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Parmi ces trois nouvelles, lisez d'abord La Duchesse de Planoise, récit impitoyable du naufrage de deux personnages rongés par les ombres de leurs sombres histoires familiales prêts à sacrifier toute moralité sous les projecteurs du vice et des jeux de pouvoir. Dans un Besançon aux multiples visages, chacun cherche une échappatoire, un prétexte, une excuse à sa condition. Mais le jeu est truqué, et lorsque des destins tragiques se croisent, la détonation de deux mondes en collision devient inévitable. Embarquez pour une virée glaçante dans l'âme humaine avec cette nouvelle incisive qui dépeint sans fard la réalité d'individus pathétiques dont les vies se consument au nom d'une liberté illusoire. Laissez-vous guider ensuite par Catherine, un GPS qui propulse Thibault Lemoine, employé d'une société royannaise douteuse, au beau milieu d'une aventure charentaise totalement rocambolesque. Une odyssée moderne où chaque virage est synonyme d'imprévu et chaque sens interdit d'absurde. Enfin, grimpez à bord du voilier Aurora avec le capitaine Alain qui vous ouvre une fenêtre sur l'univers impitoyable de la navigation, où superstitions et réalités se mêlent en un ballet déchaîné de malheurs aussi invraisemblables qu'implacables. Portée par une plume à la précision chirurgicale et à l'humour noir, cette histoire vous emportera au grès des flots, entre éclats de rire et palpitations angoissées. Tenez bon la barre et le vent, suivez le cap de Félipé Caceres Munoz S. qui vous entraîne, tout au long de ce triptyque littéraire résolument déroutant, vers une réflexion sur la fragilité des certitudes dans une société où le contrôle est souvent une illusion.
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Seitenzahl: 104
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Partie 1: La Duchesse de Planoise
Chapitre [1]
Chapitre [2]
Chapitre [3]
Chapitre [4]
Chapitre [5]
Chapitre [6]
Chapitre [7]
Chapitre [8]
Chapitre [9]
Chapitre [10]
Partie II: Mignardises
Le GPS
Chapitre [1]
Chapitre [2]
Chapitre [3]
Chapitre [4]
Chapitre [5]
Chapitre [6]
Chapitre [7]
Chapitre [8]
Chapitre [9]
Le Ventilateur
Celui qui désespère des évènements est un lâche, mais celui qui espère en la condition humaine est un fou.
Albert CAMUS
La dure vérité, c'est que le quartier de Besançon où elle avait grandi ne ressemblait plus vraiment à ce qu'elle en avait connu. Planoise dans les années soixante-dix ça s'appelait la ZUP, Planoise un demi-siècle plus tard ça s’appelait Planoise, point. Ça sonnait comme une signature, un style, une marque. Vivre à Planoise, ce curieux quartier où Diane avait passé son enfance, c'était cohabiter avec des camés, des proxénètes, de malheureuses filles rebaptisées putes, et, toutes sortes d'emmerdes aussi. Une fois votre identité et votre profession vérifiées, une petite enquête sur vos proches réalisée, toute suspicion de connexion avec la flicaille écartée, vous pouviez accéder à de nombreux points de vente. Acheter un SIG-Sauer pour quatre cents balles, une kalachnikov pour sept cent, choper de faux papiers, passeport, permis, diplômes, attestations en tout genre (assurances, travail, CAF, Pôle Emploi)… Tout ce que vous vouliez. Et même, avec un peu de patience et beaucoup de connerie, décrocher un petit boulot : conditionneur, livreur, commercial. Au black bien sûr, mais avec des avantages en nature, des échantillons gratuits ; et surtout, la joie de travailler en équipe ! Tout devenait possible, accessible, tout ça dans une belle ambiance familiale. Et comme dans toute famille éclate parfois la dispute, il pouvait aussi vous arriver de finir à poil sous des feuilles mortes dans un bois avec une balle dans la tête et le corps carbonisé. Un style plutôt efficace, du benchmarking comme on dit, directement inspiré des modèles développés dans les grandes écoles des quartiers nord de Marseille, Lyon, Saint Denis. L'école égalitaire pour tous ? Et comment ! Dès treize ans et sans condition d'appartenance sociale, possibilité d'évoluer rapidement et d'exécuter quelqu'un comme les grands. The world is yours.
*
Comme tout le monde, Diane avait eu des parents et comme tout le monde, ses parents n'avaient pas voulu être comme tout le monde. Ils avaient préféré se sentir au-dessus des autres, être vus aussi importants qu'ils se voyaient eux-mêmes. Le père était pharmacien, la mère enseignante. Maman avait un peu étudié, pas trop, jusqu'au DEUG, mais à l'époque ça lui avait suffi pour décrocher un poste dans l'école primaire de ce quartier pauvre où beaucoup d'enseignants ne voulaient pas aller. Ça ne l'empêcha pas de se prendre pour quelqu'un, une sorte de précieuse ridicule des temps modernes. Papa installa son officine dans le même secteur, Madame l'avait décidé. Un mal pour un bien car il s'y trouvait pléthore de logements sociaux, donc beaucoup de personnes âgées et handicapées. C'était bon pour les affaires. Cerise sur le cake, l'immobilier n'y était pas cher, car les programmes de "mixité sociale", expression n'ayant jamais quitté la bouche des élus locaux depuis, badigeonnaient copieusement les tartines de subventions régionales que les promoteurs immobiliers touchaient. Très vite, un peu comme l'affaire des borgnes au pays des aveugles, la famille Delias, propriétaire pour trois fois rien au pays des locataires, se peignit une image d'elle-même, dix-huit carats sur fond bleu roi, niaisement discordante avec les couleurs locales. Et c'est ainsi que la petite Diane, petite et bien portante, reçut son éducation, dans cette atmosphère saturée de vanité sociale et d'autosatisfaction suprême.
Le grand-père, côté paternel, avait planté des patates, et la famille qu'il laissait derrière lui ne risquait pas de récolter des fraises. Immigré économique, il n'avait pas longtemps hésité quand on lui proposa de travailler dans une usine de fabrication d'armes destinées à l’Allemagne nazie du milieu du XXe siècle. L'activité de l'usine, la destination de la production, il connaissait tout ça parfaitement. Et il n'en était pas vraiment fier. Mais à l'époque, l'envie de fonder sa famille l'emporta sur celle de réfléchir à l'éthique. Rien de bon ne pousserait jamais sous la semelle trouée de ses pompes puantes. Mais ça, à l'époque, il ne pouvait que l'ignorer.
S'il en est un en revanche qui n'allait pas tarder à s'en rendre compte, c'était Louis. Ah Louis, cinquante-deux ans, alcoolique de la police nationale, en arrêt maladie depuis plusieurs mois, grand-père depuis quinze jours d'une petite fille prématurée. Hélas pour lui, son histoire familiale ne valait guère mieux que celle précédemment décrite. C'est fou ce que les odeurs de merde peuvent attirer comme quantité de mouches ! Louis traînait des casseroles lui aussi. Il n'était peut-être pas responsable des turpitudes de ses ancêtres, mais le fait est qu'il avait également de la noirceur génétique dans le sang.
Quoi qu’il en soit, il ne nous échappera pas une grande évidence dans l'histoire qui va suivre : c'est que la Providence, ce bailleur de fonds aux racines parfois sombres – et qui ne laisse jamais passer aucune créance en matière d'éthique successorale – savait très bien qu'en envoyant ces deux-là au même endroit, ce soir du vingt-trois décembre, ils n'avaient aucune chance de se louper.
***
La petite allait bien. Les résultats étaient bons et enfin elle prenait du poids. Sa fille aussi allait bien. Alors, Louis décida de sortir un peu. Toute cette pression, il fallait bien l'évacuer d'une manière ou d'une autre.
La première proposition qu'il trouva sur Internet fit l'affaire. C'était une soirée Blind-test, une découverte, car il n'avait encore jamais participé à une sortie de ce type. Et surtout, tout était complet pour les autres sorties. Normal, Noël approchait. Quatre mecs, quatre filles, pour l'équilibre, plutôt pas mal. La première de ces dames n'avait pas mis sa photo, quant à son pseudo, Duchesse, elle aurait mieux fait de ne rien mettre non plus. Une seconde avait l'air dépressive. La troisième en revanche lui parut plutôt pas mal, mais avec une réserve : son âge… À voir. La quatrième portait des lunettes de soleil, un bonnet et une écharpe ; pas facile de se rendre compte. Quant aux mecs, la tronche qu'ils pouvaient avoir, Louis s'en foutait un peu ; dans ce genre de sortie, même si le site affiche que ce n'est pas un site de rencontre, l'idée de faire rentrer une femme dans son lit est quoi qu'on en dise plus développée que celle de se faire de nouveaux potes. Et à cinquante-deux ans, les copains, c'est moins important qu'à vingt. Du moins c'est ce qu'il pensait.
Vint la soirée. C'était un troquet associatif : Le Café Cabord. Louis pensa d’abord à un jeu de mots, "Le Café c'est à bord", mais la suite révélera qu'il se trompait lourdement. Ne connaissant encore personne, il décida d'attendre prudemment devant l'entrée. En Franche-Comté, quand tu ne connais personne et que tu découvres une nouvelle adresse, il vaut mieux être prudent. Pas avec les inconnus, mais toi en tant qu'inconnu. La nuance est subtile mais nous allons découvrir qu'elle n'en demeure pas moins importante. Une première femme apparut, grande, bien coiffée. Louis la salua sans obtenir de réponse. Un classique, une coutume en quelque sorte. Super ambiance, pensa-t-il en se mordant la lèvre inférieure. Il alla pour chercher une bonne raison de rester lorsque la femme marqua une pause devant l'entrée. Louis osa une seconde tentative, elle était peut-être du groupe après tout.
– Bonsoir, insista-t-il d'un air inquiet.
La femme se retourna et le scruta de la tête aux pieds. Il portait des chaussures de ville, alors elle lui répondit. L'ambiance montait. Pour un peu, ils se trouvaient sympathiques.
Lorsque le groupe fut au complet, Louis comprit que la participante sans photo, "Duchesse", c'était-elle : celle à qui il avait parlé dehors. Elle s'appelait Diane, elle avait cinquante-trois ans, et elle en paraissait moins.
La soirée passa. Diane et Louis s'échangèrent de nombreux regards, ils se plaisaient, ça crevait les yeux. Au deuxième verre d'eau pétillante, elle lui enseigna que les cabords consistaient « en de petites maisons de berger qui… » Louis s'en carrait l'oignon et trouva plus intéressant de lui faire partager l'astucieux jeu de mots qu'il avait cru détecter dans le nom de l'enseigne. Mais rapidement, il nota que Diane ne pigea pas à quel point son explication était plus drôle que la sienne vraiment pompeuse. Peut-être n'avait-elle pas le niveau requis pour comprendre ? s'était-il dit. Mais qu'est-ce qu'elle était jolie ! Lui aussi, il lui plaisait, et elle ne faisait rien pour le lui cacher, à sourire comme ça. Pour autant elle souriait à tout le monde, même à la table basse ; et toujours de la même façon. Mais ça, Louis ne le vit pas. D'ailleurs, n'étant pas à l'eau pétillante, il loupa plein d'autres choses.
Dès le lendemain, il décida de retourner sur le site pour lui envoyer un message, elle méritait d'être remerciée, il l'inviterait au cinéma. Diane Delias lui répondit dans le quart d'heure qui suivit.
Comme à l'accoutumée, l'idylle de Louis démarra sur les chapeaux de roues.
***
La nuit tombait sur le vingt-cinq décembre et son atmosphère festive. Deux jours (incroyablement longs) avaient passé depuis la première rencontre avec la belle Diane Delias. Par un froid à faire frissonner les arbres, Louis poireautait sous une ribambelle d'affiches de cinéma qui lui tartinaient la tête de lumières crues ; une tête à avoir décroché le gros lot, comme on dit. Les pognes enfouies dans les poches de son jean, il cherchait un peu de chaleur contre ses génitoires brûlantes.
Diane surgit enfin sur le parking. Quelques voitures éparpillées autour d'elle témoignaient la présence de familles venues faire taire leurs mômes devant un dessin animé. Emmitouflée dans son écharpe, elle lui balança un sourire et remarqua une réponse sur ses lèvres. Ils se rejoignirent en quelques pas, oubliant le froid qui les entourait, puis se saluèrent et échangèrent quelques mots, non sans les retenues d'usage, rien que des banalités : la journée, le trajet, si ça s'était bien passé, tout ça.
Après de brèves délibérations, d'où furent exclus thrillers et comédies sentimentales, ils optèrent pour une comédie dramatique dont ni l'un ni l'autre n'avait entendu parler. Ni lu les critiques. Devant l'entrée, leurs regards se croisèrent et, un bref instant, le temps s'arrêta. Louis aurait aimé saisir la main de Diane et l'entraîner comme ça à l'intérieur du cinéma où il lui aurait ouvert chaque porte l'une après l'autre. Mais il n'en fit rien. Après ce qu'il avait déjà entrepris, en rajouter des caisses lui paraissait inapproprié. Il estima même que c'était à elle, désormais, d'envoyer un signal positif. Elle lui roulerait une galoche là maintenant qu'elle marquerait des points la salo… la coquine ! Mais rien de cela ne se produisit non plus.
Ils traversèrent le hall et passèrent devant maintes affiches de films pour gosses, indécemment colorées. Des cris d'enfants sortant d'une séance vinrent confirmer l'enlisement de l'instant. Aussi, filèrent-ils droit dans la salle indiquée sur leur ticket ; une salle noire comme une cave.
Le film allait commençait. Ils s'y assirent seuls, absolument seuls. Puis, ils passèrent toute la durée du navet de l'année à s'émerveiller de la formidable opportunité qui s'offrait à eux de pouvoir parler tout autant et tout aussi fort qu'ils le désiraient sans déranger personne.
En quittant son siège, Diane fit part à Louis qu'elle avait trouvé le moment très agréable et que le coup de la salle miraculeusement déserte l'avait beaucoup charmée. Évidemment Louis aurait pu mettre l'incroyable circonstance sur le compte de la date car, franchement, à part des marmousets, qui peut bien avoir envie d'aller au cinéma un vingt cinq décembre ? Bref ça ne loupa pas, Louis fit d'une vessie une lanterne et de sa lanterne un puits de connerie sans fond où ce qu'il avait envie de voir, et de croire, devint une réalité. Sa réalité. En l'occurrence, un nouveau signe du destin.
Et le genre qui ne trompe pas cette fois !
Ça crevait l'œil.
***
Il y a des jours où rien ne se passe comme prévu. D'ailleurs, parfois, ces journées se transforment en semaines, en mois. Ça peut durer des années. Et s'il est vrai que le malheur, ce leurre, vous éloigne parfois du pire, le bonheur, hélas, quelquefois vous y ramène.