La princesse du passé - Christophe Serres - E-Book

La princesse du passé E-Book

Christophe Serres

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Beschreibung

Après moult péripéties et rebondissements, la princesse Justine est enfin couronnée reine de Colbatie. Mais, encore une fois, elle qui croyait être partie pour un règne relativement paisible, va se voir entraînée dans des aventures où elle va faire des rencontres des plus improbables.

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Seitenzahl: 620

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Sommaire

Chapitre I

Chapitre II

Chapitre III

Chapitre IV

Chapitre V

Chapitre VI

Chapitre VII

Chapitre VIII

Chapitre IX

Chapitre X

Chapitre XI

Chapitre XII

Chapitre XIII

Chapitre XIV

Chapitre XV

Chapitre XVI

Chapitre XVII

Chapitre XVIII

Chapitre XIX

Chapitre XX

Chapitre XXI

Chapitre XXII

Chapitre XXIII

Chapitre XXIV

Chapitre XXV

Chapitre XXVI

Chapitre XXVII

Chapitre XXVIII

Chapitre XXIX

Chapitre XXX

Chapitre XXXI

Chapitre XXXII

Chapitre XXXIII

Chapitre XXXIV

Chapitre XXXV

Chapitre XXXVI

Chapitre XXXVII

Chapitre XXXVIII

Chapitre XXXIX

Chapitre XL

Chapitre XLI

Chapitre XLII

Chapitre XLIII

Chapitre XLIV

Chapitre XLV

Chapitre XLVI

Chapitre XLVII

Chapitre XLVIII

Chapitre XLIX

Chapitre L

Chapitre LI

Chapitre LII

Chapitre LIII

Chapitre LIV

Chapitre LV

Chapitre LVI

Chapitre LVII

Chapitre LVIII

Chapitre LIX

Chapitre LX

Chapitre LXI

Chapitre LXII

Chapitre LXIII

Chapitre LXIV

Chapitre LXV

I

Malgré ces, presque, deux semaines de deuil, ce début de règne ne fut pas de tout repos. Même si une nouvelle aventure ne lui était pas retombée dessus, Justine n’avait pas eu trop de temps pour elle. Elle n’avait même pas eu le temps de retourner interroger les esprits du tombeau. Pourtant, l’idée de le faire lui était souvent revenue. C’était décidé, aujourd’hui, elle irait. Sans fautes… Car, elle savait qu’après la fin du deuil, certaines choses allaient revenir à la normale, et il allait falloir, en plus, rattraper ce qui n’avait pas pu être fait pendant ces deux semaines.

- Il va falloir que je pense à déléguer… J’ai pas fini de courir et de me prendre la tête sinon...

Enfin, d’un autre côté, elle s’était plongée dans le travail suite au départ de ses invités, de ses parents, de la petite Marielle, mais aussi de Chloé, partie toutes les deux avec les Risaltes, et aussi d’Elios. Elle espérait, bien sûr, que tout le monde soit bien arrivé à destination, mais elle pensait surtout à son dragon, avec qui elle avait créé des liens d’amitié à un point qu’elle n’aurait pas imaginé quelques mois auparavant. Qu’il avait fait bonne route et que, si il n’était pas arrivé, qu’il n’en soit pas loin. Le jour de son départ, donc, le lendemain de quand elle lui avait signifié la fin de son serment, elle lui en avait voulu. Elle lui en avait voulu d’être parti de nuit, sans qu’elle puisse le voir une dernière fois. Mais, ça n’avait pas duré. Elle s’était maudite elle-même d’avoir pu lui en vouloir. Car, encore une fois, c’est lui qui avait eu raison. En partant de cette manière, il avait évité des adieux déchirants. Déjà que, la veille, ça n’avait pas été facile du tout... C’était un mal pour un bien en fait…

Elle se rendit dans la chambre du roi Fraysus. Il allait mieux, se levait un peu, mais, jusqu’à aujourd’hui, il n’avait pas encore eu l’autorisation d’aller plus loin de la part du médecin. Autant dire qu’il rongeait son frein. Certains de ceux qui l’avaient accompagné pour les cérémonies étaient repartis en Condori, afin d’informer ses conseillers de ce qui s’était passé, et de l’état de leur roi. Et, malgré la période de deuil, un messager avait tout de même été envoyé pour les tenir au courant de l’évolution de sa santé.

- Alors ? Prêt pour votre sortie ?

- Oui. Vous ne pouvez pas savoir à quel point ça me démange.

- Je ne sais pas, mais je peux imaginer. Des fois, j’aimerais pouvoir rester au lit une journée entière, mais je ne me vois pas y rester aussi longtemps, et pas plus rester enfermée dans une chambre. Si confortable soit-elle. Mais bon, promettez-moi d’y aller doucement. Vous n’êtes pas encore totalement remis.

- Ne vous inquiétez pas. Je n’ai pas l’idée de faire le tour de la cour en courant. Puis, de toute façon, vous serez avec moi pour me retenir si jamais il me prend de vouloir trop en faire.

- Dites-le de suite si je dois prévoir pour vous attacher, rigola-t-elle.

La remise sur pieds du roi n’avait pas été simple. Surtout moralement. Justine avait hésité à lui parler de son fils. Au bout de quelques jours, pour être sûre qu’il était bien conscient pour tout comprendre, elle avait fini par lui dire ce qu’elle savait. Il avait accusé le coup, mais on sentait bien que quelque chose s’était brisé en lui. Justine et le docteur eurent peur qu’il ne se laisse dépérir suite à cette nouvelle. En effet, Justine avait vu dans l’esprit du prince qu’il n’en était pas à son coup d’essai en la matière. Qu’il avait fait pas mal de victimes dans son pays, que ce soit en violant ou en tuant celles qui lui résistaient de trop. Et, parfois même, les deux. Dans un ordre, comme dans l’autre… Le roi n’en avait pas reparlé. Mais après quelque temps, il avait repris le dessus et c’était battu.

Et, pendant qu’ils atteignaient la cour du château, toujours sous la protection de gardes noirs, il prit la parole :

- D’habitude, je prends des décisions par moi-même. Même s’il m’arrive de demander ce qu’il en pense à mon conseiller principal. Mais là, je voudrais votre avis, car je ne sais pas quoi faire et parce que je sais que vous êtes sage.

- Merci pour le compliment. J’ai moins d’expérience que vous, mais demandez-moi. Si je peux vous aider, je le ferais avec joie.

- Voilà, j’avoue que je ne sais pas quoi faire de mon fils. En temps que père, c’est une décision très difficile à prendre. Alors, un avis extérieur me serait de la plus grande aide.

- Je vous comprends. Ce n’est vraiment pas simple comme situation…

- Ce serait un homme «normal», vu ce qu’il a fait ici, il resterait, au minimum, emprisonné à vie. La même personne, avec ce que vous m’avez dévoilé, chez nous, il serait exécuté sans hésitation. Mais, c’est mon fils. Jusque là, prince héritier du trône du Condori. Comme roi, je suis considéré comme quelqu’un de dur et d’exigeant, mais loyal et juste, par les habitants de mon pays. Donc, si les gens apprennent ce qui s’est passé, ce qui est par ailleurs sûrement déjà le cas, et que je ne fais rien, je prendrais un très gros risque. Et ce ne serait pas moral. Mais, je le répète, c’est mon fils… Donc, pour une fois, je suis un peu perdu et je n’ai pas la solution. J’ai même pensé à quitter le trône…

- Très complexe. Malheureusement, je ne sais trop que vous dire. Sauf de ne pas quitter votre trône, sauf, évidemment, si votre peuple ne veut plus de vous à leur tête. Ce qui, je le pense, serait dommage. Même si je ne connais rien du Condori et de sa situation. Ensuite, je pense que je ne peux pas vous dire si vous devez faire exécuter votre fils. Car, même si je n’ai pas d’enfant, je pense que ça doit être quelque chose de terriblement déchirant que de prendre une telle décision.

- Il y a bien un tribunal populaire en Condori. Mais, la question est : Est-ce que je peux me résoudre à cela ? Car je connais le verdict d’avance.

- Mais je pense que, quel que soit le verdict, vous vous y plierez. N’est-ce pas ?

- Oui, la mort dans l’âme. Quelle déception tout de même. Moi qui croyais avoir un fils digne de diriger le pays après ma disparition. Tant d’années de fierté et de certitudes qui s’effondrent comme un château de cartes.

- Malheureusement, je pense que c’est la meilleure solution. Car, d’après ce que j’ai vu, il ne pourra jamais revenir en arrière. Ou du moins, ne jamais guérir de cette perversité. Puis, allez savoir, peut-être qu’ils ne décideront que de le mettre en prison à vie. Parce que c’est le prince, justement. Ce qu’il ne faut pas, c’est une condamnation à l’exil. Car il continuerait ailleurs, et ferait un nombre incalculable de victimes.

- Et, justement, avez-vous pu voir combien de victimes il avait fait ?

- Pas vraiment. Je ne suis pas resté assez longtemps dans son esprit pour ça. Mais, de ce que j’ai eu le temps de voir, il y a, au minimum, une vingtaine de victimes, dont, au moins, une dizaine qu’il a tuées…

- Je ressens vraiment de la honte. Envers vous, envers mon peuple, mais aussi envers nos ancêtres. Mais, en tout cas, je vous remercie pour votre franchise et votre sollicitude.

- Ce n’est pas à vous d’avoir honte. Ce serait plus à lui de la ressentir. Mais je ne crois pas qu’il en soit capable. Je ne le connaissais pas avant, mais je pense qu’il a perdu le sens de l’importance de beaucoup de choses.

- Il faudra quand même que je le revoie. Même si je n’ai pas vos capacités. Par contre, on va rentrer, car j’avoue que je commence à fatiguer là.

Justine raccompagna le roi jusqu’à sa chambre. Ils parlèrent de leur pays respectif, et de leurs projets. Histoire de faire retomber un peu la pression en changeant de sujet. Même si elle savait que Fraysus continuerait à gamberger une fois qu’elle l’aurait laissé. Mais, de revoir le soleil et ce ciel bleu lui avait tout de même fait du bien.

Elle avait décidé de se laisser un peu de temps aujourd’hui. Et, pourquoi pas, même, sortir un peu avec Chronos. Étiquette oblige, elle serait obligée d’être accompagnée de soldats de la compagnie noire, mais déjà, sortir un peu d’ici lui ferait le plus grand bien à elle aussi. En attendant, une sorte d’épreuve l’attendait. Elle appréhendait un peu le fait de reparler avec la voix, ou l’esprit, qui lui avait parlé pendant la cérémonie d’inhumation de sa mère. Mais, elle n’avait que trop repoussé ce moment. Il était temps d’avoir enfin des réponses.

- Trëvor, si vous me cherchez, je vais dans le hall d’entrée du tombeau. Je vais discuter un peu… Promis, je viens vous raconter après. Enfin, si on me laisse ressortir…

Se trouvant devant la porte, Justine se demanda sur quoi elle allait tomber et qu’est-ce qui allait encore lui arriver d’étrange. Comme souvent, pour se donner du courage, elle respira un grand coup, pendant qu’elle ouvrait les portes qui donnaient sur le couloir en pente. Elle referma derrière elle. Malgré les flambeaux, l’atmosphère paraissait lourde.

- Je ne vais pas dire que j’ai l’impression de rentrer dans un tombeau, vu que c’est le cas…

Du coup, elle y rajouta un globe de lumière. Ce qui permit d’estomper certaines ombres qui n’étaient, pour le moins, pas très accueillantes, et qui, pour un esprit travaillant un tant soit peu, pourraient donner l’impression d’être épié à tout moment.

Arrivée dans la salle, elle y retrouva la grande pièce avec son autel et sa fresque faisant le tour complet des murs. Mais, être seule dans cet endroit était plutôt intimidant. Elle se serait presque attendue à voir rentrer des fantômes par la porte du tombeau en lui-même. Mais il n’en fut rien. Ce qui l’étonna presque après tout ce qui lui était arrivé dernièrement. Il y eut juste une voix qui se fit entendre dans son esprit. La même voix d’homme que pendant la cérémonie.

- Bonjour. Tu as fini par revenir.

- Bonjour. Oui. Je sais, j’y ai mis le temps, mais me voilà. Puis, il fallait bien que je vienne me recueillir sur la tombe de ma mère, un jour ou l’autre. Mais, on va dire que ce fut légèrement agité au château ces derniers jours.

- Oui, nous ne savons pas trop pourquoi, mais, nous avons senti que tu avais utilisé une grande quantité de pouvoirs, le lendemain de la cérémonie. Que s’est-il passé ?

- Vous pouvez sentir quand j’utilise mon pouvoir ?

- À proximité, oui.

- Mais, avant de vous dévoiler ce qui s’est passé, pouvez-vous me dire qui vous êtes ?

- Pour ma part, je suis maître Verdénim. Ou du moins, son esprit.

- Enchanté maître Verdénim. Mais, «maître», à quoi cela correspond-il ?

- C’est comme cela que l’on nommait les hauts magiciens à mon époque.

- Et, qu’elle était votre époque justement ? Il y a plus de huit cents ans si j’en crois les dire de dame Erwen.

- Effectivement. C’est moi qui ai présidé la dernière cérémonie comme celle que vous avez vécue. Et oui, j’atteste qu’elle était présente.

- Si je fais le calcul, vous avez aussi connu le magicien Gronvor ?

- Effectivement. Même maître Gronvor. Il a d’ailleurs été mon élève. Mais, comment connais-tu son nom ? Il est mort bien des années avant ta naissance.

- C’est le mien de maître, le haut magicien Mc-Hellon qui m’a parlé de lui. Il m’a dit que ça avait été le plus vieux des magiciens.

- Mc-Hellon… Oui, je l’ai déjà vu passer ici. Mais, il n’était pas présent la dernière fois.

- Si, il était là. Mais, comme tous les autres magiciens de haut rang, il n’a plus aucun pouvoir et doit garder l’apparence du corps qu’il utilise. Et ce, à cause de Sati.

- Cela fait une éternité que je n’avais pas entendu ce nom… C’était déjà une vraie plaie à mon époque. Donc, j’en déduis qu’il sévit toujours.

- Il ne risque plus, je l’ai tué…

- Là, je suis impressionné. Même si ça ne m’étonne qu’à moitié, vu que tu fais partie des nôtres.

- Oui, je suis magicienne de haut rang.

- Non. Tu n’es pas magicienne de haut rang. Tu es un maître. Tout comme nous.

- Que dites-vous là ? Ce n’est pas possible. On m’a dit que les maîtres avaient disparu il y a presque cinq cents ans. Je pense que vous êtes mieux placé que moi pour le savoir.

- Effectivement, ils ont disparu avec la baisse de pouvoirs de Gronvor. Car, au départ, il en était un. À vrai dire, il était même le dernier. Puis ses pouvoirs ont décliné. Sans que l’on sache pourquoi. Mais, tu es le premier vrai maître depuis presque cinq cents ans. Car, on a dû te dire que tu avais plus de pouvoirs que les magiciens de haut rang et tu as dû te rendre compte que tout te paraît inné. N’est-ce pas ?

- Heu… Oui…

- Et de toute façon, si tu n’avais pas été un maître, tu n’aurais pas réussi le rite de la cérémonie, car ce n’est pas nous qui avons guidé tous les gens qui étaient là... C’était toi et toi seule. D’où ta très grande fatigue après, car tu manques encore d’expérience et de pratique. Puis, dernière chose, si tu n’étais pas des nôtres, tu ne nous aurais pas entendus sans nous invoquer ou nous appeler. Pour preuve, tu es la première à nous entendre depuis plusieurs centaines d’années.

- Et vous êtes ici depuis tout ce temps ?

- Oui et non. Nous avons la possibilité d’observer certaines choses, mais, nous ne pouvons ni intervenir, ni dialoguer avec les vivants, en dehors de cette pièce.

- C’est à cause de ces textes sur les murs ? Et c’est de l’elfique si je ne me trompe.

- C’est tout à fait ça. Ces textes nous empêchent de sortir d’ici. Tu sais lire l’elfique ?

- Non, je ne sais pas le lire, mais à force de voir les prières qui sont sur les fourreaux de mes armes, je finis par le reconnaître. Elle écarta sa cape et désigna le fourreau de son sabre.

- Oh ! C’est toi qui les as ? Aussi bien les fourreaux que le sabre et l’épée sont apparus il y a bien longtemps. Même que je n’étais qu’un jeune magicien à l’époque. Même nous, nous ne savons pas trop comment les armes sont arrivées en Colbatie. Sûrement une histoire d’elfe. Car pareil, à une époque, les elfes étaient plus puissants que maintenant. Ils avaient des hauts prêtres et ils voyageaient dans tous les pays. Mais, ils ont toujours été aussi secrets.

- Par contre, pourquoi ont-ils créé ceci alors ? Quel intérêt avaient-ils à vous bloquer ici ?

- Nous ne le savons pas trop en fait. Mais c’est un peu comme une malédiction que les elfes nous auraient lancés. Peut-être que dame Erwen sait pourquoi.

- Peut-être qu’ils avaient peur que vos pouvoirs les gênent, même après votre mort...

- Va savoir. Mais, c’est bien raisonné. C’est une possibilité largement plausible. Mais vu qu’eux aussi ont décliné, le sort n’est pas près de pouvoir être levé.

- Pour ma part, après tout ce que vous m’avez raconté, je serais bien curieuse de savoir pourquoi les magiciens, tout comme les elfes, ont baissé de niveau depuis cette époque. Mais, comme je suis une tête de mule, je vais en jeter un mot à Trëvor, mais, surtout à dame Erwen et au roi Raonir quand je les recroiserais.

- Bravo à toi si tu arrives à avoir une réponse claire de la part des elfes. Car ils sont les champions pour noyer le poisson.

- Je pense que c’est effectivement le cas de dame Erwen. Pour ce qui est du roi Raonir, j’en suis moins sûr. Il a l’air plus «moderne» et plus ouvert qu’elle. Enfin, je ne les connais pas encore assez pour le savoir vraiment. Bon, je pense que je vais vous laisser. Je vais aller saluer ma mère, puis j’ai encore une multitude de choses à faire. Je vous saluerais en repassant dans l’autre sens.

Ce coup-ci, en traversant le tombeau, elle prit soin de jeter un coup d’œil aux sépultures de toutes celles et ceux qui l’avaient précédé. Par respect, elle lut les noms de chacun. Ils y en avaient qui étaient en couple, d’autres étaient seuls, comme sa mère, et il y avait aussi deux tombes d’enfants. Eux n’avaient, de toute évidence, pas eu le temps de régner, mais étaient princesse et prince. D’où leur présence dans ce lieu. Celle de la reine Khytis était la dix-neuvième. Donc, en toute logique, elle-même serait la vingtième à reposer en cet endroit. Cette pensée lui donna des frissons.

Justine s’arrêta devant la tombe de sa mère. Elle fixa cette dalle qu’elle avait fermée si maladroitement, quand, à bout de forces, elle l’avait laissée tomber dans le dernier centimètre. Heureusement, le couvercle était intact. Elle regarda la statue gravée sur ce dernier. Elle se surprit à penser que ceux qui viendraient là dans des temps futurs auraient l’impression de voir double en voyant la statue de sa mère et la sienne, vu leur ressemblance flagrante. Elle posa une main sur la dalle, comme pour créer un contact avec la reine défunte.

- Bonjour mère. Je suis désolée de ne pas être revenue plus tôt. Mais, le début de mon règne est un peu mouvementé pour que tout soit prêt pour la fin du deuil. J’espère que ce que nous avons prévu sera suffisant. Même si je suis consciente que ça n’aura jamais de fin.

Elle lui raconta tout ce qui s’était passé depuis son inhumation, et même un peu de ce qui s’était passé avant. Elle lui parlait comme on parle à une confidente. Elle ne savait pas si sa mère l’entendait, mais cela lui faisait du bien. Et, si elle l’entendait, Justine trouvait ça normal qu’elle soit au courant de ce qui se passait.

II

Il était enfin en vue de son pays, le Kwuna. Pendant tout le voyage, il s’était demandé si il avait fait le bon choix et ce qu’il allait retrouver après tant d’années d’absence. N’aurait-il pas dû faire ce même chemin quand la reine Khytis était partie en exil forcé chez les Risaltes ? Non, ça n’aurait pas été loyal envers elle. Mais, il se demanda même si ça avait été loyal envers sa famille de partir… N’avait-il pas rompu une sorte de contrat moral là aussi? Puis, si il n’était pas resté en Colbatie, il n’aurait pas connu la princesse Justine et n’aurait pas pu l’aider à reconquérir le trône volé à sa mère. C’était un peu confus dans sa tête. Mais il aurait bientôt des réponses à pas mal de ses questions.

Une fois passée la frontière, il savait pertinemment qu’il n’était pas encore arrivé. Il avait une grande partie du territoire à traverser, et ce dernier était presque aussi grand que la Colbatie, le Condori et la Liasine réunie. Au moins, il aurait l’occasion de voir dans quel état était son pays.

Il hésitait entre voler de jour ou de nuit, et a accélérer sa vitesse de vol, pour arriver au plus vite chez lui et parmi les siens et sa communauté. Malgré ses doutes, il était impatient. Mais, il suivit la voie de la sagesse. Il était parti d’Elliwan il y avait presque deux semaines, et il avait volé tous les jours. Donc, il allait se poser se reposer en attendant la nuit et voler à une vitesse relativement réduite. Il ne savait pas trop pourquoi, mais il se dit que ça pourrait servir de ne pas arriver à destination en étant trop diminué.

Au fur et à mesure des jours et de son avancée dans le pays, il vit que la guerre y avait fait rage. Plus il approchait du but, plus il voyait des villages détruits et même incendiés. De même pour d’énormes parties de forêt et de végétation. D’après son expérience, il savait que ce n’était pas des incendies «naturels». Ils avaient été provoqués par des dragons. Pourtant, la plupart des dragons de son espèce avaient élu domicile dans les montagnes, et cela depuis plusieurs dizaines de siècles. Alors, que s’était-il passé? D’autant plus que tout ce qu’il constatait n’avait pas l’air si vieux que ça.

Sa traversée du pays jusqu’aux montagnes de l’ouest fut relativement tranquille. «Relativement», car il avait quand même aperçu, de loin, des patrouilles humaines en dragons. Vu ce qu’il avait constaté, et ne sachant pas ce qui s’était passé, il avait pris soin de les éviter. Ce n’était pas la peine qu’il se fasse remarquer à peine rentré. Les montagnes, quant à elles, étaient comme dans ses souvenirs. Sauf qu’il se serait attendu à voir, au minimum, un ou deux de ses congénères dans les airs. Mais là, il n’en vit aucun. Cela arrivait à l’époque, mais c’était extrêmement rare. Il y en avait toujours qui chassaient, ou qui faisaient comme une sorte de tour de garde.

Plus il approchait de chez lui, plus il trouvait ça louche. Il n’entendait pas un bruit. Du moins, rien pouvant venir d’un dragon. Il entendait le vent, la nature, les animaux… Mais, rien d’autre. Pas un grognement, pas un souffle, pas un battement d’ailes…

Il finit par arriver à la grotte qui servait de refuge à sa famille. Il y faisait sombre, mais il vit très bien que c’était vide. Il n’y avait pas âme qui vive. Il y avait aussi des traces de lutte. Enfin, de combat même. Car, vu les traces, ça avait dû être assez violent. Elios commença vraiment à avoir peur pour ses proches. Où pouvaient-ils bien être après ça ? Quand cela s’était-il déroulé ? Il commença à se maudire de ne pas avoir été là quand ils avaient eu besoin de lui.

Mais, ce n’était pas le moment de se lamenter ou de se morfondre. Il ressortit et reprit son envol. Il fallait qu’il découvre ce qui se passait ici. Et pour cela, il allait faire tous les refuges qu’il connaissait. Il trouverait bien un congénère qui lui raconterait. Mais tous les refuges qu’il visitait, même les plus grands, étaient tous vides. Certains avec des traces de luttes, comme chez lui, plus ou moins violentes, avec même des entrées effondrées. Mais, vrai qu’a bien y regarder, il y avait aussi des traces de combat dans la montagne. Des arbres calcinés, cassés ou déracinés, des parois de roches arrachées et éboulées…

Ce n’était pas possible, il devait bien rester des dragons quelque part !! En dernier recours, il se décida à se rendre à une cache un peu plus au sud. Celle-ci avait été gardée en cas de péril et pour se cacher. L’entrée n’était pas comme celle de chez les Risaltes, ou comme celles du camp du nord-est, en Colbatie, protégée par une illusion. Mais pour la trouver, il fallait vraiment la connaître. Elle se trouvait au bout d’une sorte de labyrinthe entre des pics rocheux. Si personne ne s’y trouvait, ce serait vraiment qu’un énorme malheur était arrivé. Même si, dans l’état actuel des choses, ça ne sentait déjà pas très bon.

En arrivant en vue de l’entrée de la cache, il fut rassuré de voir qu’un dragon montait la garde. Il le connaissait. C’était un jeune, mais robuste, de cent cinquante ans, nommé Marcos. Si cette entrée était gardée, c’était, en toute logique, qu’il y avait du monde à l’intérieur.

- Oh !! Elios !! On ne pensait jamais te revoir !!

- Bonjour Marcos. J’avoue que je ne pensais pas rentrer si tôt. Mais, ce que j’ai vu, aussi bien en traversant le pays, qu’en arrivant ici, ne me plaît pas du tout...

- Dans ce cas, je pense que la suite va encore moins te plaire… Il y a le vieux Morlo à l’intérieur. Je pense qu’il te racontera tout…

- Merci Marcos. Mais, rassure-moi, il n’est pas seul.

- Non, même s’il n’y a pas grand monde, il n’est pas seul.

Elios rentra dans la caverne. Celle-ci aurait presque fait penser au camp du nord-est, ou, comme il avait entendu dire, Noriska. Sans les maisons et les aménagements. Un peu comme si l’endroit avait été creusé, mais, jamais habité. Cet endroit avait peut-être servi pour extraire de la roche. Mais, pourquoi le faire DANS la montagne ? Et dans un lieu aussi difficilement accessible ? Il y avait de grands mystères en Colbatie, mais, décidément, le Kwuna n’était vraiment pas en reste. Sans compter les guerres successives.

Sa vision s’adapta très rapidement à la pénombre des lieux. Au fur et à mesure qu’il avançait, il croisa surtout des femelles et des dragons âgés. Plus âgés que lui. Certains avaient l’air d’être étonnés de le voir, mais d’autres détournaient la tête. Il brûlait de leur demander pourquoi. À un moment, il repéra Morlo. Ce dernier était un vénérable dragon qui avait vécu bien des choses dans sa longue vie. Il était considéré, peut-être pas comme le chef des dragons du Kwuna, mais plutôt comme le sage à qui l’on venait demander conseil et approbation. Celui-ci avait un âge assez indéterminé, mais il devait bien avoir pas loin de trois cents ans de plus qu’Elios. Il se dirigea droit vers lui, tout en continuant à regarder dans tout les recoins de la caverne pour essayer d’y apercevoir sa compagne, son fils et sa fille. Mais, il ne les vit pas. Ce qui ne fit qu’augmenter son inquiétude.

- Bonjour mon brave Elios. Libéré de tes obligations auprès de la reine de Colbatie ?

- Bonjour vénérable Morlo. Oui, la reine Khytis n’est plus, et la nouvelle reine, sa fille, la reine Justine, a décidé de me libérer de mon serment juste après son couronnement. Disant que je méritais de retrouver mon pays et les miens.

- Elle a l’air d’avoir du cœur et d’être sage pour avoir fait ça. Mais, au fond de moi, même si j’ai plaisir à te revoir, je ne sais pas si tu as bien fait de revenir. Surtout en ce moment.

- J’ai vu l’état du pays en le traversant, j’ai vu toutes les cavernes vides, souvent, avec des traces de combats, et, enfin, je vous trouve ici. Que s’est-il passé ? Ou, que se passe-t-il encore ? Car je suppose que si vous êtes terrés ici, c’est que ce n’est pas fini. Sans parler du fait que je ne vois que des très jeunes, des femelles, des anciens et des blessés.

- Je trouve que tu as eu de la chance de traverser le pays sans te faire repérer. Même si je connais ta vitesse et ton intelligence…

- J’ai bien aperçu, de loin, des patrouilles de dragonniers. Mais j’ai tout fait pour ne pas m’en approcher et pour ne pas me faire voir.

- Ce qui est très sage de ta part mon cher Elios. Et, je vais te conter ce qui s’est passé. Ce qui est bien à l’opposé de ta sagesse et de la mienne. Il y a de cela quelques lunes, deux petits jeunes ont, d’après ce qu’un d’eux a bien voulu nous raconter, par jeux, voulu aller se mesurer à une patrouille de dragons impériaux. Malheureusement, le jeu a mal tourné, car les dragonniers se sont crus attaqués, et un des jeunes a péri. Leurs grands frères et sœurs ont décidé, sans nous concerter, d’aller venger ce petit.

S’il avait pu blêmir, c’est ce qu’aurait fait Elios. Il devinait très bien la suite des évènements, mais, par respect, il lassa le vieux Morlo continuer son récit.

- Comme tu dois t’en douter, car tu connais la puissance des dragons impériaux et de leurs mages, ce fut un carnage. Enfin, c’est ce que nous pensons. Aucun de ces jeunes n’étant revenus. Nous avons alors commencé à voir des vagues de dragons et de soldats venir dans les montagnes. À partir de ce moment, il a commencé par y avoir quelques altercations, plus ou moins violentes, puis, ce fut l’escalade… Chacun voulant venger ceux qui étaient tombés, blessés, ou qui se sentait injustement pris à partie. Sauf qu’à force, l’empereur a fini par envoyer toutes les troupes disponibles. Voyant cela, nous avons voulu commencer à faire venir ici certains des nôtres. Mais, les combats et la traque avaient déjà débuté. Nous supposons qu’ils avaient fait des repérages pour trouver tous nos refuges aussi vite.

- Et donc ? À mon tour de supposer. Je suppose que les nôtres ont été vaincus, et qu’il ne reste plus que ceux qui sont ici. Et, vu que je ne les ai pas vus, je pense que ma famille fait partie des victimes de cette boucherie…

- Malheureusement. Et je suis profondément peiné pour toi. D’après ce que je sais, Mélys s’est battue comme un diable pour protéger vos petits. Mais, ça n’a pas suffi. Elle a fini par tomber d’épuisement et fut donc tuée. Ils ont continué par ton jeune fils.

- Je vois… Dit un Elios avec ses deux grands yeux perdus dans le vide. Et Elyase ?

- Comme d’autres jeunes femelles, elle fut enchaînée et emmenée. Je pense qu’ils veulent les avoir pour faire des petits, en les croisant avec leurs dragons…

- Et tu sais ou ils les ont emmenées ?

- Sûrement à Kwunamé. Enfin, je pense, vu que c’est là qu’ils élèvent tous leurs dragons de combat.

En regardant Elios, Morlo vit une sorte de lumière s’allumer dans son regard.

- Elios, comme tu le sais, je t’ai pratiquement vu sortir de l’œuf. Je t’ai vu grandir, devenir le plus fort et l’un des plus sages d’entre nous. Donc, je sais ce que tu te dis. Tu te dis que tu aurais dû être là pour défendre ta famille. Mais, je pense que si tu avais été là, parmi nous, tout puissant que tu es, il y a de grandes chances que toi aussi tu serais mort, tout comme les autres. Et, je pense que si cette reine Justine t’a permis de nous revenir, et donc, a décidée qu’elle pouvait se passer de toi, c’est que tu as œuvré en bien dans ce pays où tu étais. Et ça, c’est tout à ton honneur. Tu n’as pas à t’en vouloir. Dis-toi que tu n’es pour rien dans tout ce qui s’est passé ici. Alors, ne fais pas de folies irréfléchies.

- Tu as sûrement raison. Excuse-moi, mais je vais aller prendre l’air… J’ai besoin de réfléchir, de respirer l’air frais de nos montagnes et de me reposer... Comme tu dis, il ne faut pas entreprendre de choses irréfléchies.

- Va mon grand. Et sache que mon cœur saigne tout autant que le tien…

- Je le sais et je t’en remercie.

Elios retourna en direction de la sortie de la grotte. Une fois dehors, il se mit sur une sorte de plateau rocheux, regarda un peu les étoiles, puis posa sa tête sur la pierre et se força à dormir. Sa décision était prise. Rien ne le ferait changer d’avis.

III

- Alors, ça y est ? Vous partez ?

- Oui, je pense qu’il est temps d’aller chercher des réponses. Si tant est qu’elles existent. Mais, tu vas t’en sortir, j’en suis sûr.

- Je vais faire de mon mieux.

- Je n’en doute pas un instant. On a vraiment tout préparé au mieux, puis, tu es vraiment bien entourée. Même si, depuis la rencontre avec Sati, je ne peux plus lire dans les esprits des gens, je vois que tout le monde ici est sincère et dévoué. Ils ont envie de remonter ce pays autant que toi. Mais, au moindre doute, n’hésites pas à utiliser tes pouvoirs.

- Ne vous inquiétez pas. J’ai pris une sacrée leçon avec le prince Fraysus. Une leçon qui a bien failli me coûter la vie. Car personne n’aurait été en mesure de me faire ce que j’ai fait à son père.

- Je confirme. Même si j’avais eu mes pouvoirs, je ne sais pas si j’aurais su le faire.

- Je suis sûr que c’est juste parce que vous n’avez jamais été confronté au problème. Sinon, je pense que vous auriez fait comme moi. J’ai peut-être plus de pouvoirs que vous, mais je ne suis pas plus intelligente. Et je n’ai pas votre expérience.

- Oui, mais comme je te l’ai dit, maintenant que je sais que tu fais partie des maîtres, je comprends mieux beaucoup de choses. Et, en fait, les craintes que j’avais au début de ton apprentissage étaient infondées. Mais, comment se douter de cela ? Et tu n’aurais pas parlé à leurs esprits, on ne le saurait toujours pas.

- Enfin, là, ça va commencer à me faire tout drôle. Vous partez, Elios est parti, mes parents, Cali, Martin et le haut seigneur Berne sont repartis en Liasine, Sharon est repartie avec sa mère, accompagnées de la petite Marielle et de Chloé, les elfes sont aussi retournés chez eux, et là, le roi Fraysus va aussi en faire autant… Le château va sembler bien vide, et moi, bien seule...

- Tu as encore des gens très proches avec toi. Puis, je pense que tu ne vas pas trop t’ennuyer. Et vas savoir, peut-être que je vais trouver une solution rapidement.

- Je le souhaite de tout cœur. Allez, sauvez-vous maintenant. Avant que je vous retienne ici de force.

- Tu as raison. Puis, tu n’en aurais aucun mal, dit Trëvor en montant sur le dos de Darion. Au revoir ma chère. Prends bien soin de toi. Et j’espère à bientôt.

- Moi aussi je l’espère. Et vous aussi prenez soin de vous.

Tandis qu’il passait les portes de la cour du château, il se dit que ce qu’il venait de faire n’était pas des plus sympathique. Il avait menti à Justine. Par omission, certes, mais bon… Il lui avait dit qu’il espérait revenir vite, mais, ce qu’il n’avait pas dit, c’est que, s’il ne retrouvait pas ses pouvoirs, il ne reviendrait sûrement jamais. Mais par contre, ce qui était vrai, c’est qu’il était persuadé qu’elle s’en sortirait très bien. Elle était intelligente, bien qu’elle se rabaissait à ce niveau, elle pouvait avoir du caractère, elle était courageuse et aussi et surtout, elle était la magicienne la plus puissante à des milliers de kilomètres à la ronde… Heureusement qu’elle était ce qu’elle était, mentalement parlant. Sinon, il aurait fallu désactiver ses pouvoirs dès le début. Maintenant, il serait bien tard, car personne n’aurait la puissance suffisante pour le faire.

Il faisait beau et le soleil faisait que la température était agréable. Il ne pouvait plus en créer, mais il se passa de sa bulle de chaleur sans soucis. Ce qui rendit son voyage plus agréable. Étant seul, il essaya de profiter du calme qui s’offrait à lui, mais, pour le moment, son cerveau en décidait autrement. Une des questions qui revenait, en dehors de : «Il y a-t-il réellement une solution ?», était : «Comment en est-on arrivé là ?». Il avait beau ressasser toute l’histoire dans sa tête, la question revenait toujours. Comme si son subconscient voulait lui dire qu’il lui manquait, au minimum, un élément pour vraiment comprendre. Cet élément était-il antérieur à son existence ? Ou cela venait-il d’ailleurs ? Et dans cet enchevêtrement de questions, une autre fit son apparition. Une question qu’il ne s’était jamais posée de sa vie : «Mais, justement, d’où pouvait bien revenir Gallor quand tu l’as rencontré ? Il était venu par la mer, mais, de où ?» C’est vrai qu’il ne lui avait jamais révélé. Même si il lui avait dit qu’il était un grand voyageur, il ne lui avait jamais parlé des pays et contrées qu’il avait visités. Ou, vraiment très succinctement. Trëvor savait qu’il y avait, entre autres, des mages relativement puissants en Kwuna, le pays d’Elios, et des sorciers un petit peu partout dans le monde. Était-ce pour aller à la rencontre de toutes ces formes de pouvoirs que son maître était parti si loin ? Ne devrait-il pas en faire autant ? Lui qui avait juste parcouru la Colbatie et ses deux pays limitrophes ? Mais, chaque chose devait être faite en son temps.

Sachant que Darion était bien plus endurant qu’un cheval classique, il avait bien tenté d’allonger les journées de route. Mais, dès le premier soir où il avait tenté cela, il fut vite ramené à la réalité des faits. Il n’avait plus de pouvoirs et ne pouvait donc plus compter sur la magie pour atténuer sa fatigue et ses courbatures. Néanmoins, de rentrer dans la forêt lui redonna plus de sérénité, ce qui lui redonna une sorte de vigueur. Il savait qu’une fois dans la maison, il arriverait à ressentir plus intensément ce sentiment de calme intérieur.

Effectivement, une fois passé les enchantements et qu’il vit la maison, il se sentit chez lui. Pourtant, il savait pertinemment qu’il n’était pas là pour des vacances. Des heures et des heures de recherches l’attendaient sûrement. Ou alors, ce serait vraiment le coup de chance du siècle de trouver des réponses de suite. Pour peu qu’il y en ait à trouver. Mais, malgré tout, il restait optimiste.

Il installa Darion dans ce qui servait d’écurie, contrôla qu’il ne lui manque rien, car il ne savait absolument pas quand est-ce qu’ils allaient reprendre la route, puis se dirigea vers la maison avant d’y entrer. Rien n’avait bougé depuis la dernière fois.

Après avoir contrôlé, cette fois-ci, les vivres qui étaient disponibles pour lui, il repoussa la table et enleva le tapis qui trônait au milieu de la pièce, afin de découvrir une trappe. En ouvrant cette dernière, il regarda l’escalier sombre qui descendait sous la maison. Il remercia le fait d’avoir prévu des torches et des bougies, car pas de globe de lumière cette fois, et ce pour toute la durée de ses recherches. Il eut aussi une pensée pour Justine et pour ce qu’elle dirait au sujet d’un nouveau souterrain. Une odeur de vieux papiers et de renfermé lui arriva de suite aux narines. Cela faisait presque trente ans que cette cave n’avait pas été ouverte. Sans attendre, il alluma une torche et descendit. Arrivé en bas, il alluma d’autres torches, afin d’éclairer l’ensemble de la pièce. Il y avait des livres et des manuscrits sur les quatre murs, et même dans des coffres. À croire que Gallor avait passé sa longue vie à voyager pour chercher et ramener des manuscrits. Trëvor ne connaissait pas la provenance d’une grande moitié de ces ouvrages. D’ailleurs, certains n’étaient pas écrits en langue commune. Il y avait, entre autres, de l’elfique, et même une ou deux langues qu’il ne connaissait pas. Pourtant, il comprenait, parlait et lisait une dizaine de langues. Il mit de côté tout les ouvrages qu’il connaissait et qui, d’après ce qu’il s’en souvenait, n’avaient aucun rapport avec ses recherches.

Il commença presque de suite à étudier quelques livres qu’il avait déjà lus il y a fort longtemps, et qui auraient peut-être pu le mettre sur les rails de ce qu’il recherchait. Il perdit assez vite la notion du temps. Grignota un morceau tout en lisant, puis, après quelque temps, s’endormit le front posé sur un livre ouvert.

IV

Pendant que Justine disait au revoir à Trëvor, on finissait de préparer le départ du roi Fraysus pour le lendemain. Celui-ci se trouvait assez remis pour faire le chemin retour. Même si il devrait le faire dans un chariot.

- Alors, vous êtes prêt et décidé ?

- Oui. Je pense qu’il est grand temps. D’un côté, nous avons largement profité de votre hospitalité, et de l’autre, je suis resté loin de mon trône un peu trop longtemps. Surtout aux vues de ce qui s’est passé. Malgré le fait que ceux qui sont repartis au pays aient dû raconter ce qui s’est passé, je suis sûr que certains ont encore des doutes sur le fait que je sois en vie et libre.

- Et donc, vous ramenez votre fils avec vous ?

- Oui, bien sûr. Je ne vais pas vous encombrer plus. Puis, j’ai pris la décision de suivre votre idée au sujet d’un jugement auquel je ne participerais pas. Je crois que c’est le mieux. Dommage que l’on n’ait pas de magiciens, comme chez vous, afin de lire dans ses pensées.

- Ou il faudrait que je vienne témoigner.

- Je ne vais pas vous déranger avec ça. Vous avez largement assez à faire en Colbatie. Vos concitoyens comptent sur vous.

- Je sais. D’ailleurs, pendant la période de deuil, nous avons mis sur pied un système pour leur rendre un peu de ce que Marion leur a pris. Même si ce n‘est pas vraiment chiffrable et que l’argent ne fait pas tout.

- Non, mais, si ça peut aider certains à retrouver un peu de fierté en améliorant leur quotidien, vous aurez fait un grand pas dans leur cœur. Pour peu que vous en ayez besoin.

- Oui, peut-être, mais, il ne faut pas s’endormir sur ses lauriers et ne pas trahir l’espoir qu’ils ont en moi.

- Vous avez vraiment un très bon fond. Je ne pourrais pas gouverner comme vous. Déjà, parce que ce n’est pas mon caractère, mais aussi, parce que nos deux peuples sont assez opposés. Les gens du Condori sont des gens rudes et combattants. Au moindre signe de faiblesse, je risque de perdre ma place. Aussi pour ça que je ne peux pas me permettre de rester plus longtemps. En espérant que mon trône soit encore mien…

- Je vous avouerais qu’après ce qui est arrivé à ma mère, la reine Khytis, quand nous sommes partis en Liasine et que nous avons affronté Marion et sa troupe, j’avais peur que mon trône n’ait été repris. Un peu pareil pour quand je me suis retrouvée dans un autre pays, avec Sati. D’autant plus que, sur ce coup-là, personne ne savait si j’étais encore vivante ou pas.

- Et heureusement, vous l’êtes et votre trône a été préservé. Mais vous n’avez pas prévu de repartir en vadrouille quand même ?

- Il va le falloir, si. J’ai une promesse à tenir en Liasine et dans le pays où j’étais partie avec Sati.

- Et, si ce n’est pas indiscret, qu’avez-vous à y faire de si important que vous avez promis ?

- Je dois réunir des corps et leurs âmes… Elles ont été séparées par Sati et un vampire du nom de Castand, qui, soit dit en passant, est celui qui avait transformé Marion, il y a de cela neuf cents ans.

- Mais, où sont-ils ? Et pourquoi vous ?

- Les âmes sont dans un gouffre bordant le château du comte de Malmor, et les corps, toujours en vie, mais sans âmes, sont dans ce fameux pays, auquel on peut accéder par un tableau qui se trouve dans une des chambres du château. Et, je vous le mets dans le mille, je suis la seule à pouvoir le traverser… Sauf si je suis en contact avec quelqu’un. Dans ce cas, il peut traverser avec moi.

- C’est une histoire très impressionnante… Et, si c’était un inconnu qui me l’aurait racontée, j’aurais franchement douté de sa parole. Mais venant de vous, ça ne peut qu’être vrai.

- Et pour revenir à notre discussion de base, vu qu’une partie de votre escorte est déjà repartie, comme promis, un groupement de soldats vous accompagnera jusqu’à la frontière. On est jamais trop prudent.

- Merci, c’est très gentil de votre part. Mais, c’est vrai qu’à partir de maintenant, je vais devoir me méfier encore plus qu’avant. Car, avant, si je venais à disparaître, il y avait mon fils pour prendre la suite. Mais, vu qu’à présent, et ce sera encore plus le cas après le jugement, il n’y a plus de prince, il suffit que je ne sois plus là pour pouvoir prendre ma place. Si vous voyez ce que je veux dire.

- Oui, je comprends très bien. Il va falloir vous entourer de gardes qui seront vraiment d’une confiance absolue. Un peu comme ma compagnie noire. Si vous voulez que je vous envoie un magicien pour en tester quelques-uns, faites-le-moi savoir. Ce sera avec joie.

- Je vais bien garder votre proposition dans un coin de ma mémoire. Je pense que ça pourrait me servir. Car vous ne serez pas toujours à mes côtés pour me sauver la vie.

Suite à cette entrevue avec le roi Fraysus, vêtue de sa tenue qu’elle appréciait tant pour chevaucher, autrement dit, pantalon, chemise, sa cape verte et ses hautes bottes de cuir noir, ainsi que sa couronne sur la tête et sa fidèle épée à son côté, Justine rejoignit les écuries. Là, l’attendaient Chronos, impatient de faire un peu d’exercice, et huit cavaliers de la fameuse compagnie noire. Une sortie en ville avait été prévue pour marquer la fin de cette période de deuil. Les habitants d’Elliwan, normalement, devraient être contents de voir leur jeune reine, mais Justine, elle, était vraiment contente de ressortir de ce château. Même si, par rapport à il y a quelques semaines, il était redevenu agréable à habiter.

Alors qu’il y a encore quelque temps, n’ayant connu que la vieille jument de ses parents, Justine n’était que très peu montée à cheval, elle se sentait revivre quand elle montait sur le dos de Chronos. Certes, ce coup-ci, elle n’allait pas loin, mais déjà, que ça faisait du bien. Ce qui faisait aussi du bien, c’était de revoir les gens. Et apparemment, c’était réciproque. Sur son passage, tout le monde, sans exception, lui fit des signes, la gratifia de grands sourires et de sympathiques «bonjour majesté».

Ce n’était pas très protocolaire, mais elle avait prévu de s’arrêter au magasin de Clara. Ce devait être assez inhabituel qu’une reine se rende dans les magasins de sa capitale. Mais Justine s’en moquait. Certes, elle était reine de Colbatie, maître magicien et inquisitrice, mais rien ne l’empêcherait d’être elle même et de rester proche des gens. Et elle savait aussi que Clara était l’une des personnes les mieux placées dans la ville pour la renseigner sur comment avait marché le commerce pendant les festivités et pendant le deuil. Cette dernière, justement, était plongée dans ce qui semblait être un livre de comptes, et n’avait ni vu, ni entendu rentrer la reine, malgré le petit remue-ménage que son arrêt avait provoqué.

- Bonjour Clara. Alors ? Les affaires ont été bonnes ?

- Oh ! Bonjour majesté. Excusez-moi, je ne vous avais pas entendue. Oui, j’avoue que je n’ai pas à me plaindre. Ni moi, ni aucun commerçant d’Elliwan. Personne n’avait jamais aussi bien travaillé que pour ces deux jours de cérémonies.

- Cela me fait vraiment plaisir d’entendre ça. C’est au moins un bon point pour ces deux jours…

- Oui, car j’ai entendu dire qu’il y avait eu de drôles d’imprévus et que vous et le roi Fraysus avez été blessés ? J’espère que ça va.

- Pour y avoir des imprévus, ça, oui, il y en a eu… Et pas des moindres. Mais oui, ça va. Pour moi, c’était juste une blessure au bras. Par contre, c’était beaucoup plus sévère pour le roi. Je l’ai sauvé de justesse grâce à la magie. Il a eu du mal à s’en remettre, mais ça va mieux. D’ailleurs, il repart demain.

- Il paraît que c’est son fils qui a essayé de le tuer ? C’est vrai ça ?

- Oui et non. C’est bien son fils qui lui a infligé ses blessures, mais, à la base, c’est moi qui étais visée.

- C’est pas vrai ?? Mais ? Pourquoi ça ? Pour qu’elle raisons a t’il essayer de vous tuer vous ?

- Parce que j’ai refusé ses avances. Mais, il s’est avéré qu’il était dérangé depuis pas mal de temps, et qu’il le cachait bien… Alors qu’il a déjà plusieurs victimes à son actif…

- Et du coup, il va se passer quoi pour lui ?

- Il repart avec son père, en tant que prisonnier, et il sera jugé dans son pays. Je fais confiance au roi pour ça. Même si c’est dur pour lui de faire juger son propre fils.

- Sûr que je ne voudrais pas être à sa place… Et vous ? De nouvelles aventures en vue ?

- J’en ai une importante de prévue. Mais j’ai des choses à mettre en place ici avant. Enfin, tout est presque prêt, mais je veux être sûr que tout fonctionne comme nous l’avons décidé avant de m’absenter. Puis, de toute façon, j’ai des renseignements à prendre avant de me lancer dans un truc un peu fou qui pourrait me dépasser un peu…

- Vous allez y arriver, comme d’habitude…

V

- Vénérable Morlo, j’ai bien réfléchi, et j’ai une proposition à te faire.

- Dis-moi, mon cher Elios. Je t’écoute avec intérêt, tu as toujours eu de bonnes idées et du bon sens.

- Nous avons toujours été des dragons fiers et puissants. Je me suis dit que vous ne pouviez pas rester éternellement à vous cacher ici. Ce qui reste de notre fratrie ne mérite pas ça. D’autant plus, qu’un jour ou l’autre, vous serez découverts.

- Tu n’as peut-être pas tort sur ces points. Depuis que nous sommes ici, j’ai pourtant réfléchi à une solution. Mais je n’en ai pas trouvé de viable. Et je dois t’avouer que ça me désespère un peu. Je suis sensé être le sage, et je n’ai pas de solution à proposer à ceux qui m’accompagnent et qui me font confiance. Peut-être étais-je trop dans l’émotion après tout ce qui s’est passé et avec tous les nôtres qui sont morts... Avec mon âge avancé, je n’ai peut-être plus les capacités à réagir comme je l’aurais fait il y a cent ou deux cents ans.

- Vous n’êtes pas encore sénile, et vous n’êtes pas non plus au bout du voyage. Mais justement, un vénérable comme vous ne peut pas finir les années qui lui restent, là, au fond d’une grotte.

- Merci, c’est gentil. Tu as sans doute raison. Mais, si tu me dis tout ça, c’est que tu aurais bien une solution justement. Donc, je t’écoute.

- Effectivement, j’aurai une solution. Car, vu ce que je comprends, suite à ce qui s’est passé, les dirigeants de ce pays sont décidés à nous exterminer jusqu’au dernier. Et, peut-être même qu’un jour, ils nous débusqueront ici. Ce sera vraisemblablement la fin de notre lignée. D’autant plus qu’ils doivent se douter qu’il reste des survivants et qu’ils sont peut-être en train de les chercher. Et dans ce cas, ils peuvent nous tomber dessus plus tôt que ce qu’on ne pense. Donc, ce que je vous propose, c’est de partir. Et au plus vite.

- Et, où voudrais-tu que l’on s’exile ?

- Dans un pays où on nous accueillera les bras ouverts et en paix... En Colbatie…

- Crois-tu ? Tu n’as pas peur qu’ils t’aient accepté parce que tu avais une dette envers l’ancienne reine ? Et Comment es-tu sûr qu’ils nous accepteront, nous ? Car, accepter un dragon, oui, mais une quinzaine…

- Avec tout le respect que je vous dois, auriez-vous plus peur de voir si l’herbe est plus verte ailleurs, que des dragons et des mages impériaux ? Je vais plutôt mettre le fait que vous dites ça parce que vous ne connaissez pas la reine Justine. Je peux vous garantir que cette femme, malgré son très jeune âge, est d’une sagesse dont beaucoup devraient s’inspirer.

- Je te crois Elios. Tu as toujours été franc et honnête. Je ne pense pas que tu voudrais nous embarquer dans quelque chose de dangereux. Enfin, de plus dangereux que ce qui se passe ici.

- La partie la plus dangereuse est de sortir du Kwuna. D’autant plus qu’il y a des jeunes, des moins jeunes et des blessés… Ça prendra plus de temps que moi tout seul.

- Merci de dire «des moins jeunes». Tu pourrais dire «des vieux».

- Bon, «des anciens» si vous préférez. Je me demande même si ça ne vaudrait pas le coup de sortir du pays par la frontière du sud et de le contourner. Ce sera plus long, mais, quitte à mettre longtemps, autant éviter les ennuis.

- Je vois que tu penses à tout. Ce qui ne m’étonne vraiment pas venant de ta part. Puis, en contournant le pays, nous perdrions quoi ? Quatre ou cinq jours ?

- Au moins cinq jours, oui. En comptant le fait que nous pourrions voler plus longtemps sans risque de nous faire repérer et sans avoir le besoin de chercher une cache assez grande chaque soir.

- Et, une fois là-bas, où logerons-nous ?

- J’ai mon idée sur un endroit inhabité qui irait pas mal et où nous serions tranquilles.

- Tu connais cet endroit ?

- Oh oui. J’y ai passé quarante ans…

- Bien, bien… Vrai que c’est tentant. Mais, ai-je droit à un temps de réflexion ?

- Bien que j’ai confiance en votre jugement et que je vous tiens en très haute estime, je pense qu’il serait plus sage de rassembler les autres, de leur expliquer, et de leur demander leur avis.

- Soit je me ramollis, soit tu deviens bien plus sage que moi mon cher Elios. Alors, tu as raison. Faisons comme ça.

Ce qui pourrait sembler étrange et impressionnant pour un être humain «classique» se produisit. Les seize dragons se réunirent dans la grotte. Même les plus jeunes. Car pour Elios et Morlo, eux aussi avaient droit à la parole pour donner leur avis. À eux deux, ils exposèrent le plan d’Elios. Ce dernier se doutait bien que la décision n’était pas des plus facile à prendre pour ses congénères. Ils avaient toujours vécu ici, tout comme leurs ancêtres avant eux. Puis, beaucoup de leurs proches étaient morts ici dans ces derniers temps. D’autant plus que pour savoir ce que valait vraiment la Colbatie, pays dont ils ne connaissaient rien, à part le fait qu’une de leur reine avait réussi à éviter, à l’époque, ce qui venait de se produire, ils ne pouvaient se baser que sur ce que disait Elios.

Suite à la présentation du plan, la discussion entre les dragons présents dura un petit moment. Bien trop longtemps au goût d’Elios. Si ça ne tenait qu’a lui, ils seraient déjà partis. Mais il prit sur lui et, pour calmer son impatience, il sortit de la grotte. Prendre l’air lui fit le plus grand bien. Ça le démangeait de prendre son envol et de mettre son plan à exécution sans plus attendre. Il se dit même qu’il ressemblait à la petite reine, à moins que ce ne soit l’inverse. Peut-être avait-elle déteint sur lui. En tout cas, elle lui avait redonné une certaine jeunesse. Il se surprit à se dire qu’elle lui manquait. Mais, il avait quelque chose à faire avant d’espérer la revoir.

Quand il revint, il vit que la discussion avait l’air terminée. La troupe se regroupa devant lui, et une femelle du nom de Mira, qui, apparemment, avait été désignée comme porte-parole, lui demanda :

- On part quand ?

- Si tu me demandes ça, c’est que vous avez décidé d’accepter ma proposition.

- Effectivement, nous avons bien écouté ce que tu as dit, pesé le pour et le contre, et nous arrivons aux mêmes constats que toi. Donc, nous te suivons et te demandons quand nous partons.

- Je trouve que c’est une sage décision. Et pour répondre à votre question, je vais dire «à la tombée de la nuit». Que nous ayons atteint la frontière pour demain matin et pouvoir nous en être un peu éloignée, si possible. Donc, repos jusque là.

- Bien, nous serons prêts.

Effectivement, la nuit à peine tombée, ils étaient tous là, prêts à décoller, pour quitter leur pays et leur chez eux. Même si, sous la contrainte, ils avaient déjà quitté leurs vrais chez eux. L’avantage, pour un dragon, c’est que dans un cas pareil, il n’avait rien à emmener avec lui.

Comme l’avait prévu Elios, certains n’étaient pas habitués à voler aussi longtemps, et, évidemment, volaient moins vite que lui. Mais après une courte pose au milieu de la nuit et sans embûches, c’est avec un soulagement général qu’ils passèrent la frontière alors qu’il faisait encore nuit. À partir de ce moment, ils devraient être tranquilles. Le pays dans lequel ils se retrouvaient à présent s’appelait le Mupan. De toutes évidences, vu les divergences et les tensions existantes entre les deux pays, l’empereur du Kwuna ne prendra pas le risque de traverser la frontière pour chasser quelques dragons. Ce qui aurait, à coup sûr, pour effet de déclencher des hostilités. Dans ce pays, les dragons étaient tolérés s’ils étaient de passage, mais ils n’auraient pas pu s’y installer.

Quand ils trouvèrent un coin pour passer la journée à se reposer, sans trop se faire remarquer, ils avaient passé la frontière depuis plus d’une bonne heure. Ils instaurèrent tout de même des tours de garde. Les jours et les nuits suivants s’écoulèrent au même rythme et de la même manière. Par sécurité et au cas où, ils continuèrent à voler de nuit jusqu’à ce qu’ils se soient définitivement éloignés du Kwuna. En dehors d’Elios, cela faisait belle lurette qu’un dragon n’avait pas quitté le pays, et encore moins été aussi loin. Même Morlo ne se souvenait pas qu’un de ses congénères soit parti pour parcourir autant de distance, pour partir à l’aventure ou autre. Au fur et à mesure, Elios expliquait à ses compagnons de route où ils étaient et ce qu’ils voyaient. Il leur racontait aussi ce qu’ils allaient trouver en Colbatie, comment ils allaient pouvoir vivre, mais également ce qu’ils allaient devoir respecter.

Alors qu’ils étaient à une grosse semaine d’entrer en Colbatie, au moment où ils s’arrêtaient pour la nuit, après s’être alimenté, Elios s’adressa à Morlo :

- Je vais vous laisser quelque temps. J’ai une petite affaire à régler. Il vous suffira de continuer dans cette direction.

- Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai comme une idée de ce qu’est cette «petite affaire à régler». Et je ne sais pas si c’est une bonne idée.

- Pourtant, je sais que vous savez que je ne peux pas la laisser. Aussi bien elle que celles qui sont avec elle.

- Oui, je le sais. Mais je sais aussi que tu risques de ne pas en revenir vivant. Tu sais largement aussi bien que moi que la ville et le camp de Kwunamé sont extrêmement bien gardés. Qu’il y a nombre de mages et de dragons impériaux.

- Peut-être, mais au moins, j’aurais tenté. Si je ne tente pas de les sortir de là, alors que je n’étais déjà pas là pour les protéger, je m’en voudrais toute ma vie. Déjà que je n’arrive pas à m’enlever tout ça de la tête… Je n’arriverais pas à vivre avec ça, si je ne tente rien. Surtout, en me disant que Elyase doit souffrir et m’en vouloir. Car je ne pense pas que la vie qui leur est réservée soit une vie de rêve.

- Je te comprends mon ami. Mais sache que je serais vraiment peiné de te perdre toi aussi. Je sais que tu es fort et malin. Donc, même s’il y a une petite dose de vengeance dans ton acte, je sais que tu n’irais pas plonger dans le cratère du volcan, tête baissée, les yeux fermés et sans réfléchir. Je pense que tu as un plan.

- Effectivement, j’ai un plan de base.

- Mais j’ai comme idée que tu ne m’en diras pas plus.

- Vous voyez juste. D’autant plus que les plans, souvent, ne se réalisent pas exactement comme prévu, et qu’il faut s’attendre à une certaine dose d’improvisation.