L'Ombre de la Mort - Amélie Frey - E-Book

L'Ombre de la Mort E-Book

Amélie Frey

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Beschreibung

Dans un monde ravagé par la fièvre démoniaque, la survie est une lutte quotidienne. Palmyre, armée d'une dague et déterminée à venger ses parents, parcourt des terres où la mort rôde. Abaka, fils d'apothicaires, cherche les siens, disparus en aidant un village en détresse. Leurs chemins se croisent. Face aux soldats impitoyables et aux ravages de la maladie, ils comprennent que seule leur alliance peut leur offrir une chance de survie.

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Seitenzahl: 193

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Avertissement de contenu

(Trigger Warning)

Ce roman contient des thèmes et des scènes susceptibles de heurter la sensibilité de certains lecteurs.

Les thèmes abordés incluent :

Le deuil et la perte d’un être cher ;

La vengeance et ses conséquences émotionnelles ;

Des scènes de violence physique et psychologique ;

Des confrontations avec des questions existentielles et la mort personnifiée.

À noter :

Certaines scènes, dès le début du roman, peuvent être émotionnellement difficiles pour les lecteurs sensibles.

Ce livre explore des émotions profondes et complexes, avec une narration intense et des choix difficiles pour les personnages.

Si ces thèmes peuvent vous affecter, nous vous encourageons à lire ce livre avec prudence et à vous arrêter si nécessaire.

Prenez soin de vous et de votre bien-être.

TABLE DES MATIÈRES

1. Début d’un voyage

2. Abaka

3. Survie

4. Le petit apothicaire

5. Éthique ou légalité

6. Un autre monde

7. Désolation

8. Une rencontre

9. Réveil douloureux

10. Chasse à l’homme

11. En fuite

12. Voyage en mer

13. Tidehaven

14. Au galop

15. Connaissances

16. Combat royal

17. Un voyage

18. Midfort

19. Une nouvelle vie

Remerciements

1. DÉBUT D’UN VOYAGE

— Palmyre ! m’interpelle madame Bailey, une amie de mon père et de ma mère, aux cheveux grisonnants.

— Bonjour, dis-je, un sourire sincère dessiné sur mon visage.

— Comment se portent tes parents ? J’espère que leur état s’améliore, chuchote-t-elle d’une voix si basse que je parviens à peine à l’entendre.

— Oui, ils vont mieux. Ce soir, nous mangeons de la soupe. Je suis allée chercher quelques épices et des légumes afin qu’elle soit meilleure. Je n’ai pas le talent de maman pour entretenir le jardin.

Alors que nous parlons, un officier, pourvu d’une armure couvrant la partie inférieure de son visage, tapissée d’un morceau de tissu, interrompt notre échange.

— Jeune fille ! Savez-vous quand les épées commandées à votre père par la garde seront prêtes ? Ses activités dans la forge sont, pour le moins, discrètes. En fait, je ne le vois jamais à la tâche !

— Oui, monsieur, il a pris quelques jours pour se reposer. Vous aurez vos lames dès que possible.

L’homme part sans un merci.

— Et vous ? Comment allez-vous ? demandé-je à mon amie.

— Ah, vous savez, les temps sont durs, le froid commence à arriver, les récoltes sont moindres et il devient difficile de trouver de quoi manger même dans les restaurants du village.

— Il est vrai que le prix de la nourriture a augmenté. J’ai tout juste de quoi faire une soupe et cela m’a coûté une vingtaine de jetons d’obsidienne. Par chance, le métier de papa nous permet de vivre aisément.

— Je vous souhaite bon courage. Transmettez mes salutations à vos parents.

— Merci beaucoup, madame. Nous ne manquerons pas de venir vous voir quand tout cela sera derrière nous.

Il est l’heure de se mettre en route, préparer le repas sera long. Je n’ai besoin que de quelques minutes pour arriver à la maison. Les joies de la vie au centre-ville, tout y est à disposition.

Le sac tout juste posé sur la table, quelqu’un frappe à la porte. Sûrement un client de papa. Je n’ai pas le temps de me retourner qu’un vacarme assourdissant retentit. Aussitôt, un groupe de trois soldats armés de lourdes épées, de boucliers massifs et portant une armure similaire à celle de l’officier font leur apparition. Une odeur particulièrement désagréable les accompagne. L’un d’eux se dirige vers moi tandis que les deux autres vont d’emblée dans la chambre des malades, comme s’ils connaissaient parfaitement les lieux. Un frisson me parcourt l’échine, je tente de les suivre. Je leur crie de ne pas leur faire de mal, que mes parents sont sur le point de guérir. Une silhouette sombre à l’extérieur attire mon attention. La couleur de ses vêtements reflète à la perfection le désespoir de la situation. L’apercevoir provoque une sensation étrange qui traverse mon corps. Quelque chose que je n’avais encore jamais ressenti jusque-là. Cela m’importe finalement peu, qui que tu sois, par pitié, viens-moi en aide !

Profitant de mon moment de distraction, celui qui était resté à mes côtés me frappe violemment au plexus. Mes poumons se vident de l’air qu’ils contenaient. La douleur qui se propage dans mon thorax me fait tomber à genoux. Essayant d’ingérer un peu d’oxygène, je sens ma gorge et ma poitrine se serrer. Un goût métallique envahit ma bouche.

Les deux soldats sortent de la chambre.

— Les deux malades sont déjà morts. Nous allons inspecter les autres habitations avant d’appeler le service pour ramasser les corps, déclare l’un d’eux.

— Prenez votre temps, je vais m’amuser un peu avec la gamine, répond celui qui vient de me frapper pendant que ses collègues quittent la pièce pour se rendre à l’étage.

Mes parents ? Morts ? Non, ils allaient encore très bien lorsque je me suis absentée. Ils ne peuvent pas succomber, s’ils disparaissent, je suis seule. Je ne veux pas être orpheline ! Ils ont dû faire semblant en entendant les soldats entrer dans la maison.

Tirée hors du sol par mon vieux haut déformé, je suis poussée contre un mur. L’homme porte ses doigts à la ceinture de son uniforme. Les boutons de son pantalon défaits, je comprends ce qu’il va arriver si je reste là. Je lui assène un violent coup de genou dans son intimité. Le choc est suffisamment brutal pour le faire réagir, ses mains viennent couvrir l’endroit douloureux. J’en profite et me précipite en direction de la porte qui mène vers l’extérieur. Je n’ai pas le temps de l’atteindre que le soldat revient en force et me saisit par derrière, empêchant toute fuite. Il serre ensuite violemment ma gorge, mes tentatives de lutte pour respirer sont inefficaces. Je dois le pousser à me lâcher ! Aucun filet d’air ne parvient à mes poumons, je frappe, je griffe la peau de mon agresseur pour m’extraire de son emprise, en vain. Ma vue se trouble dans un voile blanc, mais je ne cesse mes efforts de libération ! J’ai de moins en moins de force pour résister, mes coups deviennent de plus en plus faibles. Mes yeux se ferment, et rapidement après ça, je tombe dans l’inconscience.

Un peu plus tard

Ma tête me fait souffrir. Je frotte mes yeux avant de les ouvrir, ne m’expliquant pas comment il est possible que je sois toujours en vie. Quand la pièce où j’ai grandi se dévoile sous mon regard encore embrumé, j’aperçois les cadavres des trois soldats sur le sol. Je comprends assez vite qu’il va falloir que je fuie. Je commence à courir en direction de la porte d’entrée restée grande ouverte. Lors de mon passage, j’attrape une dague laissée là par mon père en cas de problème. Je le prenais pour quelqu’un d’un peu fou et trop protecteur. Qui allait sérieusement vouloir rentrer chez nous en pleine nuit ? Finalement, cette habitude me sauvera peut-être la vie. C’est munie de cette simple dague que je quitte la demeure qui m’a vue grandir.

Hors de la maison, d’autres soldats s’approchent et découvrent les corps de leurs collègues. Je dois fuir ! Partir loin ! Je dois survivre !

Ils sont à mes trousses, je ne peux perdre plus de temps. Je dois absolument trouver un endroit où me cacher. Mes yeux parcourent les alentours alors que mon cœur bat à tout rompre : des habitations, des gens affolés en me voyant courir. Il faut dire que, de nos jours, le seul moment où l’on aperçoit quelqu’un filer de la sorte, c’est en réalité une personne qui tente d’échapper aux forces de l’ordre. En général, c’est soit parce qu’elle a volé, soit parce qu’elle a commis l’erreur d’être de la famille proche d’un malade de la fièvre démoniaque.

Mon regard cherche le moindre détail, mais ne trouve rien, rien qui pourrait me venir en aide. Vais-je finir comme tous ces fuyards que j’ai pu voir se faire tuer sans la plus petite émotion de la part de leurs bourreaux ?

Des mères cachent les yeux de leur enfant à mon approche. Qui sait quand ma vie prendra fin ? Il serait dommage de les traumatiser, eux qui sont si jeunes.

Mes poursuivants gagnent du terrain. J’accélère le pas, toujours à la recherche d’une planque, d’un endroit où je pourrais patienter le temps de me faire oublier et de réfléchir à mon avenir, si vraiment il m’en reste un !

Je finis par apercevoir la personne qui me sauvera peut-être la vie.

— Palmyre, ici !

Un vieil ami de mon père me fait signe de venir et soulève une plaque recouvrant un trou présent dans son jardin. Sans tergiverser, je me glisse sous cette trappe, l’homme referme aussitôt le passage derrière moi. Un léger espace me permet d’observer ce qu’il se passe à l’extérieur.

— Dès que tu peux, file dans la forêt, chuchote-t-il.

Tout le monde quitte les lieux, l’endroit devient désert en quelques secondes. Les forces de l’ordre prennent la place des fuyards avant que le vieil homme n’ait eu le temps de partir.

Il ne reste donc plus que cette connaissance et les soldats à ma poursuite pour peupler la rue. Je parviens enfin à reprendre mon souffle tout en regardant la scène qui se déroule sous mes yeux.

L’un des soldats s’approche de l’homme qui m’a aidée et s’adresse à lui d’une voix glaciale et imposante.

— Savez-vous où se trouve la fugitive ? C’est une personne très dangereuse.

— Une fugitive ? Non, ça ne me dit rien, vous m’en voyez navré.

— Je rencontre quelques difficultés à vous croire. Nous l’avons vue se diriger par ici, tout le monde a détalé, sauf vous. Vous l’avez forcément aperçue.

— Non, je vous assure que je n’ai rien…

Avant que mon sauveur n’ait le temps de finir sa phrase, la lame du soldat vient transpercer son abdomen. Il tombe par terre, sa bouche crachant du sang cache maintenant le trou qui me permettait de voir l’extérieur. Mes yeux ne parviennent pas à décrocher de cette vision d’horreur. Mes jambes sont incapables de me tenir plus longtemps et mon corps glisse sur le sol. Je retiens mes sanglots, le moindre bruit de ma part rendrait ce sacrifice inutile.

J’entends les soldats fouiller chaque recoin de la rue, frapper à chaque porte, terroriser les habitants. Par chance, ils ne semblent pas découvrir ma cachette. Cependant, comme si mes yeux me jouaient des tours, j’aperçois au-dessus de l’épaule du cadavre de mon ami la même silhouette présente lorsque je me trouvais encore dans la maison. Je la vois s’approcher du corps sans parvenir à distinguer un visage puis repartir, ne se préoccupant pas de tout ce qui se trame autour de nous.

Après un temps qui me paraît interminable, le silence revient dans l’allée, laissant supposer que mes traqueurs ont quitté les lieux.

J’attends quelques minutes afin d’être sûre que la voie est libre, sors de mon trou en décalant le corps sans vie et cours en direction de la forêt.

L’arche annonçant la fin du village se trouve devant moi. Un sentiment de libération m’envahit quand enfin je la franchis. Le chemin continue tout droit, mais me concernant, je vais à gauche et m’enfonce dans la lisière, utilisant les broussailles pour cacher mon passage.

Une fois loin de la ville, je m’assois au pied d’un arbre et pleure la mort de mes parents, de cet homme qui était un ami de mon père, qui a sacrifié sa vie pour sauver la mienne.

Au bout d’un temps que je ne saurais quantifier, je reviens à moi.

— Je dois partir et trouver un village où vivre en sécurité.

2. ABAKA

— Voilà pour vous, monsieur, rentrez bien.

— Je vous remercie. À bientôt, prenez soin de vous et de votre famille, répond monsieur Jacquet, un vieil homme à l’allure élégante, souffrant de rhumatismes.

— Bonjour, madame, comment puis-je vous être utile ? demande ma maman, s’adressant à la nouvelle cliente qui attend depuis déjà plusieurs minutes.

— Bonjour, voilà quelques jours qu’une toux terriblement douloureuse me gâche la vie, annonce-t-elle, finissant sa phrase en crachant ses poumons, faisant jaillir quelques gouttelettes sanglantes.

— Votre cas est grave, nous allons uniquement pouvoir atténuer vos douleurs, mais cela me paraît trop important pour que nous ayons la capacité de vous soigner. Peut-être pourriez-vous vous déplacer dans une ville plus grande, parfois certains médecins y exercent encore.

— Vous êtes tous plus inutiles les uns que les autres ! fulmine la femme tout en raclant sa gorge avant de quitter l’établissement en furie.

À peine a-t-elle franchi la porte qu’une énième personne entre. C’est un homme à bout de souffle, le front en sueur, mais cela ne semble pas dû à une maladie. Qui est-il ?

— Suis-je… Suis-je bien chez… monsieur et madame… Anderson ? s’enquiert-il.

— Oui, que se passe-t-il ? lui répond maman d’une voix douce.

— Votre réputation se fait entendre dans tout le pays, beaucoup d’habitants dans notre village sont mal-en-point. On m’a envoyé ici pour vous demander de nous venir en aide. Vous êtes notre seul espoir ! Le seigneur a fui avec l’argent au début de l’épidémie, laissant Lintown à l’abandon. Jusque-là, nous avons réussi à chasser les malotrus qui voulaient prendre le contrôle de la commune. Cependant, les attaques se font de plus en plus régulières et la maladie se propage au sein de la population. Nous ne tiendrons plus très longtemps sans soins. Nous avons vraiment besoin de votre aide ! supplie l’homme.

— Ne vous inquiétez pas, nous allons venir vous aider ! annonce ma mère, faisant asseoir le voyageur.

— Abaka, prépare nos affaires, il nous faut des remèdes contre la fièvre, les maux de tête, tout ce qui peut nous être utile contre cette maladie, demande mon père.

— Tout de suite, papa.

Sans perdre une seconde, j’attrape un sac et y glisse tout ce qui pourrait leur servir : des traitements déjà prêts, mais aussi des plantes séchées pour en concocter. Pendant ce temps, il s’occupe de la valise. Je fais le constat qu’il n’y place aucun vêtement m’appartenant.

Et moi ? Pourquoi ne prépares-tu pas — mes affaires ? l’interrogé-je.

— Tu dois rester là. L’endroit où nous allons est dangereux. Des attaques ont souvent lieu. Tu seras beaucoup plus en sécurité ici à gérer l’officine et la boutique. Les habitants de Nidonton requièrent également des soins. Ils compteront sur ta présence durant notre absence.

— Et j’ai besoin de vous, moi ! le supplié-je

— Tu as dix ans, cesses de faire l’enfant. Tu es grand maintenant et tu as des responsabilités !

C’est sur ces paroles que mon père ferme la valise et la transporte vers la calèche avec laquelle ils vont voyager. Il dépose les affaires à l’intérieur, aide maman à monter avant de lui-même entrer.

— Nous serons de retour dans quelques jours, annonce ma mère alors que je lui donne le sac contenant soins et remèdes.

Après ce court échange, ils partent accompagnés de l’homme venu demander leur aide. C’est dans un nuage de poussière créé par le frappement des sabots contre le sol en terre sèche que je vois disparaître le visage de mes parents.

Lors de mon retour, la tête basse, dans la boutique, je constate qu’une dizaine de personnes sont entrées et attendent leurs traitements.

— Bonjour, mon garçon, aurais-tu le remède préparé par tes parents ? Ils m’ont dit de venir le chercher aujourd’hui.

— Avez-vous la note avec son nom, s’il vous plaît ?

— Bien sûr, la voici, acquiesce-t-il.

Le vieillard me tend une feuille qui indique ce dont il a besoin. Je pars dans l’arrière-boutique. Plusieurs sachets en toile sont disposés sur l’étagère destinée aux soins réservés pour les patients.

— Vous êtes monsieur ? demandé-je, hurlant à travers les murs de l’officine.

— Je suis monsieur Imwolf, me répond-il en m’épelant son nom.

J’aperçois le petit sac prévu pour lui. Il semble s’agir d’épervière piloselle, sûrement souffre-t-il d’affection respiratoire ou de diarrhée.

Le traitement en main, je retourne vers le vieillard.

— Cela fera dix jetons d’obsidienne, s’il vous plaît.

— Les voici, dit-il en déposant la monnaie sur le comptoir et en saisissant son remède au passage.

— Soignez-vous bien, et à bientôt.

Une femme du même âge que le patient précédent s’avance.

— Madame, que puis-je pour vous ?

— Je suis atteinte de douleurs abdominales récurrentes, ça ne peut plus durer.

— Très bien, je vous apporte ça de suite.

De retour dans l’arrière-boutique, j’aperçois une bourse dans laquelle se trouve de l’oseille. Une plante dont mes parents auront forcément besoin lors de leur voyage.

J’attrape le contenant, mais aussi quelques tiges de grandes orties et retourne auprès de la femme souffrante.

— Voici de l’ortie, un peu en infusion et ça ira mieux.

— Merci, mon garçon, combien te dois-je ?

— Ça fera sept jetons d’obsidienne.

— En voilà dix, tu peux garder la monnaie pour t’acheter des friandises, annonce-t-elle en posant son argent sur le comptoir d’une main tremblante.

Sans perdre de temps, je saisis les pièces et mon sac, invite tout le monde à quitter la boutique. Je tiens la porte ouverte laissant chacun d’entre eux sortir en râlant contre mon manque de professionnalisme et l’incivisme chez les jeunes.

Une fois tous dehors, je ferme à clé l’officine et me presse en direction de l’écurie. Avec un peu de chance, en partant maintenant, si je trouve un cheval en ville, je parviendrai à les rattraper.

Rapidement, j’arrive face au maquignon et lui explique la situation.

— Désolé, je ne confie pas mes animaux aux gosses.

— Je dois absolument l’avoir pour rejoindre mes parents, ils ont besoin de ce remède.

— Ça ne change pas le fait que tu sois un enfant et que mes bêtes ne sont pas des jouets. Alors, rentre chez toi t’amuser avec tes épées en bois et laisse-moi travailler, gamin.

C’est le cœur plein de rage que je m’éloigne de l’homme, conscient que je ne parviendrai pas à lui faire entendre raison. Jusqu’au moment où j’aperçois une personne quitter à cheval l’écurie à l’opposé du patron.

Une sortie est possible sans passer devant le maquignon ! Sans réfléchir plus longtemps, je tente le coup et m’infiltre à l’intérieur du bâtiment.

Les chevaux attendent sagement d’être sellés. Ayant l’habitude de préparer les montures de mes parents, je place l’équipement sur le dos de l’équidé le plus loin possible du responsable sans me faire voir du palefrenier et m’enfuis avec l’animal, prêt à rejoindre Lintown.

3. SURVIE

Une nouvelle journée commence et un retour au village, aujourd’hui, est impératif. Comme à chaque fois, ça ne sera pas une partie de plaisir, mais il faut y aller. Impossible de savoir combien de temps cela prendra pour trouver des vivres, en espérant que le trajet soit plus fructueux que la dernière fois. Mais d’abord, prenons des forces. Cette pomme fera l’affaire. Je croque quelques morceaux en sortant de mon habitation temporaire. Mes yeux sont éblouis par le soleil qui commence à apparaître entre les arbres, dans un joli ciel bleu et dégagé. Cette journée ne sera peut-être pas si mauvaise en fin de compte. Je lance mon trognon et m’approche de la rivière qui coule paisiblement à quelques mètres.

Je lâche mon arme sur le sol et m’installe à genoux face au fleuve, fais un brin de toilette, et en profite pour me désaltérer. L’eau ruisselante, si fraîche, caresse mon visage marqué par ces six dernières années de voyage et le reflète. Mes cheveux en bataille commencent à être longs, peut-être qu’il faudrait les couper. Ma lame, émoussée par le temps et les entraînements, en main, je me mets debout et l’agite, frappe le vent de quelques mouvements. Mes gestes gagnent en fluidité au fil du temps. Je dois devenir plus forte pour venger mes parents !

Je rejoins un arbre derrière ma demeure et l’utilise comme cible de travail. Mes coups heurtent violemment le feuillu. J’esquive des attaques imaginaires et les contre. J’effectue cet exercice plusieurs minutes, puis range la dague dans son fourreau avant de commencer une course que je fais en longeant la rivière. Sur le chemin, je croise ce garçon à la peau pâle et aux cheveux châtain clair et lisses à hauteur de ses lobes, et aux yeux bleu-saphir. Il a toujours un morceau de tissu rabattu sur la partie inférieure de son visage, noué à l’arrière de son crâne passant au-dessus de ses oreilles. Je ne crois pas l’avoir aperçu une fois sans cette chose. Cette personne, qui, sans savoir pour quelle raison, vient plusieurs fois par semaine me rendre visite.

— Tu vas bien ? me demande-t-il avec un sourire.

Je l’ignore et poursuis ma course.

— Je t’ai apporté des fruits, je vais les poser dans ta tente, ajoute-t-il en négligeant ma froideur.

Je continue mon exercice en m’éloignant de l’eau et du garçon. Je suis un chemin de terre dessiné au sol parmi les branchages et la verdure. En quelques minutes, l’entrée de Bexley se trouve face à moi. Je place ma capuche sur ma tête et remonte mon écharpe devant ma bouche et mon nez.

Je franchis ensuite l’arche indiquant que nous sommes dans le village. Au fil de mes visites, j’y aperçois de moins en moins d’habitants. Une fumée embaume les rues, l’odeur qui l’accompagne est immonde. Les maisons en pierre dans un premier temps grises, pour le peu que je peux le voir, sont en partie recouvertes d’une couche de suie. Les échoppes sont presque toutes fermées, seuls quelques commerçants courageux continuent leur travail. Étonnant qu’ils n’aient pas subi d’attaques de la part de voyous désespérés.

Je marche jusqu’à une demeure abandonnée, j’aperçois au loin une silhouette que je connais que trop bien. Elle s’éloigne du bâtiment à allure lente. Sans perdre de temps, mes jambes se dirigent à toute vitesse en direction de l’ombre. Arrivée à proximité de l’endroit où se trouvait la personne, je me tourne et observe chaque recoin à sa recherche, en vain. À mes pieds, un homme sans vie dégage une légère chaleur, il a été tué il y a peu. Encore une victime de cet être immonde !

Je regagne l’habitation. En y entrant, je reste attentive au moindre danger qui peut se cacher à l’intérieur. Des corps inanimés jonchent le sol, ce spectacle épouvantable est devenu si courant ici. Je ne prends pas le temps de m’apitoyer sur leurs sorts et me rends immédiatement dans la cuisine. Il doit bien y avoir de quoi manger quelque part.

Inspectant les placards à la recherche d’un peu de nourriture ou de quoi que ce soit qui pourrait m’être utile, je découvre quelques bocaux de légumes qui sont conservés dans du vinaigre, d’autres contiennent du blé. Il y en a trop pour tout transporter à la main, et un tel butin me permettrait de m’alimenter pendant deux, peut-être trois semaines. Il est impensable de partir en laissant ici le moindre vivre. Je fouille la maison à la recherche d’une besace pour y mettre mes trouvailles.