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Gustave Le Bon

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Beschreibung

Ce livre a pour but d’étudier les origines et les transformations de quelques-unes des grandes croyances religieuses, philosophiques et morales qui orientèrent les hommes au cours de leur histoire. Il constitue une nouvelle application des principes exposés dans un de mes précédents volumes : les Opinions et les Croyances, principes qui me servirent ensuite à interpréter, au cours d’un autre ouvrage, les événements de la Réforme et de la Révolution française.
Les croyances jouèrent toujours un rôle fondamental dans l’histoire. La destinée d’un peuple dépend des certitudes qui le guident. Évolutions sociales, fondations et bouleversements d’empires, grandeur et décadence des civilisations dérivent d’un petit nombre de croyances tenues pour des vérités. Elles représentent l’adaptation de la mentalité héréditaire des races aux nécessités de chaque époque.
Une des plus dangereuses erreurs modernes est de vouloir rejeter le passé. Comment le pourrions-nous ? Les ombres des aïeux dominent nos âmes. Elles constituent la plus grande partie de nous-mêmes et tissent la trame de notre destin. La vie des morts est plus durable que celle des vivants.
 

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Veröffentlichungsjahr: 2025

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Dr GUSTAVE LE BON

La Vie des Vérités

© 2025 Librorium Editions

ISBN : 9782385749453

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La Vie des Vérités

PRÉFACE

CHAPITRE I LES DIVERS FONDEMENTS DES CROYANCES RELIGIEUSES.

CHAPITRE II TRANSFORMATIONS QUE SUBISSENT LES CROYANCES RELIGIEUSES INDIVIDUELLES EN DEVENANT COLLECTIVES.

CHAPITRE III LES DIEUX DU MONDE ANTIQUE.

CHAPITRE IV LES GRANDES RELIGIONS SYNTHÉTIQUES. LE CHRISTIANISME.

CHAPITRE V COMMENT LES GRANDES RELIGIONS PEUVENT SE DÉSAGRÉGER.

CHAPITRE VI LA NAISSANCE DE NOUVELLES CROYANCES.

CHAPITRE I LES DÉFINITIONS DE LA MORALE. LE BIEN ET LE MAL, LE VICE ET LA VERTU.

CHAPITRE II LA MORALE DES SOCIÉTÉS ANIMALES ET DES SOCIÉTÉS HUMAINES.

CHAPITRE III LES FACTEURS ILLUSOIRES DE LA MORALE.

CHAPITRE IV LES FACTEURS RÉELS DE LA MORALE COLLECTIVE.

CHAPITRE V LES FACTEURS RÉELS DE LA MORALE INDIVIDUELLE

CHAPITRE I LES PHILOSOPHIES RATIONALISTES.

CHAPITRE II LES PHILOSOPHIES INTUITIONNISTES.

CHAPITRE III L’ÉVOLUTION UTILITAIRE DE LA PHILOSOPHIE. LE PRAGMATISME.

CHAPITRE IV LES IDÉES MODERNES SUR LA VALEUR DE LA PHILOSOPHIE.

CHAPITRE V L’ÉDIFICATION SCIENTIFIQUE DE LA CONNAISSANCE.

CHAPITRE VI LES LOIS SCIENTIFIQUES ET LES THÉORIES DES PHÉNOMÈNES.

CHAPITRE VII LES VÉRITÉS ENCORE INACCESSIBLES ET LES FORMES IGNORÉES DE LA CONNAISSANCE.

PRÉFACE

Ce livre a pour but d’étudier les origines et les transformations de quelques-unes des grandes croyances religieuses, philosophiques et morales qui orientèrent les hommes au cours de leur histoire. Il constitue une nouvelle application des principes exposés dans un de mes précédents volumes : les Opinions et les Croyances, principes qui me servirent ensuite à interpréter, au cours d’un autre ouvrage, les événements de la Réforme et de la Révolution française.

Les croyances jouèrent toujours un rôle fondamental dans l’histoire. La destinée d’un peuple dépend des certitudes qui le guident. Évolutions sociales, fondations et bouleversements d’empires, grandeur et décadence des civilisations dérivent d’un petit nombre de croyances tenues pour des vérités. Elles représentent l’adaptation de la mentalité héréditaire des races aux nécessités de chaque époque.

Une des plus dangereuses erreurs modernes est de vouloir rejeter le passé. Comment le pourrions-nous ? Les ombres des aïeux dominent nos âmes. Elles constituent la plus grande partie de nous-mêmes et tissent la trame de notre destin. La vie des morts est plus durable que celle des vivants.

Qu’il s’agisse de la succession des êtres ou de celle des sociétés, le passé crée le présent.

Les principes dont j’ai fait une nouvelle application dans cet ouvrage commencent à se répandre chez les générations actuelles.

L’évolution de la jeunesse est fort sensible. Ayant vu la patrie traverser des heures très sombres et les ruines matérielles et morales s’accumuler chaque jour, comprenant vers quels abîmes conduisaient les négateurs et les destructeurs, elle s’écarte d’eux et réclame d’autres maîtres. Aux métaphysiciens stériles elle oppose les réalités, la vie et la nécessité de l’action. Sortie des livres, elle regarde le monde. L’observation des peuples qui s’éteignent lui montre quelles irrémédiables décadences engendrent l’affaissement des caractères et les chimériques tentatives de bouleversements sociaux.

Ayant constaté chez les nations qui dominent le monde le rôle de la discipline, de l’énergie, de la volonté, les jeunes générations comprennent enfin qu’aucune civilisation ne peut durer sans armature mentale, et par conséquent sans certaines règles universellement respectées. Les forces morales leur apparaissent maintenant comme les véritables ressorts du monde.

Suivant la valeur des conceptions qui la guident, une nation progresse ou recule. L’histoire montre à chacune de ses pages quels désastres peut entraîner pour les peuples l’application de principes erronés. Il suffit jadis à la monarchie castillane de se laisser conduire par deux ou trois idées fausses pour ruiner un grand pays et perdre toutes ses colonies. On sait ce que les idées chimériques nous ont déjà coûté. Les plus sanguinaires conquérants sont moins dévastateurs que les idées fausses.

Si l’action des théoriciens niveleurs modernes devait durer, ils détruiraient une fois encore les plus brillantes civilisations. Le rôle de ces nouveaux barbares s’évanouira seulement avec la disparition des croyances illusoires qui font leur force.

A la jeunesse actuelle revient la tâche de modifier les idées, par la parole, par la plume, par l’action. Elle doit se mêler à la vie publique et ne pas oublier que les progrès des peuples sont toujours l’œuvre de leurs élites. Dès que les élites suivent les multitudes au lieu de les diriger, la décadence est proche. Cette loi de l’histoire n’a pas connu d’exception.

La mentalité de la jeunesse actuelle fait revivre l’espérance dans les âmes, mais son nouvel état d’esprit n’est pas sans périls. Une génération qui ne trouve plus de règles universellement acceptées pour diriger sa vie, s’efforce instinctivement de revenir vers le passé. Toujours dangereuses, ces tentatives sont en outre inutiles. Les conceptions des époques disparues ne sauraient s’adapter à un âge nouveau.

Sans doute le présent est fait surtout de passé, mais d’un passé transformé par les générations ayant hérité de lui. Nos certitudes subissent les lois éternelles qui obligent les mondes et les êtres à évoluer lentement. On peut favoriser une évolution ou l’entraver, mais le cours des choses ne se remonte pas. A chaque phase de son développement, l’homme possède des vérités à sa mesure et correspondant seulement à cette phase.

Vouloir agir ne suffit donc pas pour progresser. Il faut d’abord savoir dans quelle direction agir. L’homme d’action est un constructeur ou un destructeur, suivant l’orientation de ses efforts. Le rôle de l’homme de pensée est de lui indiquer la voie à parcourir.

Pour comprendre comment l’action peut devenir utile ou nuisible, il importe de rechercher sous quelles influences se forment les certitudes qui conduisent les hommes et de quelle façon elles se désagrègent.

Cette étude constituera une des parties essentielles de notre ouvrage. Choisissant les plus importantes des vérités qui ont guidé les peuples, nous essaierons d’en raconter l’histoire.

Elle est singulièrement dramatique et passionnante, cette histoire. Aucune ne montre mieux les successifs progrès de l’esprit humain, sa vaillance et aussi sa fragilité. L’individu moderne trouve dès le berceau l’aide bienveillante d’une civilisation toute constituée, avec une morale, des institutions et des arts. Cet héritage, dont il n’a plus qu’à jouir, fut édifié au prix d’un gigantesque labeur et d’éternels recommencements. Quel entassement d’efforts durant des siècles innombrables pour se dégager de l’animalité primitive, bâtir des cités et des temples, créer des civilisations, et essayer de pénétrer les mystères du monde.

L’homme a cherché sans trêve l’explication de ces mystères. Jamais il ne consentit à ignorer les raisons des choses. Son imagination sut en trouver toujours. L’esprit humain se passe facilement de vérités, il ne peut vivre sans certitudes.

INTRODUCTIONL’ÉCHELLE DES VÉRITÉS

§ 1. La notion de vérité. — § 2. Évolution des vérités. — § 3. Rôle des hypothèses tenues pour vérités.

§ 1. — La notion de vérité.

Le terme de vérité représente une synthèse de notions compliquées, impossibles à comprendre sans les dissocier. Avant de l’essayer, nous établirons une classification des vérités et accepterons provisoirement comme telles les conceptions tenues pour des certitudes[1] par la majorité des hommes de chaque époque.

[1] On confond souvent la vérité et la certitude. Dans son vocabulaire philosophique, M. Goblot insiste justement sur la différence qui les sépare : « Il ne faut employer le mot certitude, dit-il, que pour désigner l’état de l’esprit qui se croit en possession de la vérité ; il faut éviter de parler de la certitude d’une proposition, c’est vérité ou évidence qu’il faut dire ; la certitude est un état mental. » Littré donne une définition analogue quand il dit que la certitude est une « conviction qu’a l’esprit que les objets sont tels qu’il les conçoit ». La simple certitude est une croyance, la vérité est une connaissance.

Cette adhésion générale peut quelquefois s’appliquer à des choses illusoires. Elle n’en est pas moins une vérité, pour les convaincus. Avant de connaître une seule vérité, l’humanité posséda beaucoup de certitudes.

Nous en référant à notre division, exposée dans un précédent ouvrage, des diverses logiques et des conceptions qui leur correspondent, nous considérerons cinq ordres de vérités : vérités biologiques, vérités affectives, vérités mystiques, vérités collectives et vérités rationnelles.

Les vérités biologiques se manifestent dans les phénomènes de la vie organique. Les vérités affectives, mystiques et collectives étant personnelles et indémontrables, ne comportent d’autres preuves que l’adhésion qu’on leur donne. Elles dépendent du domaine des sensations et se trouvent à la base des croyances. Les vérités rationnelles sont au contraire impersonnelles, démontrables par l’expérience et indépendantes de toute croyance. Elles se trouvent représentées par l’ensemble des données scientifiques formant le cycle de la connaissance.

Comme toutes les classifications, celle qui précède est évidemment trop absolue. Elle sépare, en effet, des choses qui ne le sont jamais complètement. Bien rare est une conception exclusivement affective, mystique, collective ou rationnelle. Les vérités religieuses elles-mêmes, quoique d’origine mystique, contiennent souvent des éléments rationnels. On conçoit dès lors qu’une vérité quelconque ne constitue pas un phénomène simple, exprimable par une brève formule, mais un agrégat d’éléments souvent hétérogènes. Les vérités diffèrent surtout par la proportion de ces divers éléments.

Nous venons de classer les vérités, sans les définir. Recherchons maintenant dans quelles limites leur définition est possible.

La conception de la vérité a considérablement varié dans le cours des âges. Pour les uns, elle fut une entité, pour d’autres une utilité, pour d’autres encore une commodité. Aux sceptiques, elle semble simplement une erreur irréfutable à un moment donné.

Les dictionnaires trahissent nettement ces divergences. Leurs définitions se ramènent généralement à considérer avec Littré que : « La vérité est la qualité par laquelle les choses apparaissent telles qu’elles sont » ou avec plusieurs auteurs qu’elle représente « la conformité de la pensée avec la réalité »[2]. De telles explications sont visiblement dépourvues de sens réel. Les dictionnaires gagneraient en exactitude et en clarté s’ils appelaient simplement vérité l’idée que nous nous faisons des choses.

[2] Le Dictionnaire de l’Académie (7e édition) donne une définition peu compromettante. La vérité, dit-il, est « la qualité de ce qui est vrai ». Si on se reporte alors au mot vrai, on apprend que le vrai représente « ce qui est conforme à la vérité ».

Les définitions scientifiques, plus modestes, sont aussi plus précises. Laissant de côté les réalités inaccessibles, le savant considère toute vérité comme une relation, généralement mesurable, entre des phénomènes dont l’essence demeure ignorée. Il a fallu pas mal de siècles de réflexions et d’efforts pour arriver à cette formule.

Elle n’est d’ailleurs applicable qu’aux connaissances scientifiques, mais non aux croyances religieuses, politiques et morales. D’origine affective, mystique ou collective, celles-ci reposent uniquement sur l’adhésion de ceux qui les acceptent.

On les admet, soit pour leur évidence supposée, soit parce que des conceptions contraires semblent inacceptables, soit surtout parce qu’elles ont obtenu l’assentiment universel. Cet assentiment reste le seul critérium des vérités qui ne sont pas de nature scientifique.

Les pragmatistes modernes s’imaginent cependant avoir découvert dans l’utilité un nouveau critérium de la vérité :

« Le vrai, écrit W. James, n’est pas autre chose que ce que nous trouvons avantageux dans l’ordre de nos pensées, tout comme le bien est tout simplement ce que nous trouvons avantageux dans l’ordre de nos actions. »

Une telle définition n’est guère admissible. L’utilité et la vérité sont des notions visiblement dissemblables. On peut être obligé d’accepter ce qui est utile, sans le confondre pour cela avec la vérité. Nous aurons occasion de revenir sur ce point dans un autre chapitre, en étudiant le pragmatisme.

§ 2. — Évolution des vérités.

La notion de vérité était jadis inséparable de celle de fixité. Les vérités constituaient des entités immuables, indépendantes du temps et des hommes.

Comment d’ailleurs auraient-elles pu se transformer dans un monde qui ne changeait jamais ? La terre, le ciel et les dieux étaient considérés comme éternels. Seuls, les êtres vivants subissaient les lois du temps.

Cette croyance à l’immuabilité des choses et les certitudes qu’elle faisait naître régnèrent jusqu’au jour où les progrès de la science les condamnèrent à disparaître. L’astronomie fit voir que les étoiles, supposées jadis immobiles au fond du firmament, fuyaient dans l’espace avec une vertigineuse vitesse. La biologie prouva que les espèces vivantes, considérées autrefois comme invariables, se transforment lentement. L’atome lui-même perdit son éternité en devenant un agrégat de forces transitoirement condensées.

Devant de pareils résultats, l’idée de vérité s’est trouvée progressivement ébranlée au point de paraître à beaucoup de penseurs une conception dépourvue de sens réel. Certitudes religieuses, philosophiques et morales, théories scientifiques même, se sont alors effondrées successivement, ne laissant à leur place qu’un écoulement continu de choses éphémères.

Une telle conception semble éliminer entièrement la notion de vérités fixes. Je crois cependant possible de concilier l’idée de valeur absolue d’une vérité avec celle de caractère transitoire. Quelques exemples très simples suffiront à justifier cette proposition.

On sait que la photographie reproduit au moyen d’images, dont la durée d’impression est de l’ordre du centième de seconde, le déplacement rapide d’un corps, celui d’un cheval au galop, par exemple.

L’image ainsi obtenue représente une phase de mouvements d’une vérité absolue, mais éphémère. Absolue pendant un court instant, elle devient fausse après cet instant. Il faut la remplacer, comme le fait le cinématographe, par une autre image de valeur aussi absolue et aussi éphémère.

Cette comparaison est applicable aux diverses vérités en modifiant simplement l’échelle du temps. Bien que changeantes, elles ont le même rapport avec la réalité que les photographies instantanées dont nous venons de parler, ou encore que le reflet des vagues dans un miroir. L’image est mobile et cependant toujours vraie.

Dans les transformations rapides, l’absolu de la vérité peut n’avoir qu’une durée d’un centième de seconde. Pour certaines vérités morales, l’unité de temps sera la vie de quelques générations. Pour les vérités concernant l’invariabilité des espèces, l’unité se trouvera représentée par des millions d’années. La durée des vérités varie ainsi de quelques centièmes de seconde à plusieurs milliers de siècles. Cela revient à dire qu’une vérité peut être à la fois absolue et transitoire.

Les comparaisons précédentes, exactes au point de vue des vérités objectives indépendantes de nous, le sont beaucoup moins pour les certitudes subjectives : conceptions religieuses, politiques et morales notamment. Ne contenant que de faibles portions de réalité, elles sont uniquement conditionnées par l’idée que nous nous faisons des choses, suivant le temps, la race, le degré de civilisation, etc. Il est donc naturel qu’elles varient, la vérité correspondant aux pensées et aux besoins d’une époque ne suffit plus à une autre.

La notion de vérité, à la fois stable et éphémère, remplacera sûrement dans la philosophie de l’avenir les vérités immuables de jadis ou les négations sommaires de l’heure présente.

En fait, il est rare que l’homme choisisse librement ses certitudes. L’ambiance les lui impose et il en suit les variations. Les opinions et les croyances se modifient pour cette raison avec chaque groupe social.

Les milieux qui influencent nos conceptions peuvent varier lentement mais ils finissent toujours par changer. La marche du monde est comparable, suivant la belle image de la philosophie antique, à l’écoulement d’un fleuve. On doit cependant compléter cette image en disant que le fleuve entraîne des molécules toujours à peu près semblables, alors que, pour la plupart des phénomènes de l’univers, ceux de la vie sociale notamment, le temps roule des éléments constamment modifiés.

Ils se modifient fatalement parce qu’un être quelconque, plante, animal, homme ou société, est soumis à deux forces sans cesse agissantes qui le transforment graduellement : les milieux passés dont l’hérédité entretient l’empreinte et les milieux présents. Cette double influence conditionne toute la vie mentale et par conséquent les vérités morales et sociales qui en sont l’expression. Si le temps, par exemple, précipitait son cours comme dans les images cinématographiques, l’existence serait tellement abrégée que nos idées morales se verraient bouleversées. La vie de l’individu ne comptant plus, il s’intéresserait seulement à celle de son espèce. Un altruisme intense dominerait toutes les relations. Si, au contraire, le temps était ralenti et que l’existence durât plusieurs siècles, un égoïsme féroce serait la caractéristique des hommes.

Nous conclurons en disant que les vérités humaines évoluent comme tous les phénomènes de la nature. Elles naissent, grandissent et déclinent. C’est pourquoi nous avons pu donner comme titre à ce livre : la Vie des Vérités.

L’utilité d’une telle conception apparaîtra dans plusieurs chapitres de cet ouvrage et notamment en étudiant la genèse de la morale.

§ 3. — Rôle des hypothèses tenues pour des vérités.

On objectera sans doute aux pages précédentes que beaucoup de croyances religieuses ou morales, tenues pour des certitudes, n’ont à aucun instant constitué des vérités et ne sauraient dès lors se classer dans la famille des vérités, même éphémères.

Nous répondrons que les légendes religieuses les plus surprenantes dissimulent souvent d’indiscutables vérités. On pourrait comparer ces dernières aux fables des moralistes enveloppant dans leurs fictions des vérités profondes. Il est certain qu’un loup ne disserte pas avec les agneaux comme le raconte La Fontaine, mais la conclusion de l’apologue sur la raison du plus fort exprime néanmoins une incontestable vérité.

Il est également très sûr que Jehovah n’a pas dicté à Moïse les tables de la loi, et non moins sûr cependant que, sans leurs commandements fort justes, le peuple juif n’aurait pu prospérer. La fiction de Jehovah était nécessaire pour donner au Décalogue une autorité acceptée sans discussion.

Une vérité peut donc se présenter sous un vêtement illusoire et ne pas cesser pourtant d’être une vérité. Appuyées sur le prestige de divinités redoutables, les prescriptions morales et les contraintes diverses sans lesquelles aucune société ne subsisterait réussirent à s’imposer.

Une des grandes erreurs des rationalistes modernes est de ne pas comprendre que des vérités très rationnelles ne parviennent souvent à se faire accepter que sous une forme irrationnelle.

Si l’on refuse le qualificatif de vérité aux croyances religieuses et morales, bien qu’elles aient fourni des certitudes précises à leurs adeptes, il faut alors les ranger dans la famille de ces grandes hypothèses dont l’humanité ne peut se passer et que la science accepte pour vérités provisoires.

En présence de phénomènes aussi incompris que la raison première des choses, les origines de l’univers et de la vie, les lois de l’évolution sociale, etc., on doit, ou se priver d’explications, ou fabriquer des hypothèses.

Ces hypothèses furent toujours jusqu’ici de deux sortes. Les unes font intervenir les volontés d’êtres supérieurs, les autres l’expérience et l’observation seulement. Les secondes représentent les hypothèses scientifiques, les premières les hypothèses théologiques.

Toutes les sciences, y compris les mathématiques, sont édifiées sur des hypothèses. H. Poincaré a longuement démontré leur nécessité dans son livre célèbre, la Science et l’Hypothèse, qu’il voulut bien jadis écrire à ma demande.

Comme exemple de l’importance de ces hypothèses, on peut citer celle de l’inaccessible éther en physique et de l’invisible atome en chimie. Éther et atomes sont des sortes de puissances supérieures auxquelles, pour expliquer les phénomènes, on est obligé d’attribuer les propriétés les plus merveilleuses et souvent les plus contradictoires.

La science ne se préoccupe pas de ces contradictions. Elle sait seulement que, sans l’indispensable hypothèse de l’éther, toute la physique s’écroulerait. Il est aussi impossible de s’en passer qu’il l’était jadis de se passer des dieux pour expliquer l’univers.

Les hypothèses religieuses, morales et sociales doivent donc être considérées de la même façon que les hypothèses scientifiques. Les unes et les autres sont de puissants moyens d’action et des créatrices de réalités. Si les hypothèses religieuses ne furent pas plus certaines que l’atome et l’éther, elles constituèrent, tout autant qu’eux, d’indispensables nécessités, puisque grâce à elles les sociétés et les civilisations se sont fondées et ont progressé.

Peu importe à la science qu’une hypothèse soit reconnue fausse plus tard si elle a produit des découvertes. Peu importe également que les hypothèses religieuses, politiques ou morales se trouvent jugées inexactes un jour, si elles ont assuré la vie et la grandeur des peuples qui les adoptèrent. C’est par l’importance de ce rôle et non pas suivant leur valeur rationnelle qu’on doit les juger.

Et il ne s’agit point ici de subtilités métaphysiques, mais de résultats matériels très tangibles. L’histoire d’une civilisation est l’histoire de ses hypothèses. De simples hypothèses ont fait surgir du néant les pyramides, les temples, les mosquées, les cathédrales et toutes les merveilles que les âges de foi pouvaient seuls créer. Une hypothèse religieuse fonda le vaste empire de Mahomet, une autre hypothèse religieuse précipita l’Occident sur l’Orient à l’époque des Croisades ; une hypothèse religieuse encore conduisit les Puritains anglais, fuyant les persécutions et désireux de pratiquer librement leur foi, à créer dans les déserts inhabités de l’Amérique la petite colonie qui devait devenir l’immense république des États-Unis.

Si l’homme n’avait pas eu des hypothèses pour guides, il serait encore plongé dans la barbarie. Elles l’orientèrent sur sa route incertaine et lui permirent de trouver des vérités à sa mesure, c’est-à-dire en rapport avec la mentalité de son époque et de sa race. L’ère des hypothèses chimériques a préparé l’âge de la raison.

Il ne faut donc pas dédaigner celles dont vécurent nos pères. Beaucoup d’entre elles n’étaient que des illusions, sans doute, mais ces illusions créèrent pour des millions d’hommes des espérances constituant le bonheur et engendrèrent les plus utiles réalités. Leur rôle prépondérant dans notre évolution a été cependant longtemps méconnu. Les peuples ne s’en passèrent jamais et probablement ils en auront besoin toujours. Une humanité privée d’hypothèses ne durerait pas longtemps.

 

LA VIE DES VÉRITÉS

LIVRE ILE CYCLE DES CERTITUDES MYSTIQUES. LES DIEUX.

CHAPITRE ILES DIVERS FONDEMENTS DES CROYANCES RELIGIEUSES.

§ 1. Les idées actuelles sur la genèse des religions. — § 2. Éléments mystiques et affectifs des croyances religieuses. — § 3. Éléments rationnels des croyances religieuses. — § 4. Éléments collectifs des croyances religieuses. — § 5. Rôle des rites et des symboles dans la constitution des croyances religieuses. — § 6. Analogie des croyances religieuses chez tous les peuples.

§ 1. — Les idées actuelles sur la genèse des religions.

Bien que l’histoire de l’humanité soit inintelligible sans celle de ses dieux, l’analyse des religions fut longtemps dédaignée par la science.

A une époque récente seulement, elle finit par intéresser les savants. Mais les interprétations qu’ils appliquèrent alors produisirent d’assez médiocres résultats.

La genèse des religions demeure encore mal connue, parce qu’on a cru pouvoir les étudier comme les autres événements historiques, à l’aide de textes. Or, les religions pratiquées diffèrent toujours des religions enseignées par les livres. Nous verrons dans un autre chapitre qu’une religion adoptée est bientôt transformée, quoique ses textes restent invariables.

On connaît donc fort peu de chose des religions en se bornant à consulter des livres. Les temples, les statues, les bas-reliefs, les peintures, les légendes, nous renseignent beaucoup mieux sur la façon dont elles furent comprises par leurs fidèles.

Les écrivains adonnés à l’étude des religions ne tiennent généralement aucun compte de leurs transformations, c’est pourquoi on les voit adopter des théories fort contraires à l’observation.

De savants professeurs donnent, par exemple, le bouddhisme comme une religion sans dieu, alors qu’il fut peut-être le plus polythéiste de tous les cultes. Son fondateur, bien que contestant l’existence des dieux, entrait cependant en conflit avec eux, lorsque dans ses méditations, sous l’arbre de la sagesse, il luttait contre les menaces de Mara, prince des démons, et les séductions des Apsaras, filles des dieux. Parler de religion sans dieu c’est commettre une erreur de psychologie collective fondamentale.

Les hypothèses sur la genèse des religions changent d’ailleurs fréquemment. Une des plus répandues, pendant un certain temps, fut la théorie dite linguistique. D’après elle, les phénomènes de la nature : le soleil, la lune, le feu, etc., avaient été personnifiés, parce qu’on prenait pour des réalités les expressions figurées servant à les désigner. Ainsi le mythe de la déesse Séléné venant embrasser Endymion, dans la caverne de Latmos, représenterait simplement la lune caressant de ses rayons les flots où s’était couché le soleil.

Inutile de nous arrêter à cette théorie complètement abandonnée aujourd’hui. Celles qui la remplacèrent ne semblent pas d’ailleurs beaucoup plus solides.

Les recherches anthropologiques sur le totémisme chez les Peaux-Rouges comme explication du sacrifice, sur le tabou des Polynésiens comme interprétation du scrupule et de l’interdit dans la vie sociale ont en effet bien peu éclairci les problèmes religieux, notamment ceux de la mythologie grecque. Les codes des peuples civilisés et même de simples usages sociaux, dénués d’origine religieuse, sont remplis d’interdictions analogues aux tabous des groupements rudimentaires. Leur caractère sacré chez les primitifs tient à ce que tous les actes de la vie ordinaire, y compris les repas, sont pour eux de nature religieuse.

Une théorie très en faveur actuellement consiste à envisager les religions comme des phénomènes collectifs ayant pour but d’imposer certaines obligations devenues sacrées. Toutes les religions prennent évidemment, à un moment donné, un caractère collectif et impliquent nécessairement alors des obligations, mais on pourrait difficilement contester qu’elles aient d’abord été des créations personnelles. Ces deux caractères successifs : personnel, puis collectif apparaissent nettement, par exemple, dans les religions ayant joué le plus grand rôle, celles de Bouddha, et de Mahomet, notamment.

Le défaut des théories actuelles sur la naissance des religions est d’abord de leur chercher une seule cause, alors qu’elles en comptent beaucoup ; ensuite de dédaigner les facteurs psychologiques, éléments principaux, suivant nous, de leur formation.

La connaissance de ces facteurs permet seule de mettre en évidence les origines profondes des phénomènes religieux observés dans l’humanité à travers l’histoire. Elle justifie la thèse que nous aurons à soutenir, de l’étroite parenté de tous les cultes.

Les pyramides d’Égypte, les flèches des minarets, les tours des cathédrales, les dissertations des théologiens, l’extase du prêtre devant l’autel, la ferveur des fidèles, aussi bien que les totems et les tabous des sauvages, demeurent incompréhensibles si l’on néglige les forces affectives et mystiques qui les déterminent. Ces forces étant les mêmes chez tous les peuples, leurs diverses manifestations religieuses présentent nécessairement une étroite analogie.

§ 2. — Éléments mystiques et affectifs des croyances religieuses.

La perpétuité des dieux dans l’histoire suffirait pour prouver qu’ils correspondent à des besoins irréductibles de l’esprit. Si l’humanité changea quelquefois de divinités, elle ne s’en est jamais passée. Avant d’élever des palais aux rois, les hommes en édifièrent aux dieux. Le besoin de religion présente le même caractère de fixité que les autres aspirations fondamentales de notre nature.

Un des éléments essentiels des religions est l’esprit mystique. Son rôle dans la genèse des croyances religieuses ou politiques apparaît prépondérant.