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Initialement voué aux cultes de la nature et de ses forces, le chamanisme s’étendit plus tard aux cultes des « esprits » des objets inanimés et des êtres vivants. En même temps, la conscience naissante d’une vie après la mort incita nos ancêtres préhistoriques à enterrer leurs défunts… et ce fut le début des cultes funéraires, tout d’abord sous la direction des chamanes, puis des prêtres. Aujourd’hui, la mystique écologique qui, pour certains, tient lieu de religion ne signerait-elle pas le grand retour vers une idée plus grande de l’Humain englobant toute la Nature avec ses êtres vivants, animés ou non ? Ne comblerait-elle pas aussi un manque de transcendance du religieux, manque que le chamanisme et son panthéisme issu de la Nature viendraient combler ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Après des études universitaires en Sciences de la Terre et de la Nature couronnées par un doctorat en Géologie, Christian Lemoy, membre du Cercle des Écrivains du Sud, a voyagé et séjourné sur tous les continents et principalement en Amérique latine, en Australie et dans certains pays d’Asie du Sud et du Sud-Est – Indonésie et Birmanie –. Le chamanisme – De l’animisme aux religions – L’exemple particulier du chamanisme amérindien vient couronner plus de quarante années de recherches passionnées sur le chamanisme, l’animisme et les religions anciennes.
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Seitenzahl: 282
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Christian Lemoy
Le chamanisme
De l’animisme aux religions
L’exemple particulier du chamanisme amérindien
Essai
© Lys Bleu Éditions – Christian Lemoy
ISBN : 979-10-377-7232-9
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
De l’Asie antique à l’Amérique précolombienne. Essai, 2006, Éd. Amalthée (Coup de cœur de Monsieur Claude Allègre, ex-ministre de l’Éducation nationale dans l’émission « Chez FOG » sur TV5) ;
À travers le Pacifique. Essai historique, 2009, Éd. Amalthée ;
Across the Pacific, from Ancient Asia to Precolombian America. History, 2011, Universal-Publishers ;
Le Mystère du dieu à crocs. Roman d’aventures, 2011, Éditions Amalthée ;
L’étrange paradoxe. Roman d’aventures, 2015, Éditions Amalthée ;
L’erreur était juste. Nouvelle, 2020, Le Lys Bleu Éditions.
Aujourd’hui, s’intéresser au chamanisme – ou plutôt devrais-je dire aux chamanismes – c’est entrer dans un monde magique, étrange et mystérieux, de mythes et de légendes, sans se douter qu’il s’agit d’un monde bien réel, mais magnifié, qui a existé par le passé… et qui existe toujours, mais de manière sous-jacente. Aussi, avant d’évoquer l’animisme originel et le chamanisme qui lui est consubstantiel, puis la naissance et l’évolution des religions polythéistes, initialement issues de la Nature, il est nécessaire de définir cet animisme et bien sûr, le chamanisme qui lui est associé, mais aussi les modes d’interactions de ces chamanes intermédiaires entre les gens du peuple et les esprits de la Nature ou ceux de leurs Ancêtres.
L’animisme (du latinanimus, originairement « esprit », puis « âme ») est une croyance ou une conception du monde qui attribue aux éléments de la Nature, comme les êtres vivants ou les objets inanimés, une force vitale et/ou des esprits invisibles (génies) qui les animent et peuvent interagir sur tout ce qui est tangible. Pour se concilier les faveurs de ces forces ou de ces esprits, il était nécessaire de leur faire des offrandes et de leur vouer un culte, pratique dont les premiers intermédiaires furent les chamanes, lesquels en tant que détenteurs des savoirs et officiants des cultes de la Nature, seront en quelque sorte les ancêtres des premiers prêtres.
Le chamanisme est en réalité à l’origine de tous les cultes et pratiques religieuses voués à la Nature et à partir desquels toutes les religions en découleront, peu ou prou. Il peut donc se définir brièvement comme un ensemble de pratiques qui permet à certaines personnes, les chamanes, possédant des capacités particulières et souvent exceptionnelles, puis formées par des pratiques spéciales, de communiquer avec les esprits des éléments de la Nature (végétaux, animaux totems, rochers ou minéraux, pluie, vent, ou encore avec le soleil, la lune, les planètes comme Vénus… etc.), mais aussi avec ceux des ancêtres et/ou des dieux influençant le monde réel… en bien ou en mal !
Alors, plus qu’à l’énumération du nom de ces dieux, dans les lignes qui suivent nous nous intéresserons à leurs fonctions et à l’évolution des croyances et des cultes de ces peuples anciens. Nous verrons également que ce chamanisme s’est exprimé différemment selon les régions concernées… que ce soit en Sibérie et au nord de la Chine où se situerait son origine, puis en Asie centrale et en Orient ou en Asie de l’Est et du Sud-est… mais plus encore en Amérique amérindienne ! Sur ce dernier continent, toutes les formes de chamanisme et de religions dérivées de l’Asie se retrouveront dans les diverses cultures ou civilisations et fusionneront en vastes syncrétismes.
Depuis son apparition sur Terre, l’Homme a toujours essayé de se soulever au-dessus de sa condition, ce qui le différencie de l’animal.
Entrer dans les croyances des peuples anciens où tout était contrôlé par les rites chamaniques revient à pénétrer dans les fondements mêmes de la vie quotidienne de ces peuples. C’est aussi entrouvrir une porte sur tous les aspects de leurs cultures, à commencer par leur cosmologie, leur cosmogonie ou leurs mythes, mais aussi de leurs rites cérémoniels et mortuaires et de leur art sacré essentiellement dédié à magnifier leurs divinités. Cet art se manifestait dans l’architecture des temples élevés à la gloire de leurs divinités… ou de leurs représentants sur Terre, dans la sculpture en haut ou bas-reliefs, dans la statuaire et bien sûr dans l’iconographie et les motifs décoratifs peints sur différents supports où le choix des couleurs relevait d’une symbolique précise, laquelle devait être visuellement accessible et impacter les peuples illettrés… et crédules.
Dès le Paléolithique, la conscience de la mort a commandé à l’homme d’enterrer ses défunts dans des tombes non seulement par respect dû au mort, mais aussi et plus naturellement pour lui éviter d’être dévoré par les animaux sauvages. Les sépultures anciennes pouvaient être de simples fosses ou des tombeaux plus sophistiqués où le mort était enterré avec des offrandes aussi diverses que variées qui l’accompagnaient dans son dernier voyage, ce qui correspondait à la naissance d’une croyance en une vie après la mort et donc à l’existence d’un monde surnaturel.
En Europe, André Leroi Gourhan dans son livre « Préhistoire de l’art occidental » (Edition Citadelles et Mazenod, 1995) avait émis l’idée que les peintures pariétales, essentiellement d’animaux, étaient probablement en relation avec des croyances magiques.
Parmi ces peintures pariétales, les représentations de formes humaines étaient rares et celles des têtes et des figures humaines, encore plus rares et, lorsqu’elles existaient, elles demeuraient grossières. Seules certaines gravures sur les parois rocheuses et les statuettes de pierre ou d’argile séchée représentant des femmes callipyges et aux gros seins pourraient évoquer un culte féminin primitif ou culte de la fertilité.
Dans le livre intitulé « les chamanes de la préhistoire » (Édition du Seuil, 1996) et publié par Jean Clottes et David Lewis Williams, les auteurs défendaient l’idée que les peintures pariétales traduisaient un contact direct que nos lointains ancêtres entretenaient avec ce qu’ils percevaient être un monde surnaturel et inaccessible… comme l’étaient les étoiles au firmament.
Derrière l’art, c’est aussi dans un but pratique qu’il faut considérer l’apparition de ces peintures ou gravures pariétales. Ainsi, ce serait par la magie des motifs figurés sur ces peintures que les hommes préhistoriques, cueilleurs-chasseurs-pêcheurs, essayaient de se concilier les esprits des animaux qu’ils allaient chasser ou pêcher pour que leurs entreprises soient couronnées de succès et, en même temps, pour qu’ils soient protégés des dangers mortels de telles chasses. On retrouve ces peintures ou gravures dans un certain nombre de grottes du monde entier, indiquant par là une diffusion globale de cet art… et donc de l’animisme en tant que croyance. Ainsi en est-il des peintures pariétales des grottes de Lascaux, de Chauvet ou dans celle de Cosquer en France, de celles d’Altamira en Espagne, des grottes de l’Aïr au Sahara, de celles des Bouriates du lac Baïkal ou encore celles de l’Inde (scènes de chasse de Bhimbetka). On les retrouve aussi en Indonésie, à Borneo (Lubang Jeriji Saleh, Liang Tebo) ou aux Célèbes puis en Nouvelle Guinée (site de Kuk) ou en Australie… et même en Amérique, de la Basse-Californie au nord jusqu’en Terre de Feu au sud, tout en passant par les sites d’Amazonie (Chiribiquete en Colombie, Roraïma au Venezuela…). Ceci démontre que bien avant l’apparition des grands courants religieux, il existait de grands courants chamaniques, courants que nous allons essayer de suivre dans l’espace et le temps.
L’origine du chamanisme primitif serait donc intimement liée à l’animisme et se perdrait dans la nuit des temps paléolithiques comme en témoigneraient les statuettes de « vénus callipyges » retrouvées de la Sibérie jusqu’à la France (vénus de Renancourt), des communications existaient déjà à travers tout le continent eurasiatique. Selon la plupart des anthropologues actuels, le chamanisme serait né aux confins de la Sibérie et de la Chine du Nord, région où ses témoignages sont les plus anciens et les plus nombreux. Depuis ces temps ancestraux, il aurait conquis tout le continent eurasiatique en se diffusant selon plusieurs voies de pénétration, vers l’Europe du Nord via l’Asie centrale, mais aussi vers la Chine et le Sud-est asiatique… puis, comme nous le verrons en détail, vers l’Amérique en passant tout d’abord par le détroit de Béring et plus tard, en traversant l’océan Pacifique.
Par la suite, la déification des forces de la Nature se serait développée dans des groupes familiaux ou des tribus formant de petites sociétés déjà plus évoluées qui sont passées du nomadisme stricto sensu des chasseurs-cueilleurs au semi-sédentarisme ou même à la sédentarisation complète avec des cultivateurs et des bergers, gardiens de troupeaux. Ces groupes s’organisèrent et se mirent à réfléchir sur leur condition, sur le sens de la vie allant de la naissance à la mort et à ses divers états physiques, donc à la maladie, à la grossesse et à la naissance, à la mort et à l’au-delà… mais aussi aux problèmes qu’ils ne pouvaient résoudre où aux lieux qu’ils ne pouvaient atteindre, ainsi :
Que se passait-il dans les zones inaccessibles au sommet des montagnes enneigées et glacées ? Quels étaient les êtres monstrueux qui peuplaient le fond des mers et des océans ? Questions existentielles que l’on pourrait multiplier ! Alors, ces lieux fantasmés, refuges des hypothèses, devinrent-ils les demeures des divinités et des esprits invisibles.
Pour les bergers, le mouvement des astres dans le ciel, et d’abord des plus visibles comme le soleil, la lune et vénus, mais aussi des constellations immuables était un sujet de curiosité et d’étonnement. Alors, ces astres inaccessibles, supposés intervenir sur – ou dans – la vie des hommes, furent-ils déifiés.
Pour les marins, les vents et les marées, souvent liés aux cycles des astres et des saisons, étaient des forces colossales qu’il fallait se concilier… et ces phénomènes naturels furent également divinisés.
Plus tard, lors de l’apparition de sociétés plus organisées et structurées en villages, cités ou états ayant une hiérarchie sociale, ces cultes prirent de l’ampleur et c’est ainsi que l’on passa progressivement d’un monde magique primitif avec ses chamanes à un autre plus structuré, pourvu de déités dont il fallait se concilier les bienfaits ou en éviter le courroux par des offrandes appropriées… d’où l’apparition des cultes religieux et de ceux qui, par leurs qualités, étaient les plus aptes à faire le lien entre les hommes et les divinités, c’est-à-dire les prêtres, lesquels étaient souvent eux-mêmes devenus des dirigeants.
1-1 – Apparition des chamanes
Comme nous venons de le voir, animistes, les premiers habitants de notre planète se trouvaient bien isolés et presque complètement dépourvus au milieu d’une Nature qui était loin de leur être favorable, mais qu’ils avaient besoin de connaître et de respecter pour survivre au mieux dans leur milieu ambiant. Ils craignaient les forces de cette Nature et tout ce qui était hors de leur contrôle était déifié. En outre, nos ancêtres préhistoriques avaient des prédateurs naturels dont il ne faut pas sous-estimer le rôle, bien au contraire ! Certains carnivores rôdaient autour des tribus nomades dans une sorte de relations bénéfiques mutuelles et se déplaçaient même parfois avec elles. D’autres vivaient à proximité des premiers villages et se nourrissaient à leurs dépens. La cueillette, la pêche et la chasse étaient les principales préoccupations de ces groupes. La chasse était une activité vitale, mais à haut risque, surtout lorsqu’ils chassaient le gros gibier en groupe et, de chasseurs ces hommes devenaient souvent des proies. Il était donc important de se concilier les faveurs « de l’esprit des animaux chassés » pour que la chasse leur soit favorable… et éviter par là qu’ils n’y perdent leur vie. Probablement qu’avant chaque départ à la chasse il y avait un ou plusieurs rituels propres à faciliter cette activité… sous le contrôle d’un (ou une) chamane, individu reconnu par le groupe ou le clan pour ses qualités particulières.
Pour Roberte Hamayon, l’apparition des chamanes serait liée aux activités et modes de subsistance dominants dans leurs communautés. Pour cette dernière, le chamanisme s’enracinerait dans l’activité de la chasse et serait conditionné par le constat empirique du caractère aléatoire – donc imprévisible – de l’apparition du gibier. Alors la pensée chamanique magique s’interpréterait comme la création de moyens symboliques pour agir sur cet aléa. Finalement, Hamayon en vient-elle à opposer religions universalistes (qui renvoient à un mode de vie organisé dans lequel « l’ordre humain prime sur l’ordre naturel » et qui serait donc axé sur le salut de l’âme dans l’au-delà) et chamanisme où l’ordre naturel prime par l’alliance de l’humain avec les esprits de la nature.
D’autres anthropologues partagent également ce dernier point de vue. Ainsi Winkelman note que si le chamanisme est lié aux sociétés de chasseurs-cueilleurs, il a persisté dans les sociétés agricoles, mais ses pratiques ont commencé à se transformer du fait de l’évolution des modes de subsistance, de l’accroissement de la complexité sociétale et de l’apparition de nouveaux acteurs religieux tels que les prêtres, caste de chamanes liée au pouvoir.
Harner en donne une définition plus large. Pour lui, la structuration du monde invisible en trois niveaux serait universelle et le (ou la) chamane est celui (ou celle) qui a la capacité intellectuelle de parcourir ces différents niveaux parallèles de réalité et de rencontrer les entités des mondes supérieurs et inférieurs. Il souligne aussi que le chamane est habituellement attaché à un ou plusieurs esprits, souvent d’animaux (totems), qui l’assistent tout particulièrement dans son travail au service de sa communauté. La réalité non ordinaire à laquelle le chamane accède inclut les esprits de la nature ou les « âmes » des animaux, mais aussi et surtout les âmes des ancêtres du clan et celles des enfants à naître, des malades à guérir ou des personnes avec lesquelles on est en conflit… d’où la possibilité d’intercession.
Quant à Walsh, il résume le chamanisme ou fonction des chamanes en trois éléments :
– les chamanes ont la capacité d’entrer volontairement dans des états de conscience modifiée (ECM) ;
– dans ces états, ils se vivent comme voyageant dans d’autres univers que celui que nous connaissons habituellement ;
– ils mettent à profit ces voyages pour acquérir des pouvoirs et pour aider des membres de leur communauté.
Ce même auteur suggère aussi qu’il faut préciser la nature de l’état de conscience et suit en cela Mircea Eliade qui définissait le chamanisme comme une technique d’accès à l’extase. Pour ce spécialiste des phénomènes religieux, l’extase implique que l’individu sorte de son état ordinaire pour être transporté et s’élever « au-dessus de la nature humaine ». La capacité particulière du chaman soulignée par ce mot d’extase est celle qui le rend apte au voyage chamanique, c’est-à-dire capable de circuler dans les mondes parallèles du dessus ou du dessous.
Eliade, comme Walsh, précise que de tels spécialistes peuvent être un yogi qui entre en « samadhi », un médium qui bascule en état de transe et prétend parler en lieu et place d’un esprit, ou encore un sorcier. Toujours, selon Eliade :
« Le chaman est un spécialiste d’une transe, pendant laquelle son âme est censée quitter le corps pour entreprendre des ascensions célestes ou des descentes infernales. En état de transe, il communique avec le monde des esprits et obtient de ces derniers l’information nécessaire pour résoudre les difficultés personnelles ou collectives qu’on lui soumet ».
Les expériences spirituelles (comme le voyage chamanique) sur lesquelles insiste Eliade renvoient donc à la fois aux techniques utilisées pour les induire et à la cosmologie particulière à laquelle elles permettent d’accéder et qui consiste le plus souvent en trois niveaux :
– le monde souterrain ;
– le monde ordinaire ou monde du milieu ;
– le monde céleste.
En circulant entre ces trois espace-temps, le chamane peut rencontrer des animaux totems ou les esprits qui les habitent. Il y trouve des explications sur les difficultés du monde et y acquiert des solutions pour répondre aux problèmes de ceux qui le consultent.
Puisque le chamanisme s’appliquait à tous les aspects de la vie, il est difficile d’en donner une définition à la fois complète et précise. Cependant, Michel Perrin cité par Caterina Magni dans son ouvrage « les Olmèques – des origines au mythe » (Éditions du Seuil, mai 2003), en donne la définition suivante que nous aurons le loisir de vérifier et surtout d’enrichir dans la suite de cet ouvrage : « Ce serait un ensemble de pratiques fondées sur une théorie de la communication ou de la médiation entre la nature et le surnaturel, le sacré et le profane, le visible et l’invisible ou encore ce monde ci et le monde autre, mais aussi de concepts servant à interpréter les phénomènes concrets liés à la Nature et ceux plus thérapeutiques et métaphysiques liés à l’humain (corps et âmes) comme issus d’un pouvoir surnaturel et sacré, inaccessible au commun des mortels. L’efficacité prétendue des techniques du chamanisme tient à son grand pouvoir d’adaptation et au fait que, selon la cosmologie chamanique, tous les problèmes du monde ordinaire proviendraient d’une rupture d’équilibre dans nos relations avec le monde invisible… et ce serait en intercédant auprès des esprits que le chamane obtiendrait des solutions pour rétablir cet équilibre ».
En résumé, si le chamane a été vu tour à tour comme un intermédiaire entre les forces de la nature et les hommes, mais aussi comme un guérisseur des corps et des âmes, voire un magicien, un devin ou un médium… et parfois même, lorsqu’il était sous l’emprise des psychotropes, comme un possédé ou un sorcier, quelle est l’origine du terme chamane ?
Ce mot proviendrait de sam, une racine altaïque signifiant « s’agiter en remuant les membres postérieurs ». Saman est en effet un mot de la langue evenki qui signifie « danser, bondir, remuer, s’agiter ». Dans les dialectes évènes, « chaman » se dit xamān ou samā.
Une autre hypothèse étymologique le relie à šaman, mot Manchou-Tungus signifiant « celui qui sait ».
Rappelons qu’en sanskrit le terme shramana désigne un moine errant comme il en existait dans certaines traditions ascétiques de l’Inde antique, incluant le Jaïnisme, le Bouddhisme… et la religion ājīvika, aujourd’hui disparue.
1-2 – Naissance des dieux… et des religions
Dès le Néolithique, le chamanisme sibérien originel était basé sur le culte des ancêtres et la crainte qu’inspiraient les animaux sauvages, mais plus particulièrement sur les aléas de la chasse ou encore la peur des phénomènes inexplicables et donc incontrôlés comme la foudre et le tonnerre, les cataclysmes comme les éruptions volcaniques ou les tremblements de terre, les éclipses de soleil, etc. Il faut aussi se rappeler que durant la préhistoire, les dieux souvent issus de la nature étaient craints plutôt qu’aimés et certains étaient même devenus terrifiants.
Plus tard, de grands changements de paradigmes se seraient produits à différentes époques : une première fois lors du passage du stade nomade des cueilleurs-chasseurs-pêcheurs à celui de la sédentarisation avec des agriculteurs-cultivateurs regroupés en villages puis, une nouvelle fois, lors des mutations inhérentes au passage d’une économie rurale à une économie urbaine, avec des cultes polythéistes plus importants, etc.
Quoi qu’il en soit, le chamanisme fut exporté dans le monde entier selon deux grands courants ayant évolué de manière indépendante, avec des modes de pensée divergents quant à l’organisation sociale et à l’évolution des dieux, de leurs cultes et donc des religions naissantes.
Le premier ou courant moyen-oriental : originaire de Sibérie orientale, il colporta des notions religieuses qui se sont répandues dans une vaste aire géographique allant de l’Asie centrale à la Turquie, à l’Irak, à l’Iran et au Pakistan actuels, mais aussi à la Mésopotamie et à l’Inde du Nord.
En Asie centrale, le chamanisme primitif issu de Sibérie évoluera avec les cultes du feu vers le Zoroastrisme et le Mazdéisme.
En Mésopotamie, après les cultes agraires… et celui de la fertilité – surtout féminine – tout un système de pensées et d’organisations sociales se serait développé avec les cultes polythéistes et les religions de Sumer puis de Babylone... En effet, dès le IVe millénaire avant J.-C., des religions déjà bien affermies étaient apparues au Moyen-Orient et plus précisément en Mésopotamie… puis dans la vallée de l’Indus.
En Inde, et plus particulièrement dans la vallée de l’Indus (aujourd’hui au Pakistan), c’est à partir de 2000 avant J.-C. que le Védisme se substitua aux anciens cultes agraires et aux cultes du feu. Lorsqu’il apparut, ce Védisme était déjà une religion complexe et structurée probablement issue des hauts plateaux de l’Iran… et préfigurant l’Hindouisme.
Au VIIe siècle avant J.-C., lors de l’apparition des grandes religions ou des « philosophies religieuses » de l’Asie comme le Bouddhisme, le Jaïnisme… etc., le concept fondamental des religions devint moral avec l’introduction de la compassion puis, plus tard, avec le Christianisme, de l’amour et de la miséricorde, notions qui supplantèrent la crainte.
Pour mémoire, c’est aussi à ce courant que l’on doit le chamanisme européen et les grandes religions indo-européennes qui en sont issues.
Le second ou courant chinois : également issu de la Sibérie orientale, il se serait propagé dans toute la Sibérie du Nord et en Chine centrale où le chamanisme demeura proche de ses origines sibériennes.
En Chine, dès une époque comprise entre 6200 et 5400 avant J.-C., c’est à partir des cultes chamaniques préexistants que se serait développé celui d’une divinité féroce, plus généralement connue sous la dénomination générique de « dieu à crocs ». Au quatrième millénaire avant notre ère, cette croyance primitive aurait lentement évolué en embryon de religion (ou de philosophie) puis aurait été codifiée sous le nom de Taôisme sous le règne du mythique Empereur Jaune (2697 à 2598 avant J.-C.).
C’est toujours à partir de la Chine du Nord qu’apparurent les deux branches majeures de propagation :
– l’une vers la Chine du Sud, de l’Est et les pays d’Asie du Sud-est où elle se trouvera en compétition avec des croyances et des religions venues de l’Inde. En effet, ces deux grands courants de pensée venus de l’Inde et de la Chine se sont affrontés pendant des millénaires en Asiedu Sud-est… et surtout dans l’archipel indonésien, pays où des formes ancestrales de chamanisme sont toujours préservées dans certaines tribus archaïques et où divers cultes se sont développés alternativement au cours des siècles sous l’influence de l’Inde, de la Chine, du Moyen-Orient et plus tard, de l’Occident ;
– l’autre vers le Kamchatka puis le détroit de Béring qu’elle franchira par vagues successives pour s’implanter progressivement sur l’ensemble du continent américain, du nord vers le sud jusqu’en Terre de Feu. Cependant, vers 4000 avant J.-C., lorsque les conditions de la traversée du Pacifique furent rendues techniquement possibles, ce beau schéma s’est brouillé et l’histoire américaine s’est considérablement complexifiée.
Alors, les croyances issues de l’Asie du sud-est et surtout de l’Indonésie par la bande équatoriale du Pacifique (courant d’El Niño) se sont retrouvées en compétition avec le chamanisme originel venu par l’Alaska et ceci dans une zone spécifique comprise entre le Mexique et le Pérou et appelée « Amérique nucléaire », créant ainsi d’étonnants syncrétismes.
Les interpénétrations de ce double courant rendent le cas du continent américain particulièrement intéressant et, dans les lignes qui suivent, nous verrons que la naissance des religions – et donc l’apparition du polythéisme avec ses dieux et leurs cultes – n’a jamais réussi à oblitérer complètement le fond de chamanisme initial dont les racines étaient si profondes qu’il s’est pérennisé depuis le fond des âges… et cela jusqu’à nos jours sous la forme du néo-chamanisme. Preuve en est qu’il est toujours vivant dans les régions où subsistent des tribus archaïques comme en Chine et en Asie du Sud-Est, surtout dans la zone du Triangle d’or, mais aussi au nord de l’Amérique du Nord, au Yucatan ou en Amérique du Sud, en Amazonie et chez certains groupes amérindiens vivant tout au sud du continent américain. Aujourd’hui encore, et de manière sous-jacente, le chamanisme demeure vivant chez certains de nos contemporains… mais il se rapprocherait plus de la sorcellerie ou du spiritisme que d’une véritable croyance !
De la Mongolie à la Chine et de l’Asie centrale au Moyen-Orient, examinons les principales caractéristiques des chamanismes et la naissance des religions dans certains pays clés (Figure 1).
Figure 1 – Carte de l’Asie et du Moyen-Orient
2-1 – Chamanisme du nord de la Mongolie
Comme nous venons de le voir, le chamanisme serait né au cœur de la Sibérie et plus précisément au nord-est de la Mongolie puis, à partir de cette région source et avec le temps, il se serait diffusé progressivement dans l’espace environnant.
Ainsi que nous l’avons mentionné, hormis la présence de statuettes féminines qualifiées de « Vénus » et suggérant un ancien culte de la fertilité, les traces les plus anciennes de traditions chamaniques auraient été retrouvées non loin des monts Altaï. Elles consistaient en stèles gravées d’images de cerfs, d’où leur nom de « pierres de cerfs » lesquelles dateraient de la fin du second millénaire avant notre ère ?
Ces stèles sont supposées avoir un rapport avec un culte chamanique probablement dédié à la chasse – et aux chasseurs – puisque les cerfs étaient l’espèce animale la plus chassée par ces nomades des steppes.
Les ancêtres des mongols qui peuplaient ces espaces étaient bien sûr animistes, c’est-à-dire adorateurs de tous les éléments et esprits de la nature appelés « tengris ». Ils pratiquaient aussi le totémisme où le totem qui protégeait la tribu était considéré comme le symbole d’un ancêtre, plus ou moins déifié, lequel était représenté par un animal comme un cerf, un loup, un ours ou même un aigle… etc., et nous retrouverons ces mêmes caractéristiques, plus tard, en Amérique du Nord.
Origine mythique du chamanisme mongol
Selon la mythologie mongole, le chamanisme aurait été introduit par Tarvaa, un jeune garçon arrivé au royaume des morts par erreur et revenu sur terre avec des connaissances appartenant non seulement à celles de l’au-delà, mais aussi à celles de l’avenir.
Pour les Mongols, le monde n’était constitué que de deux niveaux :
Le ciel (ou paradis) où vivaient les esprits de la nature.
La terre composée de 99 (ou 77) royaumes reliés entre eux par les branches de l’arbre cosmique et, parmi ces branches, des « trous » étaient supposés permettre au chamane de passer à travers cet arbre et ainsi d’aller consulter les esprits, lorsqu’il entrait en transes.
Notons au passage que ces deux niveaux passeront à trois dans toutes les autres cosmologies que nous verrons par la suite et rappelons aussi que les chiffres 9 et 7 étaient (et sont toujours) considérés comme sacrés par les Chinois.
Pratiques chamaniques rituelles
Les « ovoos » étaient des lieux sacrés, généralement élevés (collines ou montagnes), où les hommes se rapprochaient des dieux et pouvaient communiquer avec le monde des esprits qui régnait dans les cieux. Ces lieux pouvaient aussi être représentés par un tas de pierres où l’on devait faire une offrande lorsque l’on passait à proximité… comme il y en a tant au Tibet.
Les esprits de la nature étaient honorés – et le sont toujours – selon un rite précis : en leur jetant du lait de renne avec une cuillère de bois tout en faisant un vœu.
Même si les rites sont différents, ce type de chamanisme se retrouvera dans l’Asie centrale, jusqu’en Turquie puis, sous une forme particulière dans toute l’Europe du Nord, de la Russie jusqu’à l’Angleterre et même en France !
2-2 – Animisme et naissance du culte du feu en Asie centrale
Issu des traditions du Néolithique où le feu était d’une importance vitale pour ces peuplades animistes primitives, il est compréhensible que cet élément naturel se soit développé en une divinité majeure et bienfaisante. Dès 2200 avant J.-C. – et probablement même bien avant cette date – le culte du feu s’était établi dans une zone géographique englobant l’Iran, l’Afghanistan, le Turkménistan et l’Ouzbékistan, mais aussi tout au long du fleuve Amou-Daria où s’était établie la culture bactrio-margienne qui célébrait le culte du feu, préfigurant ainsi le zoroastrisme qui se développera un peu plus tard en Perse (Iran) et en Inde du Nord.
Traditionnellement, ce culte du feu est associé à la Perse, elle-même conquise par des tribus aryennes qui déferlèrent également sur l’Inde du Nord, d’où l’existence des mêmes dieux que ceux du panthéon védique. D’ailleurs, le mont Elbrouz était considéré comme une montagne cosmique sacrée, pilier et centre de l’univers zoroastriste, comme l’était le mont Mérou pour les hindouistes.
La mythologie raconte qu’à l’origine, le dieu Zurvan Akarana (signifiant temps infini) n’ayant pas de fils, offrit un sacrifice au dieu créateur qui l’écouta et lui permit d’avoir des jumeaux qui étaient :
Ahura Mazda, le dieu de la vérité et de la lumière qui devint le puissant dieu créateur du ciel et de la terre.
Ahriman, son contraire, qui devint le dieu destructeur.
Ahura Mazda eut des descendants :
Atar, le dieu du feu, combattant les forces du mal et les ténèbres ;
Rapithwin, associé à la renaissance et à la chaleur du soleil ;
Verethragna, le dieu de la guerre (équivalent de Vishnou) ;
Anâhita ou Ahurani, la déesse de la fécondité qui était censée procurer l’immortalité par l’absorption de l’haoma, un puissant hallucinogène, équivalent du soma indien.
Il eut aussi son prophète nommé Zoroastre, lequel créa une religion appelée zoroastrisme. Le corpus sacré de cette religion était résumé dans l’Avesta dont les hymnes – qui auraient été consignés vers 1000 avant notre ère – seraient en réalité très proches des textes védiques du Rig Veda.
Selon l’archéologue Asgarov (1984), le grand prophète Zoroastre (ou Zarathoustra) serait né en Afghanistan et y aurait vécu vers 650 avant J.-C. Il n’aurait fait que réformer et codifier une proto-religion remontant à une époque située entre 3000 et 2500 avant notre ère ?
Pour Georges Dumezil, la société zoroastrienne se subdivisait en trois classes, basées sur les fonctions exercées et rappelant par certains côtés les castes de l’Hindouisme :
– les prêtres qui officiaient le culte ;
– les guerriers d’entre lesquels provenaient les rois et les gouvernants ;
– les agriculteurs qui formaient la grande majorité du peuple et qui étaient chargés de la production des biens de consommation nécessaires à leur survie… et à celle des deux castes précédentes.
Dans l’actuel Turkménistan, l’archéologue russe Viktor Sarianidi a découvert un temple appelé « Togolok 21 » qui aurait fonctionné entre 2200 et 1700 avant notre ère. Ce temple n’était qu’une construction fruste comportant un réduit obscur abritant un autel dédié au culte du feu. C’était aussi dans ce temple que se préparait l’haoma qui permettait aux célébrants d’accéder à un monde divin et d’atteindre ainsi un état d’immortalité provisoire, caractéristique propre aux chamanismes anciens. Détail intéressant : de nombreuses amulettes y furent retrouvées, représentant la lutte entre serpents et dragons, symbole de la lutte entre la vie et la mort… que l’on retrouve précisément dans le zoroastrisme.
Cette religion zoroastriste dédiée au culte du feu et de la lumière s’étendit de l’Anatolie à l’Indus englobant l’Irak, l’Iran, l’Afghanistan et l’Ouzbékistan, bien sûr, mais aussi le nord-ouest de l’Inde, et la vallée de l’Indus. Leurs successeurs, les mazdéistes adoraient toujours le feu comme symbole divin et prêchaient la dualité de la nature humaine. Les sacrifices humains, fréquents dans le zoroastrisme, étaient toujours pratiqués dans le mazdéisme.
2-3 – Animisme et naissance des religions dans les zones moyen-orientale et indienne
Le témoignage le plus ancien de sédentarisation se trouverait en Turquie et plus précisément en Anatolie, à Göbekli Tepe. Ce site archéologique du Néolithique précéramique est daté de 9500 à 8000 avant J.-C. Les archéologues y ont découvert une vingtaine d’enceintes circulaires en pierre dont seulement quatre furent étudiées. La caractéristique la plus importante de ces enceintes réside dans la présence de piliers en forme de T et décorés d’une riche iconographie animale en hauts ou bas-reliefs : oiseaux, renards, aurochs, gazelles, serpents, scorpions, araignées, vautours et de rares représentations humaines stylisées… mais aussi des sculptures de félins ou de sangliers aux crocs proéminents.
Certains y virent un lieu de culte dédié aux animaux de la nature, mais son découvreur, Klaus Schmidt, mentionna que la découverte d’ossements humains aurait bien pu en faire un site funéraire ?
Toujours en Anatolie centrale, le site de Catal Höyük daté de 7400 à 6000 avant J.-C. a fourni une iconographie comparable où se distinguent trois thèmes majeurs :
– des représentations de phallus, indiquant un probable culte de la fertilité ?
– celles d’animaux prédateurs avec des griffes et des crocs, évoquant en quelque sorte le « dieu à crocs »… que nous retrouverons fréquemment dans les cultures asiatiques et amérindiennes ;
– des corps humains, sans têtes, renvoyant soit à des pratiques de décapitation rituelle, soit à un culte des morts ou des ancêtres ?
2-3-1 – En Mésopotamie
En Iran et en Irak, dans la haute vallée du Tigre et de l’Euphrate, la sédentarisation est également attestée très tôt, entre 7500 et 6000 avant J.-C. Ainsi, la culture d’Ali Kosh,