La Guerre des Mondes - H. G. Wells - E-Book

La Guerre des Mondes E-Book

H G Wells

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Beschreibung

À la fin du XIXème siècle, dans la campagne anglaise, au nord de Londres, débarquent les Martiens. La curiosité attire d'abord la foule, puis c'est la panique quand les envahisseurs se révèlent être des colonisateurs.

Un des premiers romans de Science Fiction moderne aux multiples adaptations cinématographiques. Pas une ride derrière ces lignes qui en 1937 sous la langue de l'autre Welles, Orson, paniquèrent la population des États-Unis.

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1 - L’ARRIVÉE DES MARTIENS

A - À LA VEILLE DE LA GUERRE

Personne n’aurait cru dans les dernières années du XIXe siècle, que les choses humaines fussent observées, de la façon la plus pénétrante et la plus attentive, par des intelligences supérieures aux intelligences humaines et cependant mortelles comme elles; que, tandis que les hommes s’absorbaient dans leurs occupations, ils étaient examinés et étudiés d’aussi près peut-être qu’un savant peut étudier avec un microscope les créatures transitoires qui pullulent et se multiplient dans une goutte d’eau. Avec une suffisance infinie, les hommes allaient de-ci de-là par le monde, vaquant à leurs petites affaires, dans la sereine sécurité de leur empire sur la matière. Il est possible que, sous le microscope, les infusoires fassent de même. Personne ne donnait une pensée aux mondes plus anciens de l’espace comme sources de danger pour l’existence terrestre, ni ne songeait seulement à eux pour écarter l’idée de vie à leur surface comme impossible ou improbable. Il est curieux de se rappeler maintenant les habitudes mentales de ces jours lointains. Tout au plus les habitants de la Terre s’imaginaient-ils qu’il pouvait y avoir sur la planète Mars des êtres probablement inférieurs à eux, et disposés à faire bon accueil à une expédition missionnaire. Cependant, par-delà le gouffre de l’espace, des esprits qui sont à nos esprits ce que les nôtres sont à ceux des bêtes qui périssent, des intellects vastes, calmes et impitoyables, considéraient cette terre avec des yeux envieux, dressaient lentement et sûrement leurs plans pour la conquête de notre monde. Et dans les premières années du XXe siècle vint la grande désillusion. La planète Mars, est-il besoin de le rappeler au lecteur, tourne autour du soleil à une distance moyenne de deux cent vingt-cinq millions de kilomètres, et la lumière et la chaleur qu’elle reçoit du soleil sont tout juste la moitié de ce que reçoit notre sphère. Si l’hypothèse des nébuleuses a quelque vérité, la planète Mars doit être plus vieille que la nôtre, et longtemps avant que cette terre se soit solidifiée, la vie à sa surface dut commencer son cours. Le fait que son volume est à peine le septième de celui de la Terre doit avoir accéléré son refroidissement jusqu’à la température où la vie peut naître. Elle a de l’air, de l’eau et tout ce qui est nécessaire aux existences animées. Pourtant l’homme est si vain et si aveuglé par sa vanité que jusqu’à la fin même du XIXe siècle, aucun écrivain n’exprima l’idée que là-bas la vie intelligente, s’il en était une, avait pu se développer bien au-delà des proportions humaines. Peu de gens même savaient que, puisque Mars est plus vieille que notre Terre, avec à peine un quart de sa superficie et une plus grande distance du soleil, il s’ensuit naturellement que cette planète est non seulement plus éloignée du commencement de la vie, mais aussi plus près de sa fin. Le refroidissement séculaire qui doit quelque jour atteindre notre planète est déjà fort avancé chez notre voisine. Ses conditions physiques sont encore largement un mystère; mais dès maintenant nous savons que, même dans sa région équatoriale, la température de midi atteint à peine celle de nos plus froids hivers. Son atmosphère est plus atténuée que la nôtre, ses océans se sont resserrés jusqu’à ne plus couvrir qu’un tiers de sa surface et, suivant le cours de ses lentes saisons, de vastes amas de glace et de neige s’amoncellent et fondent à chacun de ses pôles, inondant périodiquement ses zones tempérées. Ce suprême état d’épuisement, qui est encore pour nous incroyablement lointain, est devenu pour les habitants de Mars un problème vital. La pression immédiate de la nécessité a stimulé leurs intelligences, développé leurs facultés et endurci leurs cœurs. Regardant à travers l’espace au moyen d’instruments et avec des intelligences tels que nous pouvons à peine les rêver, ils voient à sa plus proche distance, à cinquante-cinq millions de kilomètres d’eux vers le soleil, un matinal astre d’espoir, notre propre planète, plus chaude, aux végétations vertes et aux eaux grises, avec une atmosphère nuageuse éloquente de fertilité, et, à travers les déchirures de ses nuages, des aperçus de vastes contrées populeuses et de mers étroites sillonnées de navires. Nous, les hommes, créatures qui habitons cette terre, nous devons être, pour eux du moins, aussi étrangers et misérables que le sont pour nous les singes et les lémuriens. Déjà, la partie intellectuelle de l’humanité admet que la vie est une incessante lutte pour l’existence et il semble que ce soit aussi la croyance des esprits dans Mars. Leur monde est très avancé vers son refroidissement, et ce monde-ci est encore encombré de vie, mais encombré seulement de ce qu’ils considèrent, eux, comme des animaux inférieurs. En vérité, leur seul moyen d’échapper à la destruction qui, génération après génération, se glisse lentement vers eux, est de s’emparer, pour y pouvoir vivre, d’un astre plus rapproché du soleil. Avant de les juger trop sévèrement, il faut nous remettre en mémoire quelles entières et barbares destructions furent accomplies par notre propre race, non seulement sur des espèces animales, comme le bison et le dodo, mais sur les races humaines inférieures. Les Tasmaniens, en dépit de leur conformation humaine, furent en l’espace de cinquante ans entièrement balayés du monde dans une guerre d’extermination engagée par les immigrants européens. Sommes-nous de tels apôtres de miséricorde que nous puissions nous plaindre de ce que les Martiens aient fait la guerre dans ce même esprit ? Les Martiens semblent avoir calculé leur descente avec une sûre et étonnante subtilité - leur science mathématique étant évidemment bien supérieure à la nôtre - et avoir mené leurs préparatifs à bonne fin avec une presque parfaite unanimité. Si nos instruments l’avaient permis, on aurait pu, longtemps avant la fin du XIXe siècle, apercevoir des signes des prochaines perturbations. Des hommes comme Schiaparelli observèrent la planète rouge - il est curieux, soit dit en passant, que, pendant d’innombrables siècles, Mars ait été l’étoile de la guerre -, mais ne surent pas interpréter les fluctuations apparentes des phénomènes qu’ils enregistraient si exactement. Pendant tout ce temps les Martiens se préparaient. À l’opposition de 1894, une grande lueur fut aperçue, sur la partie éclairée du disque, d’abord par l’observatoire de Lick, puis par Perrotin de Nice et d’autres observateurs. Je ne suis pas loin de penser que ce phénomène inaccoutumé ait eu pour cause la fonte de l’immense canon, trou énorme creusé dans leur planète, au moyen duquel ils nous envoyèrent leurs projectiles. Des signes particuliers, qu’on ne sut expliquer, furent observés lors des deux oppositions suivantes, près de l’endroit où la lueur s’était produite. Il y a six ans maintenant que le cataclysme s’est abattu sur nous. Comme la planète Mars approchait de l’opposition, Lavelle, de Java, fit palpiter tout à coup les fils transmetteurs des communications astronomiques, avec l’extraordinaire nouvelle d’une immense explosion de gaz incandescent dans la planète observée. Le fait s’était produit vers minuit et le spectroscope, auquel il eut immédiatement recours, indiqua une masse de gaz enflammés, principalement de l’hydrogène, s’avançant avec une vélocité énorme vers la Terre. Ce jet de feu devint invisible un quart d’heure après minuit environ. Il le compara à une colossale bouffée de flamme, soudainement et violemment jaillie de la planète « comme les gaz enflammés se précipitent hors de la gueule d’un canon ». La phrase se trouvait être singulièrement appropriée. Cependant, rien de relatif à ce fait ne parut dans les journaux du lendemain, sauf une brève note dans le Daily Telegraph, et le monde demeura dans l’ignorance d’un des plus graves dangers qui aient jamais menacé la race humaine. J’aurais très bien pu ne rien savoir de cette éruption si je n’avais, à Ottershaw, rencontré Ogilvy, l’astronome bien connu. Cette nouvelle l’avait jeté dans une extrême agitation, et, dans l’excès de son émotion, il m’invita à venir cette nuit-là observer avec lui la planète rouge. Malgré tous les événements qui se sont produits depuis lors, je me rappelle encore très distinctement cette veille : l’observatoire obscur et silencieux, la lanterne, jetant une faible lueur sur le plancher dans un coin, le déclenchement régulier du mécanisme du télescope, la fente mince du dôme, et sa profondeur oblongue que rayait la poussière des étoiles. Ogilvy s’agitait en tous sens, invisible, mais perceptible aux bruits qu’il faisait. En regardant dans le télescope, on voyait un cercle de bleu profond et la petite planète ronde voguant dans le champ visuel. Elle semblait tellement petite, si brillante, tranquille et menue, faiblement marquée de bandes transversales et sa circonférence légèrement aplatie. Mais qu’elle paraissait petite ! une tête d’épingle brillant d’un éclat si vif ! On aurait dit qu’elle tremblotait un peu, mais c’étaient en réalité les vibrations qu’imprimait au télescope le mouvement d’horlogerie qui gardait la planète en vue. Pendant que je l’observais, le petit astre semblait devenir tour à tour plus grand et plus petit, avancer et reculer, mais c’était simplement que mes yeux se fatiguaient. Il était à soixante millions de kilomètres dans l’espace. Peu de gens peuvent concevoir l’immensité du vide dans lequel nage la poussière de l’univers matériel. Près de l’astre, dans le champ visuel du télescope, il y avait trois petits points de lumière, trois étoiles télescopiques infiniment lointaines et tout autour étaient les insondables ténèbres du vide. Tout le monde connaît l’effet que produit cette obscurité par une glaciale nuit d’étoiles. Dans un télescope elle semble encore plus profonde. Et invisible pour moi, parce qu’elle était si petite et si éloignée, avançant plus rapidement et constamment à travers l’inimaginable distance, plus proche de minute en minute de tant de milliers de kilomètres, venait la Chose qu’ils nous envoyaient et qui devait apporter tant de luttes, de calamités et de morts sur la terre. Je n’y songeais certes pas pendant que j’observais ainsi - personne au monde ne songeait à ce projectile fatal. Cette même nuit, il y eut encore un autre jaillissement de gaz à la surface de la lointaine planète. Je le vis au moment même où le chronomètre marquait minuit : un éclair rougeâtre sur les bords, une très légère projection des contours; j’en fis part alors à Ogilvy, qui prit ma place. La nuit était très chaude et j’avais soif. J’allai, avançant gauchement les jambes et tâtant mon chemin dans les ténèbres, vers la petite table sur laquelle se trouvait un siphon, tandis qu’Ogilvy poussait des exclamations en observant la traînée de gaz enflammés qui venait vers nous. Vingt-quatre heures après le premier, à une ou deux secondes près, un autre projectile invisible, lancé de la planète Mars, se mettait cette nuit-là en route vers nous. Je me rappelle m’être assis sur la table, avec des taches vertes et cramoisies dansant devant les yeux. Je souhaitais un peu de lumière, pour fumer avec plus de tranquillité, soupçonnant peu la signification de la lueur que j’avais vue pendant une minute et tout ce qu’elle amènerait bientôt pour moi. Ogilvy resta en observations jusqu’à une heure, puis il cessa; nous prîmes la lanterne pour retourner chez lui. Au-dessous de nous, dans les ténèbres, étaient les maisons d’Ottershaw et de Chertsey dans lesquelles des centaines de gens dormaient en paix. Toute la nuit, il spécula longuement sur les conditions de la planète Mars, et railla l’idée vulgaire d’après laquelle elle aurait des habitants qui nous feraient des signaux. Son explication était que des météorolithes tombaient en pluie abondante sur la planète, ou qu’une immense explosion volcanique se produisait. Il m’indiquait combien il était peu vraisemblable que l’évolution organique ait pris la même direction dans les deux planètes adjacentes. - Les chances contre quelque chose d’approchant de l’humanité sur la planète Mars sont un million pour une, dit-il. Des centaines d’observateurs virent la flamme cette nuit-là, et la nuit d’après, vers minuit, et de nouveau encore la nuit d’après et ainsi de suite pendant dix nuits, une flamme chaque nuit. Pourquoi les explosions cessèrent après la dixième, personne sur Terre n’a jamais tenté de l’expliquer. Peut-être les gaz dégagés causèrent-ils de graves incommodités aux Martiens. D’épais nuages de fumée ou de poussière, visibles de la Terre à travers de puissants télescopes, comme de petites taches grises flottantes, se répandirent dans la limpidité de l’atmosphère de la planète et en obscurcirent les traits les plus familiers. Enfin, les journaux quotidiens s’éveillèrent à ces perturbations et des chroniques de vulgarisation parurent ici, là et partout, concernant les volcans de la planète Mars. Le périodique sério-comique Punch fit, je me le rappelle, un heureux usage de la chose dans une caricature politique. Entièrement insoupçonnés, ces projectiles que les Martiens nous envoyaient arrivaient vers la Terre à une vitesse de nombreux kilomètres à la seconde, à travers le gouffre vide de l’espace, heure par heure et jour par jour, de plus en plus proches. Il me semble maintenant presque incroyablement surprenant qu’avec ce prompt destin suspendu sur eux, les hommes aient pu s’absorber dans leurs mesquins intérêts comme ils le firent. Je me souviens avec quelle ardeur le triomphant Markham s’occupa d’obtenir une nouvelle photographie de la planète pour le journal illustré qu’il dirigeait à cette époque. La plupart des gens, en ces derniers temps, s’imaginent difficilement l’abondance et l’esprit entreprenant de nos journaux du XIXe siècle. Pour ma part, j’étais fort préoccupé d’apprendre à monter à bicyclette, et absorbé aussi par une série d’articles discutant les probables développements des idées morales à mesure que la civilisation progressera. Un soir (le premier projectile se trouvait alors à peine à quinze millions de kilomètres de nous), je sortis faire un tour avec ma femme. La nuit était claire; j’expliquais à ma compagne les signes du Zodiaque et lui indiquai Mars, point brillant montant vers le zénith et vers lequel tant de télescopes étaient tournés. Il faisait chaud et une bande d’excursionnistes revenant de Chertsey et d’Isleworth passa en chantant et en jouant des instruments. Les fenêtres hautes des maisons s’éclairaient quand les gens allaient se coucher. De la station, venait dans la distance le bruit des trains changeant de ligne, grondement retentissant que la distance adoucissait presque en une mélodie. Ma femme me fit remarquer l’éclat des feux rouges verts et jaunes des signaux se détachant dans le cadre immense du ciel. Le monde était dans une sécurité et une tranquillité parfaites.

B - LE MÉTÉORE

Puis vint la nuit où tomba le premier météore. On le vit, dans le petit matin, passer au-dessus de Winchester, ligne de flamme allant vers l’est, très haut dans l’atmosphère. Des centaines de gens qui l’aperçurent durent le prendre pour une étoile filante ordinaire. Albin le décrivit comme laissant derrière lui une traînée grisâtre qui brillait pendant quelques secondes. Denning, notre plus grande autorité sur les météorites, établit que la hauteur de sa première apparition était de cent quarante à cent soixante kilomètres. Il lui sembla tomber sur la terre à environ cent cinquante kilomètres vers l’est. À cette heure-là, j’étais chez moi, écrivant, assis devant mon bureau, et bien que mes fenêtres s’ouvrissent sur Ottershaw et que les jalousies aient été levées - car j’aimais à cette époque regarder le ciel nocturne - je ne vis rien du phénomène. Cependant, la plus étrange de toutes les choses qui, des espaces infinis, vinrent sur la Terre, dut tomber pendant que j’étais assis là, visible si j’avais seulement levé les yeux au moment où elle passait. Quelques-uns de ceux qui la virent dans son vol rapide rapportèrent qu’elle produisait une sorte de sifflement. Pour moi, je n’en entendis rien. Un grand nombre de gens dans le Berkshire, le Surrey et le Middlesex durent apercevoir son passage et tout au plus pensèrent à quelque météore. Personne ne paraît s’être préoccupé de rechercher, cette nuit-là, la masse tombée. Mais le matin de très bonne heure, le pauvre Ogilvy, qui avait vu le phénomène, persuadé qu’un météorolithe se trouvait quelque part sur la lande entre Horsell, Ottershaw et Woking, se mit en route avec l’idée de le trouver. Il le trouva en effet, peu après l’aurore et non loin des carrières de sable. Un trou énorme avait été creusé par l’impulsion du projectile, et le sable et le gravier avaient été violemment rejetés dans toutes les directions, sur les genêts et les bruyères, formant des monticules visibles à deux kilomètres de là. Les bruyères étaient en feu du côté de l’est et une mince fumée bleue montait dans l’aurore indécise. La Chose elle-même gisait, presque entièrement enterrée dans le sable parmi les fragments épars des sapins que, dans sa chute, elle avait réduits en miettes. La partie découverte avait l’aspect d’un cylindre énorme, recouvert d’une croûte, et ses contours adoucis par une épaisse incrustation écailleuse et de couleur foncée. Son diamètre était de vingt-cinq à trente mètres. Ogilvy s’approcha de cette masse, surpris de ses dimensions et encore plus de sa forme, car la plupart des météorites sont plus ou moins complètement arrondis. Cependant elle était encore assez échauffée par sa chute à travers l’air pour interdire une inspection trop minutieuse. Il attribua au refroidissement inégal de sa surface des bruits assez forts qui semblaient venir de l’intérieur du cylindre, car, à ce moment, il ne lui était pas encore venu à l’idée que cette masse pût être creuse. Il restait debout autour du trou que le projectile s’était creusé, considérant son étrange aspect, déconcerté, surtout par sa forme et sa couleur inaccoutumées, percevant vaguement, même alors, quelque évidence d’intention dans cette venue. La matinée était extrêmement tranquille et le soleil, qui surgissait au-dessus des bois de pins du côté de Weybridge, était déjà très chaud. Il ne se souvint pas d’avoir entendu les oiseaux ce matin-là; il n’y avait certainement aucune brise, et les seuls bruits étaient les faibles craquements de la masse cylindrique. Il était seul sur la lande. Tout à coup, il eut un tressaillement en remarquant que des scories grises, des incrustations cendrées qui recouvraient le météorite se détachaient du bord circulaire supérieur et tombaient par parcelles sur le sable. Un grand morceau se détacha soudain avec un bruit dur qui lui fit monter le cœur à la gorge. Pendant un moment, il ne put comprendre ce que cela signifiait et, bien que la chaleur fût excessive, il descendit dans le trou, tout près de la masse, pour voir la Chose plus attentivement. Il crut encore que le refroidissement pouvait servir d’explication, mais ce qui dérangea cette idée fut le fait que les parcelles se détachaient seulement de l’extrémité du cylindre. Alors il s’aperçut que très lentement le sommet circulaire tournait sur sa masse. C’était un mouvement imperceptible, et il ne le découvrit que parce qu’il remarqua qu’une tache noire, qui cinq minutes auparavant était tout près de lui, se trouvait maintenant de l’autre côté de la circonférence. Même à ce moment, il se rendit à peine compte de ce que cela indiquait jusqu’à ce qu’il eût entendu un grincement sourd et vu la marque noire avancer brusquement d’un pouce ou deux. Alors, comme un éclair, la vérité se fit jour dans son esprit. Le cylindre était artificiel - creux - avec un sommet qui se dévissait ! Quelque chose dans le cylindre dévissait le sommet ! - Ciel ! s’écria Ogilvy, il y a un homme, des hommes là-dedans ! à demi rôtis, qui cherchent à s’échapper ! D’un seul coup, après un soudain bond de son esprit, il relia la Chose à l’explosion qu’il avait observée à la surface de Mars. La pensée de ces créatures enfermées lui fut si épouvantable qu’il oublia la chaleur et s’avança vers le cylindre pour aider au dévissage. Mais heureusement la terne radiation l’arrêta avant qu’il ne se fût brûlé les mains sur le métal encore incandescent. Il demeura irrésolu pendant un instant, puis il se tourna, escalada le talus et se mit à courir follement vers Woking. Il devait être à peu près six heures du matin. Il rencontra un charretier et essaya de lui faire comprendre ce qui était arrivé; mais le récit qu’il fit et son aspect étaient si bizarres - il avait laissé tomber son chapeau dans le trou - que l’homme tout bonnement continua sa route. Il ne fut pas plus heureux avec le garçon qui ouvrait l’auberge du pont de Horsell. Celui-ci pensa que c’était quelque fou échappé et tenta sans succès de l’enfermer dans la salle des buveurs. Cela le calma quelque peu et quand il vit Henderson, le journaliste de Londres, dans son jardin, il l’appela par-dessus la clôture et put enfin se faire comprendre. - Henderson ! cria-t-il, avez-vous vu le météore, cette nuit ? - Eh bien ? demanda Henderson. - Il est là-bas, sur la lande, maintenant. - Diable ! fit Henderson, un météore qui est tombé. Bonne affaire. - Mais c’est bien plus qu’un météorite. C’est un cylindre - un cylindre artificiel, mon cher ! Et il y a quelque chose à l’intérieur. » Henderson se redressa, la bêche à la main. - Comment ? fit-il, sourd d’une oreille. Ogilvy lui raconta tout ce qu’il avait vu. Henderson resta une minute ou deux avant de bien comprendre. Puis il planta sa bêche, saisit vivement sa jaquette et sortit sur la route. Les deux hommes retournèrent immédiatement ensemble sur la lande, et trouvèrent le cylindre toujours dans la même position. Mais maintenant les bruits intérieurs avaient cessé, et un mince cercle de métal brillant était visible entre le sommet et le corps du cylindre. L’air, soit en pénétrant, soit en s’échappant par le rebord, faisait un imperceptible sifflement. Ils écoutèrent, frappèrent avec un bâton contre la paroi écaillée, et, ne recevant aucune réponse, ils en conclurent tous deux que l’homme ou les hommes de l’intérieur devaient être sans connaissance ou morts. Naturellement il leur était absolument impossible de faire quoi que ce soit. Ils crièrent des consolations et des promesses et retournèrent à la ville quérir de l’aide. On peut se les imaginer, couverts de sable, surexcités et désordonnés, montant en courant la petite rue sous le soleil brillant, à l’heure où les marchands ouvraient leurs boutiques et les habitants les fenêtres de leurs chambres. Henderson se dirigea immédiatement vers la station afin de télégraphier la nouvelle à Londres. Les articles des journaux avaient préparé les esprits à admettre cette idée. Vers huit heures, un certain nombre de gamins et d’oisifs s’étaient mis en route déjà vers la lande pour voir « les hommes morts tombés de Mars ». C’était la forme que l’histoire avait prise. J’en entendis parler d’abord par le gamin qui m’apportait mes journaux, vers neuf heures moins le quart. Je fus naturellement fort étonné et, sans perdre une minute, je me dirigeai, par le pont d’Ottershaw et les carrières de sable.

C - SUR LA LANDE

Je trouvai une vingtaine de personnes environ rassemblées autour du trou immense dans lequel s’était enfoncé le cylindre. J’ai déjà décrit l’aspect de cette masse colossale enfouie dans le sol. Le gazon et le sable alentour semblaient avoir été bouleversés par une soudaine explosion. Nul doute que sa chute n’ait produit une grande flamme subite. Henderson et Ogilvy n’étaient pas là. Je crois qu’ils s’étaient rendu compte qu’il n’y avait rien à faire pour le présent et qu’ils étaient partis déjeuner. Quatre ou cinq gamins assis au bord du trou, les jambes pendantes, s’amusaient - jusqu’à ce que je les eusse arrêtés - à jeter des pierres contre la masse géante. Après que je leur eus fait des remontrances, ils se mirent à jouer à chat au milieu du groupe de curieux. Parmi ceux-ci étaient deux cyclistes, un ouvrier jardinier que j’employais parfois, une fillette portant un bébé dans ses bras, Gregg le boucher et son garçon, plus deux ou trois commissionnaires occasionnels qui traînaient habituellement aux alentours de la station du chemin de fer. On parlait très peu. Les gens du commun peuple n’avaient alors en Angleterre que des idées fort vagues sur les phénomènes astronomiques. La plupart d’entre eux contemplaient tranquillement l’énorme sommet plat du cylindre qui était encore tel qu’Ogilvy et Henderson l’avaient laissé. Le populaire, qui s’attendait à un tas de corps carbonisés, était, je crois, fort désappointé de trouver cette masse inanimée. Quelques-uns s’en allèrent et d’autres arrivèrent pendant que j’étais là. Je descendis dans le trou et je crus sentir un faible mouvement sous mes pieds. Le sommet avait certainement cessé de tourner. Ce fut seulement lorsque j’en approchai de près que l’étrangeté de cet objet me devint évidente. À première vue, ce n’était réellement pas plus émouvant qu’une voiture renversée ou un arbre abattu par le vent en travers de la route. Pas même autant, à vrai dire. Cela ressemblait à un gazomètre rouillé, à demi enfoncé dans le sol, plus qu’à autre chose au monde. Il fallait une certaine éducation scientifique pour se rendre compte que les écailles grises qui le recouvraient n’étaient pas une oxydation ordinaire, que le métal d’un blanc jaunâtre qui brillait dans la fissure entre le couvercle et le cylindre n’était pas d’une teinte familière. Extra-terrestre n’avait aucune signification pour la plupart des spectateurs. Il fut à ce moment absolument clair dans mon esprit que la Chose était venue de la planète Mars; mais je jugeais improbable qu’elle contînt une créature vivante quelconque. Je pensais que le dévissage était automatique. Malgré Ogilvy, je croyais à des habitants dans Mars. Mon esprit vagabonda à sa fantaisie autour des possibilités d’un manuscrit enfermé à l’intérieur et des difficultés que soulèverait sa traduction, ou bien de monnaies, de modèles ou de représentations diverses qu’il contiendrait et ainsi de suite. Cependant l’objet était un peu trop gros pour que cette idée pût me rassurer. J’étais impatient de le voir ouvert. Vers onze heures, comme rien ne paraissait se produire, je m’en retournai, plein de ces préoccupations, chez moi, à Maybury. Mais j’éprouvai de la difficulté à reprendre mes investigations abstraites. Dans l’après-midi, l’aspect de la lande avait grandement changé. Les premières éditions des journaux du soir avaient étonné Londres avec d’énormes manchettes : Un message venu de Mars - Surprenante nouvelle - et bien d’autres. De plus, le télégramme d’Ogilvy au bureau central météorologique avait bouleversé tous les observatoires du Royaume-Uni. Il y avait sur la route, près des carrières de sable, une demi-douzaine au moins de voitures de louage de la station de Woking, un cabriolet venu de Chobham et un landau majestueux. Non loin, se trouvaient d’innombrables bicyclettes. De plus, un grand nombre de gens, en dépit de la chaleur, étaient venus à pied de Woking et de Chertsey, de sorte qu’il y avait là maintenant une foule considérable, dans laquelle se voyaient plusieurs jolies dames en robes claires. La chaleur était suffocante; il n’y avait aucun nuage au ciel ni la moindre brise, et la seule ombre aux alentours était celle que projetaient quelques sapins épars. On avait éteint l’incendie des bruyères, mais aussi loin que s’étendait la vue vers Ottershaw, la lande unie était noire et couverte de cendres d’où s’échappaient encore des traînées verticales de fumée. Un marchand de rafraîchissements entreprenant avait envoyé son fils avec une charge de fruits et de bouteilles de bière. En m’avançant jusqu’au bord du trou, je le trouvai occupé par un groupe d’une demi-douzaine de gens - Henderson, Ogilvy, et un homme de haute taille et très blond que je sus après être Stent, de l’Observatoire Royal, dirigeant des ouvriers munis de pelles et de pioches. Stent donnait des ordres d’une voix claire et aiguë. Il était debout sur le cylindre qui devait être maintenant considérablement refroidi. Sa figure était rouge et transpirait abondamment; quelque chose semblait l’avoir irrité. Une grande partie du cylindre avait été dégagée, bien que sa partie inférieure fût encore enfoncée dans le sol. Aussitôt qu’Ogilvy m’aperçut dans la foule, il me fit signe de descendre et me demanda si je voulais aller trouver Lord Hilton, le propriétaire. La foule qui augmentait sans cesse et spécialement les gamins, dit-il, devenait un sérieux embarras pour leurs fouilles. Il voulait donc qu’on installât un léger barrage et qu’on les aidât à maintenir les gens à une distance convenable. Il me dit aussi que de faibles mouvements s’entendaient de temps à autre dans l’intérieur, mais que les ouvriers avaient dû renoncer à dévisser le sommet parce qu’il n’offrait aucune prise. Les parois paraissaient être d’une épaisseur énorme, et il était possible que les sons affaiblis qui parvenaient au-dehors, fussent les signes d’un bruyant tumulte à l’intérieur. J’étais très content de lui rendre le service qu’il me demandait et de devenir ainsi un des spectateurs privilégiés en deçà de la clôture. Je ne rencontrai pas Lord Hilton chez lui, mais j’appris qu’on l’attendait par le train de six heures; comme il était alors cinq heures un quart, je rentrai chez moi prendre le thé et me rendis ensuite à la gare.

D - LE CYLINDRE SE DÉVISSE

Quand je revins à la lande, le soleil se couchait. Des groupes épars se hâtaient, venant de Woking, et une ou deux personnes s’en retournaient. La foule autour du trou avait augmenté, et se détachait noire sur le jaune pâle du ciel - deux cents personnes environ. Des voix s’élevèrent et il sembla se produire une sorte de lutte à l’entour du trou. D’étranges idées me vinrent à l’esprit. Comme j’approchais, j’entendis la voix de Stent qui s’écriait : - En arrière ! En arrière ! Un gamin arrivait en courant vers moi : - Ça remue, me dit-il en passant, ça se dévisse tout seul. C’est du louche, tout ça, merci, je me sauve. Je continuai ma route. Il y avait bien là, j’imagine, deux ou trois cents personnes se pressant et se coudoyant, les quelques femmes n’étant en aucune façon les moins actives. - Il est tombé dans le trou ! cria quelqu’un. - En arrière ! crièrent des voix. La foule s’agita quelque peu, et en jouant des coudes je me frayai un chemin entre les rangs pressés. Tout ce monde semblait grandement surexcité. J’entendis un bourdonnement particulier qui venait du trou. - Dites donc, me cria Ogilvy, aidez-nous à maintenir ces idiots à distance. On ne sait pas ce qu’il peut y avoir dans cette diable de Chose. Je vis un jeune homme, que je reconnus pour un garçon de boutique de Woking, qui essayait de regrimper hors du trou dans lequel la foule l’avait poussé. Le sommet du cylindre continuait à se dévisser de l’intérieur. Déjà cinquante centimètres de vis brillante paraissaient; quelqu’un vint trébucher contre moi et je faillis bien être précipité contre le cylindre. Je me retournai, et à ce moment le dévissage dut être au bout, car le couvercle tomba sur les graviers avec un choc retentissant. J’opposai solidement mon coude à la personne qui se trouvait derrière moi et tournai mes regards vers la Chose. Pendant un moment cette cavité circulaire sembla parfaitement noire. J’avais le soleil dans les yeux. Je crois que tout le monde s’attendait à voir surgir un homme - possiblement quelque être un peu différent des hommes terrestres, mais, en ses parties essentielles, un homme. Je sais que c’était mon cas. Mais, regardant attentivement, je vis bientôt quelque chose remuer dans l’ombre - des mouvements incertains et houleux, l’un par-dessus l’autre - puis deux disques lumineux comme des yeux. Enfin, une chose qui ressemblait à un petit serpent gris, de la grosseur environ d’une canne ordinaire, se déroula hors d’une masse repliée et se tortilla dans l’air de mon côté - puis ce fut le tour d’une autre. Un frisson soudain me passa par tout le corps. Une femme derrière moi poussa un cri aigu. Je me tournai à moitié, sans quitter des yeux le cylindre hors duquel d’autres tentacules surgissaient maintenant, et je commençai à coups de coudes à me frayer un chemin en arrière du bord. Je vis l’étonnement faire place à l’horreur sur les faces des gens qui m’entouraient. J’entendis de tous côtés des exclamations confuses et il y eut un mouvement général de recul. Le jeune boutiquier se hissait à grands efforts sur le bord du trou, et tout à coup je me trouvai seul, tandis que de l’autre côté les gens s’enfuyaient, et Stent parmi eux. Je reportai les yeux vers le cylindre et une irrésistible terreur s’empara de moi. Je demeurai ainsi pétrifié et les yeux fixes. Une grosse masse grisâtre et ronde, de la grosseur à peu près d’un ours, s’élevait lentement et péniblement hors du cylindre. Au moment où elle parut en pleine lumière, elle eut des reflets de cuir mouillé. Deux grands yeux sombres me regardaient fixement. L’ensemble de la masse était rond et possédait pour ainsi dire une face : il y avait sous les yeux une bouche, dont les bords sans lèvres tremblotaient, s’agitaient et laissaient échapper une sorte de salive. Le corps palpitait et haletait convulsivement. Un appendice tentaculaire long et mou agrippa le bord du cylindre et un autre se balança dans l’air. Ceux qui n’ont jamais vu de Martiens vivants peuvent difficilement s’imaginer l’horreur étrange de leur aspect, leur bouche singulière en forme de V et la lèvre supérieure pointue, le manque de front, l’absence de menton au-dessous de la lèvre inférieure en coin, le remuement incessant de cette bouche, le groupe gorgonesque des tentacules, la respiration tumultueuse des poumons dans une atmosphère différente, leurs mouvements lourds et pénibles, à cause de l’énergie plus grande de la pesanteur sur la Terre et par-dessus tout l’extraordinaire intensité de leurs yeux énormes - tout cela me produisit un effet qui tenait de la nausée. Il y avait quelque chose de fongueux dans la peau brune huileuse, quelque chose d’inexprimablement terrible dans la maladroite assurance de leurs lents mouvements. Même à cette première rencontre, je fus saisi de dégoût et d’épouvante. Soudain le monstre disparut. Il avait chancelé sur le bord du cylindre et dégringolé dans le trou avec un bruit semblable à celui que produirait une grosse masse de cuir, je l’entendis pousser un singulier cri rauque et immédiatement après une autre de ces créatures apparut vaguement dans l’ombre épaisse de l’ouverture. Alors mon accès de terreur cessa. Je me détournai et dans une course folle m’élançai vers le premier groupe d’arbres, à environ cent mètres de là. Mais je courais obliquement et en trébuchant, car je ne pouvais détourner mes regards de ces choses. Parmi quelques jeunes sapins et des buissons de genêts, je m’arrêtai haletant, anxieux de ce qui allait se produire. La lande, autour du trou, était couverte de gens épars, comme moi à demi fascinés de terreur, épiant ces créatures, ou plutôt l’amas de gravier bordant le trou dans lequel elles étaient. Alors, avec une horreur nouvelle, je vis un objet rond et noir s’agiter au bord du talus. C’était la tête du boutiquier qui était tombé dans la fosse, et cette tête semblait un petit point noir contre les flammes du ciel occidental. Il parvint à sortir une épaule et un genou, mais il parut retomber de nouveau et sa tête seule resta visible. Soudain il disparut et je m’imaginai qu’un faible cri venait jusqu’à moi. Une impulsion irraisonnée m’ordonna d’aller à son aide, sans que je pusse surmonter mes craintes. Tout devint alors invisible, caché dans la fosse profonde et par le tas de sable que la chute du cylindre avait amoncelé. Quiconque serait venu par la route de Chobham ou de Woking eût été fort étonné de voir une centaine de gens environ en un grand cercle irrégulier dissimulés dans des fossés, derrière des buissons, des barrières, des haies, ne se parlant que par cris brefs et rapides, et les yeux fixés obstinément sur quelques tas de sable. La brouette de provisions, épave baroque, était restée sur le talus, noire contre le ciel en feu, et dans le chemin creux était une rangée de véhicules abandonnés, dont les chevaux frappaient de leurs sabots le sol ou achevaient la pitance d’avoine de leurs musettes.

E - LE RAYON ARDENT

Après le coup d’œil que j’avais pu jeter sur les Martiens émergeant du cylindre dans lequel ils étaient venus de leur planète sur la Terre, une sorte de fascination paralysa mes actes. Je demeurai là, enfoncé jusqu’aux genoux dans la bruyère, les yeux fixés sur le monticule qui les cachait. En moi la crainte et la curiosité se livraient bataille. Je n’osais pas retourner directement vers le trou, mais j’avais l’ardent désir de voir ce qui s’y passait. Je m’avançai donc, décrivant une grande courbe, cherchant les points avantageux, observant continuellement les tas de sable qui dérobaient aux regards ces visiteurs inattendus de notre planète. Un instant un fouet de minces lanières noires passa rapidement devant le soleil couchant et disparut aussitôt après, une légère tige éleva, l’une après l’autre, ses articulations, au sommet desquelles un disque circulaire se mit à tourner avec un mouvement irrégulier. Que se passait-il donc dans ce trou ? La plupart des spectateurs, avaient fini par se rassembler en deux groupes - l’un, une petite troupe du côté de Woking, l’autre, une bande de gens dans la direction de Chobham; évidemment le même conflit mental les agitait. Autour de moi quelques personnes se trouvaient disséminées. Je passai près d’un de mes voisins dont je ne connaissais pas le nom - et il m’arrêta. Mais ce n’était guère le moment d’engager une conversation bien nette. - Quelles vilaines brutes ! dit-il. Bon Dieu ! quelles vilaines brutes ! Il répéta cela à plusieurs reprises. - Avez-vous vu quelqu’un tomber dans le trou ? demandai-je. Mais il ne me répondit pas; nous restâmes silencieux et attentifs pendant un long moment, côte à côte, éprouvant, j’imagine, un certain réconfort à notre mutuelle compagnie. Alors, je changeai de place, m’installant sur un renflement de terrain qui me donnait l’avantage d’un mètre ou deux d’élévation, et quand je cherchai des yeux mon compagnon, je l’aperçus qui retournait à Woking. Le couchant devint crépuscule avant que rien d’autre ne se fût produit. La foule au loin, sur la gauche de Woking, semblait s’accroître et j’entendais maintenant son bruit confus. La petite bande de gens vers Chobham se dispersa, mais aucun indice de mouvement ne venait du cylindre.