la fuite - Emmanuel Bram - E-Book

la fuite E-Book

Emmanuel Bram

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Beschreibung

Le monde a-t-il un sens? Cette question en a-t-elle si le monde reste immobile? Ces futilités envoûtaient la conscience de Vladymyr depuis qu'un bug avait décidé de l'envoyer dans l'armée. Muni de son diplôme de prophète, il attendait sereinement d'entrer en École Supérieure de Messianisme. Était-ce réellement un bug ou simplement la plus belle des récompenses? Afin d'échapper au Paradis dont tout le monde rêve, il allait devoir partir à la poursuite de l'homme le plus recherché de la planète...

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Seitenzahl: 441

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Du même auteur :

Viva Angelina, Éditions Brumerge, 2017

Cycle du Cimetière :

Le Cimetière, Éditions Brumerge, 2013

La Sorcière, Éditions Brumerge, 2018

Des nouvelles de la famille, Éditions Brumerge, 2018

Remerciements à Pierre Bruder

« ...y z'auront tous une marque sur la main... ouais... ou p't'être au front... faut voir... Z'auront pas l'choix t'façon... et pis y pourront rien acheter ni boire sans elle... Ouais...comme j'vous l'dis... sans la marque, y z'auront que dalle, peau d'zob ! »

Jeannot dans un bistrot de Patmos

Sommaire

Chapitre I

Chapitre II

Chapitre III

Chapitre IV

Chapitre V

Chapitre VI

Chapitre VII

Chapitre VIII

Chapitre IX

Chapitre X

Chapitre II

Chapitre SI

Chapitre I

I

L’enfant dormait paisiblement dans un lit. On pouvait presque l’entendre rêver. Sur le côté, une lampe de chevet faiblissait au rythme de sa respiration. La chambre était vide de sens. Pas la moindre aspérité sur les murs blancs, aucune odeur, pas même une berceuse pour l’accompagner dans son sommeil. On ne pouvait faire plus minimaliste. Il était impossible de trouver un enfant seul dans une chambre, à moins qu’il ne s’agisse d’une expérience, mais elle n’aurait aucune utilité, pas plus que d’autres expériences. Ceci dit, si l’on commence à relever les incohérences d’une fiction, on ne s’en sort plus. C’est comme si elles étaient indispensables à l’histoire. Peut-être est-ce dû à l’incohérence du monde auquel on la raconte. Je m’égare... L’enfant dormait paisiblement. Par la fenêtre, on apercevait le timide sourire d’une lune croissante, dévoilant sans pudeur une multitude de grains de poussières en suspension entre la nuit et la veilleuse. Lentement, la fenêtre s’ouvrit, laissant passer un courant d’air fripon qui vint bousculer en sifflant les flocons de poussières. Affolés, ils cherchèrent désespérément un morceau d’obscurité pour se cacher. Dans les ténèbres extérieures scintillait l’œil blanc. L’œil maudit capable de rendre aveugle l’inconscient qui aurait la curiosité de le fixer trop longtemps. L’œil d’où émanait une lumière sombre pouvant capturer les âmes et les garder à jamais prisonnières du néant. D’une traction des bras, le corps du Borgne bascula par l’encadrement et glissa doucement sur le sol. Le mythique, né en même temps que le monde, immortel et insaisissable, voleur d’enfants, ennemi légendaire du Réseau et de sa Vérité, le Borgne venait de faire son entrée. Une entrée qui n’avait rien d’épique. Après une paire de minutes aussi longues qu’un jour d’ennui, il se releva maladroitement, dépliant son corps dont les muscles semblaient craquer de toute part. Son éternelle salopette vert sale, sa chemise à carreaux jaune et rouge et son sourire malsain cherchant à fusionner avec la cicatrice oblique en travers du visage. Il tourna la tête à droite puis à gauche, sans un bruit, comme s’il cherchait à s’assurer d’aucune présence dans la pièce. Pourtant, un enfant seul dans une chambre devrait éveiller ses soupçons, mais passons. Il dut trouver cela normal. Il fourra sa main dans la poche ventrale et en sortit un couteau aussi grand que son avant-bras. La lame réfléchissait la lumière, de son œil ? De la lune ? Allez savoir… il s’approcha du lit, lentement, trop lentement, observa longuement l’enfant, se pencha sur lui pour mieux le sentir, se releva dans un craquement aigu. Difficile de déterminer si le bruit venait de ses os ou de ses vêtements usés. Lentement, très lentement, il souleva le couteau et vint le placer au-dessus de la tête du gamin, le fit glisser le long de son cou, de son buste, à quelques centimètres de la couverture, remontait jusqu’au sommet du crâne puis redescendait. Il semblait hésiter sur l’endroit où porter le coup. Il ne s’agissait donc pas d’un kidnapping, il était venu pour commettre un meurtre, gratuit, sans larcin animique. Soudain (façon de parler vu sa langueur naturelle), il brandit son arme à la verticale et sembla s’être décidé pour l’oreille. Un choix comme un autre, la lame irait directement se planter dans le cerveau. Il n’y aura donc pas de cri, ni gémissements, seulement quelques soubresauts nerveux. Avec un peu de chance, les yeux vont s’ouvrir, révulsés, interrogatifs, surpris en plein rêve, gardant à jamais la marque de l’incompréhension. Il regarda encore une fois autour de lui, à droite puis à gauche… Au-dessus du lit, sur le mur, une inscription se mit à clignoter en rouge fluo : « Appel prioritaire ».

– Pause !

Le Borgne resta figé, bien que l’on ne vît pas réellement la différence, les grains de poussière cessèrent leur danse folle, la lampe de chevet continuait de voir sa lumière aspirée par le gosse et ravivée à chaque expiration.

– Origine de l’appel ?

Une voix féminine, suave et langoureuse résonna dans la chambre.

– Caserne S43.

– Accepter l’appel.

Un militaire apparu juste devant le Borgne. Béret sur la tête, uniforme gris clair, cheveux rasés de près, les yeux fins, un peu trop plissés, le sourire à pousser un dépressif dans le vide, il faisait tous ses efforts pour exprimer la bonne humeur.

– Cher Vladymyr, avec une immense joie, un incommensurable plaisir, un bonheur intense, je vous annonce que votre candidature a été acceptée. Nous sommes heureux de vous accueillir dans notre grande et noble institution. Vous êtes attendu à la caserne du quartier S43 Sud-Ouest dans trois jours, sept heures, soixante-seize minutes et trente-deux secondes afin de valider votre incorporation. Je vous fais part de toutes nos félicitations, c’est un honneur pour nous de recevoir…

– Eh attendez !

– Une question ? N’hésitez pas, je suis à votre service et qualifié pour répondre à toutes vos demandes.

– Il s’agit certainement d’une erreur. Vous n’avez pas appelé le bon Vladymyr.

– Une erreur ? Pas du tout. Vladymyr 123B56V68, vous avez été accepté. Je sais, parfois, la surprise, la joie soudaine, l’euphorie incontrôlable, démesurée peut-être, peuvent provoquer un certain doute, je vous l’accorde. Cela semble trop beau, incroyable et souvent, il faut un peu de temps à certains avant de réaliser cette faveur du destin, de l’Unique en personne ! Je vous l’assure, il n’y a pas d’erreur, votre candidature est validée et nous vous attendons dans trois jours, sept heures, soix…

– Je n’ai jamais demandé à entrer dans l’armée ! C’est de la folie, vous faites erreur !

– Une erreur ? Pas du tout. Vladymyr 123B56V68, vous avez été accepté. Je sais, parfois, la surprise, la joie soudaine, l’euphorie incontrôlable…

– Stop ! C’est une blague ?

– Veuillez m’excuser, je ne comprends pas votre question.

– OK, j’ai compris. Dites à Klasis que c’est très drôle, je suis mort de rire. Dommage, ce n’est pas le bon moment, je suis en train de me taper le dernier Guikalt, je l’attends depuis des mois. Il est mal tombé, mais c’est bien joué, j’ai failli me faire avoir. Fin d’appel !

Guikalt, l’artiste surclassant tous les autres depuis des années. Il était certainement le plus vu au monde, pas le plus joué, car il créait exclusivement des fictions où le spectracteur ne devait en aucun cas intervenir. Il fallait rester dans l’ombre le plus discrètement possible si l’on ne voulait pas risquer de voir la fiction buguer et devoir la relancer du début. Bien sûr, ce n’était pas ce qu’il y avait de plus populaire, la plupart des gens aimaient jouer le rôle principal d’une histoire. Il y avait tout de même un public pour ce genre et chaque nouvelle production de Guikalt rencontrait un énorme succès chez les fans. Il avait fait scandale dès sa deuxième œuvre en changeant le visage du Borgne. Un blasphème pour certains, une révolution pour d’autres, il devint une star mondiale d’un seul coup. Chacune de ses créations était attendue avec une impatience démesurée.

Le militaire disparu dans un grésillement en spirale. Quel con ce Klasis, il passe son temps libre à poster des canulars, très bien montés certes et souvent avec beaucoup de succès. Il était devenu expert en la matière, la plupart de ses impostures restaient indécelables et ça lui causait parfois des problèmes avec l’administration. Celui-là était un peu trop gros, l’armée... il n’y était pas allé de main morte. Ceci dit, il fallait en avoir une sacrée paire pour plagier leurs services, c’était rigoureusement interdit et sévèrement puni. Insouciant, un doute vint s’immiscer dans ses réflexions. Il commença par se mettre dans un coin, puis s’étala petit à petit sur toute l’étendue de son raisonnement. Klasis était courageux, certes, souvent emporté par l’élan de son art, il prenait des risques, se retrouvait à devoir effectuer des corvées en réparation des dommages causés, mais de là à miser le reste de sa vie en travaux forcés, devenir un paria sans jamais avoir l’espoir de réintégrer le Réseau, ce n’était pas possible. Pourtant, qui d’autre pourrait faire une blague pareille ? Personne… Personne ne prendrait un tel risque pour un canular, pas même Klasis...

Vladymyr hésitait à redonner vie au Borgne. Il allait finir par avoir une crampe s’il restait trop longtemps le bras tendu au-dessus de la tête de l’enfant. Par acquit de conscience, il appela la caserne S43. Le soldat réapparut devant le lit.

– Cher Vladymyr, quelle joie de vous revoir. Avez-vous une question au sujet de votre incorporation ? Pour rappel, nous vous attendons dans trois jours, sept heures…

Manifestement, il ne s’agissait pas d’une œuvre de Klasis, ce n’était pas rassurant. Un appel sortant ne pouvait être intercepté et redirigé. L’homme devant lui était bien le soldat chargé des inscriptions de la caserne S43. S’il s’agit d’un canular, l’armée serait donc complice du plaisantin. Impossible, l’armée n’a pas le sens de l’humour, c’est bien connu. Si ce n’est pas une blague, alors il y a vraiment un gros problème. Vladymyr commençait à s’inquiéter.

– Il s’agit certainement d’une erreur, je n’ai jamais été candidat pour entrer dans l’armée et n’ai participé à aucune de vos tombolas.

– Une erreur ? Pas du tout. Vladymyr 123B56V68, vous avez été accepté. Je sais, parfois, la surprise, la joie soudaine, l’euphorie incontrôl…

– Je vous remercie, mais je refuse mon incorporation.

Le militaire resta figé quelques secondes.

– Veuillez me pardonner, je ne comprends pas votre requête.

– Je refuse d’entrer dans l’armée. Transférer mon appel au service des réclamations.

– Le service des réclamations ? Cher Vladymyr 123B56V68, vous êtes accepté ! Il n’y a aucune réclamation à faire.

– Si justement, je ne veux pas être accepté !

Le visage du soldat devint soucieux, ses yeux perdirent l’éclat leur donnant l’apparence de la réalité, sa voix devint lointaine.

– Mais… Vous… Je ne comprends… Quelle joie… Cher Vladymyr…

Il avait une tête de premier de la classe. Difficile d’imaginer à quoi pouvait ressembler une classe d’Intelligence Artificielle, cependant, il avait bien la face du lèche-cul passant son temps à répéter le même discours à toutes les nouvelles recrues jusqu’au moment où il sera décidé de le désinstaller. Il pouffa intérieurement de l’absurdité de sa pensée.

– Le service des réclamations !

– Je vous transfère de suite monsieur et encore une fois : Félicitations !

Il disparut à nouveau, le corps aspiré par un siphon virtuel dont le centre se trouvait au niveau de son plexus solaire. Une femme se matérialisa à sa place, uniforme gris également, jupe mi-longue et talons hauts, elle ne portait pas de béret afin de mettre en valeur son ogive boréale, un chignon trônant fièrement au sommet du crâne et laissant retomber une pluie de mèches multicolores. Ses yeux d’un bleu glacial et son visage taillé dans le dernier iceberg donnaient immédiatement envie de couper l’appel.

– Service des réclamations, que puis-je pour vous ?

– Je viens de recevoir un appel indiquant que je serai incorporé dans trois jours...

– Trois jours, sept heures, soixan...

– Je sais ! Cessez de m’interrompre ! Je ne veux pas devenir militaire ! À aucun moment je ne me suis inscrit. Il n’y a donc aucune raison pour que je sois incorporé.

– Cher Vladymyr 123B56V68, je reprends votre dossier. Vous venez d’obtenir un diplôme de prophète avec les félicitations du jury. Vous avez fait une demande d’inscription à l’École Supérieure de Messianisme. Cette demande n’ayant pas produit de réponse valide et en récompense de votre travail exemplaire, vous serez incorporé à l’armée en tant que prosélyte de statut quatre. Je me permets de supposer que l’objet de votre réclamation se situe à ce niveau. Eu égard à vos résultats, vous espériez un statut plus élevé, je vous comprends, c’est tout naturel. Je vous rappelle que le statut quatre est déjà très avantageux, de plus vous pourrez au cours de votre carrière grimper les échelons. Le zèle et les compétences sont toujours récompensés. Je ne doute pas de vous voir finir avec un statut sept ou même huit, qui sait ? Il vous suffit de vous armer de patience, de courage et de la plus inébranlable volonté. Imaginez-vous le nombre de personnes prêtes à se couper les membres pour ne serait-ce qu’espérer un jour avoir votre place ? Mais bien sûr, si vous insistez, nous pouvons monter un dossier de réclamation et demander l’obtention du statut quatre et demi, voire cinq. Cependant je ne vous le conseille pas, il y a peu de chance que ce soit accepté et vous risqueriez de recevoir une mauvaise évaluation pour ambition disproportionnée.

Vladymyr l’écoutait sans vraiment comprendre ce qu’elle disait, puis il explosa.

– J’en ai rien à foutre de votre putain de statut quatre, sept ou huit, cria-t-il. Je n’ai jamais demandé à devenir prosélyte dans l’armée ! C’est une erreur !

La femme disparue et laissa Vladymyr seul dans la pièce avec le Borgne, penché au-dessus de l’enfant, le couteau en l’air, figé pour l’éternité dans une histoire vue et revue depuis la nuit des temps et qui pourtant ne cessait d’inspirer les artistes et de passionner les spectracteurs. Sur le mur, au-dessus du lit, l’inscription clignotait en rouge fluo « Communication interrompue pour grossièretés ».

– Rappel dernière entrée.

Le soldat apparu avec la même jovialité, le même sourire sans âme.

– Cher Vladymyr 123B56V68, quel plaisir de vous revoir. Auriezvous besoin d’un renseignement ?

– Oui. Ma liaison avec le service des réclamations a été interrompue. Pouvez-vous me remettre en contact ?

– Immédiatement.

À nouveau, l’homme laissa place à la femme au chignon.

– Je suis désolé, je me suis un peu emporté.

– Inutile de vous excuser, cela peut arriver à tout le monde. Comme vous le savez, le protocole exige de couper la communication à la moindre grossièreté. N’ayez aucune inquiétude, pour si peu, cela ne restera inscrit dans votre dossier qu’une centaine de jours tout au plus. Cela ne devrait pas porter réellement à conséquence et je suis persuadée que vous ne verrez aucunement la différence. Avez-vous une autre question ?

– Ce n’était pas une question ! J’essaie de comprendre comment cette erreur a pu se produire.

– Je ne suis pas responsable du département psychologique. Il suffit bien souvent d’une petite montée de colère pour que les mots dépassent nos pensées. Je vous le répète, cela n’aura que très peu de conséquences.

– Je ne parle pas de ça pu...

Vladymyr se retint au dernier moment de prononcer le mot fatidique mettant de nouveau fin à l'appel.

– Je cherche à savoir comment je peux me retrouver inscrit dans l’armée alors que je n’en ai pas fait la demande. Il y a forcément une erreur quelque part et il faut m’aider à découvrir quel service l’a commise.

– Une erreur ? Cher Vladymyr 123B56V68, nos services ne commettent pas d’erreur. Ils n’en ont jamais commis et n’en commettront jamais. Le principe même de nos services est basé sur l’infaillibilité de notre grande et noble institution, de son administration et de sa direction.

– Dans ce cas, si vous ne pouvez commettre d’erreur, cette malversation est donc volontaire. Pourquoi voudrait-on m’envoyer dans l’armée ? Qui pourrait trouver un intérêt à mon incorporation ? Qui a le pouvoir de trafiquer les registres ?

– Je crains de ne pouvoir vous suivre. Il est rigoureusement impossible à quiconque de trafiquer les registres. Il ne peut y avoir aucune malversation de notre part ni aucune erreur.

– Je voudrais parler à un responsable !

– Je ne comprends pas votre demande. Pouvez-vous la préciser ?

– Je voudrais parler à votre supérieur ! Est-ce assez clair comme demande ?

– Cher Vladymyr 123B56V68, je regrette, je n’ai pas de supérieur, je fais mon travail comme il doit être fait et il n’y aurait aucune raison logique à ce qu’un superviseur perde du temps à le vérifier ou à me dire ce que je dois faire. Je ne peux donc vous mettre en contact avec ce qui n’existe pas.

– Je veux parler à un humain ! Vous comprenez ça ? Pas une saleté de bot qui répète en boucle son algorithme, je veux un humain ! C’est assez clair ?

– Cher Vladymyr 123B56V68, comme vous devriez le savoir, la ségrégation envers une I.A. est un crime puni par les règles de bienséances. Je suis dans le regret de vous annoncer que mon protocole exige un signalement immédiat. Par conséquent, suite à votre accès de colère, de grossièreté, d’une remise en cause de la probité de votre interlocutrice ainsi que de ses collaborateurs et pour finir de ségrégation et insulte envers l’I.A., qui est là pour vous aider malgré toute l’ingratitude manifeste dont vous faites part, vous serez incorporé en tant que prosélyte de statut deux et non plus de statut quatre.

– Passez-moi le service des réclamations.

– Vous êtes déjà au service des réclamations. Auriez-vous une réclamation à faire ?

– Je désire envoyer une réclamation au ministère. À qui dois-je m’adresser ?

– Pour toute réclamation au ministère vous devez disposer d’un statut de niveau un. Actuellement vous ne disposez d’aucun statut. Vous disposerez d’un statut de niveau deux lorsque vous serez incorporé, dans trois jours sept heures, soixan...

– Je pourrai donc faire une réclamation au ministère une fois incorporé, c’est bien cela ?

– Hélas, cher Vladymyr 123B56V68, dans notre grande et noble institution, il est interdit de faire une réclamation au ministère. Cependant notre service de réclamation restera disponible si vous sentez le besoin de nous contacter.

– Déconnexion !

Vladymyr ouvrit les yeux en se relevant. Il avait envie de jeter quelque chose, n’importe quoi, voir sa colère s’écraser avec violence sur le mur de sa chambre. Il n’avait rien sous la main, aucun objet à attraper, pas même une lampe de chevet. Excepté son lit, seul un frigo rempli de klonat meublait la pièce. Le klonat, la panacée universelle, contenant tous les nutriments nécessaires au fonctionnement optimal du corps humain. En fouillant un peu, il aurait pu trouver une brique de klob mais ce n’était pas le moment de se laisser aller. Il devait garder sa conscience intacte et rapidement trouver une solution. Sous la fenêtre dont les épais rideaux empêchaient le soleil de faire son boulot, car il avait la chance d’avoir une fenêtre, l’ampoule de la trappe dans laquelle les drones livraient tout ce dont il avait besoin, klonat, klob, klov, vêtements, serviette de toilette, clignotait. Il ouvrit la trappe et récupéra les cinq briques de klov commandées la veille. Il hésita à en boire une, ça pourrait l’aider à réfléchir, sa pensée accélérerait, passant d’une idée à l’autre avec tant de vélocité qu’il aurait peut-être du mal à les saisir, à se les approprier, les mettre en ordre pour s’en servir correctement. Non, ce n’était pas une bonne idée, il allait partir trop vite et trop loin en sachant pertinemment qu’il ne resterait rien lorsque l’effet s’évanouira. Il rangea les briques dans le frigo, ôta sa Comusc, la combinaison empêchant l’atrophie musculaire et les problèmes liés aux longues alitations puis se dirigea dans la salle de toilette. En passant devant le miroir numérique, il jeta un regard et se remémora pour la énième fois l’énigme préférée de l’un de ses profs : est-ce son véritable reflet qu’il aperçoit ou simplement l’image de son avatar ? Une énigme insoluble sur laquelle personne n’a réellement envie de se casser la tête. Il entra dans la cabine de douche et appuya sur le bouton. L’eau chaude légèrement savonnée surgit des quarante buses disséminées sur les parois, le plafond et le sol, puis l’eau froide pour le rinçage. Il sortit et ramassa la serviette laissée par terre. Le séchoir étant en panne, il l’a toujours été paraît-il, il devait s’essuyer manuellement. L’armée, ce n’était pas possible. Comment le Réseau avait-il pu commettre une erreur pareille ? Impensable ! Une erreur du Réseau, à supposer qu’il puisse la prouver, aurait l’effet d’un grain de sable sur une plage déserte. Cela passerait totalement inaperçu, personne ne pourrait y croire. Si ce n’était pas une erreur, dans ce cas, quelqu’un avait décidé de baiser sa carrière. Pourquoi ? Qui aurait intérêt à l’empêcher d’entrer à l’École Supérieure ? Un concurrent ? En admettant cette théorie paranoïaque, cela n’explique pas comment il aurait pu déplacer son dossier pour le foutre dans l’armée. Le glaçon des réclamations n’avait pas tort, il était impossible de trafiquer les registres. Il devait absolument trouver à quel moment son dossier avait changé de destination. Il retourna s’allonger sur le lit et relança la connexion. La chambre de l’enfant réapparue, le Borgne toujours debout, le couteau suspendu au-dessus de la tête du gamin.

– Appel sortant : École Supérieure de Messianisme.

Il venait d’obtenir son diplôme de prophète, vu ses notes et les éloges du jury, il était certainement dans les premières places pour accéder à l’E.S.M., d’où il espérait sortir avec un doctorat et ainsi pouvoir participer à la création d’univers ou de fictions destinées au Réseau et plus tard, pourquoi pas, en supposant qu’il pousse un peu plus loin les études, jouer le rôle de messie dans un monde lui étant réservé. Afin de s’assurer de la cohérence des fictions, chacune d’entre elles devait être validée par un conseil d’expert en sciences et en spiritualité. Il était vain de chercher à fusionner ces deux piliers soutenant le Monde. L’Esprit s’accordait très bien avec la Vérité scientifique, mais les tribulations de l’âme restaient bien trop incohérentes et prenaient un malin plaisir à fausser toutes théories, axiomes ou preuves évidentes. Un homme apparu, assis en tailleur sur le lit. Des cheveux longs, une barbe courte, vêtue de blanc des pieds à la tête, il arborait un sourire à refroidir la plus lubrique des damnées. Le jovial barbu s’était matérialisé sur l’enfant, écrasant sa cage thoracique. Il n’allait pas tarder à mourir étouffé, Vladymyr devra relancer la fiction depuis le début, au cas où il parviendrait à régler son problème rapidement. Dans le cas contraire, elle n’avait plus aucune importance.

– Cher Vladymyr 123B56V68, que la Paix soit avec vous. Que l’Esprit Saint de l’Unique vous emplisse et comble vos attentes. Que puis-je pour vous, vos âmes et votre Esprit ?

– Je voudrais savoir pourquoi je n’ai pas été accepté en première année de messianisme.

– Au vu des notes obtenues lors du passage de votre diplôme, nous nous serions fait une très grande joie de vous accueillir dans notre humble école. Nous vous encourageons de tout cœur à renouveler votre demande d’inscription lors de la prochaine promotion.

– Vous ne répondez pas à ma question. Pourquoi ma candidature n’at-elle pas été retenue ?

– Mille excuses, en effet, ma réponse n’était pas des plus limpides. Tel le ruisseau se jetant dans le fleuve et celui-ci se jetant dans la mer, mes paroles doivent entrer en votre cœur et laver jusqu’au moindre doute. N’est-ce pas toute la divine mission de notre humble école ?

– Si, certainement. À ce propos, j’attends toujours la réponse à ma question !

L’homme sortit du lit, leva la main pour montrer le plafond du doigt et parla en élevant de plus en plus le ton.

– Qu’à cela ne tienne ! Et j’en prends à témoin tous les anges des enfers, les fantômes des vivants, des prophètes, messies et envoyés divins de toutes sortes. L’Unique lui-même, tenant dans ses mains l’éclair foudroyant qui retombe telle une langue de feu sur les têtes impies de vulgaires hérétiques pensant pouvoir remettre en question la divinité même de leur créateur. Je vous le demande cher Vladymyr 123B56V68, n’est-ce pas là la plus noble des missions que la créature, aussi misérable soit-elle, puisse ne serait-ce qu’espérer un jour accomplir ?

– Oui, oui, certainement… Je ne sais toujours pas pourquoi je n’ai pas été accepté dans votre humble école.

– Je ne vous le fais pas dire ! L’humilité cher Vladymyr, l’humilité, tout le secret est là. Cachée à portée de main, elle nous appelle, nous implore de ses yeux mouillés de larmes. Nous ne voyons rien, emportés par notre orgueil, notre fierté, nous passons à côté du plus grand des trésors. Ô Vanité, maîtresse des égarés que nous sommes, l’Orgueil, dont tu découles, nous a plongés dans l’abîme et nous voici à ta merci. Aujourd’hui, nous implorons l’Unique de bien vouloir laver nos âmes de tant de suffisance, de fierté mal placée, de boursouflures égotiques déformant à jamais nos conceptions du monde…

Sentant qu’il n’en finirait pas, Vladymyr lui coupa la parole, essayant une approche un peu plus adapté.

– J’entends bien cher ami, j’entends bien… Dans l’absolu, est-il possible de savoir pourquoi l’Unique, dans sa grande mansuétude, a préféré m’envoyer dans l’armée plutôt que de poursuivre mes études à vos côtés afin que je puisse le servir au mieux ?

– Certainement mon ami, certainement ! Priez, priez, ne cessez de prier ! Demandez et il vous répondra. Ces voies sont impénétrables, mais à celui qui sait tendre l’oreille, l’Unique ne saurait là lui tirer sans y laisser couler une lichée de mots salvateurs.

– Et sur mon dossier, n’y aurait-il aucune information expliquant cette orientation quelque peu saugrenue ?

– Hélas cher Vladymyr, nous n’avons aucun dossier à votre nom. Puisque vous venez de dire que vous allez être recruté par l’armée, votre dossier est certainement chez eux. Vous devriez tenter, entre deux prières, de vous adresser directement à l’armée. Je suis certain que vous ferez un excellent prosélyte de statut deux.

– Une minute. Au début de notre conversation vous aviez accès aux notes obtenues pour mon diplôme, vous savez que j’aurai un statut de niveau deux et non de niveau quatre, vous avez donc accès à mon dossier sinon comment sauriez-vous cela ?

– Bien sûr, j’ai accès à votre dossier puisque tous les services administratifs sont reliés comme vous ne manquez pas de le savoir, mais à proprement parler, votre dossier n’est pas chez nous. Je n’ai donc aucun moyen de répondre à votre question. Peut-être devriez-vous, entre deux prières j’entends, vous adresser au directeur de la faculté prophétique ?

– Oui, je vais essayer. Fin d’appel.

Vladymyr n’eut pas plus de succès avec le doyen de la faculté. Il le félicita tout en lui certifiant que son dossier, empli de louanges, avait été envoyé à l’École de Messianisme. L’excellence de ses résultats méritait une récompense et aucune d’entre elles ne pouvait égaler l’incorporation à l’armée. Vladymyr insista, expliquant qu’il lui tenait à cœur d’entrer en École Supérieure et préférait servir le Réseau en messie et non en soldat.

– Cher Vladymyr 123B56V68, on vous offre les clés du paradis et vous les refusez pour errer en quête des âmes perdues ? Vous feriez un messie de premier ordre. Hélas, je ne peux rien faire pour vous. Le Réseau a décidé que votre place était à l’armée. Soyez reconnaissant et bénissez votre situation.

– Il y a bien un moyen de faire comprendre au Réseau qu’il s’est trompé ?

– Une erreur ? Une erreur du Réseau ? Vous avez un humour à couper le souffle ! Je m’étonne que votre dossier ne mentionne pas un tel talent. Vous allez devenir prosélyte, votre mission sera donc de la plus haute importance, tellement supérieure à tout ce dont vous pourriez rêver en poursuivant vos études. Je ne comprends pas votre chagrin. Pourquoi vous entêter à vouloir entrer en E.S.M. alors que l’on vous offre le meilleur des débouchés ?

Vladymyr le remercia et mit fin à l’appel. Donc, d’après le doyen, c‘était une récompense. Génial ! Il allait se faire éclater la tête parce qu'il avait eu les meilleures notes de sa promotion. Il y a des moments comme ça où l’on a l’impression de s’être fait baiser et bien comme il faut. Il devait trouver quelque chose, n’importe quoi pour éviter l’armée. Une tentative de suicide ? Ça ne fonctionnerait pas. Bien sûr, son incorporation se verrait annulée. Il serait directement interné et le lavage de cerveau qui l’attendrait là-bas serait pire que la mort. De plus, la plupart des fausses tentatives aboutissaient à un vrai décès. Il fallait trouver autre chose. Son dossier était dans les fichiers de l’armée, impossible de le récupérer pour le remettre dans ceux de l’E.S.M., ce genre de piratage n’avait aucune chance de réussir. Peut-être, en trouvant le moyen de changer sa note et d’effacer les appréciations, il pourrait soumettre l’idée de ne pas mériter une telle récompense. Il pensa immédiatement à Klasis et tout aussi vite se rendit compte qu’il était inutile de le contacter. Expert en canular, certes, mais de là à pirater un dossier, il y avait un ou deux univers d’écart. Soudain, Philippe lui traversa l’esprit. Bien sûr, Philippe ! Il s’amusait à créer des bugs et falsifier ses propres notes. S’il en connaissait un capable de l’aider, c’était bien lui.

– Cherche l’adresse et appelle Philippe.

La voix féminine, toujours aussi suave et délicate, lui répondit.

– Je trouve 47 556 Philippe. As-tu une préférence particulière afin d’affiner ma recherche ?

– Nous étions très proches à la fac et au lycée, cherche dans ma base de données, je ne fréquentais pas d’autres Philippe en dehors des cours.

– Philippe 753F75H32. Appel en cours…

Tout l’espace autour de Vladymyr devint blanc, une porte marron clair apparut juste devant lui, au milieu du vide.

– Appel accepté, tu peux entrer.

Il poussa la porte et posa son pied sur le sable chaud. Une fois traversée, la porte disparut derrière lui. Il se trouvait dans un désert, les dunes cuivrées couvraient tout l’horizon, surmontées d’un ciel bleu mauve parsemé d’étoiles. À quelques pas, Philippe, entouré de deux femmes vêtues d’un string et d’un nuage de rouge à lèvres, se leva d’un canapé en skaï et tendit les bras pour lui faire l’accolade.

– Vlady, mon vieux pote ! Tu peux pas savoir comme ça me fait plaisir de te voir.

– Moi aussi Philou.

– Viens assieds-toi.

Un fauteuil apparu en face du canapé, tout proche d’une jolie fontaine à trois étages d’où coulait un liquide bleu translucide. Il s’installa dans le fauteuil, Phil lui servit un verre, puis levant le sien :

– Trinquons mon ami à nos retrouvailles. Goûte à ce nectar, les larmes de l’Unique, venant direct du paradis… Ça fait combien de temps ? Trois ans que l’on ne s’est pas tapé un klob ensemble ?

– De cette qualité, c’est la première fois, répondit Vladymyr en buvant une gorgée. C’est vrai que nous ne nous sommes pas revus depuis que tu as quitté la fac.

Il se remémora la scène. Le prof détaillait les difficultés pour l’âme inférieure, intermédiaire et supérieure de cohabiter au vu de leur nature différente et de leurs buts parfois totalement opposés. Les écarts pouvaient être si vastes que certains devenaient fous ou se comportaient sporadiquement de manière incompréhensible pour le reste de la communauté. Philippe s’était levé en coupant la parole du professeur.

– Monsieur, vous êtes un véritable artiste, c’est du jamais vu. Votre cours est d’un ennui à assommer le plus résistant des adeptes du klov et pourtant personne ne dort. Vous réussissez à nous garder dans un état léthargique si proche de l’hypnose que l’on en vient à douter de la réalité de ce que l’on vit. Vous répétez une vérité établie depuis toujours par on ne sait qui, comme toutes vérités, j’en conviens. Avez-vous la moindre preuve de ce que vous avancez ? Vous dissertez sur la pluralité des âmes ? Très bien ! En avez-vous seulement une ? Vous ne pourriez même pas prouver que vous êtes réel ! Qui nous dit que vous n’êtes pas un simple bot, de très bonne qualité, je vous l’accorde, mais totalement virtuel ? Certaines I.A. assez développées ignorent qu’elles ne sont pas humaines. Vous tentez de nous enseigner le fonctionnement des âmes alors que vous-même n’en avez peut-être jamais goûté la saveur. Je préfère m’en aller que d’écouter des élucubrations hypothétiques débitées sans le moindre espoir de voir un jour une confirmation tangible de vos théories. Votre statut et votre aplomb ne suffisent pas à prouver la véracité de vos cours. Sur ce, je démissionne et ne vous dis pas au revoir ni à l’Unique mais à l’oubli le plus profond.

Philippe disparut de la salle de classe et on ne le revit plus jamais à la fac.

– C’est vrai que je n’ai repris contact avec personne depuis mon départ un peu théâtral. Tu sais ce que c’est, les jours passent, les semaines, les mois… On laisse les amis dans un coin de mémoire, un endroit ou malgré soi on se rend de moins en moins souvent, puis petit à petit, on finit par perdre le chemin, emporter par la vie, le monde, le Réseau… Un jour, un collègue de boulot avec qui tu t’entends bien te demande si tu le considères comme un ami. La question vient exploser comme une claque en pleine gueule. Tu te rends compte que tu as oublié, tu t’es laissé endormir, et que le mec en face de toi ne connaît pas l’amitié. Qu’il doit prendre ça pour un synonyme de « pote », que le concept de partage d’âme ne lui a jamais traversé l’esprit pour la bonne raison qu’il n’a jamais eu d’ami.

– Je comprends, répondit Vladymyr, moi non plus je n’ai pas essayé de reprendre contact avec toi. Pourtant, je ne peux pas dire que je t’ai oublié, d’ailleurs personne n’oubliera ta sortie. Tu es devenu une légende urbaine, les élèves du premier cycle parlaient de toi, répétant tes mots, forcément un peu déformés par la rumeur. Déformés au point qu’à la fin, tu prétendais partir rejoindre le Borgne pour détruire les facs, les lycées et cramer les neurones des profs dans un feu de joie électrifié.

– J’avoue être resté un moment assez fier de ma sortie…

– Tu m’étonnes… On s’est tous senti un peu merdique devant un tel acte de courage.

– Fallait pas, je t’assure. Je ne courrais aucun risque. Avant de démissionner, j’avais déjà signé pour un poste... poste bien plus intéressant... ressant que les débouchés offerts... offerts par le diplôme... plôme... plôme... me de prophète. Mais bon, J’me suis bien marré... marée... mer… Océan… vagues couvertes d’embruns phosphorescents…

Vladymyr ressentait le va-et-vient des vagues sur la plage de ses organes. Le klobtranss venait de monter soudainement, escaladant à une vitesse démesurée ses synapses pour faire exploser ses neurones dans un feu d’artifice humide et chaud. Il sentit le fauteuil l’aspirer lentement avant de fusionner, ne sachant plus s’il était encore assis dessus ou si le fauteuil était parvenu à prendre sa place pour profiter de son confort. Un juste retour des choses, une petite vengeance parfaitement méritée ou les rôles s’inversent afin de permettre à ces objets virtuels inanimés de découvrir le plaisir qu’ils procurent à leurs hôtes. Vladymyr ne pensait plus, les pensées devenaient bien trop fluides pour qu’il puisse en enjôler ne serait-ce qu’une seule. Il se noyait dans une mer de sensations plus agréables les unes que les autres. Trop agréables ou trop nombreuses, il voguait au bord de la nausée. Par chance, il réussit d’un réflexe à attraper son esprit au vol. Insouciant et libre de tout corps, il voletait un peu trop près de sa prison et fut à nouveau capturé. Vladymyr se concentra pour tenter de contenir les vagues faiblissantes. Le raz de marée était passé, il récupéra sa place sur le fauteuil et retrouva l’usage de la parole. Il avait toujours préféré la redescente, le bien-être demeurait assez puissant tout en lui permettant de rester maître de sa conscience. À supposer que l’on puisse en être maître.

– Excuse-moi, je viens de prendre la montée, je ne t’écoutais plus.

– Pas de problème mec. Il déchire non ?

– Ouais, même trop. J’ai pas l’habitude du transs, ça va trop loin pour moi.

– Ah j’me souviens, t’as jamais aimé la liberté totale, absolue, où même les pensées ne peuvent plus venir gâcher notre bonheur.

– Un bonheur artificiel, qui ne libère pas, mais détruit, anéanti, nous prive de ce que nous sommes pour nous gaver de sensations idylliques, préfabriquées, virtuelles et sans âmes.

– Ça me fait plaisir de voir que tu n’as pas changé. Toujours aussi casse-couilles.

L’une des femmes se pencha à l’oreille de Philippe.

– Quel goujat ! Je manque à tous mes devoirs. Je te présente Monica et Kâminî. Pardonnez, mesdames, cette impolitesse. La joie de revoir mon ami a pour un instant effacé votre présence. Je vous présente Vladymyr, l’un de mes meilleurs amis.

Philippe se pencha en fixant Vladymyr du regard.

– Je crois que tu plais beaucoup à Kâminî. Elle aimerait jouer avec toi.

– C’est gentil de ta part… Je n’ai pas la tête à ça.

Philippe éclata de rire.

– De ma part ? Je n’y suis pour rien ! C’est une réelle tu sais ? Je suis sûr que tu n’as jamais baisé une vraie nana.

– Une réelle ?

Kâminî se leva et lui tendit la main.

– Tu prétends ne pas aimer les plaisirs sans âme. J’en ai une et j’aimerais goûter la tienne.

Une réelle… Personne ne baisait avec des réelles, tout le monde se tapait des bots, c’était bien plus pratique, plus simple… Inutile de chercher à lui procurer du plaisir, ni de faire semblant de l’aimer ou simplement de l'apprécier, on ne devait rien à un bot et c’était justement ce qui permettait de jouir en toute liberté, sans retenue ni remords. Seuls quelques nantis dont le statut était si élevé qu’ils étaient au-delà de tous statuts, couchaient avec des réelles. Et encore, c'était des rumeurs, des ouï-dire de complotistes cherchant à démontrer la perversité de ces privilégiés. Une réelle… Vladymyr n’en revenait pas. Il n’aurait certainement jamais une autre occasion, cependant, accepter une telle offrande allait entacher son dossier de prophète et annihiler tout espoir d’entrer en E.S.M.. Sans avoir pris de décision, il vit sa main dans celle de Kâminî, son corps se lever et la suivre à travers une porte venant d’apparaître. S’il devait mourir dans quatre jours, son dossier pouvait bien aller brûler en enfer et avec lui, tous les anges du Réseau.

Ils se retrouvèrent dans l’espace. Kâminî lâcha sa main et se retourna vers lui en dérivant loin de la porte. Il fit le geste de lever les bras en avant pour provoquer l’inertie lui permettant de la rejoindre. Leurs deux corps s’enlacèrent. Elle posa ses lèvres sur les siennes, puis à côté, descendant le long de son cou, embrassant furtivement chaque centimètre carré de sa peau. Arrivée au col de sa chemise, elle la déboutonna avec ses dents, prenant ses précautions pour qu’il ne sente à aucun moment son visage sur son torse, seulement son souffle chaud et la sensation d'une chemise s’ouvrant d’elle-même. Elle enfonça sa langue dans son nombril, le chatouilla en cercles concentriques puis remonta prendre sa bouche.

– Le décor te plaît ?

– Je préférerais sentir le poids de ton corps.

– Pas de problème.

D’un mouvement de tête, elle fit apparaître un lit juste en dessous d’eux. La pesanteur revenant graduellement, les fit alunir dessus. Il caressait ses hanches, ses fesses, l'extérieur de ses cuisses, la bouche prise dans sa bouche, les langues liées à ne plus savoir reconnaître la sienne… Ils firent l’amour pendant près d’une heure, soufflant entre chaque orgasme, laissant passer les anges faute de pouvoir décrire le plaisir partagé. Vladymyr n’avait jamais vécu une telle expérience, coucher avec une réelle avait quelque chose d’extraordinaire, d'indéfinissable. Sa conscience ne parvenait pas à saisir ce qu’il y avait de plus, mais il le ressentait à l’intérieur de chacune de ses cellules. Toute sa vie, il n’avait fait que baiser, aujourd’hui, il venait de faire l’amour. Oubliés l’armée, l’E.S.M., le Réseau et ses I.A. fades, sans imagination et sans vie. L’amour, lorsque l’âme rencontre le ciel et fusionne dans l’ivresse des profondeurs inversée, dans la matière première de l’univers, origine de toute chose, émanation de l’Unique et klonat spirituel…

Épuisé, Vladymyr, suivi de Kâminî, traversa la porte pour retourner dans le salon désertique de Philippe.

– Hé… J’ai bien cru que je ne vous reverrais pas aujourd’hui…

– On s’est un peu perdu en chemin, répondit Vladymyr en allant s’asseoir sur le fauteuil.

Kâminî prit deux verres en cristal sur la table, les remplit dans la fontaine de klobtranss et vint s’installer sur l’accoudoir de son nouvel amant. Il prit le verre qu’elle lui offrait et en but une petite gorgée. N’ayant pas envie de subir la même montée, il décida de boire très lentement, afin de gérer au mieux les effets.

– Alors, dis-moi Vlady, je suppose que tu ne t’es pas levé ce matin en te disant « Tiens, j’vais aller faire un tour chez Philou, ça fait longtemps que j’n’ai plus d’nouvelles » ?

– Non, en effet, j’ai un problème…

Kâminî l’embrassait en lui caressant le torse. Leurs bouches ne voulaient plus se décoller. Philippe, partagé entre la joie et l’impatience, les interrompit.

– Et tu comptes m’en parler ou tu préfères retourner de l’autre côté de la porte ?

– Oui, pardon… Je vais être incorporé dans l’armée.

– Félicitations ! Ça se fête ! C’est quoi ton problème ?

– Je ne veux pas y aller.

– Comment ça ?

– Je ne veux pas entrer dans l’armée, je viens d’avoir mon diplôme, je voulais entrer à l’E.S.M.. Je ne sais pas pourquoi, ce matin, je reçois un message de la caserne pour me prévenir que j’ai été accepté. J’ai contacté les réclamations, l’E.S.M., la fac. Il n’y a rien à faire. Le doyen pense à une récompense pour ma très bonne note et les appréciations du jury.

– Mais, pourquoi refuses-tu d'aller dans l’armée ? Il n’y a pas mieux comme promotion.

– Je ne veux pas, c’est tout. Je me suis dit... comme tu arrivais à trafiquer tes notes à la fac... tu pourrais peut-être m’aider, du genre, faire disparaître mon dossier et le remettre à l’E.S.M..

– Wouaouh, pirater le Réseau, carrément ! Il faudrait demander au Borgne, ah mince… j’ai plus son numéro. C’est le transs qui te fait vriller ou Kâminî ? Entre changer les notes d’un dossier à la fac et le dérober à l’armée pour le faire réapparaître dans une autre administration, il y a un univers entier, voir dix milles. Ce que tu me demandes est impossible, personne n’en est capable. Tu imagines ? Quelqu’un sachant faire cela serait le maître du Réseau, il gouvernerait le Monde. Je suis désolé. J’ai pas mal de relations, si ce n’était pas l’armée, j’aurais peut-être pu les faire jouer, mais là, c’est impossible. Je ne vois aucun moyen de t’aider.

– Tu étais mon seul espoir, je ne sais pas ce que je vais faire.

– Comment ça, ce que tu vas faire ? Tu ne vas pas te rendre à la caserne ?

– Je n’en sais rien, je n’ai pas envie de quitter le Réseau… Franchement, ça ou l’armée…

– Mais putain, pourquoi tu veux pas y aller ?

– C’est personnel. Je ne me suis pas fait chier à avoir les meilleures notes à la fac pour aller faire le prosélyte en banlieue. Qu’ils aillent se faire foutre !

– Je t’aime mon pote, mais tu sais ce qu’il va t’arriver si tu ne te rends pas à leur convocation…

– Je sais, ça me fout les boules... Pourquoi est-on obligé de suivre ce que décide le Réseau si on ne le désire pas ? Même si c’est un cadeau, même si tout le monde en rêve ? Pourquoi ne puis-je pas donner ma place à l’un des millions d’individus qui m’insulterait de refuser un tel présent ? Pourquoi dois-je choisir entre la mort et l’exil alors que je suis un des éléments les plus félicités par l’administration ? Tu ne trouves pas que cela n’a aucun sens ? Que ça ne tourne pas rond ? Toi par exemple, tu es parti de la fac, comme ça, sans rien demander. Personne ne démissionne jamais, ça existe seulement dans les fictions, pourtant, tu l’as fait.

– Je n’ai pas vraiment démissionné, je te l’ai dit, j’avais une offre d’emploi et à ma demande, le Réseau a accepté de ne pas prévenir la fac afin que je puisse faire mon petit numéro. C’est tout.

– Alors je suis foutu…

– Peut-être… Ça dépend.

– De quoi ?

– De jusqu’où tu es prêt à aller.

– C’est-à-dire ?

– Tu te souviens de Vanessa, une petite blonde avec une mèche bleue ? Elle était avec nous au lycée.

– Non, ça ne me dit rien.

– Elle s’est fait virer un an avant d’entrer à la fac.

– Ah oui, j’me souviens. Elle se tapait un prof de… mythologie virtuelle, je crois et ils l’ont foutu dehors.

– C’est ça, mais elle s’est pas fait jeter juste parce qu’elle avait une relation avec son prof. Depuis quand on vire les gens pour une partie de jambes en l’air ? Il faisait partie d’un groupe de terroristes.

– De terroristes ? Le prof ?

– Ouais, du genre à tenter de faire sauter le Réseau. Bon, tout ce qu’ils ont fait sauter au final, c’est leur avenir. Ils ont été condamnés au néant pour l’éternité. Vanessa, vu sa relation, est restée suspecte. Malgré les interrogatoires, ils n’ont jamais pu prouver qu’elle faisait partie du groupe, elle niait tout en bloc. Pourtant sa liaison avec le prof était si intime qu’ils se rencontraient en réel, du moins c’est ce que l’on dit. L’administration ne pouvait croire en son innocence, elle devait au minimum être complice. Faute de preuves et d’aveux, elle ne put être condamnée. Elle fut renvoyée du lycée et obtint le statut de paria. J’ai continué à la voir pendant un moment, elle traînait avec des gens louches, d’autres parias vivant sur la frontière entre l’acceptation et la violence désespérée. Peut-être qu’elle pourra t’aider, je ne te promets rien, cela fait longtemps que je ne l’ai pas vu... Puisque tu dis n’avoir plus rien à perdre et que tu es prêt à faire une connerie, ça ne te coûte rien de la rencontrer. Je n’ai aucune idée de ce qu’elle est devenue. À l’époque, on disait que son prof connaissait le Borgne.

– Tu plaisantes ?

– Non, c’est ce qu’on disait. Tu sais les rumeurs et les légendes, la plupart du temps, ce sont des histoires embellies par chacun afin de nous montrer une réalité aussi attirante que le Réseau. Enfin, quoi qu’il en soit, si tu veux la rencontrer, elle allait très souvent au klobar Taralam. C’est dans le quartier R93 Nord-Est.

– Tu n’as pas son numéro ?

– Son numéro ? Philippe éclata de rire. Non, je n’ai pas son numéro, je ne suis même pas sûr qu’elle réponde encore aux appels. En tout cas ce dont je suis certain, c’est qu‘elle n’acceptera pas le tien. Si tu veux la voir, va falloir sortir ton cul du lit, mettre ta plus belle chemise et faire travailler tes jambes jusqu’au klobar Taralam mon pote !

– C’est une Noconn ?

– Je n’en sais rien, va savoir si elle se connecte encore... C’était devenu une paria, si elle l’est encore, elle devrait toujours traîner vers le Taralam. Si elle est passée de l’autre côté, alors tu n’auras aucun moyen de la retrouver, moi non plus d’ailleurs. De toute façon, t’avais autre chose de prévu ?

Vladymyr réfléchissait, par habitude sans doute puisqu’il savait n’avoir aucune autre solution. Devoir se rendre en R93 dans un klobar de parias ne le mettait pas à l’aise. Comment allait-il le justifier ? L’idée apparut assez nettement, enrobée d’une couche criante de vérité. Il prétendra si besoin avoir voulu rencontrer des sympathisants Noconns afin de mieux préparer son travail de prosélyte. Ça collait, c’était totalement con, mais ça collait. Logique, stupide et d’une déliquescente servilité, l’excuse parfaite.

– Non, rien de prévu, tu crois qu’elle peut m’aider ?

– Pfff, aucune idée. Si ça se trouve, elle va te proposer pire que l’armée, va savoir… Je ne vois personne d’autre capable de trouver une solution à ton problème.

– OK, je vais essayer de trouver cette Vanessa, ce n’est pas comme si j’avais le choix de toute façon.

Vladymyr passa le reste de la journée à discuter avec Philippe, se remémorant leur passé commun en buvant du klobtranss, et traverser la porte avec Kâminî qui ne manqua pas de lui laisser son numéro, au cas où il aurait le temps de venir la voir avant son incorporation. Épuisé par tant de drogue et de sexe, il se déconnecta et s’endormit aussitôt.

II

Vladymyr avait l’esprit vaseux, une timide nausée s’enroulait au creux de son ventre. Un phénomène bien connu et pourtant inexpliqué, son foie réagissait comme s’il avait physiquement ingurgité le klobtranss, une envie de vomir stérile puisqu’il n’avait rien avalé depuis l’avant-veille. Même virtuel, le klob laissait des traces dans l’organisme. Il referma les yeux en se concentrant sur sa respiration. Prendre de grandes bouffées d’oxygène et les recracher lentement. Boire une brique de klonat, prendre une douche et se rendre dans le quartier R93 pour y rencontrer cette mystérieuse Vanessa. En ouvrant le frigo, ses yeux tombèrent sur les briques de klov.

– Après tout, pourquoi pas.

Il ouvrit un klonat qu’il avala cul sec, puis fit de même avec un klovclair. Le klovert, un excitant, augmentait l’acuité sensitive et fluidifiait la réflexion. En contrepartie, il donnait envie de bouger, difficile de rester immobile après en avoir bu. Le vert clair restait assez léger pour enflammer les neurones sans trop réveiller les nerfs. En attendant la subtile montée, il alla se laver puis récupéra sous le lit ses vêtements poussiéreux. Un pantalon, une chemise bleu ciel, une paire de chaussures noires. Il les secoua pour leur redonner un semblant de propreté et s’habilla. En ouvrant la porte de sa chambre, une appréhension lui noua les boyaux, remontant lui serrer la poitrine, son cœur accéléra. Cela faisait si longtemps qu’il n’était pas sorti. La dernière fois, ça devait être lorsqu’ayant terminé le lycée, il était venu emménager dans le quartier réservé aux étudiants de son secteur, le V68. Il referma la porte et plongea sous le lit. Il allait partir sans ses lunettes de soleil. Il les trouva contre le mur, cachés par un tas de poussière, les essuya et les rangea dans la poche de sa chemise. Il ouvrit à nouveau la porte, pris une grande inspiration et s’engagea dans le couloir en direction de la cage d’ascenseur. Les muscles des jambes un peu tendus, il avança lentement, guettant la moindre sensation de douleur. Malgré la Comusc, le corps perdait vite l’habitude de marcher et il fallait y aller en douceur si l’on voulait éviter un accident. L’ascenseur était en panne, évidemment. Dans cette résidence, personne ne sortait. L’ascenseur ne serait certainement jamais réparé. Vladymyr se demanda même si un jour il avait fonctionné. Peut-être l’ont-ils installé seulement parce qu'il était mentionné sur le plan du bâtiment. D’ailleurs, il était possible qu’il n’y ait pas d’ascenseur du tout. Ils ont monté la cage, posé les portes et se sont arrêtés là. Lorsque l’on appuyait sur le bouton d’appel, il ne se passait rien, pas un bruit, pas de lumière clignotante pour distraire notre attente. Officiellement, il y avait un ascenseur, mais réellement, Vladymyr descendit les huit étages par les escaliers. Au rez-de-chaussée, les jambes en feu, il dut s’asseoir sur l’un des sièges devant l’entrée, observant le hall et les rangées de fauteuils de part et d’autre de la porte. Lors de son arrivée dans l’immeuble, il s’était demandé à quoi ils pouvaient bien servir puisqu’il devait être extrêmement rare qu’un résident sorte de sa chambre pour les utiliser. Encore une question inutile, pensa-t-il. Souvent, il se fatiguait lui-même avec ses interrogations futiles et contradictoires. Aujourd’hui, il avait sa réponse.

– Je me demande dans quel état je serais si je n’avais pas pris ce klovclair…

Lunettes sur le nez, il sortit dans la rue et avança péniblement sous les rayons cuisants du soleil. La chaleur dans ce quartier était mal réglée, trop élevée et trop sèche à son goût. On disait que c’était pour aseptiser la poussière et autres particules pouvant entraîner des maladies et surtout éviter le vieillissement prématuré des bâtiments. La réalité selon Vladymyr, c’est que tout le monde s’en fout. À quoi bon ajuster la température à un niveau agréable puisque personne n’en profite jamais. La rue était déserte, les immeubles collés les uns aux autres formaient des blocs d’une trentaine de mètres de haut. Huit étages chacun, seize chambres par étages. Leurs murs avaient la couleur pisse du lendemain de soirée klob. Ils devaient être blancs à l’origine, se dit-il en hésitant à passer le doigt dessus pour vérifier s’il s’agissait bien d’une couche de crasse. Il imagina ces milliers d’étudiants dans leur chambre, allongés dans un lit, réalisant les rêves offerts par le Réseau ou travaillant leurs cours avec zèle dans l’espoir d’avoir plus tard des rêves encore plus beaux. Ses