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Surtout, ne vous endormez pas...
Car l'esprit embrouillé ne connaît plus de frontière entre le rêve et la réalité.
Das E-Book Le Cauchemar wird angeboten von Books on Demand und wurde mit folgenden Begriffen kategorisiert:
suspense, épouvante, horreur, Fantastique, démon
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Seitenzahl: 217
Veröffentlichungsjahr: 2023
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« Le seul moyen de chasser un démon est parfois de lui céder. »
Paule Saint-Onge.
Épigraphe
PROLOGUE
PARTIE 1: Les prémices
CHAPITRE 1
CHAPITRE 2
CHAPITRE 3
CHAPITRE 4
CHAPITRE 5
CHAPITRE 6
PARTIE 2: Les conséquences
CHAPITRE 7
CHAPITRE 8
CHAPITRE 9
CHAPITRE 10
CHAPITRE 11
CHAPITRE 12
CHAPITRE 13
PARTIE 3: La descente aux enfers
CHAPITRE 14
CHAPITRE 15
CHAPITRE 16
CHAPITRE 17
CHAPITRE 18
CHAPITRE 19
CHAPITRE 20
ÉPILOGUE
REMERCIEMENTS
Centre hospitalier de Cadillac
Unité pour Malades Difficiles (UMD)
Gironde, Nouvelle-Aquitaine
22 juin 2023.
L'odeur de produits désinfectants est insoutenable et irrite les sinus de Thomas alors qu'il n'est entré dans l'hôpital que depuis quelques minutes.
Balayant les environs du regard, le jeune homme est loin de se sentir tranquille. D'épaisses gouttes de sueur perlent sur son front pour lui piquer les yeux tandis que sa respiration devient incontrôlable.
- Tout va bien, monsieur ? demande l'infirmière d'un air inquiet. Vous êtes asthmatique ?
- Non... gémit Thomas en posant une main tremblante sur son cœur.
Il ne peut plus marcher. Ses jambes refusent de lui répondre, ses pieds s'enfoncent dans le sol devenu mouvant. Tout se met à tourner autour de lui, si bien que Thomas tente désespérément de s'accrocher à quelque chose.
L'infirmière prononce des palabres incompréhensibles. Ses lèvres bougent, mais aucun mot ne sort de sa bouche. Le jeune homme est conscient d'être en pleine crise.
Il ne manquait plus que ça.
Une crise de panique.
Ici, et maintenant.
- Je suis désolé, murmure-t-il. Je ne peux pas...
Sur ces mots et malgré les protestations de la soignante, Thomas réussit à faire volte-face pour revenir sur ses pas. Il essaie de se rappeler des différents couloirs empruntés avec l'infirmière, et se sent visiblement soulagé au moment où il aperçoit les portes battantes de la sortie de l'hôpital.
Thomas n'a jamais aimé les hôpitaux. L'odeur est infecte, et il y règne une ambiance morbide dont il se passerait volontiers. Il n'y a que du négatif qui émane de ce genre d'établissements. C'est bien connu, seuls les gens malades vont à l’hôpital. Et là, en l'occurrence, il s'agit d'un hôpital pour les fous, ce qui rend l'atmosphère d'autant plus sinistre et angoissante aux yeux du jeune homme effarouché.
Thomas reprend enfin le contrôle de sa respiration au moment de passer les portes battantes. Il ignore une femme décoiffée qui jette sa tête sur le côté comme une enragée, traînant une perfusion sur son pied à roulettes.
Surtout, ne pas croiser leur regard... Je risque de devenir fou à lier moi aussi, si je plonge mes yeux dans les leurs...
Sur le grand parking privé de l'établissement, Charles est appuyé contre sa voiture, les bras croisés. Lorsqu'il aperçoit Thomas fondre sur lui d'un pas bien décidé, des rides d'inquiétudes apparaissent sur son visage à la peau blanche.
Charles intercepte Thomas qui n'ose le regarder dans les yeux, en posant fermement ses mains sur ses épaules tremblantes.
- Je croyais que j'étais prêt, dit simplement le jeune homme.
Le quinquagénaire prend affectueusement le limougeaud dans ses bras, agissant comme la figure paternelle dont Thomas a toujours manqué au cours de sa vie.
- Tu as besoin de plus de temps, le rassure-t-il. Tu n'as qu'à m'attendre dans la voiture.
Thomas renifle et essuie les larmes roulant sur ses joues d'un revers de la main avant de s'installer dans le Duster, côté passager.
Charles quant à lui observe dans un premier temps l'hôpital psychiatrique dans son intégralité pour s'imprégner des lieux. Puis, après avoir pris une grande inspiration, l'homme se dirige vers l'entrée d'un pas incertain, anticipant les prochaines minutes avec beaucoup d'appréhension.
Pour la première fois depuis longtemps, Charles a la boule au ventre.
Car même en tant que démonologue certifié et expert en sciences occultes, il fait face au premier cas inédit de sa carrière.
Même son grand-père n'a jamais vécu une telle affaire.
Le confort d'une Ford Puma de deux mille vingt n'a rien à voir avec les sièges durs et les vibrations constantes de leur ancienne vieille Peugeot 206. Il faut dire que ce tas de ferraille a fait son temps, comme on dit, si bien que le compteur aurait fini par sauter s'ils n'avaient pas pris la décision de l'emmener à la casse après cette énième surchauffe du moteur malgré une quantité suffisante de liquide de refroidissement.
Dorénavant, Jeremy et Aïleen apprécient les longs trajets malgré le coût exorbitant du carburant à l'heure actuelle. Heureusement que la consommation de leur nouvelle occasion reste raisonnable, c'était pour Jeremy un point essentiel à l'acquisition d'un nouveau véhicule. Même si ça l'emmerde un peu de devoir reprendre un crédit de voiture sur cinq ans alors qu'ils commencent à visiter des biens immobiliers aux abords de Limoges...
Les autoroutes menant vers le nord de la France sont moins chères. Pour la Normandie, ils n'auront à débourser qu'une trentaine d'euros aller-retour. Pas comme la fois où ils étaient allés voir Thomas et Izy à Lyon, ou encore l'année de leurs vacances à Biarritz où il avait carrément fallu réserver une enveloppe budget pour le diesel et les péages.
Une main sur le volant, l'autre sur la cuisse, Jeremy porte son regard sur celui de sa bien-aimée qui dort à poings fermés, tête appuyée contre la vitre. Ils ont parcouru les deux tiers du chemin, et bien que le pilote ait toujours eu pour habitude de ne jamais s'arrêter pour ne pas perdre de temps sur les aires d'autoroute où tout était encore plus cher que de raison, il prendrait bien un bon café long avec une viennoiserie. Mais tant qu'elle dort, autant continuer la route.
Ils ont réussi à obtenir une semaine de vacances ensemble. Avec les pénuries actuelles de chauffeurslivreurs, il est difficile pour Jeremy de poser ses vacances suffisamment à l'avance pour organiser quelque chose avec Aïleen. Traductrice en maison d'édition, elle n'a pas le même problème. Son boulot permet de réduire les coûts de déplacements, car elle bosse beaucoup en télétravail. La nouvelle mode depuis le COVID. Et comme ça, la Citroën C3 dont le contrôle technique est déjà périmé depuis trois semaines reste bien au chaud dans le garage.
Lyons-la-Forêt. Minuscule commune normande à quarante minutes de Rouen. Leur cher ami Thomas leur a réservé trois chambres à l'hôtel de La Licorne, et à cent euros la nuit pour deux personnes, Jeremy espère bien que les chambres valent le coup, car la note pour les quatre nuits d'hébergement s'avère salée. Pourquoi ne pas choisir un hôtel moins cher ? Genre un B&B sur Rouen ? Thomas a sûrement quelque chose derrière la tête, comme d'habitude.
C'est sur l'air doux de Auld Lang Syne de Dougie MacLean que la future femme de Jeremy se redresse sur son siège en passant une main sur son visage. Elle papillonne des yeux et cherche un panneau pour se repérer dans l'espace, ne sachant pas depuis combien de temps elle s'est assoupie.
- On n'en a plus pour très longtemps, ma puce.
Aïleen lui adresse un sourire franc et pose sa main sur la sienne. Ses magnifiques mèches rousses s'éclaircissent sous les rayons du soleil de janvier en ce frais début d'année, faisant ressortir davantage les origines celtiques la rattachant à l’Écosse, sa terre natale. Son fort caractère lié à sa gentillesse et à sa douceur sans égard avait touché le cœur de Jeremy à l'époque. Ils se sont rencontrés il y a sept ans dans un bar du centre-ville de Limoges. Aïleen était barmaid lorsqu'elle n'était pas à l'université, et ses parents venaient d'acheter une maison à Feytiat, en banlieue, depuis que son père était revenu d’Écosse pour venir vivre en France avec sa mère.
- On est bien d'accord que Thomas a un truc derrière la tête, n'est-ce pas ?
Jeremy soupire et achève de se rabattre devant le poids lourd qu'il vient de dépasser.
- J'en ai bien l'impression, finit-il par admettre.
- Je n'ai rien contre le fait qu'il nous organise des vacances, tu sais, mais disons qu'il aurait au moins pu nous en parler pour qu'on puisse choisir ensemble la destination.
Aïleen n'avait pas tout à fait tort. Mais Thomas a toujours été imprévisible, et ce, depuis le lycée. Il a aussi toujours été le roi de la connerie.
- Ceci dit, je ne suis jamais allée en Normandie, sourit la jeune femme.
- Puis ça nous permettra de tous nous retrouver et de profiter un peu comme au bon vieux temps.
- C'est vrai que ça fait plus de deux ans qu'on ne s'est pas vus... Izy doit en être à son troisième ou quatrième mois, c'est ça ?
Isabelle et Thomas avaient annoncé l'heureuse nouvelle sur leur groupe WhatsApp. Après des mois de combat acharné, Izy a fini par tomber enceinte. Juste au moment où ils étaient tous deux prêts à effectuer des tests de fertilité. Le futur papa sera certainement plus excité que d'habitude, malgré les six heures d'autoroute à avaler depuis Lyon... Il aurait vraiment pu trouver une destination qui arrange tout le monde.
Lyons-la-Forêt, c'est vraiment un trou perdu. À plus de deux heures des plages du débarquement, Jeremy commence vraiment à se demander ce qu'ils vont bien pouvoir faire ici pendant cinq jours.
Sur le parking de l'hôtel, le Nissan noir de l'assistante vétérinaire et de l'ouvrier mécanicien lyonnais est déjà garé au fond, près des arbustes nus encadrant la large place goudronnée.
- Mais quelle idée il a eu de nous emmener dans ce coin pourri ! s'indigne Izy.
- J'ai fait la même réflexion à Jeremy ! ricane Aïleen en enserrant son amie.
- Comment tu vas, ma belle ?
Thomas attrape la main de Jeremy et l'attire vers lui pour lui donner une claque amicale dans le dos.
- C'est toujours aussi bon de te revoir, abruti ! plaisante le Limougeaud.
Son ami le toise exagérément avec un rictus au coin des lèvres.
- Mouais, je sais, j'manque à tout le monde. C'est comme ça, avec moi.
- C'est bien ce que je dis... T'es vraiment un abruti.
- Ouais, puis pourquoi tu nous a emmenés ici, d'abord ? intervient Aïleen.
- Je te rassure, peste Isabelle. Il n'a rien voulu me dire dans la voiture !
- Ça craint, son truc, je le sens déjà...
Thomas se place derrière sa petite amie et pose délicatement ses mains sur son petit ventre arrondi.
- On a pas mal de choses à se dire, sourit Isabelle.
Son homme range les clés de voiture dans sa poche et claque des mains comme un enfant. Jeremy reconnaît là son air espiègle qui l'a toujours habité depuis tout gosse.
- Allez, on discutera au chaud ! Venez !
À l'image du village, c'est un petit hôtelrestaurant. Petit, mais plutôt charmant et accueillant. Thomas leur a réservé deux chambres communicantes au premier étage. Grand lit double, TV, baignoire et Wi-Fi gratuit. Une déco un peu trop moderne aux yeux de Jeremy, qui n'aime pas spécialement le blanc-gris-noir. Trop impersonnel. Mais bon, ce n'est pas comme s'il était chez lui. Pour quelques nuits d'hôtel, c'est parfait.
Une fois les sacs posés, tous s'affairent autour du grand lit de la chambre de Jeremy et Aïleen. Les discussions vont bon train autour d'un thé grâce à la bouilloire présente dans chaque pièce avec un large choix de sachets d'herbes sèches en tous genres. Les paris sont lancés sur le sexe du bébé de Thomas et Isabelle qui entame tout juste sa neuvième semaine. Pour ce qui en est de Jeremy et Aïleen, les tourtereaux annoncent officiellement leur mariage prévu pour l'été prochain.
Bien des choses se sont passées depuis le lycée, mais les deux couples d'amis n'ont jamais cessé de se voir et de se donner des nouvelles, même si la vie a fait que leurs situations divergentes les ont installés à quatre heures de distance.
- Ça ne paraît pas comme ça, concède Thomas, mais il y a pas mal de choses à faire ici. Déjà, l'hôtel propose une piscine et un spa, puis il y a quelques beaux villages à visiter, des balades dans la forêt en voiturette électrique, le château de Vascoeuil , le château de Martainville dont j'ai déjà réservé les visites...
- Et ?... le pousse Jeremy.
Son ami soupire sans cesser de sourire et pose un tas de feuilles sur le lit. Izy attrape la première et la parcourt des yeux en haussant les sourcils.
- L'abbaye de Mortemer, annonce-t-elle. L'abbaye la plus... hantée de France ?
Aïleen adresse un regard inquisiteur à son futur mari tandis qu'Isabelle secoue la tête en se redressant brusquement, une main plaquée contre son ventre.
- Non, tu vas pas recommencer, chéri...
- Mais attends, je n'ai encore rien dit !
- T'as pas besoin, arrête. Tu sais très bien que j'ai horreur de ça !
- Laisse-moi au moins vous annoncer la couleur...
- OK, Izy, intervient Aïleen. Laisse-le parler, on verra bien.
Thomas semble hésiter l'espace d'un instant, mais son excitation prend vite le dessus.
- Cette abbaye est à cinq minutes en voiture, perdue dans la forêt. C'est un site touristique, je précise. Cela n'a rien à voir avec ce qu'on a fait jusqu'à maintenant. Évidemment, j'avais plutôt pensé à y aller durant la nuit...
- Non, mais t'es cinglé ?! s'indigne sa compagne. T'as vraiment prévu qu'on se retrouve tous les quatre dans le seul but de visiter les ruines d'une abbaye hantée en pleine nuit, alors que je suis enceinte et qu'ça caille sa mère, ici ?!
- Déjà, je n'ai pas prévu que ça... Disons simplement que cette abbaye a influencé mon choix sur notre destination de vacances, c'est tout.
- On aurait pu en discuter ensemble, réagit l'écossaise. Jusque-là, on a toujours procédé comme ça. Chacun propose un plan-destination sur le groupe Watsapp, et on choisit ensemble !
- Rhôôô, s'il vous plaît ! plaide Thomas en prenant sa tête à deux mains. Jeremy, on a pas toujours kiffé les ruines et les endroits qui font peur ? Rappelle-toi, quand on est entré dans cette immense maison abandonnée pas très loin de l'école ! On s'est pas éclaté, ce jour-là ? On s'est fait peur, c'était la pleine lune...
- On avait dix ans, précise Isabelle, mains sur les hanches. On a grandi, depuis. Tu veux que je fasse une crise cardiaque ou quoi ?
- J't'en prie, mon chat... Suite à nos années lycée, on a construit nos vies et inutile de nous voiler la face, on se verra de moins en moins...
Un silence de plomb s'installe subitement dans la chambre. Les mots de Thomas ont l'effet d'un gros coup de poing dans le ventre de ses trois interlocuteurs.
- Ça faisait un bout de temps qu'on ne s'était pas vus, et vous savez très bien que j'en souffre. Izy, tu es tout ce que j'ai de plus précieux au monde et vous deux... Vous êtes mes seuls amis. J'ai simplement pensé que cette petite aventure nous replongerait dans notre enfance.
Thomas et Jeremy, fans de films d'horreur et d'épouvante depuis toujours et avides de sensations fortes, ont commencé à faire de l'exploration urbaine dite urbex aujourd'hui, juste avant d'entrer au collège. Leur premier spot concernait une immense bâtisse abandonnée depuis des décennies. Le genre de maison à quatre étages et au grand portail en fer recouvert de lierre et de ronces, provocant une ambiance froide et austère à en coller la chair de poule. Les hôpitaux désaffectés ont toujours attiré Thomas qui, à l'avenir, espère pouvoir mettre suffisamment d'argent de côté pour explorer la tristement célèbre ville ukrainienne de Tchernobyl. Bien qu'Aïleen ait connu le trio plus tardivement, elle avait déjà participé à deux explorations durant les vacances entre deux années de fac.
Thomas se lève pour poser ses mains sur les épaules d'Isabelle qui le toise d'un air désenchanté.
- On y restera pas longtemps, murmure l'apprenti chasseur de fantômes. Ils annoncent que trois degrés cette nuit, alors c'est promis, on fait juste le tour et on rentre. Je trouve ça super excitant de déambuler en pleine nuit dans l'abbaye la plus hantée de France ! Tu aimais ça, toi aussi, avant...
- Donc on y va ce soir, en plus... déplore Izy. Mon dieu, ce que tu peux me saouler, parfois ! Comme si je ne faisais pas assez de cauchemars comme ça !
Profitant de la faille que laisse entrevoir le visage de sa compagne qui semble capituler, Thomas l'embrasse fougueusement avant de lui prendre la main pour s’asseoir avec elle sur le lit.
- Deux ans sans urbex, c'était trop long, hein ? ironise Jeremy. Mais je t'avoue que ça me botte bien aussi.
- Eh ben voilà, c'est exactement ce que je voulais entendre !
Les quatre amis rient de bon cœur tandis que Thomas reprend son dossier de feuilles pliées entre les mains.
- J'ai bien conscience que ce sera la dernière, confie-t-il en caressant le ventre de sa promise comme il a pris pour habitude de le faire. Bientôt, on sera parents. Plus de place pour les conneries ! Ce sera un boulot à temps plein et je doute fortement qu'on se remette à l'exploration urbaine d'ici quelques années lorsque nos vies auront encore plus changé... C'est aussi pour ça que je tenais vraiment à ce qu'on se retrouve cette semaine.
Isabelle sent les larmes lui monter aux yeux. Son homme a toujours été fougueux et prêt à faire toutes les bêtises du monde pour s'amuser, comme la fois où il avait mis de la super-glue sur la chaise en bois de leur professeure d'anglais au collège, qui restait assise tout le long du cours à corriger les copies des autres classes. Ou encore lorsqu'il avait desserré le frein à main de la voiture de ses parents le jour où son père avait menacé de le mettre dehors après avoir appris qu'il s'était battu au moment des résultats du bac. Et aussi la fois où il avait pissé dans la glacière d'un couple qui les avait insultés, Izy et lui, sur une plage espagnole.
Malgré cela, il sait être sérieux quand il le faut. Il est quelqu'un de très aimant qui a la tête sur les épaules et se trompe rarement sur la nature des gens, car Thomas est avant tout très observateur. Il ne manque pas de maturité... sauf à certains moments, peut-être.
- Bon, accouche ! sort Jeremy pour briser ce silence qui le rend mal à l'aise.
- Avant tout, vous devez me promettre que, même après ce que je vous aurais raconté, vous ne reviendrez pas sur votre décision.
Isabelle lève les yeux au ciel et frissonne de tout son corps, provoquant un nouveau fou-rire chez le futur papa qui se garde bien de lui faire remarquer que si elle a déjà la chair de poule, elle n'a pas fini de trembler ce soir.
- J'vais vous faire un topo assez rapide pour vous exposer les faits, reprend Thomas sans cesser de sourire.
Jeremy, Aïleen et Isabelle sont attentifs mais ne peuvent s'empêcher de s'adresser des regards inquiets mêlés d'une espièglerie enfantine qui les lie depuis déjà bien des années. La jeune écossaise se sent aussi à sa place, ayant raconté aux autres que son arrière-grandmère disait pouvoir communiquer avec les morts.
- L'abbaye de Mortemer est visitable d'avril à novembre, ça nous laissait donc quatre mois pour être tranquilles et économiser soixante euros. Elle a été construite au XIIè siècle par le premier Duc de Normandie et doit son nom Mortemer à « mer morte » en raison des marécages qui entouraient le site à l'époque. En latin, mortum mare signifie « marais putrides ».
- Ça commence bien... chuchote Isabelle.
- Cette abbaye a toujours été à l'écart de toute habitation et donc propice pour la prière des moines qui vivaient en autarcie complète grâce aux pigeons du colombier, les perches et les tanches des viviers et le miel qu'ils produisaient sur place. Il y a des étangs partout autour et la quiétude domine le parc et ses environs. Aujourd'hui, il n'en reste que des ruines, mais un musée a été construit dans les sous-sols où on trouve encore un four à pain, une cellule monacale et une fontaine. Il y aussi des spectacles en période estivale.
- Et tu comptes nous réciter ton cours d'histoire encore longtemps ? s'impatiente gentiment Jeremy.
Son ami hausse les sourcils, pince les lèvres et hoche la tête en changeant de feuille d'un geste solennel.
- Très bien, puisque vous insistez... reprit Thomas. Depuis la construction de l'abbaye, pas mal d'histoires ont fait leur apparition au fil des siècles via le bouche à oreille. J'espère que vous êtres prêts à entendre ce que je vais vous dire, parce que je peux vous garantir qu'on a encore jamais exploré de site aussi flippant jusqu'à maintenant. Il se passe véritablement des choses, là-bas.
Isabelle déglutit, Aïleen se tortille les doigts et Thomas reporte son attention sur son pense-bête.
- Suite à la guerre de Cent Ans, il n'y avait plus que quatre moines vivant dans l'abbaye. Ils étaient devenus complètement cinglés et furent massacrés dans le cellier lors de la Révolution française. Et, tenez-vous bien... Durant la Première Guerre Mondiale, des officiers britanniques ont dit avoir vus quatre moines se balader dans les caves en buvant du vin au goût de sang.
Le silence règne à nouveau en maître dans la chambre d'hôtel. Les trois amis se trouvant en face de leur conteur ne savent pas trop s'il doivent ressentir de l'appréhension ou de l'excitation à l'idée de se retrouver dans un endroit aussi sinistre en pleine nuit.
- Bien avant, le 1er janvier 1884, au niveau de la nef écroulée, un certain braconnier du nom de Roger Saboureau, a dit avoir tué une nuit de pleine lune un monstre aux yeux phosphorescents. Mais au lever du jour, il s'est rendu compte qu'il s'agissait de sa femme. Ainsi est née la légende de la garache de Mortemer. Autrement dit, une femme qui se transforme en loupgarou.
- Dites-moi que je rêve, soupire Isabelle. Et dis-moi surtout que ce n'est pas la pleine lune...
Thomas affiche son plus beau sourire et confirme à sa compagne ce qu'elle redoute le plus.
- On est le 07 janvier 2023. La pleine lune, ce sera un peu après minuit. Plutôt cool, non ?
- Je ne sais pas trop quoi te répondre, mais sois sûr d'une chose... Je vais te détester jusqu'à ce qu'on soit rentrés de cette excursion à la con.
Thomas change à nouveau de feuille et s'empresse de chercher un paragraphe en particulier.
- Attends, ce que je vais te dire là va te rassurer tout de suite. C'est le seul truc de positif que j'ai trouvé sur l'abbaye...
Isabelle lui lance un regard réprobateur qui fait bien sourire le deuxième couple d'aventuriers.
- On dit ici que le Fouillebroc est un ruisseau né des larmes de la martyre Sainte-Catherine. L'eau serait miraculeuse et les jeunes femmes jettent une épingle à cheveux dans la fontaine pour trouver un mari. Bon, on s'en fiche, t'as déjà trouvé le tien et en plus, c'est pas marrant...
- Qui t'a dit que je voulais me marier avec toi, mmm ?
Ignorant la provocation de sa copine, l'apprenti chasseur de fantômes reprend son récit.
- Mais la légende pour laquelle l'abbaye de Mortemer est la plus connue, c'est sans aucun doute celle de l'ancienne maîtresse des lieux, Mathilde l'Emperesse, la terrifiante dame blanche de Mortemer qui hante encore les fossés de l'abbaye.
Jeremy se souvient des films d'horreur dont le fil conducteur de l'histoire est tissé autour d'une dame blanche. L'interprétation de ce mythe diffère selon les régions dans le monde, mais si elles ont toutes quelque chose en commun, c'est que la présence d'une dame blanche n'est jamais bon signe...
- Mathilde l'Emperesse, fille du roi d'Angleterre Henri 1er, est morte à Rouen en 1167. Elle a été enfermée dans l'abbaye par son père pendant 5 ans, au cours de sa jeunesse. On raconte que si vous voyez le fantôme de Mathilde portant des gants noirs, vous mourez dans l'année. La propriétaire Jacqueline Charpentier-Caffin a annoncé qu'une ancienne employée a aperçu cette dame blanche près de l'ancien cloître il y a une quinzaine d'années. Elle a pris peur et a décidé de démissionner. Plus personne ne l'a revue à l'abbaye. Quelques semaines plus tard, le mari de cette employée a informé la propriétaire que sa femme était morte.
- J'aurais jamais pensé que des trucs pareils puissent se produire en France, avoue Jeremy. J'en avais jamais entendu parler jusque-là. Ça fait quand même froid dans le dos...
- Tu m'étonnes ! renchérit Thomas. C'est un truc de ouf... C'est pas comme s'il y avait juste eu quelque chose d'inexplicable un beau jour. Là, beaucoup de choses se sont passées depuis plusieurs siècles. C'est quand même bizarre.
- T'as vraiment voulu marquer le coup pour notre dernière exploration, murmure Aïleen.
- Carrément, et je pense que ça peut être super sympa !
- Pitié, intervient Izy, les mains plaquées contre ses joues devenues étrangement blanches. Dis-moi que tu as fini ton histoire parce que je ne suis pas sûre de pouvoir entendre quoi que ce soit de plus sur cette abbaye. J'ai déjà du mal à croire que j'y mettrai les pieds d'ici ce soir, alors s'il te plaît, dis-moi que tu as fini !
- Oui, t'inquiète ! la rassure-t-il. Après, au cœur de l'actu des années 90, la journaliste Muriel Motte a prétendu avoir photographié plusieurs fois un spectre, mais en 2011, une équipe de télévision en a conclu qu'il s'agissait en fait d'un effet de paréidolie sur les restes du transept de l'abbatiale éclairés par un projecteur. Puis si ça peut te rassurer, un prêtre a même exorcisé les lieux en 1921.
- Mais le siècle d'après pourtant, une femme est morte après avoir vu un fantôme... se lamente Isabelle. Mon Dieu, c'est pas vrai... Tu sais, je préférais quand on visitait les maisons abandonnées. Au moins, on ne savait rien de leur histoire, et si tu ne m'avais rien dit sur cette abbaye alors peut-être que j'aurais pu y aller sans poser de questions et en me sentant un peu moins froussarde... Mais là, je me sens incapable d'y aller, et encore moins la nuit...
- Eh, intercède Aïleen. Tu n'es pas obligée de venir si tu ne t'en sens pas capable... Personne n'est forcé de participer.