La Loi des quatre - Edgar Wallace - E-Book

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Edgar Wallace

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Beschreibung

Leon Gonzalez et George Manfred, qui font partie des «Quatre Justiciers», se présentent au commissaire Fare de Scotland Yard comme des criminologistes espagnols. Le troisième, Poiccart, s'est retiré à Cordoue, et le quatrième est décédé. Ils ont une rude tâche - pourchasser tous ceux qui violent la loi - ils ne chôment donc pas...

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Veröffentlichungsjahr: 2022

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La Loi des quatre

La Loi des quatreI. L’HOMME QUI HABITAIT CLAPHAMII. L’HOMME AUX GROSSES CANINESIII. L’HOMME QUI ABHORRAIT LES VERS DE TERREIV. L’HOMME QUI MOURUT DEUX FOISV. L’HOMME QUI HAÏSSAIT AMÉLIE JONESVI. L’HOMME QUI ÉTAIT HEUREUXVII. L’HOMME QUI AIMAIT LA MUSIQUEVIII. L’HOMME QUI FUT « PLUMÉ »IX. L’HOMME QUI NE VOULAIT PAS PARLERX. L’HOMME QUI FUT ACQUITTÉPage de copyright

La Loi des quatre

Edgar Wallace 

I. L’HOMME QUI HABITAIT CLAPHAM

– Le jury ne peut admettre l’accusation de chantage portée contre M. Noé Stedland selon laquelle ce dernier aurait soi-disant soutiré une grosse somme d’argent au prisonnier : pareille allégation ne s’appuie sur aucun témoignage, il n’a été fourni aucune preuve des tractations auxquelles fait allusion la défense… Celle-ci ne nous dit même pas la nature des menaces dont se serait servi Stedland…

La fin de l’exposé demeura conforme aux meilleures traditions de la magistrature et le jury sans se retirer rendit un verdict de « culpabilité ».

La salle s’agita un instant et quelques paroles s’échangèrent à mi-voix tandis que le juge, ajustant son pince-nez, se mettait à écrire.

Le prisonnier jeta alors un regard sur une jeune femme dont le visage pâle et tiré s’était tourné vers lui et il l’encouragea d’un sourire. Sans pâlir, il laissa aller ses yeux graves vers le personnage à perruque blanche qui, en robe puce, écrivait si laborieusement. Que pouvait bien écrire un juge en de telles circonstances, se demandait-il ? Pas un résumé du crime, assurément. Et maintenant il était impatient d’en finir avec toute cette salle, avec tous ces gens entassés dans la tribune réservée au public, avec l’avocat indifférent et, surtout, avec ces deux hommes qui, assis non loin du défenseur, l’examinaient si attentivement !

Qui étaient donc ces étrangers – ou du moins paraissant tels – et en quoi les débats pouvaient-ils les intéresser ? Peut-être des auteurs en quête de documents de première main ? L’un était très grand (il l’avait déjà vu se dresser) tandis que l’autre, maigre, donnait une impression de grande jeunesse malgré ses cheveux gris. Tous deux étaient rasés et habillés de noir, tenant sur leurs genoux des chapeaux de feutre à larges bords, également noirs.

Le juge toussa et son attention se reporta vers le Tribunal.

– Jeffrey Stow, déclara Sa Seigneurie, je suis entièrement d’accord avec le verdict du jury. Aucun Tribunal ne saurait prendre sérieusement en considération le moyen de défense que vous invoquez d’après lequel, après avoir eu vos économies volées par Stedland, vous auriez fait irruption dans sa maison pour vous faire vous-même justice et reprendre l’argent en même temps qu’un document dont vous ne spécifiez pas le caractère, mais qui, d’après vous, prouverait sa culpabilité. Votre histoire rappelle étrangement cette fameuse ou infâme association dénommée Les quatre Justiciers qui existait il y a quelques années, mais qui a été heureusement dispersée ! Ces hommes prétendaient punir là où la loi était défaillante : quelle monstrueuse supposition que la loi puisse jamais faillir ! Vous avez commis là une très grave offense et le fait d’avoir été porteur au moment de votre arrestation d’un revolver chargé aggrave au plus haut point votre crime. Vous êtes condamné à sept ans de prison.

Jeffrey Stow s’inclina et, sans même un regard à la jeune femme, se dirigea vers les marches qui conduisaient aux cellules.

Les deux étrangers présumés qui avaient excité l’intérêt et l’irritation du prisonnier furent les premiers à quitter la salle du tribunal.

Une fois dans la rue le plus grand des deux s’arrêta.

– Je pense que nous devons attendre la jeune femme, dit-il.

– Est-ce sa femme ? demanda l’homme maigre.

– Il s’est marié la semaine même où il a effectué ce malencontreux placement, répondit l’autre. Curieuse coïncidence, cette allusion du juge aux Quatre Justiciers.

Son compagnon sourit.

– Ce fut devant ce même tribunal que fut prononcée votre condamnation à mort, Manfred, déclara-t-il, et l’interpellé fit un signe d’assentiment.

– Je me suis demandé si le vieil huissier n’allait pas se souvenir de moi, répondit-il, il a la réputation de ne jamais oublier aucun visage. La suppression de ma barbe a dû apparemment opérer un miracle, car j’ai eu l’audace de lui parler… Mais la voici.

La jeune femme se trouvait heureusement seule. Un joli minois ! pensa Gonsalez, le plus jeune des deux hommes. Elle tenait la tête haute et son visage n’offrait aucune trace de larmes. Elle marchait rapidement dans la direction de Newgate Street et ils la suivirent ; elle traversa en face d’Hatton Garden et ce fut alors que Manfred prit la parole :

– Je vous demande pardon, madame Stow…

Elle tourna la tête et dévisagea l’étranger avec méfiance :

– Si vous êtes un reporter… commença-t-elle.

– Non, et je ne suis pas non plus un ami de votre mari, interrompit Manfred en souriant, bien qu’il me soit venu d’abord la pensée de vous mentir à cet égard pour trouver un prétexte à vous aborder.

Sa franchise eut le don de l’intéresser.

– Je n’ai pas envie de parler du terrible malheur qui vient de s’abattre sur le pauvre Jeffrey, dit-elle, j’ai besoin uniquement de rester seule.

– Je comprends cela, prononça-t-il avec sympathie, mais je ne demande qu’à devenir un ami de votre mari et peut-être pourrai-je lui venir en aide. L’histoire qu’il a racontée était vraie, n’est-ce pas aussi votre avis, Léon ?

Gonsalez approuva :

– Elle est incontestablement vraie. J’ai examiné en particulier ses paupières. Lorsqu’un homme ment, il cligne de l’œil à chaque affirmation mensongère. Avez-vous observé, mon cher George, que si les hommes ne peuvent mentir les mains fermées, les femmes au contraire serrent les leurs lorsqu’elles mentent ?

Elle regarda Gonsalez avec stupéfaction. Elle n’était guère disposée à entendre disserter sur la physiologie de l’expression et eût-elle même su que Léon Gonsalez avait écrit trois gros ouvrages qui, avec ceux de Lombroso ou de Mantegazza, comptent parmi les meilleurs du monde, qu’elle n’eût pas éprouvé davantage le désir de l’entendre.

– La vérité, madame Stow, déclara Manfred en percevant sa nouvelle détresse, est que nous croyons pouvoir rendre la liberté à votre mari et prouver son innocence. Mais nous avons besoin de rassembler tous les détails pouvant se rattacher à l’affaire.

Son hésitation fut courte :

– J’habite un meublé à Grays Inn Road, dit-elle, peut-être aurez-vous la bonté de venir avec moi.

« Mon avocat ne pense pas qu’il y ait intérêt à interjeter appel contre la condamnation, continua-t-elle tandis qu’ils prenaient place à ses côtés. »

Manfred secoua la tête.

– La Cour d’appel confirmerait la sentence, dit-il tranquillement. Avec les témoignages que vous apportez il n’y a aucune possibilité d’obtenir l’élargissement de votre mari.

Elle le regarda d’un air consterné et il s’aperçut alors qu’elle était bien près de pleurer.

– Je croyais… que vous disiez… commença-t-elle d’une voix quelque peu tremblante.

Manfred fit un signe de la tête.

– Nous connaissons Stedland et…

– Fait curieux : chez les maîtres-chanteurs, l’occiput est à peine visible, interrompit Gonsalez pensivement. Dans les prisons espagnoles j’ai examiné soixante-deux têtes, dont la protubérance occipitale n’était guère plus prononcée qu’une saillie osseuse. Chez les assassins l’occiput se révèle aussi proéminent qu’un œuf de pigeon.

– Mon ami fait autorité en matière de craniologie, remarqua Manfred en souriant. Oui, nous connaissons Stedland : nous avons eu vent à plusieurs reprises de ses opérations. Vous vous rappelez l’affaire Wellingford, Léon ?

Gonsalez acquiesça d’un geste.

– Vous êtes alors détectives ? demanda la jeune femme.

Manfred rit doucement.

– Non, nous ne sommes point détectives, nous nous intéressons à l’étude du « crime ». Nous avons collectionné, je pense, les documents les plus complets sur les criminels impunis qui se puissent trouver au monde !

Ils firent quelques pas en silence.

– Stedland est un être nuisible, reprit Gonsalez, comme sous l’empire d’une conviction soudaine. Avez-vous observé ses oreilles ? D’une longueur anormale, elles ont l’ourlet extérieur pointu : le tubercule de Darwin, Manfred. Et avez-vous remarqué, mon cher ami, que la racine de l’hélix divise la conque en deux cavités distinctes, avec adhérence du lobe ? Une véritable oreille de criminel. Cet homme a commis un meurtre : il est impossible de posséder une telle oreille sans être assassin.

____________

Le logement où elle les reçut était petit et misérablement meublé. Jetant un coup d’œil autour de la minuscule salle à manger, Manfred nota les signes indiscutables auxquels se reconnaît un « garni ».

La jeune femme, après s’être retirée dans sa chambre pour ôter son chapeau, revint s’asseoir auprès de la table devant laquelle sur son invitation ils s’étaient eux-mêmes assis.

– Je me rends compte de mon incorrection, dit-elle avec un sourire bien timide, mais je suis persuadée que vous avez réellement l’intention de m’aider et j’éprouve la sensation curieuse que vous en avez la possibilité ! La police n’a point fait montre d’hostilité ni de mauvaise foi envers moi et le pauvre Jeff : ils nous ont été très secourables au contraire. J’imagine qu’ils soupçonnaient M. Stedland d’être un maître-chanteur et qu’ils espéraient que nous pourrions en fournir la preuve. Faute de cette dernière, ils n’avaient plus qu’à pousser l’accusation. Que vous dirai-je à présent ?

– L’histoire qui n’a pas été racontée devant le Tribunal, répliqua Manfred.

Elle demeura un moment silencieuse.

– Je m’en vais vous la dire, fit-elle enfin. Seul l’avocat de mon mari la connaît et j’ai idée qu’il était sceptique sur la véridicité. Et s’il est sceptique, ajouta-t-elle avec désespoir, comment pourrai-je arriver à vous convaincre ?

Les yeux pénétrants de Gonsalez étaient fixés sur les siens et ce fut lui qui répondit :

– Nous sommes déjà convaincus, madame Stow, et Manfred approuva.

De nouveau il y eut un arrêt. Elle éprouvait évidemment une certaine répugnance à entreprendre un récit qui, Manfred le devinait, pouvait tourner à sa confusion, ce qui fut précisément le cas.

– Lorsque j’étais plus jeune, commença-t-elle simplement, je me trouvais en pension dans le Sussex dans une grande école de filles qui comptait, je crois, plus de deux cents élèves. Je ne vais excuser aucun de mes actes, ajouta-t-elle vivement. Je tombai amoureuse d’un garçon : un garçon boucher, ma foi !… Cela semble abominable, n’est-ce pas ? Mais j’étais, vous comprenez, une enfant, une enfant très impressionnable. – oh ! je sais que cela semble horrible ; mais j’avais coutume de le rencontrer dans le jardin après la prière ; il sautait le mur pour ces rendez-vous et nous bavardions inlassablement, parfois durant une heure. Rien de plus en cette aventure qu’une simple idylle entre un garçon et une fillette, et je ne saurais expliquer au juste pourquoi je commis une telle folie.

– Mantegazza explique tout cela des plus aisément dans son Étude de l’Attraction, murmura Léon Gonsalez. Mais excusez-moi de vous avoir interrompue.

– C’était donc une amitié d’enfants, véritable culte de ma part, car j’en faisais une sorte de héros ; ce dut être d’ailleurs le plus gentil des garçons bouchers, fit-elle avec un nouveau sourire, il ne m’offensa jamais par l’ombre d’une parole. Cette amitié prit fin au bout d’un mois ou deux et l’aventure en serait restée là si je n’avais commis la sottise d’écrire des lettres : lettres d’amour d’une stupidité bien ordinaire et parfaitement innocentes – ou du moins me semblaient-elles ainsi à l’époque. Aujourd’hui lorsque je les relis avec plus d’expérience, elles me coupent la respiration !

– Vous les avez, alors ? dit Manfred.

Elle secoua la tête.

– Quand je disais « les », je voulais dire « une » et encore n’en ai-je qu’une copie qui m’a été fournie par M. Stedland. La seule lettre n’ayant pas été détruite est tombée entre les mains de la mère du garçon qui la remit à la directrice ; et il en résulta une scène terrible : elle me menaça d’écrire à mes parents qui se trouvaient aux Indes ; mais sur ma promesse solennelle de couper court à cette liaison, l’affaire n’alla pas plus loin… J’ignore comment la lettre parvint aux mains de Stedland ; en fait, je n’avais jamais entendu parler de cet homme jusqu’à la semaine qui précéda mon mariage avec Jeff. Jeff avait économisé environ deux mille livres et nous envisagions le jour où serait célébré notre mariage quand la catastrophe survint. Une lettre dont le signataire – totalement inconnu ! – me priait d’aller le voir à son bureau, telle fut la façon dont j’entrai pour la première fois en relation avec cet odieux individu. Quel pouvait bien être le motif de cette convocation ? Ma curiosité n’allait pas tarder à être satisfaite ! Conformément à ses instructions, j’emportai sa lettre et me rendis du côté de Regent Street dans le petit bureau où il m’avait donné rendez-vous ; et là, après lui avoir remis sa lettre qu’il rangea soigneusement, j’eus bientôt l’explication fort claire de sa conduite !

Manfred hocha la tête.

– Il avait l’intention de vous vendre la lettre, déclara-t-il. Combien exigeait-il ?

– Deux mille livres ! Et voyez sa combinaison diabolique, ajouta la jeune femme avec véhémence. Il connaissait à un penny près le montant des économies de Jeff !

– Vous montra-t-il la lettre ?

Elle secoua la tête.

– Non, il m’en montra une reproduction photographique dont la lecture me glaça le sang, car je me rendais compte de tout ce qui pouvait être échafaudé sur une missive aussi parfaitement innocente. Que faire, sinon tout raconter à Jeff, puisque cet homme m’avait menacée d’en envoyer des fac-similé à tous nos amis et à l’oncle de Jeffrey qui avait désigné son neveu pour son seul héritier ? J’avais déjà raconté à Jeffrey tout ce qui s’était passé à l’école, grâce au ciel, ne craignant donc point ses soupçons. Jeff alla trouver M. Stedland et une scène orageuse se déroula probablement entre eux ; mais Stedland, malgré son âge est un homme très robuste et au cours de la lutte qui s’ensuivit, le pauvre Jeff eut le dessous. En fin de compte Jeffrey convint d’acheter la lettre deux mille livres à condition que Stedland en signerait le reçu sur un feuillet blanc de la lettre elle-même. Cela équivalait à la perte de toutes ses économies et à l’ajournement possible de notre mariage ; mais Jeffrey n’eut aucune hésitation sur la conduite à tenir. M. Stedland habite une grande maison près de Clapham Common…

– 184, Park View West, interrompit Manfred.

– Vous êtes donc au courant ? dit-elle avec surprise. Eh bien, c’était dans cette maison que Jeffrey devait venir exécuter le marché. M. Stedland, qui vit en la compagnie d’un seul serviteur, ouvrit lui-même la porte et conduisit Jeffrey au premier étage où il avait son cabinet. Mon mari, sans vouloir discuter inutilement, paya la somme demandée, selon les instructions de Stedland, en billets américains…

– Dont il est naturellement plus difficile de suivre la trace, expliqua Manfred.

– Une fois payé, Stedland sortit la lettre, écrivit le reçu sur la page blanche, et après avoir séché l’encre, la mit sous enveloppe et la tendit à mon mari. À son retour, Jeffrey en ouvrant l’enveloppe s’aperçut qu’elle contenait seulement une simple feuille de-papier blanc !

– Il l’avait roulé, dit Manfred.

– Ce fut l’expression même de Jeffrey, répondit la jeune femme. Jeffrey prit alors la décision de commettre cet acte de folie. Vous avez entendu parler des « Quatre Justiciers » ?

– J’en ai entendu parler, répliqua gravement Manfred.

– Mon mari a une grande foi en leurs méthodes et les admire beaucoup également, reprit-elle. Il a lu, je pense, tout ce qui a jamais été écrit sur leur compte. Une nuit, deux jours après notre mariage (car j’avais insisté pour l’épouser immédiatement), il vint vers moi :

– Grace, déclara-t-il, je m’en vais appliquer la méthode des Quatre à ce démon de Stedland.

Il m’exposa son plan. Ayant apparemment surveillé la maison, il savait qu’à l’exception du serviteur, l’homme dormait seul dans la maison et il avait conçu le moyen d’y pénétrer. Pauvre chéri, quel médiocre cambrioleur ! Mais vous avez entendu aujourd’hui exposer la façon dont il réussit à se faufiler dans la chambre de Stedland. Il espérait, je pense, effrayer l’homme avec son revolver.

Manfred secoua la tête.

– Stedland a conquis le titre de tireur d’élite en Afrique du Sud, dit-il tranquillement. C’est l’homme le plus sûr de son coup que je connaisse. Sans doute tint-il votre mari à sa merci avant que ce dernier eût pu seulement atteindre sa poche !

Elle fit un signe d’assentiment.

– Voilà l’histoire, conclut-elle simplement. Si vous pouvez venir en aide à Jeff, je prierai pour vous toute ma vie !

Manfred se leva lentement.

– Quelle folle tentative ! s’exclama-t-il. En premier lieu Stedland ne se soucierait point de conserver un document aussi compromettant dans sa maison alors qu’il la quitte six heures par jour. Il pourrait même l’avoir détruit, mais ce serait plutôt invraisemblable : préférant sans doute conserver la lettre pour un usage ultérieur, ce maître-chanteur avisé a dû envisager le moyen d’en tirer encore de l’argent. Si donc elle existe…

– Si elle existe… répéta-t-elle, tandis que ses lèvres tremblantes trahissaient la réaction intérieure.

– … Je la remettrai entre vos mains d’ici une semaine, et sur cette promesse Manfred la quitta.

____________

C’est avec la satisfaction toute relative d’être sorti par la grand’porte que M. Noé Stedland avait quitté le Tribunal cet après-midi-là. Peu accessible à l’effroi, il n’était pas insensible aux impressions ; le ton des termes soigneusement pesés, employés par le juge lui avait semblé impliquer un blâme à son adresse. Sa sensibilité se bornait à enregistrer ce fait ; possesseur d’une fortune rondelette, il l’avait édifiée par morceaux – singulièrement gros parfois – en déployant des qualités que n’entravaient certes point la conscience ou le remords ; facteurs beaucoup trop impondérables ! Pour cet homme de haute taille, aux larges épaules et à la figure grise, la vie n’était qu’un jeu, dont Jeffrey Stow, contre lequel il ne nourrissait aucun ressentiment, se trouvait être le perdant.

Aussi songeait-il avec le plus grand calme à Stow qui, sous le costume du détenu, allait endurer des années de souffrances au fond d’une prison ; et cette vision mentale lui suggérait uniquement l’émotion du joueur qui considère avec une parfaite égalité d’âme la ruine de son adversaire…

Ayant regagné sa maison à façade étroite, il referma à double tour la porte derrière lui et, par un escalier pauvrement tapissé, grimpa jusqu’à son cabinet. Les fantômes de tous ceux dont il avait naufragé l’existence auraient dû se presser dans la pièce ; mais M. Stedland ne croyait pas aux fantômes. Après avoir frotté son doigt le long d’une table d’acajou et dûment constaté son état poussiéreux, il s’allongea sur sa chaise, un gros cigare entre ses dents aurifiées et il essaya alors de définir l’étrange sensation qu’il avait éprouvée au Tribunal ; ni le juge, ni l’attitude de l’avocat de la défense, ni même la perspective possible d’être blâmé par le monde n’étaient responsables de sa perturbation mentale ! Ce n’était certes pas non plus le sort du prisonnier, ni celui de la femme au visage pâle de ce dernier… Mais toujours est-il qu’il avait jeté malgré lui un regard inquiet par-dessus son épaule !

Il resta une demi-heure à fumer, puis la sonnette ayant tinté, il descendit l’escalier pour aller ouvrir la porte :

– Entrez Jope, dit-il en la refermant derrière le visiteur.

L’homme ainsi interpellé était sa créature et lui servait à la fois d’intendant et de commissionnaire.

– Descendez à la cave et remontez-moi une bouteille de whisky.

– Comment avez-vous trouvé ma déposition, patron ? demanda le sycophante avec un sourire affecté.

– Pas fameuse, grogna Stedland. Que diable vouliez-vous dire en déclarant que vous m’aviez entendu appeler au secours ?

– Je croyais, patron, faire tourner les choses un peu plus à son désavantage, répondit humblement Jope.

– Au secours ! ricana M. Stedland. Croyez-vous donc que j’aurais appelé au secours un gaillard de votre espèce ? Vous seriez, ma foi, bon à grand’chose ! Apportez-moi ce whisky !

Lorsque l’homme remonta avec une bouteille et un siphon, M. Stedland regardait pensivement par la fenêtre du côté d’un jardin étroit et mal entretenu que limitait un grand mur. Au delà, se trouvait un terrain sur lequel on avait entrepris la construction d’un petit bâtiment destiné à la fabrication des fusées, mais l’armistice était venu mettre fin aux fabrications d’État et depuis lors il faisait la désolation de M. Stedland à qui appartenait le terrain.

– Jope, demanda-t-il en se détournant tout à coup, aucune de nos connaissances ne se trouvait au tribunal, n’est-ce pas ?

– Non, M. Stedland, déclara l’homme en s’arrêtant surpris. Il n’y avait personne que je connaisse, sauf l’inspecteur…

– Laissez donc l’inspecteur, interrompit M. Stedland avec impatience. Il s’agit bien de ces gens-là ! Je voulais dire quelqu’un ayant des griefs contre nous ?

– Non, M. Stedland. Et quelle importance cela aurait-il eu ? demanda le valeureux Jope. Je crois que nous sommes de force à lutter contre n’importe lequel !

– Depuis combien de temps sommes-nous associés ? s’enquit Stedland, d’un ton désagréable, tout en se versant une rasade de whisky.

L’autre fit une grimace et laissa paraître un sourire conciliant.

– Voilà maintenant un certain temps que nous sommes ensemble, M. Stedland, répondit-il.

Stedland fit claquer ses lèvres et regarda de nouveau par la fenêtre.

– Oui, reprit-il au bout d’un instant, nous sommes ensemble depuis longtemps. En fait, vous auriez presque terminé votre peine, si j’avais été raconter à la police il y a sept ans ce que je savais sur votre compte.

L’homme tressaillit et changea de conversation. Un peu de réflexion lui eût fait comprendre que les sept ans de réclusion avaient été commués par Stedland en une servitude à vie, mais M. Jope ne voyait pas si loin !

– Rien pour la banque aujourd’hui, monsieur, demanda-t-il.

– Ne soyez donc pas si stupide, dit Stedland, la banque ferme à trois heures. Jope, fit-il en se tournant vers l’autre, vous coucherez dorénavant dans la cuisine.

– Dans la cuisine, monsieur ? répéta le serviteur étonné et Stedland fit un signe d’assentiment.

– Je ne veux plus courir le risque d’une visite nocturne, expliqua-t-il. Ce gaillard est arrivé sur moi à l’improviste et m’aurait abattu si je n’avais eu une arme sous la main. La cuisine est la seule pièce par où l’on peut pénétrer de l’extérieur et j’ai le pressentiment que quelque chose pourrait arriver.

– Mais il est en prison…

– Je ne parle pas de lui, grogna Stedland. Mettez votre lit dans la cuisine, avez-vous compris ?

– Il y a des courants d’air… commença Jope.

– Mettez votre lit dans la cuisine, rugit Stedland en lançant des regards enflammés sur l’homme.

– Certainement monsieur, s’empressa d’affirmer Jope.

Une fois seul, Stedland quitta son costume pour revêtir un vieux complet d’alpaga ; puis il ouvrit le coffre-fort d’où il tira un livre : c’était le relevé de son compte en banque dont l’étude lui était particulièrement douce. M. Stedland rêvait d’un rancho dans l’Amérique du Sud et d’une vie de bien-être et de tranquillité. Douze années d’un labeur acharné l’avaient rendu relativement riche ; il avait travaillé avec circonspection et patience, exploitant le chantage d’une manière tout à fait commerciale. Ses fonds étaient déposés dans l’une des meilleures banques privées, celle de sir William Molbury and C° Limited. La banque Molbury était réputée dans la Cité pour la discrétion et même le mystère qui entouraient les affaires de ses clients, circonstance convenant admirablement à M. Stedland qui pouvait avoir besoin de liquider son avoir dans un très court espace de temps.

La soirée et la nuit s’écoulèrent sans incident fâcheux, mais le lendemain matin, M. Jope en servant le thé à son maître, conta d’une voix un peu enrouée les tribulations que lui avait values une nuit glaciale.

– Couvrez-vous davantage, énonça brièvement Stedland.

Après avoir déjeuné, il partit pour son bureau de la Cité, laissant M. Jope diriger les opérations de la femme de ménage, aux yeux de laquelle il était chargé de faire ressortir plus spécialement les gages élevés qui lui étaient attribués, en même temps que la surabondance de bonnes servantes sur le marché et les déplorables suites pouvant résulter pour elle du mauvais entretien du cabinet de M. Stedland !

Vers onze heures ce matin-là, vint se présenter un gentleman respectable en chapeau de soie, apparemment d’un certain âge : M. Jope l’interviewa sur le palier.

– Je viens de l’agence de location de coffres-forts, déclara le visiteur.

– Quelle agence de location de coffres-forts ? demanda avec méfiance M. Jope.

– Celle de Fetter Lane, répliqua l’autre. Nous voudrions savoir si vous avez laissé vos clefs la dernière fois que vous êtes venu ?

Jope secoua la tête.

– Nous n’avons aucun coffre-fort en location, dit-il avec assurance et le patron n’est pas homme à laisser ses clefs !

– Alors j’ai dû me tromper de maison, fit en souriant le gentleman. N’est-ce point celle de M. Smithson ?

– Non, ce n’est pas ici, et Jope d’une manière peu gracieuse referma la porte au nez de l’importun.

Le visiteur après avoir fait quelques pas alla rejoindre un autre homme qui se tenait au coin de la rue.

– Ils n’ont pas de coffre-fort en location, Manfred, dit-il.

– Cela m’aurait d’ailleurs étonné, fit le plus grand. En fait j’étais presque certain qu’il devait garder tous ses papiers à la banque. Vous avez vu Jope, l’homme en question, je suppose ?

– Oui, répondit Gonsalez d’un air rêveur. Un visage intéressant : menton faible, mais oreilles tout à fait normales ; les os frontaux présentent une inclinaison irrégulière en arrière et la tête, autant que j’aie pu l’examiner, est nettement oxycéphale.

– Pauvre Jope, dit Manfred sans sourire. Et maintenant, Léon, nous allons consacrer, vous et moi, toute notre attention au temps : il nous arrive du golfe de Gascogne un anticyclone dont les effets se font déjà sentir à Eastbourne. S’il gagne Londres nous aurons d’ici trois jours de bonnes nouvelles pour Mme Stow.

– Je suppose, dit Gonsalez tandis qu’ils regagnaient leurs quartiers de Jermyn Street, je suppose qu’il est impossible d’attaquer ce gaillard ?

Manfred secoua la tête.

– Je ne désire pas mourir, affirma-t-il, et c’est certainement ce qui m’arriverait, car Noé Stedland est vraiment trop bon tireur !

La prophétie de Manfred s’accomplit deux jours plus tard lorsque Londres ressentit les effets de l’anticyclone et qu’un mince brouillard jaune tomba sur la ville ; il se leva l’après-midi à la grande satisfaction de Manfred, sans paraître vouloir se dissiper avant la tombée de la nuit.

Le bureau de M. Stedland, sis dans Regent Street, était petit mais confortablement meublé. Sur la porte vitrée on pouvait lire l’inscription magique : « Prêt d’argent », car Stedland exerçait ouvertement le profitable métier d’usurier ; et les découvertes de l’usurier Stedland étaient exploitées par le maître-chanteur Stedland, si bien qu’il n’était pas rare à M. Stedland de prêter à intérêt très élevé de l’argent destiné à sa propre poche. De cette manière, il pouvait tenir doublement ses victimes…

Cet après-midi-là vers deux heures et demie, son commis lui annonça un visiteur.

– Homme ou femme ?

– Un homme, monsieur, répondit le commis. Je crois qu’il vient de la banque Molbury.

– Le connaissez-vous ? demanda Stedland.

– Non, monsieur, mais il est déjà venu hier pendant votre absence demander si vous aviez reçu le bordereau de la banque.

M. Stedland prit un cigare dans une boîte sur la table et l’alluma.

– Faites-le entrer, ordonna-t-il, s’attendant simplement à apprendre qu’un de ses clients avait émis un chèque sans provision.

L’homme ainsi introduit paraissait en proie à la plus vive agitation ; il referma la porte derrière lui et resta debout en tortillant nerveusement son chapeau entre ses doigts.

– Asseyez-vous, dit Stedland. Prenez un cigare, monsieur…

– Curtis, monsieur, expliqua l’autre d’une voix rauque. Merci, monsieur, je ne fume pas.

– Que désirez-vous ? demanda Stedland.

– Je voudrais avoir quelques minutes d’entretien avec vous, monsieur, mais confidentiellement… Et il jeta un regard d’appréhension du côté de la cloison vitrée qui séparait le bureau de M. Stedland de l’étroit réduit où travaillaient ses commis.

– Ne craignez rien, répondit plaisamment Stedland. Cette cloison ne laisse filtrer aucun bruit. Quel ennui avez-vous ?

Il pressentait un embarras d’argent temporaire ; et un employé de banque dans l’embarras pouvait devenir plus tard un précieux auxiliaire !

– Je ne sais vraiment de quelle façon commencer, M. Stedland, balbutia l’homme en s’asseyant sur le rebord d’une chaise. C’est une histoire terrible, terrible… et son visage se contracta.

Stedland était familiarisé avec ces « terribles » histoires ; quelquefois le visiteur, sous le coup de poursuites, voulait cacher sa situation à ses patrons… ou bien la confession était plus sérieuse : argent perdu au jeu et tentative désespérée de la dernière heure pour combler un déficit financier…

– Contez-moi cela, fit-il. Il ne faut pas vous gêner avec moi !

Mais c’était là vanterie un peu prématurée.

– Il s’agit de mon frère John Curtis, caissier depuis vingt ans, monsieur, reprit nerveusement l’homme. J’ignorais totalement au milieu de quelles difficultés il se débattait, mais il jouait à la Bourse et vient seulement de tout m’avouer. Son sort m’afflige terriblement, monsieur, je crains le suicide, tellement ses nerfs sont détraqués !

– Mais qu’a-t-il donc fait ? demanda Stedland avec impatience.

– Il a volé la banque, monsieur, répondit l’homme d’une voix étouffée. Deux ans plus tôt, cela aurait pu s’arranger, mais maintenant que les affaires marchent si mal et que nous avons tant de peine à établir un bilan plausible, je frémis en songeant à ce qui va se passer !

– Combien a-t-il volé à la banque ? demanda vivement Stedland.

– Cent cinquante mille livres.

La réponse fit bondir Stedland :

– Cent cinquante mille livres ? répéta-t-il, incrédule.

– Oui, monsieur. J’avais pensé que vous pourriez intervenir en sa faveur ; vous êtes l’un des clients dont on fait le plus de cas à la banque !

– Intervenir en sa faveur ! s’exclama Stedland. Mais il reprit soudain son sang-froid : envisageant la situation avec promptitude, il en supputa immédiatement toutes les conséquences.

Il regarda l’horloge : elle marquait trois heures moins le quart.

– Y a-t-il à la banque une personne quelconque au courant ?

– Pas encore, monsieur, mais je considère comme mon devoir d’aller raconter la tragique histoire au directeur général. Après la fermeture de la banque cet après-midi, j’irai lui demander un entretien particulier et…

– Retournez-vous à la banque à présent ? demanda Stedland.

– Oui, monsieur, répondit l’homme avec surprise.

– Écoutez-moi, mon ami.

Le visage gris de Stedland se tendit davantage. Tirant son portefeuille, il en sortit deux billets.

– Voici deux billets de cinquante livres, dit-il. Prenez-les et rentrez chez vous.

– Mais je suis obligé d’aller à la banque, monsieur. Ils s’étonneront…

– Ne vous occupez pas de leur étonnement, interrompit Stedland. Vous aurez une fort bonne excuse quand la vérité sera connue. Acceptez-vous ?

L’homme prit l’argent à contre-cœur.

– Je ne sais pas tout à fait ce que vous…

– Ne vous occupez pas de ce que je veux faire, coupa net Stedland. Contentez-vous de fermer la bouche et de rentrer chez vous. Comprenez-vous l’anglais ?

– Oui, monsieur, fit Curtis en tremblant.