La maison des hommes bleus - Bernard Glietsch - E-Book

La maison des hommes bleus E-Book

Bernard Glietsch

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Beschreibung

Olivier, le mari de Sophia, disparaît pendant quatre jours, laissant sa femme seule avec leurs deux jeunes enfants. Lorsqu’il réapparaît, il est profondément changé. Virginie, la meilleure amie de Sophia, décide de mener l’enquête qui la conduit à Genève, où Olivier travaille. Elle découvre des éléments intrigants liant une bande dessinée, deux villes – Annecy et Genève – et deux lacs – Annecy et Léman –. Virginie assemble les pièces du puzzle, mais tout converge vers un seul endroit : "La maison des hommes bleus ". Ce lieu cache un terrible secret susceptible de bouleverser la vie en apparence tranquille de cette famille.

À PROPOS DE L'AUTEUR 

Entre le théâtre, la musique et la lecture, Bernard Glietsch garde permanent son contact avec l’univers de la créativité. Sa plume s’affûte pour nous guider dans des voyages à travers les diversités de la France.

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Bernard Glietsch

La maison des hommes bleus

Roman

© Lys Bleu Éditions – Bernard Glietsch

ISBN : 979-10-422-2242-0

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À mon fils, Matthieu,

Installé sur les bords du lac

À la ville d’Annecy, perle de beauté des Alpes

À mes souvenirs d’enfance

Il vautmieuxsuivre le bon chemin en boitant que le mauvais d’un pas ferme.

Saint Augustin

Annecy, mardi 10 novembre 2015, 17 h 30

Sophia vient de fermer le portail de son école, après avoir corrigé les copies de ses élèves de CE1. Elle ne devait pas traîner, c’était l’heure de pointe, et ses enfants l’attendaient avec impatience chez leur nounou. Elle tourna la clé de contact de sa petite citadineblanche et démarra en trombe. À cette heure-ci à Annecy la circulation commençait à se densifier, et même si elle connaissait quelques raccourcis, elle n’était jamais certaine d’arriver à l’heure, et elle avait horreur de faire attendre les gens. Chacun avait ses obligations dans la vie, alors il fallait respecter les autres, ne pas leur imposer tes propres contraintes, ils en avaient assez avec les leurs.

Sophia arriva vers les 18 h dans son quartier résidentiel du Vieil Annecy. Par bonheur elle avait trouvé une nounou sérieuse dans son quartier, non loin de son propre immeuble. Et de plus ses deux garçons de 4 et 2 ans se sentaient bien chez elle, ils ne rechignaient jamais pour y aller. Faut dire qu’elle avait de l’expérience et bénéficiait d’une très bonne réputation.

— Alors Mme Duval, lui dit la nounou en voyant débouler la mère son cartable sur l’épaule, la journée s’est bien passée ?

— Comme d’habitude, Noémie, c’est toujours la course contre la montre. Mais bon les gamins étaient plutôt sympas aujourd’hui, on est en début de semaine, on verra dans quel état ils seront vendredi… sinon Christopher et Nathan…

— Vos garçons sont des crèmes, Mme Duval, si tous les enfants que j’ai en garde étaient aussi agréables, ce serait le bonheur.

— Vous ne croyez pas que vous exagérez un peu, Noémie ?

— Non, je suis sincère ! Et intelligents en plus de ça…

— Je sens que vous allez me demander quelque chose, ça ne devrait pas tarder, dit Sophia en riant.

Les deux bambins apparurent en bondissant de la salle de jeu.

— Maman, maman… crièrent-ils en se jetant dans les bras de leur mère. Elle les serra très fort contre elle.

— Vous avez été sages aujourd’hui j’espère, bande de chenapans.

Ils ne répondirent rien. Ils étaient toujours sages !

— Allons les garçons, il ne faut pas trop traîner, je dois vous passer à la douche et puis après, le repas.

— Encore la douche, objecta Christopher le grand, mais je sens bon tu ne trouves pas. Et il colla sa joue à celle de sa mère.

— Allez chercher vos affaires dans la salle de jeu, on s’en va.

— Tu m’aides à mettre mes souliers, maman, demanda le plus jeune.

— Laissez, Mme Duval, je m’en charge, proposa la nounou toujours disponible.

— Nan, je veux maman, insista Nathan.

Sophia remercia Noémie et mit ses chaussures au petit. Elle savait à quel point ce premier contact avec les garçons était précieux après toute une journée de séparation.

— On y va maintenant les garçons, papa ne devrait pas tarder à rentrer, je préfère être à la maison lorsqu’il arrive.

— Papa est à la maison ce soir, se réjouit Christopher ! Chouette, il pourra me raconter une histoire avant de dormir !

— Oui papa mange avec nous ce soir, et il dort à la maison. Il ne retourne au travail que jeudi. Du coup il va pouvoir mercredi vous emmener en balade autour du lac.

— Chouette ! reprit Christopher, on pourra prendre le vélo ?

— Le vélo, répondit sa mère, à condition qu’il ne pleuve pas.

Sophia salua chaleureusement la nounou, en lui souhaitant un bon mercredi, jour de repos pour elle aussi.

Arrivée devant son immeuble de standing, avec son parking sécurisé, Sophia se dirigea avec ses deux garçons vers l’entrée. Elle tapa son code pour y pénétrer et au passage fit un tour à la boîte aux lettres pour voir s’il y avait du courrier. Rien.

Elle pénétra dans l’ascenseur et appuya sur le chiffre 4.

Devant la porte de son appartement, elle fouilla dans son cartable pour y trouver ses clés.

En poussant enfin la porte d’entrée, les deux gamins se précipitèrent comme des furies vers leur chambre.

— N’espérez pas que vous allez échapper à la douche, vous deux ! Je vous laisse 10 minutes pour jouer, pas plus!

Annecy, mardi 10 novembre 2015, 19 h 30

Les enfants étaient fin prêts pour passer à table. Sophia avait dressé le couvert sur la table ronde placée au milieu de la salle à manger, séparée de la cuisine par un petit claustra décoratif. Aux enfants elle avait réchauffé quelques coquillettes avec des dés de jambon.

— À table, les garçons, c’est l’heure.

Les deux enfants commencèrent à manger calmement. Sophia s’installa avec eux et regarda sa montre au poignet. Un cadeau d’Olivier pour la dernière saint Valentin. Son mari avait toujours de tendres attentions à son égard.

— Dis maman, l’interpella Christopher, tu as dit que papa serait avec nous pour manger ce soir.

— Ne t’inquiète pas, mon chéri, je suis sûre qu’il ne va pas tarder. Il a une longue route depuis son travail à Genève.

— C’est où Genève ? demanda Nathan, le plus jeune.

— En Suisse, chaton. Il faut passer entre les montagnes pour y aller.

— Entre les montagnes, s’étonna Nathan. Il resta dubitatif. Son père devait être un super héros pour pouvoir ainsi pousser les montagnes. Mais au fond il n’en doutait pas.

Sophia se leva et se dirigea vers la porte-fenêtre qui offrait une vue plongeante sur le parking de l’immeuble. Pas de voiture en vue.

— C’est étonnant, songea-t-elle, Olivier n’est jamais en retard, surtout qu’il s’est engagé à partager le repas avec les garçons. J’espère qu’il ne lui est rien arrivé. En même temps, se dit-elle pour se rassurer, il m’aurait déjà appelée en cas de souci. Bon, il faut que je me calme. Je ne dois pas inquiéter les garçons. Il va bien finir par arriver.

Annecy, mardi 10 novembre 2015, 20 h 15

Nathan s’était presque immédiatement endormi, une fois la couette posée sur son petit corps épuisé par une longue journée à la crèche et chez la nounou. Il n’avait que deux ans.

Christopher avait plus de mal à entrer dans le sommeil. L’absence de son père le préoccupait visiblement.

— Il est où papa ? dis, maman… il m’avait promis de me raconter mon histoire préférée.

— Veux-tu que je te la raconte ? dit-elle afin de détourner son attention et calmer son inquiétude.

— Je préfère quand c’est papa…

— Je te promets de faire un effort pour la raconter aussi bien que lui.

— OK, d’accord, consentit le jeune garçon. Tiens, voici la bande dessinée. Et il tira l’album caché sous son oreiller.

— Tiens, une bande dessinée, pensa Sophia. Je ne l’avais jamais vue. Olivier a dû la lui rapporter de Genève sans m’en parler.

Sophia regarda la couverture et fut surprise par le titre.

« La maison des hommes bleus. »

De quoi s’agissait-il au fait ? Elle feuilleta les premières pages et fut étonnée de découvrir un album du genre « super héros à l’américaine » des années cinquante, Marvell, Superman, Spiderman et compagnie. Olivier aurait-il offert un de ses anciens albums d’enfance à son fils ? Fort probable.

— Bon, maman, s’impatienta Christopher, tu me la racontes ?

Certes, mais comment raconter à un gamin de quatre ans, une histoire se découpant en bulles et planches de dessins multicolores ? Elle n’avait encore jamais pratiqué cet exercice. Elle s’y employa au mieux, en lisant les textes dans les bulles et en montrant les images correspondantes à son fils.

Christopher ne cessait de poser des questions, comme tous les enfants de cet âge, ou à interrompre la lecture pour faire des commentaires, montrant ainsi qu’en fait il connaissait déjà très bien l’histoire. Les enfants adorent qu’on leur raconte toujours la même histoire ou le même conte, cela les rassure et leur permet de retrouver à chaque fois la même sensation agréable ou le frisson éprouvés la première fois. Finalement, Christopher aurait très bien pu raconter l’histoire à sa mère, s’il avait su lire.

Au bout de quelques pages, Christopher, manifestement satisfait, commença à montrer des signes de fatigue.

— Bon mon chéri, je vais éteindre la lumière et te laisser t’endormir doucement.

— Non, maman…

— Quoi mon chéri…

— Je ne veux pas que tu éteignes la lumière.

— D’accord, je vais laisser la lumière, le temps que tu t’endormes.

— Maman…

— Oui, Christopher…

— Tu me réveilles quand papa arrive ?

— Bien sûr, lui promit-elle en lui caressant les cheveux. Mais ferme les yeux à présent, si tu veux être en forme demain pour faire du vélo.

Elle quitta la chambre du garçon en laissant la porte entrouverte.

Annecy, mardi 10 novembre 2015, 20 h 30

Assise dans son canapé bleu foncé style vintage, Sophia se faisait un sang d’encre. Elle sirotait en fumant une Marlboro, le verre de whisky qu’elle s’était servi. Régulièrement elle allait sur la terrasse donnant sur le parking pour contrôler les allées et venues. Mais pas de signe d’Olivier. Tout était calme, comme le temps, sans vent, sans pluie, sans Olivier. Mais pourquoi diable n’appelait-il pas ? Et si son téléphone était déchargé ? Oui, mais alors, il avait la possibilité de le recharger sur la prise USB de la voiture ! Sophia ne voulait pas céder à la panique, mais tout de même, cela ne lui ressemblait pas du tout, mais vraiment pas. Elle commençait à craindre le pire.

— Je vais l’appeler, se dit-elle, et elle prit son portable en cours de chargement sur la table de travail de la cuisine.

Elle composa son numéro qu’elle connaissait par cœur. Au bout de trois sonneries, le téléphone de son mari se connecta.

« Le numéro que vous demandez n’est plus attribué… signal sonore… le numéro que vous demandez n’est plus attribué… »

Sophia regarda son téléphone sur lequel s’affichait le numéro qu’elle avait composé. Manifestement c’était bien celui d’Olivier ! Elle ne s’était pas trompée. Elle refit néanmoins une nouvelle tentative.

« Le numéro que vous demandez n’est plus attribué… signalsonore… le numéro que vous demandez n’est plus attribué… »

Sophia ne comprenait pas et finit par poser son portable sur la table de salon.

— Il lui est arrivé un accident, j’en suis sûre… voilà pourquoi il ne m’appelle pas.

Soudain le téléphone vibra. Elle le saisit brusquement, presque en colère, prête à dire à Olivier ce qu’elle avait sur le cœur. La laisser ainsi sans donner de nouvelles… !

— Sophia, dit la voix à l’autre bout, comment vas-tu ma chérie, c’est Virginie…

— Virginie… répondit-elle, désappointée.

— J’ai pensé qu’à cette heure tu devais être disponible, les garçons doivent dormir…

— Oui les garçons viennent de s’endormir…

— Je voulais te proposer une balade autour du lac demain après-midi, avec les garçons, à vélo, t’en penses quoi… bien sûr si la météo le permet.

Sur l’effet de la surprise, Sophia ne répondit rien, son esprit étant pris par d’autres préoccupations.

— Allo la terre, ici la lune, il y a quelqu’un, tenta Virginie qui attendait un peu plus d’enthousiasme de la part de son amie.

— Il n’est pas rentré à la maison… lâcha-t-elle malgré elle.

— De qui parles-tu Sophia ?

— Mais enfin je te parle d’Olivier. Il ne m’a toujours pas appelée. T’as vu l’heure, bon sang ! Et quand je l’appelle sur son portable, l’opérateur me dit que ce numéro n’est plus attribué !

— Oh, tu as dû te tromper de numéro, ce sont des choses qui arrivent.

— Je ne me suis pas trompée de numéro, Virginie. Il y a quelque chose qui cloche, je suis inquiète.

— Le numéro n’est plus attribué, reformula pensivement Virginie, mais c’est impossible voyons !

Annecy, mardi 10 novembre 2015, 21 h

On frappa à la porte. Sophia se dirigea vers l’entrée pour ouvrir. Virginie pénétra dans l’appartement et prit son amie dans les bras.

— Sophia, je suis là. Tu sais que tu peux compter sur moi.

— Oui, je le sais, Virginie, répondit-elle en poussant la porte d’entrée et en replaçant le loquet de sécurité.

Les deux femmes se dirigèrent vers le salon et s’installèrent face à face dans les fauteuils.

— Et si j’essayais à mon tour d’appeler Olivier, proposa Virginie.

— Tu peux toujours, dit Sophia avec lassitude.

« Le numéro que vous demandez n’est plus attribué… signal sonore… le numéro que vous demandez n’est plus attribué… »

— Bordel, il fait quoi ton bonhomme, éructa Virginie, il a changé de portable sans te prévenir ou quoi !

— Moins fort, dit Sophia en posant l’index sur la bouche, les enfants dorment…

— Merde j’oubliais…

— Ça se voit que tu n’as pas d’enfants à la maison…

— Comme ça vient de toi, je ne relève pas. Et c’est pas demain la veille que des enfants viendront grouiller dans mon salon ou entre mes jambes, à part les tiens bien sûr !

Sophia lui proposa un whisky avec des glaçons et en reprit un pour elle.

— On fait quoi maintenant ? demanda Sophia, en scrutant son amie dans les yeux.

— Que veux-tu qu’on fasse ? Attendre. Attendre que monsieur veuille bien rentrer. Il finira bien par rentrer. Tous les hommes finissent toujours par rentrer.

— Et s’il lui était arrivé quelque chose…

— Et bien on t’aurait déjà prévenue, non ?

— Et si je prévenais la police ?

— La police… Virginie se mit à rire…mais que veux-tu qu’ils fassent ? Ton mari est majeur et vacciné, enfin je crois, ils ne vont pas lancer un avis de recherche. Et puis il n’a que 3 heures de retard après tout. Il est peut-être retenu au boulot pour une affaire urgente à régler.

— Tu veux rire ! Je te rappelle qu’il travaille dans une compagnie d’assurance, et que la nuit les bureaux sont fermés ! Et Olivier n’est jamais en retard !

— Il n’était jamais en retard, précisa Virginie, jusqu’à aujourd’hui !

Virginie proposa à son amie de rester ce soir-là, elle dormirait dans le canapé. Ce n’était pas la première fois après tout.

— Je te remercie, Virginie, mais tu n’es pas obligée…

— Tais-toi, et dis-toi que je serai présente demain matin du coup, pour m’occuper de tes deux charmants chenapans.

— Ça, c’est sûr, dit Sophia plutôt rassurée. Quand Christopher et Nathan, en se levant, verront, affalée dans le canapé, leur tata Virginie, ils vont te faire la fête.

— C’est bien ce que je crains, mais c’est le prix à payer… d’être leur tata préférée !

— En même temps ils n’ont pas d’autre tata, ajouta Sophia en souriant.

Annecy, mercredi 11 novembre 2015, 2 h du matin

L’appartement était plongé dans le silence. Seul le lave-vaisselle émettait un son feutré dans la pénombre. Virginie ronflait par intermittence, enveloppée dans une couverture. Sophia avançait à pas feutrés vers l’évier pour se servir un verre d’eau fraîche. Elle ne parvenait pas à trouver le sommeil. Dehors le vent s’était levé, et des gouttes d’eau ruisselaient le long de la baie vitrée.

— Mais où donc est Olivier, songea-t-elle, et si j’essayais de le rappeler, on ne sait jamais…

Pour ne pas réveiller son amie dans le canapé, elle s’enferma dans les toilettes près de l’entrée.

« Le numéro que vous demandez n’est plus attribué, signal sonore, le numéro que vous demandez… »

Sophia en aurait pleuré. Elle se sentait si impuissante, si fragile, si seule…

Elle se recoucha, en ruminant ses pensées. Elle imaginait tous les scénarios possibles pouvant expliquer son retard. Mais au bout du compte aucun n’était satisfaisant, elle savait bien que cette situation était anormale. Qu’allait-elle découvrir en se levant tout à l’heure… les petits quant à eux dormaient profondément, au moins ça, c’était normal. Elle les aimait tellement. Comment allait-elle leur expliquer l’absence de leur père ?

Annecy, mercredi 11 novembre 2015, 8 h du matin

Dehors le temps s’était calmé, quelques nuages épars s’étiraient dans le ciel d’Annecy et semblaient vouloir se frotter contre les sommets entourant la ville. Sophia était sur la terrasse et fumait sa première clope du matin. Elle avait un peu froid, mais elle aimait cette fraîcheur matinale typique de la montagne. Avec Olivier ils avaient décidé de quitter leur Normandie natale pour aller s’exiler loin du climat océanique, loin de la fraîcheur perpétuelle, de l’humidité ambiante qui vous montait par les pieds et traversait tout votre corps. Olivier pensait que le climat plus sain de la montagne ne pouvait qu’être bénéfique aux enfants, et de plus il y avait la neige, la luge, les stations de ski à seulement quelques minutes, les balades autour du lac, l’impression d’être en vacances toute l’année… tu parles !

En attendant, « les vacances » prenaient plutôt la forme d’un cauchemar.

Olivier n’avait pas eu de difficulté à trouver un job à la hauteur de ses ambitions. Le seul inconvénient était la route à faire entre Annecy et Genève où se trouvait le siège de SwissLife, qui l’avait embauché en qualité de responsable du service patrimoine. Un boulot qui lui plaisait avec un bon salaire à l’appui, de quoi envisager avec sérénité l’avenir, acheter une ancienne maison savoyarde sur les bords du lac, pouvoir faire plaisir aux enfants, et ne pas s’inquiéter pour les fins de mois.

— Où es-tu Olivier, je t’en prie, fais-moi un signe, n’importe quoi, mais dis-moi ce qui se passe, se lamentait-elle en tirant sur sa cigarette.

— Maman… l’interrompit Christopher qui apparut en pyjama « Spiderman ». Il y a quelqu’un qui dort dans le canapé…

— Oui, chaton, je sais, le rassura-t-elle en écrasant sa cigarette dans le cendrier. C’est tata Virginie.

— Tata Virginie… ouai… et il bondit comme un cabri sur le canapé.

Il lui chatouilla la plante des pieds qui dépassait de la couverture.

— Au secours, dit Virginie qui émergea du sommeil, je suis attaquée par un piranha. Non, non, s’il te plaît, pas les pieds, pas les pieds…

Et le gamin se marrait à gorge déployée.

— Doucement Christopher, fais doucement avec tata Virginie, on peut encore avoir besoin d’elle.

— Très drôle, Sophia ! Tu ferais mieux de me faire couler un café bien fort, je sens que la journée va être rude pour moi.

Annecy, mercredi 11 novembre 2015, 9 h 30

— Maman, maman, dit Christopher, on peut aller faire du vélo avec tata Virginie, regarde dehors, il ne pleut pas.

— Oui, oui, ajouta Nathan qui avait fini d’avaler son bol de céréales au lait. On veut aller au lac. Dis maman, insista-t-il, on y va quand ?

— Soyez patients les garçons, laissez le temps à Virginie de s’apprêter. Et puis d’ailleurs, allez d’abord vous brosser les dents.

Ils ne se firent pas prier. Deux minutes après ils réapparurent dans la salle, prêts à sortir.

— Et vous comptez sortir ainsi, en pyjama…

Les deux garçons se regardèrent et se mirent à rire. Sophia les aida à se vêtir chaudement, il ne pleuvait peut-être pas, mais en novembre à Annecy il faisait déjà assez frais.

Sophia avait son idée en tête. Profiter de l’absence momentanée de ses enfants et de Virginie, pour appeler le bureau d’Olivier. À cette heure-ci elle aurait forcément quelqu’un au bout du fil.

— Bon dit Virginie, qui était enfin prête, je crois qu’on va y aller. En même temps, ai-je vraiment le choix ? Ils sont en train de m’arracher les bras tes deux monstres !

— Christopher, Nathan, conseilla fermement Sophia, vous obéissez à tata Virginie, vous gardez vos casques, et vous roulez l’un derrière l’autre. Si j’apprends que vous n’étiez pas sages, il n’y aura plus de sortie vélo, est-ce clair ?

Mais les gamins n’écoutaient déjà plus leur mère, ils s’étaient précipités à l’extérieur sur le palier.

— T’inquiète pas, ma chérie, je vais te les ramener en un morceau, promis Virginie, en revanche moi je n’sais pas comment tu vas me retrouver !

Une fois la porte refermée sur eux, Sophia se précipita sur le téléphone. Elle avait hâte de savoir. Elle composa le numéro du bureau de Genève. On décrocha rapidement.

— Bonjour, bienvenue au bureau de la société SwissLife de Genève. Que puis-je faire pour vous ?

— Bonjour, je suis Mme Duval…

— Ah, bonjour, Mme Duval, j’espère que vous allez bien. En quoi puis-je vous être utile ? demanda poliment l’hôtesse d’accueil.

— Pourrais-je parler à mon mari, s’il vous plaît ?

— Bien entendu, Mme Duval, je vous demande juste un instant. Merci.

À l’autre bout du combiné, une douce musique classique retentit langoureusement. Sophia avait en horreur ces notes répétitives qui avaient le pouvoir de lui taper sur les nerfs systématiquement.

— Madame Duval ? Merci de votre patience. Je viens de consulter l’agenda de Monsieur Duval. Il n’est pas à l’agence aujourd’hui, je suis désolée. Il a apparemment un rendez-vous extérieur.

Un rendez-vous extérieur…

— Non, je crois que vous faites erreur, objecta Sophia, Monsieur Duval m’a dit que je pouvais le joindre toute la journée au bureau. Auriez-vous l’amabilité de me relier à son poste.

— C’est comme vous voulez, Madame Duval, répondit un peu agacée l’hôtesse, je vais tenter de vous le passer.

Au bout de quelques instants, Sophia perçut la sonnerie stridente du téléphone du bureau d’Olivier. Mais personne ne décrocha. Elle fut redirigée vers l’accueil.

— Madame Duval ? Désolée, mais comme je vous le disais, il n’est pas à son bureau. D’ailleurs d’après son agenda… elle regarda son écran, il n’est jamais à son bureau le mercredi. C’est son jour de prospection auprès de la clientèle, manifestement.

Il n’est jamais à son bureau le mercredi…

Sophia raccrocha après avoir remercié l’hôtesse. Elle resta un instant, hébétée. Olivier ne lui avait jamais précisé qu’il n’était pas joignable le mercredi au bureau, bien au contraire.

« Chérie, si tu as besoin de me joindre, ou en cas de souci, n’hésite jamais à m’appeler, au bureau ou bien sur mon portable… », lui avait-il affirmé pour la rassurer quand elle avait appris qu’il ne rentrerait pas souvent dans la semaine.

« Oh tu sais, je me débrouille bien toute seule, avait-elle répondu, mais sans grande conviction. Et puis tu sais bien que je peux compter sur Virginie. D’autant qu’elle est disponible à plein temps, depuis qu’elle a pris son année sabbatique. »

Sophia se dirigea sur la terrasse, elle avait besoin de respirer, de prendre l’air. Son état de stress ne faisait qu’empirer depuis hier. « Quoi qu’en pense Virginie, je m’habille et je file à la gendarmerie. Il est arrivé quelque choseà Oliver, j’en suis certaine, se disait-elle. » Elle vit une voiture entrer dans le parking… Olivier… non ce n’était pas son mari, mais le voisin du dessus qui avait la même Mercedes noire que lui.

Arrivée au bas de l’immeuble, elle longea les commerces qui occupaient le rez-de-chaussée, traversa la chaussée et prit la direction de la gendarmerie, rue du pré de la salle.

Annecy, mercredi 11 novembre 2015, 10 h

Sophia sonna au portillon de la gendarmerie. Après un moment qui lui parut assez long, un répondeur grésilla à l’interphone.

« Bonjour, vous êtes en relation avec la gendarmerie nationale. Veuillez formuler votre demande. Merci. »

— Bonjour, je souhaiterais signaler une disparition.

Silence au bout de la ligne.

Le portillon se déverrouilla subitement, permettant à Sophia de pénétrer dans l’enceinte de la gendarmerie. Elle se présenta à la porte du bâtiment, verrouillée elle aussi. Un officier assez jeune et souriant l’invita à pénétrer dans le hall d’accueil, et referma la porte derrière lui. La sortie du bâtiment était contrôlée par l’officier, en appuyant sur un bouton pour libérer l’ouverture.

— Alors ma petite dame, dit l’officier en se plaçant derrière le comptoir, que puis-je faire pour vous ?

Sophia se demanda soudain si elle se trouvait bien dans une gendarmerie ou plutôt dans une boulangerie de quartier. Comment aborder la question qui la taraudait ?

— Mon mari a disparu depuis hier soir, déclara-t-elle sans détour.

L’officier la regarda, médusé. Ce n’était pas courant ce genre de déposition à Annecy. À Annecy on ne disparaissait pas, on se noyait dans le décor certes, on naviguait sur le lac, on faisait les 40 km autour du lac, on allait se baigner à Talloires peut-être, on dévalait les pentes abruptes en parapente, mais disparaître, non, pourquoi faire ? On était si bien ici entre lac et montagne, comme protégé de tout.

— Pouvez-vous préciser, Madame, ce que vous entendez par « disparu » ? Et puis pouvez-vous me donner votre identité pour commencer ?

Sophia s’interrogeait sur sa démarche. Avait-elle bien fait de venir ? On lui avait dit que s’adresser à la gendarmerie c’était quitte ou double ! On prenait le risque de devoir tout dévoiler sur soi, et surtout on avait la garantie de perdre le contrôle de la situation. Les gendarmes ne faisaient jamais les choses à moitié. Et si elle partait en courant pour aller rejoindre Christopher, Nathan et Virginie. Il faisait plutôt beau ce mercredi. Aller prendre l’air au bord du lac, marcher en flânant, avancer prudemment sur les pontons où étaient arrimés les petits bateaux des touristes. S’asseoir sur les planches, les pieds touchant presque l’eau, et regarder, oui, surtout regarder le spectacle.

Le lac était un spectacle permanent et grandiose, à toute heure de la journée, à toute saison de l’année. Un spectacle mouvant et changeant au gré des reflets des nuages ou du soleil, selon l’intensité de la pluie, selon la force des rayons du soleil, qui venaient en ricochet caresser les petites vagues à la surface de l’eau verte et translucide.

— Je m’appelle Sophia Duval. Mon mari Olivier Duval n’est pas rentré à son domicile hier soir. Et depuis je n’ai plus de nouvelles. Son téléphone ne répond plus. Il n’est pas à son bureau à Genève. Je suis très inquiète.

Le gendarme, qui n’avait pas lâché son sourire, la questionna sans transition.

— Votre mari et vous… je veux dire… vous vous entendez bien ?

— Je ne vois pas le rapport, trancha Sophia un peu trop fermement. Je ne suis pas venue vous trouver pour une consultation conjugale. Je voudrais que vous m’aidiez à retrouver mon mari.

— Quand lui avez-vous parlé la dernière fois ? continua le gendarme comme si Sophia ne lui avait rien dit.

— Eh bien… autant que je me souvienne, lundi matin, au moment de partir pour son travail.

— Et il est parti dans de bonnes dispositions ? Je veux dire, vous ne vous étiez pas disputés ? Ça arrive dans les couples !

— Pas dans le nôtre ! Olivier et moi on ne se dispute jamais, dit Sophia de plus en plus agacée.

— Parfois il vaut mieux une bonne dispute, ajouta le gendarme, rien que pour crever l’abcès, et après c’est reparti sur de meilleures bases. Vous voyez ce que je veux dire, madame…

Je vois surtout que t’es un pauvre con, pensa Sophia. Mais de quoi il se mêle celui-là !

— Bon, sinon, comment je dois procéder pour signaler une disparition ? continua Sophia, parce que vous voyez, on est mercredi, et mes enfants m’attendent.

— Il faudrait déjà qu’il y ait disparition, et jusqu’à preuve du contraire, votre mari est majeur, il est libre de se rendre où bon lui semble. Il faudrait que vous envisagiez toutes les hypothèses possibles…

— C’est-à-dire, rétorqua Sophia en soulevant d’un air soupçonneux les sourcils…

Le gendarme semblait un peu plus mal à l’aise à présent.

— Je suis gêné de vous dire cela, madame, mais vous devez envisager que… hum… votre mari ait fait, comment dire… une escapade…

— Une escapade… ah bien sûr, pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt. Je dois manquer terriblement d’imagination !

— Écoutez, Madame, lui dit-il avec condescendance, vous devriez rentrer chez vous avec vos enfants. Votre mari ne s’est pas absenté si longtemps, après tout. Il va finir par rentrer. J’en suis convaincu. Soyez patiente.

— Et s’il ne rentre pas, je fais quoi ? Je prends mes deux gamins et je file en escapade, moi aussi ?

— C’est vous qui voyez. En tous cas, n’hésitez pas à nous recontacter si nécessaire.

Sophia tourna les talons, en colère.

— Vous pouvez m’ouvrir, j’aimerais sortir… retrouver mon mari, dit-elle sarcastique.

— Bien entendu, ma petite dame. Allons, soyez courageuse, tout va s’arranger. J’en suis convaincu.

Si j’avais consulté un curé, songea Sophia, j’en serais au même point. Mais là j’ai la bénédiction en moins, et la connerie en plus !

Sophia avait besoin de reprendre son souffle. Cette situation commençait sérieusement à l’oppresser et les propos du gendarme ne l’avaient pas rassurée. Prétendre qu’Olivier pouvait avoir une aventure, c’était n’importe quoi. Elle connaissait parfaitement son mari et lui faisait pleinement confiance.

En marchant au bord du lac, elle triturait dans son esprit tous les scénarios possibles. L’accident était à écarter, les services de secours ou les flics l’auraient déjà prévenue. Inutile de faire le tour des hôpitaux. La panne de voiture aussi, Olivier aurait appelé, c’était certain. Mais alors quoi ? Un changement dans son planning professionnel, possible, mais alors pourquoi ne pas la prévenir la veille « Chéri je ne rentre pas ce soir, j’ai un contretemps… » Elle aurait compris, et ne l’aurait pas mal pris. Un vieil ami qu’il rencontre à Genève, contre toute attente, et avec lequel il décide de passer la soirée de mardi. Et alors ? Ce sont des choses qui arrivent, il avait bien le droit de revoir ses amis…

En s’arrêtant sur les bords d’une jetée, Sophia laissa son regard se noyer un instant dans le décor de montagne enveloppant le lac, avec ses crêtes blanches et ses flancs boisés. L’odeur de l’eau fraîche venait chatouiller ses narines et lui procurait un certain apaisement. Soudain elle se dit qu’en fait elle n’avait jamais rencontré un seul ami d’Olivier, ni avant ni depuis leur mariage. Et d’ailleurs pour la cérémonie il n’avait pas su trouver le moindre témoin. C’est l’ancien copain de Virginie qui avait accepté de jouer ce rôle. Elle se souvenait aussi la gêne d’Olivier lorsqu’elle lui avait proposé d’aller ensemble annoncer leurs fiançailles à ses parents.

« Mes parents sont partis, ils n’habitent plus la région.

— D’accord, Olivier, lui avait répondu Sophia, mais ils viendront bien pour ton mariage, il suffit de les prévenir par téléphone.

— Non, ils ne se déplaceront pas ! Ma vie ne les concerne plus, avait-il lâché.

— Mais enfin, ce sont tout de même tes parents…

— Non, leur vie ne me concerne plus. Ils m’ont laissé tomber à 18 ans, alors, qu’ils restent où ils sont, on se passera d’eux.

— Tu es dur avec ta famille, avait objecté Sophia.

— Je n’ai jamais eu de vraie famille. Ces gens m’ont accueilli à 12 ans, et m’ont élevé, c’est tout. C’était de braves gens, qui voulaient offrir un frère à leur propre fils du même âge. Et puis je me suis habitué à eux et eux à moi. Mais c’était pas une vraie famille, tu vois, avec de l’affection et tout ça, comme toi avec tes parents. On voit bien qu’ils t’aiment, eux. »

Mais Sophia avait la délicatesse de ne pas insister dans ces cas, Olivier finirait bien par lui ouvrir son cœur et à se confier à elle sur son passé, qui semblait douloureux et complexe. Elle l’aimait, un point c’est tout, et le reste ne comptait pas plus que cela. Il avait le droit de garder son jardin secret, on en avait tous, un jardin secret…

***

« Maman, maman, crièrent les garçons en courant vers leur mère.

Sophia émergea de ses pensées en les voyant débouler avec leurs vélos sur la jetée, suivis de Virginie qui semblait à bout de souffle.

— Doucement les garçons, n’allez pas plonger dans le lac tout habillés…

— Ils en seraient capables, figure-toi, répliqua Virginie en souriant.

Christopher et Nathan jetèrent sans ménagement leurs vélos à terre et se précipitèrent dans les bras de leur mère.

Comme je les aime ces deux-là, se dit-elle en les serrant contre elle, et comme ils lui ressemblent.

— Maman, on peut avoir une glace, demanda Christopher, qui ne perdait jamais le nord !

— Une glace, par ce temps, mais il fait bien trop frais…

— Une glace avec deux boules, chocolat, vanille, en voilà une bonne idée, lâcha imprudemment la tata.

— Virginie, dit Sophia en hochant la tête, tu es incorrigible !

— Youpi, une glace, oui, une glace, scandèrent en cœur les deux filous.

Sophia était coincée, comme souvent avec tata Virginie. Elle n’avait plus qu’à céder et à trouver les glaces en longeant l’allée en terre battue du lac.

Au loin des oiseaux glissaient sur l’eau transparente, avant de s’envoler en bandes vers les hauteurs, pour se noyer dans les nuées dévalant en cascade des montagnes escarpées.

Sophia avait toujours ressenti, dès son arrivée à Annecy, cette sensation apaisante, inexplicable, qui traversait son corps en longeant le lac. Comme si le lac et ses montagnes imprimaient en elle leur force issue des profondeurs et des hauteurs. Y avait-il ici, comme nulle part ailleurs, une magie émergeant des eaux, et qui s’insinuait dans chaque atome de vos cellules ?

Les garçons fonçaient devant, les deux femmes traînaient derrière, en se tenant par le bras.

— Ça va mieux, Sophia… ?

— Oui, ça va, ça va… répondit-elle les yeux dans le vide. Et il y eut un silence que Virginie ne voulait pas rompre.

— Tu crois qu’il reviendra quand ? reprit-elle. J’ai peur, Virginie, j’ai très peur.

— Tu n’as rien à craindre, je vais te le retrouver, ton Olivier ! Tu peux compter sur moi, affirma Virginie avec son assurance habituelle. Allons prendre les glaces et rentrons au chaud.

Les quatre formes avançaient en glissant sur l’allée couleur terre de Sienne, pour aller se confondre dans le vert émeraude des arbres, des roseaux et des vaguelettes léchant les embarcations arrimées sur toute la longueur de l’étendue liquide.

Annecy, mercredi 11 novembre 2015, 12 h

Sophia était affairée sur le plan de travail de sa cuisine, à couper les oignons qu’elle allait incorporer dans la viande de la Bolognaise qui mijotait sur le feu. Les garçons s’amusaient calmement, pour une fois, dans leur chambre, à construire leur pays de rêve en Lego et Play mobiles.

Virginie s’était servi un whisky avec des glaçons, le minimum après une sortie aussi sportive. Elle n’en avait rien à faire des calories, et ses rondeurs lui convenaient bien. Si les autres n’étaient pas contents, ils n’avaient qu’à détourner les yeux. Depuis qu’elle s’était à nouveau retrouvée seule, après une xième tentative de vie en couple, elle se désintéressait de son aspect physique.

« La beauté est intérieure, se disait-elle toujours. » Sans doute plus pour se rassurer que par conviction.

Christopher était sorti discrètement de la chambre pour se lover contre sa tata dans le canapé moelleux. Elle lui caressait les cheveux. Si elle avait eu un fils, elle l’aurait aimé comme lui. Tendre, affectueux, intelligent, perspicace et intuitif.

« Dis tata, tu crois toi, que les hommes bleus sortent de l’eau la nuit ?

— Hum… les hommes bleus… quels hommes bleus ? répondit évasivement Virginie en avalant une rasade de whisky.

— Ben tu sais, les hommes bleus, ceux qui vivent sous l’eau, dans le lac, parce qu’ils ne savent pas respirer dehors, sinon ils meurent.

— Ben je sais pas, moi, tu les as déjà vu au moins ces hommes bleus. S’ils sont sous l’eau, comment peux-tu les apercevoir ?

— Non, je les ai pas encore vus pour de vrai. Mais papa m’a dit qu’ils sont là sous l’eau, depuis longtemps. Et qu’ils attendent de se transformer pour sortir à l’air libre et se mélanger parmi nous.

Ce gamin a beaucoup trop d’imagination, songea Virginie. Cependant elle aimait bien entrer dans son jeu, parcourir avec lui son monde magique d’enfant.

— Ton papa t’a dit ça ? Et comment il le sait, lui ?

— Parce que c’est écrit dans son livre.

— Son livre, quel livre ?

— Ben tu sais, son livre qu’il m’a offert pour mon anniversaire, en cachette, souffla-t-il à l’oreille de sa tata, pour que ce soit une surprise, un secret entre lui et moi. Tiens, je vais te le montrer. »

Et Christopher se précipita en courant dans sa chambre. Il rapporta la bande dessinée.

Virginie la parcourut avec étonnement. Le style lui rappelait les comics américains des années 50.

— Tu vois là, dit le jeune garçon, en lui montrant une planche dessinée aux couleurs criardes, ils sont là les hommes bleus, ils dorment dans leur maison sous l’eau.

— Ah en effet, je vois… mais comment sont-ils arrivés là ?

— Ben ils viennent du ciel. Ils sont tombés dans le lac, et ils n’arrivent plus à remonter.

— Ben c’est sûr, ajouta Virginie qui continuait à jouer le jeu, leur machine a dû prendre l’eau…

— Mais non, tata, tu ne comprends rien, leur engin volant est fait pour se remplir d’eau, parce que les hommes bleus respirent sous l’eau, tu sais, comme les poissons !

— Ah bien sûr, suis-je bête ! S’ils sont sous l’eau, c’est qu’ils ont des branchies comme les poissons.

— C’est quoi des branchies ? Mais Christopher n’attendit pas la réponse et enchaîna. Les hommes bleus doivent rester sous l’eau, en attendant qu’ils se transforment lentement. Et lorsqu’ils sont transformés, ils peuvent remonter à la surface.

— Ah bon ? Et après ils font quoi ?

— Ben ils nous envahissent, voyons, dit-il comme s’il s’agissait d’une évidence !

— Ça suffit Christopher, coupa sa mère, cesse d’importuner tata avec tes histoires. Va te laver les mains, on passe à table ! Et dis à ton frère de venir.

Annecy, mercredi 11 novembre 2021, 13 h 30

Les enfants étaient couchés dans la chambre, c’était l’heure de la sieste. De toute façon Nathan ne tenait jamais longtemps après le repas et Christopher n’avait que 4 ans, il avait encore besoin d’un temps de repos avant de reprendre une activité l’après-midi, tout comme à l’école maternelle.

Sophia et Virginie étaient installées face à face dans les fauteuils du salon, Sophia à triturer le portable, comme si allait en surgir l’explication à l’absence d’Olivier, Virginie en train de siroter le café noir et brûlant.

— Au fait, tu as rencontré Olivier où ?

Sophia leva la tête de son portable, surprise par la question de son amie.

— Je crois te l’avoir déjà dit, non ?

— Non…

— On s’est rencontré à Rome. Je faisais un voyage scolaire avec ma classe de CM2 de Routot en Normandie. Il était dans le même hôtel que nous, nos regards se sont croisés dans l’ascenseur… je n’ai rien compris à ce qui m’arrivait… et puis je n’ai cessé de le croiser sur mon chemin avec les élèves, dans les musées, au Vatican, au Colisée…

— Comme s’il te suivait en quelque sorte…

— Oui en effet, dit Sophia en souriant, nos rencontres n’étaient pas dues au hasard, évidemment.

— Donc il te courait après ?

— Il galopait même, lança Sophia joyeusement. Mais au fait pourquoi me poses-tu cette question ?

— J’essaye de comprendre, c’est tout…

— Comment ça, comprendre ! s’exclama Sophia, soudain suspicieuse.

— J’essaye de comprendre, tenta d’expliquer Virginie, ce qui a cloché entre vous deux. Vous êtes le couple parfait, mariés, deux enfants, chacun avec une bonne situation professionnelle, vous semblez amoureux depuis le début, coup de foudre en Italie, retour en Normandie, fiançailles, mariage au bout d’un an de vie commune, des enfants dans la foulée, un projet de vie nouvelle à Annecy, un super boulot pour lui à Genève. Cela ressemble à un merveilleux conte de fées, tu ne trouves pas, c’est presque trop parfait !

Sophia regarda son amie avec consternation. Mais qu’est-ce qui lui prenait d’un coup ?

— Ce n’est pas parce que tu es incapable d’avoir une relation de couple stable qu’il faut jalouser les autres et leur prêter de mauvaises intentions, répondit avec agacement Sophia.

— Je ne jalouse personne Sophia, tu le sais très bien, voyons, et d’ailleurs pardonne-moi si je t’ai blessée. Je n’en avais pas l’intention ! Faut dire que ton revers, je l’ai pris en pleine face. Bien joué ! Pour avoir une relation stable, pour une fille aussi exigeante que moi, faudrait déjà que je trouve le prince charmant ! Et pour le moment, mes trouvailles n’étaient ni « charmants », encore moins « princes », si tu vois ce que je veux dire…

— Oui je vois ce que tu veux dire, répondit avec un peu plus de calme Sophia. Mais tout de même… qu’est-ce qui te laisse penser qu’entre Olivier et moi, quelque chose clocherait, comme tu dis ?

— J’en sais rien, ma chérie, juste une intuition. Faut dire que j’ai toujours eu du mal à cerner ton mari. Il est gentil, attentionné à ton égard, il porte un grand intérêt à vos enfants. Cependant, je le trouve distant, assez renfermé, très discret. On a du mal à savoir ce qu’il pense vraiment.

— C’est parce que tu le connais très mal. Il est tout sauf expansif, surtout avec les personnes extérieures à son cercle intime. Moi seule le connais vraiment.

— Donc je ne fais pas partie de son cercle intime… manifestement…

— Pourquoi en ferais-tu partie, tu ne vis pas avec lui ! Tu es mon amie certes, il t’apprécie, ne m’empêche pas de te voir…

— Il ne manquerait plus que ça !

— Tu as très bien compris ce que je veux te dire, Virginie. Olivier ne se livre pas facilement, même avec moi ça a pris du temps, j’ai dû être patiente et ne pas le brusquer.

— Oui je sais tout cela, sa famille d’accueil qui l’a abandonné à ses 18 ans, lui qui ne sait rien de ses parents biologiques, mais tout de même… connais-tu un seul de ses amis, ce n’est quand même pas possible qu’il n’ait jamais eu aucune relation avant de te rencontrer ! Un peu comme si sa vie commençait avec toi. Et avant il y avait quoi, le néant ?

— En quelque sorte, oui, tenta de justifier Sophia. Avant moi il n’existait pas. Toute sa vie se résume à ses enfants et à moi. Et ce n’est peut-être pas plus mal ainsi ! Nous pouvons construire nos rêves ensemble, sans contraintes, sans le poids du passé.

Virginie resta dubitative. Mon dieu, pensa-t-elle, que l’amour rend aveugle !

— À propos, reprit-elle sans transition, qui a eu l’idée de venir ici à Annecy ?

— Le premier à évoquer l’idée, c’était Olivier. Il connaissait la région, il m’avait dit avoir fait un séjour à l’adolescence, avec sa famille d’accueil. Apparemment il en était tombé amoureux, du lac.

— Du lac, comment ça ?

— Pour lui, me disait-il souvent, rien n’est plus magique que ce lac et ses environs. Il peut rester des heures assis au bord de l’eau à observer. C’est comme si les flots et leurs reflets l’hypnotisaient. Je me souviens même une fois, alors que nous sortions de la baignade avec les enfants à Talloires, je l’avais appelé, pour qu’il vienne m’aider à rhabiller les garçons. Il ne m’entendait pas, je me suis alors approchée de lui, ai posé ma main sur son épaule. Il a sursauté comme si je le sortais d’un rêve. Et après cet épisode, il m’avait paru absent toute la soirée qui a suivi.

— Absent ? C’est-à-dire ?

— Il était à côté de ses pompes, fatigué, maladroit dans ses gestes, la tête ailleurs.

— Et ça a duré longtemps ?

— Non, bien sûr, après une bonne nuit de sommeil, il était en pleine forme le lendemain.

Après quelques instants de silence, Virginie reprit leur échange.

— Sophia, je ne sais pas ce qui se passe, mais il faut qu’on sache où est Olivier, et ce qui lui est arrivé. Tu as bien appelé le bureau ?

— Évidemment, il n’y est pas et n’a aucun rendez-vous extérieur, d’après la secrétaire.

— Sophia, quand une personne disparaît, je ne vois qu’une solution…

— Et laquelle ? Parce que les flics n’en ont rien à fiche pour l’instant.

— M’autorises-tu à mener ma propre enquête ? suggéra Virginie.

— Tu n’es pas détective à ce que je sache…

— Non, en effet. Mais j’ai le temps, et je suis férue de polars, comme tu sais.

— Je ne vois pas le rapport avec tes lectures de hall de gare !

Virginie s’abstint de réagir aux propos de son amie.

— Je voudrais consulter l’ordinateur d’Olivier !

Sophia resta bouche bée.

Annecy, jeudi 12 novembre 2015, 19 h 10

Après de multiples tergiversations, Virginie avait obtenu l’accord de Sophia pour consulter l’ordinateur de son mari. Elle avait suggéré à son amie de rester auprès d’elle, afin qu’elle puisse reprendre le travail sans avoir à se soucier des aspects matériels. Virginie s’était proposé de conduire les enfants chez la nounou ce matin-là, et surtout de rester dans l’appartement au cas où Olivier déciderait de revenir à la maison, ce dont Virginie était persuadée. Elle n’imaginait pas d’autre alternative pour l’instant. Il devait avoir une aventure. En même temps, si un homme avait une relation extraconjugale, agirait-il de cette manière ? Il serait sans doute plus discret, inventerait une histoire à faire avaler à sa femme, pour ne pas éveiller de soupçon, en aucun cas il ne disparaîtrait ainsi du jour au lendemain. C’était la porte ouverte à toutes les interprétations possibles.

Lorsque Sophia revint à la maison, épuisée par une journée de travail à l’école, elle trouva Christopher et Nathan en train de faire les fous dans la baignoire, plongés dans un nuage de mousse.

Elle posa son cartable à l’entrée et alla les rejoindre dans la salle de bain.

— Vous avez été sages, aujourd’hui, mes petits amours ?

Christopher et Nathan se balançaient de la mousse dans le visage, en criant et en riant.

— Tata Virginie nous fait des crêpes au Nutella, lança Christopher…

— Oh oui, c’est trop bon, les crêpes au Nutella, confirma Nathan.

— En effet, c’est bien ce que je me disais en entrant, ça sent les crêpes au Nutella, répondit leur mère. Allons, les sauvages, fini la rigolade, sortez de là que je vous sèche.

Les garçons se régalèrent, bien entendu, et avalèrent les crêpes en se mettant du chocolat partout.

— Ça valait le coup que je les mette au bain, dit Virginie, t’as vu dans quel état ils sont !

— Bah, on leur passera une lavette sur le visage avant le brossage des dents, répondit Sophia.

Une fois les enfants couchés, et après l’histoire préférée de Christopher, Sophia rejoignit Virginie dans le salon.

— Je t’ai fait couler un café, ma chérie, lui dit Virginie.

— Je te remercie, dit Sophia en s’affalant dans le canapé.

Virginie s’installa à son tour dans le fauteuil en face d’elle.

— Heureusement que tu es là, je ne sais pas comment je ferais sans toi.

— Arrête, Sophia, ma place est auprès de toi, sinon à quoi servirait une amie ?

Sophia avait des cernes autour des yeux, fruit d’un manque de sommeil et du stress qui ne la quittait plus depuis mardi soir. À l’école elle avait pu un peu penser à autre chose qu’à Olivier. Mais à présent, de nouveau chez elle, son malaise reprenait le dessus. Son portable était posé sur la table basse en face d’elle, et elle hésitait à le saisir pour faire son numéro. Cependant, qu’allait-elle entendre sinon le perpétuel et lancinant message, le numéro que vous demandez n’est plus attribué…

— Les garçons ont-ils été sages ce soir ?

— Tes bambins sont les plus adorables qui existent. Tu en as de la chance de les avoir !

— Oui je sais, dit sombrement Sophia. Mais sans père que vont-ils devenir ?

Virginie se leva et s’assit à côté de son amie.

— Ne va pas te biler, comme ça, ton mari ne s’est pas envolé, et puis tu connais son attachement à ses garçons, il va revenir.

— Justement…

— Que veux-tu dire ?

— Justement, cela ne lui ressemble pas, jamais il n’aurait abandonné ses enfants, sa famille ! Je te dis qu’il lui est arrivé quelque chose.

— En attendant on n’en sait rien, Sophia, inutile d’en rajouter, essayons de procéder logiquement.

— Ah, car tu trouves quelque chose de logique dans ma situation, s’emporta Sophia ?

— Je n’en sais rien, si c’est logique ou pas, mais il nous faut réunir des indices. Et là, bingo, j’ai quelque chose pour toi ! Virginie se leva brusquement.

— Où vas-tu ?

— Te ramener l’ordinateur portable d’Olivier.

L’ordinateur d’Olivier. Sophia avait déjà oublié le projet de Virginie : fouiller dans l’ordinateur de son mari. Quand elle avait une idée en tête…

Virginie revint et posa l’ordinateur d’Olivier sur ses cuisses. Elle l’alluma. En attendant l’initialisation, elle s’adressa à Sophia.

— J’ai passé une bonne partie de la journée à chercher. Dans ses mails je n’ai rien trouvé d’intéressant, surtout des messages professionnels de sa boîte à Genève. Et beaucoup de pubs. Il devrait penser à nettoyer tout ça ou bien poser un filtre antipub. Et puis je me suis permis d’aller fouiller dans l’historique de navigation. Au début rien de particulier, des sites bancaires, de placements boursiers et d’analyse financière. Quelques recherches sur Annecy et sa région, sur l’immobilier en Haute-Savoie, des agences immobilières…

— Oui, c’est normal, la coupa Sophia, on cherche une vieille maison à retaper, de préférence au bord du lac, c’est le rêve d’Olivier.

— Bien entendu, ça, c’est normal. Mais attends ! Au bout d’un moment, je me suis aperçu que le week-end, Olivier se connectait toujours sur un même site. J’ai trouvé cela intéressant, alors j’ai poussé mes recherches. J’ai tenté de me connecter moi aussi sur ce site. Mais là, surprise ! Je n’ai jamais pu y accéder, il fallait disposer d’un identifiant spécifique.

— C’est-à-dire, interrogea Sophia avec appréhension ?

— Ça veut dire que les utilisateurs de ce site sont des personnes ayant un abonnement spécifique, ou du moins qu’ils ont en leur possession des codes secrets, interdisant à toute autre personne d’y accéder. Un site sécurisé.

— Oui et alors, je ne vois pas en quoi c’est un problème, objecta avec ferveur Sophia, moi aussi j’ai accès à des sites nécessitant des identifiants personnels. C’est monnaie courante de nos jours. Sinon c’est la porte ouverte à tous les piratages possibles, et l’accès libre à nos données confidentielles.

— Hum, la question n’est pas là, Sophia. C’est la nature du site qui m’a interpellée. C’est un site en russe.

— En russe… et en quoi cela te paraît-il étrange ? Olivier connaît peut-être le russe. Tu sais il a fait de grandes études.

— Certes, il a peut-être des bases en russe, cependant depuis quand s’intéresse-t-il à Teoriya NLO.

— À quoi…

— J’ai mis un traducteur, car tout le site est intégralement en russe. Teoriya NLO en français ça donne Aliens théories.

Les deux femmes se regardèrent. La réaction de Sophia surprit Virginie. Elle éclata de rire, tout simplement, comme si on lui avait raconté une bonne blague.

— Elle est bien bonne celle-là, dit Sophia presque soulagée, si c’est tout ce que tu as trouvé, j’ai bien peur que tu aies perdu ta journée. On n’est pas plus avancé avec ta révélation !

— Sans doute, Sophia, mais comment tu expliques qu’Olivier y passe ses nuits, souvent entre 1 h et 4 h du matin, alors que vous dormez tous à poings fermés. Et cela presque à chaque week-end.

— Écoute, Virginie, réagit un peu fermement Sophia, je trouve assez invraisemblable qu’Olivier puisse passer autant de temps sur un tel site. À ma connaissance Olivier ne s’intéresse pas du tout à ces histoires d’extraterrestres ou d’ovnis, on n’en a jamais parlé, il ne lit rien sur le sujet, comme certaines personnes friandes de surnaturel ou de fantastique. Olivier est un homme terre à terre, c’est un homme d’affaires, un commercial dans l’âme, il aime l’argent, c’est un matérialiste, pas un doux rêveur la tête dans les étoiles.

Virginie lui donna un aperçu de la page d’accueil du fameux site.

— Alors tu en penses quoi ?

— Mais que veux-tu que j’en pense ? Je n’y comprends rien, déjà, c’est en russe !

Virginie abattit le couvercle de l’ordinateur. Elle se leva pour se servir un whisky avec des glaçons.

— Je t’en sers un ?

— Non ! C’est d’une clope dont j’ai besoin. Je vais sur la terrasse…

Après un court instant, les deux amies se retrouvèrent à l’extérieur.

— J’adore ta terrasse, dit Virginie. Elle est grande et prend toute la longueur de l’appartement. Très agréable en été, je suppose…

— Oui. De plus elle est ombragée et située à l’ouest. On ne subit pas les fortes chaleurs en été.

Sophia tirait nerveusement sur sa cigarette, Virginie buvait son whisky tranquillement.

— Désolée, Sophia, reprit Virginie, je n’ai rien trouvé d’autre à nous mettre sous la dent. C’est l’unique piste, si toutefois on peut considérer cela comme une piste.

— Tu parles d’une piste, en effet. Comme si les extraterrestres allaient me ramener Olivier, dit-elle en écrasant sa clope avec dépit.

Pour Virginie tout cela n’était pas non plus d’une franche lisibilité, mais le fait était là. Olivier passait des heures à faire des recherches sur un site sécurisé et étranger de surcroît. Cela cachait forcément quelque chose, mais quoi ? Et selon sa femme il ne portait aucun intérêt à ces questions-là.

Encore une contradiction dans la personnalité d’Olivier, qui ne faisait qu’ajouter du mystère sur son profil psychologique. Sophia était-elle si certaine de connaître cet homme ? Néanmoins il fallait se garder de faire des rapprochements trop rapides. Il n’y avait sans doute aucun lien entre l’absence d’Olivier et ses visites numériques nocturnes.

— Mais que fais-tu, Sophia, l’interpella Virginie alors qu’elle voyait son amie accrochée à son téléphone portable ?

— J’appelle, ça ne se voit pas…

— Et je peux savoir qui tu appelles à cette heure-ci ?

Mais Sophia ne répondit pas. Bien sûr que Virginie le savait. À sa place qu’aurait-elle fait, sinon appeler, appeler toujours, appeler sans cesse, en espérant que quelqu’un finisse par décrocher à l’autre bout ?

Entends-tu ma voix t’appeler dans le désert ? Entends-tu mes pleurs, entends-tu ma douleur, ma colère ? Olivier, où es-tu, pourquoi me laisses-tu ? Qu’ai-je fait de mal pour mériter cela ? Si tu savais comme je te hais à ce moment. Reviens, je t’en supplie, je te pardonnerai tout, quoi que tu aies commis. Je suis malade, ton absence va me tuer. Mon cœur va imploser, reviens, nous t’aimons !

Virginie lui prit le téléphone des mains, tout en douceur, et appuya sur « off ».

Le numéro que vous demandez n’est plus attribué…

— Fait chier, hurla de rage Sophia, et elle s’écroula en pleurs dans les bras de son amie.

Annecy, vendredi 13 novembre 2015, 7 h 45

Avant de partir au boulot et de déposer les gamins chez Noémie la nounou, Sophia prit une décision qu’elle avait repoussée jusque-là. Appeler ses parents en Normandie pour les mettre au courant de la situation. C’était maintenant le quatrième jour sans nouvelles d’Olivier. Elle était au bout et ne voulait pas craquer devant ses enfants, elle avait besoin du soutien de ses parents.

« Allo maman ? C’est moi, Sophia…

— Oh tu sais je t’ai reconnue. Mais pourquoi m’appelles-tu si tôt ? Tu n’as pas classe aujourd’hui ? Les enfants sont malades ?

— Non, je pars à l’instant vers l’école. Je dépose Nathan et Christopher chez leur nounou.

— Mais que se passe-t-il ?

— Maman…

— Oui ma chérie…

— C’est Olivier…

— Quoi Olivier, s’inquiéta sa mère !

— Je ne sais pas comment te le dire…

— Il lui est arrivé quelque chose ?

— Je n’en sais rien… il a disparu depuis mardi soir !

Silence de plomb au bout de la ligne.

— Maman tu es là…

— Oui, oui, je suis là… je ne comprends pas de quoi tu parles Sophia.