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Ils croyaient leurs chemins tout tracés. Et si tout n’était qu’apparence ?
Michel, jeune homme solitaire, pensait n’avoir rien à perdre. Mais lorsqu’il croise le regard d’une femme énigmatique, il se retrouve happé dans une spirale où ses choix pourraient le briser. Entre mensonges et désirs inavoués, il découvre qu’il est parfois plus dangereux de fuir que de faire face.
De l’autre côté de la ville, la capitaine Nahiko, forte de ses blessures passées, poursuit sa quête de justice dans une enquête où chaque piste se dérobe. Alors que les ombres de la criminalité se mêlent aux siennes, elle comprend que se fier aux apparences peut coûter bien plus qu’un échec.
Dans ce roman noir où les destinées s’entrelacent, la confiance devient une arme à double tranchant, et la vérité, un luxe que tous ne peuvent pas se permettre.
Oserez-vous percer les faux-semblants ?
Immergez-vous au cœur de "La Traque des apparences", un polar haletant où un choix peut changer le cours d’une vie.
A PROPOS DES AUTEURS
Maélane Cerejo est une autrice passionnée, inspirée par les relations humaines et l'art sous toutes ses formes. Elle adore les intrigues et aime balader ses personnages dans des situations rocambolesques. Tirant son inspiration du réel, de ses lectures et des films policiers qui ont bercé son enfance, elle ajoute une touche d’humour et une dose de sensibilité à chacun de ses écrits.
Écrivain, éditeur et explorateur des arcanes historiques, Arnaud Stahl incarne une figure aux multiples facettes. Son affection pour les écrans, petits et grands, témoigne de son amour pour les mondes du cinéma. Doté de cette capacité à vivre plusieurs vies en une, il sait extraire le meilleur de chaque expérience qui se présente à lui.
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Seitenzahl: 434
Veröffentlichungsjahr: 2025
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La traque des apparences
de Maelane Cerejo & Arnaud Stahl
Le temps d’un roman
Editeur
Collection «Roman»
Le geste était machinal, une gorgée, puis une grimace et enfin un grognement de contentement avant de reposer sa pinte sur le zinc. Michel exerçait ce rituel depuis tellement longtemps, qu’il ne s’en rendait plus compte.
Il fêtait ses vingt-cinq ans, et vivait dans la jolie commune de Clermont-Ferrand. Le jeune homme se considérait comme un looser, un vrai cas d’école, selon lui. Il ne gardait jamais un travail plus d’un an, ne restait jamais avec une copine plus de six mois, et il était criblé de dettes. Sa boîte aux lettres contenait plus de courriers d’huissiers que de publicités. Et, il savait pertinemment qu’à ce rythme-là, il ne parviendrait pas à sortir la tête de l’eau.
Le jeune homme se qualifiait lui-même de chat noir, car rien de positif ne lui arrivait. Mais, il avait appris à se contenter d’un quotidien morne. Le fait de vivre au jour le jour et de ne rien attendre de personne était, d’après son expérience, une bonne façon de ne jamais être déçu. Son manque d’ambition professionnelle mêlé à une vie privée sans relief illustrait parfaitement cet état d’esprit.
Puis, alors que rien ne le présageait, une rencontre inopinée se plaça sur son chemin un jour de mai…
Michel buvait une bière bon marché dans un petit troquet sans charme qu’il avait trouvé sur son chemin. Il était perdu dans ses pensées, et admirait sans vraiment les voir, les quelques coupes poussiéreuses sur l’étagère au-dessus du comptoir. Celles-ci devaient certainement appartenir à des sportifs émérites des années 80. Le jeune homme songea qu’à une certaine époque, ce lieu devait avoir accueilli pas mal de champions pour célébrer leurs victoires.
Il n’était manifestement pas le seul à décliner au fil du temps. Car à regarder cet endroit avec attention, les périodes festives étaient maintenant lointaines. Les travailleurs modestes et les joueurs de belotes avaient remplacé les sportifs. Ces derniers avaient quatre-vingts printemps bien entamés, et Michel les observait d’un air attendri. Leurs chemises à carreaux, leurs salopettes bleues et leur vieille casquette en tissu gris cachant leur crâne dégarni, reflétaient le monde ouvrier dans lequel ils avaient évolué durant plusieurs décennies.
Leurs mains tremblantes étaient usées par des années de travail acharné. Ces grands-pères pudiques sur leurs émotions aspiraient désormais à profiter de leur retraite autour d’un jeu de cartes, d’un petit verre de rouge et de leurs amis encore de ce monde.
Alors que le jeune spectateur sortit de ses réflexions, elle poussa la porte de ce bar tel un arc-en-ciel providentiel. Il pleuvait, mais quand elle franchit le seuil, la lumière que dégageait cet ange venu de nulle part occulta tout le reste. Michel était saisi par le contraste entre l’environnement viril et crasseux du lieu et la fraîcheur du parfum que l’inconnue laissa sur son passage. Une beauté pareille, cela ne pouvait exister que dans les fictions, songea-t-il.
Elle s’assit à la table d’en face, et il se surprenait à contempler les courbes de la silhouette splendide. Sa jupe couleur abricot dévoila de longues jambes, qu’elle croisait et décroisait pour mieux s’installer. Ému par ce spectacle, le trouble de l’admirateur secret s’accentua lorsque son regard se positionna sur le décolleté de la jeune femme envoûtante. Un chemisier blanc laissait entrevoir la courbe d’une poitrine voluptueuse dont la peau semblait tellement douce. Tenté par cette sirène, Michel ferma les yeux pour se ressaisir.
Au moment de commander un thé au barman peu courtois, la voix suave de la pécheresse lui fit définitivement perdre la raison. Sans vraiment savoir pourquoi, le ricanement des quelques clients accoudés au comptoir l’irritait au plus haut point. Serait-ce à cause de leurs gémissements primitifs ? Auraient-ils des pensées malpropres à l’encontre de la jeune beauté ?
Peu importait s’il ne la connaissait pas, il était prêt à la défendre de tout affront s’il le fallait. Pourtant, depuis son entrée dans ce lieu glauque, à aucun moment, elle n’avait encore jeté le moindre regard dans sa direction.
Après avoir perdu son emploi et sa dernière petite amie en date dans la foulée, il ne restait à Michel qu’une haine indescriptible qui le détruisait à petit feu. Cependant, en regardant discrètement sa charmante voisine de table, il remercia le ciel d’avoir guidé ses pas vers ce troquet miteux.
Tout en buvant tranquillement son thé, la demoiselle sortit de son sac à main, la petite boîte rectangulaire qui contenait de fines cigarettes. Michel la trouva d’une extrême sensualité quand elle porta l’une d’entre elles à sa bouche pour l’allumer. La scène semblait se dérouler au ralenti tant il était hypnotisé.
La jeune femme regardait avec une attention toute particulière les volutes de fumée qu’elle s’amusait à expirer. Puis, elle cligna rapidement des paupières lorsque ses yeux l’irritèrent et sortit instantanément de ses pensées. Elle se leva alors pour régler sa consommation à peine terminée en ignorant effrontément les protestations du tavernier sur l’interdiction de fumer à l’intérieur de son établissement.
Avant de pousser la porte pour s’éclipser, elle se tourna une dernière fois en balayant la salle du regard. Michel baissa instinctivement les yeux quand les prunelles de la belle croisèrent les siens. Quand il releva la tête, elle n’était déjà plus là, et cet endroit lui paraissait bien vide à présent. Avait-il rêvé ? Cette personne avait-elle réellement existé ? Pour en avoir le cœur net, il se surprit à quitter promptement le bar pour suivre cette apparition enchantée.
Il aurait pu passer pour un prédateur en quête de sa proie, oui. Pourtant, ce n’était pas le balancement des hanches de la femme devant lui qui l’attirait ce soir. Cela le laissait même presque indifférent, tant il était submergé par les émotions. Elle était une couleur, mieux, une lumière qui saurait le guider vers un avenir chaleureux. Il aurait aimé lui raconter sa vie, l’objet de ses peurs ou l’origine de ses angoisses. Mais, l'idée de l’approcher et de lui parler le terrifiait, il se sentait comme un petit garçon peu sûr de lui.
Paradoxalement, il se voyait parfaitement la défendre en cas d’agression. Les rues étaient vides à présent, et il aurait pu lui arriver n’importe quoi. Alors, le super-héros improvisé serait là pour combattre les voyous qui importuneraient la belle innocente. Une fois le sort des malfrats réglé, elle se jetterait dans ses bras avec un regard énamouré, comme au cinéma.
Mais, sa carrière de sauveur prit rapidement fin, lorsque la jeune femme se retourna brusquement pour le fixer avec appréhension. Son regard interrogateur traduisait très bien l’objet de ses pensées. Alors, prenant son courage à deux mains, Michel lui raconta de manière confuse le flot d’émotions qu’il avait ressenties depuis qu’il l’avait vu entrer dans ce café. Il se sentit absolument ridicule de confesser de telles choses. Avait-il eu un coup de foudre ? Il n’aurait pas su nommer ce qui lui arrivait, mais il était certain que cette sensation inédite l’envoûtait corps et âme.
Attendrie par ce récit, un léger sourire apparut sur les lèvres de la charmante fille, ce qui réchauffa le cœur d’artichaut de son interlocuteur. Il devait certainement rougir, car il sentit ses joues le picoter légèrement.
Tout en appelant un taxi, elle sortit un morceau de papier sur lequel elle griffonna quelque chose. Puis Michel lui ouvrit galamment la portière pour qu’elle s’y engouffre, avant qu’elle n’esquisse un mouvement pour monter dans le véhicule. Avant de disparaître à bord, cette dernière lui tendit un mot à l’écriture fine et légèrement penchée.
Il était inscrit « Samedi, 22h, Waterloo ».
Une date, une heure et un lieu… C’était un rendez-vous ? Déconcerté, le jeune homme ne parvint pas encore à réaliser les derniers évènements. C’était bien plus qu’il n’avait osé espérer.
En montant les escaliers de l’immeuble dans lequel il louait un studio au troisième étage, il entendit la concierge se plaindre de la saleté laissée sur le parquet qu’elle venait de nettoyer. Mais, cela ne l’atteignit pas outre mesure. Trop occupé à penser à sa déesse du soir, il ne voulait surtout pas redescendre de son petit nuage. Alors une fois entré dans son logement, il claqua la porte pour étouffer les grossièretés de la vieille mégère. Enfin un peu de calme, pensa-t-il.
Le bonheur éphémère se transforma rapidement en interrogations. Il croyait de moins en moins à un rendez-vous galant. Pourquoi une si charmante femme s’intéresserait-elle à un looser comme lui ? D’ailleurs, qui était-elle ? Pourquoi le lieu de destination était le Waterloo ?
Le Waterloo ! Il s’agissait d’une boîte de nuit en périphérie de Clermont-Ferrand. La drogue et le sexe y étaient une monnaie des changes courante. Tout le monde connaissait la mauvaise réputation de cet établissement dans la région, à commencer par les autorités. Mais, tant que le business était florissant et que quelques figures politiques locales y trouvaient leur compte, les trafiquants en tout genre avaient encore de beaux jours devant eux. Alors, chacun fermait les yeux sur ces commerces illégaux et laissait prospérer cet endroit de débauche.
Il imagina un instant cette beauté affalée sur les coussins, lovée nonchalamment dans les bras du patron de café bedonnant. Il eut un haut-le-cœur tellement cette image le dégoûtait. Elle valait bien mieux que cela. Le jeune rêveur la préférerait dans un hôtel quatre étoiles pour décor, confortablement assise dans une posture sensuelle, au milieu d’un grand fauteuil en cuir marron. Une fine cigarette fumante entre les doigts de la divine créature compléterait parfaitement ce tableau. Pourtant, leur rencontre, quelques heures plus tôt, s’était déroulée dans un lieu de seconde zone. La belle s’était-elle perdue ?
Accaparé par ses pensées, le soir arriva rapidement. Michel n’avait rien mangé depuis des heures, mais il n’avait pas faim. Pour tenter de chasser ce doux visage de son esprit, il se servit un généreux verre de Whisky et le but d’un trait. Malgré cela, son trouble s’accentua quand il revit apparaître des courbes généreuses le narguer. Il fantasmait sur la danse de ses hanches au rythme de ses pas. Le spectacle était tellement réaliste qu’un désir féroce pour la demoiselle le submergea. Il était un cas désespéré, se moqua-t-il de lui-même.
Après un second verre du liquide brûlant, le pensif solitaire regarda sa montre afficher vingt-deux heures. Tout en s’allongeant mollement sur son lit, il réalisa que seulement vingt-quatre heures le séparaient de la beauté rencontrée plus tôt. S’il devait dresser le bilan de cette journée, celle-ci ne se terminait pas si mal finalement. Sur cette note positive, il s’endormit paisiblement.
Michel n’était pas destiné à subir sa propre vie. Ses parents n’étaient pas riches, mais parvenaient à vivre décemment pour que leur fils unique ne manque de rien. Tous les étés, la petite famille partait en vacances trois semaines sur la côte atlantique. Le reste de l’année, l’enfance tranquille de Michel se déroulait à la maison. Il agrémentait son quotidien de sorties au cinéma ou de visites au cirque selon les évènements. À l’école, sans être le premier de la classe, il arrivait à se maintenir dans la moyenne. Il ignorait si ses parents étaient fiers de lui, mais il sentait qu’ils l’aimaient et cela lui suffisait. Michel vivait sa vie de jeune garçon provincial paisiblement.
Son père était chauffeur routier, il ne faisait que des déplacements régionaux et rentrait tous les soirs. Sa mère était femme de ménage et ses quelques clients étaient des habitués. Elle ne travaillait pas tous les jours. Son emploi du temps lui permettait donc de profiter autant que possible de son fils. Quant à son salaire, il était suffisant pour compléter celui de son époux. Ne parvenant pas à avoir d’autres enfants, les parents de Michel le choyaient et le protégeaient plus que de raison.
Il aurait pu grandir dans ce contexte d’amour jusqu’à l’âge adulte. D’ailleurs, il fantasmait sur un avenir idéal. Habitant dans un pavillon moderne en banlieue d’une grande ville, avec un travail dans lequel il s’épanouirait. Michel se voyait bien dans le rôle de l’homme comblé, marié à une charmante épouse éperdument amoureuse de lui. Deux ou trois enfants feraient sa plus grande fierté, il aurait peut-être même un chien pour partager des moments de jeu en famille.
Malheureusement, la vie en avait décidé autrement. Le sort avait commencé à s’acharner sur la famille le jour de ses dix ans, alors qu’un dramatique accident de camion sur une route de montagne avait coûté la vie à son père. Le souvenir du visage blême de sa mère, à l’instant où elle avait appris la tragique nouvelle, resterait gravé à jamais dans sa mémoire. Ce jour-là, il ne manquait plus que le chef de famille pour que Michel souffle ses bougies. Mais, en quelques secondes, il avait compris que son avenir allait être chamboulé pour toujours. Son père ne rentrerait pas à la maison…
La descente aux enfers s’était enchaînée très rapidement alors que sa frêle maman désemparée ne trouvait plus la force de faire face au chagrin de la perte de son mari. En trouvant refuge dans l’alcool, cette dernière avait signé la fin d’une vie à peu près équilibrée avec son fils. Noyée dans son désespoir, elle n’avait pas su conserver son travail, n’avait pas pu subvenir aux besoins de son foyer. La jeune veuve avait sombré insidieusement dans la folie et s’était laissé mourir.
En l’espace de dix-huit mois, Michel avait été confronté à la mort de ses deux parents. Sans famille proche, il se retrouvait ainsi seul au monde. Les services sociaux avaient dû prendre en charge son éducation, mais celle-ci n’était en aucun cas comparable à celle d’un contexte familial. À l’âge où les jeunes garçons n’avaient qu’à se préoccuper de leurs amis et de leurs loisirs, le préadolescent devait faire sa place au sein d’un orphelinat composé d’une trentaine d’enfants, pas toujours très avenants.
Il avait poursuivi une scolarité sans grande conviction, jusqu’à sa majorité. Le jeune homme en devenir n'était, certes, pas très enthousiaste quant à la filière professionnelle qu’il poursuivait dans la peinture, mais il était sérieux et se faisait très discret. Il savait qu’il lui fallait obtenir un diplôme en fin de cursus afin de prétendre à un avenir décent, alors il s’accrochait malgré les circonstances. Satisfait de son apprentissage réussi et son certificat en poche, il aspirait à être un homme respectable.
Ainsi, pour gagner son indépendance financière et avoir son propre appartement, il enchaînait les petits boulots de peinture, magasinage et autres travaux de manutention. Il s’en sortait plutôt bien au vu du contexte dans lequel il avait évolué ces dernières années.
Pris dans sa nouvelle routine, les mois puis les années avaient défilé sans qu’il ne s’en aperçoive. Mais, un jour qui ressemblait visiblement à tous les autres, une magnifique jeune femme à la longue chevelure ébène avait retenu toute son attention. Elle travaillait à la caisse du supermarché de quartier dans lequel il avait ses habitudes.
Le badge qu’elle portait à la poitrine indiquait qu’elle s’appelait Séverine, quel joli prénom, avait-il songé. C’était un patronyme à la fois doux et doté d’un caractère qu’il n’aurait pas su définir sur le moment, mais il aurait bien aimé en découvrir davantage.
Malheureusement, Michel était bien trop timide pour aborder la splendide créature qui exerçait à quelques pas de chez lui. Jusqu’alors trop occupé à vivre correctement, il ne s’était jamais attardé à nouer une quelconque relation avec la gent féminine. Puis, au détour de mots gentils, de sourires avenants et de regards insistants, Michel s’était surpris à entrer dans le jeu de la séduction malgré lui.
Son manque de confiance en lui avait probablement dû attendrir la belle Séverine, car c’est elle qui avait sollicité un premier rendez-vous. Il n’oublierait jamais cette fin de soirée durant laquelle il avait découvert avec délice une des multiples façons de donner et de recevoir des plaisirs charnels.
Douze mois s'étaient écoulés depuis leurs premiers échanges, et l’amour qu’il portait à sa charmante compagne le rendait toujours aussi heureux. L’homme épanoui envisageait l’avenir optimiste qu’il avait fantasmé dix ans auparavant. Il était clair pour lui que Séverine était la femme qu’il épouserait et avec qui il fonderait une famille.
Seulement voilà, son conte de fées n’avait pas duré. Sa belle avait pris goût au confort matériel qu’il lui offrait sans concession. Tant qu’il rendait sa compagne heureuse, rien n’était trop beau pour lui faire plaisir. Pas même les crédits accumulés, quitte à se mettre en difficulté financière.
Donc pour rembourser un premier crédit, il en avait contracté un deuxième. Puis la spirale infernale s’était installée lorsque le pauvre homme avait plongé dans un troisième crédit pour rembourser le second. Et, après avoir essuyé un refus pour le quatrième, il était fauché. Il savait qu’il ne pouvait plus satisfaire Séverine.
Malheureusement toutes ses économies avaient déjà fondu comme neige au soleil. Et, les heures supplémentaires au travail pour récolter un peu plus d’argent n’avaient plus suffi à subvenir aux besoins du jeune couple. Alors quand un huissier était venu sonner à sa porte pour saisir le peu de biens qu’il possédait encore, il était déjà trop tard.
La femme vénale dont il était amoureux avait déjà trouvé réconfort dans les bras d’un homme assez riche pour qu’elle vive à ses côtés. Séverine avait-elle vraiment été sincère dans ses sentiments cette dernière année ? Il avait tout remis en doute, car avec son départ, le jeune homme désemparé avait perdu l’espoir d’une vie de famille. En effet, depuis ce jour, il s’interdisait de rêver.
Par la suite, dès qu’il gagnait un euro, il était saisi. Dès qu’il rencontrait une femme, cela restait une relation superficielle. Michel était convaincu qu’aucune d’entre elles n’aurait pu vivre avec un type incapable de payer décemment ses frais. Son expérience avec Séverine lui faisait croire que toutes les femmes réagiraient de la même façon, alors pourquoi s’investir dans une relation durable ?
Sa détermination au travail n’était plus au beau fixe, elle non plus. Ainsi, la déprime avait pris l’ascendant sur tous les aspects de sa vie. Même s’il avait fait illusion quelque temps auprès de son maigre entourage, il avait fini par perdre son emploi à cause de son manque de productivité et de son instabilité croissante. Il aurait pu vagabonder durant des années, ou vivre dans la rue, ou encore mettre fin à ses jours, car il n’avait plus rien à perdre.
Mais, trois années après être tombé amoureux pour la première fois, la vie de Michel qui semblait en pleine chute libre, allait prendre un tout nouveau virage.
Le soleil était déjà bien haut dans le ciel, lorsque Michel ouvrit les yeux. Il devait certainement être midi, ou plus tard. Peu importait, il comptait toujours sur une tasse de café et une cigarette pour commencer sa journée. Son regard honteux s’arrêta sur le capharnaüm de sa chambre.
Comment pouvait-il vivre dans un désordre pareil, se désola-t-il ? Pris d’un soudain regain d’énergie, il décida d’entamer un grand nettoyage après une bonne douche glacée. En s’installant devant sa table pour trier ses papiers, une feuille glissa du tas qu’il s’apprêtait à jeter. Il s’agissait de la note manuscrite de la veille. Comment avait-il pu oublier son rendez-vous du soir ?
La belle inconnue avait pourtant hanté ses rêves cette nuit. Il l’avait vue allongée sur un lit, passive et nue, entourée d’hommes sans visage. Il avait essayé de la recouvrir du voile de soie dont elle s’était débarrassée, mais sans succès. Elle avait un rictus légèrement moqueur, semblable à celui qu’elle lui avait adressé la veille quand il s’était confessé. La suite du songe restait floue, ou n’avait-il pas envie de se souvenir ?
Le reste de l’après-midi, les Sex Pistols résonnaient dans le petit appartement alors que Michel continuait son rangement. La musique ne devait certainement pas être au goût de l’un de ses voisins qui venait se plaindre du bruit.
Sa montre indiqua vingt et une heures lorsqu’il franchit la porte de chez lui. Pour une fois, il avait pris le parti de porter une chemise repassée et un jean convenable. L’occasion de revoir la fille dont il avait rêvé valait bien ce petit effort vestimentaire.
Le Waterloo se trouvait à l’autre bout de la ville, mais le jeune épris ne voulait pas prendre de taxi. Son rendez-vous n’était que dans une heure, et il voulait se dégourdir les jambes. Alors, il marcha d’un pas décidé vers sa destination. Plus que quelques centaines de mètres le séparaient de sa belle inconnue, se dit-il.
Durant son trajet, le nombre incalculable de pensées l’envahit à nouveau. Il ne cessait d’imaginer cette femme sublime dans des scènes différentes. En train de l’attendre impatiemment à l’entrée de l’établissement, ou confortablement assise sur un fauteuil près de la piste de danse. Tantôt avec un regard énamouré, tantôt avec un air de mépris au fond de ses prunelles. Michel s’était fait plus de films en trois quarts d’heures de marche, que n’importe quel réalisateur dans toute une carrière.
Arrivé à bon port, il revint à la réalité. Michel dépassa un groupe de jeunes motards aux allures de délinquants, plus que jamais déterminé à honorer son rendez-vous. Puis, il se dirigea vers la grande porte en bois de la discothèque. Sous les néons rouges et bleus de l’enseigne, il regarda les clients du coin de l’œil, et posa son doigt sur la sonnette pour manifester sa présence.
Un colosse tout de noir vêtu, apparu dans son champ de vision. Il lui fallut lever la tête pour lui permettre de le regarder dans les yeux. Le videur, peu amène, l’observa de bas en haut, puis le laissa pénétrer dans cette maison sulfureuse. Une fois son entrée réglée, Michel se dirigea vers la piste de danse où il prit quelques minutes pour s’habituer à l’atmosphère malsaine du lieu. Les lumières l’éblouissaient, le bruit constant l’assourdissait et surtout, la clientèle peu recommandable le rendait très mal à l’aise.
Il s’installa alors au bar, sur le premier tabouret à sa portée. En regardant les danseurs s’agiter sur la piste, il constata que la clientèle lui paraissait très jeune. Les quinquagénaires présents pourraient très bien jouer le rôle de nourrice, s’amusa-t-il à penser. Quelques adolescents boutonneux se déhanchaient au rythme de la musique. Avec leurs mouvements saccadés, ces derniers tentaient maladroitement d’impressionner la gent féminine présente. Leur imitation du paon en période de séduction n’était pas très convaincante, et cela avait le mérite de faire sourire Michel. À leur âge, Michel ne sortait que très rarement dans ce genre d’endroit. Quand c’était le cas, était-il aussi ridicule que ces jeunes garçons ? Cela aurait expliqué son manque de succès auprès des filles.
Après une heure d’attente à observer la jeunesse locale, le jeune homme vit apparaître une frêle silhouette dans la lumière. Il trouva l’inconnue encore plus belle que dans ses souvenirs. Elle portait un chemisier en soie blanche qui épousait parfaitement ses formes. Sa jupe en coton bleu marine dévoilait ses genoux. Ses cheveux couleur ébène encadraient son doux visage et retombaient sur sa jolie poitrine. Elle ressemblait à une écolière, quoiqu’un peu plus sexy tout de même.
Il sortit de sa contemplation quand elle s’approcha de lui et l’embrassa d’un baiser fougueux. Déconcerté par cette initiative, il eut un temps d’hésitation puis se laissa aller à cet assaut délicieux. Son corps répondait parfaitement aux sollicitations de la belle et le désir pour cette charmante créature ne fit qu’accroître. Alors que son cœur battait la chamade, les émotions se bousculèrent dans sa tête. Était-il en train de tomber amoureux ?
Quand elle détacha ses lèvres des siennes, Michel semblait percevoir un regard apeuré chez sa partenaire. Mais, elle détourna rapidement la tête et se blottit dans les bras du jeune homme. Ce stratagème servait peut-être à éluder une éventuelle question de sa part, mais il n’en avait que faire. Il sentait son petit corps trembler et voulait absolument la réconforter.
Elle accepta silencieusement quand Michel lui proposa de quitter les lieux. Après quelques minutes sur le parking de l’établissement, ils décidèrent de se dégourdir les jambes, car l’ambiance était bien trop glauque pour rester là. Au bout d’un quart d’heure de marche, leurs mains se joignirent enfin. L'ambiguïté de leur relation était attendrissante à observer. Pourtant, ils s’étaient étreints de manière non équivoque quelques instants plus tôt, mais rien ne laissait le deviner à présent.
Une voiture semblait les suivre depuis un moment et cela renforçait le désir protecteur de Michel envers sa compagne. En effet, à deux cents mètres du couple, une BMW longeait le trottoir les feux éteints. Rien de tel pour éveiller leur anxiété. Tout en jetant des coups d’œil par-dessus leurs épaules, ils accélérèrent le pas. L’obscurité des rues de la ville ne leur permettait pas de distinguer le nombre de personnes à bord. Alors, l’adrénaline se diffusant dans leurs corps, ils marchèrent de plus en plus vite en serrant leurs mains crispées. Les jeunes tourtereaux ne savaient pas où ils allaient, mais l’important était de semer ce véhicule. Leur chemin les mena devant le domicile du jeune homme. Celui-ci les avait inconsciemment dirigés vers le seul endroit où il se sentait en sécurité.
Les tremblements de la jeune femme tourmentée cessèrent lorsque la serrure de l’appartement se ferma à double tour derrière elle et qu’elle rabattit prestement les volets. En la regardant faire le tour de son studio, Michel pouvait se féliciter d’avoir fait le grand ménage quelques heures plus tôt. La voiture luxueuse s’était garée dans la rue. Cependant, cela n’avait plus l’air d’être au centre des préoccupations des deux jeunes gens.
D’une démarche féline, la fille dont il ignorait encore le prénom s’approcha de lui. Ses intentions gourmandes paraissaient claires quand elle l’embrassa d’une manière aussi intense que la première fois. Prenant cette attitude provocatrice pour des encouragements, le jeune homme avança lentement sa main vers le décolleté de la belle pour déboutonner délicatement le chemisier en soie. Ses doigts impatients repoussèrent le léger vêtement et dénudèrent ainsi de magnifiques seins. Ses lèvres se posèrent ensuite sur cette peau enfin dévoilée dont le grain était incroyablement doux. Ce toucher velouté mêlé au parfum frais et envoûtant de la séductrice éveilla tous les sens du jeune gourmand.
Devant les yeux troublés de sa spectatrice, Michel lui ôta délicatement ce qu’il restait de tissus puis, en fit autant pour ses propres vêtements. En s’asseyant près d’elle, il passa doucement sa main sur ce corps délectable. Son regard exprimait un mélange de tendresse, de désir et d’impatience. Ne pouvant plus attendre, il traça un sentier de baisers brûlant de la gorge de sa partenaire, jusqu’à l’adorable petit grain de beauté logé sous son nombril. Transportée par cette délicieuse offensive, la belle mystérieuse se cambra pour inviter son assaillant à s’approcher davantage d’elle.
Alors dans les bras l’un de l’autre, ils se contemplèrent sans prononcer un mot. La joie décelée dans leurs yeux parlait pour eux. Ils se découvraient mutuellement et savouraient l’instant présent. Plus rien n’existait autour d’eux. Le temps s’arrêta quand leurs deux corps ne firent plus qu’un. Bouleversée par les sensations de plaisir inouï, la demoiselle noua ses jambes fuselées autour de son jeune amant. Ce dernier s’empara de ses lèvres pour étouffer de charmants petits sons plaintifs. Quand une pluie d’étoiles apparut sous leurs paupières, ils basculèrent ensemble vers la jouissance. Les instants qui suivirent ressemblaient à un rêve tant l’état de béatitude flottait dans la pièce. La bien-aimée engourdie de bonheur se blottit dans la chaleur du corps masculin à ses côtés. Sa respiration se fit plus profonde et elle s’abandonna à une douce somnolence.
Michel la dévisagea un long moment tout en se demandant si elle était bien réelle. Ses yeux parcoururent ce joli minois, s’arrêtant sur des cils bruns recourbés, des joues rougies par leurs ébats et une peau satinée au creux de son cou. Fasciné par ce papillon de nuit, il garda en mémoire la fabuleuse saveur de leur union. La jeune beauté ne s’était-elle pas donnée à lui de toute son âme ?
À partir de cet instant, il se fit la promesse que nul autre que lui ne veillerait sur elle. Sa main caressa une dernière fois la courbe de ses hanches avant qu’il ne se lève. Puis, pris d’un regain de romantisme, il se pencha pour déposer un léger baiser sur les douces lèvres de la splendide femme quand elle se réveilla.
Michel ramassa son jean échoué sur le sol pour l’enfiler à nouveau. En entrouvrant les volets, il remarqua la voiture toujours garée devant chez lui. L’expression du visage de la belle endormie changea instantanément quand elle le comprit. Michel pouvait y lire de la peur. Alors, il s’approcha d’elle et la prit dans ses bras pour la réconforter.
Il déclara d’une voix douce :
Un timide son, presque inintelligible, sortit de la bouche de son interlocutrice.
— Elsa
— Et quel âge as-tu, séduisante Elsa ?
— Ce n’est pas très correct de demander l’âge d’une femme que l’on ne connaît pas !
Faussement gênée, elle cacha son sourire derrière les draps en coton. Michel ne voulut pas en rester là. Il était avide d’en savoir plus à son sujet, alors le jeune amant rapprocha davantage son visage pour murmurer :
— D’où vient cette charmante femme sans âge ?
Elle hésita à poursuivre, ce qui attisa la curiosité de son nouveau bien-aimé.
Un mélange de frustration et d’instinct protecteur s’empara de lui :
Déconcerté, Michel ne s’attendait pas à une telle déclaration.
— Tu es mariée ?
Depuis leur première rencontre, c’était la première fois qu’Elsa alignait plus de deux mots dans une phrase. Pour autant, Michel aurait préféré entendre le son de sa jolie voix dans des circonstances plus joyeuses. Car face aux atrocités qu’elle avait vécues, il ne pouvait pas rester insensible. Quelques instants plus tôt, ne s’était-il pas dit qu’il la protégerait dorénavant ? Il poursuivit son interrogatoire :
— Comment ton mari t’a-t-il retrouvée ?
— Je suppose que l’un de ses nombreux « amis » m’a vue, mima-t-elle avec ses doigts. Philippe est trafiquant de drogue et quand il va se fournir au Maroc, il remonte par l’Espagne, Perpignan puis Lyon et enfin Clermont, je sais qu’il a beaucoup de clients ici.
Il crut lire dans les yeux de sa maîtresse une certaine reconnaissance et peut-être du soulagement. Il était trois heures du matin, et la fatigue commençait à se faire ressentir. Au regard des récents évènements, les deux tourtereaux se mirent d’accord pour dormir quelques heures avant de prendre une décision sur la marche à suivre. Alors, Michel s’allongea derrière sa belle pour l’entourer de ses bras. Cette posture pourrait facilement devenir sa préférée tant il la trouvait agréable. Ses paupières se fermèrent quand il inhala le doux parfum de ses cheveux. Il sentit leurs deux respirations s’accorder puis ralentir peu à peu. Les nouveaux amants sombrèrent ensemble dans le doux pays des rêves.
Aux alentours de midi, Michel ouvrit enfin un œil et vit Elsa assise au bord du lit. D’une voix tendre, celle-ci lui proposa :
Son compagnon répondit avec des cordes vocales légèrement rouillées :
Tout en versant le breuvage sombre dans une tasse, elle acquiesça :
Puis, elle lui tendit la boisson chaude qui parfumait avec enchantement l’appartement. En jetant un regard furtif vers la fenêtre, elle reprit :
L’air soulagé que la jeune femme abordait ne suffisait pas à Michel pour qu’il ne s’inquiète plus.
— De combien de jours parle-t-on environ ? Questionna-t-il.
Pragmatique, il rétorqua :
Sa dulcinée parut soudainement gênée par la situation.
— Je dois t’avouer que je n’ai pas pris beaucoup d’argent avec moi. Lorsque je suis partie, je n’ai emporté que le strict minimum. J’ai quelques affaires personnelles et un peu d’argent à l’hôtel, mais c’est tout.
— Combien te reste-t-il ?
Un rire embarrassé se manifesta.
Elsa caressa l’épaule de son homme pour le rassurer :
Michel était déboussolé par la situation. Les rôles venaient de s’inverser. Sa compagne était-elle en train de le réconforter ? Il voulait en avoir le cœur net.
Elle éluda la question en répondant par une autre question.
Michel fut sincère dans ses propos :
Prise dans cet élan de confiance, cette dernière répliqua :
À ce moment précis, Michel se sentit plus amoureux que jamais. Il prit Elsa dans ses bras et l’embrassa tendrement sur les lèvres. Elle lui parut si fragile, si perdue quand elle frémit tout contre lui. Puis, au bout d’un certain temps, ils se séparèrent à regret. Une fois habillé, le jeune homme revigoré par la compagnie de cette déesse se servit un nouveau café noir et alluma une cigarette. Il se positionna ensuite à la fenêtre pour contempler les passants dehors. La rue était presque déserte en ce dimanche midi.
Seule une maman empoigna avec dextérité une poussette double sur le trottoir d’en face. L’instant d’après, un homme d’un certain âge traversa les passages piétons d’une allure très modérée. Malgré cela, Michel ne constata rien de suspect. Il n’y avait plus d’observateurs indésirables. Tout lui semblait tranquille pour l’instant. Il se dit qu’ils sortiraient le lendemain pour faire un maximum de provisions. Ainsi, ils resteraient dans son studio le temps de prendre une décision pour l’avenir. Le couple profita donc de leur journée entre les quatre murs pour faire l’amour, manger et se reposer. Ce programme correspondait au meilleur dimanche de sa vie, songea Michel.
Le lendemain, après un réveil agréable dans les bras l’un de l’autre, l’appel de la faim du jeune couple les décida à sortir du lit. L’horloge annonçait déjà midi quand ils se levèrent pour préparer le déjeuner à base de pâtes. La charmante Elsa acquiesça quand son compagnon lui demanda au préalable si elle aimait ce plat. Il en était très enthousiaste, car c’était ce qu’il savait concocter de meilleur en matière de gastronomie.
Une fois leurs repas d’expert et leurs cafés avalés, ils sortirent de l’appartement pour retirer le peu d’argent qui restait sur le compte de Michel. Le temps chaud et lourd de cette journée ajoutait une atmosphère déjà bien suffocante. Avant d’aller récupérer les affaires personnelles d’Elsa à l’hôtel dans lequel elle avait passé deux nuits, les deux amoureux firent une escale au bureau de tabac pour assouvir leur besoin de nicotine.
Quand ils arrivèrent devant l’auberge, Michel eut un mouvement de recul face à l’état délabré de l’établissement. Comment son amante aurait-elle pu tenir plusieurs jours dans un endroit aussi miteux, se questionna-t-il. Elle devait être vraiment désespérée pour en arriver là. Il ressentit durant quelques instants de la fierté pour l’avoir sauvée de ce bouge.
Ils passèrent les portes d’entrée et se dirigèrent devant la réception. Le propriétaire des lieux ne se montra pas très coopératif quand les deux individus réclamèrent les effets personnels de la demoiselle. Cette dernière n’avait pas montré signe de vie depuis plus de vingt-quatre heures et il ne pensait pas la revoir de sitôt. Alors, pour se venger de la note non réglée, le patron de l’hôtel avait rassemblé toutes ses affaires dans sa valise et l’avait descendu à l’accueil. Il avait pu ainsi relouer sans aucun scrupule les lieux dans la foulée.
Il réclama quand même avec aplomb, la somme de cinquante euros à sa cliente non assidue. D’un mouvement hésitant, la jeune femme commença à sortir le dernier billet en sa possession quand Michel l’interrompit de la main pour protester. Cette situation lui paraissait inacceptable. Les conditions d’hébergement, l’accueil sans chaleur, les tentatives d’extorsions d’argent, il y avait matière à dénoncer de telles pratiques auprès des autorités, voire peut-être auprès des médias. La crainte du gérant de devoir fermer son établissement eut raison de sa mauvaise foi. Il prit donc avec rage la petite valise bleu clair et la fit passer par-dessus le comptoir de la réception. Son baragouinage devait certainement dire qu’il ne voulait plus jamais revoir ces deux personnes. Pourtant, le couple en question ne s’attarda pas sur ces protestations, car il franchissait déjà la sortie.
Une fois dehors, Elsa remercia son sauveur d’un baiser dont elle seule avait le secret. Cette tendre démonstration d’affection revigora Michel, et confirma son attachement pour sa compagne. Les tourtereaux reprirent ensuite le chemin de l’appartement pour y déposer le seul bien matériel de la jeune femme.
Ils burent un café serré avant de repartir faire quelques provisions au supermarché du quartier. Au moment de ressortir, ils ne remarquèrent pas plus d’observateurs non désirés qu’à leur réveil. Ainsi, sans avoir besoin de l’exprimer avec des mots, les deux amants se sentirent soulagés de traverser la rue d’un pas tranquille.
Arrivés à destination, Michel et Eva firent le tour des rayons alimentaires et découvrirent avec amusement leurs goûts en commun. En effet, leurs penchants respectifs pour le café noir, les pâtes et les boîtes de conserve eurent le mérite d’accroître leur bonne humeur. Ils finirent leur course au rayon vins et spiritueux où leur envie de s’octroyer un petit plaisir gustatif prit l’ascendant sur leur raison. À peine une heure plus tard, le portefeuille de Michel était allégé de cent vingt euros. Il se dit alors que les semaines à venir n’allaient pas être faciles avec le peu d’argent qu’il leur restait.
En homme galant qu’il était, Michel porta les sacs chargés de victuailles. Sur le chemin du retour, il s’aperçut avec une pointe d’inquiétude que sa compagne avait changé d’attitude depuis leur moment complice et joyeux dans le magasin. Celle-ci semblait songeuse, elle s’était fermée dans une coquille invisible, à tel point que son amant avait eu beau l’interroger sur son mal-être éventuel, elle ne voulait pas s’ouvrir à lui. Ne désirant pas la froisser, Michel n’insista pas pour le moment.
Ils continuèrent alors leur route jusqu’à l’appartement sans prononcer un mot. Une fois rentrés, chacun rangea ses provisions, puis le jeune homme profita d’un instant de pause pour prendre sa douce compagne dans les bras. Il lui caressa le dos pour la rassurer et en profita pour enfouir son visage dans le creux de son cou. Se lasserait-il un jour de sentir son contact chaud et parfumé tout contre lui ? Malgré le plaisir non dissimulé qu’il avait à l’enlacer, il se détacha légèrement d’elle pour la regarder dans les yeux. Il voyait bien que quelque chose la tracassait. Alors, d’un air soucieux, il la questionna :
Sa sollicitude attendrit la jeune femme. Tout en lui répondant d’une petite voix, elle lui caressa la joue légèrement brunie par une barbe de trois jours.
L’instinct protecteur du jeune homme n’était jamais loin. Il reprit avec la volonté d’aller de l’avant.
— Je ne sais pas encore comment on va faire, mais je trouverai une solution, je trouverai du travail pour t’offrir une vie meilleure, je prendrai soin de toi, tu sais.
La réplique d’Elsa à peine terminée, Michel enchaîna sans attendre :
— C’est Philippe ?
Dubitatif, Michel fronça les sourcils avant de rétorquer :
Elsa prit un instant pour répondre. C’était un long moment durant lequel elle observait Michel avec ses magnifiques yeux verts. Il ne pouvait se détacher de son regard hypnotique. Ainsi, elle était assurée qu’il soit sous son charme.
Il était déconcerté par cette question et répondit avec hésitation, cette fois-ci :
— Oui, et alors ? Attends qu’essaies-tu de me dire ?
Michel n’y alla pas par quatre chemins.
D’une voix douce, mais assurée, elle confirma.
Elle joua de ses charmes pour arriver à convaincre son nouveau compagnon. Celui-ci semblait réceptif même si la peur l’envahit.
— Et avec quoi on partirait ? On prendrait le train alors que tous les flics de la ville seraient sur le qui-vive ?
Michel marqua un temps d’arrêt pour s’allumer une cigarette et déboucher une bouteille de vin. Il versa le liquide rouge sombre à ras bord dans deux verres, et en tendit un à Elsa. Sa main droite serra très fort le ballon rempli, tandis qu’il porta frénétiquement l’autre à la bouche pour inhaler la fumée. Le jeune homme agité fit les cent pas sous les yeux inquiets de sa belle. L’heure était à la réflexion, mais il ne semblait pas réfuter la proposition de cette dernière.
Exaltée par la réaction de son cher et tendre, Elsa écarquilla les yeux et déversa son flot de pensées.
Elle paraissait avoir déjà pensé à tout.
— Et comment vas-tu faire ?
Elle poursuivit le récit de son scénario.
— Dès que tu auras l’argent, on sautera dans la voiture et on s’en ira.
— Mais avec quelle voiture ? objecta-t-il.
À l’écoute de ces projets audacieux, Michel ne sut pas s’il devait être choqué ou admiratif.
— Impressionnant ! On dirait que tu as fait ça toute ta vie, dit-il en se passant la main dans les cheveux.
Elle semblait avoir réponse à tout, mais cela n’empêchait pas le jeune homme de s’inquiéter.
— Ok, mais les flics, tu y as pensé ? Ils sont toujours à la sortie de la boîte pour faire leurs contrôles.
Toujours dans le doute, Michel continua :
— Et la voiture, on la gare où ? Et le supermarché, on fait ça quand ?
À l'entendre parler, tout semblait si simple. Michel posa une dernière question, juste pour la forme. Mais, au fond de lui, il savait qu’il suivrait le plan audacieux d’Elsa.
— Et on fait quoi toute la semaine ?
Elle joignit alors le geste à la parole pour venir à bout du désir qu’elle lut dans les yeux de son amant.
Au petit matin, Michel se réveilla le premier en repensant à cette nuit d’amour. La douce créature à ses côtés était encore dans les bras de Morphée. Allongée sur le dos, les draps avaient glissé de son corps voluptueux, permettant au jeune homme de contempler à sa guise ses courbes. Il avait encore du mal à réaliser d’être en si belle compagnie. Il ne voulait pas la perdre, elle méritait bien de prendre tous les risques. À cette pensée, Michel sentit une goutte de sueur glacée couler le long de son dos. Leur projet insensé évoqué lors de leur conversation de la veille revint à son esprit. Avait-il peur ? Il n’avait jamais connu cela auparavant. Sa vie semblait jusqu’alors bien trop plate pour laisser une quelconque peur s’installer. Mais, il sut qu’après vingt-cinq années d’existence, les péripéties qu’il allait vivre avec sa complice allaient désormais changer la donne.
Elsa ouvrit ses yeux de biche et surprit Michel, le regard figé par ses dernières réflexions. Après quelques caresses approfondies et un baiser langoureux, ils se levèrent à regret. Comme la jeune femme l’avait évoqué la veille, les tourtereaux firent connaissance autour d’un café fumant. Ils tentaient maladroitement d’en savoir un peu plus l’un de l’autre.
Certes, ils avaient déjà plaisanté sur leurs goûts gastronomiques communs, mais ils avaient encore tant de choses à découvrir. Alors durant des heures, les deux jeunes gens échangèrent leurs points de vue sur tel groupe de musique et tel film sorti au cinéma. Les débats étaient houleux quand leurs opinions divergèrent, mais ils finirent par s’envoyer des boutades accompagnées d’éclats de rire. Les nouveaux amants évoquèrent ensuite les villes qu’ils aimeraient visiter. Ils parlaient avec passion des lieux chargés d’histoire qui les fascinaient. Considérant tous les deux l’océan, sa grandeur, son caractère et la ressource qu’il représentait comme un pur bonheur dans la simplicité. Michel se sentit vraiment bien auprès d’Elsa, leur complicité n’en était que renforcée.
Aux alentours de dix-huit heures, le jeune amoureux s’apprêta à accomplir la première partie du plan. Il ressentit une certaine honte à déposer un revolver factice sur le tapis de la caisse du supermarché. Qu'était-il en train de faire ? Se questionna-t-il. Quand il tendit son billet de cinq euros à la gentille hôtesse, il se promit de ne plus la recroiser dans le futur. Un rapide coup d’œil en direction du tiroir-caisse lui fit espérer une somme de deux mille euros un soir de semaine. Il sut que ce montant ne comblerait pas sa compagne durant des mois, mais cela suffirait à quitter la région.
Michel se sentit enfin soulagé quand il passa la porte de chez lui. Elsa prit des mains le jouet de son conjoint et enleva avec enthousiasme son emballage. Elle ressemblait à une enfant un soir de noël. Pointant l’objet du délit devant son reflet, elle improvisa la scène de Taxi Driver avec la fameuse réplique de De Niro « You talking to me ? ». Michel s’en amusa et rit avec elle. Il appréciait aussi son côté divertissant qu’il n’avait pas perçu de prime abord. Ils jouèrent ensemble, comme si leur projet ne comportait aucun danger. Comme si, malgré leurs envies et leur amour naissant, tout pouvait s’arrêter à cause d’un policier en civil. Peu importait le calcul du risque, ils étaient tous les deux et ils s’aimaient. Ils n’avaient pas d’autre solution que de fuir.
Il ne leur restait plus que deux jours avant de prendre la poudre d’escampette, et les deux jeunes fous devaient se procurer, dès le lendemain, une voiture de manière peu recommandable. En attendant, et puisqu’ils étaient debout depuis le milieu de matinée, les futurs fugitifs décidèrent de commencer à rassembler leurs affaires personnelles pour le grand voyage. Pour Elsa, cette tâche était rapide à réaliser parce qu'elle était venue quelques jours plus tôt avec une simple valise. En revanche, ce n’était pas la même histoire pour Michel.
Les rapports peu cordiaux qu’il entretenait avec sa propriétaire depuis cinq ans n’avaient pas empêché l’accumulation d’objets en tout genre dans cet appartement. Il lui était donc indispensable de faire un tri avant son départ. En effet, le jeune homme devait laisser derrière lui cinq longues années de papiers et de brocante pour ne conserver que le strict nécessaire. Elsa lui offrit alors son aide pour gagner du temps. Elle prit finalement les choses en main quand son partenaire installa sa propre valise sur le lit pour la remplir. Comme si elle avait fait cela toute sa vie, elle sélectionna les vêtements les plus appropriés à son avenir. Il y avait peu de choix à faire, et la modeste malle à peine remplie le démontra.