La Baronne des Mont Noirs - Céline Guillaume - E-Book

La Baronne des Mont Noirs E-Book

Céline Guillaume

0,0

Beschreibung

Les Monts-Noirs du Morvan, an de grâce 1131…

Ida, jeune moniale au couvent de Sainte-Radegonde, donne naissance à un œuf alors qu’elle vient de fuir le massacre d’un village. De cet œuf, Flore voit le jour, conçue dans le péché lors d’un mystérieux sabbat commandité par une baronne déchue. Immédiatement abandonnée par sa génitrice ainsi souillée, elle est recueillie par le vieux Siméon, un ermite mystérieux qui lui enseigne tout son savoir. Les années passent et l’orpheline découvre, un jour, une bête insoupçonnée : mi-femme, mi-rapace, une véritable démone cruelle et coupable de bien des crimes sanglants. Le périple haletant de la jeune fille débute ainsi, un périple palpitant brodé comme ces tapisseries médiévales, rempli d’énigmes, de mystères, de passions destructrices et du Mal incarné. C’est ici un roman au rythme endiablé à la dimension de la Seconde Croisade : grandiose, terrible et bouleversant.

Céline Guillaume magnifie son récit en une mémorable légende médiévale, flamboyante et fantastique… Oserez-vous la suivre et ainsi voyager hors du temps, entre lumière et obscurité ?

EXTRAIT 

Sous la pierre de la Mal-Gardée, une créature étrange cachait un trésor qu’elle défendait âprement, mais, une fois l’an, elle déplaçait le rocher et étendait sa fortune lorsque les premiers rayons du soleil printanier réchauffaient la nature trop longtemps endormie…
Les villageois, gueux et seigneurs, tous sans exception, affirmaient que si un être jetait quelques miettes de son pain à l’épeautre, denrée quotidienne et indispensable à la survie, sur les richesses flamboyantes et inestimables : gemmes, émaux, écus, couronnes éclatantes fleurdelisées, éperons d’or ajourés formés de dragons entrelacés et affrontés, sceptres torsadés ornés de feuillages, médaillons sertis de grenats, diamants, turquoise et saphir, tout ce qui serait touché appartiendrait ainsi à l’heureux élu.
Si quelqu’un parvenait à dérober le trésor, pour échapper à la sirine, il suffisait de pouvoir franchir une rivière, ne serait-ce que ce mince filet d’eau du plus petit ru… La damnation et la condamnation aux feux de l’Enfer s’empareraient de lui…Telle serait la malédiction encourue.

A PROPOS DE L’AUTEUR

Céline Guillaume, auteur de nombreux ouvrages plusieurs fois primés dans lesquels son écriture limpide et à « fleur de mots » plonge le lecteur dans un univers personnel d’une grande profondeur, nous livre ici un  roman puissant et envoûtant, un roman  au style flamboyant, un roman  médiéval et fantastique. Elle devient ainsi une actrice incontournable dans les mondes de l’imaginaire. Avec La Baronne des Monts-Noirs, la magicienne féerique poursuit son ascension…

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern

Seitenzahl: 266

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.


Ähnliche


PRÉFACE

Certaines aiment les bijoux en sautoirs autour du cou.

Moi, ce sont les mots. Les mots qui touchent, les mots qui font rire, les mots qui caressent. Alors que dire lorsque les mots eux même sont des bijoux ?

Chaque nouveau livre de Céline Guillaume est pour moi un écrin dans lequel je sais que je vais trouver une pierre précieuse. Cela peut être une tournure de phrase, un rayon de lumière tombé de son âme, le drapé d’une robe, ou un baiser volé au temps qui passe.

Alors j’attends, avec cette gourmandise des dames devant les bijouteries…

Une fois de plus je suis conquise, troublée, émue. Une fois de plus, ce n’est pas seulement une belle histoire que j’ai porté en parure, c’est un petit bout de ciel que j’ai accroché à mon cœur.

Merci Céline…

MIREILLE CALMEL Le 1er février 2012

À celui, à ceux qui m’attendent là-bas avec mes fioles de rêves… Quelque part… Pour un voyage magique…

« La vie est un rêve de papillon et la mort, le chemin vers l’éternité… »

Céline Guillaume

« La douleur n’a pas encore brisé mon cœur… »

À la mémoire de Christine F., Adeline G. et les autres, anges de lumière, partis trop tôt…

Sous la pierre de la Mal-Gardée, une créature étrange cachait un trésor qu’elle défendait âprement, mais, une fois l’an, elle déplaçait le rocher et étendait sa fortune lorsque les premiers rayons du soleil printanier réchauffaient la nature trop longtemps endormie…

Les villageois, gueux et seigneurs, tous sans exception, affirmaient que si un être jetait quelques miettes de son pain à l’épeautre, denrée quotidienne et indispensable à la survie, sur les richesses flamboyantes et inestimables : gemmes, émaux, écus, couronnes éclatantes fleurdelisées, éperons d’or ajourés formés de dragons entrelacés et affrontés, sceptres torsadés ornés de feuillages, médaillons sertis de grenats, diamants, turquoise et saphir, tout ce qui serait touché appartiendrait ainsi à l’heureux élu.

Si quelqu’un parvenait à dérober le trésor, pour échapper à la sirine1, il suffisait de pouvoir franchir une rivière, ne serait-ce que ce mince filet d’eau du plus petit ru… La damnation et la condamnation aux feux de l’Enfer s’empareraient de lui… Telle serait la malédiction encourue.

1. Femme-oiseau.

PROLOGUE

« L’œuf s’ouvrit. Les deux moitiés étaient l’une d’argent, l’autre d’or. La moitié d’argent devint cette terre ; celle d’or, le ciel ; l’épaisse membrane, l’obscurité des nuages ; les petites veines devinrent les rivières ; la partie liquide ; la mer. Et ce qui en naquit fut le soleil. » (Chândôgya-Upanishad, III, 19, I)

Dans les Monts noirs du Morvan - Automne 1131

Ida gisait au milieu des cadavres. Il y en avait au moins une trentaine : maris, femmes, enfants, tous de pauvres gens, des travailleurs acharnés, des villageois devenus de tristes pantins de chairs en décomposition.

« Le monde entier est devenu fou, songea-t-elle vaguement. L’homme ressemble à une feuille morte, ballottée de-ci de-là par la brise. Peut-être le suis-je moi-même ? »

Elle-même ressemblait à l’un des corps sans vie qui l’entouraient.

Elle essaya de lever la tête, mais ne parvint à la soulever que de quelques centimètres au-dessus du sol tapissé de feuilles mouillées.

Jamais elle ne s’était sentie aussi faible. Jamais elle ne s’était sentie si démunie.

« Depuis combien temps suis-je là? » se demanda-t-elle.

Des mouches vinrent bourdonner autour de son visage.

Elle voulut les chasser, mais n’eut pas même la force de tendre le bras qu’elle avait raide, fragile, comme le reste de son être.

« Je dois être ici depuis un bon moment », se dit-elle en remuant un doigt après l’autre.

Le village, proche du couvent de Sainte-Radegonde, avait été pillé, massacré, les femmes violées par des routiers en mal de combats et de prouesses.

Les habitants, démunis et surpris, avait, certainement, en de vaines tentatives, essayé de se protéger à l’aide de gourdins, de bâtons ou de fourches mais le sort s’était acharné sur cette gouaille miséreuse.

Elle palpa enfin son ventre, gros, enflé et douloureux. Le ventre qui logeait l’enfant, celui dont elle aurait voulu se défaire, celui qu’elle ne supportait déjà plus, ni lui ni ses incessantes manifestations qui prouvaient son envie de vivre.

Des nuages bas, sombres, menaçants traversèrent le ciel.

Un cadavre, celui d’un petit garçon d’à peine quatre ans à en juger par ses traits, gisait à ses côtés. Son corps mutilé, maculé de sang, son abdomen tailladé de la gorge à la hanche droite montraient les sévices dont il avait été victime.

L’odeur âcre du sang lui donna la nausée.

Elle repoussa le corps sans vie, se projeta loin de lui, chercha à déchirer, fractionner le mur impalpable et flottant qui menaçait sa torpeur cadavérique en un barrage de brasses affolées.

Ida ferma les yeux en plissant fortement les paupières, à s’en faire mal. Ainsi, elle tenta de rassembler ses esprits.

Le bruit de la rivière, en contrebas, lissant inexorablement les pierres de granit grisâtre, lui fit tourner la tête.

L’eau était rouge. Rouge de sang.

Horrifiée, elle suivit du regard le flux sombre qui s’épanchait dans le ru et n’eut pas à remonter bien loin pour en trouver la source.

Là, à plusieurs enjambées, s’amoncelaient d’autres corps de paysans, de chevaux, pareils à de vulgaires ballots jetés à tout va, proies d’une barbarie et d’une cruauté sans nom. Atroce avait dû être leur agonie. Elle imagina les morceaux de joues enlevées par des coups de cimeterres, les poitrails transpercés jusque dans les chairs, les cuisses crevées par les assauts de flèches, les tripes accrochées dans les capes, le flux et le reflux où tintaient les armes, l’haleine glaciale des lames qui sifflaient près des cervelles, les râles, les prières, les supplications… Et le meneur qui stimulait sa bande, gueulant pour exciter ses tueurs. Le massacre ondulait entre les maisons et le groupe d’ivrognes qui s’acharnaient encore sur les formes pantelantes, les innocents.

À cet instant, elle ne put retenir les vomissures qui la submergeaient et se précipita, malgré sa pesanteur, vers la rivière souillée.

Après s’être libérée, elle rechercha d’éventuelles blessures et n’en trouva aucune. Pourtant, une sensation de brûlure la parcourut… N’était-ce qu’une impression ?

Le temps se mit à la pluie.

Elle s’abattait sur les cadavres comme pour les laver de leur salissure et sur le visage à la renverse d’Ida. C’était un poisson qui ouvrait et fermait la bouche pour essayer de boire cette eau providentielle, cette eau qui désaltérerait son gosier asséché.

« Les gouttes dont on humecte les lèvres d’un mourant », pensa-t-elle en savourant cette fraîcheur.

Elle avait la tête lourde et ses pensées ressemblaient aux ombres fugitives du délire.

Elle se souvenait… De tout… Du sabbat célébré dans la clairière dès les premiers coups de minuit, du cercle de pierre à l’intérieur duquel on l’avait contrainte à accepter la semence d’un homme scélérat masqué et grimé en représentation du dieu Cornu1.

Elle se souvenait des participantes envoûtées, flambeaux en mains, tournoyants sur elles-mêmes dans un état proche de la transe, exécutant des danses lascives les unes contre les autres, nues comme au premier matin du monde.

La baronne Bérangère de Montembert en était l’instigatrice, la maîtresse de ces fêtes nocturnes, véritables bacchanales de plaisir non partagé.

Elle ressentait le pénis bifide à l’intérieur de ses entrailles ; ce phallus factice en corne froid, dur et douloureux.

Les paroles de la tortionnaire résonnaient encore dans ses tympans alors que les chouettes ululaient, que la lune filait comme un navire entre les nuages opaques du ciel de saphir, que les arbres se balançaient doucement au-dessus de la cascade rugissante et qu’au loin, les aboiements des chiens se faisaient entendre.

Elle voyait encore trop distinctement celle qui provoqua ce tumulte et aurait voulu l’oublier, elle et ses prophéties incompréhensibles.

« De Pan riant, baisant

et nimbant de lumières tous les démons,

jusqu’au Diable en personne,

l’Homme en noir,

conjuré par les convoitises des Chrétiens…

Ah ! Un bouc avec qui danser !

Ah ! Un cercle de sorcières !

Ô dieu au front cornu,

Reviens.

Ô licorne captive,

Viens nous délivrer

De nos ténèbres volontaires !

Viens embrocher le soleil de tes attributs pointus ;

Et une fois encore

Répandre la lumière

Dans la caverne, le crâne, l’arc pelvien… »

Ida crispa violemment ses doigts sur son ventre sentant la délivrance prochaine.

Sa seule envie était de fuir ces lieux, d’être au calme pour donner la vie et surtout se libérer d’une entrave qu’elle n’avait pas désirée.

Des contractions régulières, rapprochées la tiraillèrent sans relâche et la poche des eaux se rompit. Un liquide transparent et chaud s’écoula entre ses cuisses, ruisselant jusqu’à ses chevilles.

Elle réussit tant bien que mal à atteindre la mystérieuse pierre de la Mal-Gardée que les grands hêtres séculiers, aux troncs biscornus, tarabiscotés, protégeaient de leurs feuillages.

Elle s’adossa à la roche en oubliant, un instant, les secrètes croyances colportées depuis des générations. Celles-ci même qui avaient alimenté ses frayeurs jadis.

Sans répit et bien que l’épuisement arrivait à son paroxysme, Ida rassembla toute son énergie pour pousser. Elle releva à mi-cuisse ses jupes déjà salies.

Accroupie, la jeune fille transpirait l’explosion de l’angoisse tant ses tissus étaient tendus.

Elle inspira longuement cramponnant jusque dans ses mâchoires sa violente douleur qui montait, redescendait, puis retint son souffle et poussa de nouveau jusqu’à ce qu’elle ait besoin de reprendre sa respiration.

Après ses efforts expulsifs répétés, Ida s’attendait à voir poindre la tête de son enfançon mais la surprise fut de taille…

Un œuf marbré, veiné de bleu tomba sur la mousse humide, mêlé de glaires visqueuses, de sang souillé. Son ovale était aussi gros que trois poings.

Ida s’épouvanta et retint un cri d’effroi qui, rompant son cœur, haletait l’expiration de la délivrance.

L’épouvante la saisit toute entière et son cœur battait à tout rompre.

Une malédiction ! Ce ne pouvait être qu’une malédiction causée par les perversités démoniaques de la baronne. Oui, une vengeance du Très-Haut.

Mais, la pauvre moniale qu’elle était n’avait rien voulu de tout cela… Elle avait été contrainte de se plier aux exigences de « la grande dame ».

Dès lors, elle n’eut qu’une idée : fuir et oublier.

Il fallait faire vite…

Saisie d’une folle panique, abandonnant toute prudence, toute logique, elle prit son élan et fonça vers le couvent qui représentait le salut avant son trépas…

Alors s’éleva sur la clairière un son étrange, bizarrement déformé par le souffle du vent, et qui fendait le silence éternel du lieu.

C’était le cri d’un enfant… Un enfant qui avait brisé la coquille qui le protégeait du monde extérieur, l’appel au secours de la fillette en devenir…

L’énorme pierre coulissa et un vieillard en sortit à la hâte.

Il était revêtu d’un froc de moine serré à la taille par une cordelette assez lâche.

Ses pieds nus étaient chaussés de sandales usées et ses traits disparaissaient sous une abondante barbe en cascade.

Il s’approcha timidement vers le nouveau-né.

Après une longue et méticuleuse inspection du petit être, attendri autant par sa chétiveté que par l’épaisse toison blonde qui couvrait sa fontanelle, il le prit dans ses bras et retourna dans sa crypte rocheuse et la pierre se referma…

La pluie avait cessé de tomber et dans le lointain, les derniers grondements de l’orage allaient en s’amenuisant. Les nuages menaçants qui encombraient le ciel disparurent peu à peu, chassés par le souffle puissant qui balayait les vallons…

1. Divinité symbolisant la vie depuis les premières expériences religieuses des hommes.

CHAPITRE PREMIER

Une dizaine d’années plus tard…

J’avais survécu grâce à la protection du vieux Siméon. Il m’avait entouré de tant de soins, élevée comme sa propre fille.

Dès ma naissance, j’étais tombée en langueur, dépérissais et me portais très mal. Et cet affaiblissement était accompagné d’une réaction singulière. Je ne pouvais absolument pas supporter la lumière du jour. Même le plus petit rayon me donnait des convulsions terribles ; je hurlais, me débattais avec une violence inouïe, suffoquais, étouffais.

Mon sauveur était patient et me prodiguait des médications dont lui seul avait les secrets. Il s’était, voilà bien des années, hâté de rejoindre la forêt où il profita du don de la nature, exécrant la foule. Je n’en savais guère davantage. S’était-il sauvé pour se repentir ?

Je m’affaiblissais toujours épuisée par les crises et en définitive, la mort semblait être mon cruel dessein.

Il n’en fut pas ainsi.

La mort ne voulut pas de moi, le Diable qui avaient tenté de me happer aussi.

Siméon ne s’affolait pas et conjura le mauvais sort donc j’avais été victime.

Un matin, grâce aux plantes, aux cataplasmes, aux rituels et aux prières, je fus sauvée des ténèbres. La lune ne déversait plus ses sanglots… J’étais une miraculée.

Cachée à l’abri du dehors, je demeurais ici dans ce refuge de pierre que nul ne pouvait connaître.

Il fallait cependant être très prudent et ne pas éveiller les soupçons. Nous possédions des couvres-feu et le crépuscule paraissait le plus propice aux échanges avec la nature. Mon maître, qui prenait presque la place d’un père, et moi-même vivions de notre cueillette de baies, champignons, racines, des collets que nous posions. Parfois, d’un peu de vol, mais Dieu nous protégeait, nous ne causions aucun mal, aucun tort à quiconque.

Mon équilibre était là.

Chaque jour, ainsi qu’il le faisait depuis longtemps, Siméon m’instruisait, à l’ombre d’un châtaignier, sous la pierre de la connaissance, protectrice, puissante et gravée des signes que nous lui apposions ou près de la rivière qui sourdait du sol, dans cette île de silence et de sylves, ce labyrinthe végétal qui s’étendait sur tout le massif.

Je m’asseyais toujours à ses pieds et nous écoutions tout son savoir.

Outre la connaissance des non-initiés, des animaux, du visible et de l’invisible, il m’enseignait le latin, le grec et nombres de langues usitées ou non. Il professait l’écriture, le savoir des étoiles, la géographie de contrées éloignées et même le maniement du bâton, de la lutte à main nue.

J’avais une si grande soif d’apprendre et Siméon le comprenait bien. À plusieurs reprises et providentiellement, je fus rescapée des eaux tortueuses et donc d’une noyade certaine, de la chute mortelle d’un arbre. Jamais aucune séquelle ni contusion ne m’avaient affectées.

– Tu as toujours été ma petite, pourtant, il me faudra te quitter tôt ou tard, tu le sais bien… (Me voyant faire la moue, il reprenait en lissant sa longue barbe poivre et sel), je ne te quitterai pas pour autant, nous serons toujours liés, il en est ainsi, fais-moi confiance…

Oui, j’étais bien ici, je me sentais chez-moi, ici et nulle part.

Souvent, happée par un souffle insaisissable, un fluide venu d’ailleurs, je m’abandonnais, discrètement, dans de longues promenades. L’écrin des collines verdoyantes savait me calmer, les parfums qui montaient de la terre mouillée, de la sève des résineux me revigoraient.

Sans but précis, je montais lentement la rampe qui menait aux vestiges de nos ancêtres… Les Éduens, m’avait enseigné Siméon… C’était ici que Vercingétorix avait été porté à la tête des armées gauloises… Une capitale devenue alors un haut-lieu pour les sièges : Bibracte. Il devait s’y passer des choses suffisamment troublantes, puisqu’il m’était défendu de m’y rendre à certaines périodes, lors de quartiers de lune bien précis, au changement de solstice. Docile, j’obéissais, or, plus je grandissais et plus ma curiosité s’aiguisait. L’envie de braver l’interdit me dévorait… Il me faudrait, tôt ou tard, percer ce mystère.

Le soleil était souvent pâle et timide, or, il éclairait suffisamment la plate-forme rocailleuse de l’oppidum où s’entassaient les ruines ancestrales. Celles-ci donnaient encore une prodigieuse idée d’audace et de force ; des pans de murailles isolées dont la durée relevait du miracle émergeaient des broussailles ; ça et là, d’anciennes habitations s’accrochaient à la roche, image de naguère, quand les vallées surveillaient l’ennemi romain à l’horizon. Peut-être les légions de cet illustre Jules César ?

J’aimais ce cadre devenu, à présent, si familier ainsi que ses hêtres tortueux et centenaires qui plongeaient leurs racines dans le temps. Ils savaient créer une atmosphère fantasmagorique.

Parfois, il m’arrivait d’entendre chuchoter de douces mélopées dans les ramures…

« Tu, tu, tu, tu… »

Était-ce des messagers de promesses ?

La chanson du vent dans les feuillages m’apportaient des mots à même de me guider et ma vision s’aiguisait en empruntant des chemins plus intuitifs.

Des indices fugaces me cernaient, pendus à des branches bourgeonnantes, à des rameaux ou délicatement cachés dans la nervure d’un organe végétal.

Mes sens aux abois écoutaient le devin révéler ce que le murmure des feuilles lui avait soufflé.

N’était-ce pas le véritable bonheur tant convoité ?

CHAPITRE II

Je me dressai sur la paillasse et essuyai mes larmes d’un revers de main.

La vision de ce rapace que j’avais toujours vu en songe me hantait.

Il tournoyait toujours dans les airs avant de fondre sur moi, me faire prisonnière de ses serres et me dépecer.

Ce cauchemar était toujours le même…

Les pas de Siméon résonnèrent sur la pierre froide.

– Ah, mon enfant ! Encore ce rêve ? murmura-t-il en caressant mon front mouillé de sueur.

Rouvrant les yeux, je vis le Poupa, comme je le nommais, accroupi à mon chevet, une bougie dans sa main sèche et noueuse. La chandelle l’éclairait d’une lumière blafarde, ses cheveux blancs striés de fil d’argent formaient un halo autour de son visage anguleux et ridé. Il paraissait très frêle dans sa robe usée.

– J’ai prié pour qu’il ne vienne plus hanter ton sommeil, Flore… Et pourtant, le grand livre de la vie en décide toujours autrement.

Je reniflai et tentai d’apaiser mes dernières craintes.

Le vieil homme caressa une boucle blonde et emmêlée qui retombait sur ma tempe et laissa glisser ses doigts sur mon visage.

– Là, là, c’est fini, fit-il d’une voix apaisante.

– Je suis désolée de t’avoir encore réveillé, je ne voulais pas…

– Ce n’est rien, coupa-t-il. Maintenant, dis-moi, pour quelle raison, à ton avis, as-tu encore eu ces visions ?

Je ne répondis pas.

– Tu te tais… La réserve est une grande vertu. Pourtant je ne pense pas qu’elle soit la cause de ton silence. Raconte-moi. Est-ce toujours les mêmes ?

Comme s’il ne savait pas !

Que de fois, j’avais eu honte de m’être confiée à lui.

Ces rêves étaient si forts, si entêtants, si douloureux.

J’avais deux ou trois ans lorsque le cauchemar atroce avait commencé et il me tyrannisait l’esprit depuis.

Je baissai les yeux et il comprit mon désarroi. Je ne pus lui mentir.

– Raconte-moi, insista-t-il doucement. Tu sais que c’est pour ton bien, alors confesse-toi, même si rêver n’est pas une faute. Te voilà une jeune fille à présent, tu as quatorze ans, déjà, je crois qu’il est grand temps de te révéler le secret de tes origines… Sois convaincue que tous les événements survenus avant ta naissance ne font pas de toi une pécheresse. Loin de là. Nul n’est responsable des actes commis par ses ancêtres, les purger est la seule échappatoire au descendant… Tu es le fruit d’une union maléfique et ton salut ne dépendra que de ta propre volonté.

Faisant une mine qui montrait mon incompréhension, je fronçai les sourcils.

Que voulait-il insinuer ? Jusqu’à ce jour, nous n’avions pas abordé le sujet de ma naissance. Jamais je n’avais posé la moindre question sur ma provenance, n’y ayant pas songé. Pour moi, la vie était aux côtés du Poupa et il ne pouvait en être autrement. Son fanatisme le rattrapait-il tout bonnement ?

– Maintenant, rallonge-toi… Nous en reparlerons lorsqu’il fera jour.

Docilement et comme d’habitude, je me laissais faire. Mais tout semblait vaciller, ne tenir qu’à un fil à présent.

L’insouciance de mes premières années paraissait-elle compromise ? Peut-être allais-je devenir une autre ? Je ne le voulais pas ! J’étais Flore et rien ne pouvait changer.

Je n’ignorais pas les principes de la conception, alors les enfants ne naissaient pas d’une petite graine plantée au bon gré du Très-Haut et il était encore moins question de jardinage.

Lors de mes excursions dans la nature, j’avais pu observer certains comportements de mes dits semblables.

Au détour d’un fourré, tapie derrière un buisson touffu, il m’arrivait de voir une jeune fille se faire béliner le joyau par un commis ou tel autre manouvrier.

Lors de ces instants volés, le feu courait sur mes joues et je me sentais un peu honteuse… Honteuse, mais heureuse d’avoir assouvi ma curiosité.

Cependant je réfléchissais, tentais de percer le mystère que le Poupa avait éveillé en moi et agacée par tant de réflexions, je réussis tout de même à m’endormir.

La journée me parut interminable en attendant cette révélation tant imaginée.

Malgré l’une des occupations qui était, à l’accoutumée ma favorite, je trépignais d’une impatience non feinte.

Délaissant les petites figurines d’animaux en bois que je sculptais, je posai mon coutelas sur mes genoux repliés et détaillai la grotte creusée dans la roche, bien en profondeur, à l’abri du monde extérieur, celle-ci même qui m’avait vu grandir.

Il n’y avait rien de superflu, juste le strict nécessaire. L’intérieur présentait un aspect presque misérable : dans un angle, mon lit de fougères sur lequel étaient jetées deux ou trois pelisses en mauvais état, qui protégeaient encore bien de la rigueur hivernale, plus loin quelques outils confectionnés par Siméon et diverses provisions que nous renouvelions au gré de la volonté divine, dans un autre coin, la couche du Poupa à l’identique de la mienne, au milieu se trouvaient deux rondins de bois qui constituaient des tabourets et une petite table grossièrement façonnée sur laquelle étaient posées les bougies qui nous éclairaient. Dominant le tout et accrochée à la roche, trônait un crucifix en buis que j’avais fabriqué.

Mes yeux s’attardèrent sur les bâtonnets dont la cire gouttaient peu à peu sur les petits chandeliers de fortune.

L’endroit le plus précieux restait le foyer, là où les flammes brûlantes épousaient, caressaient le vieux chaudron, hôte de nos soupes épaisses et de nos ragoûts. Le feu était la vie, le symbole sacré.

La forêt nous offrait beaucoup de ressources : fagots, gaulis, vergnes, coudriers, souches. Les haies abondaient et les broussailles aussi.

Chaque feu avait son essence et en abaissant les paupières, je pouvais sentir les différentes effluves. Si l’érable, qui laisserait Saint Pierre mourir de froid à la porte du paradis, ne convenait qu’aux flambées d’été, le charme et le chêne soutenaient les feux du plein hiver ; avec le bouleau aux longues escarboucles huileuses, nous évitions d’user des chandelles, l’épine noire savait réchauffer en peu de temps l’atmosphère. Nous gardions, pour la nuit de la Noël, un vieux tronc de pommier au cœur rouge et bien sec. Et les fruits de ce dernier, que nous avions conservés à l’abri de l’humidité constituait un véritable festin. Leur ventre tendu et bien lisse au chaud, crachait leur âme dans la cendre répandant une odeur suave et sucrée.

Les soirs de grandes froidures, le Poupa rassemblait les braises, recroisait les tisons, les recouvrait de cendres en manteau assez lourd pour endormir le feu, assez léger pour qu’il vive jusqu’aux brumes du petit matin blême. Alors quelques brins de chanvre suffisaient et un souffle naissait de nouveau…

Les mains réunies en prière, Siméon méditais et je n’osais rompre son silence.

Sa respiration était si calme que je l’aurais cru mort.

Il avait toujours mené une existence ascétique où la prière, le recueillement rythmaient ses journées. Il n’apparaissait pas comme un reclus volontaire, un ermite ayant choisi de vivre à l’écart du monde et de son agitation, mais réellement comme un prisonnier, c’était mon point de vue.

Je devais bien admettre que la venue d’un nourrisson l’avait désorganisé dans son quotidien. À ce qu’il clamait, Dieu en avait décidé ainsi, la Sainte Vierge également, et il s’était plié à cette épreuve qui, pour lui, s’était avérée un enchantement, la preuve de l’amour divin.

Je me demandais, parfois, si durant sa jeunesse, il avait connu des femmes…

J’effaçais bien vite ces questions de mon esprit sans qu’elles ne disparussent totalement.

Une volée de marches en larges pierres brutes constituait l’habile escalier et par un judicieux mécanisme, au sein d’une niche à même la roche granitique, permettait à la lourde dalle externe de pivoter et nous permettre de sortir sans difficulté.

Je m’ennuyais et Siméon ne semblait pas décidé à sortir de sa sempiternelle méditation.

Que faire ?

J’ajustai bien fermement les lacets de mes sandales et, sur la pointe des pieds, pris le chemin de la liberté.

Le cœur souligné par la batte d’un tambour, je jetai un œil sur le Poupa afin d’être bien certaine de sa léthargie.

Visiblement, il n’entendait rien…

De la roche, un rai de lumière intense filtra à travers une fente et me poussa à sortir, me priait même.

Quel plaisir de sentir le vent me balayer le visage ! Je savourai cet instant en humant l’air et me sentais envahie par une ivresse : celle de la liberté.

CHAPITRE III

En cette fin de matinée d’automne, la forêt était encore toute humide de la dernière averse après cet été cognant, chaud et sec. Les trompes de l’affluent expulsaient ses petites vagues laconiques, miroitantes de camaïeu céruléen et répandaient ce prisme d’eau claire qui luisait au soleil. Le ruisseau gonflé des roulis d’eau douce débordait sur ses rives et l’argile craquelée se gorgeait à plein poumon de ces flots bénéfiques. Quelle était vive cette contrée de puits endiablés !

Les chênes se remplumaient de feuilles émeraude, les bouleaux aux troncs blancs immaculés étaient nimbés d’or qu’ils renvoyaient au ciel encore gris et les charmes s’enveloppaient de leurs ramées fripées bruissantes sous le vent d’Ouest déjà frisquet. La tramontane transportait ce timbre décoloré de machettes sanglantes, celles des bûcherons qui taillaient démesurément l’arborescence à flanc de colline. À chaque tranchage, on distinguait le craquement des rouvres1 qui tombaient dans un fracas de branches brisées. Les grandes coupes de bois de l’automne avaient donc ainsi commencé.

Je courais comme un chevreuil affolé, m’arrêtais pour respirer et me saouler des émanations tantôt moussues, tantôt poivrées que diffusait la tourbe des Monts-Noirs.

Cachée sous un abri de branchages, je guettais plusieurs écureuils roux, vifs, méfiants qui préparaient leur récolte hivernale et admirais le fût des aulnes si drus, si hauts aux troncs lisses, les frêles bouleaux, les fougères rougissantes… Voilà, tel était mon domaine, mon refuge, ma terre nourricière…

Lorsque je me délectais de ces spectacles, il m’était inconcevable que ma vie fusse ailleurs, c’était impossible puisque j’aimais tant la nature et elle me le rendait au centuple.

Tout à coup, je sentis un vent glacé souffler sur ma nuque et subitement je redressai la tête.

« Le vent… Le vent s’est levé, me dis-je en fronçant les sourcils. Il n’y en avait pas auparavant. »

La bise ne pénétrait que rarement dans les fourrés épais comme ceux dans lesquels je me trouvais à présent. Tout au moins, elle n’avait pas cette intensité.

Oppressée, affolée, une grande crainte s’empara de moi.

Tout semblait s’être arrêté… Tout.

Une rafale secoua les branches inclinant la cime des arbres.

Un danger invisible, omniprésent, maléfique avalait la tranquillité et un cri effroyable se fit entendre, un cri perçant, un cri de douleur.

Vidée de toute mon énergie vitale, je restai prostrée car ce que je vis me paralysa.

Il ne fallait plus bouger, ne plus respirer.

Une créature au corps de femme, aux ongles acérés comme les serres d’un busard, à la tête de rapace violentait une toute jeune femme.

Ce ne pouvait être réel et la « chose » avait très certainement endossé un masque pour se grimer.

Pourtant, je ne rêvais pas… Je savais différencier les rêves du sommeil et l’ignominie de ces actes relevaient bien du réel. C’était une véritable torture.

La pauvre, pieds et mains liés, gisait dans les feuilles, sur la mousse pourprée et en reptations maladroites, lamentablement, elle tentait de reculer sous les ronces.

Je me rapetissai encore et entendais le souffle court de la victime alimenté par l’effroi tandis que la bête ricanait. Le ricanement insolent, le ricanement débile, ameuté et proche de la panique, le cri narquois à endosser un frisson jusqu’à la nuque, pensant qu’on était rassuré d’avoir longue coiffe et longue cape.

Les pas du bourreau s’approchaient d’elle et la proie psalmodiait une prière désordonnée alors que sa tête se trouvait juste sous les épines constellées de toiles d’araignées.

Croyait-elle voir le buisson ardent alors que les coups du bec fortement incurvé, crochu et tranchant lui déchiquetait les entrailles ?

La créature eut un rire sardonique et planta derechef ses griffes longues et recourbées autour du cou délicat de la malheureuse.

Le plaisir arriva… La jouissance diffusait ses ondes et l’acte devenait presque charnel…

Elle serrait… Elle serrait… Toujours plus fort et les chairs se marquaient de longs sillons rougeâtres. Le sang dégoulinait sur la peau blanche et laiteuse.

La tourmentée criait…

– Alors frocarde, jusqu’où comptes-tu m’espionner encore ? tonna la femme-oiseau d’une voix nasillarde. Pauvre folle ! Dès la première semaine, je t’ai fait suivre. Ton petit jeu était perdu d’avance. Croyais-tu pouvoir quitter le couvent à ta guise pour m’espionner ?

Elle continuait son carnage.

– Ton prochain compte-rendu, tu le feras devant ton nouveau maître : Satan ! Ha ! Ha ! Ha ! Ha ! Laisse-moi rire de ta naïveté !

J’étais de marbre et sous mes cils clairs perlaient des larmes tandis que quelque chose d’affreux roulait dans mes veines. J’avais de plus en plus peur et si au moins Siméon avait été là…

Les yeux de la proie humaine s’étaient révulsés et ses bras avaient esquissé un pauvre geste de défense vain. Elle sombrait et son buste baignait désormais dans une flaque écarlate.

La meurtrière resta un moment penchée sur le corps palpitant, puis se releva machinalement. Une vague impression de dégoût l’avait-elle envahie ?

Un léger craquement derrière moi me fit sursauter ce qui m’obligea à me retourner.

Le Poupa se tenait là, il m’agrippa l’épaule droite et posa un index sur ses lèvres pour me forcer à garder le silence. Ses yeux gris troublants me fixaient avec gravité.

Une crainte sans nom nous frappa de plein fouet lorsque nous vîmes la femme-oiseau, les sens en éveil, percevoir une présence, notre présence.

Sa calotte couleur ébène à la renverse, son bec en l’air, ses yeux jaunes perçants, elle sondait l’espace en quête de ces odeurs inconnues tout en émettant des stridulations aiguës.

Je crus que notre dernière heure avait sonné.

Je m’agrippai à Siméon, le cœur battant à tout rompre continuant cependant à lorgner entre les épines le massacre parvenu à son paroxysme. Le Poupa ressentit mon angoisse et m’étreignit. Nous allions mourir ensemble, c’était assuré…

Un curieux personnage apparut d’un fourré : un jeune homme au visage déformé et grimaçant, arborant une bosse perchée tout en haut du dos. Penché, plié en deux, il trottinait en bougonnant vers la victime. Il renifla le sang frais, y plongea une main crottée et suça ses doigts avec délectation.

La femme s’approcha de lui et passa ses ongles dans la chevelure brune poisseuse et emmêlée.

– Bon petit, bon petit, fit-elle attendrie par l’être au physique ingrat.

Ce dernier se blottit contre la robe de brocart et frotta ses joues contre le tissu délicat en chiot affectueux.

Il exprimait de petits grognements de contentements.

Je déglutis avec effort.

– Allez, reprit la femme, prends cette chienne et attache-la à la plus haute des roches, celle qui est dressée sur le pic des Monts-Noirs, celle qui culmine au-dessus des ruines. Il faut que les éclaireurs de la châtellenie la retrouvent au plus vite et qu’ils la voient.

Une fois le corps inerte chargé sur ses épaules, le jeune homme docile entreprit son ascension boiteusement en direction des antiques murailles.

Siméon me tira le bras, me força à quitter notre gîte et précautionneusement, nous prîmes la fuite sans même nous retourner.