La sirène du Larrit - Jean-Luc Laurent - E-Book

La sirène du Larrit E-Book

Jean-Luc Laurent

0,0

Beschreibung

Une adolescente de 15 ans, son grand-père qui joue les justiciers, des malfrats hongrois, une jeune femme destinée aux trottoirs lausannois, un flic de la sûreté. Ces personnages sont tous différents mais partagent un lien : ils sont décédés de mort violente. Aussi, un fait étrange est à relever : pour quelles raisons est-ce l’agence Black & White Investigations qui se charge de résoudre ce sac de nœuds et non pas la sûreté cantonale ? De Lausanne à Ste-Croix, en passant par Echallens et Yverdon, les détectives privés Axel Serval et son associé, Coco Panchaud, vont déployer une panoplie d’idées toutes plus imaginatives les unes que les autres. Sera-ce cependant suffisant pour déjouer tous les pièges qui leur seront tendus ?


À PROPOS DE L'AUTEUR


Né en 1949 en Suisse, Jean-Luc Laurent vit à Lausanne. Après une vie professionnelle bien remplie, tant dans les forces de police que dans l’industrie pharmaceutique ou encore à la tête d’un tea-room en compagnie de son épouse, il découvre l’écriture en 2015 avec un pamphlet politique : Le Lampiste. Marié, père et grand-père, il occupe son temps entre l’écriture, la lecture, ses petits-enfants et les balades. Il publie ici son quatrième roman.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 291

Veröffentlichungsjahr: 2022

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Jean-Luc Laurent

La sirène du Larrit

Roman

© Lys Bleu Éditions – Jean-Luc Laurent

ISBN : 979-10-377-5814-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

La première page de couverture est une création de l’artiste vaudoise Leayanne, Art paper collage. Elle a débuté par la création d’œuvres pour ses proches puis, suite à de nombreuses sollicitations, elle dévoile ses créations à un public plus large. Chaque œuvre est unique car elle reflète l’émotion de l’instant, un paysage intérieur ou l’expression d’un désir.

La photographie à l’origine de la création mentionnée ci-dessus est l’œuvre du photographe challensois Bertrand Waridel.

Né en 1967 à Lausanne, il habite à Echallens depuis 1994 et pratique la photographie en amateur depuis de nombreuses années. La photo représente la zone naturelle du Larrit à Echallens, en janvier 2019.

Du même auteur

Le lampiste – chronique d’un lynchage politique en Pays de Vaud, 2016, auto-édition, épuisé ;

Le matou et le barbouze du pape, 2018, Le Lys Bleu Éditions ;

Le sable pourpre, 2019, Le Lys Bleu Éditions ;

Saliou, 2020, Le Lys Bleu Éditions.

I

Il était presque 6 heures du matin et Axel Serval se sentait bien. Il avait subi hier sa dernière séance de torture au centre de physiothérapie de l’hôpital orthopédique de Lausanne et maintenant, Léonie, sa thérapeute-tortionnaire comme il l’appelait, était allongée là, lovée tout contre lui, comme une jeune chatte repue.

Ce n’était pas leur première partie de jambes en l’air, mais les fois précédentes, c’était les tables de soin du centre de physiothérapie qui faisaient office de lit. Il faut dire qu’Axel revenait de loin et il avait fallu toute l’expérience professionnelle et le savoir-faire de Léonie pour arriver à le faire remarcher presque normalement. Il fallait vraiment être très attentif à sa démarche pour constater une très légère claudication de la jambe gauche. Au cours d’une précédente enquête qui l’avait conduit de l’autre côté du lac, Axel s’était fait éclater le genou gauche à coups de barre de fer par un malfrat, auteur de plusieurs agressions en Suisse romande. Par ailleurs, son tibia et son fémur droits n’avaient pas non plus résisté à ce déferlement de violence.

Le malfrat, qui habitait sur les hauts d’Évian, prenait tout simplement le bateau pour venir jusqu’à Lausanne. De là, il sautait sur sa moto, qui restait de ce côté-ci de la frontière, et s’en allait commettre ses méfaits, la plupart du temps seul. Puis, il s’arrangeait pour reprendre le bateau en même temps que les travailleurs frontaliers qui rentraient chez eux après leur journée de labeur en Suisse, lorsque les contrôles douaniers étaient plus légers. Il avait finalement été arrêté par la gendarmerie nationale française un matin tôt, à la suite des informations fournies par Axel après son agression. Depuis, le malfrat était détenu à la maison d’arrêt de Lyon-Arbas. Et il n’était pas prêt d’en ressortir.

Quant à Axel, il avait dans un premier temps, été conduit aux Hôpitaux du Léman à Thonon-les-Bains avant d’être héliporté au CHUV à Lausanne où il avait été pris en charge par les spécialistes de l’Hôpital orthopédique pendant de longues semaines. C’est là qu’il avait fait la connaissance de Léonie et c’est là aussi que leur idylle avait débuté.

Axel Serval était détective privé, mais un privé qui avait du succès, contrairement à beaucoup de ses collègues qui survivaient avec difficultés en traquant les couples infidèles. Il avait été assez malin pour se mettre dans la poche plusieurs avocats à la réputation bien établie sur la place ainsi que quelques grosses compagnies d’assurances, ce qui lui permettait d’avoir un train de vie que certains lui jalousaient. Il avait ouvert son agence il y a bientôt une dizaine d’années et avait rapidement été rejoint par son ami de toujours, Coco, de son vrai nom Corentin Bavaud. Coco était né en Côte d’Ivoire mais avait été adopté dans sa plus tendre enfance par un couple de gynécologues lausannois. Il avait pratiquement le même âge qu’Axel et était très connu dans les milieux branchés lausannois ainsi que dans certains endroits assez peu fréquentables de la ville où tous l’appelaient par son surnom. Ses noms et prénoms étaient réservés aux administrations civile et militaire ainsi qu’aux divers services officiels auxquels il avait parfois à faire.

Axel et Coco se connaissaient depuis l’école et étaient toujours restés en contact, si bien que lorsqu’Axel s’était retrouvé submergé par ses affaires, c’est tout naturellement qu’il avait fait appel à son vieil ami. Ce dernier, qui subissait une période de chômage et qui aurait facilement pu tomber dans les filets de certaines de ses relations peu recommandables avait bien sûr sauté sur l’occasion. C’était vraiment inespéré pour lui. Dans le canton de Vaud, les détectives privés n’avaient pas l’obligation d’être agréés et Axel l’avait formé lui-même. Il l’avait entraîné partout où lui-même devait se rendre. Ils avaient vraiment été inséparables pendant plusieurs mois. Coco avait tellement pris à cœur cette nouvelle expérience qu’Axel avait décidé de le prendre comme associé et non pas comme employé. En référence à leurs couleurs de peau respectives, ils avaient ironiquement appelé leur agence Black & White Investigations. Ils s’étaient installés dans le quartier de Chailly, situé dans les hauts de la ville et occupaient les anciens locaux d’un collègue qui avait eu la mauvaise idée de mettre fin à ses jours. Il s’agissait d’un duplex et vu la surface des lieux, Axel avait installé son logement avec terrasse à l’étage supérieur et n’utilisait le bas qu’à des fins professionnelles. Il avait même proposé une colocation à Coco.

— Pour que tu essaies de me faire des enfants pendant que je dors ? Pas question ! avait répliqué ce dernier en éclatant de rire.

Coco avait finalement trouvé un petit appartement à la campagne, dans une ferme rénovée au centre du village de Cugy. Bien sûr, ce n’était plus l’effervescence du centre-ville comme il en avait l’habitude, mais il se sentait bien et en sécurité dans cette petite commune du Gros-de-Vaud de moins de 3 000 habitants.

Depuis qu’ils avaient pignon sur rue, les affaires n’arrêtaient plus de tomber et ils étaient sans cesse occupés de gauche et de droite. Ils traitaient les affaires les plus simples seuls et, lorsque les dossiers s’avéraient plus compliqués, ils unissaient leurs efforts pour plus d’efficacité. Actuellement, Axel terminait une histoire d’escroquerie. Il avait été mandaté par une compagnie d’assurance à qui un antiquaire de la place avait signalé un vol de tableaux pour s’en faire rembourser le prix alors que lesdites œuvres avaient simplement été dissimulées chez un complice qui les avait ensuite revendues pour le compte de l’antiquaire. Il avait fallu plusieurs mois à Axel pour résoudre cette affaire, mais maintenant, il était enfin parvenu à démasquer tous les comparses de cette escroquerie et il ne lui restait plus qu’à finaliser son rapport.

Quant à Coco, il était occupé par une histoire de vols de chiens et de chats, principalement dans les environs du quartier Mon-Repos. L’agence avait été contactée par un retraité nommé Christophe Grange qui était domicilié au chemin de Bellevue, juste en dessus du parc éponyme. Ce dernier, avec quelques amis, avait décidé de jouer les justiciers et plusieurs fois par semaine, ils passaient leurs nuits à parcourir leur quartier ainsi que le parc à la recherche des voleurs. Au début, les forces de l’ordre avaient été informées, des plaintes pénales avaient même été déposées, mais rien n’avait changé. Alors, les retraités du coin, qui avaient tout leur temps à disposition, s’étaient organisés en milice et effectuaient régulièrement des rondes de surveillance dans les environs. C’est ainsi qu’à plusieurs reprises, ils avaient mis en fuite des individus qui n’avaient manifestement rien à faire là où ils étaient. Ils avaient alors informé la police de leurs découvertes mais, au lieu de prendre en considération leurs déclarations, les pandores les avaient vertement tancés pour s’être mis en danger. C’était la raison pour laquelle ils avaient décidé de faire appel à Black & White Investigations qui avait repris l’affaire. Toutefois, au vu des premières recherches effectuées par Coco, il semblait que cette histoire avait une portée beaucoup plus importante qu’il n’y paraissait au départ.

II

7 heures étaient déjà passées ce mercredi matin et Lilou n’était toujours pas prête. Elle venait de se lever et déambulait dans l’appartement de son grand-père, la mine boudeuse, les cheveux en bataille, vêtue seulement d’un vieux short détendu et d’une chemisette. Lilou avait 15 ans et était devenue une belle jeune fille. Son corps s’était petit à petit transformé et elle ne ressemblait maintenant plus en rien à la fillette filiforme et un peu voûtée qu’elle était il y a seulement quelques années. Ses formes généreuses et sa longue chevelure auburn la faisaient paraître bien plus que son âge réel. Depuis le tragique accident de la circulation qui avait coûté la vie à ses deux parents quatre ans auparavant, la jeune fille vivait avec son grand-père, Christophe Grange. Celui-ci était la seule famille qui lui restait. C’est elle qui avait choisi. Soit elle acceptait de vivre chez son grand-père, soit elle serait placée dans une institution par l’autorité tutélaire, jusqu’à ce qu’elle ait atteint sa majorité. Son choix avait été vite fait. Le grand-père était veuf depuis une dizaine d’années et elle savait qu’elle serait aimée et choyée comme jamais.

Malgré cela, en pleine adolescence, elle avait traversé des périodes difficiles au cours desquelles elle se renfermait sur elle-même, parfois pendant plusieurs jours, mais le grand-père n’avait jamais failli. Toujours là à l’écoute, il savait aussi garder ses distances lorsqu’il sentait que sa petite-fille avait besoin de réflexion. Par contre, parfois, il fallait la bousculer un peu pour la faire avancer, ce qui était précisément le cas ce matin-là.

— Allez ! Dépêche-toi un peu ! Va prendre ta douche pendant que je prépare ton petit-déjeuner.

Elle bougonna en allant s’enfermer dans la salle de bain. Lorsqu’elle en ressortit, une tasse de thé fumant et une tartine garnie de beurre et de confiture d’abricots l’attendaient sur la table de la cuisine, recouverte d’une nappe en plastique jaune aux motifs provençaux. Pas question de partir à l’école le ventre vide avait décrété l’aïeul. Tout en mangeant, elle s’approcha de la fenêtre et regarda le ciel.

— C’est inhumain de me faire aller en classe par un temps pareil. Quand c’est comme ça, on devrait être autorisé à rester sous la couette toute la journée ! s’exclama-t-elle.

— Ce n’est qu’un peu de pluie. Ça te rafraîchira les idées, lui répondit son grand-père en riant. Et puis, tu ferais quoi sans tes chères copines ? Et n’oublie pas que c’est mercredi et que tu vas nager cet après-midi.

Tous les mercredis après-midi et les samedis matin, elle retrouvait une petite bande de filles qui s’étaient mises dans la tête de monter un spectacle aquatique. Elles s’étaient connues il y a plusieurs années lors d’un cours de natation à la piscine de Montchoisi et depuis, elles ne s’étaient plus quittées. Lilou jeta un regard en coin à son grand-père et partit s’habiller. Elle enfila finalement son ciré bleu, prit son sac à dos avec ses affaires de cours ainsi que son sac de sport renfermant ses effets de natation, notamment la longue queue de sirène rose indispensable à la préparation de leur ballet aquatique.

Après avoir embrassé son grand-père, négligeant l’ascenseur, elle dévala les escaliers. Ni lui ni elle ne pouvaient s’imaginer que c’était la dernière fois qu’ils se voyaient.

Elle marchait d’un pas vif le long de l’allée bordée d’arbres qui menait jusqu’au haut du chemin de Bellevue. La capuche de son ciré tirée sur les yeux, elle ne remarqua pas le fourgon qui était venu se positionner au bout de l’allée, l’avant tourné vers la sortie et la porte latérale grande ouverte. Elle ne vit pas non plus l’homme qui en était sorti et qui semblait attendre à proximité. Perdue dans ses pensées, Lilou ne comprit pas ce qui lui arrivait. Soudain, elle fut violemment bousculée et poussée dans le véhicule à l’intérieur duquel un second homme la réceptionna et la maintint au sol en lui collant un bâillon sur la bouche pour l’empêcher de hurler. Elle tenta bien de se débattre, mais le malfrat qui était sur elle pour la maintenir à plat ventre était bien trop lourd et trop fort pour qu’elle puisse lutter. De plus, elle se retrouvait avec une espèce de sac sur la tête et ne pouvait même plus voir ce qui se déroulait autour d’elle. Elle ne s’était même pas rendu compte que le fourgon s’était mis en mouvement et qu’ils étaient méchamment secoués à l’arrière. Tout ce qu’elle aurait pu dire, c’était que celui qui la retenait ainsi puait la transpiration, l’alcool et le tabac.

Lorsqu’enfin le véhicule s’immobilisa, Lilou entendit la porte s’ouvrir et elle fut tirée sans ménagement à l’extérieur. Elle eut d’abord de la peine à se tenir sur ses jambes. Sans rien voir, elle se rendit compte qu’elle était entourée de chiens qui aboyaient à s’arracher la gorge. Tout de suite, son odorat fut agressé par une forte odeur d’urine et d’excréments. Elle avait toujours la bouche scotchée, et ce sac sur la tête qui l’empêchait de voir où elle se trouvait. Elle essaya de se débattre, mais tout de suite, deux mains puissantes la saisirent par les bras.

— Ferenc ! Fais-la taire ! hurla une voix grave avec un solide accent qui lui sembla provenir des pays de l’Est.

— Tu ne peux pas t’enfuir et il ne te sert à rien de crier. À part nous, personne ne peut t’entendre. Alors arrête de bouger comme ça et reste tranquille, dit le nommé Ferenc.

— Mais qu’est-ce que vous me voulez à la fin ! Pourquoi vous me faites ça ? s’écria-t-elle dès qu’elle put à nouveau parler.

— Ton grand-père est devenu beaucoup trop curieux et commence à nous poser un peu trop de problèmes. Surtout maintenant qu’il a engagé un détective privé. Alors tu vas rester un peu avec nous jusqu’à ce qu’on ait terminé nos affaires ici. Quand on partira, on te laissera aller. Mais tant que tu es avec nous, il faut espérer que ton grand-père se tiendra tranquille, sinon.... Tant pis pour toi et pour lui.

C’était donc ça. Elle lui avait déjà dit, au grand-père Grange, qu’un jour ça finirait mal. Mais jamais elle n’aurait imaginé que ce serait elle qui paierait les pots cassés. Enfin, le sac qu’elle avait sur la tête fut retiré et après avoir cligné des yeux plusieurs fois, elle put voir où elle se trouvait. Une vaste salle avec un bar dans un coin, une espèce de petite scène et de grandes tentures épaisses qui couvraient la totalité des murs. Au milieu de cette salle, plusieurs dizaines de cages étaient rassemblées et c’était les aboiements déchaînés des chiens détenus qui l’avaient accueillie à son arrivée. Outre les chiens, il y avait également une quinzaine de chats, terrés au fond de leurs cages, tétanisés par la peur. Certains de leurs miaulements ressemblaient à s’y méprendre à des pleurs d’enfants et Lilou éclata en sanglots.

Voyant cela, l’homme qui lui avait parlé l’empoigna par le bras et la traîna jusqu’à une porte située à côté du bar. Ils descendirent une rampe de marches et après avoir parcouru un petit couloir, la jeune fille fut pratiquement jetée à même le sol dans un local sans fenêtre.

— Si tu continues, je te supprime encore la lumière, aboya l’homme en roulant les « r ». Alors tais-toi maintenant.

Il ressortit en claquant la porte derrière lui et donna deux tours de clé dans l’imposante serrure. Regardant autour d’elle, Lilou s’aperçut qu’elle était dans une cave et qu’elle était faite comme un rat. La porte était fermée à double tour et le local était borgne. Les murs étaient blanchis à la chaux et seules deux harasses vides traînaient dans un coin de la pièce. Elle prit une des deux caisses de plastique et s’assit dessus. Elle n’en pouvait plus. Jusqu’à quand allait-elle devoir vivre enfermée là-dedans ? Ce n’était pas humain ça !

Elle en était là de ses réflexions lorsque la porte s’ouvrit violemment. L’homme qui l’avait conduite jusqu’ici jeta un matelas qui semblait avoir déjà bien vécu, ainsi que deux couvertures. Puis, il lui lança une bouteille d’eau.

— Il y a des toilettes au bout du couloir. Je viendrais te sortir de temps en temps pour que tu puisses y aller !

Puis il referma la porte tout aussi violemment qu’il l’avait ouverte. Lilou installa son matelas dans un coin du local et se fit tant bien que mal un lit avec les couvertures. Ce serait plus confortable que la caisse sur laquelle elle était assise. Finalement, n’en pouvant plus, elle s’effondra sur ce lit de fortune en sanglotant. Mais qu’est-ce qu’elle avait fait pour se retrouver dans une telle situation ? Elle avait bien compris que c’était les agissements de son grand-père qui l’avaient conduite là mais quand même. Elle n’y pouvait rien elle. Pourquoi est-ce que c’était elle qui devait payer ? Ce n’était pas possible. Elle faisait un mauvais rêve et elle allait se réveiller. Et toujours, en dessus, ces chiens qui aboyaient.

Un peu plus tard, l’homme qui l’avait enfermée là revint vers elle. Il lui tendit un journal du jour en lui intimant l’ordre de le tenir bien droit devant elle et la prit en photo avec son téléphone portable.

— Comme ça, ton grand-père verra que tu es toujours en vie et il se tiendra tranquille, dit-il en se retirant.

III

Installé à son bureau et occupé à la rédaction de son rapport, Axel rêvassait. C’était l’automne et il faisait gris. Un de ces ciels bas avec du brouillard qui montait épisodiquement depuis le lac et entourait la ville dans une espèce de cocon de ouate sale. Il devait presque se faire violence pour continuer à rédiger. Il en était là de ses réflexions lorsque son téléphone se mit à carillonner.

— Les affaires reprennent, marmonna-t-il en soupirant.

Instinctivement, il tendit la main pour prendre son paquet de cigarettes avant de se rappeler qu’il avait arrêté de fumer. C’étaient les seuls moments où ses clopes lui manquaient. Lorsqu’il était au téléphone. Au bout du fil, maître Brun, l’un des avocats pour qui il travaillait lorsque l’homme de loi avait un travail de recherches à effectuer, semblait extrêmement excité. Il demanda à Axel s’il était libre et s’il pouvait le rejoindre à son étude pour une affaire de la plus haute importance.

— Mais voyons, Maître, vous savez bien que je ne peux rien vous refuser, ironisa Axel. Quand voulez-vous qu’on se rencontre ?

— Mais tout de suite, voyons ! Je vous ai dit que c’était extrêmement important. Dépêchez-vous, je vous attends.

— J’arrive ! répondit Axel en raccrochant.

— Un bavard qui s’excite comme ça, ce n’est pas courant, marmonna-t-il en enfilant sa veste. Ça doit être du lourd.

Il descendit au garage, sauta dans sa voiture et quelques minutes plus tard, se présenta à l’étude de Me Brun. La collaboratrice de celui-ci le fit immédiatement entrer dans le bureau de son patron et, après lui avoir proposé un café, referma délicatement la porte derrière elle.

— Alors, Maître, que se passe-t-il ?

— Ce que j’ai à vous dire est grave, très grave même. Et je vous demanderai d’être très honnête avec moi. Si vous sentez que c’est trop gros pour vous, il faut me le dire. Je ne vous en voudrai pas, au contraire, et ça ne changera rien pour nos relations futures.

— Allons Maître ! De quoi s’agit-il ? s’impatienta Axel.

— Voilà ! Un de mes très bons clients vient de m’appeler. Il a reçu ce matin un coup de téléphone d’un homme qui ne s’est bien sûr pas annoncé mais qui parlait avec un fort accent slave. Celui-ci l’a informé qu’il retenait sa petite fille en otage. La jeune fille, qui est âgée d’une quinzaine d’années, vit avec son grand-père depuis le décès de ses parents dans un accident de la circulation, il y a 3 ou 4 ans. Selon l’homme en question, elle aurait été enlevée ce matin sur le chemin de l’école, soit dans le quartier de Béthusy. Il faut préciser que mon client est à la tête d’un petit groupe composé principalement de retraités, qui lutte contre le trafic d’animaux de compagnie et il semble qu’il ait découvert des choses qu’il n’aurait jamais dû savoir. Ce serait le motif de ce rapt. Pour qu’il ne leur mette plus les bâtons dans les roues.

En entendant ça, une petite lumière rouge s’alluma quelque part dans le cerveau d’Axel.

— Et que dit la police ? s’enquit Axel.

— Justement ! C’est là que le bât blesse. Le malfrat a bien précisé que si la police était alertée, mon client ne reverrait jamais sa petite-fille, raison pour laquelle il n’a pas avisé la sûreté. Trop peur qu’il arrive malheur à la gamine.

— Mais il s’agit d’un enlèvement, Maître. Imaginez que ça tourne mal. On va tous se faire ramasser parce qu’on était au courant et qu’on a rien dit. Ce n’est pas possible ! Mais avant tout, est-ce qu’on est sûr qu’elle a bien été enlevée et qu’elle n’est pas à l’école ?

— Vous pensez bien que c’est la première chose que j’ai contrôlée. La fille n’a pas été vue en classe ce matin, répondit l’avocat d’un ton exaspéré.

Me Brun se prit un instant la tête dans les mains et, rapidement, se rangea aux bons conseils du détective.

— Vous avez raison dit-il finalement. Je vais appeler mon client pour le tenir informé et ensuite, je téléphonerai à l’inspecteur principal, adjoint Lenoir. Je le connais assez bien et je pense qu’il saura faire preuve de discrétion et mener cette affaire vers une issue heureuse. Est-ce que vous accepteriez d’accompagner mon client dans les bureaux de la sûreté pour le soutenir ? Ce matin, il était complètement effondré et il ne va pas savoir se débrouiller tout seul. Moi, j’ai une audience en début d’après-midi au tribunal et je n’ai pas encore préparé mon dossier. Je ne peux absolument pas me libérer.

— Il n’y a pas de problème. Dites-lui que je vais passer le prendre. Mais auparavant, appelez votre inspecteur, qu’on sache sur quel pied danser.

L’avocat s’assit à son bureau et passa les coups de fil dont ils avaient discuté, puis ajouta en se tournant vers Axel Serval.

— Voilà, c’est fait ! Mon client s’appelle Christophe Grange et habite au haut du chemin de Bellevue, en dessus du parc Mon-Repos. Ce n’est pas très loin de chez vous. Vous pouvez passer le prendre et ensuite, vous montez directement à la Blécherette. Lenoir vous attend. Et n’oubliez pas de l’appeler inspecteur principal. Il n’est qu’inspecteur principal adjoint et n’ira certainement jamais plus haut mais il est très pointilleux lorsqu’il s’agit de son grade.

— Attendez ! l’interrompit Alex. Christophe Grange est déjà connu de notre agence. C’est lui qui nous a mandatés pour enquêter sur cette histoire de vols d’animaux. Il nous a raconté qu’auparavant, c’était lui et ses copains qui menaient leurs propres investigations, mais ils se sont fait retendre les bretelles par les flics qui ne voulaient pas les avoir dans les pattes. C’est pourquoi ils ont fait appel à nous. Pour prendre le relais. C’est Coco, mon associé, qui est en charge du dossier. Les deux affaires sont certainement liées.

Sur ce, il quitta rapidement Me Brun, sauta dans sa Lexus et monta directement au chemin de Bellevue. Grange l’attendait devant son immeuble en faisant les cent pas et se confondit en remerciements tout en s’asseyant dans la voiture. Pendant le trajet, Alex lui posa une foule de questions relatives aux vols d’animaux et aux informations que Coco lui avait transmises ainsi que sur les circonstances de l’enlèvement de sa petite fille.

Quelques minutes plus tard, ils arrivèrent au Centre de la Blécherette. Une place de parc venait de se libérer juste devant l’entrée des bâtiments et Axel s’y engouffra. Grange était aussi pâle qu’un mort et ses mains tremblaient comme s’il était subitement atteint par la maladie de Parkinson. Aussi, en arrivant à la réception, commune pour la gendarmerie et la sûreté, c’est Axel qui prit les devants. Il se présenta brièvement et expliqua les motifs de leur venue, à savoir le rapt de la petite-fille de son accompagnant et qu’ils devaient rencontrer de toute urgence l’inspecteur principal Lenoir qui était au courant de la situation. L’assistante de police qui était de faction à l’accueil releva leurs noms et leur remit un badge « visiteur » avant de leur désigner une rangée de sièges.

— Prenez place un instant, j’appelle immédiatement l’inspecteur principal Lenoir. Il arrive tout de suite, tenta-t-elle de les rassurer.

Effectivement, à peine quelques minutes plus tard, un homme d’une quarantaine d’années, accompagné d’une jeune femme, se présenta à eux et les emmena dans un local d’audition situé un peu en retrait. Tous les deux, l’inspecteur principal adjoint Lenoir et l’inspectrice Tanner faisaient partie de la brigade criminelle et avaient hâte d’entendre le récit de Christophe Grange. Mais ce dernier était toujours sous le choc de la situation et c’est finalement Axel qui prit le relais. Il répéta avec force détails tout ce que l’avocat et Grange lui avaient raconté et comme il s’y attendait, les deux policiers furent plus que contrariés de ne pas avoir été mis au courant plus tôt. Axel poursuivit ses explications en mentionnant que lorsque monsieur Grange avait appris l’enlèvement de sa petite-fille, il lui avait été formellement interdit de prévenir la police et que s’il le faisait, il ne reverrait jamais la gamine. C’était là la raison de cette annonce tardive. Il n’avait pas osé déroger aux ordres reçus.

Après avoir posé maintes questions aux deux hommes et avoir procédé à l’information obligatoire au procureur de service, les deux policiers voulurent se rendre au domicile de Grange. Ils étaient en effet persuadés que les ravisseurs allaient rappeler et il était nécessaire de pouvoir enregistrer toutes les conversations futures afin de tenter d’en déterminer la provenance. Axel insista tellement pour accompagner son client afin de ne pas le laisser seul lorsque les pandores auraient terminé leur travail que finalement, ces derniers acceptèrent qu’il les suive, à la condition toutefois qu’il promette de se tenir éloigné de l’enquête et qu’il n’intervienne sous aucun prétexte. Enfin quoi ! L’affaire était beaucoup trop importante pour qu’un simple privé vienne mettre son nez là au milieu. Bien sûr, Axel promit tout ce qu’ils voulaient. De toute façon, il ferait bien ce dont il avait envie, avec ou sans leur accord.

Les policiers se retirèrent vers 22 heures. Ils avaient été rejoints par des spécialistes des télécommunications, lesquels avaient bidouillé l’appareil téléphonique de Grange de façon à pouvoir prendre connaissance de tous les appels qu’il recevrait, et ceci en temps réel. Par ailleurs, le moindre problème ou à la moindre manifestation des ravisseurs par un autre moyen que le téléphone devrait leur être immédiatement rapporté. Grange n’avait qu’à appeler le numéro de téléphone que Lenoir lui avait remis et ils arriveraient ventre à terre. Il était aussi prié de limiter au maximum ses appels personnels afin de laisser la ligne libre. Cette façon de procéder convenait parfaitement à Axel.

— Je ne sais pas pourquoi, mais je n’ai pas trop confiance dans ces jeunes, grommela Grange lorsque les flics furent partis.

— N’ayez crainte, lui répondit Axel. Premièrement, Lenoir n’est plus si jeune et ils sont généralement bien formés. Je suis persuadé qu’ils vont tout mettre en œuvre pour retrouver votre petite-fille. Demain matin, je vous apporterai un téléphone portable. Vous n’utiliserez que cet appareil lorsque vous voudrez me joindre. De même moi, je n’utiliserai que celui-ci pour vous appeler. Mais surtout, n’informez pas la police au sujet de ce téléphone. C’est juste pour correspondre vous et moi.

Sur ce, les deux hommes se séparèrent.

IV

À peine fut-il assis dans sa voiture qu’il composa le numéro de Coco.

— Rejoins-moi tout de suite au bureau, c’est important, dit-il avant de raccrocher.

Lorsqu’ils se retrouvèrent dans leurs locaux de Chailly, Axel avait déjà préparé du café, pensant que la nuit allait être longue. Après avoir servi deux tasses, il s’installa en face de son associé et lui demanda :

— Dis-moi tout ce que tu sais au sujet du dossier Grange.

Surpris par cette requête, Coco s’exécuta de plus ou moins bonne grâce. C’était bien la première fois qu’il devait rendre des comptes sur son travail. Les deux hommes avaient bien sûr souvent l’occasion de parler ensemble de leurs dossiers respectifs mais là, cette demande de la part d’Axel semblait vraiment bizarre. Lorsque Coco eut terminé son récit et qu’il vit à quel point son associé semblait soucieux, il se décida à poser la question qui le taraudait.

— Mais enfin, est-ce que tu vas me dire ce qui se passe ? Pourquoi veux-tu savoir tout ça, et au milieu de la nuit en plus ?

— Excuse-moi, j’aurais dû commencer par là, répondit Axel. Ce matin, j’ai été appelé par Me Brun qui est justement l’avocat de Christophe Grange. La petite-fille de Grange a été enlevée et je pense que ce rapt est en relation avec l’affaire de trafic d’animaux dont tu t’occupes.

Les deux amis se penchèrent sur ces dossiers et décidèrent de ne mener qu’une seule et même enquête, chacun s’occupant du volet qui l’intéressait. Plus ils discutaient, plus il devenait évident que les deux choses étaient liées.

— J’ai une info qui peut être intéressante. J’ai probablement trouvé l’endroit où ils cachent les animaux volés avant de les envoyer plus loin, repris Coco. C’est à Froideville. Un bâtiment qui, il y a plusieurs années, comprenait un restaurant. Puis c’est devenu un bordel tenu par deux types, un père et son fils surnommés par les flics Satanas et Diabolo, qui sont maintenant en fuite, probablement en France. Les locaux sont actuellement à l’abandon. Comme c’est en lisière de forêt et totalement isolé, il est possible que cet endroit ait été récupéré par ces malfrats. J’allais justement aller y faire un tour quand tu m’as appelé.

— Alors allons-y ! décréta Axel en se levant. Si tu veux bien que je t’accompagne bien sûr. Mais cette affaire devient aussi la mienne.

— Pas de problème, répondit Coco. Je serai aussi plus tranquille si on est les deux.

Il prit son Glock 17, un pistolet autrichien d’un calibre de 9 mm, l’un des plus réputés au monde, dans le coffre dissimulé dans une armoire du bureau, enfila son blouson de cuir et les deux hommes sortirent. En prenant l’ascenseur, Axel appuya directement sur le bouton du parking.

— On prend ma voiture si tu n’y vois pas d’inconvénient. Au moins, on est sûr d’y arriver.

Les deux hommes pouffèrent de rire et deux minutes plus tard, dans une nuit sombre et humide, ils prenaient la route de Froideville. Il est vrai que Coco circulait avec une vieille Golf noire des années 90, toute brinquebalante, et Axel avait l’habitude de dire que si son associé continuait à rouler avec une telle poubelle, comme il l’appelait, c’était juste parce qu’avec le bruit qu’elle faisait, il pouvait économiser les frais d’un autoradio.

Axel conduisait vite si bien que dans les virages de la forêt entre Cugy et Froideville, il était content de pouvoir se fier au contrôle automatique de sa voiture. En arrivant au sommet de la côte, Coco lui conseilla de ralentir afin qu’il puisse lui expliquer la configuration des lieux. Sur la droite, le bâtiment qui les intéressait avec un grand parking sur le côté, et sur la gauche, un vieux hangar appartenant au syndic de la commune. Ils montèrent jusqu’au village et firent demi-tour au giratoire de la laiterie et redescendirent.

— Tu peux parquer derrière le vieux hangar, affirma Coco. Personne ne pourra te voir.

— Je préfère pas, répondit Axel. Si c’est le bon endroit et s’il y a un guetteur ou une surveillance quelconque, on va se faire repérer. J’aime mieux redescendre un peu dans le bois et laisser ma voiture dans un chemin forestier.

C’est ce qu’ils firent. En sortant de la voiture, Axel prit une Maglite dans le vide-poche de sa portière. Les deux hommes approchèrent de la bâtisse en se glissant à travers les arbres. Arrivés à l’orée du bois, séparée du bâtiment par une petite dizaine de mètres seulement, Axel chuchota à Coco de passer par devant tandis que lui contrôlerait l’arrière de la bâtisse. Ils se rejoindraient de l’autre côté sur le parking. Ainsi, il avança lentement, la main sur la crosse de son Glock. Dans une encoignure du mur, il découvrit un fourgon de couleur foncée et portant plaques hongroises. Il posa sa lampe de poche. Au moyen de son téléphone portable, il photographia le véhicule sous tous les angles, mais surtout son immatriculation, puis les deux hommes se retrouvèrent à l’extrémité du bâtiment et sans bruits, regagnèrent la Lexus.

— Tu as vu quelque chose ? demanda Axel.

— Absolument rien, répondit son associé. Calme plat. Et toi ?

— Calme plat également, mais derrière, il y a un fourgon avec des plaques hongroises. Il est fermé et je n’ai pas pu voir ce qu’il y avait à l’intérieur, mais on peut retourner voir si tu veux.

— Je ne crois pas que ça apporte quelque chose, répondit Coco. Par contre, je pense que ça vaudrait la peine d’organiser une surveillance. Je vais récupérer quelques gars et organiser ça. On aura ainsi tout le temps quelqu’un sur place et s’il se passe quoi que ce soit, on sera immédiatement informé.