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Descendant la montagne du refuge des âmes, Tao se trouve bloqué par une violente tempête. Confronté à un ours noir, il puise son courage dans l’espoir de retrouver Zu-Yin à l’orphelinat. Son chemin, parsemé de dangers et de rencontres marquantes, l’amène au marché de Xindao, où Madame Noh le sauve d’un péril immédiat. Tao s’évade ensuite des geôles d’une ferme à opium dirigée par un membre corrompu du gouvernement. En croisant une faction rebelle, il décide de s’allier à Zheng Zhilong pour stopper l’invasion des Mandchous et restaurer l’empereur Ming sur le trône. À travers plaines et dangers, chaque étape de son voyage initiatique teste son courage, sa sagesse et sa détermination. Parviendra-t-il à tenir sa promesse envers Zu-Yin ? Et découvrira-t-il enfin ce qu’il est advenu de ses parents ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Depuis son jeune âge,
Yanick Pugin est passionné par la philosophie des arts martiaux. Il a fondé sa propre école, le Red Tigers club, en 1987, où il promeut les valeurs et les bienfaits de cette discipline. En parallèle, il a consacré une grande partie de sa vie à aider les personnes vulnérables. Il est l’auteur de "Martial art thérapie, la violence apprivoisée", paru en 2007, qui explore les liens entre les arts martiaux et la thérapie. "La Légende du tigre rouge", un récit initiatique et philosophique commencé en 1999 et publié pour la première fois en 2003 dans sa version originale, comprendra plusieurs volets.
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Seitenzahl: 185
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Yanick Pugin
La légende du tigre rouge
Tome III
La vallée des larmes
Conte
© Lys Bleu Éditions – Yanick Pugin
ISBN : 979-10-422-6093-4
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
En vérité, le chemin importe peu, la volonté d’arriver suffit à tout.
Albert Camus
« Il était 19 h. Le soleil venait de décliner sur la montagne, cela faisait longtemps que je n’avais pas pris le temps de m’attarder aussi intensément sur le paysage qui s’offrait à mon regard. Ce soir, c’est comme si la nature m’interpellait, m’aspirait, comme si elle ne voulait pas que je cesse de la contempler. J’étais comme hypnotisé, fasciné par l’enchantement de cette beauté suprême. J’étais comme suspendu entre ciel et terre, porté par l’univers tout entier.
Je restais là, immobile devant le spectacle féerique qui m’était offert. Le soleil embrasait le sommet des massifs alentour et inondait la vallée de ses tons rosés et orangés. Le ciel en mouvement me laissait percevoir des couleurs chatoyantes qui s’étendaient jusqu’au fin fond de l’horizon. J’étais envoûté par l’intensité de l’émotion qui me traversait intégralement. Incapable de bouger, je respirais cette nature sublime aux senteurs boisées. Rien ne pouvait me distraire de cet état de grâce, pas même la brise qui caressait mon visage.
Bientôt, la Lune allait vaincre de sa lumière les derniers rayons enchanteurs que le soleil répandait sur la plaine.
Je m’efforçais de tout mon être à n’en perdre aucune miette et à forcer l’instant à se prolonger éternellement.
Les yeux grands ouverts dans l’immensité du ciel en feu, j’aspirais à immortaliser, aux tréfonds de mon âme, la magie du moment.
Les yeux fixés sur l’horizon depuis ce promontoire surplombant les falaises, je sentais un frisson me parcourir l’échine jusqu’au sommet du crâne. Devant moi, deux éblouissantes Irènes vertes que l’on appelle également » oiseau bleu des fées « virevoltaient en poussant de petits cris aigus.
Soudain, l’apparition de nuages moutonneux m’extirpa un instant de la torpeur dans laquelle j’étais plongé.
Devant mon regard surpris et médusé, je pouvais distinguer dans la forme de ce nuage comme un visage qui prit l’aspect d’une figure que je connaissais bien et dont le manque me refaisait souffrir à cet instant.
Le soleil en déclin dessinait les contours de cette soudaine apparition en jeux d’ombres et de lumière et l’expression de ce portrait ressemblait à l’appel de ma belle princesse Zu-Yin.
La brume étincelante avait totalement disparu ainsi que le vieux puits et toutes les étoiles qu’il contenait. Pas de traces non plus de Sin Chin Su, l’impératrice du lotus blanc. Comme si cette étape si importante de ma vie n’avait pas existé. »
Tao fut rapidement sorti de cet état léthargique et contemplatif avant même que la silhouette de sa belle ne se soit intégralement déchirée et dissoute dans les profondeurs du ciel. Il venait de réintégrer subitement la réalité de sa présence, ici et maintenant.
Il se souvint alors qu’avant son ultime combat, dans sa fuite, il avait déposé sa belle près de la forêt de Tchin-Too, en espérant qu’elle pourrait rejoindre Kao-Tchéou à l’orphelinat des enfants de Bouddha.
Quoi de plus important alors que de se mettre en route et le plus rapidement possible afin de rejoindre l’orphelinat et sa jolie princesse qui devait l’attendre avec impatience. Mais, il était impossible et très imprudent de partir sur le champ.
La nuit n’allait pas tarder à installer sa suprématie sur les crêtes et les êtres vivants habitant sous cette partie de la voûte céleste. S’aventurer à travers les rochers et sur les sentiers escarpés sans lumière eût été totalement suicidaire. D’ailleurs, Tao n’avait plus d’affaires ni quoi que ce soit d’autre. Il n’avait désormais pour tout bagage que la tunique qu’il portait pour se vêtir. Ressentant la fraîcheur du soir, il essaya bien pendant un long moment d’allumer un feu, mais l’humidité ambiante en décida autrement.
Il rassembla quelques branches de feuillus et de conifères qu’il disposa autour de lui pour se protéger du froid et d’éventuels prédateurs peuplant le secteur. À peine quelques heures s’étaient écoulées durant lesquelles Tao eut beaucoup de mal à trouver un peu de repos. Entre un sol très rocailleux, des racines rampantes s’agrippant aux rochers jusqu’aux îlots de terre isolés et quelques insectes bien décidés à perturber son sommeil, les conditions n’étaient effectivement que peu propices à la détente.
Et puis, éclairant les ténèbres dans la vallée en dessinant les sommets, des éclairs parsemaient l’horizon ci et là, au hasard le plus total. Le grondement, d’abord lointain puis se rapprochant rapidement, lâchait des éclairs de foudre qui déchiraient le silence et s’amplifiaient dans l’écho des montagnes avoisinantes.
La pluie fit son entrée de manière violente et intense et des ruisseaux se formèrent depuis les cimes rocheuses. Dans l’incapacité de se protéger face aux éléments déchaînés, Tao subissait sans broncher, les assauts répétés de dame Nature.
Cet état de fragilité, il le connaissait bien pour l’avoir déjà traversé à plusieurs reprises, tout au long de son périple. Tout son corps s’était mis à trembler, mais il prit son mal en patience en attendant la clémence du Tout-Puissant d’en haut.
Accroupi derrière un rocher éloigné des arbres alentour, il supportait avec calme toute l’eau qui s’abattait sur lui.
L’intensité des gouttes qui, sans faiblir, martelaient son crâne comme sur la peau d’un tambour augmentait en lui un sentiment profond de solitude. Bien heureusement le ciel, dans sa toute bonté, accorda un répit salutaire en permettant aux premiers rayons dorés encore timides de l’aube, de réchauffer la température de ce jour naissant.
Encore trempé jusqu’à la moelle, Tao décida de suivre son instinct et de reprendre son chemin dans la direction de la vallée la plus proche. Il entama sa descente un peu périlleuse et glissante suite aux derniers évènements météorologiques de la nuit. Tao s’accrochait aux parois humides et avançait prudemment et très lentement à certains endroits, rattrapant son retard lorsque les sentiers s’élargissaient et que sa progression pouvait alors s’accélérer.
Il marqua parfois une pause, pour cueillir quelques baies de goji abondantes à cet endroit afin de reprendre un peu d’énergie et de force pour continuer d’avancer. À la mi-journée, il avait parcouru une bonne distance qui le séparait à présent des massifs rocheux.
Loin encore de la plaine et favorisé par un soleil généreux, il décida de se reposer un moment au bord d’une rivière et étendit sa tunique encore humide sur la branche d’un arbre.
Il but un peu de cette eau providentielle, se trempa même tout le corps avant de s’allonger sur l’herbe fraîche en se laissant bercer par le tumulte de l’eau. Il ferma les yeux un instant, en pensant intensément à Zu-Yin. Ainsi, il n’eut aucun mal ni à s’endormir ni à la voir apparaître dans son rêve.
Elle était habillée simplement comme une petite paysanne et elle sortait de la forêt avec un petit panier à la main, en prenant bien soin d’éviter les flaques et les rigoles.
Elle chantait d’une voix douce et ensorcelante qui laissait entrevoir en elle cet enfant espiègle – au sourire un brin malicieux – qu’elle avait été naguère en se glissant dans les champs et les bois pour y cueillir des bouquets d’amour et de baies sauvages que tous lui enviaient.
Alors que ce moment privilégié de rêve, bercé par le courant de la rivière se prolongeait sous le chant harmonieux de quelques eurylaimes psittacin (petits oiseaux de la taille d’une mésange aux couleurs verte et jaune qui nichent au-dessus des rivières), Tao fut dérangé par un craquement de branche qui attira son attention et le plongea immédiatement dans un état de vigilance. Bien qu’il ne constatât pas de danger immédiat dans son champ visuel, il se redressa doucement et tenta de décrocher sa tunique, puis y renonça très vite en s’abaissant.
Un second craquement de bois dans sa direction avait mis un terme à ses doutes. Il se passait bel et bien quelque chose d’anormal. Il se redressa à nouveau délicatement et vit, à quelques dizaines de mètres, un ours noir à collier adulte qui se grattait le dos sur l’écorce d’un tronc d’arbre.
Le vent soufflant légèrement de face lui permit de ne pas se faire remarquer. Il resta un instant immobile. Il faut dire que les ours noirs d’Asie, bien qu’ils soient essentiellement végétariens, n’hésitent pas à complémenter leur régime alimentaire en fonction des opportunités rencontrées dans leur habitat.
Aux fruits, baies, noix, graines, racines et tubercules, sans oublier herbes et feuilles, s’ajoutent sans hésiter rongeurs, lézards, charognes ou encore nids d’abeilles et miel.
Tao se redressa très lentement. Mais en reculant sur la pointe des pieds et en décrochant sa tunique suspendue, il attira immanquablement l’attention du prédateur. Tao s’immobilisa à nouveau et prit soin de rester face au vent. Soudain, l’ours se redressa sur ses pattes arrière en reniflant l’air et en bougeant la tête de gauche à droite, ses oreilles étaient dressées.
Il se reposa en quadrupédie et se déplaça de quelques mètres, avant de se redresser et de renifler à nouveau l’air en remuant la tête. Puis, il essaya de contourner sa cible pour se retrouver face au vent, en arrivant par-derrière…
Tao en profita pour enfiler rapidement sa tunique puis, sans quitter l’ours du regard, recula sans précipitation et sans bruit. L’ours, dans sa manœuvre de contournement, s’était éloigné quelques instants derrière un gros rocher. Tao saisit l’opportunité de fuir au pas de course, en descendant le plus vite possible en direction d’un grand massif de feuillus, quelques dizaines de mètres en contrebas.
Il resta à l’abri à l’intérieur du massif, mais son champ de vision lui permettait cependant d’observer les mouvements de l’animal, qui cette fois, avait pris l’avantage de se retrouver contre le vent.
Tao avait finement joué sa chance car l’ours, bien qu’en situation d’avantage, avait réellement perdu sa trace. Surtout ne pas bouger, rester tapi derrière les feuillus. Il n’y avait pas d’autres endroits où se cacher à proximité sans se mettre à découvert. Le gros mammifère semblait décidé à ne pas lâcher prise. Sa position dominante en surplomb, liée au sens du vent, ne laissait à Tao provisoirement aucune issue. Il resta donc couché dans les hauts buissons, sans bouger.
L’ours savait bien que sa proie n’avait pu que descendre et il prit la même direction. Rapidement, il se retrouva à seulement quelques mètres de Tao, mais sans le voir. Il continua sa route en suivant le sentier, sans s’arrêter.
Après quelques instants, Tao sortit de sa cachette avec prudence. Ne voyant rien alentour, il décida de poursuivre la route avec la peur au ventre. Il essaya bien de sortir un peu du chemin, mais la manœuvre le ralentissait trop.
Chemin faisant, la prudence restant de mise, Tao marchait d’un bon pas et la plaine se rapprochait de plus en plus, au fur et à mesure que le jour avançait. Il n’avait absolument pas l’intention de passer la nuit dans le secteur. Il lui fallait donc accélérer encore s’il voulait atteindre le hameau qu’il pouvait distinguer au loin.
Au détour du chemin, alors que sa vigilance s’était quelque peu relâchée, il fut surpris par le grognement de l’ours qui lui barra la route en se tenant debout sur ses pattes arrière et en ouvrant tout grand sa gueule.
Arrêté net dans son élan, Tao perdit volontairement l’équilibre et se jeta en roulé-boulé dans la pente en aval du sentier, surprenant même l’animal qui le regarda dévaler la pente sans réagir.
S’il avait pu contrôler ses premiers rebonds, il ne put s’arrêter et fut très vite emporté dans son élan, subissant les chocs successifs contre les arbres et les cailloux, terminant sa chute inconscient, dans le lit de la rivière. Fort heureusement, la fraîcheur de l’eau le réveilla brutalement.
Il ne constata pas de blessures majeures, mais de nombreuses ecchymoses et petites plaies un peu partout sur le corps. Il se releva en vie !
Certes, il avait pu échapper à ce prédateur, mais le danger restait présent, car il était toujours sur son territoire. Rassemblant toutes ses forces, il reprit son chemin en longeant les rives du cours d’eau jusqu’au hameau. Trempé et ruisselant, il frappa à la porte d’une petite maison, mais personne ne répondit. Il en fit de même avec les quatre autres à proximité. Pas de réponses non plus. Le hameau était vide et désert. Pas âme qui vive. Il n’eut aucun mal à forcer l’ouverture de l’une des portes et à s’engouffrer dans la maison, sans demander son reste.
À l’intérieur, bien qu’extrêmement modeste, il y trouva de quoi allumer un feu, quelques denrées plutôt rassies et une table avec deux chaises, ainsi qu’un lit recouvert d’une peau d’ours.
Il y avait là de quoi passer la nuit au chaud et en sécurité. Près du lit était entreposée une cruche, accrochée à une corde. Avec un peu de chance, Tao trouverait un puits à proximité de la maison. Un peu d’eau pour nettoyer ses plaies serait, en effet, de bon augure.
Mais, la fatigue aidant, le jeune homme s’endormit simplement. Aux premières heures de l’aurore, alors que le jour se levait à peine et qu’il dormait profondément, Tao fut réveillé brusquement par trois hommes armés de fusil à mousquet.
Surpris de trouver un homme endormi dans leur maisonnette, ils brusquèrent Tao qui eut toutes les peines du monde à se faire entendre. Mais il parvint finalement à justifier sa présence.
Lorsqu’il eut terminé ses explications, les hommes se présentèrent à leur tour. Il s’agissait d’un petit groupe de chasseurs et les maisonnettes servaient de poste avancé pour la pratique de la chasse à l’ours. Ces hommes chassaient les ours noirs dans la région pour des fermiers spécialisés dans le prélèvement et le commerce de la bile d’ours, largement exploitée pour ses vertus curatives ou aphrodisiaques.
Certains ours étaient tués pour leur viande ainsi que pour la vente de certains de leurs organes, et puis d’autres finissaient leur vie au fond d’une cage étroite pour les prélèvements de bile jusqu’à deux fois par jour. Après ces explications, les hommes invitèrent Tao à quitter les lieux, après lui avoir indiqué le chemin à suivre pour se rendre à Tchin-Too. Eux-mêmes en firent autant et s’éloignèrent dans la forêt encore endormie.
Tao s’était bien gardé de leur raconter l’épisode vécu la veille avec l’ours qui l’avait traqué, en espérant que celui-ci pourrait échapper à ses poursuivants. Mais pour l’heure, il était déterminé à rejoindre le plus rapidement possible le village et surtout, l’orphelinat où l’attendait la princesse Zu-Yin, ainsi que Kao-Tchéou. Alors qu’il s’éloignait du hameau d’un pas décidé, il entendit claquer des coups de feu dans la montagne.
L’idéal est pour nous ce qu’est l’étoile pour le marin. Il ne peut être atteint, mais il demeure un guide.
Albert Schweitzer
Sans se retourner, Tao allongea la foulée tout en apercevant au loin, la plaine qui se déclinait en terrasse dans les nombreuses collines. Une fois franchies les dernières étapes le séparant de la montagne, et parvenant à l’orée de la forêt, il prit le temps de contempler le panorama. À perte de vue s’étendaient d’innombrables champs, séparés en petites portions.
Après cette ressourçante contemplation, il reprit le sentier qui longeait les rizières. Tout en marchant, il laissa vagabonder son esprit parmi les souvenirs de son enfance, lorsqu’il vivait en famille, à Phang Muï, et qu’il rejoignait sa mère Kimaé après l’école dans les cultures.
— Pour comprendre la complexité de la culture du riz, suis un paysan pendant toute la durée du cycle de culture de son riz ! lui avait dit Chen, son père. Une fois l’école terminée, tu iras aider Monsieur Jun-fan dans sa ferme quelque temps ; tu sais qu’il a toujours besoin d’assistance.
Tao se revoyait lorsqu’ils étaient tous les deux assis sur un banc, au bord des champs, et que son père lui racontait la vie de Jun-fan !
La préparation des rizières, la construction des murets de séparation, le renforcement des terrasses, l’installation des systèmes d’irrigation, la taille des sillons à l’aide d’une charrue tractée par un buffle.
Et après toute cette préparation, la phase de semence des graines dans des petits coins de rizières, avant que les jeunes pousses tout juste sorties de terre et d’un vert flamboyant soient repiquées avec dextérité.
Ce n’était que quatre mois plus tard que l’on pouvait en récolter le fruit. D’ailleurs, près d’où se trouvait en ce moment Tao, on pouvait voir certaines femmes avec un chapeau de palme vissé sur la tête, arc-boutées, fauchant la paille avant d’en battre les panicules sur des fûts.
Puis, les yeux fixés sur l’horizon, il avançait, le cœur impatient de retrouver sa princesse et l’orphelinat. Il pensait à tout ce qu’ils allaient pouvoir se raconter, après cette longue absence. Zu-Yin pensait-elle encore à lui ? Le croyait-elle encore en vie ?
Toutes ces questions qui taraudaient l’esprit de Tao le motivaient à s’empresser d’atteindre son objectif.
Même si le calme et la magie de l’endroit invitaient à la flânerie, Tao descendit en courant la petite colline qui menait sur le bord des rives du lac Siamu. Ce n’était pas un très grand lac, mais son eau était d’un bleu turquoise étincelant et limpide et l’on y venait volontiers pour y trouver le calme et le bien-être intérieur. Au milieu du lac, une petite île émergeait à peine, entourée d’une brume légère qui apparaissait et disparaissait tour à tour, sans raison apparente. Du moins, c’est ce que pensait Tao qui fixa son regard un moment sur cet étrange phénomène.
En longeant le lac, il aperçut un vieillard qui se tenait accroupi au bord de l’eau. Tao s’agenouilla près de lui et le salua. L’homme afficha un large sourire édenté et lui tendit la cigarette qu’il fumait alors.
Tao déclina l’offre et l’interrogea à propos de cette brume capricieuse. Le vieillard insista à nouveau en tendant son mégot vers Tao, et il ajouta :
— Ici, on fume en regardant passer le temps et les ondulations de l’eau en silence.
Tao finit par saisir ce bout de cigarette fait maison qui avait un fort goût de clou de girofle. Puis, en toussant, rendit le mégot au patriarche qui le coinça entre ses lèvres en affirmant :
— Cette petite île se nomme l’île des songes. Et la brume qui apparaît ou disparaît donne des réponses à tes questions.
— Comment ça marche, demanda Tao ?
— Tu poses une bonne question en silence et la brume te répond, rétorqua le vieil homme.
— Si elle se dissipe, alors tout est clair, et ta réponse également. Mais si elle apparaît légère ou dense, le doute l’emportera. Attention à la formulation, tu n’as le droit qu’à une seule question.
Regarde bien l’île, je poserai bientôt une question !
En quelques secondes, la brume se dissipa totalement, laissant émerger quelques arbrisseaux et massifs de fleurs aux mille couleurs.
— Quelle était ta question ? demanda Tao au brave homme.
— Les questions sont très personnelles et en principe, chacun en garde le secret. Pourtant, cette question, il m’arrive de la poser assez souvent pour les étrangers qui veulent connaître le secret de l’île. Si la réponse est claire, alors je la leur dévoile.
Sinon, je garde le silence et ils s’en vont.
— La réponse paraissait claire, alors quelle était la question, répéta Tao ?
J’ai simplement demandé à l’univers si tu étais un homme bon.
— Alors, je suis très heureux de la réponse, signifia Tao.
— Maintenant, puis-je poser ma question ?
— Quand tu te sentiras prêt !
Tao ferma les yeux, joignit les mains en silence quelques instants. Puis, en ouvrant les yeux, il fixa du regard cette île en plein centre et posa sa question sans prononcer un mot.
À cet instant, une très légère brume demeura persistante et le doute s’installa dans le cœur de Tao. Il se leva soudainement et, d’un signe de la tête, salua le vieillard puis s’éloigna le long de la berge, sans se retourner. Il semblait bouleversé, contrarié par ce qu’il venait de vivre. En marchant, il leva la tête comme pour s’adresser au Tout-Puissant d’en haut en feignant la réponse qui lui avait été donnée.
Le jour déclinait déjà, et il fallait désormais concentrer ses pensées pour trouver un refuge pour la nuit. Plus il avançait, plus il voyait la lueur des petites lanternes et lampions disséminés ci et là qui s’allumaient tour à tour avec la tombée de la nuit. Il venait d’essuyer quelques refus d’hospitalité, lorsqu’il rencontra un paysan en difficulté avec son bétail qui, visiblement, trouva la présence de Tao parfaitement salutaire.
Après avoir apporté son aide au fermier, celui-ci, pour le remercier, lui offrit le gîte et le couvert pour la nuit. À vrai dire, en ces temps de disette, il n’était pas rare que l’on partageât un toit et un repas, en échange de quelques menus travaux dans les fermes de la région. Il se joignit donc à la petite famille autour d’une bonne tablée et profita d’un bon repas chaud, composé de nouilles aux légumes et de poulet.
Le fermier s’attarda longtemps sur les récits et les aventures de Tao, avant de sombrer corps et âme sous les assauts répétés de dame fatigue qui gémissait depuis longtemps en l’appelant de ses vœux sur sa couche. Tao à son tour s’installa près du feu, sur un vieux fauteuil usé en bambou. Il se laissa doucement glisser vers un sommeil réparateur.
Aux premières lueurs de l’aube, lorsque la rosée perlait encore sous le chant des oiseaux, et que le coq de la basse-cour s’égosillait à sonner l’heure du réveil, la ferme encore engourdie sortit lentement de sa léthargie.