La Vie et le Monde du boulevard (1830-1870) - Paul d'Ariste - E-Book

La Vie et le Monde du boulevard (1830-1870) E-Book

Paul d'Ariste

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Extrait : "Le plus Parisien de tous les Parisiens de son temps, on était certain, entre 1830 et 1870, de le rencontrer chaque soir sur le boulevard, c'est-à-dire entre la rue Drouot et la chaussée d'Antin. Ce Parisien-type, ce boulevardier impénitent n'était autre que Nestor Roqueplan. Il n'y eut guère de jour où il n'y fit son apparition. Admirablement habillé, il ne se contentait pas de suivre la mode, il l'imposait."

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Veröffentlichungsjahr: 2016

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LE BOULEVARD DES ITALIENS EN 1840

d’après Eugène Lami

Cliché Tallandier

À MA FEMME

P. D’A.

Préface

Puisqu’il voulait nous peindre la vie du boulevard sous Louis-Philippe et Napoléon III, M. Paul d’Ariste ne pouvait mieux faire que de choisir Nestor Roqueplan pour centre de son tableau, car elle s’ordonne naturellement autour de lui, comme elle s’ordonnera plus tard autour d’Aurélien Scholl. Roqueplan a été le modèle, le type d’une race qui s’évanouit peu à peu depuis 20 à 25 ans, à mesure que son milieu naturel s’efface : de même (si j’ose dire) une foule d’animaux disparaissent lentement avec les déserts et les forêts vierges…

Le «  Boulevard » a duré longtemps. Voilà 60 ou 70 ans que les chroniqueurs déplorent sa fin ; mais il a pourtant persisté jusqu’à 1900 au moins et c’est la guerre de 1914 seulement qui lui a porté le coup final. Mais quoi ! nous sommes tous un peu semblables au laudator temporis acti d’Horace, et c’est en toute bonne foi et sincérité que nous regrettons les milieux que nous avons connus dans notre jeunesse, sans nous rendre bien compte que c’est celle-ci que nous pleurons en eux. Gustave Claudin écrivait que le «  Boulevard » avait fini vers 1848 : ce sont les chemins de fer qui l’ont tué, disait-il, en submergeantParis sous la province. Mais il oubliait qu’il était né lui-même, comme la plupart des vrais Parisiens, assez loin de la capitale. Tel Nestor Roqueplan, natif de Montréal dans l’Aude, tels Lautour-Mézeray, Malitourne, Romieu et bien d’autres… Non, ce ne sont point les chemins de fer qui ont tué le «  Boulevard » : il a disparu lorsque les gens de lettres ont cessé d’aller au café, c’est-à-dire lorsqu’ils ont commencé d’aller dans le monde. Jadis on «  prenait l’apéritif » ; aujourd’hui on «  prend le thé »… Oh ! le «  thé », c’est une manière de parler et je ne suis pas certain que les ligues anti-alcooliques aient rien gagné à ce changement. Mais les cafés, les brasseries, et même les restaurants (car aujourd’hui les écrivains dînent en ville) y ont perdu quelque chose.

J’imagine que le «  Boulevard », sous Louis-Philippe et le Second Empire, ressemblait un peu à ce que pouvait être Deauville dans les années qui ont précédé la guerre. Les habitués en étaient un peu moins nombreux, voilà tout. Mais les deux ou trois mille personnes qui, vers 1910, formaient le Tout-Paris «  à la page » (comme on ne disait pas encore) se connaissaient aussi bien que les cinq cents ou mille qui le composaient vers 1840. Je ne crois pas qu’elles dépensassent moins d’esprit, et il me semble qu’elles ne dépensaient pas plus d’argent. Car j’ai été frappé des prix que nous indique çà et là M. Paul d’Ariste. Évidemment les comparaisons du coût des choses et du pouvoir d’achat de l’argent aux différentes époques sont toujours bien approximatives. Mais enfin nous savons tous que (les loyers à part) on ne se procure guère plus aujourd’hui avec 1 franc quece que l’on se procurait avec 20 centimes en 1914. Or, la vie était déjà plus chère, dans l’ensemble, en 1914 qu’en 1840 : ouvrez Balzac, et vous y verrez qu’un revenu de 50 000 francs correspond à un train de vie au moins aussi luxueux qu’un revenu de 80 ou 100 000 francs en 1914 et donc de 4 ou 500 000 francs à cette heure. En multipliant par 6 les chiffres donnés par M. d’Ariste pour traduire les prix qu’il nous donne en francs de 1929, nous n’exagérons donc nullement, bien au contraire. Or, que voyons-nous ?

Nous voyons que Roqueplan dépensait chaque jour de 16 à 20 francs pour son dîner, donc 90 ou 120 francs d’aujourd’hui ; ce n’est pas mal pour un journaliste, même élégant. Nous voyons encore que l’entrée à Tivoli coûtait 3 francs, soient 18 des nôtres, et une glace chez Tortoni, 1 fr. 25, soient 7 fr. 50 d’à présent ; qu’un excellent valet de chambre revenait, tout compris, à 3 000 francs par an (18 000) ; que chez une grande modiste un chapeau de femme en fleurs valait 200 francs (1 200), un autre, garni de crêpe et de plumes, 320 (1 920), une coiffure de soirée en tulle, dentelles et fleurs, 85 francs (510) ; une redingote d’homme, en drap de Louviers bleu, 120 francs (720), un habit de drap tête de nègre, à collet de velours, 110 francs (660). Rien de tout cela n’était donc à meilleur marché en ce temps-là qu’à, présent. Le loyer d’un bel appartement de garçon ne coûtait pas moins de 14 000 francs, soient 84 000 de nos francs-papier… Non, on ne vivait pas à meilleur compte qu’aujourd’hui, au temps de Nestor Roqueplan.

Peu importe : il y faisait bon vivre, à en jugerpar l’excellent ouvrage de M. Paul d’Ariste. Les « dandys » eux-mêmes (et félicitons l’auteur de garder l’orthographe incorrecte du temps et de ne pas écrire dandies) avaient encore de la bonhomie. Quoique beaucoup moins affables qu’au XVIIIe siècle (voyez la stupéfaction du Voyageur sentimental de Sterne en constatant l’amabilité, l’absence de morgue, la bonne grâce des gens qu’il rencontre partout, et jusque dans la rue), les Français de 1840 étaient encore pleins de cordialité, et c’est là une bien grande qualité. On citait alors les Anglais pour leur froideur : hélas ! nous les avons tellement dépassés que c’est tout juste si nous ne sommes pas choqués aujourd’hui, lorsque l’un d’eux nous adresse la parole en chemin de fer comme ils ne manquent jamais de le faire… Et puis on y flânait, sur le Boulevard. Ah ! que nous avons perdu d’agrément dans la vie, en perdant la flânerie ! Bientôt, on décrétera des « sens obligatoires » pour les piétons eux-mêmes ; qui sait même si on ne les forcera pas à marcher comme le Juif errant sans jamais stationner, sinon dans des parcs spéciaux ? Et non seulement on pouvait se promener sans être bousculé, mais on pouvait voyager, aller au restaurant, au théâtre sans avoir retenu sa place à l’avance ; je ne sais si vous êtes comme moi, mais les plaisirs que je suis forcé de prendre à heure et jour fixés me font le plus souvent l’effet de devoirs… Sans doute les modes féminines n’étaient pas si agréables qu’aujourd’hui : manches bouffantes ou crinolines, coques ridicules de cheveux ou bandeaux plats, trop plats, sans compter les châles, ni les « dessous » qui ne nousregardent pas, non, tout cela n’était pas bien joli ; mais elles savaient s’arranger pour être charmantes, vous pouvez en être sûr… En somme, je ne vois qu’un changement dont nous puissions nous louer tout à fait : c’est d’avoir supprimé les fiacres à chevaux. Qui a vu les derniers temps du martyre séculaire des pauvres rosses parisiennes ne déplorera certainement pas l’avènement des taxis automobiles. Encore faut-il regretter les cochers et leurs pittoresques « engueulades » : c’est un lyrisme perdu.

De tout cela, que nous n’avons plus, M. Paul d’Ariste nous fait une peinture bien séduisante. Et il faut avoir essayé de retracer de pareils tableaux pour savoir quelles immenses fouilles préalables dans les bibliothèques ils nécessitent. Mais ne l’en plaignons pas trop, car les longues heures passées à parcourir les documents du passé sont souvent délicieuses ; et quel plaisir, après cela, que de faire revivre en imagination un temps disparu ! D’ailleurs, à fréquenter Nestor Roqueplan, on sent bien que M. Paul d’Ariste ne s’est pas ennuyé un moment. Ce merveilleux homme, qui contait tant, ne répétait jamais une anecdote : ses histoires étaient toujours neuves et ses mots toujours frais. C’est là une qualité si rare qu’il convenait de la signaler et M. Paul d’Ariste n’y manque pas. Faisons comme lui et signalons à notre tour le vif plaisir qu’on goûte à lire son ouvrage, qu’à force de recherches et de trouvailles, il est arrivé à rendre aussi neuf et aussi amusant qu’une anecdote de Roqueplan.

Jacques BOULENGER.

Le boulevard

Le plus Parisien de tous les Parisiens de son temps, on était certain, entre 1830 et 1870, de le rencontrer chaque soir sur le boulevard, c’est-à-dire entre la rue Drouot et la chaussée d’Antin.

Ce Parisien-type, ce boulevardier impénitent n’était autre que Nestor Roqueplan. Il n’y eut guère de jour où il n’y fit son apparition. Admirablement habillé, il ne se contentait pas de suivre la mode, il l’imposait.

Le chapeau incliné sur l’oreille, il contait, adossé à la rampe de Tortoni, des anecdotes savoureuses et toujours nouvelles.

Le boulevard était son fief ; il y vivait et ne comprenait pas qu’on pût se plaire ailleurs.

Mais qu’était donc alors ce fameux boulevard ?

« Aujourd’hui, raconte Arthur Meyer, il est surtout fréquenté par une foule sans élégance qui a toujours l’air d’attendre l’omnibus. »

Aux alentours de 1835 il n’en était pas de même.

Les étrangers n’avaient pas encore envahi Paris, et le boulevard était une promenade où se retrouvaient les gens de bonne compagnie.

Or, ce qu’on appelait alors « le Boulevard » ne s’étendait que de la chaussée d’Antin au passage de l’Opéra, peut-être jusqu’au faubourg Montmartre à cause des Variétés, mais il était de fort mauvais ton de se montrer plus loin.

Au-delà du Café Anglais les dandys ne flânaient guère ; après les Variétés ils ne se montraient plus.

Et encore ne fréquentaient-ils que l’allée de gauche en venant de la Madeleine ; nous ne dirons pas le trottoir, il n’y en avait pas encore ; la chaussée était limitée par des bornes et un ruisseau.

Au-delà des Variétés, comme l’a dit Alfred de Musset, « ce sont les grandes Indes ».

Peu de voitures sur la chaussée pavée. Berlines armoriées, landaux à la Daumont, tilburys emmènent les lionnes et les dandys « pour une excursion lointaine au Bois de Boulogne, d’où ils reviendront, tout couverts de poussière, raconter le succès d’un pari ». (Jacques Boulenger : Les Dandys et Bazin : L’époque sans nom.)

Les omnibus Madeleine-Bastille, de la compagnie des « Dames Blanches », passent, avec leur caisse blanche, vernissée, rehaussée de filets rouges et de baguettes de cuivre. Sur les panneaux sont peints d’élégants paysages. Le cocher est coiffé d’un chapeau blanc.

Des chaises de paille sont alignées entre les rues Taitbout et du Helder. Sur ces chaises, les « gandins » et les élégantes viennent, pour ainsi dire, « se donner le plaisir de regarder Paris à bout portant ». Cet endroit, très ombragé, s’est appelé « Coblentz » jusque vers 1830.

De nouvelles maisons s’élèvent en 1840 sur le boulevard des Italiens, elles excitent l’admiration des contemporains, nous dit Alphonse Karr.

« Les promeneurs s’arrêtent pour admirer les nouvelles maisons construites par M. Lemaire, à l’angle de la rue Laffitte et du boulevard. On a dit : “Ce sont des maisons d’or avec quelques ornements de pierre. ”

Les bronzes, les marbres, les dorures, rien n’a été épargné. La frise, sculptée en pierre par les frères Lechesne, représentant des animaux et des scènes de chasse, est presque aussi belle que ce que nous avons de plus beau de Jean Goujon. Il y a là sept maisons d’un style et d’un goût différents et toutes d’une magnificence !… C’est une œuvre de goût et d’art après laquelle on n’osera plus appeler de belles maisons ces énormes masses carrées, percées de plus ou moins de fenêtres. »

Il est certain que, sans partager tout à fait l’admiration de Karr pour les constructions du règne de Louis-Philippe… on peut les préférer aux casernes hideuses, de goût allemand, que nous devons à certains de nos architectes modernes.

Cette vogue des grands boulevards commença avec la décadence du Palais-Royal, c’est-à-dire vers 1830.

Louis-Philippe ordonna, dans une excellente intention, la fermeture des célèbres maisons de jeu du Palais-Royal, si remarquablement décrites par Balzac. Il fit démolir les galeries de bois où les prostituées se montraient à peu près nues, et fit construire la belle galerie vitrée appelée d’Orléans.

Or, de l’époque de cette transformation date précisément la fin des beaux jours du Palais-Royal et le commencement de ceux du boulevard.

À part Robert-Houdin, le célèbre prestidigitateur, qui ne quitta le Palais-Royal pour le boulevard des Italiens que sous le Second Empire, grands restaurants, bijoutiers et autres commerçants émigrèrent vers le boulevard de Gand, depuis des Italiens, tout de même qu’aujourd’hui, ils abandonnent peu à peu ce qui reste de ce boulevard pour s’installer aux Champs-Élysées.

Edmond Texier, constatant le fait dans son Tableau de Paris, en 1852, écrivait :

« Un arrêt exila, au nom de la morale publique, les vierges folles qui se glissaient le soir, resplendissantes de paillettes, sous les sonores arcades ; un vote parlementaire ferma les temples du hasard d’où s’échappaient à chaque instant, aux appels de la rouge et de la noire, de métalliques tintements et, à l’heure qu’il est, le Palais-Royal lutte de monotonie avec la place du Marais, et voit comme elle, unique délassement de ses loisirs, les enfants sauter à la corde ou poursuivre des parachutes.

Les boulevards ont hérité de tant de splendeur et de gloire. Ils sont devenus, à leur tour, le rendez-vous de l’univers, le point de ralliement de tous les peuples : forum cosmopolite ouvert à toutes les langues, centre merveilleux où aboutissent les chemins des cinq parties du monde. »

Or, nous l’avons dit, ce qu’on appelait alors le boulevard ne s’étendait que de la rue Drouot à la chaussée d’Antin. Le boulevard des Capucines était triste et désert. Songez que ni l’Opéra actuel, ni la place du même nom n’existaient encore.

À leur emplacement, ou peu s’en faut, l’hôtel d’Osmont présentait ses terrasses ombragées, et plus loin, entre la rue Daunou actuelle et la rue des Capucines, s’étendaient les vastes jardins du ministère des Affaires étrangères.

En face, c’étaient les profondeurs de la rue Basse-du-Rempart. Quant au boulevard de la Madeleine, on y remarquait de belles demeures aux balcons ouvragés ; de riches sculptures encadraient les fenêtres.

Cependant, le commerce s’était déjà installé au rez-de-chaussée de ces luxueux immeubles, et on y admirait, en de somptueux étalages, des robes chatoyantes, onduleuses, aux mille couleurs.

Mais c’est sur le boulevard de Gand (ainsi nommé depuis l’exil de Louis XVIII en cette ville) que se concentraient toutes les élégances.

Voici les dandys qui arrivent du Bois, du tir aux pigeons ou de la salle d’armes de Lord Seymour (située au coin du boulevard et de la rue Taitbout, et dont il sera question plus loin).

C’est le crépuscule, les lumières s’allument. La plupart de ces jeunes élégants sont membres du « Jockey ».

Ils s’y rendent. Ils ont le cigare aux lèvres et le haut-de-forme enfoncé jusqu’aux yeux sur leurs cheveux bouclés. « Il est de fort bon goût de se cacher la figure sous des chapeaux à larges bords, un peu relevés des côtés, à haute forme, et que l’on enfonce sur les oreilles », lit-on dans La Mode (avril-juin 1835).

Ils sont suivis chacun d’un groom minuscule dénommé « tigre ».

De temps à autre passe un cavalier qui trotte à l’anglaise, les basques flottantes (l’anglomanie est plus que jamais à l’ordre du jour).

Certains de ces cavaliers sont accompagnés d’une « amazone intrépide », vêtue d’une longue jupe de soie et coiffée d’une casquette à gland. Elle est montée sur un superbe « coursier d’Albion ».

Les belles à la mode ont fait arrêter leur « landow » devant Tortoni, et, sans descendre de voiture, elles dégustent un sorbet qu’est allé quérir leur valet de pied, cependant que, magnifiques en leurs redingotes bleu de roi, aubergine, violine ou « fumée de tabac », le cou engoncé dans leurs hautes cravates, les dandys se campent, l’air avantageux sur le perron fameux.

Aux fenêtres du « Petit Cercle », situé non loin de là, de jeunes oisifs contemplent ce spectacle ; l’un d’eux y passe toutes ses après-midi. Il est vêtu d’une redingote bleue très ajustée qui laisse entrevoir le haut d’un gilet blanc ; il suce indéfiniment sa canne à pomme d’or. C’est le major Gronow, un Anglais original, devenu parisien d’adoption, et dont M. Roger Boutet de Monvel a esquissé un bien joli portrait dans son livre Les Anglais à Paris (1800-1830).

Le soir, les « splendeurs du gaz » se répandent à profusion sur le boulevard.

« Après le chemin de fer de Saint-Germain, écrit Mme de Girardin en 1887, ce qui enchante le plus les Parisiens, c’est le nouvel éclairage des boulevards. Le soir, cette promenade est admirable. Depuis l’église de la Madeleine jusqu’à la rue Montmartre, ces deux allées de candélabres d’où jaillit une clarté blanche et pure font un effet merveilleux. »

Le boulevard d’alors n’était en somme qu’un grand village ; il ressemblait plus à un mail de province qu’à la bruyante voie de passage qu’il est devenu, et qu’une foule nerveuse et pressée parcourt en se bousculant.

Les soirs de beau temps, il était d’usage, dans la bourgeoisie parisienne, d’aller faire un tour de boulevard, la femme au bras de son mari. On n’y rencontrait guère d’inconnus.

Il en fut ainsi jusqu’à l’avènement du Second Empire où l’encanaillement commença avec les expositions universelles et la diffusion des moyens de transport.

C’est l’époque où l’on y rencontre le Persan, personnage mystérieux, qui demeurait passage de l’Opéra et y vivait à l’orientale. On le voyait aussi, à toutes les premières, au Palais-Royal, au Cours-la-Reine, à Chantilly, et aux fêtes de la Liste Civile.

Qui était-il ? Un pacha véridique, disaient les uns ; un vague marchand de tapis en difficulté avec la police de son pays, disaient les autres. Toujours est-il qu’il disparut soudainement en 1857.

Second Empire ! Époque de folies et d’excentricités !

Offenbach triomphe aux Variétés, Gramont-Caderousse et Hortense Shneider mènent la grande vie dans les restaurants du boulevard, et un Italien, Carnevale, appelé Carnaval par la foule, se montre affublé de costumes plus abracadabrants les uns que les autres.

Il en possédait soixante dans les deux petites pièces qu’il occupait boulevard de la Madeleine.

Époque de folie ! Comme on était loin déjà du tranquille boulevard de Gand de la Restauration !

*
**

L’aspect du boulevard a beaucoup changé depuis cette époque.

Il y avait, dans ce temps-là, raconte Gustave Claudin, « beaucoup moins de Crédit Lyonnais et beaucoup plus de Bains Chinois ».

Les Bains Chinois étaient une grande construction genre pagode, ornée de clochetons. Ils étaient situés un peu avant le Crédit Lyonnais actuel, dont l’emplacement était occupé par un bazar dit : « Galerie de Fer ». Ils s’élevaient exactement au coin du boulevard des Italiens et de la rue de la Michodière.

LA MAISON SIMON AU PAVILLON DE HANOVRE

d’après Duran

Cliché Tallandier

C’était un établissement très fréquenté. Alexandre Dumas y fait allusion dans Monte-Cristo, et Mme de Girardin écrit, en 1837 : « Nous sommes allés regarder aux Bains Chinois, sur le boulevard des Italiens, ces mousselines roses et lilas qui sentent le printemps, comme on va respirer le doux parfum des violettes dans les bois. »

Le marquis de Saint-Cricq, qui poussait les excentricités au point qu’on dut l’enfermer dans un asile d’aliénés où il mourut, et qui habitait rue de la Chaussée-d’Antin, n’avait que le boulevard à traverser pour aller aux Bains Chinois où il arrivait à sept heures chaque matin ; il apportait avec lui non pas ses affaires de toilette, mais une serviette bourrée de dossiers.

Un jour, il envoya le garçon des Bains, nommé Mangin, lui chercher vingt-cinq rognons crus. Mangin mit trois quarts d’heure pour trouver ce que lui demandait son singulier client. Quand il revint, porteur des rognons, Saint-Cricq lui demanda des ciseaux et il se mit à découper les rognons, les jeta dans son bain et commença un récit de la bataille de Waterloo, les rognons figurant les régiments, avec une telle fougue que, bientôt, Mangin fut complètement inondé et ne fut délivré que par le coup de sonnette d’un autre client.

*
**

Or, c’est précisément vers la fin du règne de Louis-Philippe qu’il faut placer la période de flânerie et de noctambulisme de Nestor Roqueplan.

Villemessant raconte qu’il était impossible de passer sur le boulevard des Italiens entre onze heures et demie du soir et une heure du matin, sans le rencontrer, entre les rues Taitbout et Drouot, au milieu de ce qu’il appelait son État-major c’est-à-dire de Cabarrus, « l’homme doux et charmant par excellence, le médecin des chanteurs qui recevait en riant toutes les plaisanteries pourvu qu’elles fussent lancées avec esprit », d’Édouard Lemoine de L’Indépendance Belge, d’Auguste Villemot, d’Aubryet, « qui ne décolérait jamais et à qui il n’a manqué que de faire de petits articles et d’écrire court pour être le premier des journalistes », de Gustave Claudin et de bien d’autres.

Henri Murger, l’auteur de la Vie de Bohême, fait également partie de « l’État-major » de Roqueplan.

Le rendez-vous général est au Café Riche, choisi en raison de sa fermeture tardive ; mais, quand l’heure de se retirer est venue, Roqueplan et ses amis, qui n’ont nullement sommeil, continuent à déambuler sur le boulevard.

À leur groupe viennent se joindre Aurélien Scholl, Lambert-Thiboust, le plus endurci des noctambules, Alphonse Royer et Langeac, surnommé : « La pluie qui marche ».

Claudin habite rue Le Peletier et Roqueplan rue Taitbout.

Ils ne se décident jamais à se séparer ; ils prennent une voiture pour se reconduire l’un l’autre, et le cocher a reçu l’ordre de faire la navette sans cesser entre la rue Taitbout et la rue Le Peletier.

Gustave Claudin, un Parisien entre tous les Parisiens, bien que né à Rouen, avait inventé, nous dit Villemessant, le moyen d’être toujours en toilette, propre et net dès le matin, sans avoir jamais besoin de rentrer chez lui.

Il lui avait suffi de déposer trois paires de bottines dans trois boutiques de décrotteurs des passages, un chapeau chez son chapelier, etc.

Dès qu’une mouche de boue piquait le verni de sa chaussure, il n’avait qu’un pas à faire pour changer de bottines.

Un coup de vent, une goutte de pluie ternissaient-ils le brillant de la soie de son chapeau ? Il entrait chez son chapelier et prenait le chapeau mis en pension pendant qu’on donnait un coup de fer réparateur à celui qu’il déposait pour le reprendre le lendemain. Ce fut lui qui consomma le plus de gants blancs et acheta le plus de fleurs aux bouquetières.

Or, plus tard, cet homme qui fut si élégant habitait 27 rue Le Peletier dans un triste hôtel garni où M. Maurice Talmeyr raconte qu’il l’alla voir un jour, dans une chambre tout en haut, meublée misérablement, et l’ancien élégant n’était nullement flatté quand un visiteur importun venait le surprendre dans cet intérieur plus que modeste.

C’est au cours de ces promenades nocturnes sur le boulevard avec Claudin et ses autres amis que Roqueplan dépense le plus d’esprit, et, chose curieuse, sans jamais se répéter.

Non seulement il ne comprend pas qu’on puisse vivre ailleurs qu’à Paris, mais il n’admet pas qu’on habite un quartier lointain. Pour lui, Paris c’est le boulevard et ses alentours, témoin l’anecdote suivante que nous puisons dans Villemessant :

Un soir, Théodore Sylvestre rencontre Roqueplan. Sylvestre parle avec la verve qu’on lui connaît d’un journal qu’il veut faire et dont l’utilité paraît incontestable. – « Oui, il y a une idée, fit Roqueplan, séduit par l’éloquence de Sylvestre : faites bien vite ce journal-là. – Faites-le est bien facile à dire, répliqua Sylvestre, mais il faut au moins cinquante mille francs pour réaliser mon projet. – Vous les trouverez ou plutôt je vous les trouverai dans les vingt-quatre heures, fit Roqueplan avec l’accent de la conviction qu’il ressentait effectivement. Donnez-moi votre adresse. – Je demeure rue de la Vierge-au-Gros-Caillou, près de l’École Militaire, dit Sylvestre, en cherchant sa carte. – Près de l’École Militaire ! fit subitement Roqueplan en changeant de ton, je ne chercherai pas un sou pour vous ! Auriez-vous la plus belle idée du monde. Jamais un commanditaire n’aura confiance en la jeunesse, la vitalité de journaliste d’un homme qui demeure à l’École Militaire ! Bonsoir ! » Et il rentra se coucher.

À cette époque où une promenade au Bois de Boulogne était considérée comme une chose extravagante, nul doute que le quartier de l’École Militaire n’eût produit l’effet du Sahara auprès de ces boulevardiers dont la vie de chaque jour se passait dans un coin de Paris bien restreint.

« Le boulevard n’est pas précisément une promenade, dit Bazin, puisqu’on y est affranchi de la consigne : ce n’est pas tout à fait une rue, puisqu’on y est rarement éclaboussé, et que deux piétons peuvent y marcher de front sans se bousculer. »

Heureux temps où l’on pouvait se promener sur le boulevard sans se faire bousculer !

Essayez donc de le parcourir tranquillement en rêvant à cette lointaine époque devant les rares maisons d’alors qui subsistent aujourd’hui !

*
**

Roqueplan et Claudin fréquentaient la Librairie Nouvelle, fondée par Jacoton et Boudillat, boulevard des Italiens, en 1849, et qui était le rendez-vous de toutes les célébrités littéraires.

Elle avait lancé les romans de Balzac à 1 fr. 50 et ce fut le début de sa fortune.

Elle fut ensuite dirigée par Achille, un jeune homme qui fit son chemin depuis, et alla s’établir à son compte rue Laffitte.

Dans ce temps-là, la Librairie Nouvelle ne fermait pas avant dix heures du soir, mais c’est de cinq à sept qu’on y rencontrait Nestor Roqueplan, Balzac, Albéric Second, Lambert-Thiboust, Barrière, Barbey d’Aurevilly, Arsène Houssaye, Murger, Émile de Girardin, Hector Crémieux, Ludovic Halévy, les Goncourt, Edmond About, Paul de Saint-Victor, Meilhac et quelques clubmen tels que Gramont-Caderousse, Galliffet, le général Fleury et Paul Daru.

Sur le boulevard s’ouvraient les passages. Or, ils étaient alors tout nouveaux, et il était de mode de s’y promener.

Au boulevard Montmartre, c’était le passage des Panoramas, ainsi nommé en souvenir des deux panoramas qui s’élevaient de chaque côté de son entrée et qui disparurent en 1831.

Il était fréquenté, à l’heure de la Bourse, par les « courtiers marrons ». C’est là que se trouvaient les somptueux magasins de bonbons : « À la Duchesse de Courlande », et ceux « Aux Armes de Werther », le chocolatier Marquis, le papetier en renom, Susse, et surtout le pâtissier Félix : « chez qui les Anglais paient un petit goûter plus cher qu’un bon souper dans n’importe quel restaurant. »

La galerie Vivienne et le passage Jouffroy datent de la même époque.

Mais de tous, le passage de l’Opéra, avec ses deux galeries, dites de l’Horloge et du Baromètre, est le plus achalandé.

L’achèvement du boulevard Haussmann l’a fait disparaître ces dernières années.

L’ouverture de l’Opéra de la rue Le Peletier, en 1821, lui donna la vogue, et, en 1825, la duchesse de Berry vient, en personne, inaugurer un « Europama » dans la galerie du Baromètre.

Le célèbre maître d’armes Gâtechair (un nom prédestiné) ouvre une salle dans le passage de l’Opéra ; les maîtres Vigeant et Caïn lui succèdent ensuite. Le soir de l’attentat d’Orsini, Gâtechair et ses élèves sortirent dans le passage au bruit des détonations.

Parfois, les élèves de Gâtechair venaient faire un tour aux représentations de l’Opéra, mais un soir l’un d’eux se vit refuser l’entrée au contrôle, car il avait oublié de quitter ses sandales d’escrime.

Le journal Le Nain Jaune, feuille satirique, était installé passage de l’Opéra, dans la salle Beethoven où des concerts d’amateurs s’étaient donnés auparavant.

Les terrains du passage appartenaient au vicomte Terray de Morel Vindé (et sans doute aussi la cité Vindé qui porte toujours ce nom, boulevard de la Madeleine).

L’ancienne bande des « habits noirs », véritable franc-maçonnerie de voleurs, se réunissait aussi passage de l’Opéra.

On voit que tous les mondes s’y rencontraient, mais n’en fut-il pas toujours ainsi à Paris ?

Les grisettes de la Restauration dansaient au bal d’Idalie, installé dans le sous-sol. Plus tard, un café, appelé « Divan de l’Opéra », s’établit dans le passage.

On y remarquait aussi le magasin de papeterie de Mme Bunot, le bottier Goudal « qui a l’honneur de chausser plusieurs têtes couronnées » (sic), le coiffeur Fichot, qu’on appelait le « père Fichot » et qui frisa Nourrit et Levasseur. Il se souvenait d’avoir vu la duchesse de Berry entrer au bal de l’Opéra. Son successeur, Gobert, coiffait « d’après les principes classiques du professeur Croizat ». Gustave Claudin était son client.

On remarquait aussi, passage de l’Opéra, l’armurier Caron, les éditions de musique Marguerie, le pâtissier Rollet et enfin la parfumerie de l’Opéra qui se trouvait, détail amusant, à côté d’un établissement de… commodité, ce qui fit dire à Noriac que le parfumeur était situé entre le prologue (le pâtissier) et le… dénouement.

On voyait ensuite deux fleuristes, Biron, successeur de Michon, et Pontine (Ulysse) connu seulement sous son prénom et où les bouquets coûtaient vingt francs.

Ajoutons enfin Lemonnier « artiste en cheveux », c’est-à-dire fabricant de coins de mouchoirs, reliquaires ou articles funéraires en cheveux.

Parmi les habitués qui se promenaient souvent dans les galeries de l’Horloge et du Baromètre, on remarquait Nestor Roqueplan, le docteur Véron, Auber, Scribe, M. Aguado, Mlle Falcon, de l’Opéra, Roger de Beauvoir, Alfred de Musset, qui vient d’acheter son cigare à la jolie marchande du boulevard dont la boutique est contiguë à celle du glacier Tortoni, le major Frazer, qui a introduit la mode du chapeau sur l’oreille, Paul Daru, le comte Fernand de Montguyon, Guy de la Tour du Pin, le comte Germain, le plus jeune pair de France, et que toutes les filles de Paris appellent : « mon cousin germain », Arthur Bertrand, fils du général qui avait ramené les cendres de Napoléon avec le prince de Joinville.

LES BAINS CHINOIS

d’après une gravure du temps

Cliché Taillandier

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Nous avons déjà dit à quel point le boulevard du Second Empire différait de celui de la Restauration et de Louis-Philippe.

Cependant la plupart des « lions » continuent à habiter dans le voisinage.

Le fameux prince de Sagan, qui, si longtemps, donna le ton de la mode, demeurait rue Caumartin, il y couchait… du moins quand il n’avait pas ses pantoufles ailleurs, conte plaisamment Gaston Jollivet.

Voici Gramont-Caderousse qui descend de phaéton devant le Jockey-Club (au coin de la rue de Gramont), il entre au cercle, mais en ressort bien vite ; le concierge vient de lui dire que Mlle Hortense Schneider l’attend chez elle. Il fouette ses chevaux et repart. Il n’a pas loin à aller ; Mlle Schneider demeure rue Lafayette, au coin de la rue Laffitte.

Nous ne parlerons guère des boulevards au-delà des Variétés, parages lointains où, semble-t-il, nul Parisien ne s’aventura jamais, sinon le soir pour se rendre à l’un des nombreux théâtres qui s’alignaient sur le boulevard du Temple, surnommé « Boulevard du Crime », en raison des mélodrames qui s’y jouaient.

Beaucoup d’artistes dramatiques ont élu domicile dans ces quartiers. Littérateurs et artistes s’y retrouvent volontiers, et le promeneur qui, vers 1855, aurait parcouru de deux heures à cinq heures du soir l’asphalte entre le Gymnase et le Théâtre Lyrique eût été sûr de croiser le vieux Bérenger, son jonc traditionnel à la main, souriant, vêtu d’une ample redingote, et coiffé d’un feutre à larges bords ; puis d’Ennery, l’auteur dramatique ; l’acteur Dumanoir, qui sort du Gymnase ; Auguste Maquet, le collaborateur d’Alexandre Dumas ; les frères Lionnet, chanteurs célèbres ; Paulin-Ménier, Bocage ; mais voici que passe, en calèche découverte, l’illustre Frédérick-Lemaître, le plus célèbre de tous les acteurs de drame ; voilà enfin les frères Cognard, les heureux directeurs des Variétés ; puis Mélingue, autre artiste de drame qui, tout à coup, s’arrête et, d’un geste large de son feutre tyrolien, salue une jeune femme mince qui traverse la chaussée, tenant en laisse un superbe chien de chasse.

Cette jeune femme est Anaïs Ségalas ; ses poésies sont déjà connues. Plus tard, on la rangera parmi les muses ; pour le moment, elle s’apprête à regagner l’hôtel particulier de ses parents, rue d’Uzès.

Peut-être a-t-elle monté à cheval le matin, car cette muse, élève de Baucher, fut une très brillante amazone.

Parmi tous ces boulevardiers de la Restauration que nous avons déjà évoqués, parmi tous ces dandys, un nom revient souvent sous notre plume, celui de Nestor Roqueplan « le plus Parisien de tous les Parisiens de son temps », avons-nous dit.

Mais qui est-il donc et quelles sont ses origines ?

Il fut, ainsi que nous le verrons plus loin, un des fondateurs du Figaro en 1826, il en fut le rédacteur en chef, mais c’est à sa réputation de dandy qu’il semble tenir le plus, et tous les jeunes élégants qui l’observent et l’admirent essayent de copier ses manières et ses attitudes, tout de même que ses habits.

Pour Nestor Roqueplan, on n’est pas parisien de naissance, on l’est de nature. C’est son cas d’ailleurs, car ce Parisien, comme beaucoup de ses semblables, est né en province.

C’est dans une petite ville de l’Aude, à Montréal, qu’il vit le jour le 27 Fructidor An XIII (14 septembre 1805).

Son père, François-Hilarion Roqueplan, était instituteur, ceci du moins ressort des actes officiels et le rédacteur du Constitutionnel, qui, lors de la mort de Nestor Roqueplan, en 1870, nous dit que son père occupait une place dans les droits réunis, à Bagnols, commet sans doute une erreur.

Sa mère était née Dousseau.

Au sortir du collège, Nestor Roqueplan se fait inscrire à l’École de droit et vers la même époque il entre comme clerc à l’étude de maître Jansse, avoué, 48, rue de l’Arbre-Sec, dans l’ancien hôtel de Saint-Roman, tout près du quai de l’École, aujourd’hui quai du Louvre.

Or juste en face de l’étude où le jeune Nestor minute des exploits, se trouve le café Manoury, voisin de l’établissement connu sous le nom de « Mère Moreau ».

Roqueplan a coutume de se rendre au café Manoury après son travail. Il y rencontre son ancien condisciple de Charlemagne, Victor Bohain, qui vient – 1826 – de créer le Figaro avec Maurice Alhoy.

Bohain sut persuader à Roqueplan que cette nouvelle feuille et lui étaient admirablement faits l’un pour l’autre.

Il est probable que les succès déjà obtenus dans les salons de peinture par son frère Camille faisaient rêver le jeune clerc d’avoué à une existence plus brillante que celle qui l’attendait à son étude. Toujours est-il qu’il écoute son ami et devient journaliste, profession à laquelle il devait faire le plus grand honneur, ainsi que nous le verrons plus loin, dans le chapitre consacré à la presse.

Mais Nestor Roqueplan ne se contentait pas d’arpenter l’asphalte du boulevard ; il fut aussi un habitué des restaurants fameux, devenus légendaires aujourd’hui, et qui avaient nom Tortoni le Café de Paris, la Maison d’Or, le Café Riche et le Café Anglais.

Nous allons le retrouver dans ces lieux célèbres.

Cafés et restaurants célèbres

Nestor Roqueplan venait tous les jours sur le boulevard, non seulement pour causer avec les nombreux amis qu’il y rencontrait, mais encore pour y prendre ses repas.

En effet, bien qu’il habitât une garçonnière confortable et qu’il eût sous ses ordres un valet stylé, il a, toute sa vie, déjeuné, dîné et soupé au restaurant, et, bien entendu dans les maisons de premier ordre dont les façades s’alignaient sur le boulevard des Italiens.

C’est que personne ne lui en aurait remontré en matière de cuisine ! Le futur directeur de l’Opéra était, en effet, fort gastronome.

De nos jours où la gastronomie revient à la mode, il est intéressant de constater que, sous Louis-Philippe, tout dandy accompli devait se montrer fidèle disciple de Brillat-Savarin.

Nestor Roqueplan, Véron, Roger de Beauvoir, Courchamps, Horace de Viel-Castel étaient très connaisseurs et nul se savait mieux élaborer le menu d’un souper.

Voyez plutôt ce que Roqueplan écrit en 1866 dans le Constitutionnel (feuilleton théâtral du 5 février), à propos du bal des cuisiniers, à l’invitation desquels il s’est empressé de se rendre.