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Charles Darwin.

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Beschreibung

"L'Origine des espèces" est un ouvrage scientifique de Charles Darwin, publié le 24 novembre 1859 pour sa première édition anglaise sous le titre L'Origine des espèces au moyen de la sélection naturelle ou la préservation des races favorisées dans la lutte pour la survie.

"L'Origine des espèces" est considéré comme le texte fondateur de la théorie de l'évolution et sa publication a marqué une révolution intellectuelle, comparable à celle qui est associée au nom de Copernic et de Galilée. En proposant une "théorie de la descendance avec modification" et de la "sélection naturelle", Charles Darwin apportait des réponses aux questions qui préoccupaient les naturalistes de son époque. Le caractère radical de ses réponses aussi bien que les problèmes qu'elles laissaient en suspens, ont alimenté d'emblée polémiques et controverses.

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Charles Darwin

L'Origine des espèces

table des matières

L'ORIGINE DES ESPÈCES

INTRODUCTION.

Chapitre 1 - DE LA VARIATION DES ESPÈCES À L’ÉTAT DOMESTIQUE.

CAUSES DE LA VARIABILITÉ.

EFFETS DES HABITUDES ET DE L’USAGE OU DU NON-USAGE DES PARTIES ; VARIATION PAR CORRELATION ; HÉRÉDITÉ.

CARACTÈRES DES VARIÉTÉS DOMESTIQUES ; DIFFICULTÉ DE DISTINGUER ENTRE LES VARIÉTÉS ET LES ESPÈCES ; ORIGINE DES VARIÉTÉS DOMESTIQUES ATTRIBUÉE À UNE OU À PLUSIEURS ESPÈCE.

RACES DU PIGEON DOMESTIQUE, LEURS DIFFERENCES ET LEUR ORIGINE.

PRINCIPES DE SÉLECTION ANCIENNEMENT APPLIQUÉS ET LEURS EFFETS.

SÉLECTION INCONSCIENTE.

CIRCONSTANCES FAVORABLES À LA SÉLECTION OPERÉE PAR L’HOMME.

Chapitre 2 - DE LA VARIATION À L’ÉTAT DE NATURE.

VARIABILITÉ.

DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES.

ESPÈCES DOUTEUSES.

LES ESPÈCES COMMUNES ET TRÈS RÉPANDUES SONT CELLES QUI VARIENT LE PLUS.

LES ESPÈCES DES GENRES LES PLUS RICHES DANS CHAQUE PAYS VARIENT PLUS FRÉQUEMMENT QUE LES ESPÈCES DES GENRES MOINS RICHES.

BEAUCOUP D’ESPÈCES COMPRISES DANS LES GENRES LES PLUS RICHES RESSEMBLENT À DES VARIÉTÉS EN CE QU’ELLES SONT TRÈS ÉTROITEMENT, MAIS INÉGALEMENT VOISINES LES UNES DES AUTRES, ET EN CE QU’ELLES ONT UN HABITAT TRES LIMITÉ.

RÉSUMÉ.

Chapitre 3 - LA LUTTE POUR L’EXISTENCE.

L’EXPRESSION : LUTTE POUR L’EXISTENCE, EMPLOYÉE DANS LE SENS FIGURÉ.

PROGRESSION GÉOMÉTRIQUE DE L’AUGMENTATION DES INDIVIDUS.

DE LA NATURE DES OBSTACLES À LA MULTIPLICATION.

RAPPORTS COMPLEXES QU’ONT ENTRE EUX LES ANIMAUX ET LES PLANTES DANS LA LUTTE POUR L’EXISTENCE.

LA LUTTE POUR L’EXISTENCE EST PLUS ACHARNÉE QUAND ELLE A LIEU ENTRE DES INDIVIDUS ET DES VARIÉTÉS APPARTENANT À LA MÊME ESPÈCE.

Chapitre 4 - LA SÉLECTION NATURELLE OU LA PERSISTANCE DU PLUS APTE.

SÉLECTION SEXUELLE.

EXEMPLES DE L’ACTION DE LA SÉLECTION NATURELLE OU DE LA PERSISTANCE DU PLUS APTE.

DU CROISEMENT DES INDIVIDUS.

CIRCONSTANCES FAVORABLES À LA PRODUCTION DE NOUVELLES FORMES PAR LA SÉLECTION NATURELLE.

LA SÉLECTION NATURELLE AMÈNE CERTAINES EXTINCTIONS.

DIVERGENCE DES CARACTÈRES.

EFFETS PROBABLES DE L’ACTION DE LA SÉLECTION NATURELLE, PAR SUITE DE LA DIVERGENCE DES CARACTÈRES ET DE L’EXTINCTION, SUR LES DESCENDANTS D’UN ANCÊTRE COMMUN.

DU PROGRÈS POSSIBLE DE L’ORGANISATION.

CONVERGENCE DES CARACTÈRES.

RÉSUMÉ DU CHAPITRE.

Chapitre 5 - DES LOIS DE LA VARIATION.

EFFETS PRODUITS PAR LA SÉLECTION NATURELLE SUR L’ACCROISSEMENT DE L’USAGE ET DU NON-USAGE DES PARTIES.

ACCLIMATATION.

VARIATIONS CORRÉLATIVES.

COMPENSATION ET ÉCONOMIE DE CROISSANCE.

LES CONFORMATIONS MULTIPLES, RUDIMENTAIRES ET D’ORGANISATION INFÉRIEURE SONT VARIABLES.

UNE PARTIE EXTRAORDINAIREMENT DÉVELOPPÉE CHEZ UNE ESPÈCE QUELCONQUE COMPARATIVEMENT À L’ÉTAT DE LA MÊME PARTIE CHEZ LES ESPÈCES VOISINES, TEND À VARIER BEAUCOUP.

LES CARACTÈRES SPÉCIFIQUES SONT PLUS VARIABLES QUE LES CARACTÈRES GÉNÉRIQUES.

LES CARACTÈRES SEXUELS SECONDAIRES SONT VARIABLES.

LES ESPÈCES DISTINCTES PRÉSENTENT DES VARIATIONS ANALOGUES, DE TELLE SORTE QU’UNE VARIÉTÉ D’UNE ESPÈCE REVÊT SOUVENT UN CARACTÈRE PROPRE À UNE ESPÈCE VOISINE, OU FAIT RETOUR À QUELQUES-UNS DES CARACTÈRES D’UN ANCÊTRE ÉLOIGNÉ.

RÉSUMÉ.

Chapitre 6 - DIFFICULTÉS SOULEVÉES CONTRE L’HYPOTHÈSE DE LA DESCENDANCE AVEC MODIFICATIONS.

DU MANQUE OU DE LA RARETÉ DES VARIÉTÉS DE TRANSITION.

DE L’ORIGINE ET DES TRANSITIONS DES ÊTRES ORGANISÉS AYANT UNE CONFORMATION ET DES HABITUDES PARTICULIÈRES.

ORGANES TRÈS PARFAITS ET TRÈS COMPLEXES.

MODES DE TRANSITIONS.

DIFFICULTÉS SPÉCIALES DE LA THÉORIE DE LA SÉLECTION NATURELLE.

ACTION DE LA SÉLECTION NATURELLE SUR LES ORGANES PEU IMPORTANTS EN APPARENCE.

JUSQU’À QUEL POINT EST VRAIE LA DOCTRINE UTILITAIRE ; COMMENT S’ACQUIERT LA BEAUTÉ.

RÉSUMÉ : LA THÉORIE DE LA SÉLECTION NATURELLE COMPREND LA LOI DE L’UNITÉ DE TYPE ET DES CONDITIONS D’EXISTENCE.

Chapitre 7 - OBJECTIONS DIVERSES FAITES À LA THÉORIE DE LA SÉLECTION NATURELLE.

Chapitre 8 - INSTINCT.

LES CHANGEMENTS D’HABITUDES OU D’INSTINCT SE TRANSMETTENT PAR HÉRÉDITÉ CHEZ LES ANIMAUX DOMESTIQUES.

INSTINCTS SPÉCIAUX.

OBJECTIONS CONTRE L’APPLICATION DE LA THÉORIE DE LA SÉLECTION NATURELLE AUX INSTINCTS : INSECTES NEUTRES ET STÉRILES.

RÉSUMÉ.

Chapitre 9 - HYBRIDITÉ.

DEGRÉS DE STÉRILITÉ.

LOIS QUI RÉGISSENT LA STÉRILITÉ DES PREMIERS CROISEMENTS ET DES HYBRIDES.

ORIGINE ET CAUSES DE LA STÉRILITÉ DES PREMIERS CROISEMENTS ET DES HYBRIDES.

DIMORPHISME ET TRIMORPHISME RÉCIPROQUES.

LA FÉCONDITE DES VARIÉTÉS CROISÉES ET DE LEURS DESCENDANTS MÉTIS N’EST PAS UNIVERSELLE.

COMPARAISON ENTRE LES HYBRIDES ET LES MÉTIS, INDÉPENDAMMENT DE LEUR FÉCONDITÉ.

RÉSUMÉ.

Chapitre 10 - INSUFFISANCE DES DOCUMENTS GÉOLOGIQUES.

DU LAPS DE TEMPS ÉCOULÉ, DÉDUIT DE L’APPRÉCIATION DE LA RAPIDITÉ DES DÉPOTS ET DE L’ÉTENDUE DES DÉNUDATIONS.

PAUVRETÉ DE NOS COLLECTIONS PALÉONTOLOGIQUES.

DE L’ABSENCE DE NOMBREUSES VARIÉTÉS INTERMÉDIAIRES DANS UNE FORMATION QUELCONQUE.

APPARITION SOUDAINE DE GROUPES ENTIERS D’ESPÈCES ALLIÉES.

DE L’APPARITION SOUDAINE DE GROUPES D’ESPÈCES ALLIÉES DANS LES COUCHES FOSSILIFÈRES LES PLUS ANCIENNES.

RÉSUMÉ.

Chapitre 11 - DE LA SUCCESSION GÉOLOGIQUE DES ÊTRES ORGANISÉS.

EXTINCTION.

DES CHANGEMENTS PRESQUE INSTANTANÉS DES FORMES VIVANTES DANS LE MONDE.

DES AFFINITÉS DES ESPÈCES ÉTEINTES LES UNES AVEC LES AUTRES ET AVEC LES FORMES VIVANTES.

DU DEGRÉ DE DEVELOPPEMENT DES FORMES ANCIENNES COMPARÉ À CELUI DES FORMES VIVANTES.

DE LA SUCCESSION DES MÊMES TYPES DANS LES MÊMES ZONES PENDANT LES DERNIÈRES PÉRIODES TERTIAIRES.

RÉSUMÉ DE CE CHAPITRE ET DU CHAPITRE PRÉCÉDENT.

Chapitre 12 - DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE.

CENTRES UNIQUES DE CRÉATION.

MOYENS DE DISPERSION.

DISPERSION PENDANT LA PÉRIODE GLACIAIRE.

PÉRIODES GLACIAIRES ALTERNANTES AU NORD ET AU MIDI.

Chapitre 13 - DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE (SUITE).

PRODUCTIONS D’EAU DOUCE.

LES HABITANTS DES ÎLES OCÉANIQUES.

ABSENCE DE BATRACIENS ET DE MAMMIFÈRES TERRESTRES DANS LES ÎLES OCÉANIQUES.

SUR LES RAPPORTS ENTRE LES HABITANTS DES ÎLES ET CEUX DU CONTINENT LE PLUS RAPPROCHÉ.

RÉSUMÉ DE CE CHAPITRE ET DU CHAPITRE PRÉCÉDENT.

Chapitre 14 - AFFINITÉS MUTUELLES DES ÊTRES ORGANISÉS ; MORPHOLOGIE ; EMBRYOLOGIE ; ORGANES RUDIMENTAIRES.

CLASSIFICATION.

RESSEMBLANCES ANALOGUES.

SUR LA NATURE DES AFFINITÉS RELIANT LES ÊTRES ORGANISÉS.

MORPHOLOGIE.

DÉVELOPPEMENT ET EMBRYOLOGIE.

ORGANES RUDIMENTAIRES, ATROPHIÉS ET AVORTÉS.

RÉSUMÉ.

Chapitre 15 - RÉCAPITULATION ET CONCLUSIONS.

GLOSSAIRE – DES PRINCIPAUX TERMES SCIENTIFIQUES EMPLOYÉS DANS LE PRESENT VOLUME

L'ORIGINE DES ESPÈCES

INTRODUCTION.

Les rapports géologiques qui existent entre la faune actuelle et la faune éteinte de l’Amérique méridionale, ainsi que certains faits relatifs à la distribution des êtres organisés qui peuplent ce continent, m’ont profondément frappé lors mon voyage à bord du navire le Beagle, en qualité de naturaliste. Ces faits, comme on le verra dans les chapitres subséquents de ce volume, semblent jeter quelque lumière sur l’origine des espèces – ce mystère des mystères – pour employer l’expression de l’un de nos plus grands philosophes. À mon retour en Angleterre, en 1837, je pensai qu’en accumulant patiemment tous les faits relatifs à ce sujet, qu’en les examinant sous toutes les faces, je pourrais peut-être arriver à élucider cette question. Après cinq années d’un travail opiniâtre, je rédigeai quelques notes ; puis, en 1844, je résumai ces notes sous forme d’un mémoire, où j’indiquais les résultats qui me semblaient offrir quelque degré de probabilité ; depuis cette époque, j’ai constamment poursuivi le même but. On m’excusera, je l’espère, d’entrer dans ces détails personnels ; si je le fais, c’est pour prouver que je n’ai pris aucune décision à la légère.

Mon œuvre est actuellement (1859) presque complète. Il me faudra, cependant, bien des années encore pour l’achever, et, comme ma santé est loin d’être bonne, mes amis m’ont conseillé de publier le résumé qui fait l’objet de ce volume. Une autre raison m’a complètement décidé : M. Wallace, qui étudie actuellement l’histoire naturelle dans l’archipel Malais, en est arrivé à des conclusions presque identiques aux miennes sur l’origine des espèces. En 1858, ce savant naturaliste m’envoya un mémoire à ce sujet, avec prière de le communiquer à Sir Charles Lyell, qui le remit à la Société Linnéenne ; le mémoire de M. Wallace a paru dans le troisième volume du journal de cette société. Sir Charles Lyell et le docteur Hooker, qui tous deux étaient au courant de mes travaux – le docteur Hooker avait lu l’extrait de mon manuscrit écrit en 1844 – me conseillèrent de publier, en même temps que le mémoire de M. Wallace, quelques extraits de mes notes manuscrites.

Le mémoire qui fait l’objet du présent volume est nécessairement imparfait. Il me sera impossible de renvoyer à toutes les autorités auxquelles j’emprunte certains faits, mais j’espère que le lecteur voudra bien se fier à mon exactitude. Quelques erreurs ont pu, sans doute, se glisser dans mon travail, bien que j’aie toujours eu grand soin de m’appuyer seulement sur des travaux de premier ordre. En outre, je devrai me borner à indiquer les conclusions générales auxquelles j’en suis arrivé, tout en citant quelques exemples, qui, je pense, suffiront dans la plupart des cas. Personne, plus que moi, ne comprend la nécessité de publier plus tard, en détail, tous les faits sur lesquels reposent mes conclusions ; ce sera l’objet d’un autre ouvrage. Cela est d’autant plus nécessaire que, sur presque tous les points abordés dans ce volume, on peut invoquer des faits qui, au premier abord, semblent tendre à des conclusions absolument contraires à celles que j’indique. Or, on ne peut arriver à un résultat satisfaisant qu’en examinant les deux côtés de la question et en discutant les faits et les arguments ; c’est là chose impossible dans cet ouvrage.

Je regrette beaucoup que le défaut d’espace m’empêche de reconnaître l’assistance généreuse que m’ont prêtée beaucoup de naturalistes, dont quelques-uns me sont personnellement inconnus. Je ne puis, cependant, laisser passer cette occasion sans exprimer ma profonde gratitude à M. le docteur Hooker, qui, pendant ces quinze dernières années, a mis à mon entière disposition ses trésors de science et son excellent jugement.

On comprend facilement qu’un naturaliste qui aborde l’étude de l’origine des espèces et qui observe les affinités mutuelles des êtres organisés, leurs rapports embryologiques, leur distribution géographique, leur succession géologique et d’autres faits analogues, en arrive à la conclusion que les espèces n’ont pas été créées indépendamment les unes des autres, mais que, comme les variétés, elles descendent d’autres espèces. Toutefois, en admettant même que cette conclusion soit bien établie, elle serait peu satisfaisante jusqu’à ce qu’on ait pu prouver comment les innombrables espèces, habitant la terre, se sont modifiées de façon à acquérir cette perfection de forme et de coadaptation qui excite à si juste titre notre admiration. Les naturalistes assignent, comme seules causes possibles aux variations, les conditions extérieures, telles que le climat, l’alimentation, etc. Cela peut être vrai dans un sens très limité, comme nous le verrons plus tard ; mais il serait absurde d’attribuer aux seules conditions extérieures la conformation du pic, par exemple, dont les pattes, la queue, le bec et la langue sont si admirablement adaptés pour aller saisir les insectes sous l’écorce des arbres. Il serait également absurde d’expliquer la conformation du gui et ses rapports avec plusieurs êtres organisés distincts, par les seuls effets des conditions extérieures, de l’habitude, ou de la volonté de la plante elle-même, quand on pense que ce parasite tire sa nourriture de certains arbres, qu’il produit des graines que doivent transporter certains oiseaux, et qu’il porte des fleurs unisexuées, ce qui nécessite l’intervention de certains insectes pour porter le pollen d’une fleur à une autre.

Il est donc de la plus haute importance d’élucider quels sont les moyens de modification et de coadaptation. Tout d’abord, il m’a semblé probable que l’étude attentive des animaux domestiques et des plantes cultivées devait offrir le meilleur champ de recherches pour expliquer cet obscur problème. Je n’ai pas été désappointé ; j’ai bientôt reconnu, en effet, que nos connaissances, quelque imparfaites qu’elles soient, sur les variations à l’état domestique, nous fournissent toujours l’explication la plus simple et la moins sujette à erreur. Qu’il me soit donc permis d’ajouter que, dans ma conviction, ces études ont la plus grande importance et qu’elles sont ordinairement beaucoup trop négligées par les naturalistes.

Ces considérations m’engagent à consacrer le premier chapitre de cet ouvrage à l’étude des variations à l’état domestique. Nous y verrons que beaucoup de modifications héréditaires sont tout au moins possibles ; et, ce qui est également important, ou même plus important encore, nous verrons quelle influence exerce l’homme en accumulant, par la sélection, de légères variations successives. J’étudierai ensuite la variabilité des espèces à l’état de nature, mais je me verrai naturellement forcé de traiter ce sujet beaucoup trop brièvement ; on ne pourrait, en effet, le traiter complètement qu’à condition de citer une longue série de faits. En tout cas, nous serons à même de discuter quelles sont les circonstances les plus favorables à la variation. Dans le chapitre suivant, nous considérerons la lutte pour l’existence parmi les êtres organisés dans le monde entier, lutte qui doit inévitablement découler de la progression géométrique de leur augmentation en nombre. C’est la doctrine de Malthus appliquée à tout le règne animal et à tout le règne végétal. Comme il naît beaucoup plus d’individus de chaque espèce qu’il n’en peut survivre ; comme, en conséquence, la lutte pour l’existence se renouvelle à chaque instant, il s’ensuit que tout être qui varie quelque peu que ce soit de façon qui lui est profitable a une plus grande chance de survivre ; cet être est ainsi l’objet d’une sélection naturelle. En vertu du principe si puissant de l’hérédité, toute variété objet de la sélection tendra à propager sa nouvelle forme modifiée.

Je traiterai assez longuement, dans le quatrième chapitre, ce point fondamental de la sélection naturelle. Nous verrons alors que la sélection naturelle cause presque inévitablement une extinction considérable des formes moins bien organisées et amène ce que j’ai appelé la divergence des caractères. Dans le chapitre suivant, j’indiquerai les lois complexes et peu connues de la variation. Dans les cinq chapitres subséquents, je discuterai les difficultés les plus sérieuses qui semblent s’opposer à l’adoption de cette théorie ; c’est-à-dire, premièrement, les difficultés de transition, ou, en d’autres termes, comment un être simple, ou un simple organisme, peut se modifier, se perfectionner, pour devenir un être hautement développé, ou un organisme admirablement construit ; secondement, l’instinct, ou la puissance intellectuelle des animaux ; troisièmement, l’hybridité, ou la stérilité des espèces et la fécondité des variétés quand on les croise ; et, quatrièmement, l’imperfection des documents géologiques. Dans le chapitre suivant, j’examinerai la succession géologique des êtres à travers le temps ; dans le douzième et dans le treizième chapitre, leur distribution géographique à travers l’espace ; dans le quatorzième, leur classification ou leurs affinités mutuelles, soit à leur état de complet développement, soit à leur état embryonnaire. Je consacrerai le dernier chapitre à une brève récapitulation de l’ouvrage entier et à quelques remarques finales.

On ne peut s’étonner qu’il y ait encore tant de points obscurs relativement à l’origine des espèces et des variétés, si l’on tient compte de notre profonde ignorance pour tout ce qui concerne les rapports réciproques des êtres innombrables qui vivent autour de nous. Qui peut dire pourquoi telle espèce est très nombreuse et très répandue, alors que telle autre espèce voisine est très rare et a un habitat fort restreint ? Ces rapports ont, cependant, la plus haute importance, car c’est d’eux que dépendent la prospérité actuelle et, je le crois fermement, les futurs progrès et la modification de tous les habitants de ce monde. Nous connaissons encore bien moins les rapports réciproques des innombrables habitants du monde pendant les longues périodes géologiques écoulées. Or, bien que beaucoup de points soient encore très obscurs, bien qu’ils doivent rester, sans doute, inexpliqués longtemps encore, je me vois cependant, après les études les plus approfondies, après une appréciation froide et impartiale, forcé de soutenir que l’opinion défendue jusque tout récemment par la plupart des naturalistes, opinion que je partageais moi-même autrefois, c’est-à-dire que chaque espèce a été l’objet d’une création indépendante, est absolument erronée. Je suis pleinement convaincu que les espèces ne sont pas immuables ; je suis convaincu que les espèces qui appartiennent à ce que nous appelons le même genre descendent directement de quelque autre espèce ordinairement éteinte, de même que les variétés reconnues d’une espèce quelle qu’elle soit descendent directement de cette espèce ; je suis convaincu, enfin, que la sélection naturelle a joué le rôle principal dans la modification des espèces, bien que d’autres agents y aient aussi participé.

Chapitre 1 - DE LA VARIATION DES ESPÈCES À L’ÉTAT DOMESTIQUE.

Causes de la variabilité. – Effets des habitudes. – Effets de l’usage ou du non-usage des parties. – Variation par corrélation. – Hérédité. – Caractères des variétés domestiques. – Difficulté de distinguer entre les variétés et les espèces. – Nos variétés domestiques descendent d’une ou de plusieurs espèces. – Pigeons domestiques. Leurs différences et leur origine. – La sélection appliquée depuis longtemps, ses effets. – Sélection méthodique et inconsciente. – Origine inconnue de nos animaux domestiques. – Circonstances favorables à l’exercice de la sélection par l’homme.

CAUSES DE LA VARIABILITÉ.

Quand on compare les individus appartenant à une même variété ou à une même sous-variété de nos plantes cultivées depuis le plus longtemps et de nos animaux domestiques les plus anciens, on remarque tout d’abord qu’ils diffèrent ordinairement plus les uns des autres que les individus appartenant à une espèce ou à une variété quelconque à l’état de nature. Or, si l’on pense à l’immense diversité de nos plantes cultivées et de nos animaux domestiques, qui ont varié à toutes les époques, exposés qu’ils étaient aux climats et aux traitements les plus divers, on est amené à conclure que cette grande variabilité provient de ce que nos productions domestiques ont été élevées dans des conditions de vie moins uniformes, ou même quelque peu différentes de celles auxquelles l’espèce mère a été soumise à l’état de nature. Il y a peut-être aussi quelque chose de fondé dans l’opinion soutenue par Andrew Knight, c’est-à-dire que la variabilité peut provenir en partie de l’excès de nourriture. Il semble évident que les êtres organisés doivent être exposés, pendant plusieurs générations, à de nouvelles conditions d’existence, pour qu’il se produise chez eux une quantité appréciable de variation ; mais il est tout aussi évident que, dès qu’un organisme a commencé à varier, il continue ordinairement à le faire pendant de nombreuses générations. On ne pourrait citer aucun exemple d’un organisme variable qui ait cessé de varier à l’état domestique. Nos plantes les plus anciennement cultivées, telles que le froment, produisent encore de nouvelles variétés ; nos animaux réduits depuis le plus longtemps à l’état domestique sont encore susceptibles de modifications ou d’améliorations très rapides.

Autant que je puis en juger, après avoir longuement étudié ce sujet, les conditions de la vie paraissent agir de deux façons distinctes : directement sur l’organisation entière ou sur certaines parties seulement, et indirectement en affectant le système reproducteur. Quant à l’action directe, nous devons nous rappeler que, dans tous les cas, comme l’a fait dernièrement remarquer le professeur Weismann, et comme je l’ai incidemment démontré dans mon ouvrage sur la Variation à l’état domestique, nous devons nous rappeler, dis-je, que cette action comporte deux facteurs : la nature de l’organisme et la nature des conditions. Le premier de ces facteurs semble être de beaucoup le plus important ; car, autant toutefois que nous en pouvons juger, des variations presque semblables se produisent quelquefois dans des conditions différentes, et, d’autre part, des variations différentes se produisent dans des conditions qui paraissent presque uniformes. Les effets sur la descendance sont définis ou indéfinis. On peut les considérer comme définis quand tous, ou presque tous les descendants d’individus soumis à certaines conditions d’existence pendant plusieurs générations, se modifient de la même manière. Il est extrêmement difficile de spécifier L’étendue des changements qui ont été définitivement produits de cette façon. Toutefois, on ne peut guère avoir de doute relativement à de nombreuses modifications très légères, telles que : modifications de la taille provenant de la quantité de nourriture ; modifications de la couleur provenant de la nature de l’alimentation ; modifications dans l’épaisseur de la peau et de la fourrure provenant de la nature du climat, etc. Chacune des variations infinies que nous remarquons dans le plumage de nos oiseaux de basse-cour doit être le résultat d’une cause efficace ; or, si la même cause agissait uniformément, pendant une longue série de générations, sur un grand nombre d’individus, ils se modifieraient probablement tous de la même manière. Des faits tels que les excroissances extraordinaires et compliquées, conséquence invariable du dépôt d’une goutte microscopique de poison fournie par un gall-insecte, nous prouvent quelles modifications singulières peuvent, chez les plantes, résulter d’un changement chimique dans la nature de la sève.

Le changement des conditions produit beaucoup plus souvent une variabilité indéfinie qu’une variabilité définie, et la première a probablement joué un rôle beaucoup plus important que la seconde dans la formation de nos races domestiques. Cette variabilité indéfinie se traduit par les innombrables petites particularités qui distinguent les individus d’une même espèce, particularités que l’on ne peut attribuer, en vertu de l’hérédité, ni au père, ni à la mère, ni à un ancêtre plus éloigné. Des différences considérables apparaissent même parfois chez les jeunes d’une même portée, ou chez les plantes nées de graines provenant d’une même capsule. À de longs intervalles, on voit surgir des déviations de conformation assez fortement prononcées pour mériter la qualification de monstruosités ; ces déviations affectent quelques individus, au milieu de millions d’autres élevés dans le même pays et nourris presque de la même manière ; toutefois, on ne peut établir une ligne absolue de démarcation entre les monstruosités et les simples variations. On peut considérer comme les effets indéfinis des conditions d’existence, sur chaque organisme individuel, tous ces changements de conformation, qu’ils soient peu prononcés ou qu’ils le soient beaucoup, qui se manifestent chez un grand nombre d’individus vivant ensemble. On pourrait comparer ces effets indéfinis aux effets d’un refroidissement, lequel affecte différentes personnes de façon indéfinie, selon leur état de santé ou leur constitution, se traduisant chez les unes par un rhume de poitrine, chez les autres par un rhume de cerveau, chez celle-ci par un rhumatisme, chez celle-là par une inflammation de divers organes.

Passons à ce que j’ai appelé l’action indirecte du changement des conditions d’existence, c’est-à-dire les changements provenant de modifications affectant le système reproducteur. Deux causes principales nous autorisent à admettre l’existence de ces variations : l’extrême sensibilité du système reproducteur pour tout changement dans les conditions extérieures ; la grande analogie, constatée par Kölreuter et par d’autres naturalistes, entre la variabilité résultant du croisement d’espèces distinctes et celle que l’on peut observer chez les plantes et chez les animaux élevés dans des conditions nouvelles ou artificielles. Un grand nombre de faits témoignent de l’excessive sensibilité du système reproducteur pour tout changement, même insignifiant, dans les conditions ambiantes. Rien n’est plus facile que d’apprivoiser un animal, mais rien n’est plus difficile que de l’amener à reproduire en captivité, alors même que l’union des deux sexes s’opère facilement. Combien d’animaux qui ne se reproduisent pas, bien qu’on les laisse presque en liberté dans leur pays natal ! On attribue ordinairement ce fait, mais bien à tort, à une corruption des instincts. Beaucoup de plantes cultivées poussent avec la plus grande vigueur, et cependant elles ne produisent que fort rarement des graines ou n’en produisent même pas du tout. On a découvert, dans quelques cas, qu’un changement insignifiant, un peu plus ou un peu moins d’eau par exemple, à une époque particulière de la croissance, amène ou non chez la plante la production des graines. Je ne puis entrer ici dans les détails des faits que j’ai recueillis et publiés ailleurs sur ce curieux sujet ; toutefois, pour démontrer combien sont singulières les lois qui régissent la reproduction des animaux en captivité, je puis constater que les animaux carnivores, même ceux provenant des pays tropicaux, reproduisent assez facilement dans nos pays, sauf toutefois les animaux appartenant à la famille des plantigrades, alors que les oiseaux carnivores ne pondent presque jamais d’œufs féconds. Bien des plantes exotiques ne produisent qu’un pollen sans valeur comme celui des hybrides les plus stériles. Nous voyons donc, d’une part, des animaux et des plantes réduits à l’état domestique se reproduire facilement en captivité, bien qu’ils soient souvent faibles et maladifs ; nous voyons, d’autre part, des individus, enlevés tout jeunes à leurs forêts, supportant très bien la captivité, admirablement apprivoisés, dans la force de l’âge, sains (je pourrais citer bien des exemples) dont le système reproducteur a été cependant si sérieusement affecté par des causes inconnues, qu’il cesse de fonctionner. En présence de ces deux ordres de faits, faut-il s’étonner que le système reproducteur agisse si irrégulièrement quand il fonctionne en captivité, et que les descendants soient un peu différents de leurs parents ? Je puis ajouter que, de même que certains animaux reproduisent facilement dans les conditions les moins naturelles (par exemple, les lapins et les furets enfermés dans des cages), ce qui prouve que le système reproducteur de ces animaux n’est pas affecté par la captivité ; de même aussi, certains animaux et certaines plantes supportent la domesticité ou la culture sans varier beaucoup, à peine plus peut-être qu’à l’état de nature.

Quelques naturalistes soutiennent que toutes les variations sont liées à l’acte de la reproduction sexuelle ; c’est là certainement une erreur. J’ai cité, en effet, dans un autre ouvrage, une longue liste de plantes que les jardiniers appellent des plantes folles, c’est-à-dire des plantes chez lesquelles on voit surgir tout à coup un bourgeon présentant quelque caractère nouveaux et parfois tout différent des autres bourgeons de la même plante. Ces variations de bourgeons, si on peut employer cette expression, peuvent se propager à leur tour par greffes ou par marcottes, etc., ou quelquefois même par semis. Ces variations se produisent rarement à l’état sauvage, mais elles sont assez fréquentes chez les plantes soumises à la culture. Nous pouvons conclure, d’ailleurs, que la nature de l’organisme joue le rôle principal dans la production de la forme particulière de chaque variation, et que la nature des conditions lui est subordonnée ; en effet, nous voyons souvent sur un même arbre soumis à des conditions uniformes, un seul bourgeon, au milieu de milliers d’autres produits annuellement, présenter soudain des caractères nouveaux ; nous voyons, d’autre part, des bourgeons appartenant à des arbres distincts, placés dans des conditions différentes, produire quelquefois à peu près la même variété – des bourgeons de pêchers, par exemple, produire des brugnons et des bourgeons de rosier commun produire des roses moussues. La nature des conditions n’a donc peut-être pas plus d’importance dans ce cas que n’en a la nature de l’étincelle, communiquant le feu à une masse de combustible, pour déterminer la nature de la flamme.

EFFETS DES HABITUDES ET DE L’USAGE OU DU NON-USAGE DES PARTIES ; VARIATION PAR CORRELATION ; HÉRÉDITÉ.

Le changement des habitudes produit des effets héréditaires ; on pourrait citer, par exemple, l’époque de la floraison des plantes transportées d’un climat dans un autre. Chez les animaux, l’usage ou le non-usage des parties a une influence plus considérable encore. Ainsi, proportionnellement au reste du squelette, les os de l’aile pèsent moins et les os de la cuisse pèsent plus chez le canard domestique que chez le canard sauvage. Or, on peut incontestablement attribuer ce changement à ce que le canard domestique vole moins et marche plus que le canard sauvage. Nous pouvons encore citer, comme un des effets de l’usage des parties, le développement considérable, transmissible par hérédité, des mamelles chez les vaches et chez les chèvres dans les pays où l’on a l’habitude de traire ces animaux, comparativement à l’état de ces organes dans d’autres pays. Tous les animaux domestiques ont, dans quelques pays, les oreilles pendantes ; on a attribué cette particularité au fait que ces animaux, ayant moins de causes d’alarmes, cessent de se servir des muscles de l’oreille, et cette opinion semble très fondée.

La variabilité est soumise à bien des lois ; on en connaît imparfaitement quelques-unes, que je discuterai brièvement ci-après. Je désire m’occuper seulement ici de la variation par corrélation. Des changements importants qui se produisent chez l’embryon, ou chez la larve, entraînent presque toujours des changements analogues chez l’animal adulte. Chez les monstruosités, les effets de corrélation entre des parties complètement distinctes sont très curieux ; Isidore Geoffroy Saint-Hilaire cite des exemples nombreux dans son grand ouvrage sur cette question. Les éleveurs admettent que, lorsque les membres sont longs, la tête l’est presque toujours aussi. Quelques cas de corrélation sont extrêmement singuliers : ainsi, les chats entièrement blancs et qui ont les yeux bleus sont ordinairement sourds ; toutefois, M. Tait a constaté récemment que le fait est limité aux mâles. Certaines couleurs et certaines particularités constitutionnelles vont ordinairement ensemble ; je pourrais citer bien des exemples remarquables de ce fait chez les animaux et chez les plantes. D’après un grand nombre de faits recueillis par Heusinger, il paraît que certaines plantes incommodent les moutons et les cochons blancs, tandis que les individus à robe foncée s’en nourrissent impunément. Le professeur Wyman m’a récemment communiqué ; une excellente preuve de ce fait. Il demandait à quelques fermiers de la Virginie pourquoi ils n’avaient que des cochons noirs ; ils lui répondirent que les cochons mangent la racine du lachnanthes, qui colore leurs os en rose et qui fait tomber leurs sabots ; cet effet se produit sur toutes les variétés, sauf sur la variété noire. L’un d’eux ajouta : « Nous choisissons, pour les élever, tous les individus noirs d’une portée, car ceux-là seuls ont quelque chance de vivre. » Les chiens dépourvus de poils ont la dentition imparfaite ; on dit que les animaux à poil long et rude sont prédisposés à avoir des cornes longues ou nombreuses ; les pigeons à pattes emplumées ont des membranes entre les orteils antérieurs ; les pigeons à bec court ont les pieds petits ; les pigeons à bec long ont les pieds grands. Il en résulte donc que l’homme, en continuant toujours à choisir, et, par conséquent, à développer une particularité quelconque, modifie, sans en avoir l’intention, d’autres parties de l’organisme, en vertu des lois mystérieuses de la corrélation.

Les lois diverses, absolument ignorées ou imparfaitement comprises, qui régissent la variation, ont des effets extrêmement complexes. Il est intéressant d’étudier les différents traités relatifs à quelques-unes de nos plantes cultivées depuis fort longtemps, telles que la jacinthe, la pomme de terre ou même le dahlia, etc. ; on est réellement étonné de voir par quels innombrables points de conformation et de constitution les variétés et les sous-variétés diffèrent légèrement les unes des autres. Leur organisation tout entière semble être devenue plastique et s’écarter légèrement de celle du type originel.

Toute variation non héréditaire est sans intérêt pour nous. Mais le nombre et la diversité des déviations de conformation transmissibles par hérédité, qu’elles soient insignifiantes ou qu’elles aient une importance physiologique considérable, sont presque infinis. L’ouvrage le meilleur et le plus complet que nous ayons à ce sujet est celui du docteur Prosper Lucas. Aucun éleveur ne met en doute la grande énergie des tendances héréditaires ; tous ont pour axiome fondamental que le semblable produit le semblable, et il ne s’est trouvé que quelques théoriciens pour suspecter la valeur absolue de ce principe. Quand une déviation de structure se reproduit souvent, quand nous la remarquons chez le père et chez l’enfant, il est très difficile de dire si cette déviation provient ou non de quelque cause qui a agi sur l’un comme sur l’autre. Mais, d’autre part, lorsque parmi des individus, évidemment exposés aux mêmes conditions, quelque déviation très rare, due à quelque concours extraordinaire de circonstances, apparaît chez un seul individu, au milieu de millions d’autres qui n’en sont point affectés, et que nous voyons réapparaître cette déviation chez le descendant, la seule théorie des probabilités nous force presque à attribuer cette réapparition à l’hérédité. Qui n’a entendu parler des cas d’albinisme, de peau épineuse, de peau velue, etc., héréditaires chez plusieurs membres d’une même famille ? Or, si des déviations rares et extraordinaires peuvent réellement se transmettre par hérédité, à plus forte raison on peut soutenir que des déviations moins extraordinaires et plus communes peuvent également se transmettre. La meilleure manière de résumer la question serait peut-être de considérer que, en règle générale, tout caractère, quel qu’il soit, se transmet par hérédité et que la non-transmission est l’exception.

Les lois qui régissent l’hérédité sont pour la plupart inconnues. Pourquoi, par exemple, une même particularité, apparaissant chez divers individus de la même espèce ou d’espèces différentes, se transmet-elle quelquefois et quelquefois ne se transmet-elle pas par hérédité ? Pourquoi certains caractères du grand-père, ou de la grand’mère, ou d’ancêtres plus éloignés, réapparaissent-ils chez l’enfant ? Pourquoi une particularité se transmet-elle souvent d’un sexe, soit aux deux sexes, soit à un sexe seul, mais plus ordinairement à un seul, quoique non pas exclusivement au sexe semblable ? Les particularités qui apparaissent chez les mâles de nos espèces domestiques se transmettent souvent, soit exclusivement, soit à un degré beaucoup plus considérable au mâle seul ; or, c’est là un fait qui a une assez grande importance pour nous. Une règle beaucoup plus importante et qui souffre, je crois, peu d’exceptions, c’est que, à quelque période de la vie qu’une particularité fasse d’abord son apparition, elle tend à réapparaître chez les descendants à un âge correspondant, quelquefois même un peu plus tôt. Dans bien des cas, il ne peut en être autrement ; en effet, les particularités héréditaires que présentent les cornes du gros bétail ne peuvent se manifester chez leurs descendants qu’à l’âge adulte ou à peu près ; les particularités que présentent les vers à soie n’apparaissent aussi qu’à l’âge correspondant où le ver existe sous la forme de chenille ou de cocon. Mais les maladies héréditaires et quelques autres faits me portent à croire que cette règle est susceptible d’une plus grande extension ; en effet, bien qu’il n’y ait pas de raison apparente pour qu’une particularité réapparaisse à un âge déterminé, elle tend cependant à se représenter chez le descendant au même âge que chez l’ancêtre. Cette règle me paraît avoir une haute importance pour expliquer les lois de l’embryologie. Ces remarques ne s’appliquent naturellement qu’à la première apparition de la particularité, et non pas à la cause primaire qui peut avoir agi sur des ovules ou sur l’élément mâle ; ainsi, chez le descendant d’une vache désarmée et d’un taureau à longues cornes, le développement des cornes, bien que ne se manifestant que très tard, est évidemment dû à l’influence de l’élément mâle.

Puisque j’ai fait allusion au retour vers les caractères primitifs, je puis m’occuper ici d’une observation faite souvent par les naturalistes, c’est-à-dire que nos variétés domestiques, en retournant à la vie sauvage, reprennent graduellement, mais invariablement, les caractères du type originel. On a conclu de ce fait qu’on ne peut tirer de l’étude des races domestiques aucune déduction applicable à la connaissance des espèces sauvages. J’ai en vain cherché à découvrir sur quels faits décisifs ou a pu appuyer cette assertion si fréquemment et si hardiment renouvelée ; il serait très difficile en effet, d’en prouver l’exactitude, car nous pouvons affirmer, sans crainte de nous tromper, que la plupart de nos variétés domestiques les plus fortement prononcées ne pourraient pas vivre à l’état sauvage. Dans bien des cas, nous ne savons même pas quelle est leur souche primitive ; il nous est donc presque impossible de dire si le retour à cette souche est plus ou moins parfait. En outre, il serait indispensable, pour empêcher les effets du croisement, qu’une seule variété fût rendue à la liberté. Cependant, comme il est certain que nos variétés peuvent accidentellement faire retour au type de leurs ancêtres par quelques-uns de leurs caractères, il me semble assez probable que, si nous pouvions parvenir à acclimater, ou même à cultiver pendant plusieurs générations, les différentes races du chou, par exemple, dans un sol très-pauvre (dans ce cas toutefois il faudrait attribuer quelque influence à l’action définie de la pauvreté du sol), elles feraient retour, plus ou moins complètement, au type sauvage primitif. Que l’expérience réussisse ou non, cela a peu d’importance au point de vue de notre argumentation, car les conditions d’existence auraient été complètement modifiées par l’expérience elle-même. Si on pouvait démontrer que nos variétés domestiques présentent une forte tendance au retour, c’est-à-dire si l’on pouvait établir qu’elles tendent à perdre leurs caractères acquis, lors même qu’elles restent soumises aux mêmes conditions et qu’elles sont maintenues en nombre considérable, de telle sorte que les croisements puissent arrêter, en les confondant, les petites déviations de conformation, je reconnais, dans ce cas, que nous ne pourrions pas conclure des variétés domestiques aux espèces. Mais cette manière de voir ne trouve pas une preuve en sa faveur. Affirmer que nous ne pourrions pas perpétuer nos chevaux de trait et nos chevaux de course, notre bétail à longues et à courtes cornes, nos volailles de races diverses, nos légumes, pendant un nombre infini de générations, serait contraire à ce que nous enseigne l’expérience de tous les jours.

CARACTÈRES DES VARIÉTÉS DOMESTIQUES ; DIFFICULTÉ DE DISTINGUER ENTRE LES VARIÉTÉS ET LES ESPÈCES ; ORIGINE DES VARIÉTÉS DOMESTIQUES ATTRIBUÉE À UNE OU À PLUSIEURS ESPÈCE.

Quand nous examinons les variétés héréditaires ou les races de nos animaux domestiques et de nos plantes cultivées et que nous les comparons à des espèces très voisines, nous remarquons ordinairement, comme nous l’avons déjà dit, chez chaque race domestique, des caractères moins uniformes que chez les espèces vraies. Les races domestiques présentent souvent un caractère quelque peu monstrueux ; j’entends par là que, bien que différant les unes des autres et des espèces voisines du même genre par quelques légers caractères, elles diffèrent souvent à un haut degré sur un point spécial, soit qu’on les compare les unes aux autres, soit surtout qu’on les compare à l’espèce sauvage dont elles se rapprochent le plus. À cela près (et sauf la fécondité parfaite des variétés croisées entre elles, sujet que nous discuterons plus tard), les races domestiques de la même espèce diffèrent l’une de l’autre de la même manière que font les espèces voisines du même genre à l’état sauvage ; mais les différences, dans la plupart des cas, sont moins considérables. Il faut admettre que ce point est prouvé, car des juges compétents estiment que les races domestiques de beaucoup d’animaux et de beaucoup de plantes descendent d’espèces originelles distinctes, tandis que d’autres juges, non moins compétents, ne les regardent que comme de simples variétés. Or, si une distinction bien tranchée existait entre les races domestiques et les espèces, cette sorte de doute ne se présenterait pas si fréquemment. On a répété souvent que les races domestiques ne diffèrent pas les unes des autres par des caractères ayant une valeur générique. On peut démontrer que cette assertion n’est pas exacte ; toutefois, les naturalistes ont des opinions très différentes quant à ce qui constitue un caractère générique, et, par conséquent, toutes les appréciations actuelles sur ce point sont purement empiriques. Quand j’aurai expliqué l’origine du genre dans la nature, on verra que nous ne devons nullement nous attendre à trouver chez nos races domestiques des différences d’ordre générique.

Nous en sommes réduits aux hypothèses dès que nous essayons d’estimer la valeur des différences de conformation qui séparent nos races domestiques les plus voisines ; nous ne savons pas, en effet, si elles descendent d’une ou de plusieurs espèces mères. Ce serait pourtant un point fort intéressant à élucider. Si, par exemple, on pouvait prouver que le Lévrier, le Limier, le Terrier, l’Épagneul et le Bouledogue, animaux dont la race, nous le savons, se propage si purement, descendent tous d’une même espèce, nous serions évidemment autorisés à douter de l’immutabilité d’un grand nombre d’espèces sauvages étroitement alliées, celle des renards, par exemple, qui habitent les diverses parties du globe. Je ne crois pas, comme nous le verrons tout à l’heure, que la somme des différences que nous constatons entre nos diverses races de chiens se soit produite entièrement à l’état de domesticité ; j’estime, au contraire, qu’une partie de ces différences proviennent de ce qu’elles descendent d’espèces distinctes. À l’égard des races fortement accusées de quelques autres espèces domestiques, il y a de fortes présomptions, ou même des preuves absolues, qu’elles descendent toutes d’une souche sauvage unique.

On a souvent prétendu que, pour les réduire en domesticité, l’homme a choisi les animaux et les plantes qui présentaient une tendance inhérente exceptionnelle à la variation, et qui avaient la faculté de supporter les climats les plus différents. Je ne conteste pas que ces aptitudes aient beaucoup ajouté à la valeur de la plupart de nos produits domestiques ; mais comment un sauvage pouvait-il savoir, alors qu’il apprivoisait un animal, si cet animal était susceptible de varier dans les générations futures et de supporter les changements de climat ? Est-ce que la faible variabilité de l’âne et de l’oie, le peu de disposition du renne pour la chaleur ou du chameau pour le froid, ont empêché leur domestication ? Je puis persuadé que, si l’on prenait à l’état sauvage des animaux et des plantes, en nombre égal à celui de nos produits domestiques et appartenant à un aussi grand nombre de classes et de pays, et qu’on les fît se reproduire à l’état domestique, pendant un nombre pareil de générations, ils varieraient autant en moyenne qu’ont varié les espèces mères de nos races domestiques actuelles.

Il est impossible de décider, pour la plupart de nos plantes les plus anciennement cultivées et de nos animaux réduits depuis de longs siècles en domesticité, s’ils descendent d’une ou de plusieurs espèces sauvages. L’argument principal de ceux qui croient à l’origine multiple de nos animaux domestiques repose sur le fait que nous trouvons, dès les temps les plus anciens, sur les monuments de l’Égypte et dans les habitations lacustres de la Suisse, une grande diversité de races. Plusieurs d’entre elles ont une ressemblance frappante, ou sont même identiques avec celles qui existent aujourd’hui. Mais ceci ne fait que reculer l’origine de la civilisation, et prouve que les animaux ont été réduits en domesticité à une période beaucoup plus ancienne qu’on ne le croyait jusqu’à présent. Les habitants des cités lacustres de la Suisse cultivaient plusieurs espèces de froment et d’orge, le pois, le pavot pour en extraire de l’huile, et le chanvre ; ils possédaient plusieurs animaux domestiques et étaient en relations commerciales avec d’autres nations. Tout cela prouve clairement, comme Heer le fait remarquer, qu’ils avaient fait des progrès considérables ; mais cela implique aussi une longue période antécédente de civilisation moins avancée, pendant laquelle les animaux domestiques, élevés dans différentes régions, ont pu, en variant, donner naissance à des races distinctes. Depuis la découverte d’instruments en silex dans les couches superficielles de beaucoup de parties du monde, tous les géologues croient que l’homme barbare existait à une période extraordinairement reculées et nous savons aujourd’hui qu’il est à peine une tribu, si barbare qu’elle soit, qui n’ait au moins domestiqué le chien.

L’origine de la plupart de nos animaux domestiques restera probablement à jamais douteuse. Mais je dois ajouter ici que, après avoir laborieusement recueilli tous les faits connus relatifs aux chiens domestiques du monde entier, j’ai été amené à conclure que plusieurs espèces sauvages de canidés ont dû être apprivoisées, et que leur sang plus ou moins mélangé coule dans les veines de nos races domestiques naturelles. Je n’ai pu arriver à aucune conclusion précise relativement aux moutons et aux chèvres. D’après les faits que m’a communiqués M. Blyth sur les habitudes, la voix, la constitution et la formation du bétail à bosse indien, il est presque certain qu’il descend d’une souche primitive différente de celle qui a produit notre bétail européen. Quelques juges compétents croient que ce dernier descend de deux ou trois souches sauvages, sans prétendre affirmer que ces souches doivent être oui ou non considérées comme espèces. Cette conclusion, aussi bien que la distinction spécifique qui existe entre le bétail à bosse et le bétail ordinaire, a été presque définitivement établie par les admirables recherches du professeur Rütimeyer. Quant aux chevaux, j’hésite à croire, pour des raisons que je ne pourrais détailler ici, contrairement d’ailleurs à l’opinion de plusieurs savants, que toutes les races descendent d’une seule espèce. J’ai élevé presque toutes les races anglaises de nos oiseaux de basse-cour, je les ai croisées, j’ai étudié leur squelette, et j’en suis arrivé à la conclusion qu’elles descendent toutes de l’espèce sauvage indienne, le Gallus bankiva ; c’est aussi l’opinion de M. Blyth et d’autres naturalistes qui ont étudié cet oiseau dans l’Inde. Quant aux canards et aux lapins, dont quelques races diffèrent considérablement les unes des autres, il est évident qu’ils descendent tous du Canard commun sauvage et du Lapin sauvage.

Quelques auteurs ont poussé à l’extrême la doctrine que nos races domestiques descendent de plusieurs souches sauvages. Ils croient que toute race qui se reproduit purement, si légers que soient ses caractères distinctifs, a eu son prototype sauvage. À ce compte, il aurait dû exister au moins une vingtaine d’espèces de bétail sauvage, autant d’espèces de moutons, et plusieurs espèces de chèvres en Europe, dont plusieurs dans la Grande-Bretagne seule. Un auteur soutient qu’il a dû autrefois exister dans la Grande-Bretagne onze espèces de moutons sauvages qui lui étaient propres ! Lorsque nous nous rappelons que la Grande-Bretagne ne possède pas aujourd’hui un mammifère qui lui soit particulier, que la France n’en a que fort peu qui soient distincts de ceux de l’Allemagne, et qu’il en est de même de la Hongrie et de l’Espagne, etc., mais que chacun de ces pays possède plusieurs espèces particulières de bétail, de moutons, etc., il faut bien admettre qu’un grand nombre de races domestiques ont pris naissance en Europe, car d’où pourraient-elles venir ? Il en est de même dans l’Inde. Il est certain que les variations héréditaires ont joué un grand rôle dans la formation des races si nombreuses des chiens domestiques, pour lesquelles j’admets cependant plusieurs souches distinctes. Qui pourrait croire, en effet, que des animaux ressemblant au Lévrier italien, au Limier, au Bouledogue, au Bichon ou à l’Épagneul de Blenheim, types si différents de ceux des canidés sauvages, aient jamais existé à l’état de nature ? On a souvent affirmé, sans aucune preuve à l’appui, que toutes nos races de chiens proviennent du croisement d’un petit nombre d’espèces primitives. Mais on n’obtient, par le croisement, que des formes intermédiaires entre les parents ; or, si nous voulons expliquer ainsi l’existence de nos différentes races domestiques, il faut admettre l’existence antérieure des formes les plus extrêmes, telles que le Lévrier italien, le Limier, le Bouledogue, etc., à l’état sauvage. Du reste, on a beaucoup exagéré la possibilité de former des races distinctes par le croisement. Il est prouvé que l’on peut modifier une race par des croisements accidentels, en admettant toutefois qu’on choisisse soigneusement les individus qui présentent le type désiré ; mais il serait très difficile d’obtenir une race intermédiaire entre deux races complètement distinctes. Sir J. Sebright a entrepris de nombreuses expériences dans ce but, mais il n’a pu obtenir aucun résultat. Les produits du premier croisement entre deux races pures sont assez uniformes, quelquefois même parfaitement identiques, comme je l’ai constaté chez les pigeons. Rien ne semble donc plus simple ; mais, quand on en vient à croiser ces métis les uns avec les autres pendant plusieurs générations, on n’obtient plus deux produits semblables et les difficultés de l’opération deviennent manifestes.

RACES DU PIGEON DOMESTIQUE, LEURS DIFFERENCES ET LEUR ORIGINE.

Persuadé qu’il vaut toujours mieux étudier un groupe spécial, je me suis décidé, après mûre réflexion, pour les pigeons domestiques. J’ai élevé toutes les races que j’ai pu me procurer par achat ou autrement ; on a bien voulu, en outre, m’envoyer des peaux provenant de presque toutes les parties du monde ; je suis principalement redevable de ces envois à l’honorable W. Elliot, qui m’a fait parvenir des spécimens de l’Inde, et à l’honorable C. Murray, qui m’a expédié des spécimens de la Perse. On a publié, dans toutes les langues, des traités sur les pigeons ; quelques-uns de ces ouvrages sont fort importants, en ce sens qu’ils remontent à une haute antiquité. Je me suis associé à plusieurs éleveurs importants et je fais partie de deux Pigeons-clubs de Londres. La diversité des races de pigeons est vraiment étonnante. Si l’on compare le Messager anglais avec le Culbutant courte-face, on est frappé de l’énorme différence de leur bec, entraînant des différences correspondantes dans le crâne. Le Messager, et plus particulièrement le mâle, présente un remarquable développement de la membrane caronculeuse de la tête, accompagné d’un grand allongement des paupières, de larges orifices nasaux et d’une grande ouverture du bec. Le bec du Culbutant courte-face ressemble à celui d’un passereau ; le Culbutant ordinaire hérite de la singulière habitude de s’élever à une grande hauteur en troupe serrée, puis de faire en l’air une culbute complète. Le Runt (pigeon romain) est un gros oiseau, au bec long et massif et aux grand pieds ; quelques sous-races ont le cou très long, d’autres de très longues ailes et une longue queue, d’autres enfin ont la queue extrêmement courte. Le Barbe est allié au Messager ; mais son bec, au lieu d’être long, est large et très court. Le Grosse-gorge a le corps, les ailes et les pattes allongés ; son énorme jabot, qu’il enfle avec orgueil, lui donne un aspect bizarre et comique. Le Turbit, ou pigeon à cravate, a le bec court et conique et une rangée de plumes retroussées sur la poitrine ; il a l’habitude de dilater légèrement la partie supérieure de son œsophage. Le Jacobin a les plumes tellement retroussées sur l’arrière du cou, qu’elles forment une espèce de capuchon ; proportionnellement à sa taille, il a les plumes des ailes et du cou fort allongées. Le Trompette, ou pigeon Tambour, et le Rieur, font entendre, ainsi que l’indique leur nom, un roucoulement très différent de celui des autres races. Le pigeon Paon porte trente ou même quarante plumes à la queue, au lieu de douze ou de quatorze, nombre normal chez tous les membres de la famille des pigeons ; il porte ces plumes si étalées et si redressées, que, chez les oiseaux de race pure, la tête et la queue se touchent ; mais la glande oléifère est complètement atrophiée. Nous pourrions encore indiquer quelques autres races moins distinctes.

Le développement des os de la face diffère énormément, tant par la longueur que par la largeur et la courbure, dans le squelette des différentes races. La forme ainsi que les dimensions de la mâchoire inférieure varient d’une manière très remarquable. Le nombre des vertèbres caudales et des vertèbres sacrées varie aussi, de même que le nombre des côtes et des apophyses, ainsi que leur largeur relative. La forme et la grandeur des ouvertures du sternum, le degré de divergence et les dimensions des branches de la fourchette, sont également très variables. La largeur proportionnelle de l’ouverture du bec ; la longueur relative des paupières ; les dimensions de l’orifice des narines et celles de la langue, qui n’est pas toujours en corrélation absolument exacte avec la longueur du bec ; le développement du jabot et de la partie supérieure de l’œsophage ; le développement ou l’atrophie de la glande oléifère ; le nombre des plumes primaires de l’aile et de la queue ; la longueur relative des ailes et de la queue, soit entre elles, soit par rapport au corps ; la longueur relative des pattes et des pieds ; le nombre des écailles des doigts ; le développement de la membrane interdigitale, sont autant de parties essentiellement variables. L’époque à laquelle les jeunes acquièrent leur plumage parfait, ainsi que la nature du duvet dont les pigeonneaux sont revêtus à leur éclosion, varient aussi ; il en est de même de la forme et de la grosseur des œufs. Le vol et, chez certaines races, la voix et les instincts, présentent des diversités remarquables. Enfin, chez certaines variétés, les mâles et les femelles en sont arrivés à différer quelque peu les uns des autres.

On pourrait aisément rassembler une vingtaine de pigeons tels que, si on les montrait à un ornithologiste, et qu’on les lui donnât pour des oiseaux sauvages, il les classerait certainement comme autant d’espèces bien distinctes. Je ne crois même pas qu’aucun ornithologiste consentît à placer dans un même genre le Messager anglais, le Culbutant courte-face, le Runt, le Barbe, le Grosse-gorge et le Paon ; il le ferait d’autant moins qu’on pourrait lui montrer, pour chacune de ces races, plusieurs sous-variétés de descendance pure, c’est-à-dire d’espèces, comme il les appellerait certainement.

Quelque considérable que soit la différence qu’on observe entre les diverses races de pigeons, je me range pleinement à l’opinion commune des naturalistes qui les font toutes descendre du Biset ( Columba livia), en comprenant sous ce terme plusieurs races géographiques, ou sous-espèces, qui ne diffèrent les unes des autres que par des points insignifiants. J’exposerai succinctement plusieurs des raisons qui m’ont conduit à adopter cette opinion, car elles sont, dans une certaine mesure, applicables à d’autres cas. Si nos diverses races de pigeons ne sont pas des variétés, si, en un mot, elles ne descendent pas du Biset, elles doivent descendre de sept ou huit types originels au moins, car il serait impossible de produire nos races domestiques actuelles par les croisements réciproques d’un nombre moindre. Comment, par exemple, produire un Grosse-gorge en croisant deux races, à moins que l’une des races ascendantes ne possède son énorme jabot caractéristique ? Les types originels supposés doivent tous avoir été habitants des rochers comme le Biset, c’est-à-dire des espèces qui ne perchaient ou ne nichaient pas volontiers sur les arbres. Mais, outre le Columba livia et ses sous-espèces géographiques, on ne connaît que deux ou trois autres espèces de pigeons de roche et elles ne présentent aucun des caractères propres aux races domestiques. Les espèces primitives doivent donc, ou bien exister encore dans les pays où elles ont été originellement réduites en domesticité, auquel cas elles auraient échappé à l’attention des ornithologistes, ce qui, considérant leur taille, leurs habitudes et leur remarquable caractère, semble très improbable ; ou bien être éteintes à l’état sauvage. Mais il est difficile d’exterminer des oiseaux nichant au bord des précipices et doués d’un vol puissant. Le Biset commun, d’ailleurs, qui a les mêmes habitudes que les races domestiques, n’a été exterminé ni sur les petites îles qui entourent la Grande-Bretagne, ni sur les côtes de la Méditerranée. Ce serait donc faire une supposition bien hardie que d’admettre l’extinction d’un aussi grand nombre d’espèces ayant des habitudes semblables à celles du Biset. En outre, les races domestiques dont nous avons parlé plus haut ont été transportées dans toutes les parties du monde ; quelques-unes, par conséquent, ont dû être ramenées dans leur pays d’origine ; aucune d’elles, cependant, n’est retournée à l’état sauvage, bien que le pigeon de colombier, qui n’est autre que le Biset sous une forme très peu modifiée, soit redevenu sauvage en plusieurs endroits. Enfin, l’expérience nous prouve combien il est difficile d’amener un animal sauvage à se reproduire régulièrement en captivité ; cependant, si l’on admet l’hypothèse de l’origine multiple de nos pigeons, il faut admettre aussi que sept ou huit espèces au moins ont été autrefois assez complètement apprivoisées par l’homme à demi sauvage pour devenir parfaitement fécondes en captivité.

Il est un autre argument qui me semble avoir un grand poids et qui peut s’appliquer à plusieurs autres cas : c’est que les races dont nous avons parlé plus haut, bien que ressemblant de manière générale au Biset sauvage par leur constitution, leurs habitudes, leur voix, leur couleur, et par la plus grande partie de leur conformation, présentent cependant avec lui de grandes anomalies sur d’autres points. On chercherait en vain, dans toute la grande famille des colombides, un bec semblable à celui du Messager anglais, du Culbutant courte-face ou du Barbe ; des plumes retroussées analogues à celles du Jacobin ; un jabot pareil à celui du Grosse-gorge ; des plumes caudales comparables à celles du pigeon Paon. Il faudrait donc admettre, non seulement que des hommes à demi sauvages ont réussi à apprivoiser complètement plusieurs espèces, mais que, par hasard ou avec intention ; ils ont choisi les espèces les plus extraordinaires et les plus anormales ; il faudrait admettre, en outre, que toutes ces espèces se sont éteintes depuis ou sont restées inconnues. Un tel concours de circonstances extraordinaires est improbable au plus haut degré.

Quelques faits relatifs à la couleur des pigeons méritent d’être signalés. Le Biset est bleu-ardoise avec les reins blancs ; chez la sous-espèce indienne, le Columba intermedia de Strickland, les reins sont bleuâtres ; la queue porte une barre foncée terminale et les plumes des côtés sont extérieurement bordées de blanc à leur base ; les ailes ont deux barres noires. Chez quelques races à demi domestiques, ainsi que chez quelques autres absolument sauvages, les ailes, outre les deux barres noires, sont tachetées de noir. Ces divers signes ne se trouvent réunis chez aucune autre espèce de la famille. Or, tous les signes que nous venons d’indiquer sont parfois réunis et parfaitement développés, jusqu’au bord blanc des plumes extérieures de la queue, chez les oiseaux de race pure appartenant à toutes nos races domestiques. En outre, lorsque l’on croise des pigeons, appartenant à deux ou plusieurs races distinctes, n’offrant ni la coloration bleue, ni aucune des marques dont nous venons de parler, les produits de ces croisements se montrent très disposés à acquérir soudainement ces caractères. Je me bornerai à citer un exemple que j’ai moi-même observé au milieu de tant d’autres. J’ai croisé quelques pigeons Paons blancs de race très pure avec quelques Barbes noirs – les variétés bleues du Barbe sont si rares, que je n’en connais pas un seul cas en Angleterre – : les oiseaux que j’obtins étaient noirs, bruns et tachetés. Je croisai de même un Barbe avec un pigeon Spot, qui est un oiseau blanc avec la queue rouge et une tache rouge sur le haut de la tête, et qui se reproduit fidèlement ; j’obtins des métis brunâtres et tachetés. Je croisai alors un des métis Barbe-Paon avec un métis Barbe-Spot et j’obtins un oiseau d’un aussi beau bleu qu’aucun pigeon de race sauvage, ayant les reins blancs, portant la double barre noire des ailes et les plumes externes de la queue barrées de noir et bordées de blanc ! Si toutes les races de pigeons domestiques descendent du Biset, ces faits s’expliquent facilement par le principe bien connu du retour au caractère des ancêtres ; mais si on conteste cette descendance, il faut forcément faire une des deux suppositions suivantes, suppositions improbables au plus haut degré : ou bien tous les divers types originels étaient colorés et marqués comme le Biset, bien qu’aucune autre espèce existante ne présente ces mêmes caractères, de telle sorte que, dans chaque race séparée, il existe une tendance au retour vers ces couleurs et vers ces marques ; ou bien chaque race, même la plus pure, a été croisée avec le Biset dans l’intervalle d’une douzaine ou tout au plus d’une vingtaine de générations – je dis une vingtaine de générations, parce qu’on ne connaît aucun exemple de produits d’un croisement ayant fait retour à un ancêtre de sang étranger éloigné d’eux par un nombre de générations plus considérable. – Chez une race qui n’a été croisée qu’une fois, la tendance à faire retour à un des caractères dus à ce croisement s’amoindrit naturellement, chaque génération successive contenant une quantité toujours moindre de sang étranger. Mais, quand il n’y a pas eu de croisement et qu’il existe chez une race une tendance à faire retour à un caractère perdu pendant plusieurs générations, cette tendance, d’après tout ce que nous savons, peut se transmettre sans affaiblissement pendant un nombre indéfini de générations. Les auteurs qui ont écrit sur l’hérédité ont souvent confondu ces deux cas très distincts du retour.

Enfin, ainsi que j’ai pu le constater par les observations que j’ai faites tout exprès sur les races les plus distinctes, les hybrides ou métis provenant de toutes les races domestiques du pigeon sont parfaitement féconds. Or, il est difficile, sinon impossible, de citer un cas bien établi tendant à prouver que les descendants hybrides provenant de deux espèces d’animaux nettement distinctes sont complètement féconds. Quelques auteurs croient qu’une domesticité longtemps prolongée diminue cette forte tendance à la stérilité. L’histoire du chien et celle de quelques autres animaux domestiques rend cette opinion très probable, si on l’applique à des espèces étroitement alliées ; mais il me semblerait téméraire à l’extrême d’étendre cette hypothèse jusqu’à supposer que des espèces primitivement aussi distinctes que le sont aujourd’hui les Messagers, les Culbutants, les Grosses-gorges et les Paons aient pu produire des descendants parfaitement féconds inter se.

Ces différentes raisons, qu’il est peut-être bon de récapituler, c’est-à-dire : l’improbabilité que l’homme ait autrefois réduit en domesticité sept ou huit espèces de pigeons et surtout qu’il ait pu les faire se reproduire librement en cet état ; le fait que ces espèces supposées sont partout inconnues à l’état sauvage et que nulle part les espèces domestiques ne sont redevenues sauvages ; le fait que ces espèces présentent certains caractères très anormaux, si on les compare à toutes les autres espèces de colombides, bien qu’elles ressemblent au Biset sous presque tous les rapports ; le fait que la couleur bleue et les différentes marques noires reparaissent chez toutes les races, et quand on les conserve pures, et quand on les croise ; enfin, le fait que les métis sont parfaitement féconds – toutes ces raisons nous portent à conclure que toutes nos races domestiques descendent du Biset ou Columbia livia et de ses sous-espèces géographiques.

J’ajouterai à l’appui de cette opinion : premièrement, que le Columbia livia ou Biset s’est montré, en Europe et dans l’Inde, susceptible d’une domestication facile, et qu’il y a une grande analogie entre ses habitudes et un grand nombre de points de sa conformation avec les habitudes et la conformation de toutes les races domestiques ; deuxièmement, que, bien qu’un Messager anglais, ou un Culbutant courte-face, diffère considérablement du Biset par certains caractères, on peut cependant, en comparant les diverses sous-variétés de ces deux races, et principalement celles provenant de pays éloignés, établir entre elles et le Biset une série presque complète reliant les deux extrêmes (on peut établir les mêmes séries dans quelques autres cas, mais non pas avec toutes les races) ; troisièmement, que les principaux caractères de chaque race sont, chez chacune d’elles, essentiellement variables, tels que, par exemple, les caroncules et la longueur du bec chez le Messager anglais, le bec si court du Culbutant, et le nombre des plumes caudales chez le pigeon Paon (l’explication évidente de ce fait ressortira quand nous traiterons de la sélection) ; quatrièmement, que les pigeons ont été l’objet des soins les plus vigilants de la part d’un grand nombre d’amateurs, et qu’ils sont réduits à l’état domestique depuis des milliers d’années dans les différentes parties du monde. Le document le plus ancien que l’on trouve dans l’histoire relativement aux pigeons remonte à la cinquième dynastie égyptienne, environ trois mille ans avant notre ère ; ce document m’a été indiqué par le professeur Lepsius ; d’autre part, M. Birch m’apprend que le pigeon est mentionné dans un menu de repas de la dynastie précédente. Pline nous dit que les Romains payaient les pigeons un prix considérable : « On en est venu, dit le naturaliste latin, à tenir compte de leur généalogie et de leur race. » Dans l’Inde, vers l’an 1600, Akber-Khan faisait grand cas des pigeons ; la cour n’en emportait jamais avec elle moins de vingt mille. « Les monarques de l’Iran et du Touran lui envoyaient des oiseaux très rares ; » puis le chroniqueur royal ajoute : « Sa Majesté, en croisant les races, ce qui n’avait jamais été fait jusque-là, les améliora étonnamment. » Vers cette même époque, les Hollandais se montrèrent aussi amateurs des pigeons qu’avaient pu l’être les anciens Romains. Quand nous traiterons de la sélection, on comprendra l’immense importance de ces considérations pour expliquer la somme énorme des variations que les pigeons ont subies. Nous verrons alors, aussi, comment il se fait que les différentes races offrent si souvent des caractères en quelque sorte monstrueux. Il faut enfin signaler une circonstance extrêmement favorable pour la production de races distinctes, c’est que les pigeons mâles et femelles s’apparient d’ordinaire pour la vie, et qu’on peut ainsi élever plusieurs races différentes dans une même volière.

Je viens de discuter assez longuement, mais cependant de façon encore bien insuffisante, l’origine probable de nos pigeons domestiques ; si je l’ai fait, c’est que, quand je commençai à élever des pigeons et à en observer les différentes espèces, j’étais tout aussi peu disposé à admettre, sachant avec quelle fidélité les diverses races se reproduisent, qu’elles descendent toutes d’une même espèce mère et qu’elles se sont formées depuis qu’elles sont réduites en domesticité, que le serait tout naturaliste à accepter la même conclusion à l’égard des nombreuses espèces de passereaux ou de tout autre groupe naturel d’oiseaux sauvages. Une circonstance m’a surtout frappé, c’est que la plupart des éleveurs d’animaux domestiques, ou les cultivateurs avec lesquels je me suis entretenu ; ou dont j’ai lu les ouvrages, sont tous fermement convaincus que les différentes races, dont chacun d’eux s’est spécialement occupé, descendent d’autant d’espèces primitivement distinctes. Demandez, ainsi que je l’ai fait, à un célèbre éleveur de bœufs de Hereford, s’il ne pourrait pas se faire que son bétail descendît d’une race à longues cornes, ou que les deux races descendissent d’une souche parente commune, et il se moquera de vous. Je n’ai jamais rencontré un éleveur de pigeons, de volailles, de canards ou de lapins qui ne fût intimement convaincu que chaque race principale descend d’une espèce distincte. Van Mons, dans son traité sur les poires et sur les pommes, se refuse catégoriquement à croire que différentes sortes, un pippin Ribston et une pomme Codlin