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À la faveur d’une nouvelle éruption du Vésuve surgissent des Revenants, nouveaux Illuminati venus de la nuit des temps. À leur tête, Appilius le Romain luttera, en enjambant les siècles, pour terrasser les complots et répandre dans le monde le virus des Lumières.
À PROPOS DE L'AUTEUR
La passion de la raison et la fascination de l’éternité ont mené
Jean-Marie Tramier sur des chemins tracés par la philosophie des Lumières. Dans ce troisième roman, il conduit le lecteur dans une folle traversée des siècles aux côtés de revenants pourchassant le complotisme.
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Seitenzahl: 233
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Jean-Marie Tramier
La chute des empires barbares
Tomes I & II
Roman
© Lys Bleu Éditions – Jean-Marie Tramier
ISBN : 979-10-377-9829-9
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À Sandrine
Comment alors ne serais-je plein du désir de l’Éternité et du nuptial anneau des anneaux, l’anneau du Retour ?
Jamais encore je n’ai trouvé femme de qui j’eusse voulu des enfants, que ce soit donc cette femme que j’aime, car je t’aime, ô Éternité !
CAR JE T’AIME, Ô ÉTERNITÉ !
Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra,
« Le septième sceau »
Un !
Homme, écoute !
Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra,
« Le Second chant de danse »
C’était un mois de mai ordinaire. Un de ceux où la chaleur vous caresse avec douceur en vous laissant discrètement sur la peau comme un goût de vanille. Louis venait d’arriver à Naples où il avait été invité pour participer à un colloque international sur les systèmes éducatifs européens qui devait se tenir au centre des congrès d’une petite ville de la banlieue sud de la métropole napolitaine. Il était arrivé dans l’après-midi à son hôtel et avait installé un transat sur le balcon de sa chambre pour prendre quelques instants de repos. Bercé par le bruit lointain de la mer qui frappait en contrebas, il se laissait envahir par l’odeur épaisse du jasmin qui fleurissait près de la balustrade.
Tout semblait enveloppé dans une brume légère, presque imperceptible, si ce n’est par la couleur finement nacrée qu’elle répandait sur les choses et les êtres, en microscopiques paillettes qui se doraient aux derniers rayons du soleil, avant de s’évanouir. Ces chatoiements ne duraient pas et se fondaient aussitôt dans les reflets sombres de la falaise. Mais ils revenaient sans cesse en caressant les minces vaguelettes qui venaient effleurer la plage.
Louis se sentait lui-même pris dans un souffle inerte au murmure inaudible, signe du plus artificiel des silences. Le désir était puissant de se laisser emmailloter dans la douceur infinie de cette lumière comme dans une danse muette et un chant immobile. Était-ce la voix des sirènes venant de l’île de Capri, que l’on savait toute proche mais que l’on ne voyait pas ? Ou bien l’haleine du volcan, tapi derrière la falaise ?
Cette atmosphère, que l’on ressentait sans pouvoir toujours la saisir, était déroutante, autant par l’ivresse languide à laquelle elle semblait inviter que par le sentiment d’absolue précarité qu’elle suggérait. Comme si ce bonheur sans limites, qu’elle répandait à l’envi, se trouvait tout entier dans la main d’un dieu qui le relâchait sans cesse pour le reprendre aussitôt.
Louis pressentait combien ce lieu pouvait déployer de charmes, plongeant ses visiteurs dans les délices d’une ataraxie qui les laissait sans volonté, perdus dans le plaisir atone de ceux qui sont au-delà des désirs. Mais alors que la vie pouvait glisser, à travers la préparation minutieuse de jouissances s’achevant avant même que les appétits ne se manifestent, on percevait la force, si lointaine et si proche, qui pouvait tout emporter.
Rien de ce qui advenait ici ne pouvait s’effacer. Cette lumière incomparable, qui semblait faite de touches successives se superposant à l’infini, conservait tout en elle, laissant entrevoir l’omniprésence du sens. Le hasard, à peine surgi au cœur de l’évènement le plus anodin, s’évaporait en découvrant sa marque sur les tables du destin. C’est ainsi que chaque être qui passait en ces lieux était voué à s’y attarder à la recherche de ce qui le guidait. Tout était déjà là mais la surabondance des signes ne pouvait s’embrasser d’un seul regard et il fallait sans doute un peu plus de temps pour s’y acclimater.
Le soleil déclinait, annonçant discrètement les plaisirs d’une fin d’après-midi estivale, à commencer par le rite de l’apéritif auquel Louis ne dérogeait jamais même pendant les soirées d’hiver. L’heure était maintenant venue et le temps n’était plus à la méditation. Il se dirigea vers la grande terrasse sur laquelle s’ouvrait la salle de restaurant et s’installa à une petite table, un peu à l’écart des autres, bien décidé à profiter pleinement du magnifique panorama qui s’offrait devant lui : la baie de Naples caressée par le soleil couchant d’une lumière incomparable plongeant dans les scintillements de la mer. Il se disait qu’après la communication qu’il ferait le lendemain matin devant le colloque auquel il avait été invité, il prendrait quelques libertés pour découvrir cette superbe région qu’il ne connaissait pas. Il commanda un verre de Lacryma Christi. Louis se sentait bien, comme en vacances, lorsque tous les moments à venir sont des temps de plaisir et de douceur.
Un personnage à l’allure un peu étrange apporta un verre finement ciselé en cristal de Murano sur un très beau plateau peint et doré à l’or fin. Dans un excellent français pratiquement sans accent, il dit à Louis que l’apéritif était offert par la maison et se présenta comme étant le patron de l’hôtel.
C’était un homme assez petit, de ceux dont on dit qu’ils sont sans âge pour ne pas dire qu’ils sont des anciens ! Il était habillé d’un pantalon en velours côtelé – lui aussi « sans âge » ! – et d’une veste en grosse laine colorée façon patchwork. Cet accoutrement était d’autant plus surprenant, en ce printemps déjà marqué par la chaleur, qu’il était coiffé d’une sorte de chéchia bariolée cachant son crâne dégarni. Et surtout son teint était indéfinissable comme s’il avait exagérément subi la patine du temps, lui donnant un aspect rugueux et cireux. Il semblait sorti tout droit d’un film noir où des héros aux mines patibulaires rivalisent de laideur. Sa voix douce et légèrement mélodieuse surprenait d’autant plus chez ce personnage décidément bien étrange.
Il alla chercher la jeune femme qui donnait avec autorité les consignes d’installation aux élèves.
Pendant qu’elle parlait aux jeunes, Louis avait tout loisir de l’observer. Sa chevelure épaisse et frisée, tout comme son teint hâlé ne laissait planer aucun doute sur ses origines orientales, probablement sémites. Son charisme était palpable comme chez ces personnes dont la présence est perceptible alors même qu’on ne les voit pas encore. Son allure, à la fois élancée et robuste, accentuait cette impression de plénitude que donnait sa voix grave et assurée. Après avoir demandé aux accompagnateurs d’aller installer les élèves dans leurs chambres avant le dîner, elle revint s’asseoir près de Louis.
Ils commencèrent à échanger quelques banalités.
— Savez-vous que ce vin, dit Louis en tendant son verre, nous vient de l’antiquité ? Mais son nom actuel, Lacryma Christi, est beaucoup plus récent. Il évoque aussi bien les larmes de sang, perlant aux yeux du Christ dans sa passion, que les énormes gouttes incandescentes qui surgissaient de la bouche du volcan en répandant la désolation. Le poète latin Martial parlait déjà de la montagne que Bacchus aima plus que sa propre patrie, où le jus doré de la vigne coulait à profusion dans les jarres, avant que tout ne soit enseveli dans les flammes lors de la gigantesque éruption qui détruisit, en 79 de notre ère, Pompéi et les villes avoisinantes.
Après avoir bu une gorgée de vin, Louis poursuivit :
L’homme à la chéchia revint fort à propos vers eu pour mettre fin à ces élucubrations.
Après avoir répondu que ce serait avec grand plaisir, il alla chercher les boissons et s’installa près d’eux à leur table.
Aurore demeurait silencieuse, le visage fermé et semblait plongée dans une réflexion profonde, tandis que Louis se laissant envahir par un sentiment d’une étrange douceur entre cette jeune femme qui l’intriguait de plus en plus et cet homme semblant venir d’ailleurs. Celui-ci se leva car la salle à manger était presque pleine.
Le repas avec les accompagnateurs du voyage fut agréable et détendu comme si tout le monde se connaissait déjà de longue date. Ils parlèrent longuement du programme du voyage et des lieux qu’ils allaient visiter.
Louis se leva difficilement pour prendre congé de ses convives et fit quelques pas avant de trébucher sur un pied de parasol et de tomber lourdement. Il eut l’impression que sa cheville se déchirait et son gémissement se confondit en un soupir de rage car il craignait de ne pas pouvoir se relever.
Aurore se précipita vers lui.
Il demeurait assis par terre et elle retroussa sa chaussette sur le bas de sa cheville. Elle dégrafa le collier qu’elle portait et en retira une petite pierre ronde de couleur vert sombre qui y était accrochée. Elle l’appliqua sur l’endroit où il avait mal en faisant un léger mouvement étroitement concentrique : le minéral était parfaitement lisse et dégageait une douceur apaisante. Elle demeurait silencieuse, les yeux fixés sur l’articulation endolorie. Au bout de quelques minutes, elle serra la cheville de Louis avec sa main droite, sans bouger, et releva son visage comme si elle ne voulait regarder que le ciel. Il sentait la douleur s’atténuer petit à petit tandis qu’Aurore restait immobile, toujours muette, semblant pétrifiée dans son geste qui irradiait dans sa jambe une chaleur intense. Il pouvait respirer son parfum, sans éprouver de véritable émotion si ce n’est ce sentiment d’étrangeté qui l’envahissait de plus en plus. Il sut alors qu’il pouvait tenter de se relever et le fit sans réel effort.
— Vous êtes une magicienne ! Je ne ressens pratiquement plus rien ! Quelle est cette pierre magique avec laquelle vous m’avez soigné ?
— Il est vrai que j’ai de nombreux pouvoirs ! lui répondit-elle en riant. Quant à ce galet, je l’ai reçu de ma mère tout comme elle-même de la sienne. C’est une variolite que la Durance roule vers une mer inaccessible depuis que l’eau s’est retirée dans la nuit des temps. Il paraît que l’on peut la trouver également dans l’Euphrate. Allez ! Vous pouvez maintenant regagner votre chambre et vous reposer ! Nous nous retrouverons après-demain pour partir vers Herculanum à 8 heures précises. Bonne nuit !
— À vous aussi ! Et merci infiniment pour votre aide et pour cette belle soirée.
Deux !
Que dit la profonde Minuit ?
Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra,
« Le Second chant de danse »
Comme le pressentait Louis, la journée au colloque fut plutôt ennuyeuse. Mais surtout, il n’avait cessé de penser à cette jeune femme et à son invitation pour le lendemain.
Après avoir avalé rapidement son petit déjeuner, il avait pris la navette mise à la disposition des participants pour rejoindre la salle de conférence qui se trouvait un peu plus haut sur la corniche. De là on découvrait un magnifique panorama sur la baie de Naples. Mais l’heure n’était pas à la contemplation. Louis entra rapidement car il devait intervenir en premier après les présentations des organisateurs et autres congratulations d’usage.
Son intervention fut sans éclat. Tout en manifestant, dans la posture comme dans la parole, la conviction la plus profonde, il ne parvint pas à entrer franchement dans on sujet. L’intérêt de ses auditeurs s’exprimait pourtant sans réserve notamment par leurs questions qui vinrent animer le débat, mais il se sentait, pour lui-même, en constant décalage.
De la même façon qu’il avait perçu l’extraordinaire lumière de ce lieu, il éprouvait le sentiment étrange de la superposition des êtres et des choses. Mais alors que ce phénomène conduit habituellement au trouble de la perception et au flou, il accentuait pour lui la vision paradoxale d’une clarté parfaite. Comme si la dernière image superficielle, loin de masquer la précédente, l’exprimait au contraire dans une stupéfiante transparence.
Est-ce pour les mêmes raisons que les voix de ses collègues lui parvenaient très légèrement déformées, dans une ambiance de résonance à peine perceptible ? Le désordre profond qu’il croyait deviner en lui semblait curieusement anodin et se manifestait simplement par le désir de se laisser guider.
Alors que le moment du déjeuner était venu, les congressistes faisaient cortège vers l’escalier menant à la salle à manger située en contrebas. Se sentant incapable d’engager la moindre conversation avec un collègue, Louis se dirigea à l’opposé vers la sortie. Ils étaient quelques-uns à avoir fait ce choix et il pressa le pas afin de ne pas se retrouver piégé dans un groupe à la recherche du restaurant « typique » dont ils revendiqueraient le mérite de l’avoir trouvé avant tout le monde. Et c’est pourtant lui qui fit la découverte ! À quelques pas de la salle des congrès, il s’arrêta devant une enseigne originale : l’« Université de la pizza » qui proposait à ses clients, dans une vaste pièce toute en longueur, un service en continu. Il s’arrêta quelques minutes devant la vitrine derrière laquelle on voyait une étonnante variété de pizzas qui étaient vendues « al metro ». On pouvait ainsi consommer sur place ou emporter son « demi-mètre » (ou plus selon l’appétit) de cette spécialité napolitaine mondialement connue. Il s’acheta un morceau plus modeste pour aller le consommer près de la corniche.
Sans être pesante, la chaleur était déjà vive et Louis s’installa à l’ombre des pins qui abritaient quelques bancs disposés en arc de cercle sur l’un des promontoires dominant la baie. Le point de vue était, là encore, magnifique.
À l’approche du zénith, la lumière était nette, presque métallique. Les scintillements de l’aurore s’étaient évaporés, comme figés dans cette clarté sans nuance. Aucun reflet sous ce soleil droit qui semblait immobiliser le temps dans un Midi implacable.
Au loin, sur sa droite, il aperçut pour la première fois le massif aux couleurs brunâtres du Vésuve. La distance le rendait presque anodin et l’image de cette montagne sans tête était bien peu impressionnante. De là on ne pouvait voir en effet la faille monstrueuse résultant de la « décapitation » du volcan qui avait perdu au fil des grandes éruptions plusieurs centaines de mètres de hauteur et abandonné ainsi son orgueil. Vu de ce belvédère, il se présentait comme une masse trapézoïdale beaucoup plus pateline que terrifiante.
Formant le centre de gravité de cet immense golfe qui tendait ses longs bras vers la mer, il offrait, paradoxalement, l’image de la sérénité et de l’équilibre. Il dessinait ainsi les lignes et la lumière de ce monde qui se donnaient à voir, dans la perfection achevée de l’apparence. Rien ne laissait pressentir les épouvantables soubresauts dont il était né.
Cette tranquillité avait envahi l’esprit de Louis et tout lui semblait plus léger. Il resta ainsi un long moment à regarder la mer et décida de ne pas retourner au colloque pour la séance de l’après-midi. Il ressentait comme un étrange appel venu d’on ne sait où le poussant à aller visiter cette terre qu’il ne connaissait pas mais qui pourtant lui parlait déjà. Il l’avait pressenti dans la salle de conférence : se laisser guider, se laisser aller sans savoir où mais avec la certitude qu’il n’y avait rien d’autre à faire et que ce chemin était celui de la plus totale nécessité.
Trois !
Je dormais, je dormais.
Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra,
« Le Second chant de danse »
Louis avait donc décidé de faire une rapide escapade à Naples. Il prit le train que les Italiens ont baptisé « Circumvesuviana ». Ce nom évocateur permettait d’oublier plus facilement, qu’il s’agissait d’un simple train de banlieue desservant toutes les villes formant la communauté urbaine de la capitale régionale. La ligne circulait le long de la baie sur un littoral fortement urbanisé.
Des immeubles aux façades lépreuses, côtoyant de petites maisons enchevêtrées sans le moindre souci d’équilibre et encore moins d’harmonie architecturale, donnaient à cet endroit une apparence misérable à laquelle la majesté du lieu ne prédisposait pas.
Le visiteur était d’autant plus intrigué que, de la grandeur passée, plus rien n’était perceptible. Stabies avait été, dans l’antiquité, une ville thermale recherchée pour ses eaux minérales dont les Romains étaient grands amateurs. Elle avait ainsi attiré de riches patriciens qui avaient fait construire sur les hauteurs dominant la baie des villas luxueuses dont on n’apercevait, depuis la voie ferrée, aucune trace. On pouvait ainsi deviner, avant d’aborder les sites archéologiques les plus célèbres, annoncés par les panneaux directionnels de la gare, que tout un monde avait été enfoui et dérobé à la vue des hommes lors de ce funeste été où la montagne s’était répandue sur toutes les plaines alentour.
Il était pourtant bien difficile d’imaginer que c’était cette immense colline au dos rond, vers laquelle roulait le train, qui avait pu recouvrir ainsi villes et habitants. Leurs lointains descendants, comme Louis pouvait le lire dans le guide touristique qu’il était en train de feuilleter, l’avaient appelé dans un mélange de respect et d’affection a muntagna. Bien loin d’être la puissance d’extermination que craignaient les étrangers, la montagne par sa présence et sa forme même célébrait le mariage de la terre et du feu, de l’air et de l’eau. La photographie par satellite, qui illustrait ce commentaire, révélait une protubérance sombre entourée des zones urbanisées, légèrement gommée par la distance et couronnée d’une petite cavité béante aux bords d’une pâle couleur ocre. Ce mince orifice ouvert aux vertiges de la plus extravagante des étreintes semblait flotter sur un univers endormi.
L’impression de sérénité que dégageait le Vésuve, et que Louis avait déjà perçue la veille en le contemplant depuis la corniche, ne faisait que se renforcer à mesure que l’on s’en approchait. La lumière aussi répandait cette tranquillité, caressant les êtres et les choses, tournant autour d’eux et les laissant tels quels dans leur posture immuable, comme pour les révéler et les effacer dans le même acte.
Ce sentiment d’étrangeté, que Louis avait éprouvé dès le premier jour, devenait de plus en plus fort. L’inextricable écheveau du virtuel et du réel, lentement tissé dans la nuit des temps, emprisonnait le corps et l’âme à travers l’incertitude d’être ici ou ailleurs, dans un lieu qui se donnait pleinement et se dérobait aussitôt abandonnant l’esprit à une ivresse engourdie. Et pourtant, le voile semblait pouvoir se déchirer.
La voie ferrée cheminait à travers les immeubles mais permettait d’apercevoir sur la droite, de manière ponctuelle et discontinue, d’anciennes murailles tapies derrière les pins qui abritaient sans nul doute la ville de Pompéi. Mais l’arrêt en contrebas à la station Villa dei Misteri ne permettait pas d’en voir beaucoup plus.
Le nom souvent évocateur des gares que les voyageurs traversaient était bien la seule assurance que Louis avait de se trouver là. Que ce soit à Torre Annunziata où un panneau indiquait la proximité de la Villa Oplontis, à Ercolano, où la ville moderne entourait les vestiges d’Herculanum, le train poursuivait imperturbablement, comme une sorte de métro aérien, sa traversée au milieu des immeubles que le regard ne pouvait dépasser. En arrivant à Naples, Louis savait qu’il venait de traverser l’histoire comme une simple bande-annonce trop vite déroulée, mais il n’avait vu d’elle que des banlieues plus ou moins misérables dont l’héritage se réduisait à une simple dénomination.
Louis descendit au terminus, Piazza Garibaldi, pour se diriger vers l’artère principale du centre historique. Il choisit de monter vers le Museo, tout en sachant qu’il ne disposerait pas du temps nécessaire pour pouvoir le visiter. Il n’était pas venu pour cela ; il était là pour être ailleurs, le regard tourné vers l’autre bout du golfe, cherchant quelque chose qui n’était pas ici.
La ville n’essaya pas de le séduire et précipita sur son chemin des hordes de véhicules en tous genres semblant partir à l’assaut des passages piétons et autres feux tricolores qui tentaient désespérément d’endiguer ce flot dévastateur. Les rues plus étroites, qui semblaient pouvoir constituer un abri, n’étaient pas plus sûres dès lors qu’elles avaient la largeur suffisante pour laisser entrer les engins motorisés, que l’absence de trottoirs rendait d’autant plus dangereux. Il marchait avec grande précaution, le regard aux aguets et les yeux rivés à terre afin de ne pas se déséquilibrer sur le sol très inégal, criblé de petites ornières que de multiples rapiéçages n’avaient pu colmater. Bien curieuse posture pour quelqu’un qui partait à la découverte d’une ville inconnue !
Mais qu’était-il, au fait, venu chercher ? En arrivant en haut de la Via Toledo, longue rue qui plonge interminablement vers le Palais Royal et le port, il hésita. Avait-il vraiment voulu cette rencontre, déjà manquée, avec cette ville qui se dérobait à lui dans un sombre glissement moite à travers l’odeur chaude et âcre des gaz d’échappement ? Allait-il s’exclamer, à la suite de Jean-Paul Sartre : « Est-ce que je suis