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Le docteur Mortimer est l'homme qui alerte Holmes et Watson du décès de sir Charles Baskerville, riche héritier de la lignée des Baskerville. Il était son voisin et ami et il souhaite qu'ils enquêtent sur les circonstances de sa mort.
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Seitenzahl: 273
Veröffentlichungsjahr: 2019
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(août 1901 – mai 1902)
Table des matières
CHAPITRE I MONSIEUR SHERLOCK HOLMES...................3
CHAPITRE II LA MALÉDICTION DES BASKERVILLE....... 14
CHAPITRE III LE PROBLÈME..............................................29
CHAPITRE IV SIR HENRY BASKERVILLE..........................45
CHAPITRE V TROIS FILS SE CASSENT...............................64
CHAPITRE VI LE MANOIR DE BASKERVILLE................... 81
CHAPITRE VII LES STAPLETON DE MERRIPIT ................96
CHAPITRE VIII PREMIER RAPPORT DU DOCTEUR
WATSON................................................................................117
CHAPITRE IX LUMIÈRE SUR LA LANDE SECOND
RAPPORT DU DOCTEUR WATSON ................................... 127
CHAPITRE X EXTRAIT DE L’AGENDA DU DOCTEUR
WATSON............................................................................... 152
CHAPITRE XI L’HOMME SUR LE PIC ............................... 167
CHAPITRE XII LA MORT SUR LA LANDE ........................ 186
CHAPITRE XIII LE FILET SE RESSERRE......................... 208
CHAPITRE XIV LE CHIEN DES BASKERVILLE ...............224
CHAPITRE XV RÉTROSPECTIVE.......................................243
Toutes les aventures de Sherlock Holmes ............................256
M. SHERLOCK HOLMES se levait habituellement fort
tard, sauf lorsqu’il ne dormait pas de la nuit, ce qui lui arrivait
parfois. Ce matin là, pendant qu’il était assis devant son petit
déjeuner, je ramassais la canne que notre visiteur avait oubliée,
la veille au soir. C’était un beau morceau de bois, solide, terminé
en pommeau. Juste au-dessous de ce pommeau, une bague
d’argent qui n’avait pas moins de deux centimètres de haut por-
tait cette inscription datant de 1884 : « À James Mortimer,
1
M.R.C.S. , ses amis du C.C.H. ». Une belle canne ; canne idéale
pour un médecin à l’ancienne mode : digne, rassurante…
« Eh bien, Watson, que vous suggère cette canne ? »
Holmes me tournait le dos, et je n’avais rien fait qui pût le
renseigner sur mon occupation du moment.
« Comment savez-vous que je l’examine ? Vous devez avoir
des yeux derrière la tête !
– Non, mais j’ai en face de moi une cafetière en argent bien
astiquée. Dites, Watson, que pensez-vous de la canne de notre
visiteur ? Nous avons eu de la malchance de le manquer, nous
ignorons le but de sa démarche : ce petit prend donc de
l’importance. Allons, Watson, reconstituez l’homme d’après la
canne ! Je vous écoute. »
1
Member of the Royal College of Surgeons. [N. du T.]
– 3 –
Je me mis en devoir de me conformer de mon mieux aux
méthodes de mon ami.
« Selon moi, dis-je, ce docteur Mortimer est un médecin
d’un certain âge, à mœurs patriarcales, aisé, apprécié, comme
en témoigne le geste de ceux qui lui ont offert cette canne.
– Bon ! Excellent !
– Je pense qu’il y a de fortes chances pour que le docteur
Mortimer soit un médecin de campagne qui visite à pied la plu-
part de ses malades.
– Pourquoi, s’il vous plaît ?
– Parce que cette canne, qui à l’origine était très élégante,
se trouve aujourd’hui dans un tel état que j’ai du mal à me la
représenter entre les mains d’un médecin de ville. Le gros em-
bout de fer est complètement usé ; il me paraît donc évident que
son propriétaire est un grand marcheur.
– Très juste !
– D’autre part, je lis : « ses amis du C.C.H. ». Je parierais
2
qu’il s’agit d’une société locale de chasse dont il a soigné les
membres et qui lui a offert un petit cadeau pour le remercier.
– En vérité, Watson, vous vous surpassez ! s’exclama
Holmes en repoussant sa chaise et en allumant une cigarette. Je
suis obligé de dire que dans tous les récits que vous avez bien
voulu consacrer à mes modestes exploits, vous avez constam-
ment sous-estimé vos propres capacités. Vous n’êtes peut-être
pas une lumière par vous-même, mais vous êtes un conducteur
2
Chasse : hunt en anglais [N. du T.]
– 4 –
de lumière. Certaines personnes dépourvues de génie personnel
sont quelquefois douées du pouvoir de le stimuler. Mon cher
ami, je vous dois beaucoup ! »
Jamais il ne m’en avait tant dit ! Je conviens que ce langage
me causa un vif plaisir. Souvent en effet j’avais éprouvé une
sorte d’amertume devant l’indifférence qu’il manifestait à
l’égard de mon admiration et de mes efforts pour vulgariser ses
méthodes. Par ailleurs je n’étais pas peu fier de me dire que je
possédais suffisamment à fond son système pour l’appliquer
d’une manière qui avait mérité son approbation. Il me prit la
canne des mains et l’observa quelques instants à l’œil nu. Tout à
coup, intéressé par un détail, il posa sa cigarette, s’empara d’une
loupe, et se rapprocha de la fenêtre.
– 5 –
« Curieux, mais élémentaire ! fit-il en revenant s’asseoir
sur le canapé qu’il affectionnait. Voyez-vous, Watson, sur cette
canne je remarque un ou deux indices : assez pour nous fournir
le point de départ de plusieurs déductions.
– Une petite chose m’aurait-elle échappée ? demandai-je
avec quelque suffisance. J’espère n’avoir rien négligé
d’important ?
– J’ai peur, mon cher Watson, que la plupart de vos con-
clusions ne soient erronées. Quand je disais que vous me stimu-
liez, j’entendais par là, pour être tout à fait franc, qu’en relevant
vos erreurs j’étais fréquemment guidé vers la vérité. Non pas
que vous vous soyez trompé du tout au tout dans ce cas précis. Il
s’agit certainement d’un médecin de campagne. Et d’un grand
marcheur.
– Donc j’avais raison.
– Jusque-là, oui.
– Mais il n’y a rien d’autre…
– Si, si, mon cher Watson ! Il y a autre chose. D’autres
choses. J’inclinerais volontiers à penser, par exemple, qu’un
cadeau fait à un médecin provient plutôt d’un hôpital que d’une
société de chasse ; quand les initiales « C.C. » sont placées de-
vant le « H » de Hospital, les mots « Charing-Cross » me vien-
nent naturellement en tête.
– C’est une hypothèse.
– Je n’ai probablement pas tort. Si nous prenons cette hy-
pothèse pour base, nous allons procéder à une reconstitution
très différente de notre visiteur inconnu.
– 6 –
– Eh bien, en supposant que « C.C.H. » signifie « Charing-
Cross Hospital », que voulez-vous que nous déduisions de plus ?
– Je ne voyais pas ? Puisque vous connaissez mes mé-
thodes, appliquez-les !
– Je ne vois rien à déduire, sinon que cet homme a exercé
en ville avant de devenir médecin de campagne.
– Il me semble que nous pouvons nous hasarder davan-
tage. Considérez les faits sous ce nouvel angle. En quelle occa-
sion un tel cadeau a-t-il pu être fait ? Quand des amis se sont-ils
réunis pour offrir ce témoignage d’estime ? De toute évidence à
l’époque où le docteur Mortimer a quitté le service hospitalier
pour ouvrir un cabinet. Nous savons qu’il y a eu cadeau. Nous
croyons qu’il y a eu départ d’un hôpital londonien pour une ins-
tallation à la campagne. Est-il téméraire de déduire que le ca-
deau lui a été offert à l’occasion de son départ ?
– Certainement pas.
– Mais convenez aussi avec moi, Watson, qu’il ne peut
s’agir de l’un des « patrons » de l’hôpital : un patron en effet est
un homme bien établi avec une clientèle à Londres, et il
n’abandonnerait pas ces avantages pour un poste de médecin de
campagne. Si donc notre visiteur travaillait dans un hôpital sans
être patron, nous avons affaire à un interne en médecine ou en
chirurgie à peine plus âgé qu’un étudiant. Il a quitté ses fonc-
tions voici cinq ans : la date est gravée sur la canne. Si bien que
votre médecin d’un certain âge, grave et patriarcal, disparaît en
fumée, mon cher Watson, pour faire place à un homme d’une
trentaine d’années, aimable, sans ambition, distrait, qui possède
un chien favori dont j’affirme qu’il est plus gros qu’un fox-
terrier et plus petit qu’un dogue. »
– 7 –
J’éclatais d’un rire incrédule pendant que Holmes se ren-
fonçait dans le canapé et soufflait vers le plafond quelques an-
neaux bleus.
« En ce qui concerne votre dernière déduction, dis-je, je
suis incapable de la vérifier. Mais il m’est facile de rechercher
quelques détails sur l’âge et la carrière professionnelle de notre
visiteur. »
J’attrapai mon annuaire médical et le feuilletai. il existait
plusieurs Mortimer, mais un seul correspondait à notre incon-
nu. Je lus à haute voix les lignes qui lui étaient consacrées.
« Mortimer, James, M.R.C.S. 1882, Grimpen, Dartmoor,
Devon. Interne en chirurgie de 1882 à 1884, au Charing-Cross
Hospital. Lauréat du prix Jackson de pathologie comparée avec
une thèse intitulée :La maladie est-elle une réversion ?
Membre correspondant de la Société suédoise de pathologie.
Auteur deQuelques Caprices de l’Atavisme(Lancet, 1883), de
Progressons-nous ?(Journal de Psychologie, mars
1883).Médecin sanitaire des paroisses de Grimpen, Thorsley, et
High Barrow ».
– Pas question de société de chasse, Watson ! observa
Holmes avec un sourire malicieux. Uniquement d’un médecin
de campagne, comme vous l’aviez très astucieusement deviné.
Je crois que mes déductions sont à peu près confirmées. Quant
aux qualificatifs, j’ai dit, si je me souviens bien, aimable, sans
ambition, distrait. Par expérience je sais qu’en ce monde seul un
homme aimable peut recevoir des présents, que seul un méde-
cin sans ambition peut renoncer à faire carrière à Londres pour
exercer à la campagne, et que seul un visiteur distrait peut lais-
ser sa canne et non sa carte de visite après vous avoir attendu
une heure.
– Et le chien ?
– 8 –
– Le chien a été dressé à tenir cette canne derrière son
maître. Comme la canne est lourde, le chien la serre fortement
par le milieu, et les traces de ses dents sont visibles. La mâ-
choire du chien, telle qu’on peut se la représenter d’après les
espaces entre ces marques, est à mon avis trop large pour un
dogue. Ce serait donc… oui, c’est bien un épagneul à poils bou-
clés. »
Tout en parlant, il s’était levé pour arpenter la pièce et
s’était arrêté derrière la fenêtre. Sa voix avait exprimé une con-
viction si forte que je le regardai avec surprise.
« Mon cher ami, comment pouvez-vous parler avec tant
d’assurance ?
– 9 –
– Pour la bonne raison que je vois le chien devant notre
porte et que son propriétaire vient de sonner. Ne vous éloignez
pas, Watson, je vous prie ! C’est l’un de vos confrères, et votre
présence peut m’être utile. À présent voici le moment drama-
tique du destin. Watson : vous entendez un pas dans l’escalier,
et vous ne savez pas s’il monte pour un bien ou pour un mal.
Qu’a donc le docteur James Mortimer, homme de science à de-
mander à Sherlock Holmes, spécialiste du crime ? Entrez ! »
L’aspect de notre visiteur m’étonna d’autant plus que je
m’attendais au type classique du médecin de campagne. Or, il
était de haute taille et très mince ; son nez qui avait la forme
d’un bec s’allongeait entre deux yeux gris perçants, rapprochés,
clairs, qui brillaient derrière des lunettes cerclées d’or. Il portait
des vêtements corrects, mais guère soignés : sa redingote était
défraîchie, son pantalon effiloché. En dépit de sa jeunesse, il
était voûté ; il marchait en penchant en avant un visage bien-
veillant. Quand il entra, et qu’il aperçut sa canne dans les mains
de Holmes, il poussa un cri de joie.
« Je suis si content ! Je me demandais si je l’avais oubliée
ici ou à l’agence maritime. Pour rien au monde je ne voudrais la
perdre.
– Un cadeau, à ce que je vois ? dit Holmes.
– Oui.
– Du Charing-Cross Hospital ?
– De quelques amis que j’avais là, à l’occasion de mon ma-
riage.
– Mon Dieu, mon Dieu, comme c’est bête ! » soupira
Holmes en secouant la tête.
– 10 –
Ahuri, le docteur Mortimer le contempla à travers ses lu-
nettes.
« Pourquoi est-ce bête ?
– Oh ! vous avez simplement bouleversé nos petites déduc-
tions ! Vous avez bien dit : mariage ?
– Oui, monsieur. Je me suis marié, et j’ai quitté l’hôpital. Il
fallait que je m’établisse à mon compte.
– Allons, allons, nous ne nous étions pas tellement trom-
pés ! dit Holmes. Et maintenant, docteur James Mortimer…
– Dites plutôt monsieur Mortimer ! Je ne suis qu’un
humble M.R.C.S.
– Mais naturellement un esprit précis.
– Un touche-à-tout de la science, monsieur Holmes. Un
ramasseur de coquillages sur la grève du grand océan de
l’inconnu. Je présume que c’est à monsieur Sherlock Holmes
que je m’adresse présentement, et non…
– En effet. Voici mon ami le docteur Watson.
– Heureux de faire votre connaissance, monsieur. Votre
nom ne m’est pas inconnu : il est associé à celui de votre ami.
Vous m’intéressez grandement, monsieur Holmes, je n’espérais
pas rencontrer un crâne pareil, une dolichocéphalie aussi pro-
noncée, ni un tel développement supra-orbitaire. Verriez-vous
un inconvénient à ce que je promène mon doigt le long de vos
bosses pariétales ? Un moulage de votre crâne, monsieur, à dé-
faut de l’original, enrichirait n’importe quel musée
d’anthropologie. Je n’ai rien d’un flagorneur, mais je vous con-
fesse que votre crâne me fait très envie ! »
– 11 –
Sherlock Holmes, d’un geste, invita notre étrange visiteur à
s’asseoir.
« Je m’aperçois, monsieur, que vous exercez votre profes-
sion avec enthousiasme, lui dit-il. Cela m’arrive également.
D’après votre index, je devine que vous roulez vous-même vos
cigarettes. Ne vous gênez pas si vous désirez fumer. »
Le docteur Mortimer tira de sa poche du tabac et une
feuille de papier à cigarettes ; il mania les deux avec une dextéri-
té extraordinaire. Il possédait de longs doigts frémissants, aussi
agiles et alertes que des antennes d’insecte.
Holmes se tut, mais de rapides petits coups d’œil
m’indiquèrent que le docteur Mortimer l’intéressait vivement. Il
se décida enfin à rompre le silence.
« J’imagine, monsieur, que ce n’est pas uniquement dans le
but d’examiner mon crâne que vous m’avez fait l’honneur de
venir chez moi hier soir et à nouveau aujourd’hui ?
– Non, monsieur, non ! Bien que je sois heureux d’en avoir
eu l’occasion… Je suis venu chez vous, monsieur Holmes, parce
que je sais que je n’ai rien d’un homme pratique et que je me
trouve tout à coup aux prises avec un problème grave, peu ba-
nal. Vous connaissant comme le deuxième plus grand expert
européen…
– Vraiment, monsieur ? susurra Holmes non sans une cer-
taine âpreté. Puis-je vous demander qui a l’honneur d’être le
premier ?
– À un esprit féru de précision scientifique, l’œuvre de
M. Bertillon apparaît sans rivale.
– 12 –
– Alors ne feriez-vous pas mieux de le consulter ?
– J’ai dis, monsieur, « à un esprit féru de précision scienti-
fique ». Mais chacun reconnaît que vous êtes incomparable en
tant qu’homme pratique. J’espère, monsieur, que par inadver-
tance je n’ai pas…
– À peine, monsieur ! interrompit Holmes. Je crois. Doc-
teur Mortimer, que vous feriez bien de vous borner à me confier
la nature exacte du problème pour la solution duquel vous solli-
citez mon concours. »
– 13 –
« J’ai dans ma poche un document…, commença le docteur
Mortimer.
– Je l’ai remarqué quand vous êtes entré, dit Holmes.
– C’est un manuscrit ancien.
– Qui date du début du XVIIIe siècle, s’il ne s’agit pas d’un
faux.
– Comment pouvez-vous le dater ainsi, monsieur ?
– Pendant que vous parliez, vous en avez présenté
quelques centimètres à ma curiosité. Il faudrait être un bien
piètre expert pour ne pas situer un document à dix années près
environ. Peut-être avez-vous lu la petite monographie que j’ai
écrite sur ce sujet ? Je le situe vers 1730.
– La date exacte est 1742, dit le docteur Mortimer en le ti-
rant de sa poche intérieure. Ce papier de famille m’a été confié
par Sir Charles Baskerville, dont le décès subit et tragique, il y a
trois mois, a suscité beaucoup d’émotion dans le Devonshire. Je
peux dire que j’étais son ami autant que son médecin. Sir
Charles Baskerville avait l’esprit solide, monsieur ; sagace et
pratique ; il n’était pas plus rêveur que moi. Néanmoins il atta-
chait une grande valeur à ce document, et il s’attendait au genre
de mort qui justement l’abattit. »
– 14 –
Holmes tendit la main pour prendre le manuscrit qu’il éta-
la sur ses genoux.
« Vous remarquerez, Watson, l’alternance de l’s long et de
l’s. C’est ce détail qui m’a permis de le localiser dans le temps. »
Par-dessus son épaule je considérai le papier jauni à
l’écriture décolorée. L’en-tête portait « Baskerville Hall », et au-
dessous, en gros chiffres griffonnés : « 1742 »
« On dirait une déposition, ou une relation ?
– En effet. C’est la relation d’une certaine légende qui a
cours dans la famille des Baskerville.
– Mais je suppose que c’est sur quelque chose de plus mo-
derne et de plus pratique que vous désirez me consulter ?
– 15 –
– Tout à fait moderne. Il s’agit d’une affaire pratique, ur-
gente, qui doit être réglée dans les vingt-quatre heures. Mais le
document est bref et il est étroitement lié à l’affaire. Avec votre
permission je vais vous le lire. »
Holmes s’adossa à sa chaise, ressembla les extrémités de
ses doigts et ferma les yeux d’un air résigné.
Le docteur Mortimer approcha le document de la lumière,
et d’une voix aiguë, crépitante, entreprit la lecture du curieux
récit que voici :
« Sur l’origine du chien des Baskerville, plusieurs versions
ont circulé. Toutefois, comme je descends en ligne directe de
Hugo Baskerville, et comme je tiens l’histoire de mon père, de
même que celui-ci la tenait du sien, je l’ai couché par écrit, en
croyant fermement que les choses se sont passées comme elles
m’ont été rapportées. Et je voudrais, mes enfants, que vous pé-
nètre le sentiment que la même Justice qui punit le péché peut
aussi le pardonner par grâce, et que tout châtiment, même le
plus lourd, peut être levé par la prière et le repentir. Je souhaite
que cette histoire vous enseigne au moins (non pas pour que
vous ayez à redouter les conséquences du passé, mais pour que
vous soyez prudents dans l’avenir) que les passions mauvaises
dont notre famille a tant souffert ne doivent plus se donner libre
cours et faire notre malheur.
« Apprenez donc qu’au temps de la Grande Révolte (dont
l’histoire écrite par le distingué Lord Clarendon mérite toute
votre attention) le propriétaire de ce manoir de Baskerville
s’appelait Hugo ; indiscutablement c’était un profanateur, un
impie, un être à demi sauvage. Certes, ses voisins auraient pu
l’excuser jusque-là, étant donné que le pays n’a jamais été une
terre de saints ; mais il était possédé d’une certaine humeur im-
pudique et cruelle qui était la fable de tout l’Ouest. Il advint que
ce Hugo s’éprit d’amour (si l’on peut baptiser une passion aussi
– 16 –
noire d’un nom aussi pur) pour la fille d’un petit propriétaire
rural des environs. Mais la demoiselle l’évitait avec soin tant la
fâcheuse réputation de son soupirant l’épouvantait. Un jour de
la Saint-Michel pourtant, ce Hugo, avec l’assistance de cinq ou
six mauvais compagnons de débauche, l’enleva de la ferme pen-
dant une absence de son père et de ses frères. Il la conduisirent
au manoir et l’enfermèrent dans une chambre du haut, après
quoi ils se mirent à table pour boire et festoyer comme chaque
soir. Bien entendu, la pauvre fille ne pouvait manquer d’avoir
les sangs retournés par les chants et les jurons abominables qui
parvenaient d’en bas à ses oreilles ; il paraît que le langage dont
usait Hugo Baskerville, quand il était gris, aurait mérité de fou-
droyer son auteur. Mais dans sa peur elle osa ce devant quoi
auraient hésité des hommes braves et lestes : en s’aidant du
lierre qui recouvrait (et recouvre encore) le mur sud, elle dé-
gringola le long des gouttières et courut à travers la lande dans
la direction de la ferme de son père, que trois lieues séparaient
du Manoir des Baskerville.
« Un peu plus tard Hugo quitta ses invités avec l’intention
de porter à sa prisonnière des aliments et du vin, et probable-
ment d’autres choses bien pires. Il trouva la cage vide et l’oiseau
envolé. Alors, ce fut comme si un démon s’était emparé de lui. Il
descendit l’escalier, quatre à quatre, se rua dans la salle à man-
ger, sauta debout sur la table en balayant du pied flacons et
tranchoirs, et jura devant ses amis qu’il ferait cette nuit même
cadeau de son corps et de son âme aux Puissances du Mal s’il
pouvait rattraper la jeune fille. Tandis que ses convives regar-
daient stupéfaits l’expression de cette fureur, l’un d’eux plus
méchant que les autres, ou peut-être davantage, proposa de lan-
cer les chiens sur la trace de la fugitive. Aussitôt Hugo sortit,
ordonna à ses valets de seller sa jument et de déchaîner la
meute ; il fit sentir aux molosses un mouchoir de la jeune fille,
les mit sur la voie, et dans un concert d’aboiements sauvages la
chasse s’engagea sur la lande éclairée par la lune.
– 17 –
« Pendant un moment, les autres convives demeurèrent
bouche bée. Mais bientôt leur intelligence se dégourdit assez
pour qu’ils comprissent ce qui allait se passer. Dans un brouha-
ha général, les uns réclamèrent leurs pistolets, d’autres leurs
chevaux, certains de nouveaux flacons de vin. Un peu de bon
sens ayant filtré dans leurs folles cervelles, treize d’entre eux
sautèrent à cheval et se lancèrent à la poursuite de Hugo et de la
meute. La lune brillait au-dessus de leurs têtes ; ils foncèrent
bride abattue sur la route que la jeune fille avait dû prendre
pour regagner sa maison.
« Quelques kilomètres plus loin, ils rencontrèrent un ber-
ger, et ils lui demandèrent à grands cris s’il avait vu la meute. Le
berger tremblait tellement de peur qu’il pouvait à peine parler ;
il finit par bégayer qu’il avait bien aperçu l’infortunée suivie des
molosses.
« – Mais j’ai vu bien pire ajouta-t-il. Hugo Baskerville m’a
dépassé sur sa jument noire, et derrière lui, courait en silence
un chien qui était sûrement un chien de l’enfer… Que Dieu me
préserve de l’avoir jamais sur mes talons ! »
« Les cavaliers ivres maudirent le berger et poursuivirent
leur randonnée. Bientôt cependant un froid mortel les saisit ; ils
entendirent un galop, et la jument noire, couverte d’écume
blanche, passa près d’eux : sa bride traînait sur le sol et la selle
était inoccupée. Alors les convives de Hugo, apeurés, se serrè-
rent les uns contre les autres ; ils continuèrent néanmoins à
avancer, bien que chacun d’entre eux, s’il s’était trouvé seul, eût
tourné avec joie la tête de son cheval dans la direction opposée.
Au bout de quelques temps ils rejoignirent la meute. Les mo-
losses, pourtant célèbres par la pureté de leur race et par leur
courage, geignaient en groupe au bord d’une profonde déclivité
de terrain, d’un goyal comme nous disons ; quelques-uns s’en
écartaient furtivement ; d’autres, le poil hérissé et l’œil fixe, re-
gardaient vers le bas de la vallée étroite qui s’ouvrait devant eux.
– 18 –
« Tous les cavaliers s’arrêtèrent : dégrisés, comme vous
l’imaginez ! La majorité se refusait à aller plus loin, mais trois
amis de Hugo, les plus hardis ou les moins dégrisés peut-être,
s’enfoncèrent dans le goyal. Il aboutit bientôt à une large cu-
vette où se dressaient deux grosses pierres que l’on peut encore
voir et qui ont été jadis érigées par des populations disparues.
La lune éclairait cette clairière : au centre gisait la malheureuse
jeune fille, là où elle était tombée, morte d’épouvante et de fa-
tigue. Mais ce n’est pas son cadavre, non plus que le corps de
Hugo Baskerville, qui fit pâlir les trois cavaliers : debout sur ses
quatre pattes par-dessus Hugo, et les crocs enfoncés dans sa
gorge, se tenait une bête immonde, une grosse bête noire, bâtie
comme un chien, mais bien plus grande que n’importe quel
chien qu’aient jamais vu des yeux d’homme. Et tandis qu’ils
– 19 –
demeuraient là, frappés de stupeur, la bête déchira la gorge de
Hugo Baskerville avant de tourner vers eux sa mâchoire tom-
bante et ses yeux étincelants : alors. éperdus de terreur, ils fi-
rent demi-tour à leurs montures et s’enfuirent en hurlant à tra-
vers la lande. On assure que l’un d’eux mourut cette nuit-là, et
que les deux autres ne se remirent jamais de leur émotion.
« Voilà l’histoire, mes enfants, de l’origine du chien dont on
dit qu’il a été depuis lors le sinistre tourmenteur de notre fa-
mille. Si je l’ai écrite, c’est parce que ce qui est su en toute nette-
té cause moins d’effroi que ce qui n’est que sous-entendu, ou
mal expliqué. Nul ne saurait nier que beaucoup de membres de
notre famille ont été frappés de morts subites, sanglantes, mys-
térieuses. Cependant nous pouvons nous réfugier dans l’infinie
bonté de la Providence, qui ne punira certainement pas
l’innocent au-delà de cette troisième ou quatrième génération
qui est menacée dans les Saintes Écritures. À cette Providence je
– 20 –
vous recommande donc, mes enfants, et je vous conseille par
surcroît de ne pas vous aventurer dans la lande pendant ces
heures d’obscurité où s’exaltent les Puissances du Mal.
« (Ceci, de Hugo Baskerville à ses fils Rodger et John, en
les priant de n’en rien dire à leur sœur Élisabeth.) »
Quand le docteur Mortimer eut terminé la lecture de ce
singulier document, il releva ses lunettes sur son front et dévi-
sagea M. Sherlock Holmes, lequel étouffa un bâillement et jeta
sa cigarette dans la cheminée.
« Eh bien ? demanda mon ami.
– Avez-vous trouvé cela intéressant ?
– Intéressant pour un amateur de contes de bonne
femme. »
Le docteur Mortimer tira alors de sa poche un journal.
« Maintenant, monsieur Holmes, nous allons vous offrir
quelque chose d’un peu plus récent. Voici leDevon County
Chronicledu 14 juin de cette année. Il contient un bref résumé
des faits relatifs à la mort de Sir Charles Baskerville, mort qui
eut lieu quelques jours plus tôt. »
Mon ami se pencha légèrement en avant, et son visage
n’exprima plus qu’attention intense. Notre visiteur replaça ses
lunettes devant ses yeux et commença sa lecture :
« La récente mort subite de Sir Charles Baskerville, dont le
nom avait été mis en avant pour représenter le parti libéral du
Mid-Devon au cours des prochaines élections, a attristé tout le
comté. Bien que Sir Charles n’eût résidé à Baskerville Hall qu’un
temps relativement court, son amabilité et sa générosité lui
– 21 –
avait gagné l’affection et le respect de tous ceux qui l’avaient
approché. À cette époque de nouveaux riches, il est réconfortant
de pouvoir citer le cas d’un rejeton d’une ancienne famille du
comté tombée dans le malheur, qui a pu faire fortune par lui-
même et s’en servir pour restaurer une grandeur déchue. Sir
Charles, comme chacun le sait, avait gagné beaucoup d’argent
dans des spéculations en Afrique du Sud. Plus avisé que ces
joueurs qui s’acharnent jusqu’à ce que la roue tourne en leur
défaveur, il avait réalisé ses bénéfices et les avait ramenés en
Angleterre. Il ne s’était installé dans Baskerville Hall que depuis
deux ans, mais il ne faisait nul mystère des grands projets qu’il
nourrissait, projets dont sa mort a interrompu l’exécution.
Comme il n’avait pas d’enfants, son désir maintes fois exprimé
était que toute la région pût de son vivant profiter de sa chance ;
beaucoup auront des motifs personnels pour pleurer sa fin pré-
maturée. Ses dons généreux à des œuvres de charité ont été fré-
quemment mentionnés dans ces colonnes.
« On ne saurait dire que l’enquête ait entièrement éclairci
les circonstances dans lesquelles Sir Charles a trouvé la mort.
Mais on a fait assez, du moins, pour démentir les bruits nés
d’une superstition locale. Il n’y a plus de raison d’accuser une
malveillance quelconque, ni de supposer que le décès pourrait
être dû à des causes non naturelles. Sir Charles était veuf, et un
peu excentrique. En dépit de sa fortune considérable il avait des
goûts personnels fort simples ; pour le servir à Baskerville Hall,
il disposait en tout et pour tout d’un ménage du nom de Barry-
more, le mari faisant fonction de maître d’hôtel et la femme de
bonne. Leur témoignage, que corrobore celui de plusieurs amis,
donne à penser que la santé de Sir Charles s’était depuis
quelques temps dérangée, et qu’il souffrait en particulier de
troubles cardiaques, lesquels se manifestaient par des pâleurs
subites, des essoufflements et des crises aiguës de dépression
nerveuse. Le docteur James Mortimer, ami et médecin du dé-
funt, a témoigné dans le même sens.
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« Les faits sont simples. Sir Charles Baskerville avait
l’habitude de se promener chaque soir avant de se coucher dans
la célèbre allée des ifs de Baskerville Hall. Le témoignage des
Barrymore le confirme. Le 4 juin, Sir Charles avait annoncé son
intention de se rendre à Londres le lendemain, et il avait ordon-
né à Barrymore de préparer ses bagages. Le soir il sortit comme
de coutume ; au cours de sa promenade il fumait généralement
un cigare. Il ne rentra pas. À minuit Barrymore vit que la porte
du manoir était encore ouverte ; il s’inquiéta, alluma une lan-
terne et partit en quête de son maître. La journée avait été plu-
vieuse : les pas de Sir Charles avaient laissé des empreintes vi-
sibles dans l’allée. À mi-chemin une porte ouvre directement
sur la lande. Quelques indications révélèrent que Sir Charles
avait stationné devant cette porte. Puis il avait continué à des-
cendre l’allée, et c’est à l’extrémité de celle-ci que son corps fut
découvert. Un fait n’a pas été élucidé : Barrymore a rapporté, en
effet, que les empreintes des pas de son maître avaient changé
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d’aspect à partir du moment où il avait dépassé la porte de la
lande : on aurait dit qu’il s’était mis à marcher sur la pointe des
pieds. Un certain Murphy, bohémien et maquignon, se trouvait
alors sur la lande non loin de là, mais selon ses propres aveux il
était passablement ivre. Il affirme avoir entendu des cris, mais il
ajoute qu’il a été incapable de déterminer d’où ils venaient. Au-
cun signe de violence n’a été relevé sur la personne de Sir
Charles. La déposition du médecin insiste sur l’incroyable dé-
formation du visage (si grande que le docteur Mortimer se refu-
sa d’abord à croire que c’était son malade et ami qui gisait sous
ses yeux). Mais des manifestations de ce genre ne sont pas rares
dans les cas de dyspnée et de mort par crise cardiaque. Cette
explication se trouva confirmée par l’autopsie qui démontra une
vieille maladie organique. Le jury rendit un verdict conforme à
l’examen médical. Verdict utile et bienfaisant, car il est de la
plus haute importance que l’héritier de Sir Charles s’établisse
dans le Hall pour poursuivre la belle tâche si tristement inter-
rompue. Si les conclusions prosaïques de l’enquête judiciaire
n’avaient pas mis un point final aux romans qui se sont chucho-
tés à propos de l’affaire, peut-être aurait-il été difficile de trou-
ver un locataire pour Baskerville Hall. Nous croyons savoir que
le plus proche parent de Sir Charles est, s’il se trouve toujours
en vie, son neveu M. Henry Baskerville, fils du frère cadet de Sir
Charles. La dernière fois que ce jeune homme a donné de ses
nouvelles, il était en Amérique ; des recherches ont été entre-
prises pour l’informer de sa bonne fortune. »
Le docteur Mortimer replia son journal et le remit dans sa
poche.
« Tels sont, monsieur Holmes, les faits publics en rapport
avec la mort de Sir Charles Baskerville.
– Je dois vous remercier, dit Sherlock Holmes, d’avoir atti-
ré mon attention sur une affaire qui présente à coup sûr
quelques traits intéressants. J’avais remarqué à l’époque je ne
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sais plus quel article de journal, mais j’étais excessivement oc-
cupé par cette petite histoire des camées du Vatican, et dans
mon désir d’obliger le pape j’avais perdu le contact avec plu-
sieurs affaires anglaises dignes d’intérêt. Cet article, dites-vous,
contient tous les faits publics ?
– Oui.
– Alors mettez-moi au courant des faits privés. »
Il se rejeta en arrière, rassembla encore une fois les extré-
mités de ses doigts, et prit un air de justicier impassible.
« Je vais vous dire, répondit le docteur Mortimer qui
commençait à manifester une forte émotion, ce que je n’ai con-
fié à personne. En me taisant lors de l’enquête, je n’ai obéi qu’à
un seul mobile : un homme de science répugne à donner de la
consistance à une superstition populaire. Par ailleurs je pensais,
comme le journal, que Baskerville Hall demeurerait inoccupé si
une grave accusation ajoutait à sa réputation déjà sinistre. Voilà
pourquoi j’ai cru bien faire en disant moins que je ne savais :
rien de bon ne pouvait résulter de mon entière franchise. Mais à
vous je vais tout livrer.
« La lande est peu habitée ; ceux qui vivent dans cette ré-
gion sont donc exposés à se voir souvent. J’ai vu très souvent Sir
Charles Baskerville. En dehors de M. Frankland de Lafter Hall,
et de M. Stapleton le naturaliste, on ne trouve personne de cul-
tivé dans un rayon de plusieurs kilomètres. Sir Charles était peu
communicatif, mais sa maladie nous a rapprochés et l’intérêt
que nous vouions l’un comme l’autre au domaine scientifique
nous a maintenus en contact. D’Afrique du Sud, il avait rapporté
de nombreuses informations, et nous avons passé plusieurs soi-
rées charmantes à discuter de l’anatomie comparée du Hotten-
tot et du Boschiman.
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« Depuis quelques mois je m’étais parfaitement rendu
compte que le système nerveux de Sir Charles était sur le point
de craquer. Il avait tellement pris à cœur cette légende dont je
viens de vous donner lecture que, bien qu’il aimât se promener
sur son domaine, rien ne l’aurait décidé à sortir de nuit sur la
lande. Pour aussi incroyable qu’elle vous ait semblé, monsieur
Holmes, Sir Charles était convaincu qu’une malédiction
s’attachait à sa famille : certes les détails qu’il m’a fournis sur
ses ancêtres n’avaient rien d’encourageant. L’idée d’une pré-
sence fantomatique le hantait ; plus d’une fois il m’a demandé si
au cours de mes visites médicales nocturnes, je n’avais jamais
rencontré une bête étrange ou si je n’avais pas entendu
l’aboiement d’un chien. Je me rappelle fort bien que cette der-
nière question le passionnait et que, lorsqu’il me la posait, sa
voix frémissait d’émotion.
« Je me souviens aussi d’être monté chez lui quelques trois
semaines avant l’évènement. Il se trouvait devant la porte du
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manoir. J’étais descendu de mon cabriolet et je me tenais à côté
de lui, quand je vis ses yeux s’immobiliser par-dessus mon
épaule et regarder au loin avec une expression d’horreur af-
freuse. Je me retournais : j’eus juste le temps d’apercevoir
quelque chose que je pris pour une grosse vache noire qui tra-
versait l’allée. Il était si bouleversé qu’il m’obligea à aller jusqu’à
cet endroit où j’avais vu la bête ; je regardai de tous côtés ; elle
avait disparu. Cet incident produisit sur son esprit une impres-
sion désastreuse. Je demeurai avec Sir Charles toute la soirée ;
c’est alors que, afin de m’expliquer son trouble, il me confia le
récit que je vous ai lu tout à l’heure. Je mentionne cet épisode
parce qu’il revêt une certaine importance étant donné la tragé-
die qui s’ensuivit, mais sur le moment j’étais persuadé que rien
ne justifiait une si forte émotion.
« C’était sur mon conseil que Sir Charles devait se rendre à
Londres. Je savais qu’il avait le cœur malade ; l’anxiété cons-
tante dans laquelle il se débattait, tout aussi chimérique qu’en
pût être la cause, n’en compromettait pas moins gravement sa
santé. Je pensais qu’après quelques mois passés dans les dis-
tractions de la capitale il me reviendrait transformé.
M. Stapleton, un ami commun qu’inquiétait également la santé
de Sir Charles, appuya mon avis. À la dernière minute survint le
drame.
« La nuit où mourut Sir Charles, le maître d’hôtel Barry-
more qui découvrit le cadavre me fit prévenir par le valet Per-
kins : je n’étais pas encore couché ; aussi j’arrivai à Baskerville
Hall moins d’une heure après. J’ai vérifié et contrôlé tous les