La clé - Anaïs Maquiné-Denecker - E-Book

La clé E-Book

Anaïs Maquiné-Denecker

0,0

Beschreibung

"Cette fille a beaucoup d'adversaires, mais sa pire ennemie, c'est sans doute elle-même…"

Disparition volontaire, suicide, meurtre : pourquoi Emma, 32 ans, ne donne-t-elle plus aucun signe de vie depuis une semaine ? Une situation d'autant plus inexplicable qu'elle menait jusqu'alors une existence sans histoire dans la magnifique station balnéaire de Deauville. Architecte d'intérieur et fille d'un célèbre propriétaire de chevaux de courses, mariée à l'historien américain Noha Clinton, elle venait de mettre au monde leur premier enfant.
Et si l'enquête sur sa disparition révélait une personnalité bien plus complexe qu'il n'y paraît ?

Secrets de famille, névroses, querelles intestines, la vérité est rarement là où on l'attend...

EXTRAIT

"Se laisser bercer, oublier, s’endormir… Plongée dans l’obscurité de ce tout petit espace qui serait, elle le savait maintenant, sa dernière demeure, Emma commençait à lâcher prise… Son dos baignait dans une flaque d’eau glacée ; sa propre sueur peut-être, froide, mordante… Emma s’était résignée à mourir.
La panique, qui l’avait d’abord tétanisée, commençait à s’estomper. Malgré ses efforts, elle l’avait compris, son corps ne répondait plus à son cerveau. Des gouttes tombaient, à intervalle régulier, le long de ses épaules, sur son visage, par l’interstice de sa bouche entrouverte… Elle avait soif, mais les perles d’eau qui gagnaient maintenant sa gorge ne parviendraient pas à l’étancher. Elles étaient légèrement salées ; une sensation que cette amatrice de sports nautiques connaissait bien, semblable à celle procurée par l’eau de mer qui pique la langue et sèche les muqueuses.
Elle s’imaginait maintenant allongée sur une planche de surf, le corps abandonné aux rayons du soleil. Bercée par le roulis, elle se laissa happer par le sommeil. C’est alors qu’elle entendit une voix familière chantonner : Maman, les petits bateaux qui vont sur l’eau ont-ils des jambes…
Apaisée, dans un dernier souffle, elle tenta de crier, sans qu’aucun son ne sorte de sa bouche : « Maman ! »."

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

"Ça fait bien longtemps que je n'avais pas pris autant de plaisir à lire un polar. Mais La clé n'est pas un roman policier comme les autres. Avec son petit côté roman de terroir il a su me surprendre et m'embarquer dans une histoire de famille que l'on croirait au-dessus de tout soupçon." - lettres_et_caracteres, Babelio

"Une lecture plaisante grâce à une intrigue assez prenante, des personnages attachants et une belle évocation de la Côte fleurie (Deauville et ses environs)." - lundi76, Babelio

"La clé est un polar des plus classiques mais des plus prenants. Il se lit très rapidement (quelques heures à peine) mais une fois ouvert, il est difficile de le lâcher." - DesPlumesEtDesLivres, Babelio

À PROPOS DE L'AUTEURE

Journaliste, productrice de télévision et coach, Anaïs Maquiné-Denecker est née à Rouen et partage sa vie entre Paris et Deauville. Auteur d'un premier roman Pour quelques minutes de célébrité aux Editions Anne Carrière, elle signe ici son premier polar.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 173

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Couverture

Page de titre

« Nul Homme ne peut réaliser le crime parfait ; Le hasard, lui, en est capable. »

Prologue

Se laisser bercer, oublier, s’endormir… Plongée dans l’obscurité de ce tout petit espace qui serait, elle le savait maintenant, sa dernière demeure, Emma commençait à lâcher prise… Son dos baignait dans une flaque d’eau glacée ; sa propre sueur peut-être, froide, mordante… Emma s’était résignée à mourir.

La panique, qui l’avait d’abord tétanisée, commençait à s’estomper. Malgré ses efforts, elle l’avait compris, son corps ne répondait plus à son cerveau. Des gouttes tombaient, à intervalle régulier, le long de ses épaules, sur son visage, par l’interstice de sa bouche entrouverte… Elle avait soif, mais les perles d’eau qui gagnaient maintenant sa gorge ne parviendraient pas à l’étancher. Elles étaient légèrement salées ; une sensation que cette amatrice de sports nautiques connaissait bien, semblable à celle procurée par l’eau de mer qui pique la langue et sèche les muqueuses.

Elle s’imaginait maintenant allongée sur une planche de surf, le corps abandonné aux rayons du soleil. Bercée par le roulis, elle se laissa happer par le sommeil. C’est alors qu’elle entendit une voix familière chantonner : Maman, les petits bateaux qui vont sur l’eau ont-ils des jambes…

Apaisée, dans un dernier souffle, elle tenta de crier, sans qu’aucun son ne sorte de sa bouche : « Maman ! »

Disparition

1 Julie Leroy-Martin

Vendredi 6 septembre 2013

En se penchant de la petite fenêtre de sa chambre, Julie pouvait apercevoir Justine et Louis qui faisaient des châteaux de sable. A quelques mètres d’eux, sur les planches, Alexis, leur grand frère, censé les surveiller, avait les yeux rivés sur son Smartphone.

La fraîcheur du matin commençait à humidifier la couette que Julie avait posée sur le balconnet pour l’aérer. Au loin, les cheminées du port du Havre répandaient une odeur sulfurée qui, mélangée aux embruns, donnait une fragrance de poivre et de sel caractéristique à l’air de la région. De l’autre côté de la plage, la Marina séparait Trouville de Deauville ; puis des planches, encore des planches… Une interminable promenade, à perte de vue.

Au dernier étage des Roches Noires, ancien hôtel ayant abrité naguère les amours de Marguerite Duras et la mélancolie de Marcel Proust, l’appartement de Julie et Sébastien Martin ne payait pourtant pas de mine. A l’origine, les parents de Sébastien avaient investi dans une chambre de bonne au dernier étage de la résidence. Puis, ils avaient acheté celle d’à côté pour transformer le logement en T2. De fil en aiguille, ils avaient fini par acquérir cinq petites pièces contiguës. L’adresse prestigieuse et l’accès direct à la plage de cet appartement, sans charme et peu fonctionnel, méritaient bien quelques sacrifices.

Sur la table de nuit, le journal Ouest France annonçait l’arrivée de John Travolta à Deauville pour présenter son dernier long-métrage, Killing Season, au festival du film américain. Julie et sa petite sœur, Emma, avaient obtenu des invitations pour assister à la projection. Lorsqu’elles étaient adolescentes, elles avaient dû regarder Grease une bonne trentaine de fois et se réjouissaient de voir Danny Zuko1 en chair et en os.

Après avoir jeté un rapide coup d’œil aux enfants, Julie saisit son téléphone portable et composa le numéro de sa sœur. Pour la troisième fois depuis le début de la semaine, elle tomba sur son répondeur : « Coucou Emma, c’est moi, décidément je n’ai pas de chance. Je voulais savoir si on se retrouvait toujours à 17h au haras ? Je me disais qu’on pourrait aller directement à la projo, il faut être à 19h30 au CID2. Rappelle-moi. Et, sinon, à tout à l’heure sur le chantier. Bisous. »

Un chantier, c’était le mot qui convenait pour décrire le champ de mines que représentaient les débris de murs que les ouvriers avaient amassés dans les écuries. C’était la première fois qu’Emma prenait part à un projet familial. Elle, d’habitude si indépendante, avait accepté de mettre ses talents d’architecte d’intérieur au service de la dynastie deauvillaise des Leroy.

Pierre Leroy, le père d’Emma et Julie, était une figure locale. Propriétaire de chevaux de course, il avait contribué au prestige des hippodromes de Deauville- la Touques et de Clairefontaine. Aussi charismatique que chaleureux, il s’était adjoint, depuis bientôt vingt ans, les services de sa fille, Julie, dans la gestion du haras. Si autrefois, les douze boxes des écuries du domaine Leroy hébergeaient les meilleurs purs-sangs, aujourd’hui, à l’exception de Mademoiselle Perle, jument de trois ans aux performances exceptionnelles, ils accueillaient principalement des chevaux de loisir que leurs propriétaires ne montaient qu’au moment des vacances. Une activité devenue trop peu lucrative pour pouvoir entretenir le manoir familial, ses dépendances et les 10 ha du domaine. D’autant que depuis quelques mois, le patriarche, réputé pugnace, montrait quelques signes de sénilité. Le médecin de famille, qui soignait déjà son diabète, soupçonnait un Alzheimer. Emma et Julie, la mort dans l’âme, considéraient sérieusement la possibilité de le placer en maison de retraite, tant ses fugues nocturnes et ses sautes d’humeur devenaient ingérables. Alors que la question de la vente de la propriété commençait à faire son chemin, Emma proposa de transformer le manoir principal et une partie des écuries en chambres d’hôtes. Une solution idéale pour ne pas perdre ce bien, à la valeur sentimentale inestimable, tout en lui offrant une seconde vie.

L’ingéniosité et la créativité d’Emma, diplômée de l’école Boulle, étaient sans limites. Son atelier boutique Emma Design constituait une référence dans la région. Emma n’avait pas vraiment d’horaires d’ouverture. Bien qu’elle y vende quelques objets décoratifs, son show-room était surtout destiné à exposer des photos de ses créations. Les échantillons de matières et les nuanciers aux mille couleurs offraient à ses clients un champ infini de possibilités pour personnaliser leur intérieur.

Julie, très proche de sa petite sœur, commençait à s’inquiéter de ne pas avoir de ses nouvelles. Elle décida de faire un saut à la boutique après avoir déposé les enfants au centre aéré.

1. Nom du personnage interprété par John Travolta dans le film Grease.

2. Palais des Congrès de Deauville.

2 Noah Clinton

Dans la cuisine de sa chaleureuse demeure à colombages, typiquement normande, installée sur les hauteurs de Trouville-sur-Mer, Noah se débattait avec le chauffe-biberon pendant que les cris d’Adam jaillissaient du Babyphone.

– Tess, tu peux calmer ton petit frère, s’il te plaît ?

Pas de réponse. C’est alors qu’il entendit les pas lourds de l’adolescente dévalant l’escalier. Noah se retourna, juste à temps pour apercevoir sa fille, un casque audio vissé sur les oreilles, son sac à dos sur l’épaule, passer la porte d’entrée.

– A ce soir, Dad !

Le fracas de la porte, claquée derrière elle, renforça les cris du bébé. Noah allait se précipiter à l’étage quand il entendit toquer à la fenêtre. Tess, une oreille libérée de ses écouteurs, lui fit signe d’ouvrir la vitre. Mais occupé à presser la tétine du biberon sur sa main pour vérifier si le lait était à bonne température, Noah ne prit même pas la peine d’entrebâiller la lucarne. La voix de Tess lui parvint, sourde, comme au travers d’un aquarium :

– Elle revient quand de Paris, Emma ? Elle devait me ramener un câble d’ordi… Tu sais si elle a pu passer à l’Apple Store ?

Las, Noah leva les épaules pour lui indiquer qu’il n’avait aucune idée de la date de retour d’Emma. à qui Tess n’adressait la parole que pour lui demander des services ; les joies des relations d’une ado avec sa belle-mère dans une famille recomposée…

Alors que Noah s’élançait dans les escaliers pour calmer Adam, le téléphone sonna. Le sans-fil collé à l’oreille et le bébé transpirant dans les bras, il ne se força même pas à être aimable :

– Oui ?

– Noah ? C’est Julie. Emma est là ?

– Non, elle est à Paris.

– Comment ça ? Elle a oublié qu’on allait à l’avant-première ce soir ?

– Écoute Julie, je n’en sais rien. Appelle-la sur son portable.

– Ça fait trois jours que j’essaie de la joindre, elle est sur répondeur…

Les cris faméliques du bébé s’infiltraient maintenant dans le combiné. Julie reprit :

– Je suis devant sa boutique et la vitrine a encore été vandalisée. L’alarme ne s’est pas déclenchée ?

– Je ne sais pas. La société de télésurveillance a certainement dû appeler Emma sur son portable. Tu penses qu’on a volé quelque chose ?

– La vitre de la porte s’est fragmentée, mais elle tient bon, on dirait. Attends…

Les pas de Julie résonnaient maintenant dans le téléphone, puis un bruit de poignée qu’on abaisse. Elle essayait d’ouvrir la porte du magasin.

– … Oui, la serrure est toujours verrouillée, je ne crois pas que quelqu’un soit entré… Allo ?

– … Deux secondes…

Adam, la bouche grande ouverte, tentait d’attraper la tétine de son biberon, en vain. Il se mit à hurler de plus belle et à se débattre comme un beau diable. Noah abrégea…

– Écoute Julie, je passerai voir le magasin dans la matinée. Si Emma appelle, je lui dirai que tu essaies de la joindre. Je dois te laisser.

Il raccrocha promptement et prit Adam contre lui pour le bercer et tenter de le calmer.

Bon sang Emma, comment en est-on arrivé là ? se demanda-t-il, perdu dans ses pensées.

3 Janis Walsh

Malgré les mises en garde d’Emma, Janis devait retourner au blockhaus. Freddy lui avait pris ce qu’elle avait de plus cher, la gourmette en or qu’elle portait autour du poignet quand les services sociaux anglais avaient trouvé son couffin devant l’Elizabeth Children’s Home. Tristement célèbre, cet orphelinat de Liverpool recueille, depuis des décennies, les enfants des junkies et autres accidentés de la vie du nord-ouest du Royaume-Uni, victimes du déclin industriel de la région.

A vingt-six ans, Janis avait déjà pas mal baroudé. Six ans plus tôt, alors serveuse dans un Fish and Chips de Londres, elle avait fait la connaissance de Freddy Gaillard, un Français adepte du freeganisme, mouvement dont le principe consista à dénoncer le gaspillage alimentaire et la société de consommation en se nourrissant gratuitement dans les poubelles. Janis l’avait surpris à la sortie de son service récupérant les restes du dîner dans une benne à ordures. Séduite par sa démarche marginale et son irrésistible allure d’artiste maudit, typiquement frenchy, elle s’était installée avec lui dans un immeuble de six étages et de trente pièces, squatté par un collectif d’artistes, au 18 Upper Grosvenor Street à Mayfair.

Estimé à plus de sept millions de livres, le bâtiment avait fait, en 2008, la une de tous les journaux anglais quand la police avait expulsé, sans ménagement, le jeune couple et sa bande. Freddy et Janis avaient alors décidé de traverser la Manche pour errer dans les rues huppées de Deauville.

Leur nouveau QG se trouvait à quelques mètres de l’école de voile de Trouville, dans un blockhaus, vestige de la Seconde Guerre mondiale, avec une vue magnifique sur la mer et, côté plage, sur la Villa des Flots, ayant appartenu à la famille Eiffel.

Hormis ce panorama idyllique, leur nouveau squat était d’une insalubrité redoutable. D’abord parce que les clochards du coin avaient pour habitude d’y répandre des litres d’urine aromatisée à la bière, mais aussi parce que les rats du quartier s’offraient, à la tombée de la nuit, des promenades le long des murs qui constituaient l’armure du bunker.

Pour survivre, Janis fabriquait des objets avec toutes sortes de matériaux échoués sur le sable et les vendait sur un coin de trottoir, les jours de marché, dans la rue Eugène-Colas, principale artère commerçante de Deauville. Avec ses dreadlocks pourpres et ses nombreux piercings, blottie contre son chien Potcake, Janis était en parfait contraste avec les paires de chaussures Tod’s et autres Louboutin qui écrasaient régulièrement le vieux paréo sur lequel ses créations étaient étalées.

Janis avait fait la connaissance d’Emma sur ce bout d’asphalte. Elle pensait, au départ, que la jeune femme lui achetait ses œuvres par pitié. Mais quand la décoratrice lui avait proposé de les exposer dans sa boutique, Janis s’était mise à espérer une reconnaissance de sa créativité.

Freddy ne voyait pas le rapprochement de sa compagne avec Emma d’un très bon œil. Surtout depuis qu’Emma, témoin d’une de leurs violentes disputes, avait fortement conseillé à Janis de s’éloigner de lui.

Janis était certaine que Freddy avait jeté un galet sur la vitrine d’Emma Design ce matin. Elle l’avait vu tituber en direction de la fontaine, non loin de la boutique. Les mains dans les poches, il semblait cacher quelque chose. A moins qu’il n’ait encore détroussé un touriste…

Janis entamait maintenant l’ascension du blockhaus pour atteindre les meurtrières permettant de pénétrer à l’intérieur. Freddy dormait, cuvant sa piquette, son corps s’agitant au rythme de ses ronflements. La tête posée sur un grand sac plastifié à carreaux, il sifflait entre ses chicots. Janis tendit le doigt vers son épaule pour le faire bouger, en vain.

Soudain, Freddy renifla bruyamment et ses yeux se mirent à cligner. Janis crut un instant qu’il allait se réveiller mais, profondément endormi, il repositionna lourdement sa tête au milieu du sac en appuyant sur son contenu comme sur un tube de dentifrice. De la fermeture Eclair entrouverte, un rectangle de plastique noir dépassait. Le cœur de Janis se mit à battre dans ses tempes. Elle entortilla ses doigts dans son T-shirt pour se saisir de l’objet sans y laisser d’empreintes. Quand elle l’extirpa, son corps se figea. La gorge serrée, les yeux fixés sur l’objet, elle reconnut immédiatement l’appareil photo d’Emma.

4 Sandra Toledano, Noah Clinton, Lieutenant Lydia Giovanni

Un petit attroupement commençait à se former devant l’enseigne Emma Design. Sandra Toledano, la pharmacienne, dont l’officine était mitoyenne, répondait aux questions des policiers :

– C’est sûrement la clodo qui a fait ça. Voilà ce que c’est d’ouvrir sa porte à n’importe qui !

– Avez-vous le nom de cette personne ?

– Aucune idée, mais vous ne devriez pas avoir de mal à la trouver, elle vend ses saloperies régulièrement sur le pas de notre porte. Tous les matins, elle est en ville et l’après-midi sur la plage.

Sandra, de sa bouche glossy soulignée d’un trait de crayon trop foncé, prenait un air écœuré pour décrire Janis :

– … La petite maigrichonne avec l’accent british.

L’agent de police, une femme d’une trentaine d’années, notait scrupuleusement les informations données dans un carnet, lorsqu’une Jeep noire se gara devant eux. Un élégant quadra, aux faux airs de John John Kennedy3, en sortit et dit avec une pointe d’accent américain :

– Bonjour, je suis Noah Clinton, c’est le magasin de ma femme, Emma…

– Tu parles d’un magasin… persifla Sandra… Fermé un jour sur deux…

Noah tentait d’identifier la bonne clé sur le trousseau familial de secours qui comptait pas moins de dix clés différentes : celles de la maison, des deux voitures, du haras, de son propre bureau, de la boutique et autant de boîtes aux lettres.

– Pouvez-vous demander à votre femme de passer faire une déposition au commissariat, ce sera plus simple ? lui demanda alors la policière.

– Oui… Mais elle est en déplacement…

– … Elle n’a que 48 heures, pour déclarer le sinistre à l’assurance. Le plus tôt sera le mieux, l’interrompit l’agent.

– Le problème, c’est que je ne sais pas du tout quand elle rentre. Je ne peux pas le faire à sa place ?

Il vit Sandra lever les yeux au ciel pour marquer sa désapprobation…

– Vous gérez aussi ce magasin ou c’est seulement celui de votre femme ? demanda l’officier.

– Non, c’est celui de ma femme, mais…

Le lieutenant Lydia Giovanni l’interrompit et tendit sa carte :

– Dans ce cas, dites-lui de m’appeler dès qu’elle reviendra.

Lorsque la policière tourna les talons, Sandra suivit Noah à l’intérieur du magasin. Tout semblait à sa place. Caressant un meuble du bout des doigts pour en retirer la poussière, la pharmacienne grommela d’un air dégoûté :

– Monsieur Clinton, ça ne peut pas continuer comme ça. Ici, les commerçants doivent afficher un certain standing. On ne peut pas laisser le quartier se détériorer à cause des fréquentations de votre femme !

– Écoutez Sandra, j’ai assez de soucis comme ça, alors vous en parlerez avec Emma à son retour.

Il poussait l’intrigante vers la sortie lorsqu’elle poursuivit :

– Je ne parle pas « que » de la souillon d’anglaise… Mais, puisque vous n’avez pas le temps…

Sa tentative pour attiser la curiosité de Noah fit un flop. Il s’engouffra dans son 4X4 et démarra, sans même la saluer.

– Tu as vraiment un bol de cocu que je ne porte pas plainte contre ta traînée de femme pour troubles du voisinage, marmonna Sandra avant de claquer la porte de la pharmacie, faisant tinter la clochette dans un bruit strident.

3. Fils du président John Fitzgerald Kennedy, à la beauté légendaire.

5 Noah Clinton

Au volant, Noah pestait contre tous ceux qui semblaient s’être ligués pour lui pourrir sa journée. Il attendait ce rendez-vous avec le préfet depuis des mois et il allait arriver en retard, c’était certain.

Installé en Normandie depuis douze ans, Noah n’avait rien perdu de la ponctualité légendaire des habitants de la côte est américaine. Il avait grandi à quelques kilomètres de Boston, à Providence, capitale du plus petit Etat des USA, Rhode Island. Sa mère, Marta, enseignait le français à la prestigieuse université de Brown.

Son père, William Clinton, éminent neurochirurgien dont les ouvrages sur le cerveau s’étaient vendus à des millions d’exemplaires, était un père absorbé par son travail, mais aimant.

L’avion privé, que William pilotait pour parcourir les quelque trois cents kilomètres séparant leur domicile de leur résidence secondaire d’East Hampton, s’était abîmé en mer, alors que Noah n’avait que huit ans. Il n’oublierait jamais les phares de la voiture de police éclairant la neige, ce soir de Noël 1983, lorsque les forces de l’ordre étaient venues annoncer la triste nouvelle à sa mère. Le corps du médecin n’avait jamais pu être repêché. Marta, meurtrie par le chagrin, ne lui avait survécu que trois ans avant d’être emportée par un cancer.

Malgré ces épreuves, Noah ne gardait de son enfance que des souvenirs heureux. Recueilli à l’âge de onze ans, par son grand-père paternel, Ronald Clinton, vétéran de la Seconde Guerre mondiale, il partageait avec lui un goût prononcé pour l’histoire et n’avait pas hésité une seconde à le rejoindre en France, alors que le vieil homme organisait les commémorations du soixantième anniversaire du Débarquement en Normandie. Noah n’était, depuis, jamais reparti.

En 2008, il avait fait la connaissance d’Emma Leroy, fille d’un ami de son grand-père et l’avait épousée deux ans plus tard. Grand-Pa Ronald les avait quittés peu de temps avant la naissance d’Adam. C’est donc seul qu’il poursuivait le devoir de mémoire des vétérans américains et avait repris les rênes de l’AMI (American Memory Institute) fondé par son aïeul.

En ce mois de septembre 2013, les commémorations des soixante-dix ans du Débarquement du 6 juin 1944 approchaient et s’annonçaient encore plus importantes que les précédentes. Car, les vétérans vieillissant, la France et l’Amérique voulaient leur témoigner dignement toute leur reconnaissance avant qu’ils n’aient tous disparus. La Maison-Blanche venait de confirmer la présence du président Barack Obama qui serait, comme il se doit, accueilli sur les plages de Normandie par son homologue français François Hollande.

Noah avait pour mission de coordonner tous les événements organisés dans la région pour ses compatriotes américains. Il avait donc rendez-vous avec le préfet pour discuter des autorisations nécessaires à obtenir et des dispositifs de sécurité à mettre en place.

C’était la semaine la plus chargée de l’année pour lui, mais Emma n’avait rien voulu entendre. Depuis la naissance d’Adam, elle avait littéralement pété les plombs. Cela avait commencé par des reproches à l’encontre de Noah : « Tu ne fais plus attention à moi… Je fais tout dans cette maison… », puis Adam était devenu la cause de tous ses maux et Emma saisissait la moindre occasion de fuir la maison.

Alors, quand elle lui avait annoncé qu’elle partait quelques jours à Paris pour décorer la maison d’un magnat de la cosmétique, Noah et elle s’étaient disputés comme jamais. Elle avait même été jusqu’à évoquer l’éventualité d’un divorce.

Quelques mois auparavant, elle avait déjà quitté la maison plusieurs jours, pour se réfugier chez sa sœur Julie.

Noah avait alors eu l’impression d’être un monstre aux yeux de sa femme, et la famille qu’ils avaient construite, un fardeau écrasant. Il se sentait démuni, impuissant…

Emma, pourquoi as-tu tout gâché ?

6 Julie Leroy-Martin

A 18h45, Julie était toujours sans nouvelles de sa sœur. Ce n’était pas dans ses habitudes… Emma avait eu une passe difficile après la naissance d’Adam mais, depuis quelques semaines, elle avait retrouvé le sourire. Et même dans ses pires moments de spleen, elle n’avait jamais rompu le contact avec Julie. Pourquoi ne décrochait-elle pas son foutu téléphone ?

– Allo Emma, c’est encore moi, appelle-moi, s’il te plaît, je commence à m’inquiéter… On avait rendez-vous à 17h avec le peintre et je t’attends toujours. Écoute, je pars à la projo, rejoins-moi directement. Tu as intérêt à acheter du pop-corn pour te faire pardonner !