Le Chant de l'Épée - Clément Barthélémy-Gouyac - E-Book

Le Chant de l'Épée E-Book

Clément Barthélémy-Gouyac

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Beschreibung

Durant la seconde moitié du IXè siècle, alors que la Grande Armée marche vers le sud de L'Angleterre en quête de richesses, Almar, jeune guerrier norvégien rongé par la mort tragique de son père, cherche à savoir où le mènera son destin. Accompagné de Magni, son ami de toujours devenu un véritable frère au fil des années, le jeune viking va rapidement se retrouver dans une situation compromettante après la conquête du Wessex, remettant ainsi en cause les principes guidant un guerrier tout au long de son existence. Entre amour, trahison, bravoure et loyauté, plongez dans une aventure sensationnelle au coeur de la période viking, en suivant les péripéties d'un impétueux guerrier prêt à tout pour protéger les êtres les plus chers à ses yeux, au milieu d'une guerre déchirante opposant le peuple saxon aux hommes du Nord.

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Veröffentlichungsjahr: 2023

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« Même si les fils de mon existence sont tissés par d'autres mains que les miennes, je ne dévie pas des principes qui me guident. »

Uhtred de Bebbanburgh, The Last Kingdom – série télévisée adaptée des Chroniques Saxonnes de Bernard Cornwell.

NOTE DE L'AUTEUR

Cette fiction historique s'inspire de l'invasion de l'Angleterre par les populations scandinaves au IXème siècle. Contrairement à d'autres, certains personnages sont des personnages historiques tel que le roi Alfred le Grand ou encore le chef viking Halfdan Ragnarson. Il en est de même pour les dates et les lieux énoncés.

Le personnage principal quant à lui est purement fictif, le but étant de le suivre afin que vous, chers lecteurs, découvriez le quotidien de la vie des sociétés scandinaves, de leurs coutumes et leur mode de vie, à travers un fond historique relatant leur avancée vers le sud en quête de richesses.

L'ère viking n'a duré que trois siècles environ (estimée de 750 à 1066), ce qui rend nos informations d'aujourd'hui peu fiables. J'ai utilisé quelques ouvrages pour m'intéresser à cette période de l'histoire dont nous ne savons pas grand chose. Je me suis notamment appuyé sur les Chroniques Saxonnes écrites par l'historien britannique Bernard Cornwell, qui raconte l'histoire de l'Angleterre envahie par les vikings durant les règnes d'Alfred de Wessex et de son fils Edouard. Je me suis également beaucoup renseigné sur les Eddas poétiques de Snorri Sturluson, l'un des seuls textes de mythologie nordique les plus complets à ce jour. L'historien Peter Hunter Blair ainsi que le philosophe Galdar Sechador m'ont également beaucoup inspiré.

Vous trouverez un glossaire en page → regroupant les quelques termes que j'ai pensé utiles à définir afin de ne pas impacter la compréhension du texte.

Je ne suis pas historien. Je ne fais que partager ma passion du Haut Moyen-Age, de la mythologie nordique et de la culture viking à travers cette fiction historique inspirée de quelques ouvrages et nourrie par mon imagination.

Sommaire

PROLOGUE

CHAPITRE 1 : La Mercie

CHAPITRE 2 : Fimbulvetr

CHAPITRE 3 : La Forteresse

CHAPITRE 4 : Le village

CHAPITRE 5 : Serment

CHAPITRE 6 : « Garde ton attention pour l'Homme noble, car les paroles de l'Homme envieux voilent toujours de mauvaises intentions »

CHAPITRE 7 : Le mariage

CHAPITRE 8 : Mouroir

CHAPITRE 9 : Déchéance

CHAPITRE 10 : L'affrontement

GLOSSAIRE

PROLOGUE

Au IXème siècle, l'Angleterre était divisée en quatre royaumes indépendants : la Northumbrie, l'Est-Anglie, le Wessex et la Mercie, ce dernier étant le plus vaste et le plus puissant. La majorité des personnes vivaient à la campagne bien que quelques grandes villes se soient bien développées comme York et Lundene (Londres).

A cette époque, les peuples scandinaves étaient fortement tributaires de la pêche au hareng, mais lorsque les ressources vinrent à manquer, les marins nordiques s'aventurèrent vers le sud et l'ouest de l'Europe. Ce n'est qu'à partir du XXème siècle qu'on qualifiera ces hommes de « vikings », du vieux norrois víkingr, signifiant « commerçant, guerrier explorateur, pillard, navigateur ».

Ainsi, développant des techniques de navigation leur permettant d'accéder à d'autres régions du monde, ces populations renforcèrent leurs liens commerciaux avec les pays d'Europe, ce qui leur permit d'amasser de l'or en quantité.

Au VIIIème siècle, ces pillards du Nord attaquèrent plusieurs monastères chrétiens dans les îles britanniques, comme celui de Lindisfarne en 793, attaque dont nous gardons la trace aujourd'hui. Ces édifices religieux étaient souvent isolés et constituaient des cibles non protégées pour des attaques.

L'historien britannique Peter Hunter Blair a fait remarquer que les vikings furent étonnés de trouver autant de communautés abritant une richesse considérable et dont les habitants ne portaient pas d'armes. Ces incursions dans les îles britanniques constituèrent le premier contact avec le christianisme pour la plupart des scandinaves. Ces attaques n'étaient donc pas anti-chrétiennes comme nous serions amenés à le penser aujourd'hui, les monastères constituant simplement des cibles faciles pour les vikings.

A partir de 865, les intentions des hommes du Nord changèrent. Ils ne voyaient plus l'Angleterre comme une simple contrée à piller, mais comme un lieu propice à l'établissement de colonies. Avec l'aide de son frère Ivar, Halfdan Ragnarson, fils du célèbre guerrier Ragnar Lodbrok, conquit la Northumbrie. Il deviendra plus tard roi de Lundene. Leur frère Ubba Ragnarson participa à la conquête de York, ville du Nord de la Mercie en 866. Les rois anglo-saxons capitulèrent vite et cédèrent leurs terres face aux demandes des hommes du Nord.

Le roi Aethelred de Wessex qui dirigeait le conflit contre les envahisseurs du nord mourut en 871, laissant le pouvoir à son frère Alfred, connu sous le nom d'Alfred le Grand. Après 875, les vikings continuèrent à conquérir les territoires de la Mercie et de l'Est-Anglie.

Almar Egilson, fils du scalde Egil Ragnvaldson aura la chance de combattre à travers l'Angleterre, parmi les plus grandes figures de son peuple au sein de la Grande Armée, dirigée par les fils de Ragnar Lodbrok.

Nous sommes en l'an 875 après J.C. près de York, au nord du Royaume de Mercie, au cœur de l'Angleterre anglo-saxonne.

CHAPITRE 1

La Mercie

L'eau effaçait peu à peu le sang qui tachait mes mains depuis plusieurs jours, à mesure que je frottais ma peau avec un morceau de tissu. Ce ruisseau, qui débouchait dans la rivière Ouse au sud-est de York, laissait courir une eau claire et fraîche, qui me fit tressaillir lorsque je la sentis perler le long de mon avantbras. Malgré le climat plus tempéré de cette région comparé à celui que j'avais connu jadis en Norvège lors de mon enfance, je sentais l'arrivée de l'hiver peser en cette fin de journée. Je n'avais pas encore eu le temps de retirer ma tunique de combat en cuir faite de fourrure de renne. Je n'en avais pas très envie en raison de l'air frais environnant. J'allais pourtant bien devoir l'ôter pour panser mes plaies qui avaient déjà trop attendu sans subir le moindre soin.

Nous avions fait une halte à quatre ou cinq lieues de York au milieu des bois. Je fis mes premiers pas sur les terres de Mercie cinq années auparavant. Tous les seigneurs saxons des environs avaient cédé leurs terres suite à la victoire de la Grande Armée, environ dix ans plus tôt quand York fut conquise. Ce fut une grande victoire, célébrée partout, de l'Angleterre jusque dans les contrées les plus au nord des pays scandinaves. York était une grande ville fortifiée, très importante pour les saxons. Ce fut un coup dur pour beaucoup de souverains et depuis, nous avions pu continuer notre avancée en direction du Wessex, le royaume le plus au sud qui était l'un des principaux objectifs de la Grande Armée.

Ce fut en grimaçant et en retenant ma respiration que j'entrepris de retirer ma cuirasse bien amochée. Elle était épaisse, mais une lame saxonne avait bien réussi à passer à travers pour pénétrer ma chair. J'allais devoir la raccommoder. Si j'avais les moyens de me procurer une cotte de mailles, je serais beaucoup mieux protégé lors des combats. Je pourrais mettre ma cuirasse qui m'assurerait une protection contre des coups de lames, et par-dessus ma chemise en cotte de mailles qui me préserverait des coupures. Mais c'était beaucoup trop onéreux. Il est vrai que je pouvais très bien en récupérer une sur le champ de bataille, mais cela ne me plaisait guère. Qu'il fût saxon ou bien homme du nord, je n'oserais jamais ôter sa cotte de mailles à un mort. C'était peut-être stupide de réfléchir ainsi, mais je n'aimerais pas être dépouillé de mes vêtements le jour où je devais rejoindre le Valhalla. De plus, je n'étais pas comme tous ces pauvres gens qui se jetaient sur un cadavre pour s'emparer des biens que le défunt avait en sa possession le jour de sa chute.

L'Angleterre me plaisait plutôt bien, même si je restais attaché à ma région d'origine. J'étais du Jutland, une péninsule danoise, mais j'avais grandi dans le Vestfold au sud de la Norvège. J'étais issu de parents tous deux fermiers et peu fortunés. Ma mère, Svanhild, était morte en couche le jour de ma naissance, je n'avais donc aucun souvenir de son visage. Toute mon enfance, je n'avais que mon père pour me la décrire. Malgré tout, je me sentais heureux. Mon père passa une période difficile durant laquelle il se questionnait sans cesse sur les desseins des dieux le concernant. Il avait réussi à fonder une famille, il détenait quelques terres et servait un seigneur tout à fait honorable. Sa loyauté fut remerciée à de nombreuses reprises. Puis un beau jour, il rentra d'une expédition pour découvrir ma mère ensanglantée sur sa couche au sein de leur bâtisse. Quant à moi, d'après ses récits, j'étais dans les bras d'une esclave en pleurs qui avait certainement fait au mieux pour nous sauver tous les deux. Dès lors, mon père perdit toute volonté de vivre. Puis il finit par se rattacher à moi et m'éleva selon les valeurs et les croyances de notre peuple, faisant de moi un redoutable guerrier.

En grandissant, je sentais son envie d'accompagner les plus valeureux guerriers à la conquête de l'Angleterre. Et pourtant, il restait. Pour moi. Mais quand je fus assez âgé, il prit la décision d'abandonner ses terres pour accompagner les hommes de la Grande Armée. Il disait vouloir vivre une nouvelle vie. Évidemment, je partis avec lui. Ce fut à partir de ce jour que ma vraie vie de guerrier débuta.

En 871, le roi Aethelred de Wessex mourut et céda alors le pouvoir à son jeune frère Alfred. Le bougre était fortement stratège lorsqu'il s'agissait de repousser les avancées des hommes du nord. Pour s'étendre jusqu'au Wessex, la Grande Armée allait avoir besoin de plus de guerriers. J'avais alors quinze ans. York étant une ville importante pour les saxons, qui envoyèrent une multitude d'hommes en armes afin de la reprendre. Je ne perdis alors pas de temps pour effectuer ma première bataille. J'étais le plus heureux du monde. Épée et bouclier en main, moi, Almar Egilson, combattis à de nombreuses batailles guidées par le grand Ubba Ragnarson. Je me souviendrais toujours de la fierté que j'avais ressenti le jour de ma première bataille. Je me souvenais de ce frisson m'ayant parcouru l'échine lorsque j'avais entendu le son de la corne. Je me souvenais de mes battements de cœur irréguliers et des gouttes de sueur qui perlaient sur mon front dues à l'angoisse du combat. Je me souvenais avoir levé les yeux au ciel en serrant le marteau de Thor en bois qui me servait de pendentif. Cette protection qui m'accompagnait à chaque coup donné et reçu. C'était la guerre. Et c'était angoissant. Et excitant. Il s'agissait de moments où je me sentais réellement vivant.

Mais ce n'était pas le moment idéal pour repenser à tout cela. Je sortis de ma rêverie lorsque ma plaie à l'abdomen me lança une douleur aiguë qui me coupa instantanément le souffle. Elle paraissait profonde et du sang bien rouge et épais s'en échappait par intermittence. Je pris mon courage à deux mains et trempai le morceau de tissu blanc qui n'était plus blanc pour le poser sur ma blessure. Je fermai les yeux, espérant inutilement que la douleur serait moindre si je ne regardais pas ce que je faisais. Je songeai alors qu'étant donné les pertes saxonnes, il s'agissait sans aucun doute de leur dernière offensive pour tenter de reprendre York. D'autant plus que dorénavant, nous nous étions étendus plus au sud. Ils n'avaient donc plus aucun moyen de parvenir jusqu'à la cité sans se faire massacrer au préalable.

Mis à part cette plaie bien ouverte, le reste était superflu. Quelques ecchymoses et égratignures. J'avais toujours les yeux fermés, concentré sur le bruit de l'eau qui ruisselait entre les galets. Mais j'entendais que les hommes étaient en train de monter le campement au sein de la forêt. Alors je décidai de me relever malgré les douleurs musculaires qui me tiraillaient, puis je remis mon immense peau d'ours qui me suivait partout avant de récupérer mes affaires laissées sur un rocher près du ruisseau. Cette peau était lourde, chaude, confortable... Et chère. C'était un cadeau de mon ami Magni qui devait être en train de monter les tentes. J'avais pris soin de traiter cette peau avec de la cire d'abeille, ce qui la rendait d'autant plus douce, puis j'avais également appliqué de l'huile de poisson pour la rendre imperméable. C'était une anticipation nécessaire en raison de l'humidité présente en Mercie à cette période de l'année.

Lorsque je repartis des abords du ruisseau pour m'enfoncer dans la forêt, je voyais déjà que la plupart des tentes avaient été installées. Il ne nous fallait pas longtemps pour monter le campement quand tout le monde s'y mettait. Moi en l’occurrence, j'avais jeté mon matériel aussitôt arrivé et attaché mon cheval à la première branche que j'avais trouvé, pour me diriger directement vers un point d'eau afin de panser mes blessures. Pourtant, à côté de mon cheval, ma tente était bien présente. Une toile avait même été posée à l'entrée à l'aide de deux branches fines de noisetier afin d'en constituer l'entrée. Lorsque je posai délicatement ma main sur le museau de mon équidé, une ombre s'échappa promptement de la tente.

- Tiens ! Te voilà enfin !

C'était Magni, mon ami de toujours. Nous avions le même âge et avions grandi ensemble dans le Vestfold au sein d'un petit village dans lequel il était né. C'était là que mon père avait décidé de vivre en partant du Jutland. Magni était assez grand, comme moi, sa longue chevelure nouée en une natte épaisse. Il était plutôt massif et avait toujours le sourire. Sa bonne humeur était toujours appréciable. Malgré tout, il savait être sérieux au bon moment, c'était cet équilibre qui faisait de lui quelqu'un de confiance.

- Tu as monté ma tente, constatai-je en lui lâchant un faible sourire.

- Tu avais l'air mal en point sur la route jusqu'ici, dit-il en me flanquant une claque amicale sur l'épaule. J'ai monté la mienne à côté, ton cheval a eu à boire, et il a eu le temps de manger ce qu'il fallait.

- Je vais finir par te demander en mariage, plaisantai-je en m'adossant à un arbre.

- Grand bien te fasse, ricana-t-il. Tu pourras toujours me faire partager ta magnifique peau.

Quelques gouttes de sang lui maculaient le visage, ce qui lui donnait un air plus sombre malgré la clarté de ses yeux.

- Je vois qu'elle ne te quitte jamais, ajouta-t-il en effectuant un geste pour désigner la peau d'ours.

- Et elle me suffit pour moi seul.

Je me laissai glisser le long de l'arbre en m'autorisant un long soupir d'épuisement et de soulagement. Je pouvais enfin relâcher la pression accumulée depuis ces derniers jours. J'avais étrangement froid malgré l'épaisse couche de fourrure dans laquelle j'étais emmitouflé. Magni était un chasseur hors pair, grâce à ce que son père lui avait enseigné. En six ans, il avait réussi à abattre deux ours à la lance. Il en avait bien évidemment gardé une fourrure. Quant à l'autre, il me l'avait offerte le jour où nous avions appris que nous allions tous deux quitter notre charmant petit village norvégien pour rejoindre la Grande Armée. Nous étions si heureux et enthousiastes à l'idée de mener cette bataille ensemble !

- J'aurais bien besoin d'une femme, ce soir, soupira Magni à son tour en s'allongeant sur un petit lit de feuilles mortes.

- Il n'y en a pas beaucoup, au campement, répondis-je.

- Sais-tu que ta petite guérisseuse est de retour ?

Je haussai un sourcil en le défiant du regard, même si je savais très bien de qui il parlait et où il voulait en venir.

- Vraiment ?

- J'ai pu l'apercevoir lorsque je montais nos tentes, répondit-il en hochant la tête. Elle ne passe pas inaperçue au milieu de tous ces bougres recouverts de sang et de boue.

- Alors je te souhaite bien du courage, si c'est elle que tu veux dans ta couche ce soir.

Magni échappa un gloussement qui me fit rire moi aussi. Liv, la guérisseuse dont il parlait, voyageait depuis deux ans à travers toute l'Angleterre pour soigner les blessés de toutes nos troupes. Elle avait énormément de connaissances en tout ce qui concernait le pouvoir des plantes, et elle était la seule personne capable de remettre sur pieds en un rien de temps tous les hommes les plus mal en point. Nous l'avions rencontrée en Northumbrie, et l'avions revue à quatre reprises. C'était une jeune femme fascinante et dotée d'une beauté incroyablement envoûtante. Elle était alors en Mercie, cette fois-ci.

- Combien de temps restons-nous ici ? demandaije à Magni ?

- Deux jours et deux nuits, d'après ce que m'a dit Kolfinn. Le temps nécessaire afin de nous reposer avant de reprendre la route vers le sud.

Le froid me faisait mal aux orteils et au bout des doigts. J'avais la peau des mains toutes sèches et une douleur lancinante me tambourinait dans la tête, comme si Thor lui-même frappait l'intérieur de mon crâne avec son marteau. Il s'agissait des conséquences de la guerre. On se sentait vivant dans l'action, et à moitié mort d'épuisement une fois la lutte achevée. Mon corps me paraissait plus lourd que d'habitude, et je ne pouvais effectuer un seul mouvement sans grimacer de douleur. Cette bataille avait été compliquée. Au moins avionsnous gagné.

- Vous dormez avant même que le soleil ne soit passé sous l'horizon, déclara une douce voix féminine.

J'ouvris les yeux et la vis debout à côté de ma tente, dans sa petite robe en lin avec sa peau de mouton blanche comme neige qui lui recouvrait les épaules, et sur laquelle reposait sa magnifique chevelure blonde. Elle me fixait de ses yeux aussi bleus que l'océan en esquissant un sourire du coin de sa bouche aux lèvres pincées. Elle détenait une ceinture en cuir fin de laquelle pendait un fourreau renfermant une petite lame.

Magni se releva d'un seul coup tandis que j'essayais de me redresser en m'aidant du conifère.

- Bonjour, Liv, dis-je timidement.

- Bonjour, Monseigneur Almar Egilson, réponditelle avec une révérence exagérée.

- Je ne suis pas un seigneur.

- Pas encore, répliqua-t-elle, joviale.

Son regard amusé se tourna vers Magni, à qui elle lança un signe de tête amical.

- As-tu fait bon voyage ? lui demanda-t-il.

- Le temps est bien trop humide pour pouvoir apprécier une belle chevauchée à travers ces terres, aussi belles soient-elles. Je ne suis pas fâchée d'être arrivée. Cette fois-ci, je vais faire une pause en me joignant à votre campement pour cette nuit.

- Où repartiras-tu après cela ?

Elle haussa les épaules en levant les yeux vers la cime des arbres environnants.

- Là où le jarl Aasbjornson me dira d'aller.

Il s'agissait de notre chef, un ami d'Ubba Ragnarson. Il commandait nos troupes en prenant ses ordres directement d'Ubba. Le fils de Ragnar avait divisé ses troupes afin de couvrir plus de terrain en terre saxonne. Nous avancions alors par petits groupes et nous retrouvions à un point précis pré-établi pour mener une attaque de force contre les saxons. C'était une stratégie risquée, car un de nos groupes pouvait très bien se retrouver nez à nez avec une troupe avancée de l'armée anglo-saxonne. Mais Ubba avait beaucoup de messagers, et ses informations étaient fiables.

Il valait mieux qu'elles le soient.

- Tu es blanc comme un cul d'écossais, lâcha Liv. Va dans ta tente et retire ta chemise.

Magni ne put s'empêcher de me faire un clin d’œil en me regardant avec un sourire benêt.

- Magni, tu es blessé ? s'enquit-elle, poings sur les hanches.

Mon ami la fixa bouche ouverte sans savoir quoi répondre, certainement surpris qu'elle se soit souvenue de son nom.

- Non, je vais bien. Ce sang n'est pas le mien.

Liv grimaça en retroussant le bout de son nez.

- Tu devrais au moins te laver. Et par la même occasion, profites-en pour me ramener un seau d'eau, s'il te plaît.

- Bien, madame, plaisanta-t-il.

Magni s'exécuta et repartit dans les bois en direction du ruisseau, laissant ses pas craquer sous les branches et les feuilles mortes. Comme Liv était en train de préparer un petit cercle de pierres devant ma tente, je marchai jusqu'à elle d'un pas incertain, Thor frappant toujours plus fort à l'intérieur de ma tête.

- Laisse-moi t'aider.

- Je t'ai dit d'aller dans ta tente, rétorqua-t-elle d'un ton sec. Je n'en ai pas pour longtemps, ne t'inquiète pas pour moi.

Ce petit bout de femme avait du caractère. Alors, comme un enfant, j'obéis en me dirigeant vers ma tente. Je soulevai la toile puis m'assis lourdement sur un rondin de bois posé à l'horizontal sur lequel j'avais installé une petite peau de lapin pour plus de confort. J'en disposai un autre à côté pour Liv que j'observais à travers l'entrée de la tente. Elle était en train de préparer son trépied forgé pour y pendre sa marmite. Une fois le feu allumé, elle soupira en scrutant l'horizon, attendant sûrement le retour de Magni. Mais étant donné son manque de patience, elle alla prendre le seau d'eau de mon cheval pour le verser dans la marmite. Puis elle prit son sac en cuir et vint me rejoindre. J'enlevai ma chemise et serrai les dents pour ne pas montrer à quel point j'avais mal. C'était stupide, je sais, mais je ne voulais pas paraître faible devant elle.

Liv passa sa main dans ses cheveux pour ne pas être gênée, et posa ses doigts délicats sur mon abdomen, autour de ma plaie. Je ne pus réprimer un frisson qu'elle remarqua instantanément.

- J'ai froid, dis-je comme pour me trouver une excuse.

- Ce n'est pas très beau. Depuis combien de temps as-tu cette blessure ?

- Eh bien... Nous avons chevauché durant deux jours avant de nous arrêter ici.

Elle soupira et leva les yeux au ciel avant de rapprocher sa tête. Je sentais son souffle caresser ma peau et j'en ressentis presque du plaisir. Après avoir vécu l'horreur, la violence et la barbarie durant des jours voire des semaines, un peu de douceur était la bienvenue. J'aurais presque pu m'endormir ainsi. Enfin, c'était avant qu'elle ne presse son pouce et son index pour faire suinter de ma plaie un liquide jaunâtre mélangé à du sang.

Cette fois-ci, je ne pus m'empêcher de grogner.

- Évite de bouger si tu veux être soigné correctement, fit Liv sans détourner son regard de ma plaie béante.

Elle prit sa sacoche et détacha les lacets qui la gardaient fermée pour en sortir un petit bol et un morceau de bois au bout arrondi. Elle attrapa deux morceaux de lin enroulés sur eux-mêmes qui semblaient contenir quelque chose.

- De quoi s'agit-il ? tentai-je.

- Ce sont des plantes qui feront bientôt de toi un nouvel homme, sourit la jeune femme avant d'aller chercher un peu d'eau de la marmite qu'elle versa dans son récipient.

À son retour dans la tente, elle déploya les deux morceaux de lin dont l'un contenait des petites fleurs séchées et l'autre, des tiges et feuilles vertes toutes fraîches. Tout d'abord, Liv prit soin de détacher quelques fleurs sans les abîmer pour les plonger dans le bol d'eau chaude.

- Achillée milefeuille, m'informa-t-elle. Je n'en ai plus beaucoup. Je ne trouve ces petites pousses qu'en Scandinavie. Il me faudra bientôt faire un nouveau voyage pour en récupérer davantage.

Liv posa le bol à côté d'elle tandis qu'elle disposait quelques feuilles de sa seconde plante sur une petite planche de pin. Elle attrapa fermement son bout de bois et commença à les broyer.

- Quant à ces feuilles de grand plantain, je les ai cueillies dans une prairie en début de matinée. Leur remède est plus efficace lorsqu'elles sont encore fraîches.

- Tes connaissances me fascinent, lâchai-je en posant ma main sur ma cuisse pour essayer de me détendre.

- Il n'y a pas de quoi être fasciné, contra-t-elle. Ce sont des choses qui s'apprennent.

- Je ne t'ai jamais demandé... hésitai-je. Comment as-tu... Comment as-tu pu acquérir toutes ces connaissances sur les pouvoirs de la nature ?

Liv eut un moment de doute et continua à broyer ses feuilles en ignorant ma question.

- Je vais les disposer sur ta plaie. Elles faciliteront ta guérison.

La jeune guérisseuse s’empara du bol dont l'eau laissait échapper une petite fumée.

- Bois, dit-elle sèchement en me tendant le récipient.

Elle refusait de me regarder dans les yeux et semblait quelque peu gênée. Je me demandais pourquoi elle avait si rapidement changé d'humeur. Alors je m'emparai du bol d'où émanait une forte odeur végétale, en faisant attention de ne pas me brûler.

- Ai-je dit quelque chose de mal ?

- Cette infusion atténuera ta douleur à la tête et détendra tes muscles.

- Liv...

En seulement quelques secondes, un silence pesant s'installa autour de nous. On entendait plus que les rires et discussions animées du campement.

- Je suis désolé... dis-je sans trop savoir pourquoi.

J'avais le fort sentiment de l'avoir offensée. Pourtant, j'avais beau tenter de réfléchir aux conséquences qu'avaient pu avoir les mots que j'avais prononcé, rien ne me parut choquant. Il est vrai qu'elle m'avait déjà soigné à plusieurs reprises, mais je n'avais encore jamais vraiment parlé avec elle. Et puis après tout, je n'étais qu'un homme de plus dont elle devait s'occuper.

- La femme qui m'a appris tout ce que je sais du pouvoir des plantes aujourd'hui n'est plus de notre monde.

Elle ne me regardait toujours pas et continuait à broyer ses feuilles tandis que je pris une lampée de son liquide dont le goût était fort et restait longtemps en bouche.

- S'agissait-il de ta mère ?

Cette question la fit réagir. Mais peut-être pas comme je l'aurais espéré. Elle releva lentement la tête et plongea ses yeux clairs et envoûtants dans les miens.

- Je suis simplement reconnaissante envers la déesse Eir pour me permettre de soigner les gens aujourd'hui.

- Mais tu as bien dû apprendre ces gestes de quelqu'un... d'humain ?

- Almar...

Elle sembla tout à coup lasse de cette discussion. Et je me trouvais stupide d'avoir été aussi indiscret. Mais je me sentais tellement bien en ce début de nuit, avec elle. Le feu était à l'extérieur de la tente, et pourtant, je ressentais une chaleur rassurante tout près de moi. Peutêtre était-ce cette boisson qui me faisait me sentir ainsi...

- Je suis désolé...

- Arrête de t'excuser, me coupa la jeune femme. C'est juste que... Je n'aime pas parler de mon passé.

Un nouveau silence s'installa lorsque tout à coup, une branche craqua à côté de la toile de tente. Une tête fit son apparition dans l'ombre, tout juste éclairée par les flammes pour me permettre de reconnaître Magni. Il n'avait plus de sang sur le visage et avait les cheveux humides. Il tenait un seau d'eau et fit un signe de tête à Liv pour lui signifier qu'il lui avait amené ce qu'elle lui avait demandé.

- Il était temps... maugréa-t-elle.

- Eh bien, je me suis lavé, alors...

- M'en voilà ravie. Va donc porter ce seau au cheval.

Magni me lança à nouveau ce regard blagueur en me faisant un nouveau clin d’œil. Puis il disparut aussitôt dans l'ombre. Quelques instants plus tard, je l'entendais parler à l'étalon. Sans prévenir, Liv plaqua contre ma plaie son onguent de feuilles de je ne sais plus quoi, qui me provoqua des picotements intenses et désagréables.

- Au début, je pensais juste appliquer une lame en acier que j'aurais préalablement laissé chauffer, mais tu as l'air de savoir ce que tu fais.

- Cela n'aurait servi qu'à arrêter l'écoulement du sang. Mais la blessure n'aurait pas guéri pour autant.

Liv coupa un morceau de cordelette à l'aide du couteau attaché à sa ceinture.

- Mets ça autour de ta taille pour maintenir le tissu en place, m'ordonna-t-elle. Tu dois le garder jusqu'au matin. Et évite de bouger. Oh, et si tu peux boire de l'hydromel aussi, cela te fera du bien. Le miel a beaucoup de qualités.

- Malheureusement, nous n'avons que des tonneaux de bière.

- Alors tu devras t'en contenter.

Elle rangea ses affaires et s'apprêtait à partir au moment où Magni entrait dans la tente.

- Les garçons, je vous souhaite la bonne nuit.

- Tu devrais faire attention, dis-je en me redressant. La plupart des hommes ici n'ont pas eu la compagnie d'une femme depuis plusieurs semaines. Tu es comme un agneau au milieu de loups affamés.

- C'est gentil de t'inquiéter pour moi, sourit Liv en commençant à sortir de la tente. Mais je sais me défendre.

- Toi seule face à trois hommes...

La jeune guérisseuse posa ses mains sur ses hanches et pencha sa tête sur le côté pour laisser retomber sa sublime crinière blonde.

- Essaierais-tu de me demander de rester dormir avec toi ?

Sa franchise me prit de court, et je devais bien avouer que j'aurais été heureux de l'avoir auprès de moi pour la nuit à venir.

- Euh... Tu es une femme libre, répondis-je maladroitement. Tu fais bien ce que tu veux.

- Ma peau de mouton est assez chaude.

Sur ce, elle partit sans rien ajouter de plus. Magni secoua lentement la tête en fixant le sol humide.

- Tu as essayé, dit-il.

- Arrête...

- Allez, ose me dire que tu ne la désires pas.

Je l'ignorai et secouai la tête à mon tour, las de sa bêtise.

- Comme nous tous, n'est-ce pas ? reprit Magni. Alors dis-moi, qu'est-ce que vous avez fait pendant que je me lavais l'arrière-train au ruisseau ?

Je haussai les sourcils comme si c'était évident et m'affalai sur ma peau de mouton à même le sol.

- Elle s'est occupée de moi.

- Je le savais ! se réjouit mon ami. Je suis parti assez longtemps et j'ai vite senti la tension entre vous deux à mon retour. J'en étais sûr !

- Mais non, bougre d'idiot ! Elle s'est occupée de ma blessure.

- Tu me déçois fortement, mon frère...

- Ce n'est pas le type de femme que je prendrais avec force. Elle n'est pas une esclave. De plus, je la trouve très respectable.

- Tu t'es épris d'elle, sourit Magni. Et ça, j'en étais sûr aussi.

Nous partîmes alors dans un fou rire à en réveiller les oiseaux. Je dus vite m'arrêter lorsque je ressentis une douleur de plus en plus aiguë sous le morceau de lin. Mais cela faisait du bien de rire. C'était un bon remède pour l'esprit.

- Bon, je vais te laisser te reposer, murmura mon ami en se redressant sur ses pieds. Bonne nuit, cul de cheval.

- Mon cheval a sûrement le cul plus propre que le tien, pouilleux.

Magni lâcha un rire franc et remit sa fourrure.

- Oh, et sache que je prends ta demande en mariage très au sérieux.

Je soupirai de dépit en ricanant et lui fit signe de partir. Magni était comme un frère pour moi, et le seul homme en qui j'avais réellement confiance. Une confiance aveugle et naturelle qui s'était installée et renforcée au fil du temps et au fil des batailles que nous avions menées ensemble. Je savais que je pouvais compter sur lui. Et il savait qu'il pouvait compter sur moi.

À présent, j'étais seul sur ma peau de mouton avec la lueur des flammes qui jouaient des ombres sur la toile au-dessus de ma tête. À chaque fois que je me retrouvais seul avec moi-même, j'aimais prendre le temps de réfléchir et me remémorer les événements passés. Il était évidemment plus important de penser à l'avenir, mais le passé faisait de nous ce que nous étions aujourd'hui. Et il devait nous servir de leçon quant aux décisions que nous allions devoir prendre à l'avenir. Nos actes avaient des conséquences. Et de chacune de ces conséquences découlait une leçon, positive ou négative. Dans les deux cas, elle devait nous permettre de nous assagir et devait influencer nos choix à venir. Odin avait sacrifié un œil afin d'acquérir la sagesse et la faire partager aux hommes. Cependant, tous ne semblaient pas être sur le bon chemin pour la trouver. Peut-être recherchaient-ils autre chose. Moi, je voulais être sage. Mais était-ce possible après toutes les vies que j'avais déjà ôtées ?

Lorsque je voyais les flammes danser et le feu crépiter, je repensais à ce que m'avait dit mon père quand j'étais encore petit. La scène était très claire dans ma tête. Nous étions sur la plage, tous deux assis de chaque côté d'un petit feu, bercés par le bruit des vagues. Nous fixions l'horizon entre les deux fjords. Le coucher de soleil était magnifique ce jour-là. Je devais avoir sept ou huit ans. Alors je plongeai dans mes souvenirs afin d'être à nouveau témoin de cette scène.

- Tous les soirs, je m'accorde un peu de temps pour penser, dit mon père d'une petite voix, comme pour ne pas briser la quiétude qui nous entourait.

- Penser à quoi, père ?

Il tourna lentement la tête et me regarda avec son sourire triste que j'avais toujours connu.

- Tout un tas de choses, soupira-t-il. Ta mère, notamment.

Ses yeux brillaient dans la lueur des flammes.

- C'était une femme merveilleuse. Je regrette qu'elle ne soit plus là pour te voir grandir. Mais parfois... les volontés des dieux dépassent les nôtres.