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Se retrouver au milieu d'un conflit entre sorcières et sorciers, et entre fille et père, c'est ce qu'aurait aimé ne pas vivre la jeune Eloïse. Le chaos voulu par certains en libérant certaines forces venant du passé est-il évitable? Pour cela, il faudra faire des sacrifices.
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Seitenzahl: 417
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Chapitre 31
Chapitre 32
Chapitre 33
Chapitre 34
Chapitre 35
Chapitre 36
Chapitre 37
Chapitre 38
Chapitre 39
Chapitre 40
Chapitre 41
Chapitre 42
Chapitre 43
Chapitre 44
Chapitre 45
Chapitre 46
Chapitre 47
Chapitre 48
Chapitre 49
Chapitre 50
Chapitre 51
- Mais c’est quoi ce temps de barjo ?
Elle avait de plus en plus de mal à avancer. À croire que le vent et la pluie voulaient l’empêcher d’atteindre son but. Elle avait presque du mal à rester debout, devant même, par moments, se raccrocher à un élément du mobilier urbain ou à un panneau de signalisation. Elle devait aussi se méfier, car elle voyait passer tout un tas de choses en sens inverse. Des papiers, des cartons, des chaises et des tables… À croire qu’elle avait vu passer là toute la terrasse de la brasserie qui faisait le coin. Elle devait éviter tous ces projectiles, alors qu’elle n’y voyait pas grand-chose à cause de la pluie qui lui cinglait le visage et l’obligeait à marcher les yeux presque fermés. Ce n’était pas chose aisée.
Dire qu’il y a pas si longtemps, une demie heure environ, il faisait grand beau. Le soleil brillait, le ciel était bleu, accompagné d’un petit vent frais qui circulait dans les rues pour qu’il ne fasse pas trop chaud, c’était un temps presque idéal. Un comme elle adorait. Mais, en un temps presque record, le petit vent frais s’était durci jusqu’à devenir telle une tempête, le ciel s’était couvert de nuages de plus en plus gris, à devenir presque noir, et la pluie s’était mise à tomber de plus en plus forte. Elle avait une idée de ce qui pouvait se passer, mais, à ce point-là, elle se disait que c’était franchement abusé.
Elle n’y voyait presque plus rien, mais elle était persuadée d’être la seule dans la ville à se trouver encore là, à braver les éléments. Encore un peu et les rues auraient ressemblé à des rivières. Les bouches d'égout commençaient à se soulever sous la pression de l’eau.
Elle savait quand même où elle se trouvait. Sa destination n’était plus très loin. Enfin, si une bourrasque de vent ne la faisait pas repartir subitement plusieurs mètres en arrière. À ce moment, c’était limite. Encore un peu et elle se serait demandé si elle avançait ou si elle reculait.
-Enfin… se dit-elle en atteignant la massive porte apparemment blindée qui ornait la devanture de cet étrange bâtiment qu’elle s’était donné pour but.
Alors qu’elle s’attendait à trouver porte close, à devoir sonner, patienter, tout en continuant à prendre des seaux d’eau sur la tête en se cramponnant à la poignée pour ne pas être emportée pas le vent, dans l’espoir qu’on vienne lui ouvrir, la poignée tourna et la porte s’ouvrit. Ces deux derniers points se déroulèrent d’une telle facilité par rapport à ce qu’elle venait d’affronter, qu’elle trouva cela presque suspect.
Vu qu’elle était plaquée sur la porte, elle faillit s’étaler de tout son long dans le hall d’entrée quand elle s’ouvrit. Tandis qu’elle était pratiquement à quatre pattes, elle regarda autour d’elle et fut presque rassurée de voir personne. Il n’y aurait donc pas de témoin de sa figure de style qui, le pensait-elle, l’aurait fait paraître bien ridicule. Elle vit aussi que l’endroit était moderne et épuré, au point que cela rendait l’endroit étrange et presque froid. Elle ne sut pas pourquoi, mais, elle resta un moment dans cette position, alors que ses cheveux et ses vêtements égouttaient sur le sol.
Le calme de l’endroit contrastait avec le chaos qui régnait à l’extérieur. C’était même tout l’opposé. C’en était presque oppressant.
- Tu sais que tu peux te relever ? Dit une voix qui retentit en donnant l’impression de remplir tout l’espace.
- Si vous n’aviez pas provoqué ce qui se passe dehors, je ne serais pas dans cette position…
- Moi ? Mais, je n’ai rien provoqué du tout chère nièce. Tu incrimines la mauvaise personne. Enfin, si tu parles bien de la tempête qui se déroule au-dehors.
- Oui, c’est bien de cela dont je parle, et d’après ce que je sais, seul vous en êtes capable... cher oncle, dit Éloïse, non sans sarcasme, tout en en se relevant.
- Encore une fois, tu te trompes lourdement. Je ne sais pas ce que t’ont appris tes parents, mais tu n’as pas l’air de tout savoir.
- Mes parents m’ont appris les meilleures choses possibles et ce que je devais savoir.
- D’un côté, ça ne doit pas être faux. Mais, à mon avis, tu dois être très loin de tout savoir sur ta famille. Et même de la plus proche…
- Au lieu d’insulter mes parents, pourquoi ne venez-vous pas vous présenter à moi ? Que l’on s’explique face à face ? Car je reste persuadée que vous avez déclenché tout ça pour que je ne vienne pas vous voir.
- Ce serait très idiot de ma part de te laisser la porte ouverte dans ce cas… Mais, puisque tu es là, prends la porte du fond à droite, il y aura de quoi te changer. Puis rejoins-moi en prenant l’escalier qui est actuellement à ta gauche.
Elle regarda sur sa gauche. Là où elle n’avait rien vu depuis qu’elle était rentrée, Éloïse découvrit effectivement, un escalier. Un escalier en colimaçon assez large qui menait à l’étage supérieur. Mais, elle savait de par son père que son oncle Claudius avait énormément de pouvoir, mais aussi qu’il n’était pas des plus fréquentable. Qu’il pouvait être dangereux et prêt à tout pour nuire à autrui, même à sa propre famille.
La porte du fond débouchait sur ce qui pouvait être considéré comme un grand dressing. Ce qui était assez étrange à cet endroit précis. Mais, comme pour l’escalier, cette pièce était elle réellement là en temps habituel ? À croire qu’il y avait tous les styles et toutes les tailles. Elle aurait très bien pu s’habiller en princesse de la renaissance si elle l’avait voulu. Elle se serait presque crue dans les réserves de costumes du théâtre où elle avait pris des cours de comédie quelques mois plus tôt. Mais, d’où pouvait provenir tout ça ? Puis, elle se rappela les histoires peu reluisantes que son père lui avait racontées sur son propre frère. Si ça se trouve, le jean et le tee-shirt qu’elle était entrain d’enfiler avaient appartenu à une autre jeune femme. Mais dans ce cas, qui était elle, et qu’était-elle devenue ?
Après avoir laissé ses affaires mouillées sur des sortes de cintres, et s’être vaguement séché les cheveux avec une serviette qui se trouvait là, elle ressortit de la pièce et vit de suite que l’escalier était toujours là et que rien avait bougé. La seule chose qui s’était rajoutée au décor était… un chien. Un impressionnant dogue allemand blanc et noir qui était assis et qui regardait dans sa direction comme s’il l’attendait. Il devait largement peser aussi lourd qu’elle, si ce n’est plus. D’autant plus qu’elle ne faisait pas partie de la catégorie des plus grandes… Du coup, elle se demanda ce qu’elle devait faire. Mais, ce fut lui qui fit le premier pas. Il se leva et vint vers elle en remuant la queue. Il n’avait pas l’air méchant, pas plus qu’agressif. Il avait même un air sympathique. Ce qui rajouta au trouble de la jeune femme. Sans trop savoir pourquoi, elle tendit la main vers lui. Il la sentit et fit comme si il insistait pour avoir une caresse. Ce qu’elle finit par faire en lui grattouillant la tête. Il fit demi-tour, l’air satisfait, et parti au petit trot en direction de l’escalier. Il s’arrêta en bas en la regardant, l’air de lui dire:
- Alors ? Tu attends quoi ? Tu viens ?
D’ailleurs, ne l’avait-elle pas entendu ? Non, ce n’était pas possible. Ce n’était qu’un chien...
Elle commença à monter l’escalier à la suite de son escorte à quatre pattes. Tout le temps que dura l’ascension, elle se demanda ce qu’elle pouvait faire ici. Qu’est-ce qui l’avait tant poussé à venir dans cet endroit pour parler à cet oncle qu’elle ne connaissait quasiment pas? Puis, cette pensée s’estompa au moment où elle découvrit l’étage supérieur.
Aussi bien en langage «humain» qu’en langue noire, il jurait et pestait à voix haute. D’un revers de la main, il avait rageusement fait voler la lampe qui se trouvait sur son bureau. Quelle idée saugrenue avait-elle eu d’aller voir Claudius. Comment et pourquoi cela lui était venu en tête ? D’ailleurs, comment savait-elle où il se trouvait ? Il avait pourtant tenté de faire de façon à ce qu’elle n’arrive pas à cette fameuse destination. En cela, avec des confrères, il avait déclenché une tempête qui aurait fait renoncer tout être humain normal et sensé. Mais, elle y était tout de même arrivée. Elle était aussi têtue que sa mère. Ce qui n’était pas spécialement une bonne nouvelle.
Si il l’avait su plus tôt, il aurait pu tenter autre chose. Là, pris au dépourvu et dans l’urgence, il avait quand même pris un risque. Il ne voulait pas spécialement lui faire de mal, c’était sa fille tout de même. Puis, vu son âge et son apprentissage, elle n’était pas en mesure de lui mettre les bâtons dans les roues. Par contre, Claudius, c’était une autre histoire. Heureusement qu’ils avaient réussi à le neutraliser. En espérant qu’il le reste pour très longtemps.
Du coup, autre chose qu’il se mit à espérer, c’est que sa fille ne croit aucunement ce que pourrait lui raconter son oncle. Pendant toutes ces années, il avait tout fait pour que ce dernier passe pour le dernier des salauds, vil, mesquin et sans scrupules. Son stratagème monté et tissé pendant tant d’années risquait d’être réduit à néant sur ce coup-là.
Il ne pouvait pas se permettre d’échouer maintenant. Ils étaient trop proche du but. Il avait fait la promesse que, ni quiconque, ni rien au monde, ne se mettrait en travers de son chemin. Il avait largement payé de sa personne et sacrifié assez de choses qui lui étaient chères pour en arriver là. C’était décidé, si quelqu’un devait tenter de l’arrêter, il ne ferait pas de sentiments, même si, il ne voyait pas comment, cette personne devait être sa propre fille. L’enjeu était bien trop important.
Non, il n’échouerait pas…
Dès qu’elle eu un aperçu de l’endroit, elle s’arrêta net. Quel contraste avec le rez-de-chaussée. Elle finit de monter lentement les dernières marches puis regarda tout autour d’elle. Elle n’était plus dans un immeuble moderne, lisse et froid, mais dans ce qui semblait être une vieille maison de campagne. Plancher et poutres en bois, pierres apparentes, cheminée… Ce n’était pas possible. Ce ne pouvait être qu’une illusion.
- Ça surprend n’est-ce pas ?
Dans un fauteuil était assis un homme, pas très bien rasé, d’une petite cinquantaine d’années. Il était habillé de manière un peu «relâchée», short, chemise aux manches retroussées… Le chien qui était venu l’accueillir était assis à côté. L’homme le caressait affectueusement.
- Heu… Oui, j’avoue que c’est assez surprenant. Mais, c’est quoi comme tour ? Comment faites-vous cela ?
- Houlà, je n’y suis pas pour grand-chose. Je suis bloqué ici.
- Comment ça vous êtes «bloqué ici» ?
- C’est une sorte de prison dorée. Mais viens, assis toi.
Elle hésita quelques secondes, puis, pourquoi pas ? Elle n’allait pas rester là, debout, sans bouger, plantée comme une statue devant l’escalier. Elle vint s’asseoir sur le canapé. Ce dernier était assez confortable.
- Tu veux boire quelque chose ? Bon, en dehors d’eau, de café, de whisky et peut-être de jus de pomme, je n’ai pas grand-chose à t’offrir.
- Je ne bois pas d’alcool, et pour ce qui est de l’eau, je crois que j’ai eu ma dose au-dehors. Mais, un jus de pomme, si il n’est pas périmé, à la limite…
- Bon, vous m’expliquez ce qui se passe ? Demanda-t-elle alors qu’il lui tendait un verre de jus de fruit.
- À quel sujet ? C’est vague comme question.
- Déjà, sur le dernier sujet. Qu’entendez-vous par «bloqué ici» ? Ce n’est pas le but principal de ma venue, mais ça m’intrigue.
- En fait, tel que tu me vois là, je suis prisonnier. Je ne peux pas quitter cette maison et ses environs depuis plus de quinze ans.
- Vous vous moquez de moi là. J’ai bien réussi à rentrer librement. Et j’espère bien pouvoir ressortir.
- Oh oui tu pourras ressortir. Du moins, j’espère qu’on te laissera faire, vu qu’on a essayé de t’empêcher de venir jusqu’ici pour me voir.
- Et c’est qui «on» ?
Éloïse commençait à trouver tout cela de plus en plus étrange, et avait peur de rester elle aussi coincée ici.
- Ça ne va pas te plaire comme réponse, mais, ce «on», ce n’est autre que ton père et ses amis.
La jeune femme faillit s’étrangler de surprise avec sa gorgée de jus de pomme et reposa son verre sur la table basse avant de le lâcher sur le sol.
- Vous venez de dire quoi là ? Attention à ce que vous dites.
- Et sinon quoi ?
Et sinon quoi ? En fait, elle n’en savait rien. Surtout que son père lui avait toujours raconté que son oncle était un puissant sorcier. Elle ne ferait pas le poids. Elle qui savait à peine attirer certains objets à elle. Elle essaya de ne pas quitter son oncle des yeux. Lui, au contraire, était décontracté au possible, assis au fond de son fauteuil. Elle décida de se calmer et d’apaiser la discussion en prenant sur elle.
- Alors expliquez-moi… Je promets de rester calme.
- D’accord. De toute façon, c’est moi qui t’ai fait venir pour t’expliquer au mieux la situation. Après, tu en feras ce que tu veux.
Il but une gorgée de café en observant son interlocutrice avant de reprendre :
- Donc, celui qui a voulu t’empêcher de venir jusqu’ici et le même qui m’a enfermé ici. Il s’agit de Richard, ton père, qui est donc aussi mon plus jeune frère.
- Vous êtes plus que deux ?
- Oui, nous étions trois. Mais, si tu m’interromps comme ça à chaque phrase que je prononce, on a pas fini…
- Excusez-moi.
Elle se doutait que ce n’était que le début, mais Éloïse avait déjà le cerveau en ébullition.
- Remarques, tu as peut-être raison. Si tu as des questions, pose-les.
- Alors, dans ce cas, pourquoi vous a-t-il enfermé ?
- Parce que je commençais à le déranger en remarquant son petit manège. Il avait un comportement pas très net. Il avait toujours été plus impulsif, mais là, il devenait secret aussi. Alors que, justement, nous n’avions jamais eu de secret l’un pour l’autre.
- Mais, il m’a toujours dit que vous étiez un puissant sorcier. Plus puissant que lui. Comment a-t-il pu vous enfermer ici ?
- Avant, oui, j’étais plus puissant que lui. Mais, il a glané des forces je ne sais où, et a réussi à m’envoyer ici. Bon, vrai qu’il n’était pas seul pour cela. Je cherche comment sortir depuis plus de quinze ans. J’en ai tenté des choses et des sortilèges. Mais, rien y fait.
- Donc, si vous êtes là depuis quinze ans, vous ne pouvez donc pas faire fortune en utilisant les gens grâce à la sorcellerie ?
Claudius partit dans un rire sonore avant de pouvoir répondre à la question.
- Ahahah !! Il fait donc croire que je sévis en ville ? Il y va fort. Non, je ne fais pas fortune grâce à la sorcellerie. Déjà, d’ici, ce que je peux faire est très limité. La preuve, je viens seulement d’arriver à te contacter pour te faire venir. Et encore, je voulais contacter ta mère, mais je n’y suis pas arrivé.
- Ma mère ? Mais, elle a disparu quand j’avais à peine cinq ans… - De quoi ? Que dis-tu ? Disparu comment ?
Claudius avait quasiment bondi de son fauteuil et son ton calme avait changé pour presque résonner comme un roulement de tonnerre. Éloïse commençait à prendre peur. Elle ressentait une puissance en face d’elle comme elle n’en avait jamais senti. Et il disait quoi ? Que son père était devenu plus puissant que lui ? Ce n’était pas possible. Alors qu’il s’était détourné, elle arriva à se ressaisir.
- On m’a juste dit qu’elle nous avait abandonnés, comme ça, du jour au lendemain, sans prévenir.
- C’est absolument impossible… Elle n’aurait jamais fait ça sans t’emmener. Elle t’aimait trop pour partir et te laisser entre ses mains.
Le silence s’installa. Éloïse s’entortillait les mains en regardant le sol, et Claudius était à la fenêtre, regardant dehors, perdu dans ses réflexions. Ce fut encore elle qui, timidement, reprit la parole:
- Vous la connaissiez bien ?
- Oh que oui. Je la connaissais même avant ton père. Et pour cause, c’est moi qui lui ai présenté. Une femme vraiment charmante et talentueuse.
- Mais tiens, justement, quand dois-tu avoir tes dix huit ans ? Si ma mémoire ne me fait pas trop défaut, ça doit être cette année, non ? Reprit-il.
Éloïse ne s’attendait pas vraiment à cette question.
- C’est même plus que cette année, c’est dans une semaine. Mais, je ne vois pas le rapport.
- Le rapport ? C’est que, vu que tu es venu me voir, cela m’étonnerait que ton père fasse une fête pour te les souhaiter.
- Il l’aura si mal pris que ça ?
- Cela m’aurait étonné qu’il t’explique ce détail.
- Quel détail ?
- Les sorcières ont plus de pouvoirs que les sorciers. Ou, du moins, pas tout à fait les mêmes. Et, là où, pour les hommes, cela se développe au fur et à mesure avec le temps, pour les femmes, ils se manifestent d’un coup, le jour de leur majorité.
Claudius laissa un blanc qu’Éloïse, sous le choc de ce qu’elle venait d’apprendre, ne rompit pas. C’est lui qui reprit la parole :
- Par contre, il y a plusieurs soucis. Le premier, qui est inhérent à toutes les sorcières en devenir, c’est qu’il est impossible de connaître leur niveau avant l’éclosion de leurs pouvoirs. Le deuxième, qui n’est que pour toi, c’est que tu n’es pas préparée.
- Je ne savais pas qu’il y avait une préparation. Puis, papa m’a appris quelques tours, mais, la plupart, je n’y arrivais pas. Du coup, on m’a toujours dit que je ne serais jamais une bonne sorcière.
- C’est quand même gonflé de sa part. Vu ton âge, c’était normal que tu n’y arrives pas…
- Peut-être qu’il n’est pas au courant de cette règle ?
- Bien sûr que si il le sait. On a eu le même instructeur et Marlène avait dû lui en reparler. La question est : Pourquoi a-t-il fait ça ?
Cela fit drôle à Éloïse d’entendre son oncle prononcer le prénom de sa mère. Elle ne l’avait que peu entendu durant sa vie.
- Mais, tu as dit: «On m’a toujours dit». C’est qui «On» ? Ton père n’était pas seul ?
Cette question fit sortir la jeune femme de sa réflexion.
- Hein? Heu… Excusez-moi… Oui et non. Il y avait souvent un ou deux autres sorciers de passage à la maison. Même qu’il me disait que c’était des oncles éloignés.
Elle se surprit à parler de tout cela au passé. Alors que c’était encore le présent.
- De mieux en mieux… Le seul oncle que tu as, c’est moi.
- Vous ne m’avez pas dit que vous aviez un autre frère ? C’est donc aussi mon oncle.
- Bien raisonné. Mais Frido, qui a deux ans de plus que moi, est parti parcourir le monde il y a de cela vingt-sept ans.
- Frido ? C’est un drôle de prénom que je n’ai jamais entendu. Ce n’est donc pas lui.
- Oui, cela veut dire «paix» en germain. C’est d’ailleurs de là que vient le prénom Frédéric. Enfin bref… dit-il en faisant un geste de la main, comme si il voulait évacuer cette pensée. Et comment s’appellent ces fameux «oncles» ?
- Pour celui que j’ai vu le plus souvent, Gabor. Et Ferenc pour l’autre… Ils avaient l’air assez âgés tous les deux. Mais, ils allaient dans le sens de mon père pour ce qui est de mes capacités de sorcière.
Claudius paraissait perdu dans ses pensées. Il était impossible de savoir quel était son état d’esprit à ce moment précis. Son visage était figé et impassible. Éloïse savait qu’il l’avait entendu, car il était comme ça depuis qu’elle avait prononcé les deux noms. Plus ça allait, plus elle avait envie de croire ce qu’il disait et de lui faire confiance. En fait, elle ressentait tout le contraire de ce que son père et ces deux «oncles» lui avaient raconté toute sa vie à son sujet.
- Mais qu’est-ce qu’ils peuvent bien tramer ces trois là ? Marmonna-t-il, non pas en se resservant un café, mais en prenant un verre dans l’égouttoir à vaisselle et en y versant une rasade de whisky.
- Il a vraiment l’air préoccupé, se dit Éloïse en le regardant faire.
- Vous les connaissez ? Lui demanda-t-elle quand il se rassit dans le fauteuil, son verre à la main.
- Ferenc, je ne le connais que de nom, et pas qu’en bien. Et Gabor, je l’ai mis en dehors de la maison de mon frère il y a un gros paquet d’années. À croire qu’il est revenu à la charge. Mais, à savoir si c’est à cause de ça et de lui que je suis ici, il n’y a qu’un pas.
- Par contre, c’est bien beau tout ça, mais, je dois faire quoi moi ?
Car ça risque de chauffer pour mon matricule vu que je suis venu ici. Vous ne croyez pas ?
- En voilà une bonne question. En dehors de rester ici, je ne vois que la solution d’être très prudente.
- Mouais… Je ne la sens pas l’affaire. Je n’ai pas les moyens de faire face à trois sorciers expérimentés.
- Donc, sinon, tu restes ici une semaine et je te prépare au mieux pour ton passage. Mais, il faudra trouver une solution pour sortir de ce qui pourrait ressembler à une impasse.
Cela n’enchantait guère Éloïse de rester bloqué là pendant une semaine. Elle ne se voyait pas fêter ses dix-huit ans de la sorte.
- Et si je reste ici, je ne risque rien ?
- Non. Ils m’empêchent de sortir, mais, de mon côté, je les empêche de rentrer, répondit-il avec un petit sourire narquois.
- Quelque chose se prépare, et ça pourrait prendre naissance de par chez toi mon ami.
- C’est ce que j’ai ressenti aussi vénérable Xue. Mais, ça ne paraît qu’être un point parmi d’autres.
- Aussi bien en lieu qu’en temps.
- C’est assez flou et diffus. En tout cas, ça paraît bien obscur.
- Oui. Effectivement, les forces obscures paraissent à l’affût. Comme si quelqu’un s’apprêtait à faire appel à elles.
- Ou à les libérer…
- Tu as tout à fait raison. C’est une possibilité.
- Qui serait assez fou pour faire une telle chose ? Cela fait des centaines d’années que les nôtres les ont maîtrisés et mis hors d’état de nuire.
- Peut-être que certains ont oublié ce que ces forces ont fait quand elles étaient parmi les vivants.
- Remarquez, par exemple, pour le christianisme, il y a bien des adorateurs du satanisme et autres joyeusetés de ce style, ou des gens fans de tueurs en série ou de dictateurs. Sauf que là, ce serait des sorciers et que ça amènerait rapidement chaos et désolation sur la terre entière.
- C’est exactement ça. Je crois qu’il va falloir nous préparer à combattre. Mais, je vois une lueur d’espoir qui fera que nous ne serons pas débordés.
- Je crois la percevoir aussi. Mais, nous aurons du nôtre à donner.
- Oui, nous deux, mais, pas de la même manière. Je suis trop vieille pour partir au combat. Je vais devoir me contenter du spirituel. Alors que toi, mon ami, je te vois participer activement à ce combat. Et même que ton esprit sera tiraillé. Il te faudra du courage et de la clairvoyance. Mais, pour ça, je te fais confiance.
- Vous savez que je ferai toujours de mon mieux.
- Je le sais mon ami, je le sais…
-Je t’avais dit de mieux surveiller ta fille.
-C’est ce que j’ai fait. Mais, je ne peux pas être tout le temps collé à elle. Puis, tu sais très bien que ces dernières semaines, je ne suis pas là tout le temps.
-Où peut-elle bien être maintenant?
-Le sortilège de surveillance a perdu le contact et son téléphone ne sonne même plus.
-Si le sortilège ne fonctionne plus, c’est qu’elle est sous la protection d’un sorcier ou d’une sorcière. Et pas amateur…
-Ou alors…
-Ou alors?
-Elle est encore avec mon frère…
-Dans ce cas, nous avons, en partie, créé nous-même le fait de l’avoir perdue.
-C’est ce que je pense aussi. Nous aurions dû le supprimer purement et simplement à l’époque. Maintenant, il protège ma fille avec les siens de pouvoirs.
-D’autant plus que, je te rappelle qu’elle sera bientôt majeure. Et, si lui ne pourra toujours pas sortir, elle, elle le pourra et pourrait devenir une menace.
-Tu ne m’apprends rien là. Mais, si tel est le cas, si elle ne se rallie pas à notre cause, il faudra prendre une grave décision.
Gabor n’avait pas d’enfant, ou, du moins, pas à sa connaissance. Vrai qu’il n’avait jamais songé à invoquer un sort pour savoir si c’était le cas. Il pourrait avoir au moins un rejeton, avec toutes les femmes qu’il avait «connu» tout au long de sa vie. Quoi qu’il en soit, même si il n’était pas un saint et qu’il pouvait souvent se montrer sans coeur et impitoyable, il sentait qu’il aurait sans doute du mal à prendre une telle décision envers un enfant de sa chair et de son sang. Mais, vrai que là, les circonstances étaient bien différentes et que les pouvoirs de la fille de son acolyte étaient attendus avec impatience par tellement de monde. Cela tombait vraiment au plus mauvais moment. Qu’allaient-ils pouvoir raconter à la prochaine réunion? Celle-ci devant être la dernière avant le grand évènement…
-Juste une suggestion, mais, si nous annulions le sort qui emprisonne ton frère? Il serait plus vulnérable non?
-C’est effectivement une idée à creuser. Car, si il est vulnérable, il ne pourra plus protéger ma fille.
Gabor regardait Richard pendant qu’il l’écoutait, et il se fit la réflexion qu’il n’appelait pas sa fille par son prénom. Un peu comme si l’appeler «ma fille» la dépersonnalisait. Ce qui devait certainement lui faciliter la tâche pour ce qui était prévu pour la jeune femme. Ce qui était somme toute logique.
-Mais il faut réfléchir vite.
-Là non plus tu ne m’apprends rien, répliqua-t-il en lui lançant un regard d’une noirceur à effrayer n’importe quel mortel «classique».
Mais, ce regard eu l’effet inverse de l’effet escompté. Gabor faillit exploser de rire.
-Ne me fait pas ce regard-là, tu sais que je suis maître à ce petit jeu. J’en ai presque fait mourir de peur comme ça.
Adoucissant vaguement son regard et sans dire un mot, Richard se leva pour se servir un café et parti le boire dans le jardin. Dans sa tête, c’était à la limite d’être le foutoir. Il savait ce qu’ils allaient devoir faire si Éloïse ne refaisait pas surface avant son dix-huitième anniversaire, ou si elle ne voulait pas rallier la cause. De toute façon, si ce n’était pas lui qui le faisait, d’autres le feront à sa place, et sans état d’âme. Devait-il faire comme lui suggérait Gabor? Libérer Claudius de sa prison et le traquer pour qu’il ne puisse plus protéger sa fille? De toute façon, il y a quinze ans, il n’avait pas fait le poids face au groupement, comment le pourrait-il maintenant? C’était sûrement la meilleure solution pour mener la mission à bien dans les temps. Mais, pour cela, il fallait réunir plusieurs membres de la congrégation. Il fallait s’y mettre sans attendre.
Il re rentra dans la maison. Gabor n’avait pas bougé et le regardait fixement. On aurait dit qu’il voulait lire les pensées de son confrère. Mais, cela était quasiment impossible, surtout sur un autre sorcier. Mais, avec lui il fallait se méfier. Sous les airs de pas malin qu’il se donnait par moments, il avait plus d’un tour dans son sac.
-Ton idée est la bonne. On y va... On convoque…
Le visage de Gabor ne montra rien et ne bougea pas d’un cil. Il fit juste un petit signe de la tête avant de tendre le bras derrière lui afin de fouiller dans son sac qui était pendu au dossier de sa chaise. Il en sortit deux bourses, les ouvrit et fit, sur la table, deux petits tas avec les poudres qu’elles contenaient. Il ferma les yeux pour se concentrer. Quand il les rouvrit, ils étaient blancs. Avec ses deux index, il commença à tracer des sigles avec les poudres, tout en psalmodiant en chuchotant. Quand les deux doigts se rejoignirent, il se tut et le temps sembla s’arrêter. Il ressemblait à une statue.
Cet état dura quelques secondes. Il cligna des yeux. Ceux-ci étaient redevenus normaux. Pour peu que les yeux de Gabor fussent normaux.
-Voilà, le message est lancé.
Ces trois derniers jours avaient été longs et courts à la fois. L’endroit était beau et sympathique, mais une envie irrépressible de sortir d’ici lui martelait l’esprit. Elle était une fille de la ville, mais elle aimait sa liberté, les sorties entre copines, même si elle n’en avait pas beaucoup, les cinémas, les fast-foods, le lèche-vitrines... Alors, là, rester enfermé dans cette maison, avec un homme qu’elle ne connaissait pas, même si c’était son oncle, c’était très compliqué pour elle. Heureusement que ce même oncle lui prodiguait des cours sur la sorcellerie même et sur l’histoire de cette dernière.
Par moments, elle avait l’impression que son crâne allait exploser tellement la quantité d’informations était importante. Mais, étrangement, après coup, elle trouvait qu’elle assimilait assez bien et que chaque chose prenait une place qui lui paraissait dévolue à l’avance. Cela la changeait de ses cours d’économie à la fac.
D’ailleurs, c’était mercredi soir. Elle avait loupé trois jours de cours, et tout le monde devait se demander où elle était passée. À moins que son père se soit donné la peine de donner une explication bidon. À ce moment précis, devant son assiette de pommes de terre au lard, elle se demandait si, une fois avoir développé ses pouvoirs, elle allait pouvoir retrouver son existence d’avant.
- Tu ne manges pas ? Ce n’est pas bon ?
- Oh si, excusez-moi. Mais c’est que j’ai pas mal de questions qui me taraudent l’esprit et je me suis un peu perdu à les démêler.
- Tu sais que tu peux me les soumettre. Si je peux t’aider, ce sera avec plaisir. Je ne suis pas là qu’en tant que prof intransigeant.
C’est vrai que Claudius était d’un sérieux impressionnant pendant les cours. Il semblait prendre un paquet d’années de plus. Par moments, Éloïse avait l’impression qu’en levant la tête, elle allait voir un vieil homme aux longs cheveux et longue barbe grise, comme on représente les sorciers dans beaucoup d’histoires. Un peu à la Gandalf, Merlin l’enchanteur ou Dumbledore.
Ce n’était encore pas évident de s’ouvrir à lui. Mais, qui était à même de lui donner des réponses ? Pour peu qu’elles existent.
- Que va-t-il advenir de moi après tout ça ?
- Tu ne peux pas être plus précise ?
- Vous avez raison. Je recommence. D’abord, que vais-je devenir après le jour de mes dix-huit ans ?
- Sûrement une puissante sorcière.
- Et comment le savez-vous ?
- Par tes aptitudes. Pendant ces trois jours, même si tu ne t’en es pas tellement rendu compte, je t’ai testée. Et ça m’a conforté dans ce que je pensais et savais auparavant.
- Comment ça, ce que vous pensiez auparavant ?
- N’oublie pas que je t’ai connu pendant tes deux premières années passées sur cette terre, et que je connais ta mère depuis bien des années.
- Et, ma mère, elle était puissante ?
- Évite de parler d’elle au passé s’il te plaît. Nous ne savons pas ce qui c’est passé, ni où elle pourrait bien être…
- Mais, comme vous m’avez dit le premier jour, elle ne m’aurait pas laissé si elle était partie. Puis, en douze ans, elle serait sûrement revenue me chercher. Non ?
- Je sais ce que je t’ai dit, et je pense toujours la même chose. Elle peut être dans le même cas que moi. Être enfermée quelque part. Mais, dans un endroit plus sécurisé que celui-là.
- Pourquoi «plus sécurisé» ?
- Car, ce qui va répondre à ta question de base, elle était plus puissante que chacun de nous, et donc plus que moi. Elle aurait donc pu te contacter comme je l’ai fait.
- Et pourquoi repousser l’éventualité qu’elle ai été tuée ?
- Car je ne peux m’y résoudre. Elle est comme une âme sœur pour moi. Et, je pense que, malgré cette prison dorée, je l’aurais senti si elle n’était plus de ce monde. Et toi aussi je pense. Je ne pense pas que tu ais senti une telle douleur à cette époque. Tu m’en aurais sûrement parlé sinon.
Éloïse voyait que son oncle était touché par cette discussion et par le souvenir de sa mère. Elle décida donc de revenir à ses questions de base.
- Ça ne me dit pas ce que je vais devenir après. Car, ça fait quoi une sorcière de nos jours ? Même puissante.
- Ça fait ce que ça veut. Mais, il faut faire attention de ne pas tomber du mauvais côté du pouvoir. Sinon, elle risque d’être recherchée.
- Recherchée par qui ?
- Les sorcières sont une communauté assez spéciale. Elles ont des instances qui font que celles qui dévient du droit chemin sont rattrapées par la patrouille. Alors que chez les sorciers, c’est un peu l’anarchie.
- Mais, dans ce cas, pourquoi ces «instances» n’ont rien fait pour ma mère ?
- Ça fait partie des points qui me font dire que ta mère est encore en vie. Une enquête aurait été lancée sinon. Et, quoi qu’ils préparent, cette enquête les aurait gênés. Ils ont donc préféré la faire disparaître des radars.
- Il faudrait peut-être les prévenir dans ce cas.
- C’est une bonne idée. Mais, ne t’inquiète pas, elles savent que tu existes. Tu auras sûrement de leurs nouvelles sous peu. Mais, tu avais d’autres questions je crois.
- Oui. C’est un peu la même, mais, dans des conditions différentes. Car, apparemment, mon père me voulait avant mes dix-huit ans. C’est donc qu’il attend quelque chose de moi. Mais quoi ? Et est-ce que ça s’arrêtera dans quatre jours ?
- Là, malheureusement, je ne peux pas te répondre. Car je n’en ai pas la moindre idée.
- Mais, ils vous ont enfermé là sans que vous sachiez quoi que ce soit ?
Au moment où Claudius ouvrait la bouche pour répondre, Il sentit une importante dose d’énergie passer qui le fit s’arrêter net. Éloïse sentit bien quelque chose elle aussi, mais bien moins fortement, vu l’avancée de ses pouvoirs. Mais c’est elle qui reprit, non sans un soupçon de crainte dans la voix:
- C’est quoi ? Qu’est-ce qui se passe ?
- Je n’en suis pas sûr… Répondit-il en regardant tout autour d’eux.
- Ils sont entrain de supprimer ma prison… Reprit-il dans la foulée.
- Et je suppose que ça ne sent pas bon.
- C’est tout à fait ça. Ils doivent se douter que tu es là, et que, justement, tant que cet endroit existe, et que tu es sous ma protection, ils ne pourront pas venir te chercher.
- On fait quoi alors ?
- Dès qu’on peut, on bouge.
- Mais, pour aller où ?
- Ne t’inquiète pas pour ça. La bonne question est: «Comment y aller, et comment y arriver.» Car, il ne faut pas rêver, on va être attendu dehors.
Éloïse commençait à s’affoler. Claudius le vit.
- Bon, je ne pense pas qu’ils seront de suite à la sortie. Normalement, ils ne peuvent pas casser ce genre de sortilège comme ça, dans la rue. On aura sûrement un petit laps de temps. Mais, pas énorme non plus.
Elle le vit attraper un sac à dos, pour y fourrer de la nourriture et à boire, avant que tout ce qui les entoure commence à devenir flou et finisse par disparaître.
Ils se retrouvèrent sur un toit de bâtiment. Celui-là même où elle était rentrée quelques jours auparavant. Alors qu’elle allait attraper son téléphone portable, qui, d’ailleurs, ne passait pas depuis qu’elle était là, il l’arrêta de suite:
- Non ! Laisse ça ici. Tu ne pourras plus t’en servir de toute façon. Ils vont le tracer. Elle trouva cela étrange, mais écouta son oncle.
Il la fit descendre par ce qui était un escalier de service. Point d’escalier en colimaçon, et pas plus de pièce froide et huppée au rez-de-chaussée. C’était les restes d’une habitation de plain-pied désaffectée. Vu l’illusion qui la masquait depuis quinze ans, personne n’avait pensé à la visiter pour en faire quelque chose ou à la faire démolir. L’étonnement des gens serait sûrement total. Tout comme celui d’Éloïse à ce moment même. Si ce moment n’avait pas été autant à la précipitation, elle en serait restée toute chose à contempler l’endroit.
- Et le chien ? Demanda-t-elle en arrivant dans la rue.
- C’est une illusion à partir d’un esprit. Il peut nous suivre si il le veut, mais il n’a plus de forme ni visuelle, ni physique.
Ce fut aussi une sacrée surprise. Mais elle comprit aisément que son oncle l’avait créé, ou invoqué, vu que c’était un esprit, afin de briser la solitude. En tout cas, il avait été bien sympathique.
- Viens, suis-moi, dit-il alors qu’elle allait demander dans quelle direction ils allaient aller.
Elle le suivit alors qu’il partait à grands pas en direction du centre-ville. Il avait l’air de savoir où il allait, car il n’avait aucune hésitation, ce qui rassurait un tant soit peu Éloïse. Mais il eut quand même une petite phrase qui la fit douter:
- J’espère que les lignes de métro n’ont pas changé dans ces quinze dernières années…
- Heu… Non, je ne pense pas… Réussit-elle à répondre.
Tandis que lui avait l’air concentré sur un objectif, elle, qui était presque obligée de courir pour le suivre, avançait avec une appréhension non dissimulable. Elle regardait tout le monde et avait l’impression que certains la regardaient. Devenait-elle parano ? C’était bien possible.
Ils s’engouffrèrent dans la première bouche venue. Éloïse ne savait toujours pas où il pouvait bien l’emmener. Mais, sur ce coup-là, elle était bien obligée de lui faire confiance. Enfin si, elle avait le choix, mais, était-ce vraiment un choix ? Elle devait faire confiance à cet oncle qu’elle avait dû voir dans ses deux ou trois premières années de vie, mais dont, logiquement, elle ne se souvenait aucunement, et renier tout ce que son propre père lui avait dit et enseigné pendant presque dix-huit ans. Ce n’était vraiment pas simple. Pourtant, c’est ce qu’elle faisait depuis trois jours, trois jours où elle en avait plus appris sur sa condition de sorcière que pendant le reste de sa courte vie.
Après avoir passé les portillons qui s’étaient miraculeusement ouverts devant eux sans billets, juste sur un pointage de doigt, ils se retrouvèrent sur le quai pour la direction de l’Est de la ville. Que pouvait il y avoir dans ces quartiers ? Ce n’était pas du tout son coin. Ils avaient plutôt une réputation de pauvres et malfamés. Elle se fit la réflexion que c’était peut-être une solution pour être moins facilement retrouvable. Mais, elle se traita de suite de cloche en se disant qu’avec les pouvoirs qu’ils avaient, la qualité de vie des gens n’y changerait rien.
Ils n’attendirent pas longtemps avant qu’un métro arrive. Dès qu’ils purent, ils s’engouffrèrent dedans. La rame n’était pas bondée, mais il ne risquait pas non plus d’y avoir de places assises. De toute façon, Claudius n’avait vraiment pas l’air d’avoir comme projet de s’asseoir. Il avait même l’air de vouloir rester près de la porte. Éloïse se serait cru dans une série policière.
- Maintenant, vous pouvez me dire où on va ?
- Dans un endroit où je pense qu’ils n’auront pas l’idée de venir nous chercher.
- Vous n’en êtes même pas sûr ? Répliqua-t-elle sur un ton qui ne lui ressemblait pas vraiment.
- Je te trouve légèrement agressive jeune dame. Je vais mettre ça sur le compte du stress. Et non, j’avoue qu’arrivé là, je ne suis plus sûr de rien. Sauf qu’il vaut mieux tout faire pour te mettre à l’abri. Car ça sent mauvais. Très mauvais même.
- Vivement mon anniversaire…
- Ça ne voudra pas dire que ce sera terminé, mais, déjà, ça nous enlèvera une épine du pied.
Ils avaient déjà passé quatre stations et allaient atteindre la cinquième quand Claudius re adressa la parole à sa protégée :
- Prépare-toi à sauter de la rame juste avant que les portes ne se referment. Mais, n’ai l’air de rien avant.
- Que se passe-t-il ?
- Deux hommes sont montés dans ce wagon à la station précédente. Je connais l’un d’eux, c’est un magicien. Et l’autre m’a tout l’air d’en être un aussi. Et ils ont regardé dans tout les sens avant de nous fixer un petit moment.
- Vous ne pensez pas que c’est parce que, justement, ils vous reconnaissent ?
- Non non. Je ne crois plus au père Noël depuis longtemps, ni aux coïncidences d’ailleurs. Prépare-toi.
La rame s’arrêta et les portes s’ouvrirent. Quelques passagers en descendirent et d’autres y montèrent. Coup de bol, personne ne se mit entre eux et la porte. La sonnerie de fermeture se mit à retentir.
- Go…
À cet ordre, ils bondirent hors du wagon, juste au moment où les portes se refermaient. Les deux hommes que Claudius avait remarqués n’eurent pas le temps de réagir. Le métro reparti avec eux.
- On se dépêche, on a pas beaucoup de temps. Il va falloir trouver un autre moyen de transport.
- Pourquoi pas reprendre un des métros suivants ? Car, justement, ils vont nous chercher dehors.
- C’est tordu, mais, pourquoi pas. Ce n’est pas bête. Mais, j’ai une chose à faire avant, répondit-il en entraînant d’un coup Éloïse dans un local de service.
- Oh! Qu’est-ce que vous faites ?
- Ne bouge pas, dit-il alors que la porte se refermait derrière eux et que le noir complet se fit.
Dans la pénombre, les yeux du magicien eurent l’air de prendre une légère lueur blanchâtre, tandis qu’il mettait ses mains de chaque côté d’Éloïse, mais sans la toucher. Après quelques secondes où elle se demandait ce qu’il pouvait bien faire, elle l’entendit psalmodier dans un dialecte dont elle ne connaissait que quelques mots. L’atmosphère eut l’air de vibrer autour d’elle, mais aussi, en elle. C’était assez étrange comme sensation, mais elle eut l’impression d’avoir déjà ressenti quelque chose de similaire, mais, d’inverse à la fois.
D’un coup, une sorte de lueur bleue se forma, tout comme ayant l’air de sortir d’elle, puis s’évapora en prenant la direction du plafond. Après ça, tout redevint sombre.
- C’est bien ce que je pensais. C’est vraiment pitoyable… Dit-il en se retournant vers la porte pour sortir du local. Mais Éloïse l’en empêcha en plaquant la main sur la porte.
- Houla ! Doucement ! Pause ! C’était quoi ça ? Je veux une explication avant de sortir d’ici.
-Un sortilège de surveillance. Pour savoir en permanence où tu te trouves. Je t’ai fait laisser ton téléphone, pensant qu’ils passeraient par ce biais pour te suivre. Mais pas du tout, ils ont été bien plus loin en étant plus perfides. Et ça me donne envie de vomir venant de la part de mon frère, ton propre père…
Elle laissa retomber son bras le long d’elle. C’était un peu la goutte qui faisait déborder le vase. Là, elle ne pouvait plus avoir de doute sur les intentions de chacun…
- Allez, courage jeune dame. Je ne peux pas te promettre que tout va s’arranger, mais, on va faire le maximum pour que ça se passe au mieux.
Éloïse trouva cette réplique un peu maladroite et un peu bateau, mais, vu dans l’état où elle se trouvait, vu qui était en face d’elle, et vu dans la situation où ils étaient, elle s’en contenta.
- L’idée de la petite n’est pas si bête en fait, se dit-il pour lui-même en sortant du local. C’est quitte ou double…
Il prit le chemin inverse et ils retournèrent vers le quai. Le métro suivant arriva presque aussi tôt.
- Suis-je obligé de vous dire que le maître n’est pas très content de ce qui se passe ?
- Non messire Magartaux. J’en suis largement conscient.
- Je lui ferais part de ce que vous faites pour vous rattraper. J’avoue que c’est ce qu’il fallait faire. Si vous ne l’aviez pas fait de vous-même, je crois que j’aurais pris l’initiative de le mettre en œuvre moi-même.
- Je le prends comme un compliment venant de votre part.
- Un compliment, je ne sais pas. Mais, je vous encourage tout même à ne pas relâcher votre effort. Vous savez de quoi il en retourne.
- Je le sais messire, je le sais.
L’homme qui faisait face à Richard fit juste un geste de la main en se retournant, puis quitta la pièce sans prononcer un mot de plus.
- Tu aurais pu me dire qu’il serait là…
- Je te jure que je n’en savais rien. J’ai été tout aussi étonné que toi quand je l’ai vu s’asseoir à la table.
- Comment a-t-il pu savoir alors si tu ne l’as pas «invité» ?
- Je n’en ai pas la moindre idée. Avec Magartaux, je crois qu’il faut s’attendre à tout. Déjà, je ne savais même pas qu’il était à notre époque en ce moment.
-Tu as raison. Il navigue dans le temps comme bon lui semble. Et sans l’aide de personne qui plus est. Alors que nous, on devrait être au moins deux ou trois.
- Des fois, je me demande même si il n’aurait pas la puissance pour régler le problème tout seul.
- Tu sais aussi bien que moi que c’est impossible de contrer les pouvoirs des anciennes sorcières sans en avoir une qui nous épaule.
- Oui, dommage que ta femme n’ait pas voulu nous suivre. Ce serait réglé depuis longtemps sinon. Elle était assez puissante pour ça.
- Je sais bien Gabor. Tu prêches un converti là.
- Tu lui as redemandé récemment ?
- Oui. Pas plus tard qu’après la disparition des radars de ma fille.
- Tu ne lui as pas dit j’espère…
- Bien sûr que non. Tu me crois idiot ou quoi ? Par contre, pour devancer tes prochaines questions, sa réponse est toujours la même. Un «non» catégorique. Et sa haine envers moi est toujours aussi présente.
- Ah bah tu m’étonnes… Répondit Gabor en partant dans un rire sonore…
Richard, lui, ne rigolait pas, même si, sur le coup, il ne put s’empêcher d’avoir un petit sourire en coin. Mais, pour le moment, ses plans tombaient à l’eau. Il les avait mis en route il y a si longtemps. À l’époque, il avait béni son frère de lui avoir présenté cette sorcière. Maintenant, il n’était pas si sûr que c’était une bonne chose. Car tout allait lui retomber dessus si le processus capotait.
Enfin, ce n’était pas le moment de se lamenter sur son sort. Il fallait partir en chasse. Il allait falloir retrouver sa fille coûte que coûte. Des hommes étaient d’ailleurs déjà sur le terrain. Mais elle allait sûrement être sous la protection de Claudius. Ce qui n’allait pas faciliter les choses. Car, lui aussi ne se ferait sûrement pas avoir une deuxième fois. Il était loin d’être bête. Sauf pour ce qui était de ne pas vouloir rejoindre leur groupement.
Il devait bien s’avouer que la tactique de la petite avait l’air d’être bonne. Ils sortaient de la station de métro un arrêt avant le terminus et il n’avait vu personne ressemblant de près ou de loin à un sorcier. Même si il ne les connaissait pas tous, surtout après son absence forcée.
Il ne savait pas trop quel moyen de transport serait le plus sûr. À une époque, il y avait une ligne de bus qui passait ici et qui avait un arrêt non loin de l’endroit où il voulait se rendre. Sinon, il faudrait trouver un taxi.
Il s’aperçut que ce coin de la ville n’avait pas trop changé. Sûrement parce que ce genre quartier n’intéressait que peu les hautes instances de la mairie et autres dirigeants, sauf, peut-être, aux moments des élections, et encore… Quoi qu’il en soit, il eut beau regarder partout autour de lui, il n’y avait aucun taxi en vue. Ceci expliquant peut-être cela. Les chauffeurs ne devaient pas être nombreux à venir s’aventurer ici. Il ne restait donc plus que l’option bus. Il fut soulagé de voir que des gens attendaient à l’arrêt. En espérant que la destination soit toujours la même.
- Vous n’allez pas pouvoir faire comme pour le portillon du métro avec le chauffeur.
Claudius fut assez surpris d’entendre Éloïse lui parler. En effet, elle n’avait pas dit un mot depuis l’épisode du local de service du métro. Il comprenait très bien que cela puisse être un choc pour elle. Elle ne le disait pas, mais ce devait être pour elle comme si tout son monde s’effondrait. Dix-huit ans de mensonges pour finir sur une telle perfidie. Déjà avant, il n’était pas le meilleur pour remonter le moral des gens, et avait rarement les mots justes. Apparemment, ces quinze années passées seul n’avaient pas arrangé les choses. Mais, il avait quand même de la peine pour sa nièce.
- Douterais-tu de ma force de persuasion ? Demanda-t-il en espérant que le petit trait d’humour dont il voulait faire preuve se ressente.
Il douta encore plus quand elle le regarda en haussant un sourcil d’un air apparemment interrogateur.
- Oui, je peux encore demander à ce qu’on me vende des tickets figure toi.
Il vit avec contentement qu’elle sourit à cette dernière phrase.
- N’en achetez pas pour moi, j’ai ma carte de gratuité. Je suis encore étudiante. Enfin, normalement…