La divine comédie - Tome 2 - Le Purgatoire - Dante Alighieri - E-Book

La divine comédie - Tome 2 - Le Purgatoire E-Book

Dante Alighieri

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  • Herausgeber: WS
  • Kategorie: Poesie und Drama
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2015
Beschreibung

Le deuxieme tome de cette grande épopée poétique nous fait visiter, apres l'Enfer, le Purgatoire. Dante est toujours guidé par la poete latin Virgile, qui représente la Raison, jusqu'au XXXe chant, ou il trouve la douce et vertueuse Béatrice qui l'accueille, le juge, pardonne et le conduit au Paradis.

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La divine comédie - Tome 2 - Le Purgatoire

Dante Alighieri

Booklassic 2015 ISBN 978-963-525-890-1

CHANT I

 

L’esquif de mon génie à présent tend la voile

et s’apprête à courir sur des ondes plus belles,

laissant derrière lui cette mer trop cruelle.

 

Je suis prêt à chanter le royaume second,

où l’esprit des humains vient se purifier

et se rend digne ainsi de monter jusqu’au Ciel.

 

Faites ressusciter ici, célestes Muses,

puisque je suis à vous, la morte poésie[1] ;

et que Calliope enfle encore plus la voix

 

et vienne accompagner mon chant de ces doux sons

dont l’effet fut senti par les dolentes Pies

lorsqu’il leur enleva tout espoir de pardon[2].

 

L’agréable couleur du saphir d’Orient

qui baignait de l’azur la pureté sereine,

limpide jusqu’aux bords du lointain horizon,

 

s’offrit une autre fois à mes regards charmés,

sitôt que je sortis de l’atmosphère morte

qui peinait à la fois et mes yeux et mon cœur.

 

Et l’astre souriant qui nous parle d’amour[3]

faisait déjà briller le bord de l’Orient

et pâlir les Poissons qui forment son escorte.

 

Et moi, j’avais tourné mon regard vers la droite,

pour mieux voir l’autre pôle, où brillaient quatre étoiles

que les premiers humains ont pu seuls contempler[4].

 

Le Ciel en paraissait plus heureux et plus gai ;

oh ! comme notre Nord est veuf de toute joie,

lui qui n’a pas le droit d’admirer leur éclat !

 

Puis, ayant détaché mon regard de ce point

et m’étant retourné vers notre pôle à nous,

où l’on ne voyait plus les étoiles de l’Ourse,

 

je vis à mes côtés un vieillard solitaire[5]

dont l’air et le maintien inspiraient le respect,

comme celui que doit un enfant à son père.

 

Sa longue barbe était de poils blancs parsemée,

d’une couleur pareille à celle des deux tresses

que formaient ses cheveux tombant sur sa poitrine.

 

Le quadruple rayon des étoiles sacrées

mettait sur son visage une telle clarté,

qu’il me semblait le voir mieux qu’avec le soleil.

 

« D’où venez-vous ? Fit-il dans les flots de sa barbe ;

comment avez-vous fui la prison éternelle,

pour venir remonter le fleuve des ténèbres ?

 

Et qui donc vous guidait ? Qui fut votre lanterne,

pour vous faire sortir de la profonde nuit

qui rend toujours obscurs les vallons de l’Enfer ?

 

Est-ce ainsi qu’on enfreint les lois de votre abîme ?

ou bien le Ciel a-t-il si fortement changé,

que vous pouvez entrer, damnés, dans mes domaines ?

 

Mon guide, à ce discours, me prenant par la main,

par ses mots, par ses mains, par les signes qu’il fit

me le fit révérer des yeux et du genou,

 

et dit : « Je ne viens pas jusqu’ici, de mon chef ;

mais une dame vint du Ciel, dont les prières

m’ont fait accompagner celui-ci, pour l’aider.

 

Mais si tu veux savoir avec plus de détail

quelle est la vérité de nos conditions,

ma volonté ne peut que répondre à la tienne.

 

Cet homme n’a point vu venir sa nuit dernière ;

mais grâce à sa folie il la frôla de près

et par un pur miracle il put s’en ressaisir.

 

Comme je te l’ai dit, je fus mandé vers lui

afin de le sauver ; mais je n’ai pu le faire

que par ce seul chemin que nous avons suivi.

 

Je viens de lui montrer toute la gent perverse ;

je pense maintenant lui montrer les esprits

qui, surveillés par toi, se purgent de leurs torts.

 

Comment je m’y suis pris, serait trop long à dire ;

suffit qu’une vertu descende du Ciel, qui m’aide

à le conduire ici, pour t’entendre et te voir.

 

Que sa visite donc ne te déplaise pas :

il va reconquérir la liberté si chère

que beaucoup de mortels l’aiment mieux que la vie.

 

Et tu le sais bien, toi, qu’Utique a vu pour elle

trouver la mort plus douce et perdre sans regret

l’habit qui brillera si fort, lors du grand jour[6].

 

Nous n’avons pas enfreint les décrets éternels ;

celui-ci vit ; Minos n’a pas de droit sur moi,

car j’appartiens au cercle où sont les chastes yeux

 

de Marcia[7], qui semble encor te supplier

de la tenir pour tienne, ô cœur plein de noblesse !

Sois-nous donc bienveillant, au nom de son amour,

 

et laisse-nous passer par tous tes sept royaumes[8] ;

et je lui conterai cette faveur insigne,

si tu veux que ton nom soit prononcé là-bas. »

 

« Marciac fut jadis à mon âme si chère,

pendant que je vivais, répondit le vieillard,

qu’elle obtenait de moi tout ce qu’elle voulait.

 

Mais elle ne peut plus m’émouvoir, maintenant

qu’elle reste au-delà de ce fleuve maudit

que j’ai franchi jadis, car telle est notre loi.

 

Cependant, si du Ciel cette dame te guide,

comme tu dis, pourquoi chercher à me flatter ?

Il suffit qu’en son nom tu viennes me le dire.

 

Va donc ; que celui-ci se mette une ceinture

faite d’un jonc ténu ; lave-lui le visage,

pour le débarrasser de toutes ses souillures ;

 

car il ne convient pas qu’il vienne à contempler

le premier serviteur venu du Paradis,

avec les yeux couverts d’un reste de brouillard.

 

Autour de cet îlot, sur ses bords les plus bas,

à l’endroit où les flots se brisent sur la côte,

au-dessus du limon pousse une joncheraie.

 

Nulle plante, ni celle à la tige endurcie,

ni celle qui produit des feuilles, n’y prend pied,

ne pouvant pas plier pour supporter les chocs.

N’allez pas revenir ensuite par ici ;

le soleil qui paraît vous montrera bientôt

l’endroit où le monter vous sera plus aisé. »

 

Il disparut ensuite. Alors je me levai

sans prononcer un mot, en me serrant de près

au guide et en cherchant de mes yeux son regard.

 

« Mon fils, commença-t-il à me dire, suis-moi !

Revenons sur nos pas : c’est par là que la plaine

descend et nous conduit du côté le plus bas. »

 

L’aube chassait déjà les ombres du matin

qui fuyaient devant elle, en sorte que de loin

je croyais deviner le long frisson des vagues.

 

Nous allions tout au long de la plaine déserte,

comme celui qui cherche un bon chemin perdu

et ne croit pas marcher tant qu’il n’a pas trouvé.

 

À la fin, arrivés au point où la rosée

lutte avec le soleil et lui résiste mieux,

car la fraîcheur du lieu la défend des rayons,

 

mon seigneur, doucement, vint poser ses deux mains

ouvertes largement sur ce joli gazon ;

et moi, qui devinais quelle était sa pensée,

 

je tendis mon visage encor baigné de larmes :

c’est de cette façon qu’il mit à découvert

les couleurs que l’Enfer m’avait comme embuées.

 

Puis, nous vînmes au bord de la plage déserte

dont les flots n’ont jamais ballotté de navire

d’un marin qui connût le chemin du retour[9].

 

C’est là qu’il me ceignit, comme l’autre avait dit.

Miracle ! au même instant qu’il l’arrachait de terre,

un autre rejeton, pareil à l’humble plante,

 

apparut aussitôt à l’endroit dévasté[10].

CHANT II

 

Déjà l’astre du jour touchait cet horizon

dont le méridien, dans son point le plus haut,

passe au-dessus du site où gît Jérusalem,

 

cependant que la nuit, tournant à l’opposé,

sortait des eaux du Gange avec cette Balance

qui lui tombe des mains lorsqu’elle a trop vieilli ;[11]

 

en sorte qu’à l’endroit où je restais alors

le beau visage blanc et vermeil de l’aurore

prenait, avec le temps, des tons de feuille morte.

 

Nous nous trouvions toujours au bord de cette mer,

comme qui pense tant à son prochain visage,

qu’il chemine en esprit dès avant le départ,

 

quand voici que soudain, comme au seuil du matin

on voit Mars rougeoyer sous une brume épaisse

qui s’élève des flots au-dessus du Ponant,

 

j’ai vu (puissé-je encor le voir !) un grand éclat

qui s’approchait de nous si vite sur la mer,

que nul vol ne saurait ressembler à sa course.

 

J’en détournai les yeux, l’espace d’un moment,

afin d’interroger mon guide, et je le vis,

lorsque j’y retournai, plus grand et plus brillant.

 

De chacun des côtés luisait autour de lui

je ne sais quoi de blanc ; et comme il s’approchait,

une blancheur pareille apparut sous ses pieds.

 

Mon maître cependant attendait sans broncher

et, dans les blancs premiers distinguant les deux ailes

il reconnut enfin quel était le nocher

 

et me dit aussitôt : « Vite, vite, à genoux !

Voici l’ange de Dieu : tu dois joindre les mains.

Tu reverras souvent, ici, de tels ministres.

 

Vois comment, dédaignant les moyens des humains,

il se passe de rame et ne veut d’autre voile,

pour venir de si loin, que celle de ses ailes.

 

Tu vois comme il les tend vers le ciel, battant l’air

de la plume éternelle et qui ne connaît pas

ce que c’est que muer comme un mortel plumage ! »

 

Plus cet oiseau divin se rapprochait de nous,

plus on lui distinguait clairement le visage,

mais l’œil pouvait à peine supporter son éclat.

 

Je baissai le regard ; et lui, venant au bord,

toujours sur son bateau si rapide et léger,

il effleurait à peine la surface de l’eau.

 

Le céleste nocher se tenait à la poupe ;

on lisait dans ses traits son état bienheureux,

et plus de cent esprits remplissaient son esquif.

 

In exit Israël de Ægypto[12]

chantaient-ils tous en chœur, d’une commune voix,

avec tout ce qui fait la suite de ce psaume.

 

puis de la sainte croix il fit sur eux le signe

et dès qu’ils prirent pied sur le rivage, l’ange

s’éloigna promptement, comme il était venu.

Les nouveaux arrivants semblaient tout ignorer

je l’endroit : leurs regards se promenaient partout,

comme de gens qui vont de surprise en surprise.

 

Le soleil nous dardait ses rayons de partout,

et il avait déjà, de l’éclat de ses flèches,

chassé le Capricorne à l’autre bout du ciel[13],

 

quand cette gent nouvelle leva les yeux vers nous,

nous disant : « Si jamais vous pouvez nous le dire,

montrez-nous le chemin pour gravir la montagne ! »

 

« Sans doute pensez-vous, leur répondit Virgile,

que nous connaissons bien cet endroit où nous sommes :

nous sommes, comme vous, de simples pèlerins.

 

Nous venons d’arriver, peu d’instants avant vous,

par un autre chemin, si rude et si terrible

qu’à présent le monter va nous paraître un jeu. »

 

Cependant les esprits, qui s’étaient rendu compte,

à me voir respirer, que je n’étais pas mort,

pâlirent de surprise et tremblèrent d’effroi.

 

Comme on court au-devant du messager qui porte

le rameau d’olivier, pour avoir des nouvelles,

sans que personne pense aux hasards de la presse,

 

ainsi rivaient alors leurs regards dans les miens

les esprits bienheureux qui se trouvaient là-bas,

Presque oubliant le soin de leur félicité.

 

Entre autres, j’en vis un qui s’approchait de moi

et qui vint m’embrasser avec tant d’amitié,

que j’aurais bien voulu lui rendre la pareille.

 

Ombres, où l’on ne voit qu’une vaine apparence !

Par trois fois je ceignis son corps avec mes bras,

et ne fis que croiser mes bras sur ma poitrine.

 

Je crois que dans mes yeux on lisait ma surprise,

car l’ombre eut un sourire et recula d’un pas,

et moi, le poursuivant, je voulus le rejoindre.

 

Il me dit doucement de ne plus m’avancer ;

et, l’ayant reconnu, je lui dis la prière

de s’arrêter un peu pour causer avec moi[14].

 

Alors il répondit : « Autant que je t’aimais

avec mon corps mortel, je t’aime, délivré,

et je vais m’arrêter ; mais toi, que fais-tu là ? »

 

Je dis : « Cher Casella, j’entrepris ce voyage

afin de retourner plus tard à cet endroit ;

mais toi, qui t’a donc fait si longuement tarder ? »

 

Et sa réponse fut : « Je n’ai pas à me plaindre,

si celui qui conduit quand il veut ceux qu’il veut[15]

m’avait jusqu’à présent refusé ce passage,

 

puisque sa volonté n’est que pure justice.

Voici bientôt trois mois[16] qu’il a permis l’entrée

à celui qui l’implore, et n’en rebute aucun ;

 

et moi, qui me trouvais tourné vers le rivage

où le Tibre écumant va se charger de sel,

je fus bienveillamment accueilli dans son sein.

 

Il vole maintenant vers cette même rive,

car c’est toujours là-bas que vont se rassembler

ceux qu’on n’a pas voués au profond Achéron. »[17]

 

« Si de nouvelles lois, lui dis-je, ne t’enlèvent

de ces chansons d’amour qui me faisaient jadis

supporter mieux mon mal, l’usage ou la mémoire,

 

viens consoler, veux-tu ? Pour un instant mon âme

que le tourment poursuit comme il l’a toujours fait,

du moment où je vins avec mon corps ici. »

 

Amour qui dit au cœur ses raisons[18], se mit-il

à chanter, d’une voix si douce et si prenante,

que sa douceur revient toujours dans mon esprit.

 

Mon seigneur et moi-même et toute cette foule

qui venait avec lui, nous étions si contents,

qu’aucun autre penser ne venait me troubler.

 

Nous étions tout ouïe, écoutant transportés

les accents de sa voix, lorsque le bon vieillard

cria : « Que faites-vous, esprits trop paresseux ?

 

Quel sens ont cet arrêt et cette nonchalance ?

Courez vers la montagne et lavez cette croûte

qui cache à vos regards le visage de Dieu ! »

 

Comme un vol de pigeons qui cherchent leur pâture

et picorent en paix et sans se rengorger

selon leur habitude, ou le grain ou l’ivraie,

 

si quelque objet survient, dont ils sont effrayés,

abandonne aussitôt le repas commencé,

pressé qu’il est soudain par de plus grands soucis ;

 

tels je voyais les gens fraîchement arrivés

abandonner le chant et foncer vers la côte,

comme celui qui court sans savoir où courir ;

 

et nous ne fûmes pas les moins pressés de tous.

 

CHANT III

 

Voyant s’éparpiller à travers la campagne

tout ce monde assemblé, dans sa fuite éperdue,

et courir vers le mont des justes pénitences,

 

je me collai plus fort à mon sûr compagnon.

Comment aurais-je pu, d’ailleurs, courir sans lui ?

Qui pouvait diriger mes pas sur la montagne ?

 

Lui-même, il paraissait se faire des reproches ;

car pour toi, délicate et pure conscience,

la plus légère faute est un amer remords !

 

Il ralentit enfin sa marche, car la hâte

ternit la dignité de tous nos mouvements ;

et l’esprit, jusqu’alors content de peu de chose,

 

ressentit l’aiguillon de la soif de connaître

et me fit diriger le regard vers la cime

qui s’élance des eaux vers le ciel le plus haut.

 

Le soleil, qui brillait ardent comme la braise,

était interrompu devant moi par mon corps,

dont son rayon venait dessiner les contours :

 

mais je me retournai soudain, saisi de crainte,

croyant que j’étais seul, puisque j’apercevais

ma seule ombre noircir le sol devant mes pas.

 

« Que crains-tu cette fois ? Se mit alors à dire

celui qui me console, en se tournant vers moi ;

ne suis-je pas toujours ici, pour te guider ?

 

L’étoile du berger luit déjà sur la tombe

du corps avec lequel, jadis, j’ai fait de l’ombre

et que de Brindisi l’on fit porter à Naples[19].

 

Si rien ne se projette à présent devant moi,

n’en sois pas plus surpris que d’observer les cieux,

dont l’un n’arrête pas la lumière des autres.

 

Car le vouloir divin fait que nos corps sont aptes

à souffrir les tourments et le chaud et le froid,

sans permettre qu’on sache comment il y parvient[20].

 

Et bien fol est celui qui croit que notre esprit

peut comprendre et saisir les chemins infinis

de la seule substance unie à trois personnes.

 

Contentez-vous, mortels, du plus simple quia[21] ;

car si vous aviez pu tout savoir et connaître,

point n’eût été besoin que Marie enfantât ;

 

et vous avez bien vu que la recherche est vaine,

de certains dont l’envie eût été satisfaite,

alors qu’elle leur sert de souffrance sans fin.

 

Je veux dire Platon aussi bien qu’Aristote

et bien d’autres encor. » Penchant son front pensif,

il mit de cette sorte un terme à son discours.

 

Nous étions arrivés au pied de la montagne,

mais on n’y pouvait voir qu’un rocher si scabreux,

qu’en vain on prétendrait l’escalader à pied.

 

Allant de La Turbide à Lerici[22], l’abîme

le plus infranchissable est en comparaison

un escalier commode et plus que confortable.

 

« Qui donc pourrait nous dire de quel côté la pente

s’abaisse, dit alors mon maître en s’arrêtant,

pour que puisse y monter celui qui n’a pas d’ailes ? »

 

Tandis qu’il se tenait le visage baissé,

supputant en silence un chemin à choisir,

et que, moi, j’explorais les hauteurs du regard,

 

je vis venir à gauche une foule d’esprits

qui dirigeaient leurs pas vers nous, si lentement

qu’ils semblaient demeurer à la même distance.

 

« Maître, lui dis-je alors, regarde donc là-bas !

Voici venir des gens qui vont nous conseiller,

si jamais tu ne peux te suffire à toi-même. »

 

Il regarda vers eux et dit, plus soulagé :

« Allons au-devant d’eux : ils vont trop lentement.

Quant à toi, mon doux fils, ne perds pas le courage ! »

 

Lorsque nous eûmes fait à peu près mille pas,

leur troupe se trouvait encore loin de nous,

autant qu’un bon tireur peut jeter une pierre.

 

Ils venaient se serrer contre le mur rocheux

de cet escarpement, et s’y tenaient blottis,

comme des voyageurs incertains de leur route.

 

« Esprits élus déjà, morts de la belle mort,

commença lors Virgile, au nom de cette paix

que vous espérez tous, à ce que je suppose,

 

dites-nous, où trouver le côté de la pente

par où l’on peut monter pour arriver là-haut ;

car plus on sait, et moins on aime le retard. »

 

Pareils à des moutons sortant de leur enclos,

un par un, deux par deux, pendant que le troupeau

les attend, l’œil craintif et le museau baissé,

 

et ne font qu’imiter ce que fait le premier

et se rangent sur lui, si celui-ci s’arrête,

silencieux et doux, sans savoir le pourquoi,

 

tels j’aperçus alors s’ébranler tout à coup

le premier rang tout seul du troupeau bienheureux

à l’aspect recueilli, noble dans sa démarche.

 

Mais lorsque les premiers virent que la lumière

restait interceptée à ma droite et au sol

par l’ombre qui poussait sous moi vers la falaise,

 

ils s’arrêtèrent tous en reculant d’un pas ;

tous les autres alors, qui les suivaient de près,

firent pareillement, sans comprendre pourquoi.

 

« Je vous confesserai sans qu’on me le demande

que ce que vous voyez est bien le corps d’un homme ;

et c’est pourquoi s’y rompt la clarté du soleil.

 

N’en soyez pas surpris, mais croyez cependant

que c’est par un décret de la Vertu divine

qu’il prétend surmonter cette rude paroi. »

 

Ainsi parla mon maître, et cette gent heureuse

dit, faisant du revers de la main certain signe :

« Retournez-vous alors, et passez devant nous ! »

L’un d’eux me dit : « Ô toi, que je ne connais pas,

regarde un peu vers moi, pendant que nous marchons,

et pense si là-bas tu ne m’as jamais vu ! »

 

Je me tournai vers lui, pour mieux l’examiner :

il était blond et beau et d’aimable présence,

mais le sourcil fendu par un grand coup d’épée.

 

Lorsque modestement je me fus excusé

de ne point le connaître, il dit : « Regarde encore ! »

montrant une blessure en haut de la poitrine.

 

« Je suis Manfred, dit-il ensuite, en souriant[23],

et mon aïeule était Constance impératrice :

de retour chez les tiens, veuille aller de ma part

 

devers ma belle fille, à qui doit sa naissance

la gloire de Sicile et d’Aragon[24], lui dire

la vérité, qu’on peut lui conter autrement.

 

Après avoir senti ma personne blessée

par les deux coups mortels, en pleurant j’implorai

la bonté de Celui qui volontiers pardonne.

 

Mes péchés ont été des plus impardonnables ;

mais la grâce divine ouvre si grands les bras,

qu’ils accueillent tous ceux qui se tournent vers elle.

 

Et si de Cosenza le pasteur, que Clément

avait lors dépêché pour me donner la chasse,

pouvait apercevoir ce visage de Dieu,

 

les restes de mon corps reposeraient encore

à la tête du pont qui mène à Bénévent,

défendus par le poids d’un lourd monceau de pierres[25].

Le vent sèche mes os, que lave l’eau de pluie ;

ils sont hors du royaume et pas très loin du Verden,

jetés là sur son ordre et à cierges éteints.

 

Leur malédiction n’est pourtant pas capable

d’empêcher le retour de l’amour éternel

aussi longtemps qu’il reste une lueur d’espoir.

 

Mais il est vrai que ceux qui meurent comme moi,

même en se repentant, hors de la sainte Église,

demeurent sur les bords, loin de cette montagne,

 

trente fois plus de temps que ne dure leur peine,

pour faire pénitence, à moins que l’on ne sache

abréger cette loi par de bonnes prières.

 

Pense donc si tu peux me rendre plus heureux,

en allant révéler à ma chère Constance

comment tu m’as trouvé, quelle loi nous régit ;

 

car nous gagnons beaucoup par ceux qui sont là-bas. »

 

CHANT IV

 

Lorsque, par un effet des douleurs et des joies,

nous nous sentons atteints dans quelque faculté

où l’on dirait que l’âme est soudain concentrée,

 

celle-ci n’obéit à nulle autre puissance :

ce qui prouve l’erreur de ceux qui s’imaginent

qu’une âme peut en nous céder la place à l’autre[26].

 

Ainsi, lorsqu’on écoute et qu’on voit quelque chose

qui retient fortement toute l’attention,

le temps s’écoule vite et on ne le sent pas,

 

le pouvoir de l’entendre étant une autre chose

que celui de l’esprit compris comme un entier :

l’un se rattache à l’âme et l’autre reste libre[27].

 

Je fis de tout ceci l’expérience sure,

en écoutant l’esprit et en m’émerveillant,

car le soleil fit plus de cinquante degrés[28],

 

et je ne m’aperçus de rien, lorsque nous vînmes

jusqu’à certain endroit où les ombres en chœur

nous crièrent : « Voici ce que vous désirez ! »

 

Souvent le campagnard, lorsque l’automne arrive,

mûrissant le raisin qui prend des tons plus sombres,

d’une seule fourchée emplit de ronces sèches

 

des trous beaucoup plus grands que le mince sentier

par où mon guide et moi nous partîmes tout seuls,

car les autres esprits prenaient d’autres chemins.

 

On monte à San Léo, l’on descend à Noli

et de Bisannualité l’on atteint le sommet

à pied[29] ; mais c’est ici qu’il convient de voler ;

 

j’entends, avec le vol rapide, avec les plumes

de mon ardent désir, suivant les pas du guide

qui m’ouvrait le chemin, me donnant de l’espoir.

 

Nous montions tout au long des rochers éboulés

dont l’étroite paroi nous pressait de partout,

et j’employais les pieds aussi bien que les mains.

 

Arrivés à la fin sur le replat d’en haut[30]

du profond précipice, à l’endroit découvert :

« Ô maître, demandai-je, où va-t-on maintenant ? »

 

« Ce sera désormais, dit-il, toujours plus haut.

Suis mes pas sur ce mont, jusqu’à ce qu’on rencontre

le guide qui saura nous montrer le chemin. »

 

Le sommet est si haut, qu’on ne l’aperçoit pas ;

sa pente me semblait être plus raide encore

que l’angle que décrit la moitié du cadran[31].

 

Comme j’étais déjà bien fatigué, je dis :

« Tourne-toi, mon doux père, et regarde vers moi :

si tu ne m’attends pas, je vais rester tout seul ! »

 

« Traîne-toi jusqu’ici, mon fils », dit-il alors,

en me montrant du doigt un palier au-dessus,

qui, partant de ce point, faisait le tour du mont.

 

Sa voix était pour moi d’un si doux réconfort,

que je parvins, grimpant toujours derrière lui,

à prendre pied enfin sur la forte ceinture.

 

Et là-haut, tous les deux, nous nous mîmes par terre,

tournés vers le levant d’où nous étions venus,

car on aime à revoir le chemin déjà fait.

 

J’examinai d’abord le bas de la montagne ;

ensuite je levai mes yeux vers le soleil,

étonné de le voir briller à ma main gauche[32].

 

Le poète vit bien quelle était ma surprise,

de regarder comment le char de la lumière

s’avançait lentement entre nous et le nord.

 

« Si Castor et Polluer, finit-il par me dire,

avaient fait maintenant escorte à ce miroir

qui répand sa splendeur ici comme là-bas,

 

tu pourrais contempler le zodiaque en flammes

poursuivant son chemin au plus près des deux Ourses,

à moins de le voir prendre un sentier différent[33].

 

Et si tu veux savoir comment cela se fait,

réfléchis un instant : imagine Sion,

ainsi que ce mont-ci, situés sur la terre

 

en des endroits qui font qu’ils ont deux hémisphères

et un seul horizon : ce qui fait que la route

que jadis Phaéton avait si mal suivie

 

se dirige, pour ceux qui regardent d’ici,

d’un côté qui s’oppose à celui de là-bas,

si ton intelligence a bien su me comprendre. »

 

« Maître, certainement, me pris-je alors à dire,

je n’ai jamais compris avec tant de clarté

ce qui semblait avant trop dur à mon esprit ;

 

que le cercle au milieu de la sphère céleste

que les gens du métier appellent Équateur,

et qui reste toujours entre hiver et été,

 

pour la même raison que tu viens de me dire,

est aussi loin d’ici, remontant vers le Nord,

qu’il l’était des Hébreux, vers la chaleur du Sud.

 

Mais je voudrais savoir, si tu le trouves bon,

combien on va marcher, puisque ce pic se dresse

plus haut que je ne puis élever le regard. »

 

Il répondit alors : « Cette montagne est telle,

que son flanc est bien dur pour celui qui s’engage ;

mais plus on l’a gravi, plus il devient aisé.

 

Lorsqu’il te semblera qu’il est enfin plus doux

et que monter là-haut est chose aussi facile[34]

qu’à la nef d’avancer par un vent favorable,

 

nous serons arrivés au bout de ce sentier ;

là, tu peux espérer de voir finir ta peine,

Je ne t’en dis pas plus, c’est tout ce que j’en sais. »

 

Comme il venait de mettre un terme à son discours,

près de nous une voix nous dit : « En attendant,

tu ferais aussi bien de t’asseoir tant soit peu. »

 

Nous étant retournés au son de cette voix,

nous vîmes un grand roc qui se trouvait à gauche,

et que je n’avais pas tout d’abord aperçu.

Nous fûmes vers ce point, et vîmes des esprits

qui paraissaient attendre à l’abri du rocher,

nonchalamment couchés comme des fainéants.

 

L’un surtout, qui semblait plus qu’un autre accablé,

restait assis là-bas, s’embrassant les genoux

sur lesquels se cachait son visage penché.

 

« Regarde, doux seigneur, dis-je alors à mon guide,

celui-là, qu’on dirait plus paresseux encore

que si dame Indolence était sa propre sœur ! »

 

Et ce ne fut qu’alors qu’il daigna regarder,

ramenant son visage en biais, sur la cuisse,

et disant : « Va plus haut, toi qui fais le malin ! »

 

Lors je le reconnus, et cette grande angoisse

qui me pressait encore au creux de la poitrine

ne put pas m’empêcher de courir jusqu’à lui.

 

Et quand je l’eus rejoint, à peine s’il leva

la tête pour parler : « Comprends-tu maintenant

le pourquoi du soleil sur ton épaule gauche ? »

 

Sa même nonchalance et son discours trop bref

amenaient sur ma lèvre un début de sourire

et je dis : « Belacqua[35], je ne suis plus en peine

 

de toi dorénavant ; mais pourquoi restes-tu

ici précisément ? Attends-tu quelque guide,

ou bien as-tu repris tes vieilles habitudes ? »

 

« Frère, à quoi bon, dit-il, monter jusque là-haut,

puisque l’oiseau de Dieu qui veille sur l’entrée

ne me permettrait pas d’aller chercher les peines ?

 

Il me convient d’attendre ici que le ciel tourne

autant autour de moi qu’il le fit dans ma vie,

car le bon repentir s’était trop fait attendre ;

 

à moins de l’obtenir au moyen de prières

qui jaillissent d’un cœur visité par la grâce ;

des autres, peu me chaut, car le Ciel n’en veut pas.

 

Cependant le poète s’avançait jusqu’à nous

et me disait : « Viens donc ! Regarde le soleil

à son méridien ; et de l’autre côté

 

la nuit foule déjà sous ses pieds le Maroc. »

CHANT V

 

Nous nous étions déjà séparés de ces ombres,

et j’allais en dernier sur les pas de mon guide,

lorsque soudain quelqu’un cria derrière moi,

 

en me montrant du doigt : « Tiens ! il me semble bien

que celui d’en bas tue à sa gauche les rais :

on dirait qu’il agit comme un être vivant ! »

 

Je tournai le regard au son de cette voix

et vis qu’avec surprise il me dévisageait

moi seul, toujours moi seul et le rayon brisé.

 

« Pourquoi donc ton esprit s’embourbe-t-il si vite ?

me dit alors mon maître ; et pourquoi t’arrêter ?

Qu’importe ce qu’on peut déblatérer là-bas ?

 

Suis-moi toujours de près et laisse dire aux gens,

ferme comme une tour, qui n’incline jamais

le front, pour fort que soit le souffle de l’archer ;

 

car celui dont l’esprit va d’un objet à l’autre

éloigne constamment la cible de soi-même,

et le dernier souci fait oublier les autres. »

 

Qu’aurais-je pu répondre alors, sinon : « Je viens ! »

Et, le disant, je crus sentir sur mon visage

les couleurs qui parfois méritent le pardon.

 

Cependant sur la côte et pas très loin de nous

montaient certaines gens, le long d’un raccourci,

verset après verset chantant le Miserere[36].

 

Mais, s’étant aperçus que moi, grâce à mon corps,

je ne permettais pas aux rayons de passer,

leur chant devint un oh ! aussi rauque que long ;

 

et deux de ces esprits, faisant les messagers,

coururent jusqu’à nous, afin de demander :

« Expliquez-nous quelle est votre condition ! »

 

Mon maître leur parla : « Vous pouvez retourner

et raconter à ceux qui vous ont envoyés

que celui-ci possède un vrai corps de chair vraie.

 

S’ils se sont arrêtés pour avoir vu son ombre,

comme je pense, alors la réponse suffit :

vous pouvez l’estimer, car il peut être utile. »[37]

 

Une étoile en filant fend moins vite l’azur

au début de la nuit, ou l’éclair un nuage,

au coucher du soleil, quand l’été bat son plein,

 

que je n’ai vu courir ces ombres vers leurs rangs,

et de là revenir vers nous, avec les autres,

comme des cavaliers lancés à toute bride.

 

« Ceux qui viennent vers nous me paraissent nombreux ;

ils voudront te parler, dit alors le poète.

Va donc les écouter, mais toujours en marchant ! »

 

« Âme qui suis ainsi le chemin de la joie,

avec les membres vrais reçus à la naissance,

criaient-ils en venant, attends-nous donc un peu !

 

Regarde si jamais tu vis quelqu’un de nous,

pour ensuite là-bas en porter la nouvelle !

Hélas ! pourquoi vas-tu sans vouloir t’arrêter ?

 

Nous avons tous trouvé la mort par violence

et restâmes pécheurs jusqu’au dernier instant,

où la grâce du Ciel nous vint ouvrir les yeux ;

 

ainsi, nous repentant et pardonnant aux autres,

nous quittâmes la vie et partîmes vers Dieu,

pressés par le désir de voir sa sainte face. »[38]

 

Je répondis : « J’ai beau regarder vos visages,

je n’en connais aucun ; mais si vous désirez

quelque chose de moi, esprits bien fortunés,

 

dites : je vais le faire, au nom de cette paix

qu’il me faut rechercher ainsi, de monde en monde,

en marchant sur les pas d’un guide aussi fameux. »

 

Alors l’un d’eux parla : « Nous avons confiance

quant à ta bonne foi, même sans tes serments,

si, comme tu le veux, tu le puis en effet.

 

Je te demande, moi qui parle avant les autres[39],

si jamais tu reviens pour revoir les contrées

qui vont de la Romagne à celle où règne Charles[40],

 

d’obtenir à Fanon, par ta courtoise instance,

qu’on rappelle mon nom dans toutes les prières,

pour que je puisse ainsi purger mes grandes fautes.

 

C’est de là que je suis ; mais le profond pertuis

par où s’enfuit mon sang, ma première demeure,

est venu me chercher au pays d’Anténor[41],

 

où je pensais pourtant me trouver à l’abri.

Celui d’Este est l’auteur, qui m’avait en horreur,

bien trop loin au-delà de ce que veut le droit.

 

Mais si j’avais pu fuir du côté de Mira,

quand dans Oriane l’on mit la main sur moi,

je serais à cette heure au monde où l’on respire[42].

 

Je courus au marais ; mais les joncs et la vase

m’empêtrèrent si bien, qu’il me fallut tomber

et de mes veines voir jaillir un lac de sang. »

 

Puis, un autre parla : « Si le vœu s’accomplit,

qui t’attire au sommet de la sainte Montagne,