Le Mystère du chêne brûlé - Céline Guillaume - E-Book

Le Mystère du chêne brûlé E-Book

Céline Guillaume

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Beschreibung

Découvrez le second titre de la saga La Baronne des Monts-Noirs

1160. À l’heure où Flore dirige le couvent de Sainte-Radegonde, sa fille, Mélissandre, disparaît mystérieusement dans les bois des Monts-Noirs. Parallèlement, Girard de Bellegarde, évêque d’Autun, fomente quelques intrigues diaboliques dans les recoins les plus secrets du palais épiscopal. D’atroces crimes sanglants ont de nouveau lieu, réveillant ainsi le passé. Le mal aux multiples visages rôde, sournois et malsain, autour de tous. Qui s’y opposera ? Flore grâce à sa quête qui la rattache à une tradition millénaire ? Sa fille qui chemine inexorablement sur ses traces ? Albéric, l’amant fidèle ? Peu à peu, depuis la Terre-Sainte jusqu’au Morvan se rejoignent celles et ceux qui devront mener l’affrontement final. Mais qui peut prédire l’issue de ce combat tumultueux entre les abîmes et la lumière ? Après La Baronne des Monts-Noirs, le second tome de cette saga, située à mi-chemin entre roman historique et épopée imaginaire, enchantera les lecteurs de Céline Guillaume. Céline Guillaume semble avoir vécu parmi eux, tant ses héros sont forts, vibrants et pénétrants.

En rêveuse méthodique, l’auteur extrait un texte flamboyant du terreau de ses songes et transforme ses personnages en êtres de légende.

EXTRAIT

En l’an de grâce 1160 dans les Monts-Noirs.
– Reynaud, attends, haletait Mélissandre en s’adossant contre le tronc d’un arbre. Je n’arrive plus à te suivre… Reynaud? Reynaud, tu m’entends ? Réponds-moi…
Reprenant un souffle qui lui faisait défaut, pliée en deux, les mains appuyées sur les cuisses, elle avait l’impression d’être abandonnée dans l’immensité du bois touffu des Monts-Noirs. Avril pétillait de bourgeons et de verdeur retrouvée. La terre vibrait de mousse, des buissons de baies chargés de feuillage neuf s’entremêlaient aux branches basses des fougères.
– Tu n’avais qu’à manger le bon pain frais de soeur Marguerite et boire ton lait de poule ce matin, tu aurais eu des forces pour enfin m’attraper ! s’écria la voix lointaine d’un jeune garçon. J’en connais une, la Jeannette, qui trop pressée de me voler un baiser, m’aurait déjà jeté dans la mousse…
Elle soupira. D’accord elle possédait un appétit d’oiseau, mais, le moment était mal choisi pour lui rappeler ce souci de constitution. Si bien manger était gage d’une santé de fer, pour elle cela n’avait aucune importance. permettra assurément de publier un second ouvrage bien meilleur que celui-ci.

A PROPOS DE L’AUTEUR

Céline Guillaume, auteur de nombreux ouvrages plusieurs fois primés dans lesquels son écriture limpide et à « fleur de mots » plonge le lecteur dans un univers personnel d’une grande profondeur, nous livre ici un  roman puissant et envoûtant, un roman  au style flamboyant, un roman  médiéval et fantastique. Elle devient ainsi une actrice incontournable dans les mondes de l’imaginaire. Avec La Baronne des Monts-Noirs, la magicienne féerique poursuit son ascension…

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Ähnliche


PRÉFACE

Dans la noirceur des souterrains mais sans jamais perdre la lumière de l’espoir, suivez le cheminement de Flore et de Mélissandre…

Un voyage dont vous ne sortirez pas indemnes.

MIREILLE CALMEL

Le 21 octobre 2012

RÉSUMÉ DU PREMIER TOME

Dans les Monts-Noirs du Morvan, 1131.

En pleine forêt, Ida, jeune moniale au couvent de Sainte Radegonde, donne naissance à un œuf. Elle vient de fuir le massacre d’un village.

De cet œuf mystérieux naît Flore, une enfant conçue dans le péché lors d’un sabbat diabolique.

Immédiatement abandonné par sa génitrice, le nouveau-né est aussitôt recueilli par le vieil ermite Siméon. Ce dernier le cache dans son repère secret, une pierre étrange et ancestrale.

Les années passent et le sauveur protège la fillette en lui apprenant à survivre en pleine nature, il lui enseigne les lettres et la connaissance des simples.

Un jour, Flore est témoin d’une scène effroyable. Une créature mi-femme, mi-rapace, accompagnée d’un bossu, violente une jeune fille et la tue sans vergogne.

Flore est loin de se douter que cette démone est l’auteur de bien d’autres crimes sanglants.

Bien que mise en garde par Siméon, son Poupa, elle décide de partir à la découverte du monde qui l’entoure.

En catimini, elle s’enfuit dans les bois et y découvre un autre corps mutilé.

Elle perd connaissance.

Transportée au couvent de Sainte Radegonde par des nonnes, elle y est soignée et enrôlée.

Elle est confrontée à des mœurs inquiétantes et des personnages atypiques dont la prieure commandée par cette noble dame à la fois perverse et rude.

Flore tente de mener son enquête et va de surprise démente en surprise effroyable.

Réussissant à s’échapper de ce piège, elle retrouve le Poupa, lui-même parti à sa recherche.

Dans leur fuite, ils se font attaquer par la femme-oiseau qui blesse mortellement le vieillard.

Flore prend conscience du fluide magique qui l’habite et avant de mourir, Siméon lui confie une grande mission.

Il lui faut rejoindre la Terre-Sainte et rapporter les « lacrymosa », plus communément appelées : Les Larmes du Christ. Ces précieuses reliques peuvent mettre un terme à la terreur qui s’est installée dans les Monts-Noirs.

Flore promet au mourant et se retrouve dans la suite d’Aliénor d’Aquitaine, épouse du roi de France.

Elle fait ainsi partie du convoi en partance pour la seconde croisade.

En chemin, elle rencontre Albéric de Savigny, un chevalier fidèle au suzerain dont elle tombe éperdument amoureuse.

Ensemble, à Jérusalem, ils unissent leurs forces afin de retrouver l’objet de la quête.

Combats, drames, émotions, conspirations, trahisons…

Une succession d’événements, un périple fou les attendent. Jusqu’à revenir dans les Monts-Noirs où ils tenteront d’éliminer la femme-oiseau, Bérangère de Montembert.

Malheureusement, la créature se révèle puissante et les révélations sont déstabilisantes.

Albéric est le cousin de Flore et la baronne la mère du chevalier.

Elle est blessée et considérée comme morte. Pourtant, le souffle de vie l’anime encore.

Flore porte l’enfant du chevalier aimé…

« Les fées nous échappent. Elles sont radieuses et on ne peut les saisir. Et, ce que l’on ne peut avoir, on l’aime éternellement. »

Jules Renard

CHAPITRE PREMIER

« Bleus matins ouverts sur le fond des âmes, comme un horizon qu’il faut découvrir, incendiez en moi ce qui doit mourir et nous danserons près des hautes flammes… »

Sorceline

En l’an de grâce 1160 dans les Monts-Noirs.

– Reynaud, attends, haletait Mélissandre en s’adossant contre le tronc d’un arbre. Je n’arrive plus à te suivre… Reynaud ? Reynaud, tu m’entends ? Réponds-moi…

Reprenant un souffle qui lui faisait défaut, pliée en deux, les mains appuyées sur les cuisses, elle avait l’impression d’être abandonnée dans l’immensité du bois touffu des Monts-Noirs. Avril pétillait de bourgeons et de verdeur retrouvée. La terre vibrait de mousse, des buissons de baies chargés de feuillage neuf s’entremêlaient aux branches basses des fougères.

– Tu n’avais qu’à manger le bon pain frais de sœur Marguerite et boire ton lait de poule ce matin, tu aurais eu des forces pour enfin m’attraper ! s’écria la voix lointaine d’un jeune garçon. J’en connais une, la Jeannette, qui trop pressée de me voler un baiser, m’aurait déjà jeté dans la mousse…

Elle soupira. D’accord elle possédait un appétit d’oiseau, mais, le moment était mal choisi pour lui rappeler ce souci de constitution. Si bien manger était gage d’une santé de fer, pour elle cela n’avait aucune importance.

Quant à la Jeannette, s’il croyait la rendre jalouse…

Jeune garçon, c’était vite dit puisque le petit pédant filait sur les quatorze ans et la puberté le réchauffait chaque jour davantage. Se croyant irrésistible avec sa chevelure rousse flamboyante et les taches de naissance qui tavelaient ses joues, en coq superbe, il paradait sur sa cour féminine au couvent de Sainte-Radegonde.

Beaucoup d’enfants élevés à leurs côtés avaient hélas trouvé la mort après quelques années de vie. Les épidémies, le climat rude du Morvan n’étaient pas les principaux responsables de ces pertes. Leurs maltraitances antérieures, les coups, les rossées, la nourriture infâme avaient considérablement affaibli leurs organismes et ce malgré les soins que Flore, aussi dévouée soit-elle, leur avait prodigués.

Reynaud demeurait le seul gamin de sexe mâle et il en profitait un peu trop à son goût.

Parfois, il l’exaspérait avec ses grands airs dominateurs et ses ordres, mais ayant toujours grandi à ses côtés, il la fascinait tout autant. Oui, sa différence corporelle la troublait. Elle l’intriguait tel un fruit défendu.

À cause d’elle, Mélissandre ne pouvait se passer de sa présence rassurante et de son caractère bien trempé.

N’avaient-ils pas grandi ensemble ?

Les années ainsi passées côte à côte renforçaient les liens du cœur, le long fil d’Ariane qui se déroulait sur leurs deux vies conjointes.

Presque tous les jours, à quelques lieues du couvent, ils allaient dans leur petit coin de paradis qu’était la forêt. Leur cachette sauvage était peuplée d’orties et de mûriers, d’arbres centenaires et de ruisselets cristallins, d’oiseaux divers et de petit gibier.

Là, ils paraissaient heureux comme peuvent l’être des enfants, sautant d’un rocher granitique à l’autre, humant l’air et ses notes poivrées, chassant les rainettes par temps humide, des grenouilles parfois oubliées dans leurs besaces et qu’ils retrouvaient le plus souvent étouffées, aplaties telle une momie d’eau douce.

En fonction des saisons, ils se régalaient de fraises sauvages ou de myrtilles, de noisettes ; rapportaient des paniers de cèpes, de chanterelles aux cuisinières pour leurs fricassées, et lorsque le soleil, véritable dieu incarné, ne les aveuglait pas, ils apercevaient, en contrebas, ce qui était devenu une véritable chartreuse, une forteresse de pierres avec des murs réfléchissant la lumière du jour. Sa mère en était la fondatrice, amenant une grande fierté au cœur de la jouvencelle.

Une grosse tour carrée ainsi que la partie arrière de la bâtisse se perdaient dans les bois qui bordaient la crête, laissant planer un sentiment de mystère. Cernés par la végétation protectrice, les visiteurs accédaient aux saints lieux par un raidillon sinueux que l’on avait aménagé pour le rendre carrossable.

– Reynaud ? Je ne t’entends plus. Reynaud, si tu t’amuses, ce n’est pas drôle, montre-toi maintenant, gronda-t-elle pour se donner de l’aplomb, prise par l’étrange atmosphère que généraient les sous-bois.

Depuis quelques instants, la forêt lui paraissait plus sombre qu’à l’accoutumée et le moindre petit bruit semblait exacerbé à ses oreilles.

Les sens en alerte, elle écoutait tout, depuis le bruissement des feuilles jusqu’au grincement des branches et son courage fondait de pas en pas.

Pourquoi donc persistait-il à se cacher, la laissant là, face à cette angoisse grandissante ? Il ne perdait rien pour attendre.

Elle sursauta sous l’envol, pourtant discret, d’un passereau sur une haute branche.

Les feuillages denses, les troncs à perte de vue l’étouffaient, voulant l’emprisonner dans cette prison naturelle qui faisait d’elle la proie d’un danger invisible.

Frissonnante, elle remit en place l’étole qui lui couvrait les épaules. Elle tenta de se ressaisir.

Après un hiver froid et terriblement maussade, un nouveau printemps rajeunissait la nature. Les prairies verdoyaient. Les bourgeons, roses ou blancs, pointaient sur les branches gonflées de sève, on aurait cru les tétons offerts d’une délicate amante, les insectes bruissaient sous l’herbe tendre, les oiseaux traversaient l’azur en pépiant, faisant écho à l’alléluia des cloches de Pâques.

Or, cette animation champêtre ne la ravissait plus.

Malgré tout cela, tout autour d’elle respirait l’étrangeté, l’impalpable…

Se cherchant une confiance factice, elle déambula entre des arbres aux silhouettes fantasmagoriques, des arbres qu’elle ne reconnaissait plus. Elle coucha du pied les enchevêtrements de ronces qui arboraient leurs premières inflorescences, écarta les jeunes fougères qui déployaient leurs nouvelles pousses en évitant de fouler les derniers perce-neige.

D’ordinaire, de loin en loin, résonnait un cri d’homme hélant ses bêtes ou une voix de femme qui appelait ses enfants. Elle n’entendait plus les clameurs du quotidien. L’épaisseur du sous-bois étouffait le moindre bourdonnement et son chemin se perdait toujours dans l’ombre. L’humidité se densifiait ; elle était pressée de regagner cette lumière salvatrice que les ramifications ne lui permettaient plus de deviner.

Toutes ces attentions furent bientôt oubliées.

Elle était prise sous un dôme végétal compact.

La cime des résineux, les longues branches des fayards formaient voûte, augmentant la pénombre.

Quelque chose craqua, quelque part, devant elle.

– Reynaud ? appela-t-elle, le cœur bondissant à lui écarteler les côtes.

Nul ne répondit. Elle était seule. Perdue ?

Incontrôlable, son angoisse atteignit alors son paroxysme, l’extrême limite de la peur qui peut nous donner des ailes ou nous enliser dans nos frayeurs.

L’énergie qu’elle lui procura parcourut tout son être et ses jambes se mirent en action.

Elle devait quitter cet endroit au plus vite. Fuir cette menace que son instinct lui révélait.

Elle se mit à courir malgré les obstacles végétaux, haletante, les cheveux, le visage, les mains, le bliaud fouettés par les branches basses.

Comme elle aurait aimé être au couvent à ce moment précis !

Dans sa tête, elle imaginait son retour.

Essoufflée, elle entrerait dans la grande cuisine, embrasserait de toutes ses forces sa mère qui l’accueillerait d’un sourire avenant.

La faim commençait à tourmenter son ventre et les sœurs finissaient sans nul doute de préparer un ragoût, peut-être même une tarte et elle imaginait déjà le verre de lait qu’on lui servirait. Elle raconterait alors ce qu’elle avait vu lors de cette matinée, tous ces petits détails différents qui ravissent les pupilles, tels les coups de bec du pic-épeiche contre l’écorce d’un pin, tel l’écureuil qui sautillait gaiement, telle la biche qui s’enivrait des bourgeons et bien davantage de choses encore.

Reynaud lui biserait la joue rosie par sa course et repousserait les mèches dorées qui barreraient son front…

Mais rien ne se passa comme elle l’aurait voulu, rien, absolument rien…

Elle sauta par-dessus un tapis de fougères pour se retrouver soudain face à un arbre, de toute évidence plusieurs fois centenaire, un chêne qui avait dû autrefois être merveilleusement imposant, un chêne martyrisé dont il ne restait qu’un tronc colossal fendu et brûlé en son milieu. L’ouverture, peut-être causée par la foudre, permettait le passage d’un homme mince. Elle s’immobilisa face à lui, la peur brutalement vaincue par son imposante majesté.

Elle attarda son regard vers ses racines si tentaculaires et éclatées qu’elles soulevaient le sol de plusieurs pieds.

Il se dégageait du géant une telle beauté macabre qu’elle ne put résister à l’envie de s’approcher, de le toucher.

« Le temps de reprendre mon souffle », se convainquit-elle.

Les yeux vers sa ramure morte, elle buta contre un pichet d’argile au bec ébréché.

Sa curiosité monta d’un cran. Elle se baissa pour le ramasser, ses doigts frôlèrent un, puis deux, puis trois crânes fichés dans la terre.

De nouveau son cœur se mit à battre la chamade.

De la mousse, sortaient des orbites sèches des crânes fendus. Le vert-de-gris leur donnait un nouvel aspect, une nouvelle existence de gnomes fossilisés. Des ossements se trouvaient disséminés tout autour du tronc, prisonniers des grosses racines, pétrifiés en vestiges éternels.

Pourquoi ces restes humains retenaient-ils son pas alors même que la seconde précédente elle ne songeait qu’à fuir loin de cette forêt ?

Reynaud se serait moqué d’elle. Encore à fureter, l’aurait-il narguée. Elle le chassa de son esprit. Curieuse, trop sans doute, elle l’avait toujours été.

Quel secret se cachait encore dans cet entremêlement végétal, entre ces pieds bulbeux qui l’empêchaient de bien distinguer ?

Elle se pencha en avant. Elle n’eut pas le temps de percer le mystère du chêne brûlé.

Le danger surgit du bourbier sous la forme d’une masse indistincte.

La chose, énigme vivante, entité barbare traversant les époques et défiant la mort, se jeta sur elle.

Mélissandre ne put voir son visage. Elle ne sentit que le choc du gourdin contre sa tête avant de sombrer dans le néant.

Alors sans ménagement, en vulgaire ballot, l’être la chargea sur son épaule.

CHAPITRE II

« C’est par l’amour qu’on demande, qu’on cherche, qu’on connaît. Aime donc et fais ce que tu veux. »

Saint-Augustin

Ma plume dessinait des arabesques…

« Ce soir, une force irrémissible me pousse à coucher sur le papier ces histoires d’autrefois. Et c’est à toi que je pense Albéric, à toi qui peut-être dors, besogne faite ou ordres donnés, dans les sables de Judée. Tu étais mon amant, mon protecteur et aussi mon sang, parmi les écueils de l’existence, tu savais guider mon âme comme personne vers l’asile le plus sûr. Je prie Dieu humblement, je te requiers de ne jamais m’oublier, de ne pas laisser flétrir les fleurs du souvenir, de nos émois passés.

« Oui, à l’aune de mon trentième printemps, je couche sur le papier ce qui jaillit de mon cœur.

« Mais qu’ai-je fait de cette vie fade et semée, sans trêve, d’embûches toujours plus ardues ? Qu’ai-je fait ? Qu’ai-je apporté ? Rien, il me semble, rien qui ne puisse être couronné de lauriers.

« Tomber, tomber, se relever, tomber encore et toujours plus bas m’a paru être le long collier de la vie, de ma vie.

« Et pourtant, je me suis battue pour ce couvent, pour ces enfants que j’ai reconnus comme ma propre chair, pour ces sœurs en quête d’apaisement. Sainte-Radegonde ! Sainte-Radegonde ! Quel projet fou ! Alors, tout n’est pas encore totalement perdu, il me faut donc faire une nouvelle promesse : ce soir, demain matin, je profiterai de tout, de chaque instant, de la brise, de tout ce que le monde m’offre, la joie de planter de jolies fleurs, de les voir s’épanouir et de respirer leurs fragrances.

« Je dois tourner la page de ce passé et de par ces résolutions, des révélations arriveront qui ne devront rien aux prophéties.

« Pourquoi attendre tranquillement l’heure du retour des ténèbres, des trophées dérisoires et puants du mal alors que je peux trouver la lumière au bout du sentier escarpé. L’opiniâtre combat que j’ai livré en naviguant à contre-courant doit me servir de guide.

« Croire en tout.

« Tant que je n’ai rien terminé, c’est comme s’il n’y avait pas eu de début : rien que des avortements. Avortement est un mot qui me fait frissonner…

« Le joug de l’impuissance, le sentiment de solitude ne doivent pas s’emparer de moi. Jamais !

« Il me vient un sourire, à cet instant, un sourire que tout un chacun trouverait, peut-être, idiot. Je note ainsi et fermement, à l’encre de ma plume : tous nos rêves peuvent se réaliser… »

Quelqu’un frappa, m’arrachant de cette rêverie solitaire.

Les coups pressants montraient l’insistance de celle qui les exerçait.

– Qui va là ? demandai-je d’une voix haut perchée.

– Ma Dame, ouvrez, c’est sœur Geneviève, ouvrez, s’il vous plaît au nom de notre Seigneur…

Je me précipitai pour tirer le verrou. La nonne m’apparut dans l’entrebâillement de l’épaisse porte de chêne.

– Ma Dame, ma Dame, l’évêque d’Autun est ici et demande à vous voir.

– Me voir ? Mais pour quelles raisons ? Jamais il ne nous a rendu visite, ni même prêté le moindre intérêt à notre communauté, rétorquai-je un peu irritée.

– Il s’agit d’une affaire de la plus haute importance et il ne veut s’entretenir qu’avec vous.

– Une affaire de la plus haute importance dis-tu ? rétorquai-je tout en faisant mine de réfléchir au problème.

– Nous l’avons installé au réfectoire et lui avons servi de quoi boire et manger pour le faire patienter.

Je soupirai de contrariété.

– Et bien soit, puisqu’il ne souffre d’attente, allons saluer Monseigneur de Bellegarde et entendre ce qu’il veut nous révéler de si urgent.

Par précaution, ou plutôt par habitude, je refermai la porte cloutée, donnai un tour de clé et emboîtai le pas à sœur Geneviève que sa candeur et sa jeunesse rendaient belle.

La lassitude des lieux ne m’avait pas encore gagnée ; j’aimais toujours autant le ballet des éclaircies qui suivait la course du soleil d’est en ouest et selon les saisons, ce rythme lent et inexorable qui calmait l’esprit et tranquillisait l’âme. Les rayons qui animaient les différents bâtiments pendant la journée soulignaient les reliefs, les concavités, mettaient pleinement en valeur les détails architecturaux. La simple feuille du chapiteau, surlignée chaque matin par l’aurore, s’adoucissait graduellement dans l’ombre de chaque après-midi et les entrelacs, les motifs circulaires, rappelant la perfection divine, le salut du Christ ou l’éclosion de la rose discrète, fleurissaient certaines clés de voûte.

Le cloître et son enfilade de colonnes jumelées dispensaient une lumière reposante, véritable jeu d’ombres et de lueurs qui se projetaient sur le dallage, la conjugaison rare du rapport parfait qui pouvait se réaliser entre le ciel et la terre.

C’était jour de lessive pour les nonnettes désignées à cette tâche et, par un meneau de fenêtre, je les voyais s’affairer autour du petit lavoir en pierre, domptant les draps mouillés dans un silence exemplaire, empoignant les brancards, soulevant dans un mouvement de reins les brouettes chargées de linge.

Ce tableau m’attendrit ; il y avait tant de dévotion chez ces moniales, tant de renoncement au service de Dieu.

Passées la porterie, nous entendîmes éclater une quinte de toux rauque depuis la salle des repas. Notre visiteur devait s’étrangler d’une goulée de verjus, songeai-je sans déplaisir, aussi curieuse de sa visite intempestive qu’agacée de son désintérêt habituel.

Sœur Geneviève me laissa devant l’entrée pour vaquer à ses activités.

Redoublant d’étonnement, je constatai que l’évêque était accompagné par l’un de ses vicaires. Ce dernier, vêtu tout de noir jusqu’au bonnet de feutre, arpentait la pièce de long en large tout en triturant sa ceinture de chanvre à laquelle pendait un rouleau de parchemin.

Quant à son Monseigneur de Bellegarde, il représentait bien la splendeur de l’Église Romaine. Dans son bel habit mauve rehaussé de fils d’or et arborant fièrement sa mitre en soie précieuse, il en imposait. Attablé, tournant et retournant sa crosse incrustée de pierreries, il s’essuyait la bouche à l’aide d’une serviette, tout en se raclant la gorge par intermittence.

Je masquai le dégoût qu’il m’inspirait.

Alors que certains bons chrétiens menaient une existence de jeûnes et de macérations, il était de ceux qui festoyaient ; alors que d’autres ne possédaient rien et vivaient d’abstinences, il recherchait les compagnies galantes, détenait de grandes richesses, pressurait ses ouailles ; alors que d’autres, en chantres divins, prêchaient un credo d’espérance, bien nanti, il était de ceux qui chérissaient les princes et menaçaient les humbles des tourments infernaux.

Il ne m’avait pas encore remarquée, dissimulée que j’étais contre le pisé du mur. Son timbre crissant m’agaça l’oreille, autant qu’il me la fit tendre. Se croyant seul dans la salle spacieuse, possédant des dizaines de fenêtres hautes, étroites et profondes permettant un éclairage harmonieux, à voix basse il s’adressait à son vicaire qui s’était rapproché.

– Ah ! Elle ne l’emportera pas au paradis, je te le jure ! Je réussirai bien à m’en débarrasser, de cette sale garce, de cette… cette blanchisseuse de chalumeau, cette envoyée du Diable… Tu oublies, mon bon Landry, qu’elle n’est qu’usufruitière de ce couvent, a-t-elle réellement fait ses vœux vis-à-vis du Très-Haut ? Non, j’en mettrais ma main au feu…

Je tiquai. C’était de moi qu’il parlait.

– Tout de même Monseigneur, tempéra le prêtre.

L’autre balaya ses réserves d’une envolée de sa main grasse :

– De toute manière, le diocèse a eu vent de toutes les manigances diaboliques perpétrées ici. Son règne s’achève mon bon ami.

Je ne comprenais pas la haine qui animait le prélat. En aucun cas, je n’étais une fille de joie que l’on nommait « fricatrices » en ces temps de vert langage.

On me reprochait d’avoir volé cette communauté, ce qui était faux, elle avait été tout bonnement sauvée des griffes du mal. Son rayonnement paraissait en déranger plus d’un et notamment l’autorité spirituelle de Cluny.

L’évêque secoua sa tête bouffie, un pli amer en travers de la bouche aux lèvres pincées.

– Ah ! Si seulement ce fief était à ma merci ! Si seulement j’avais le droit d’exercer mon autorité ! Il a fallu qu’un chevalier à bannière obtienne les bonnes grâces du roi et sa protection de surcroît, ce qui rend le coin de terre intouchable… pesta le religieux avant d’ajouter, l’œil animé d’une lueur de revanche :

« Dieu est grand mon ami. Avec cette nouvelle que nous portons, elle pourrait bien s’enfuir d’ici plus vite que nous ne l’espérons.

Atterrée, je me décidai enfin à pénétrer dans la pièce, me composant d’un masque.

Girard de Bellegarde, évêque d’Autun, se leva sans grâce pour me faire face. Il me fallut les quelques pas qui me séparaient de lui pour, sans sourciller, regagner assez de prestance et l’affronter.

Parvenue devant lui je posai un genou à terre pour baiser l’anneau qu’il me présentât.

– Monseigneur, je vous prie d’excuser ce retard. C’est un honneur de vous recevoir en ces lieux… déclarai-je d’une voix redevenue sereine.

– Relevez-vous ma fille, répondit avec une fausse bienveillance. Relevez-vous… J’ai à vous entretenir de détails importants…

Son adiposité le faisait souffler comme un bœuf et il semblait cuire sous ses vêtements.

La température oppressante, inhabituelle en cette saison, ne lui convenait guère.

Les gouttes d’une mauvaise sueur perlaient sur son visage bouffi et cramoisi, son faciès de brute, mais son vaillant curé, ce bouc en bure, lui épongeait déjà le front d’un carré de tissu. Il ne respirait pas la sincérité avec sa mine renfrognée et son cou de taurillon. Je le voyais me lorgner sournoisement avec ce regard à la fois vicieux et pervers.

Un sentiment de mal-être me gagna bien vite.

Il entama un petit monologue que traduisait sa voix forte et nasillarde, une voix qui sonnait la fourberie et la traîtrise jubilatoire.

– Je suis à votre écoute Monseigneur, répondis-je en me redressant.

– En vertu des pouvoirs qui m’ont été conférés par le pape, ma chère enfant je viens vous faire part de mes inquiétudes. N’avez-vous pas eu vent de macabres découvertes dans la contrée ? déclara l’évêque en prenant un soin infini pour articuler chaque syllabe.

Je fronçai le sourcil.

– Des morts suspectes ? Rien ne m’a été rapporté. D’où tenez-vous cette affirmation ?

– De l’abbé Landry, que voici m’accompagnant.

Je saluai le susnommé d’un hochement de tête. Déjà l’évêque poursuivait :

– Nous nous sommes mis en route sans tarder, inquiet que je l’étais pour votre communauté. D’autant, à ce que je me suis laissé dire, qu’elle aurait fait l’objet de pratiques diaboliques jadis ?

L’attaque était frontale. Je me drapai dans un sursaut d’orgueil.

– Monseigneur, avec le plus grand respect que je vous dois, ces pratiques, comme vous les nommez, ont été éradiquées depuis bien longtemps. Seul le divin gonfle nos âmes. Il vous suffira de vous promener dans nos murs pour goûter de vous-même la fraîcheur de l’atmosphère, la lumière qui baigne chaque pierre, chaque arcade du couvent, si vos yeux et votre cœur vous le permettent, répondis-je ironiquement.

Le religieux s’empourpra sous l’effet de l’allusion. Je remettais en cause sa foi et sa prétendue propreté d’esprit.

Il froissa son aube d’une main énervée et reprit son discours.

– Soit ! De nombreux corps atrocement mutilés ont été découverts par des bûcherons alors qu’ils s’activaient aux affouages.

Ma surprise dut être évidente puisqu’il appuya :

– Oui, dame Flore, des corps sauvagement mutilés ! Toutes les victimes étaient des femmes, jeunes, en pleine fleur de l’âge.

– C’est impossible ! m’exclamai-je avec véhémence. J’en aurais été prévenue par nos paysans. Une enquête aurait été menée.

Croisant ses mains sur son ventre proéminent, il afficha un rictus faussement apitoyé.

– Il semble que l’on n’ait pas jugé vos compétences suffisantes face au démon puisque c’est à moi que l’on est venu se plaindre. Quoi qu’il en soit, il est de mon avis que l’étau se resserre autour de ce couvent aussi je ne saurai trop vous conseiller de quitter ces murs, vous et vos compagnes. Votre sécurité en dépend, nous ne pourrons pas poster éternellement des guetteurs sous vos murailles.

– Fuir ? Vous n’y pensez pas Monseigneur. Ce couvent est protégé par Dieu lui-même, il est notre demeure et notre salut.

– Dois-je vous rappeler que vous n’étiez rien avant d’arriver en ce lieu ? Une décision de cette importance doit être partagée par les autres moniales, me suis-je bien fait comprendre ? Vous êtes peut-être maîtresse de votre vie mais, pas de celle de toute cette fratrie. Un impair pourrait vous être préjudiciable, voire fatal. Réfléchissez bien avant de foncer tête baissée et ne soyez pas aveuglée par vos propres ambitions…

– Mes ambitions ? Palsambleu mais de quoi parlons-nous, Monseigneur ? Sachez que je suis entièrement dévouée aux miens, aux nonnettes et à ces enfants que je soigne et chéris, jamais je ne les abandonnerai, rétorquai-je avec une détermination farouche.

Il haussa les épaules, du mépris dans la voix.

– Et bien soit, trouvez la meilleure échappatoire, il était de mon devoir de vous avertir. Mon conseil demeure : fuyez, quittez les Monts-Noirs ou la main du diable crochera votre cou ! Le vôtre et celui de vos compagnes.

– Monseigneur est sage et avisé ma Dame, renchérit le vicaire qui, jusque-là, n’avait pas prononcé un mot.

Je ne daignai pas lui répondre. User de semblables procédés pour m’évincer me sidérait.

– À mon tour de vous guider Monseigneur, mais vers la sortie, car je ne voudrais en aucune façon que vous preniez davantage de risques à nos côtés.

D’une main tremblante, j’actionnai une clochette.

– Sœur Geneviève va vous reconduire, affirmai-je comme la moniale se présentait.

Ces faux amis avaient bien assez longtemps souillé ce lieu de leurs présences inopportunes.

Nous nous saluâmes froidement.

Tandis qu’ils quittaient la place, je restai seule face aux doutes qui m’assaillaient.

Mensonge ou vérité ?

Que se passait-il réellement dans la campagne ? Étions-nous en danger, ici, dans ce sanctuaire protégé par la prière.

Seul Dieu connaissait l’avenir, Dieu et les magiciens du destin…

CHAPITRE III

« Nigra sum, sed formosa » (« Je suis noire, mais belle »)

Cantique des cantiques (1:5)

Lorsqu’elle rouvrit les yeux, une douleur lancinante vrilla la tête de Mélissandre.

En même temps, une sensation de froid glacial la saisit, un froid qui la transperça jusqu’aux entrailles. Il lui fallut un bon moment pour comprendre qu’elle n’était plus ni au couvent ni en compagnie de Reynaud.

Aveugle, elle écarquilla ses yeux jusqu’à comprendre qu’elle se trouvait dans un endroit clos, humide et moite. Des odeurs de mousse et de terre se partageaient l’endroit, des odeurs qui se diluaient dans une sorte de brume épaisse et grisâtre.

Petit à petit, la mémoire lui revint de ce qui l’avait amenée dans la forêt puis de la découverte du gros chêne, jusqu’au choc sur sa nuque.

Elle voulut y porter les mains, mais dut se rendre à l’évidence. Elles étaient comme ses chevilles, entravées par une corde.

Mélissandre voulut pousser un cri, mais ne sortit de sa gorge qu’un vague son étouffé.

Pourquoi était-elle ainsi attachée ? Et prisonnière de qui ?

Son ravisseur, devait être tout près, à l’épier, elle en était certaine.

Une nausée la saisit, provoquée par la peur et par le coup qu’elle avait reçu.

Une terreur liquide lui coula dans les veines sans qu’elle puisse la contrôler.

Elle tenta de distinguer la silhouette ennemie sans parvenir à percer l’obscurité.

Elle tendit l’oreille.

Rien, pas un bruit : elle était véritablement seule.

Tremblant de tous ses membres, elle tenta de faire jouer ses liens pour se libérer. Elle ne parvint qu’à se meurtrir les poignets. Alors, épuisée, migraineuse et vaincue, elle cessa de lutter.

Des heures interminables s’écoulèrent, des heures où elle grelotta de fatigue et de frayeur, des heures d’attente et de désespoir, où l’avenir paraissait inconcevable.