis un jour;

Et tout mon coeur brûla d’amour;

Non point de flamme passagère