La légende du tigre rouge - Tome 2 - Yanick Pugin - E-Book

La légende du tigre rouge - Tome 2 E-Book

Yanick Pugin

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Beschreibung

De retour du marché de Siang Hang vers leur ferme sur les hauts plateaux du Kwai Hang, Yuan et Kimsun Hahn trouvent un jeune cavalier inconnu mutilé et mourant. Recueilli et soigné par les Hahn, le jeune homme souffre d’amnésie et est hanté par des flashs traumatiques.

Sa famille d’accueil s’efforce de le protéger et envisage une rencontre avec un vieux sage pour l’aider à retrouver sa mémoire. Pour cela, le cavalier devra entreprendre un périlleux voyage vers la montagne du refuge des âmes, affrontant le marécage des damnés gardé par le redoutable Yang Thaï. Seule l’impératrice du lotus blanc, Si chin su, peut lui rendre ses souvenirs, mais le prix à payer est élevé, mettant les Hahn face à une décision difficile.

Aura-t-il le courage de quitter sa famille ? Quelles révélations pourraient se cacher au cœur de son silence amnésique ?


À PROPOS DE L'AUTEUR

Depuis son jeune âge, Yanick Pugin est passionné par la philosophie des arts martiaux. Il a fondé sa propre école, le Red Tigers club, en 1987, où il promeut les valeurs et les bienfaits de cette discipline. En parallèle, il a consacré une grande partie de sa vie à aider les personnes vulnérables. Il est l’auteur de "Martial art thérapie, la violence apprivoisée", paru en 2007, qui explore les liens entre les arts martiaux et la thérapie. "La Légende du tigre rouge", un récit initiatique et philosophique commencé en 1999 et publié pour la première fois en 2003 dans sa version originale, comprendra plusieurs volets.

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Seitenzahl: 157

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Yanick Pugin

La légende du tigre rouge

Tome II

Le puits des étoiles…

Conte

© Lys Bleu Éditions – Yanick Pugin

ISBN : 979-10-422-0236-1

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Chapitre 1

Sur les hauts plateaux du Kwai Hang

J’habite une toute petite maison, mais mes fenêtres s’ouvrent sur le vaste monde.

Confucius (551-479 av J-C)

La brume avait envahi la plaine ce matin-là. Comme d’innombrables fois, cette brume légère et humide qui donnait à la nature du moment une expression de plénitude et de sérénité. On pouvait distinguer la fraîcheur d’un lever du jour imminent et le parfum discret d’un univers verdoyant, mélangé au doux rayon d’un soleil orangé.

Ce matin-là, Yuan Hahn peina à se lever. En effet, il s’était couché très tard la veille au soir. Justement, il avait assisté durant la nuit à la naissance de huit porcelets que Léouna, sa fidèle truie, lui avait apportés.

Yuan habitait avec Kimsun une petite ferme sur les hauts plateaux Kwaï-Hang dans la province lointaine de Siang Hang du comté de Hou-pei.

Ce matin-là donc, Yuan prit le temps de grimper avec sa femme Kimsun sur les hauteurs de la colline près de leur magnifique ferme.

Yuan avait fabriqué de ses mains un magnifique banc de bois qu’il avait sculpté minutieusement. On pouvait notamment y voir les animaux de leur ferme et des signes calligraphiques racontant leur propre histoire.

Il avait réalisé cet objet symbolique lorsque Kimsun apprit, un jour, qu’elle n’aurait jamais d’enfant. C’était un endroit privilégié, presque sacré dans une plaine idyllique.

Ils montaient tous les deux sur cette colline, pour s’asseoir sur ce joli banc, dès que dans la ferme, une naissance animale survenait et que le Tout-Puissant d’en haut leur accordait le cadeau de la vie.

Certes, c’était une grande douleur pour Kimsun de ne pouvoir avoir d’enfant et c’est pour cela que son mari attentionné l’emmenait contempler les merveilles qui entouraient leur maison.

C’était comme prendre du recul, voir la vie sous un angle différent, accepter de ne pouvoir enfanter, mais trouver l’harmonie et le réconfort auprès des pensionnaires qui donnent la vie et recevoir celle-ci comme un cadeau divin.

Depuis cet endroit stratégique, on pouvait distinguer droit devant une plaine qui s’en allait mourir au pied des montagnes du Kwaï-Hang.

En suivant le chemin qui mène à la ferme, on voyait d’épaisses touffes de bambous, de grands arbres, quelques moulins à eau et des maisons toutes blanches. La végétation était extrêmement dense, car les collines étaient bien arrosées. On pouvait également distinguer çà et là, des bosquets de pins et de chênes, d’immenses fourrés d’arbrisseaux aux feuilles charnues où s’entremêlaient et s’enlaçaient des plantes grimpantes comme le chèvrefeuille et les glycines. Certains versants entiers disparaissaient sous les azalées, les rhododendrons et les roses sauvages.

Lorsque l’on portait le regard sur les montagnes alentour, on pouvait observer leurs pierres granitiques ou porphyriques, leurs pentes raides que l’on gravissait par des « escaliers » que leurs grands-pères et arrière-grands-pères avaient taillés dans le roc. Parfois au détour d’un sentier, on voyait jaillir une cascade qui dévalait ensuite les ravins en chutes vertigineuses de plus de cent mètres. De nombreux ruisseaux et rivières sillonnaient la vallée pour s’en aller faire tourner la roue des moulins devant les maisons.

Juste devant la ferme, quelques poules, des oies, des canards, Léouna et ses petits, ainsi que Tongo le « cochon royal », mais également une chèvre et un buffle qui répondaient au nom de Tchi et Tcha.

En contrebas de la bâtisse, des rizières formées en plateaux. Les Hahn cultivaient par ailleurs le millet, le maïs, le thé de même que différentes herbes et plantes donc Kimsun étudiait les vertus thérapeutiques.

Il faut dire que la ville de Siang Hang qui était la plus proche était tout de même à deux jours de marche de la ferme.

Dans ces endroits reculés, il valait mieux compter sur la médecine « maison », celle reçue en héritage des générations précédentes.

Il y avait dans les alentours suffisamment de plantes et d’herbe pour soigner les blessures et maladies courantes. Parfois même, Kimsun recevait des villageois et des fermiers voisins pour leur prodiguer les soins dont ils pouvaient avoir besoin.

Une fois par mois, les Hahn se rendaient à Siang Hang au grand marché sur la place centrale. Ils emportaient avec eux, dans la roulotte tirée par Tcha, des sacs de riz, du millet, du maïs, du thé, des poules et occasionnellement des oies et même de petits cochons. Kimsun s’occupait de son étal de fleurs. C’était le moment important du mois, car de la vente de leurs produits dépendaient les achats qu’ils pouvaient faire.

Lorsque les affaires marchaient bien, ils pouvaient acheter des graines à planter, des épices, des vêtements, des accessoires pour les cultures et même occasionnellement un bijou de jade pour Kimsun. Yuan avait le cœur sur la main. Il n’aurait jamais voulu qu’elle rentre du marché sans un petit cadeau en témoignage de son amour véritable.

Elle aussi s’arrangeait pour ne pas rentrer les mains vides. Ils faisaient étape pour la nuit dans la roulotte, chez les Tsun, qui, à force de les voir faire le trajet, étaient devenus leurs amis. En échange des commodités de leur maison, les Tsun passaient leur commande, et au retour des Hahn, profitaient de la livraison.

C’était ainsi chez les Hahn, un vrai rituel bien organisé. Peu de choses étaient venues troubler la quiétude de ces braves cultivateurs des hauts plateaux Kwaï-Hang.

Ce jour-là, sur le chemin du retour, un évènement surprenant rompit la routine ordinaire et transforma la sérénité en épreuve.

À quelques lieux de leur demeure, en plein milieu du chemin, bloquant le sentier et empêchant tout passage, se tenait fièrement debout un magnifique cheval qui ne semblait pas avoir peur. Il était assez grand, noir ébène, et il était scellé.

Ce qui parut curieux, ce fut l’absence de cavalier. Yuan eut une hésitation, il descendit de la roulotte et se dirigea vers l’étalon qui ne voulait visiblement pas bouger. Il saisit les rênes et fit reculer l’animal. Il scruta l’horizon et cria très fort à plusieurs reprises afin de savoir où pouvait bien se trouver son propriétaire.

Mais, ce fut le silence que renvoya l’écho. De plus, il était impossible de faire reculer l’attelage et il valait donc mieux déplacer le cheval. Kimsun descendit à son tour du char pour s’apercevoir elle-même de la suite à donner à cette rencontre quasi providentielle. De longues minutes s’écoulèrent sans qu’aucune décision ne fût prise.

Kimsun examina l’animal qui semblait légèrement boiter de la patte postérieure droite. Le cheval était effectivement blessé au tendon, une plaie ouverte laissait échapper un filet de sang. En experte, elle appliqua sur la blessure un onguent de sa propre fabrication, elle déchira des bandelettes de tissu qu’elle enroula fermement autour de la patte du coursier.

— Que fait-il là tout seul ? lança Yuan.
— Je n’en ai pas la moindre idée, répondit Kimsun.
— Je m’en vais faire le tour de ces bois, toi, reste auprès des bêtes ! s’exclama Yuan. Il était un peu angoissé à l’idée de ce qu’il pouvait rencontrer.

Après une heure de recherche, il réapparut presque satisfait de n’avoir rien trouvé.

— C’est un vrai mystère, j’ai couvert toute la zone jusqu’à la sortie de la forêt, mais je n’ai rien vu, rien entendu !
— Moi non plus, dit-elle.

Ils décidèrent de l’emmener avec eux ! C’était un véritable cadeau du ciel, pensèrent-ils. Le prix d’achat d’un tel compagnon était un luxe que les Hahn ne pouvaient pas s’offrir et pourtant, tant de fois, ils en auraient eu besoin.

Ils prirent soin après une manœuvre audacieuse de l’attacher derrière la roulotte et reprirent la route qui menait à leur douce chaumière.

Une fois de retour, ils installèrent le cheval près du buffle et donnèrent à manger à tous les pensionnaires. Ils allumèrent un grand feu dans la cheminée et prièrent en rendant grâce au Tout-Puissant d’en haut de ce présent aussi magnifique qu’inattendu.

Lorsque l’obscurité installa son grand-voile sur la plaine, on ne voyait à travers l’encadrement de la fenêtre que la lumière scintillante des bûches se consumant lentement dans l’âtre de la cheminée de pierre.

Cet évènement avait troublé la quiétude du couple qui se posait bon nombre de questions. Yuan n’était visiblement pas rassuré. Il sortit à plusieurs reprises de la maison juste pour voir si tout allait bien. Kimsun rappela son mari et pour le rassurer lui dit que le cheval avait trouvé sa voie tout seul et que c’est ainsi que cela devait être. Ils purent s’endormir à leur tour dans une sérénité toute relative.

Le réveil ne fut pas moins agité. Lorsque Yuan sortit, il s’empressa de se diriger vers l’étable où logeait le nouveau pensionnaire. Dans un élan affectif, il détacha l’animal et sortit prendre l’air. À peine avait-il mis le museau dehors, que celui-ci se cabra dans un hennissement terrible, puis de rage brisa le lien qui le maintenait au contact de Yuan.

Il sauta par-dessus la barrière et s’enfuit droit devant lui comme s’il avait été touché par la colère divine. Voyant le cheval s’éloigner, Yuan prit ses jambes à son cou et courut aussi vite qu’il put. Par ailleurs, il était déterminé à ramener l’animal coûte que coûte à la ferme.

La tâche s’annonçait difficile, en effet, dès que Yuan parvenait à proximité du noble étalon, celui-ci repartait au galop à distance suffisante pour échapper à son poursuivant. C’est ainsi qu’au pas de course, tous deux s’étaient éloignés de la maison de plusieurs lieues.

Soudain, le pur-sang s’immobilisa dans une petite clairière non loin d’un massif de roses et d’orchidées sauvages. Tout doucement, Yuan avançait. Progressivement, il se rapprochait et le cheval ne bougeait pas. Les derniers mètres furent les plus durs, mais ce dernier, immobile, semblait s’être résigné ou alors voulait lui montrer quelque chose.

L’animal était beaucoup plus malin qu’il n’y paraissait. En effet, car c’était bien l’endroit où il voulait attirer le paysan ! Il attendait sagement que ce dernier parvienne jusqu’à lui et effectivement, au pied de la bête, se trouvait le corps d’un jeune homme qui paraissait sans vie.

— Alors c’est pour cela que tu m’as emmené jusqu’ici !

Il paniqua un peu, puis s’approcha du corps inerte. En réalité, il respirait encore, mais il était inconscient. Yuan essaya de lui parler, mais celui-ci ne répondit pas.

D’après ses blessures, il ne pouvait pas envisager de le transporter sur le dos du cheval sans prendre le risque de le faire mourir. Alors, il fit demi-tour et courut jusque chez lui, informa Kimsun, attela la roulotte et repartit avec son épouse sur les lieux de la découverte.

Arrivés sur place, Kimsun prépara son petit matériel et notamment une attelle confectionnée de deux planchettes de bois dur avec laquelle elle immobilisa la jambe fracturée du jeune homme. Il avait dû être attaqué par des brigands qui l’avaient abandonné là et laissé pour mort.

Il avait de multiples plaies au bras et au corps, des contusions importantes sur le visage et sur le crâne, mais le plus délicat était une plaie à l’arme blanche sur l’abdomen.

L’entaille était profonde et saignait encore. Il avait dans l’épaule droite une flèche cassée et pour couronner le tout, il était en hypothermie.

Ils transportèrent le corps dans la roulotte et avec d’infinies précautions rentrèrent à la ferme. Le cheval, quant à lui, suivait librement le convoi.

Arrivés à la maison, ils transportèrent le blessé alors presque mourant, dans la seule pièce vide, c’est-à-dire celle qui aurait dû accueillir cet enfant qu’ils ne pouvaient avoir. Lorsque Kimsun dévêtit le vaillant guerrier, elle s’aperçut qu’il arborait des tatouages évoquant la sagesse et le courage appartenant à une élite particulière.

Ainsi, elle mit plusieurs heures à panser les plaies du jeune cavalier inconnu. Par ailleurs, il fallut de nombreux jours avant que son état ne se stabilise.

Chapitre 2

Le cavalier sans mémoire

En vérité, c’est dans l’obscurité qu’on découvre la lumière, si bien que lorsque nous sommes dans la peine, la lumière est plus que jamais proche de nous.

Maître Eckhart (1260-1328)

Près de quinze jours s’étaient écoulés pendant lesquels les Hahn n’avaient cessé de veiller sur lui. Lorsque tout à coup, alors qu’elle passait de l’eau froide sur son visage pour faire baisser sa température, il ouvrit péniblement un œil et gémit aussitôt de douleur. Il revint à lui graduellement, mais était incapable de parler. Les Hahn se présentèrent ainsi à lui :

— Je me prénomme Kimsun et voici Yuan, dit-elle et toi comment te nommes-tu ?

Il ne pouvait pas parler et des larmes coulaient sur son visage fatigué. Après plusieurs heures, il rouvrit les yeux et communiqua avec Kimsun qu’il prit d’abord pour sa mère Kimaé. Il se souvint alors de son nom :

— Je m’appelle Tao, mais qu’est-ce que je fais ici ?
— Tu dois te reposer, apparemment, tu as été victime d’une sauvage agression.
— Mais d’où viens-tu Tao ? demanda Kimsun.
— Je ne sais pas, je ne me souviens de rien.
— Il faudra du temps, l’hiver approche, ici, tu seras en sécurité, dit-elle.
— Reste tranquille, le temps sera ton meilleur allié, lui dit Yuan. Je crois que tu as beaucoup de chance d’être encore en vie.
— Garde le repos aussi longtemps qu’il faudra, nous nous occuperons de toi. Cette humble demeure sera la tienne désormais.

Nous approchions de l’équinoxe d’automne à grands pas. La glorieuse fête des moissons avait permis aux cultivateurs de mettre à l’abri leurs récoltes et de remercier l’auguste ciel, également appelé le souverain d’en haut, pour la prospérité et la fertilité de la terre.

Selon la tradition paysanne, l’équinoxe d’automne mettait un terme aux travaux de récoltes et renvoyait les villageois à une période de réclusion hivernale durant laquelle les femmes s’adonnaient aux travaux de tissage. Les hommes s’occupaient de l’entretien des récoltes, des bêtes, de la coupe du bois et des ressources nécessaires au maintien de la vie des habitants de la ferme.

Kimsun s’occupait de Tao comme s’il s’était agi de son propre fils. Il dormait mal, faisait d’horribles cauchemars et souffrait terriblement de s’être perdu sur les sentiers de sa mémoire. Lorsqu’il pouvait se souvenir de quelque chose, c’étaient des cris, des hurlements, des combats, de la peur, et puis plus rien…

De longs mois s’étaient écoulés depuis ce drame. L’hiver avait recouvert de son épais manteau tout le plateau en transformant le décor en paradis blanc.

Il avait réussi à se lever et avait commencé à réapprendre à vivre. Il aidait de plus en plus ces personnes qu’il avait fini par aimer, un peu comme ses parents.

Parfois, il avait de grandes colères intimement liées à son absence d’origine. Alors, il s’enfermait dans sa chambre et criait, hurlait, frappait contre les murs et finissait toujours par verser toutes les larmes de son cœur. Ni la gentillesse, ni l’amour, ni la compassion ne pouvaient atténuer cette souffrance.

À la fonte des neiges, Tao était capable de marcher, il avait entretenu sa condition physique à l’aide de mouvement que sa mémoire ignorait, mais que son corps exécutait comme s’il avait sa propre souvenance.

La durée d’un hiver rigoureux n’avait pas empêché Tao de sortir quotidiennement pour s’occuper des animaux de la ferme. Ainsi, Yuan put se reposer un peu et soigner grâce à Kimsun ses rhumatismes parfois handicapants dans la réalisation de ses tâches. Quelques fois après s’être acquitté de sa besogne, il enfourchait son cheval et partait à l’aventure dans la neige jusqu’à la tombée de la nuit.

Lentement, les journées s’étiraient alors que les nuits raccourcissaient.

On sentait la terre se réchauffer progressivement et voir poindre çà et là quelques bourgeons prêts à annoncer un printemps peut être un peu précoce, mais fortement attendu.

L’équinoxe du printemps annonçait la fécondation de la terre, le retour des hirondelles, des mariages et tout ce que l’hiver interdisait. C’était alors le départ pour les premiers labours et de tout ce qui humblement renaissait à la vie.

Un matin, Kimsun et Yuan décidèrent d’emmener leur « fils adoptif » dans leur petit coin magique en grimpant en haut de la colline prendre place sur le banc de bois. Occupée à contempler les splendeurs en éveil, la petite famille espérait un déclic, une vision, une étincelle ou un signe, mais rien ne survint.

Alors qu’ils s’apprêtaient à redescendre de cette éminence, on entendit un cri déchirant dans la plaine. Sans doute un animal rappelé à l’ordre des choses et qui venait d’offrir en toute ignorance sa vie sur l’autel de l’inévitable chaîne alimentaire.

Ce cri strident, devenu presque banal dans ces contrées, avait suscité une réaction particulière chez Tao qui prit instantanément sa tête entre ses mains.

— Que se passe-t-il, tu ne te sens pas bien ?
— Silence, je me souviens de quelque chose, et puis…

Il se redressa d’un bond ensuite sans dire un mot, descendit la colline en courant, entra dans la ferme et s’enferma dans sa chambre avec une plume et du papier. Il se mit à écrire tout ce dont il se souvenait. Il écrivit et réécrivit de peur que sa mémoire ne s’envole à nouveau au pays de l’ombre et du néant. Ainsi, il réussit au prix de gros efforts à remettre de l’ordre dans ces souvenirs.

Lorsqu’il fut prêt, il put commencer à raconter à sa petite famille d’accueil, sa propre histoire.

C’est ainsi qu’il raconta son village de Phang Muï, le restaurant de ses parents, leur tragique disparition, le temple, de même comme l’épée sacrée de Tamo. Il partagea aussi le grand voyage d’avec Lao-Tsé de même que la mort de celui-ci lors du terrible combat avec les tigres. Puis il conta même le retour au village avec Chuan, l’arrivée au temple, la mort de cette dernière ainsi que la naissance de Bao et le tatouage en lettres d’encre et de sang.