Le carré des anges - Alexis Blas - E-Book

Le carré des anges E-Book

Alexis Blas

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Beschreibung

La tragique histoire d'un garçon fragile et influençable.

Le carré des anges est un thriller politico-religieux qui démonte la mécanique de l'enrôlement des jeunes dans les cohortes de l'intégrisme musulman. Aurélien Valton est un idéaliste comme un autre. Il se rêve écrivain et poète. Vivant de menus larcins, il se complaît dans de mornes navigations sur le net, s'attardant le plus souvent sur des sites conspirationnistes et polémiques. Il projette d'écrire son grand œuvre : une gigantesque théorie politique et religieuse visant à confédérer tous les courants anticapitalistes mondiaux. Tout est parti du 11 septembre 2001 dont il a revisité une à une les options interprétatives, jusqu'à en arriver à un révisionnisme pur et simple. Confondant son propre malaise existentiel avec celui des nouveaux migrants, pour lui nouveaux damnés de la terre issus des grandes migrations africaines, il se convertira à l'Islam, davantage attiré par la violence de ses extrémités que par l'équilibre de sa foi. Il croisera sur son chemin une autre sorte de damné, une de ces âmes perdues de l'occident qui, privées de repères, semblent vouées à ne plus se façonner que sur le modèle artificiel et puéril d'une tribu. Il s'appelle Jimi. Il est gothique. La tragique histoire de ce garçon fragile et influençable parviendra-t-elle, le temps d'un interlude carcéral, à émouvoir Aurélien ? Celui-ci abandonnera-t-il le projet insensé qu'il a mûri de se rendre en Afghanistan ? Jimi se sauvera-t-il lui-même en laissant s'épanouïr sa vraie nature au sortir de prison ? Qui est Catherine, cette mystérieuse femme, froide et si belle qui les unit ? Le destin des deux hommes, si divergent qu'il apparaisse, opérant les plus folles embardées existentielles, drôles parfois, épiques souvent, toujours aux antipodes de leur cheminement respectif, dessinera au fur et à mesure et en creux, un chiasme tragique qui pourrait bien leur être fatal.

Découvrez le destin de deux hommes, opérant les plus folles embardées existentielles, et plongez dans un thriller qui cherche à démonter la mécanique de l'enrôlement des jeunes dans les cohortes de l'intégrisme musulman.

EXTRAIT

Aurélien Valton se rêvait écrivain et poète. Il tenait un journal dans lequel il consignait des pensées qu'il imaginait profondes. Il troussait également de petits vers qu'il notait sur un carnet à part. Quelques manuscrits de romans s'étranglaient autour de leur spirale. Il avait fait de vagues études de sociologie qui ne l'avaient mené nulle part et vivotait, à bientôt trente ans, de petits trafics douteux. Il passait la majorité de son temps devant l'écran de son ordinateur et il hantait les forums de discussions en ligne sur lesquels il déposait de formidables réflexions philosophiques ou politiques. Il avait aussi une petite marotte musicale qui palliait certains soirs son manque d'inspiration littéraire. Il pianotait de petits airs de musique sur le clavier de son ordinateur et il lui arrivait de rentrer dans de véritables transes lorsqu'il parvenait à finaliser une boucle qui le satisfaisait.

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Table des matières

Résumé

Le carré des anges

Résumé

Le carré des anges est un thriller politico-religieux qui démonte la mécanique de l'enrôlement des jeunes dans les cohortes de l'intégrisme musulman. Aurélien Valton est un idéaliste comme un autre. Il se rêve écrivain et poète. Vivant de menus larcins, il se complait dans de mornes navigations sur le net, s'attardant le plus souvent sur des sites conspirationnistes et polémiques. Il projette d'écrire son grand œuvre: une gigantesque théorie politique et religieuse visant à confédérer tous les courants anticapitalistes mondiaux. Tout  est parti du 11 septembre 2001 dont il a revisité une à une les options interprétatives, jusqu'à en arriver à un révisionnisme pur et simple. Confondant son propre malaise existentiel avec celui des nouveaux migrants, pour lui nouveaux damnés de la terre issus des grandes migrations africaines, il se convertira à l'Islam, davantage attiré par la violence de ses extrémités que par l'équilibre de sa foi. Il croisera sur son chemin une autre sorte de damné, une de ces âmes perdues de l'occident qui, privées de repères, semblent vouées à ne plus se façonner que sur le modèle artificiel et puéril d'une tribu. Il s'appelle Jimi. Il est gothique. La tragique histoire de ce garçon fragile et influençable parviendra-t-elle, le temps d'un interlude carcéral, à émouvoir Aurélien? Celui-ci abandonnera-t-il le projet insensé qu'il a mûri de se rendre en Afghanistan? Jimi se sauvera-t-il lui-même en laissant s'épanouïr sa vraie nature au sortir de prison? Qui est Catherine, cette mystérieuse femme, froide et si belle qui les unit ? Le destin des deux hommes, si divergent qu'il apparaisse,  opérant les plus folles embardées existentielles, drôles parfois, épiques souvent, toujours aux antipodes de leur cheminement respectif, dessinera au fur et à mesure et en creux, un chiasme tragique qui pourrait bien leur être fatal.

Alexis Blas

Le carré des anges

Dépôt légal mars 201&

Collection Rouge

©couverture de Hubely

©Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays.

Aurélien est planté depuis une bonne dizaine de minutes dans le rayon. Il observe la caméra démantibulée derrière la caisse. Ça fait un bail qu'elle est comme ça : tordue, le ventre à l'air, un œil dedans, un œil dehors. Un peu comme la caissière, une petite métisse boulotte et borgne. Les pauvres d'aujourd'hui se gavent de mauvais sucres et sont obèses. Les riches, quant à eux, sont anorexiques. On est mardi matin et il n'y a pas un chat. L'un des deux molosses qui surveillent l'entrée fume une cigarette. L'autre fait du réassort. Aurélien se dirige nonchalamment vers les alcools.

Il a peaufiné sa technique : afficher le dédain distrait d'un fils de bourgeois venu acheter un cocktail de crevettes et des noix de Saint-Jacques pour des parents qui auraient trop honte de se montrer dans une supérette discount. En effet, soudainement frappés par la crise, les petits bourgeois se mettent à déserter les épiceries fines.

Il arrive devant les champagnes. Par chance, ils sont encore accessibles avec les vins, contrairement aux alcools forts, enfermés sous clé derrière des rayonnages vitrés. Moët & Chandon, Piper-Heidsieck, Mumm : c'est sa prochaine commande. Il doit en fournir une demi-douzaine ce weekend. Il atteint la bouteille, se penche vers son panier. Il jette un œil de gallinacée aux alentours et voit qu'il n'y a aucun loup. La bouteille suit la courbe de sa jambe droite au bas de laquelle se trouve le panier. Puis, comme happée par un trou noir au détour d'une perturbation spatio-temporelle, elle disparaît dans la poche béante de son baggy. La poche droite est pleine, reste à rassasier la gauche. Une troisième bouteille s'immisce entre son abdomen et la ceinture du jeans, puis une quatrième. Enfin, une dernière, pour la route, qu'il cale entre ses fesses.

Le voici culbuto déambulant vers les caisses. Il n'est pas laid et la caissière le lorgne du coin de son œil valide. L'autre stagne dans son orbite, impavide calo trop gros pour son habitacle : on dirait qu'il est au bord de la défenestration. « Quand Isabelle dort, plus rien ne bouge. Quand Isabelle dort au berceau de sa joie... » Chanter Brel et passer le portique, en voilà une idée !

Une fois de plus, il s'en tire à bon compte. Ou presque. Le type qui fumait l'instant d'avant le suit des yeux. Et il fait un drôle d'air en l'entendant marmonner sa chanson. Alors qu'il a déjà fait deux mètres hors du magasin, Aurélien entend les mots qu'il redoute le plus : « Monsieur, s'il vous plaît ! ». Ces mots-là donnent généralement le top départ d'une cavalcade ou d'une algarade. Il revient calmement sur ses pas. L'employé du magasin lui montre du doigt quelque chose : « Vous avez oublié vos Saint-Jacques... »

Aurélien ne s'épuise pas en remerciements et s'éloigne prestement. Mais il sent que l'autre l'épie encore. Une coulée de sueur lui inonde le bas du dos. Il ne saura jamais si le vigile a entendu le cliquetis des bouteilles s'affaissant l'une contre l'autre, choc lui-même provoqué par cette soudaine transpiration.

Aurélien Valton se rêvait écrivain et poète. Il tenait un journal dans lequel il consignait des pensées qu'il imaginait profondes. Il troussait également de petits vers qu'il notait sur un carnet à part. Quelques manuscrits de romans s'étranglaient autour de leur spirale. Il avait fait de vagues études de sociologie qui ne l'avaient mené nulle part et vivotait, à bientôt trente ans, de petits trafics douteux. Il passait la majorité de son temps devant l'écran de son ordinateur et il hantait les forums de discussions en ligne sur lesquels il déposait de formidables réflexions philosophiques ou politiques. Il avait aussi une petite marotte musicale qui palliait certains soirs son manque d'inspiration littéraire. Il pianotait de petits airs de musique sur le clavier de son ordinateur et il lui arrivait de rentrer dans de véritables transes lorsqu'il parvenait à finaliser une boucle qui le satisfaisait.

Valton s'était spécialisé dans le larcin de supermarché. Il volait du champagne, parfois du foie gras, et pouvait se targuer d'être devenu l'un des maîtres du genre sur la place. Il ne s'était fait prendre que rarement, du temps où il perfectionnait encore sa technique. La toute première fois, il avait commis l'erreur d'admettre son forfait et de suivre benoitement les vigiles dans leurs bureaux. Il s'en était tiré piteusement en invoquant comme on agiterait un hochet son statut d'artiste au chômage. Il avait réussi à émouvoir le directeur qui, par chance, avait plaidé pour sa relaxe sans aviser le commissariat local. Par ailleurs, les policiers ne se déplaçaient quasiment plus pour ce type d'incidents isolés, hormis s'ils étaient le fait d'une bande organisée connue.

Les fois suivantes, il s'était contenté de déposer armes et bagages au sol et de s'enfuir à toute jambes. Il savait la rapidité d'intervention des vigiles et ne leur laissait pas le temps de se regrouper. En cas de force majeure, il employait la méthode dite de « la bombe », méthode de son invention qui consistait à faire éclater par terre une bouteille, puis de profiter de l'inattention momentanée du vigile pour disparaître.

Il aimait Bourdieu et Rimbaud. Il voyait dans son activité réunis la contestation du pouvoir de l'un et la rebelle poésie de l'autre. Il échappait au système et conchiait avec Sartre la situation du garçon de café qu'il ne serait jamais. Tout était parti de Sartre. S'il n'y avait pas eu Sartre, l'existentialisme et toute cette sorte de compréhension de l'absurde, il n'y aurait pas eu d'Aurélien Valton. Aurélien Valton vénérait le normalien strabique. Il l'aimait comme le fan aime Elvis, comme la groupie aime le pianiste. Il le comprenait de l'intérieur, donc plus qu'un autre. Il le sentait, il vibrait avec lui en arpentant les sentiers lumineux de la liberté. Il comprenait qu'on pouvait justifier l'acte de voler, de tuer pour éprouver seulement une fois sa liberté, la gratuité de la liberté dans le don de la mort. Cela ne faisait pas de Sartre « un enfoiré », bien au contraire, cela l'amenait à comprendre la question de l'être et de sa face cachée, le néant et que de tout, l'homme reste décisionnaire, pro-jet. Son projet à lui, Aurélien Valton, c'était de bâtir un nouvel empire métaphysique, dans la lignée du maître, et ce, sans achopper sur le rouge écueil qui lui avait été fatal. Une mystique profane et poétique devait tracer la voie d'une nouvelle liberté qui, au contraire du vénérable inspirateur, ne mettrait pas systématiquement les questions transcendantales aux orties. L'ennemi à combattre, c'était le méta-totalitarisme libéral et le complot anti-poétique international.

Du fond de sa chambrette, il refaisait le monde en s'inspirant des talk-shows télévisés et des forums de discussion du net. Il tonitruait des arguments aux intervenants célèbres du petit écran et postait quelques messages bien sentis sur les forums spécialisés en diatribes sur le sexe des anges et en polémiques sur l'air du temps. Il repérait les pseudonymes fortes têtes et lui-même, nihilsubsole, finissait par trouver une forme de reconnaissance dans les insultes et les apostrophes qu'il recevait des habitués. Il flirta même avec la consécration un fameux soir, où, ivre de vins et d'apophtegmes cruels, il posta de terribles interprétations sur les attentats du 11 septembre. Le webmaster lui conseilla amicalement de ne plus revenir.

Parfois, le blues s'emparait d'Aurélien. Il ressentait, en contemplant ses chaussettes trouées, toute la froideur de l'Absurde et, ne se nourrissant plus que de conserves, il éprouvait dans son âme comme dans sa chair, la dure condition de l'homme de lettres. Prenant à témoin George Orwell et Jack London, il relisait L'art-dèche de Malarmé et finissait de se consoler, avec la bénédiction d'Apollinaire, sur des blogs pornographiques et des sites de rencontres en ligne. C'est ainsi qu'il fit la connaissance de Catherine.

La clientèle d'Aurélien se composait d'amis et de relations de quartier parmi lesquels se trouvaient quelques célébrités. Ces derniers, plus prompts à commander en quantités que ses amis ordinaires, lui avaient permis de constituer puis d'étendre son réseau de façon sensible. Parmi eux, Alain, un producteur de séries télévisées, qui, non content d'être un grand consommateur de champagne et des douceurs qui assuraient son fond de roulement de maîtresses, se piquait encore de littérature et aimait à s'entretenir, sur un ton badin et avec une profondeur toute de surface, son ami Aurélien, pour qui il paraissait nourrir les attentions les plus paternelles. De temps en temps, il le conviait à ses agapes dans des restaurants chics, entouré de ses amis. Une fois terminé le tour de table de leurs aventures sexuelles – autrement dit, le repas terminé - Alain se tournait vers Aurélien et le présentait à ses invités comme étant le futur jeune auteur prometteur. Ils goûtaient alors à son millésime, et Aurélien recevait mille compliments dont il ignorait au final s'ils avaient été décernés à son champagne ou à son talent. Cela importait peu du reste, car dans les deux cas les éloges étaient les mêmes.

Alain faisait mine de paniquer devant la crise morale que traversait la société et s'affligeait de la pauvreté de la demande en matière de fictions, de même que des ressorts de plus en plus trash sur lesquels il fallait tirer pour gagner en audience. Ses amis prenaient les mêmes mines contrites et ils joignaient gravement leurs mains au dessus de leur assiette. L'instant d'après, chacun livrait avec un entrain communicatif sa méthode pour faire sauter les derniers verrous qu'il se pouvait en matière de tabous. On donnait à Aurélien le plaisir de servir de caution intellectuelle en lui faisant crachoter une citation. On l'applaudissait alors, en se resservant du vin. Il ne percevait pas l'ignominie que celaient ces sourires et ces chuchotements, dans son orgueil d'idéaliste, lequel l'empêchait de réaliser qu'il était le morceau de choix de ces dîners de cons répétés.

Avec l'addition, que jamais il ne payait, Aurélien recevait ses commissions. On en répétait avec lui les montants exacts, veillant à lui mettre dans les mains la juste somme, l'arrondissant même à l'euro supérieur. Parfois, l'un des convives lui parlait d'un vague éditeur susceptible d'être intéressé par ses œuvres mais dont il ne savait ni où ni quand il le reverrait. Il fallait entretenir l'espoir d'un jeune auteur prometteur autant que le juteux recel qui en promettait bien davantage. Aurélien ressortait à la fois réjouis et honteux de ces banquets, sentant bien que quelque chose clochait. Sa solitude l'avait rendu idiot et sa vanité, autiste. Le réveil risquait d'être dur. Il se consolait de ce désarroi inconnu et, muni des quelques dollars récoltés, partait retrouver les joueurs de chevaux du café Thermidor. Avec eux, il buvait pour noyer son angoisse, angoisse qu'il vivait comme « symptôme d'épreuve de sa liberté ». C'était le petit plus valtonien.

Catherine était une bourgeoise d'une quarantaine d'années, coquette mais d'un abord froid. Elle était brune, le teint pâle, les prunelles brillantes et d'un bleu profond. Plutôt belle et bien faite, elle était aussi cocaïnomane. Elle vivait seule dans un grand appartement que son père, un chirurgien réputé, lui avait offert. Elle-même dirigeait un cabinet de gestion de biens dont elle laissait l'essentiel de l'administration à son jeune frère. Elle s'habillait de tailleurs stricts assortis de chemisiers échancrés, le plus souvent blancs, variant très peu sur les effets dont elle s'assurait qu'ils fussent constamment maîtrisés. Certains soirs, elle sirotait des cocktails sur la terrasse d'un café branché en compagnie d'une amie de lycée dont elle était restée un peu proche. Elle s'ennuyait des hommes qui l'y entreprenaient, tous fabriqués sur le même moule d'une jeunesse dorée mais peu croustillante. Chez elle, son intérieur était aussi froid que son cœur qu'elle réchauffait certains soirs, une cigarette à la main, nue devant son Mac Intosh.

Là, elle dévoilait à quelques privilégiés triés sur le volet, les secrets d'une pudeur qu'elle n'avait plus. Aurélien était de ceux-là. Il avait, de fil en aiguille, passé le cap des masturbations virtuelles et obtenu son ticket pour une rencontre réelle après des semaines de papillotages numériques. La barrière pornographique est la plus dure à franchir et les grands flops sexuels surviennent lorsque l'on s'aperçoit, toutes cams éteintes, que l'expérience à tué le fantasme. La réalité ne dépasse pas la fiction, elle la défait. Il avait fallu quelque chose de plus à Catherine qui la séduise et l'amène à rompre son vœu de relative chasteté. Passer de la rencontre virtuelle à la rencontre réelle, en voilà une nuance moderne ! La rencontre que l'on pensait scellée par le toucher, embuée par une haleine, la voilà qui s'embuait à son tour des contours flous d'une fenêtre active et se souillait de l'impéritie des solitudes urbaines. Le besoin rapide d'assouvissement et l'assouvissement rapide de l'appétit copiait-collait les unes derrière les autres des fenêtres qui toutes, donnaient sur la cour. La touche fonction recréait l'organe.

Il est remarquable que les femmes se soumettent à leur tour à ce morcellement du corps que l'on pensait masculin et s'abandonnent au spectacle désopilant d'un phallusimperator d'où jaillissent des torrents de pixels. Les femmes apprennent à être des hommes comme les autres et c'est à croire, en observant Catherine, qu'elles se déparent en même temps de leur tendresse à mesure qu'elles gagnent en animalité. Les hommes ont l'habitude depuis des millénaires de faire commerce de leur vit avant que de fendre l'armure sur le champ du romantisme. Les petits séducteurs du net ignorent que les femmes capables de répondre à leurs exigences d'instantanés constituent un nouveau genre d'hommes, beaucoup plus préparés à l'abstinence des sentiments qu'eux-mêmes.

Le petit plus valtonien qui avait séduit Catherine, c'était sa langue. Le maniement hargneux et précis des mots, même les plus crus, lui avait laissé entrevoir une personnalité curieuse, un peu à la marge, un peu intéressante en somme – à condition de rester dans une perspective zoologique. Il entrebâillait en même temps une ouverture sur une faiblesse qui pouvait rassurer une femme n'ayant souci que de maîtrise dans l'assouvissement méthodique de ses caprices et l'exorcisme de ses névroses. Découvrant pour la première fois sa beauté dans le petit cadre exigu de sa webcam, il lui avait demandé comment il était possible d'assumer pareille beauté. Le pouvait-on seulement ? La simplicité du compliment ajoutée à la perfidie de son commentaire, avait amusé Catherine. Elle lui avait répondu avec malice que le problème n'était pas tant le fait d'assumer son physique que de se mettre rapidement au courant de son impact sur autrui. Le penseur du pour-soi se heurtait au pragmatisme d'une pour-elle qui commençait à peine de l'inspirer. Il n'avait toujours pas compris que lorsqu'on est garçon de café, c'est avant tout pour ses clients.

Il avait trouvé ses seins à sa convenance : blancs, un peu pesants, couronnés chacun d'une large aréole rose où s'étranglait un téton remarquablement obscène. Il lui fallait cette plus-value d'iconographie porno, laquelle alimentait depuis des années maintenant l'inconscient libidineux des jeunes générations d'internautes. Elle ne se rasait pas le sexe, contrairement à l'innombrable tribu d'adeptes du « ticket de métro ». Cela l'avait surpris au départ, presque dégoûté, peu préparé qu'il était à cette floraison luxuriante d'être. Il s'y était ensuite habitué et y avait même pris goût. Il n'eut bientôt plus d'autre hâte que de s'en aller jardiner ce bosquet. Il lui montrait à son tour son torse à peine velu, lui suggérait des fornications outrageantes et faisait tournoyer son sexe entre ses mains, tel un  sorcier africain agitant son grelot. Elle lui demandait de se tourner, pour mieux voir ses fesses. Elle les adorait et ne manquait jamais ce détail. Parfois, elle l'implorait pour qu'il « vienne » mais lui détestait ça. Il ne le faisait qu'à contrecœur, quand il sentait qu'il n'y aurait pas d'autres moyens de la satisfaire. Elle s'introduisait pour lui toutes sortes d'ustensiles, avec une aisance détachée. Elle utilisait aussi des légumes ou des fruits. Ils retournaient ensuite à leur clavier et devisaient légèrement de leurs goûts communs en matière de licence et d'art. Elle aimait Eric Rohmer, il aimait Depardon. Elle avait un faible pour la simplicité protéiforme et anguleuse de Hélion, il ne jurait que par les extravagantes rondeurs et les visions enflammées de Dali.

Un vague sentiment de honte s'était emparé de ces deux Adam et Eve à mesure que leur dialogue bifurquait de la pornographie à la conversation amoureuse. Ils se rendaient compte sans oser se l'avouer qu'ils avaient fait les choses à l'envers. Ils se rendaient compte qu'ils étaient habillés.

Ils s'étaient dévoilés trop tôt et avaient gâché le reste. Le nouveau fantasme qu'ils forgeaient devenait inconsciemment celui d'effacer toutes les traces du premier. Cette déviance consistait à se reconquérir par l'attirail désuet de la séduction. Catherine fut la première à lui suggérer une entrevue, lucide sur le tour qu'il fallait donner à leur relation, sachant pertinemment que chez le jeune auteur, les affres de l'imaginaire tendraient d'asphyxier toute velléité d'approche.

La différence d'âge ne souciait pas Aurélien qui ne formulait pas d'exigences particulières en matière de longévité de couple. Chez lui, les aventures allaient et venaient, sans lendemain et sans risquer de léser l'œuvre majeure qui se préparait lentement dans le secret de sa chambre, chambre qu'à la manière de du Bellay, il entendait garder. En revanche, elle suscita naturellement une appréhension plus forte chez Catherine qu'Aurélien dut dissiper avec force arguments. Le réel redistribuait les rôles.

Elle lui trouvait un côté provincial, aussi agaçant qu'attendrissant. Il l'avait charmée avec son champagne mal acquis mais le foie gras ou les caviars qu'il déglutissait avec bruit la révulsaient. Il lui faisait délicatement l'amour mais neuf fois sur dix, il ôtait des chaussettes trouées ou un caleçon délité. Cette façon qu'il avait de dire les choses abruptement, sans les enrober de la fine couche du consensuel admis dont chacun était sensé comprendre les codes autant que le pratiquer, l'exaspérait encore. La contrepartie paradoxale de cette sotte rugosité était la confiance qu'il lui inspirait, confiance qui lui suscitait même de l'appréhension, les soirs où, seule, elle s'apercevait qu'Aurélien lui manquait.

Elle ne se formalisait pas le moins du monde sur l'activité de son jeune et nouvel amant, pourtant, un soir, elle lui posa avec franchise la question qui la taraudait : « Cela ne te pose pas un problème moral de voler dans les magasins ?

 Pas du tout, répondit le jeune homme. Je crois même que c'est l'aboutissement logique d'une fin de période, conclut-il avec assurance.

 Ah bon ? Nous sommes dans une « fin de période » ? dit-t-elle, avec un brin d'ironie.

 Oui, fit Aurélien en se rembrunissant. En tout cas, ça ne me pose pas plus de problèmes que toi d'acheter de la coke à ton dealer.

 On vit dans une fin de période... Elle éclata d'un grand rire. Aurélien, ulcéré, reprit :

 Exactement. L'occident arrive au bout du bout, à la fin de tout système, il se répète à présent. Tu ne vois pas que tout se répète ? fit-il, commençant à s'enflammer.

 Si, si continua Catherine en riant, on se répète, on se répète... »

Soucieux de rétablir un peu de sérieux sur un sujet qui, pour lui, l'était éminemment, il lui exposa sa théorie : « On refait la même chose, on recycle... et on se lasse. On copie la copie, on la découpe, on la morcelle, on la recolle dans tous les sens, mais au final c'est le même patchwork qui se recompose. En plus fin, en plus tordu. Regarde par exemple, la musique : tu ne trouves pas qu'elle se répète ? On recycle du vieux avec des samples, des échantillons, qu'on colle les uns aux autres en les appelant « morceau inédit ». Sauf qu'un échantillon ça reste un échantillon, ça ne fera jamais une chose entière ! Et tout le reste est comme ça : on échantillonne en politique comme en économie, on fait des samples avec le vieux Marx, avec le vieux Keynes... Comme la musique, les systèmes se ringardisent de façon accélérée, un style hip-hop, un morceau électro devient has been en moins de deux ans, il faut produire, produire pour éviter de se retrouver la gueule sur le même râteau, la gueule dans le Même ! »

Il poursuivit, avec un ton docte : « Le Même veut s'échapper à lui-même de plus en fréquemment car il a une conscience de plus en plus aigüe de lui-même. Et honteuse. La technique aura permis au Même de créer de l'autre mais cet autre revient au même. Le monde est obligé de se renouveler sans cesse, d'accélérer ses modes et ses refrains. Tout cela donne une danse de Saint Guy à donner le tournis. Ça pue un peu le rance, le renfermé, le pet. Le Même épuisant, lassant qui renifle son propre pet. Je crois vraiment qu'il y a un lien entre les choses, un même esprit, entre de petits morceaux de musique très vite au bout d'eux-mêmes et des partis politiques tout aussi exsangues ! Et je pourrai filer la métaphore beaucoup plus loin !

 Mis à part le fait que tu deviens hégélien sur les bords et un brin scato, je ne vois vraiment pas le rapport avec le fait de voler dans les grandes surfaces, désolée mon chéri !

 Et bien je vais te le dire, moi, le rapport, poursuivit Aurélien, agacé : C'est que je ne vois pas pourquoi je rentrerais dans un système dont je sais qu'il répète en pire ce qu'il sait être un échec depuis la fin de la guerre !

 C'est une bonne guerre qu'il nous faudrait ! ironisa encore Catherine.

 Tu es désespérante, tu sais... on ne peux vraiment pas discuter de choses sérieuses avec toi ! D'ailleurs, pourquoi pas la guerre, à condition que ce ne soit pas la

même

...

 Parce que tu es sérieux en plus de ça ?

 Oui, je crois... répondit le jeune homme, décontenancé.

 Détends-toi bébé, je t'ai servi un whisky. Après, tu t'occuperas de mes fesses, enfin si tu veux bien ! Si tu n'es pas trop agité par tes fièvres philosophiques !

 D'abord, tu as lu Hegel, toi ?

 A ton avis... ce n'est pas parce que je fais dans l'immobilier que je suis une conne, ou que je n'ai rien fait d'autre avant ! Tu te regardes trop le nombril mon petit Valton. »

Il n'insista pas pour cette fois. Il pouvait s'estimer heureux d'avoir alcool et nourriture à volonté chez cette femme pour qui, au fond, son respect était aussi grand que sa fascination, voire sa jalousie.

Aurélien avait perdu sa mère quelques mois plus tôt. C'était une femme douce et gentille, résignée devant l'existence autant que devant un mari brutal. Elle ne s'embarrassait d'aucune question existentielle. Pas plus son cancer que son fils ne lui firent changer de cap. A ce dernier - encore jeune étudiant en sociologie à Caen - qui la tançait ainsi que son père, sur leur inertie face à leur humiliante condition ouvrière, elle déclara qu'elle préférait le repos du fatalisme à l'énergie du désespoir. Cette réponse l'avait mis en colère sur le moment mais elle avait marqué à jamais la conscience du jeune homme qui comprenait subitement qu'il n'appartenait plus aux pauvres de changer leur condition et que le socialisme resterait le joujou des riches. Il se disait qu'il trouverait peut-être un jour les conditions de possibilité de cette synthèse à réaliser entre le fatalisme et le désespoir, entre le repos et l'énergie.

Sur son lit d'hôpital, Madame Valton s'était sentie bien seule durant les derniers moment de sa vie. Son mari se soulait en se lamentant sur sa pauvre femme auprès de ses amis ivrognes tandis que le jeune Aurélien passait sa vie dans les meetings de la gauche étudiante. Ses jours de battement, son fils les réservait à ses petites amies fumeuses de haschich. Restait à cette pauvre femme malade les consolations d'une religion simple et apaisante. Il ne lui venait pas à l'esprit d'en vouloir à son fils pour son absence car elle ne souhaitait que son bien et l'épanouissement de son intelligence. Quand elle referma ses paupières pour la dernière fois, un paisible sourire illumina son visage, rendant stupides les larmes volubiles de sa famille réunie autour. Aurélien ressentit à ce moment un sentiment fort trouble, entre accusation et souffrance, et comme une bouffée de haine dont il ignorait tout de la source comme de l'objet. Traumatisé par cette expérience dont il ne savait déduire ni méchanceté ni médiocrité, il en conclut pour lui-même qu'il avait tout bonnement souffert pour sa mère. Il n'adressa jamais plus la parole à son père, désormais seule tête de turc dont l'alcoolisme et la condition infamante facilitaient le reniement.

Catherine et Aurélien naviguaient parfois côte à côte sur le net, durant de longues heures, chacun muni de son propre ordinateur. Elle s'intéressait aux forums féminins et aux magazines de santé ; lui vérifiait ses posts sur ses sites conspirationnistes, guettant les réactions à ses interventions. Catherine « taguait » quelques amis sur sa page Facebook et riait des diaporamas de chippendales que son amie Adèle lui envoyait par dizaines. Aurélien s'offusquait de cette utilisation au premier degré d'internet. Catherine restait bien une femme, légère et ingénue, trop dénuée de sens critique pour prendre conscience du danger de cette plateforme devenue religion planétaire. Lui, entendait subvertir le système. C'est de l'intérieur qu'il fallait le dénoncer. Le trop plein d'informations tuait l'information ou, pour le moins, il la diluait. Il disait que cette profusion rendait équivalentes toutes les données et supprimait toute hiérarchie de valeurs, que le net floutait tous les contours du bien comme du mal. Aussi fallait-il se mettre au courant de ce que ce média exhibait de pire pour bien le connaître : réseaux clandestins, mouvements complotistes, groupuscules néo-nazis, mouvances nationalistes, xénophobes, anarchistes, snuff movies, pornographies sacrées et profanes... Catherine ne voyait que l'intérêt amical et marchand du net.

Aurélien s'était créé une adresse sur le site préféré de son amie, adresse destinée à « mieux subvertir » Facebook. Il usait de son pseudonyme habituel, Nihilsubsole, et injectait sur sa page d'accueil, comme un venin, quelques liens sensés diriger ses rares lecteurs vers des sites plus sérieux. Sa page n'attirait que très peu de monde – il n'avait pas d'amis hormis ceux de Catherine qui venaient parfois la visiter par pure curiosité, et qui en sortaient quelque peu surpris, voire stupéfaits du phénomène dont leur amie venait de s'amouracher. De temps à autres, des jeunes filles en mal d'amour lui lançaient une invitation, le trouvant « très mignon » ou « kiffant