La Sonate des spectres - Éclairs - August Strindberg - E-Book

La Sonate des spectres - Éclairs E-Book

August Strindberg

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Beschreibung

Un étudiant, résident d'un immeuble bourgeois de Stockholm, y rencontre le vieux Jacob Hummel et divers autres personnages, entre rêve (ou cauchemar) et réalité...

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Seitenzahl: 114

Veröffentlichungsjahr: 2022

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La Sonate des spectres - Éclairs

La Sonate des spectres - ÉclairsLA SONATE DES SPECTRESDÉCORPERSONNAGESACTE PREMIERACTE DEUXIÈMEACTE TROISIÈMEÉCLAIRS-PERSONNAGES-ACTE PREMIER-ACTE DEUXIÈME-ACTE TROISIÈMEPage de copyright

La Sonate des spectres - Éclairs

 August Strindberg

LA SONATE DES SPECTRES

Pièce en trois actes

DÉCOR

Rez-de-chaussée et premier étage d’une maison moderne, on ne voit que l’angle de la façade qui se termine au rez-de-chaussée par un salon rond et au premier étage par un balcon qui porte une hampe de drapeau.

Par la fenêtre ouverte du salon rond, on aperçoit, quand le rideau est tiré, la statue en marbre blanc d’une jeune femme, entourée de palmiers et vivement éclairée par les rayons du soleil. À la fenêtre de gauche, des jacinthes en pots, bleues, blanches et rouges.

Sur la balustrade du balcon, au premier étage, pendent un couvre-lit en soie bleue et deux oreillers blancs. À l’intérieur des fenêtres de gauche sont suspendus des draps blancs.

C’est une claire matinée de dimanche.

Devant la maison, au premier plan, un banc vert. À droite, au premier plan, une fontaine publique ; à gauche, une colonne d’affiches.

Au fond, à gauche, la porte d’entrée, par laquelle on voit l’escalier ; les marches sont de marbre blanc, la rampe en acajou est supportée par des barreaux de cuivre ; dehors, de chaque côté de la porte, des lauriers en caisses.

À gauche de la porte, une fenêtre avec un miroir (espion). L’angle où est le salon rond donne sur une rue transversale qui se perd dans le lointain.

PERSONNAGES

LE VIEUX, Le Directeur Hummel.

L’ÉTUDIANT, Archenholz.

LA LAITIÈRE. (Apparition.)

LA CONCIERGE.

LE MORT, Consul.

LA DAME EN NOIR, fille du Mort et de la Concierge.

LE COLONEL.

LA MOMIE, femme du Colonel.

LA JEUNE FILLE, fille du Colonel. (C’est la fille du Vieux.)

L’HOMME DE QUALITÉ, nommé le baron Skanskorg, fiancé à la fille de la Concierge.

LA FIANCÉE, ancienne fiancée de Hummel, vieille à cheveux blancs.

JOHANSSON, domestique chez Hummel.

BENGTSSON, domestique du Colonel.

LA CUISINIÈRE DU COLONEL.

ACTE PREMIER

Quand le rideau se lève, plusieurs églises sonnent au loin. La porte d’entrée est ouverte à deux battants ; une femme, en vêtements sombres, se tient immobile sur l’escalier.

La Concierge balaie le vestibule ; puis elle frotte les cuivres de la porte et ensuite arrose les lauriers qui sont devant.

Dans un fauteuil roulant, placé près de la colonne d’affiches, est assis un vieux Monsieur qui lit son journal ; il a la barbe et les cheveux blancs et porte des lunettes.

La Laitière arrive en tournant le coin de la rue ; elle porte des bouteilles dans un panier en fil de fer ; elle a une robe d’été, souliers bruns, bas noirs et bonnet blanc.

Elle ôte son bonnet et l’accroche à la fontaine, essuie la sueur de son front, boit une gorgée au gobelet de la fontaine, se lave les mains et arrange ses cheveux en se regardant au miroir de l’eau.

On entend la cloche d’un vapeur, et les notes graves d’un orgue, venues d’une église voisine, traversent de temps à autre le silence.

Quand la laitière a achevé sa toilette, arrive, par la gauche :

L’ÉTUDIANT. Il semble encore mal réveillé, il n’est pas rasé. Il va à la fontaine. Un silence.

Puis-je avoir le gobelet ?

LA LAITIÈRE tire le gobelet à elle.

L’ÉTUDIANT.

Tu n’as pas encore fini ?

LA LAITIÈRE le regarde avec épouvante.

LE VIEUX, à part.

Avec qui parle-t-il ? Je ne vois personne. Est-ce qu’il est fou ? (Il continue à le considérer avec stupeur.)

L’ÉTUDIANT.

Pourquoi me regardes-tu ainsi ? Ai-je l’air si terrible ? Oui, je n’ai pas dormi cette nuit, et tu crois naturellement que je suis sorti, que j’ai fait la fête…

LA LAITIÈRE, même jeu.

L’ÉTUDIANT.

… que j’ai bu du punch, hein ? Est-ce que je sens le punch ?

LA LAITIÈRE, même jeu.

L’ÉTUDIANT.

Je ne suis pas rasé, je le sais bien… Donne-moi à boire, jeune fille, je l’ai bien gagné. (Un silence.) Eh bien, alors, il faut que je te raconte que j’ai, toute la nuit, pansé des blessés et veillé des malades ; j’ai, en effet, assisté hier soir à l’écroulement de la maison : tu sais tout, maintenant.

LA LAITIÈRE emplit le gobelet et lui donne à boire.

L’ÉTUDIANT.

Merci.

LA LAITIÈRE reste immobile.

L’ÉTUDIANT, lentement.

Veux-tu me rendre un grand service ? (Un silence.) Voici la chose : j’ai les yeux enflammés, tu le vois, mais mes mains ont touché des blessés et des cadavres ; aussi ne puis-je me laver les yeux sans danger… Veux-tu prendre mon mouchoir, qui est tout propre, le tremper dans l’eau fraîche et en bassiner mes pauvres yeux ? Veux-tu ? Veux-tu être la bonne Samaritaine ?

LA LAITIÈRE fait avec hésitation ce qu’il demande.

L’ÉTUDIANT.

Merci, ma chère enfant. (Il tire son porte-monnaie.)

LA LAITIÈRE fait un geste de refus.

L’ÉTUDIANT.

Excuse mon inadvertance, mais je suis accablé de sommeil.

LA LAITIÈRE disparaît.

LE VIEUX, à l’étudiant.

Pardonnez-moi si je vous adresse la parole, mais je vous entends dire que vous avez assisté hier soir à la catastrophe… J’en lisais précisément le récit dans le journal.

L’ÉTUDIANT.

C’est déjà dans le journal ?

LE VIEUX.

Oui, tout y est. Et votre portrait aussi. Mais on regrette de ne pas avoir appris le nom du brave étudiant…

L’ÉTUDIANT regardant le journal.

Vraiment ? C’est bien moi, oui.

LE VIEUX.

Avec qui venez-vous de causer ?

L’ÉTUDIANT.

Vous ne l’avez donc pas vu ? (Un silence.)

LE VIEUX.

Serait-il indiscret de… de vous demander votre nom ?

L’ÉTUDIANT.

Dans quel but ? Je n’aime pas la publicité : si l’on est loué, on est aussi blâmé. L’art de diffamer s’est bien développé… et d’ailleurs je ne demande aucune récompense…

LE VIEUX.

Vous êtes riche, sans doute ?

L’ÉTUDIANT.

Pas du tout : au contraire, très pauvre.

LE VIEUX.

Écoutez, je crois avoir déjà entendu votre voix… J’avais un ami de jeunesse qui avait exactement votre accent… Ne seriez-vous pas par hasard parent du grand négociant Archenholz ?

L’ÉTUDIANT.

C’était mon père.

LE VIEUX.

Les voies du Destin sont merveilleuses. Je vous ai vu quand vous étiez un petit enfant, et cela dans des circonstances particulièrement pénibles…

L’ÉTUDIANT.

Oui, je suis, paraît-il, venu au monde pendant une faillite…

LE VIEUX.

Précisément.

L’ÉTUDIANT.

Puis-je me permettre de vous demander votre nom ?

LE VIEUX.

Je suis le Directeur Hummel.

L’ÉTUDIANT.

Vraiment ?… Alors, je me souviens.

LE VIEUX.

Vous avez souvent entendu prononcer mon nom dans la maison de votre père ?

L’ÉTUDIANT.

Oui.

LE VIEUX.

Et peut-être avec une certaine animosité ? (L’Étudiant ne répond pas.) Oui, je m’en doute bien. On disait, n’est-ce pas, que j’avais ruiné votre père ? Tous ceux qui se sont ruinés par d’absurdes spéculations se considèrent comme lésés par celui qu’ils n’ont pu mettre dedans. (Un silence.) En réalité voici ce qui en est : votre père m’a dépouillé de dix-sept mille couronnes, qui constituaient alors toutes mes économies.

L’ÉTUDIANT.

Il est remarquable de voir qu’une histoire puisse être racontée de deux façons si contradictoires.

LE VIEUX.

Vous ne croyez pourtant pas que je ne vous dis pas la vérité ?

L’ÉTUDIANT.

Que dois-je croire ? Mon père ne mentait pas.

LE VIEUX.

C’est vrai : un père ne ment jamais… Mais moi aussi je suis père, par conséquent…

L’ÉTUDIANT.

Où voulez-vous en venir ?

LE VIEUX.

J’ai sauvé votre père de la misère, et il m’en a récompensé par toute la terrible haine que crée l’obligation à la reconnaissance… il a appris à sa famille à dire du mal de moi.

L’ÉTUDIANT.

Peut-être l’avez-vous rendu ingrat en empoisonnant le secours que vous lui accordiez par des humiliations inutiles ?

LE VIEUX.

Tout secours, monsieur, est une humiliation.

L’ÉTUDIANT.

Que voulez-vous de moi ?

LE VIEUX.

Je ne demande pas d’argent, mais si vous voulez me rendre de petits services, je serai bien payé. Vous voyez que je suis infirme ; certains disent que c’est ma faute, d’autres que c’est celle de mes parents : pour moi, je croirais volontiers que c’est la vie même qui en est responsable avec ses embûches, car évite-t-on un de ses pièges, on tombe sûrement dans un autre. Ainsi je ne peux pas monter les escaliers ni tirer le cordon des sonnettes, et voilà pourquoi je vous dis : aidez-moi !

L’ÉTUDIANT.

Que puis-je faire ?

LE VIEUX.

Pour commencer, poussez mon fauteuil plus près de la colonne, que je puisse lire les affiches : je veux voir ce que l’on joue ce soir.

L’ÉTUDIANT, poussant le fauteuil roulant.

Vous n’avez donc pas de domestique ?

LE VIEUX.

Si, mais il est allé faire une course… il revient tout de suite… Vous êtes médecin ?

L’ÉTUDIANT.

Non, j’étudie les langues, mais je ne sais d’ailleurs pas ce que je ferai plus tard…

LE VIEUX.

Oho… Savez-vous les mathématiques ?

L’ÉTUDIANT.

Oui, probablement.

LE VIEUX.

Bon ! Aimeriez-vous avoir une situation ?

L’ÉTUDIANT.

Ma foi, pourquoi pas ?

LE VIEUX.

Bien. (Il lit l’affiche.) On donne la Walkyrie en matinée… Le Colonel y assistera sûrement avec sa fille et, comme il se place toujours à l’extrémité du sixième rang, je vous mettrai à côté… Voulez-vous aller à la cabine téléphonique et retenir un fauteuil au sixième rang, n° 82 ?

L’ÉTUDIANT.

Il faut que j’aille cet après-midi à l’Opéra ?

LE VIEUX.

Oui, vous n’avez qu’à m’obéir et tout ira bien pour vous. Je veux que vous soyez heureux, riche et honoré. Votre conduite d’hier, comme courageux sauveteur, vous rendra célèbre demain et votre nom aura de la valeur.

L’ÉTUDIANT, allant à la cabine téléphonique.

Voilà une aventure amusante…

LE VIEUX.

Êtes-vous sportsman ?

L’ÉTUDIANT.

Oui, pour mon malheur…

LE VIEUX.

Eh bien, cela fera votre bonheur. Téléphonez. (Il lit le journal. La femme en vêtements sombres est sortie dans la rue et parle à la Concierge. Le Vieux écoute, mais le public n’entend rien. L’Étudiant revient.)

LE VIEUX.

Vous avez loué ?

L’ÉTUDIANT.

C’est fait.

LE VIEUX.

Vous voyez cette maison ?

L’ÉTUDIANT.

Je l’ai bien remarquée. Je suis passé ici hier, quand le soleil donnait sur les fenêtres… Je me suis représenté toute la beauté et tout le luxe qu’elle devait contenir et j’ai dit à un camarade : Si on pouvait avoir un appartement là-dedans, au quatrième, une jolie femme, jeune, deux beaux enfants, et vingt mille couronnes de rentes…

LE VIEUX.

Vous avez dit cela ? Vous l’avez dit ? Voyez-vous ça ! Moi aussi j’aime cette maison.

L’ÉTUDIANT.

Vous spéculez sur les maisons ?

LE VIEUX.

Hem… oui. Mais pas de la façon que vous voulez dire.

L’ÉTUDIANT.

Vous connaissez les gens qui habitent là ?

LE VIEUX.

Tous. À mon âge on connaît tout le monde, et les pères et les grands-pères, et on est toujours, en quelque manière, apparenté avec chacun. Je viens d’avoir mes quatre-vingts ans… mais personne ne me connaît vraiment – je m’intéresse au sort des hommes… (Dans le salon rond on tire le rideau. Le Colonel paraît à la fenêtre, en civil ; il regarde le thermomètre, puis rentre dans la chambre, et s’arrête devant la statue de marbre.)

LE VIEUX.

Tenez, vous voyez, voici le Colonel à côté de qui vous serez placé cet après-midi…

L’ÉTUDIANT.

Ah, c’est le Colonel ? Je ne comprends rien à tout cela, mais c’est comme un conte de fées…

LE VIEUX.

Toute ma vie, monsieur, ressemble à un recueil de contes, et, bien qu’ils soient tous différents, ils sont reliés par un fil, et le leitmotiv revient régulièrement.

L’ÉTUDIANT.

Qui représente cette statue de marbre, là ?

LE VIEUX.

C’est sa femme, naturellement.

L’ÉTUDIANT.

Était-elle vraiment si charmante ?

LE VIEUX.

Hem ! oui… oui !

L’ÉTUDIANT.

Expliquez-vous donc.

LE VIEUX.

Nous ne pouvons juger personne, mon cher enfant. Et si je vous raconte maintenant qu’il la battait, qu’elle l’a abandonné, puis qu’elle est revenue, qu’elle l’a épousé une seconde fois et que maintenant elle vit là-dedans comme une momie et vénère sa propre statue, vous croirez que je suis fou.

L’ÉTUDIANT.

Je ne comprends pas cela.

LE VIEUX.

Je m’en doute bien. Et puis voici la fenêtre aux jacinthes. C’est là qu’habite sa fille… elle est sortie à cheval, mais elle va rentrer bientôt…

L’ÉTUDIANT.

Quelle est cette femme en noir qui parle à la Concierge ?

LE VIEUX.

Ah, voyez-vous, ça c’est un peu compliqué, mais cela a du rapport avec le mort de là-haut, là où vous voyez des draps blancs.

L’ÉTUDIANT.

Qui était-ce donc ?

LE VIEUX.

C’était un homme comme nous, mais ce qui frappait le plus en lui, c’était sa vanité… Si vous étiez doué de seconde vue, comme les enfants nés le dimanche, vous le verriez bientôt sortir par cette porte pour considérer le drapeau du consulat hissé à mi-mât, car il était consul et aimait les couronnes, les lions, les insignes et les décorations.

L’ÉTUDIANT.

Vous parliez d’enfant du dimanche… je suis en effet né un dimanche.

LE VIEUX.

Non, vraiment ? Je m’en doutais… J’ai vu cela à la couleur de vos yeux… Mais alors vous pouvez voir ce que d’autres ne voient pas, l’avez-vous déjà remarqué ?

L’ÉTUDIANT.

Je ne sais pas ce que les autres voient, mais souvent… On ne parle pas de ça.

LE VIEUX.

J’en étais à peu près convaincu. Mais à moi vous pouvez parler de ça… car je… je comprends ces choses là.

L’ÉTUDIANT.

Hier, par exemple… J’ai été attiré vers cette rue écartée où précisément cette maison s’est écroulée… j’arrivai là et je m’arrêtai devant le bâtiment que je n’avais encore jamais vu. Je remarquai alors une fente dans le mur, j’entendis des craquements dans les planchers, je m’élançai et je saisis un enfant qui marchait le long du mur. L’instant d’après la maison s’écroulait… j’étais sauf, mais dans mes bras où je croyais tenir l’enfant, il n’y avait rien…

LE VIEUX.

Je dois dire que… Expliquez-moi une chose : pourquoi tout à l’heure faisiez-vous toutes sortes de gestes près de la fontaine, et pourquoi parliez-vous tout seul ?

L’ÉTUDIANT.

Vous n’avez donc pas vu la Laitière avec laquelle j’ai bavardé ?

LE VIEUX, effrayé.

La Laitière ?

L’ÉTUDIANT.

Mais oui, celle qui m’a tendu le gobelet ?

LE VIEUX.

Vraiment ? Alors, c’est comme ça !… Je ne peux pas voir, mais je suis capable d’autre chose… (À ce moment une femme à cheveux blancs se met à la fenêtre où est l’espion.) Vous voyez cette vieille femme à la fenêtre ? La voyez-vous ? Bien. Ç’a été ma fiancée, il y a soixante ans : j’en avais vingt. Soyez sans inquiétude, elle ne me reconnaît plus. Nous nous voyons tous les jours, mais sans que cela me fasse la moindre impression, et pourtant nous nous sommes juré jadis une éternelle fidélité… éternelle !

L’ÉTUDIANT.

Comme vous étiez imprudents dans ce temps-là ! nous ne parlons plus ainsi aux jeunes filles.

LE VIEUX.