Le Cristal de Vie - Carole Bergh - E-Book

Le Cristal de Vie E-Book

Carole Bergh

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Beschreibung

Au fond d'une grotte profonde, il découvre un cristal aussi sombre que son âme meurtrie. La magie qu'ensemble ils libèrent, tel un frisson parcourant le corps de la Terre, avertit son double du danger. Le temps est également venu pour le cristal de vie de quitter sa paisible retraite. Mais que sont-ils? En eux est emprisonné le pouvoir des mages de Jova. Deux cristaux à la fois semblables et différents. De simples pierres aux regards des profanes. Mais est-ce vraiment le cas?

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Veröffentlichungsjahr: 2019

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Le Cristal de Vie

PrologueChapitre 1Chapitre 2Chapitre 3Chapitre 4Chapitre 5Chapitre 6Chapitre 7Chapitre 8Chapitre 9Chapitre 10Chapitre 11Chapitre 12Chapitre 13Chapitre 14Chapitre 15Chapitre 16Chapitre 17Chapitre 18Chapitre 19Chapitre 20Chapitre 21Chapitre 22Chapitre 23Chapitre 24ÉpiloguePage de copyright

Prologue

Hurok se demandait souvent ce qu’aurait été sa vie s’il n’avait pas été abonné dans ces montagnes et recueilli par un misérable chasseur. Un rustre qui avait osé faire de lui son larbin ! Qui pour un oui ou un non le rouait de coups ! Un jour, il en avait eu assez. Il venait d’avoir dix ans et révolté par une raclée non méritée, il avait retourné sa colère contre ce monstre. Il n’avait pas tout de suite compris ce qui se passait. Mais, ce jour-là, il avait découvert le pouvoir qui était en lui et de ce crétin qui lui servait de père, il ne restait plus qu’un tas d’os carbonisés.

Presque vingt ans s’étaient écoulés depuis cette formidable découverte et depuis, il vivait seul, attendant patiemment son heure, celle de la vengeance. Le pouvoir s’épanouissait avec l’âge et il savait qu’il n’avait pas encore atteint sa pleine puissance. Quand il se sentirait prêt, il retournerait auprès des humains, les asservirait, prendrait sa revanche sur ces traîtres qui l’avaient abandonné à la merci des bêtes sauvages.

Un jour, alors qu’il parcourait la montagne à la recherche d’un gibier pour son repas, il découvrit une grotte et décida de l’explorer. Son regard fut attiré par une étrange pierre. Elle était aussi sombre que la nuit, aussi noire que son âme meurtrie, et il fut irrésistiblement attiré par elle.

Chapitre 1

Le jour commençait à se lever sur Barath, la cité des sorciers de Barr-Han. La citadelle dominait la ville haute qui s’éveillait à peine, alors que le port était déjà en pleine activité.

Yerik était l’un des gardes de la citadelle et après avoir pris son premier repas de la journée, il quitta les cuisines pour rejoindre son poste. Comme cela lui arrivait souvent, il était en retard et pour ne pas croiser le général Slym, qui avait certainement commencé sa ronde afin de vérifier que tout le monde était à sa place, il décida de traverser la citadelle.

À cette heure matinale, il pensait ne rencontrer personne, mais en chemin, il dut s’arrêter pour laisser passer trois sorciers qui se dirigeaient vers la bibliothèque. Le couloir était pourtant bien assez large, mais ces crétins prenaient toute la place. Bien sûr, ils ne lui accordèrent aucun regard. Pour eux, il n’existait pas. Il n’était qu’un indésirable, l’un de ces enfants nés sans aucun pouvoir, donc jugés inutiles.

Était-ce un caprice du destin ou le résultat de leur arrogance ? Mais depuis qu’ils s’étaient installés à Vorga, deux cents ans plus tôt, les sorciers de Barr-Han avaient de plus en plus de mal à avoir des enfants et leur pouvoir se transmettait arbitrairement. Aussi, par la force des choses, ils devenaient de moins en moins nombreux.

Yerik les méprisait et leur en voulait pour la vie qu’ils lui imposaient. Il n’avait pas eu le choix. Tous les indésirables étaient enrôlés dans l’armée de Vorga et affectés à la protection de la citadelle. Comme ses compagnons d’infortune, il était un garde sans utilité, puisque le pouvoir des sorciers les rendait invulnérables. Mais ainsi, les indésirables restaient sous leur étroite surveillance et leur servaient de larbins. Ils n’étaient que des sentinelles fantoches qui jour après jour restaient de faction devant des portes qui n’avaient nul besoin d’être gardées.

Tout en maugréant contre ces maudits sorciers, Yerik prit son poste devant l’entrée principale et regarda vers l’océan. Une brise légère gonflait les voiles du Trois-mâts qui quittait le port et en le contemplant, il rêva de partir avec lui. S’il l’avait pu, il aurait tout abandonné pour monter à son bord, pour découvrir d’autres contrées et quitter à jamais cet endroit où il s’ennuyait tant. Fuir cette maudite cité, échapper à la surveillance de ces sorciers de malheur, c’était un rêve qui souvent lui traversait l’esprit, mais une personne le retenait ici, son frère, Syrus.

Yerik soupira quand le bateau disparut à l’horizon en emportant avec lui ses rêves d’évasions. Aucune autre embarcation n’étant en mouvement, il reporta son regard sur les collines qui dominaient Barath. De tous les postes qu’il occupait, celui de l’entrée principale était son préféré. Même s’il devait rester debout pendant des heures, il pouvait laisser son esprit divaguer, s’imaginer parcourant la forêt, escaladant les hautes montagnes qui se dessinaient dans le lointain ou s’envolant avec les oiseaux marins. Durant ces instants, il parvenait à oublier les sorciers et leur insupportable vanité.

Yerik faisait partie de la garde depuis deux ans et même si sa vie n’était pas passionnante, au moins, ici, il n’avait plus à supporter l’hostilité de son père. Il faut dire qu’il n’avait pas eu une enfance facile. En plus d’être un indésirable, il avait passé les premières années de sa vie dans la culpabilité, accablé par les reproches de son père qui l’accusait d’avoir tué sa mère.

La pauvre était morte en le mettant au monde. Yerik n’y était pour rien, mais avec le temps, il avait fini par le croire. Heureusement, Syrus avait alors pris à cœur son rôle de grand frère en le protégeant et le réconfortant quand la situation devenait insoutenable. Comment aurait-il supporté cette période douloureuse sans lui ?

Syrus lui manquait et, quand il était seul, Yerik repensait souvent avec nostalgiques aux moments privilégiés qu’ils avaient passés ensemble. Certes, ce n’était pas facile tous les jours, surtout quand Syrus se rendait à la citadelle pour suivre sa formation de sorcier.

Dès que son frère quittait la maison, Yerik se dissimulait pour ne pas affronter leur père. Sa cachette favorite était la cave. Ce lieu était sombre, mais Yerik n’avait jamais eu peur du noir et, malgré son jeune âge, il était débrouillard. Il s’était fait une petite réserve de bougies et avait discrètement volé quelques coussins afin de rendre l’endroit plus confortable.

Pour combler ces heures de solitude, il imaginait toutes les aventures qu’il pourrait vivre avec Syrus, ainsi que les territoires qu’ils exploreraient ensemble. Il s’inventait une histoire, se créait un univers dans lequel la magie n’existait pas et où ses parents étaient fiers de lui. Ce fut durant ces années que son imagination se développa, cette même imagination qui aujourd’hui encore, lui permettait de fuir la réalité.

Un bruit attira son attention et il eut tout juste le temps de se mettre en position avant que le général Slym arrive pour son inspection. Cela ne dura pas longtemps. Un regard désapprobateur sur sa tenue négligée que Yerik s’empressa d’ajuster. Puis il fut de nouveau seul et put continuer à rêver.

Il avait douze ans quand il était venu à la citadelle pour commencer son entraînement. Les années qu’il avait passées cloîtré dans son refuge l’ayant rendu pâle et chétif, il avait eu bien du mal à supporter les exercices militaires qu’on lui imposait, mais il l’avait vécu comme une aventure.

C’était le début d’une nouvelle vie, loin de son père, des reproches qu’en permanence il lui faisait, et il était bien décidé à en profiter. Il avait redoublé d’efforts, s’était exercé sans relâche et pour son plus grand bonheur, son frère l’avait rejoint afin d’apprendre le maniement des armes.

C’était un comportement inhabituel. Les sorciers étaient suffisamment puissants pour ne pas avoir besoin de se battre et cette pratique était, pour eux, dégradante. Ils étaient bien trop importants pour se comporter comme de simples humains ! Mais Syrus ne s’était pas soucié des remarques faites dans son dos et avec le temps, les deux frères étaient devenus imbattables, luttant comme un seul homme et ne redoutant aucun adversaire.

Ce furent sans conteste les plus belles années de leur vie, mais, malheureusement, à quinze ans, l’entraînement de Yerik s’acheva et il fut séparé de son frère. Le temps était venu pour lui de prendre sa place dans la société, de jouer le rôle qu’on lui imposait. Désormais, la citadelle était son véritable foyer et cela pour le restant de sa vie.

Cette situation était intolérable pour Yerik qui se sentait prisonnier entre les murs de la cité. Et pourquoi? Pourquoi les sorciers gardaient-ils auprès d’eux les indésirables alors qu’ils les jugeaient sans intérêt ? Simplement parce que leur sang coulait dans les veines de ces rejetons non désirés et un jour, l’un d’eux avait transmis ce pouvoir dont ils étaient si fiers. Cela n’était arrivé qu’une seule fois, mais c’était suffisant pour leur faire prendre des mesures draconiennes et depuis, des générations étaient sacrifiées, gardées sous haute surveillance, au cas où ce prodige se reproduirait.

Alors que Yerik était à son poste déjà depuis plusieurs heures, perdu dans ses souvenirs, ses réflexions, il fut relevé et appelé par le général Slym.« Sait-il que j’étais en retard ce matin? Va-t-il le punir? », se demanda Yerik en se dirigeant vers le bureau de son supérieur.

Non. Au grand soulagement du jeune homme, il lui confia simplement une missive qui devait être remise en main propre à son destinataire. Encore une corvée sans intérêt pensa Yerik avant de lire le nom qui figurait sur le parchemin. Elle était adressée à son frère et portait le sceau du grand Maître.

Ce ne pouvait être qu’une convocation et il se demanda ce que cela signifiait. Syrus était encore trop jeune pour faire partie du conseil ou pour se voir confier une mission particulière. Seuls leurs aînés étaient autorisés à s’approcher du grand Maître et durant le trajet, il se posa une multitude de questions.

Arrivé à destination, trop impatient de savoir de quoi il retournait, il n’attendit pas d’être annoncé. Après tout, cette demeure avait été la sienne. Il n’éprouvait aucune nostalgie en parcourant le large couloir où les portraits de ses ancêtres se succédaient. Il n’avait jamais été le bienvenu dans cette maison ! Il n’y avait jamais été chez lui !

En pénétrant dans le salon où son frère et le sorcier Mareq étaient assis, il eut un choc. Il ne s’était jamais rendu compte à quel point Syrus ressemblait à leur père. Ce n’était pas tant dans le physique que dans le maintien et Yerik réalisa à cet instant que son aîné avait désormais la même attitude hautaine que les sorciers de Barr-Han. Certes, cela ne dura que le temps d’un battement de cœur. Dès que Syrus le reconnut, son visage s’illumina et Yerik retrouva le frère qu’il aimait tant. Malgré tout, cette première impression le perturba.

Il ne prêta aucune attention au sorcier Mareq qui lui lança un regard dédaigneux et tendit la lettre à son aîné. Puis, il patienta pour savoir s’il y avait une réponse, ou plutôt pour assouvir sa curiosité. Syrus parut très étonné en la lisant, puis il déclara qu’il devait immédiatement se rendre à la citadelle. Son père voulut connaître la raison de cette convocation inhabituelle, mais le courrier ne donnait aucun détail et ne souhaitant pas faire attendre le grand Maître, les deux frères quittèrent ensemble la maison familiale.

— Pourquoi veut-il te voir ?

— Je ne sais pas. C’est étrange.

— Tu n’as pas fait de bêtises en mon absence ? lui demanda Yerik d’un air taquin.

— J’ai bien eu envie de détruire les précieux parchemins que notre père m’oblige à recopier, mais je ne l’ai pas fait, lui répondit-il en souriant.

Durant leur trajet, tout en savourant le bonheur d’être de nouveau réunis, ils se racontèrent leur vie et tout naturellement, retrouvèrent leur complicité d’autrefois.

Si Yerik se plaignait de sa routine quotidienne, Syrus n’était pas plus avantagé. Depuis qu’il avait terminé sa formation à la citadelle, il consacrait une grande partie de ses journées à recopier d’anciens parchemins. C’était un travail long et fastidieux, mais qui, selon son père, lui permettait d’accroître ses connaissances. Quel intérêt de savoir comment ses ancêtres vivaient, ou comment ils avaient chassé les Syrelles qui jadis habitaient sur ces terres ? Tout cela appartenait au passé et même s’il n’avait pas l’esprit aussi aventureux que son cadet, il aurait préféré s’adonner à d’autres activités moins ennuyeuses.

Mais tous les sorciers, dès leur formation terminée, étaient affectés à ce genre de corvée et Syrus avait compris depuis longtemps que c’était juste un moyen de les occuper. Il n’était pas plus libre que Yerik d’aller où il voulait. Ce que ses aînés redoutaient le plus était que les jeunes, avant d’avoir trente ans, s’amourachent et aient des enfants. Tous savaient qu’avant cet âge, la magie ne se transmettait pas et leur semence était bien trop précieuse pour être gaspillée. Les sorciers devaient mettre toutes les chances de leur côté pour permettre à leur peuple de survivre. Syrus le comprenait, même s’il trouvait injuste de perdre ainsi les plus belles années de sa vie.

Lorsqu’ils arrivèrent à la citadelle, Syrus y pénétra seul pour suivre un garde qui le conduisit vers un bureau privé où le grand Maître l’attendait. Il fut impressionné de se retrouver face à cet homme et ce fut avec respect qu’il s’inclina devant lui.

— Approche, mon garçon, dit-il d’une voix douce.

Syrus se demandait toujours ce que cela signifiait. À sa connaissance, personne à part les conseillers n’était ainsi convoqué. Le grand Maître paraissait sans âge, le visage buriné par le temps, mais son regard était si vivace et perçant, que Syrus eut le sentiment d’être nu devant lui.

— Tu t’interroges. Tu ne comprends pas pourquoi je t’ai fait venir, commença-t-il en lui souriant. Ce n’est pas une démarche habituelle, mais quand la situation l’exige, il faut savoir déroger à la règle. J’ai eu une vision. Des choses étranges se passent dans les Hautes-Terres et j’aimerais que tu te rendes sur place.

— Moi ? s’étonna Syrus. Je n’ai pas encore eu l’approbation de mes pairs.

— Je sais, tu es bien jeune. J’aurais préféré quelqu’un de plus âgé, de plus expérimenté, mais tu as été désigné pour remplir cette mission.

Pourquoi avait-il été choisi ? Syrus, poussé par la curiosité, s’apprêtait à prendre la parole quand le grand Maître, d’un geste, lui intima de se taire.

— Je comprends ton désarroi, mais certaines choses doivent rester secrètes. Sache juste que je n’occupe pas ce poste par hasard. Je vois ce que les autres ne voient pas.

— Je suis à vos ordres, répondit Syrus, de plus en plus perplexe.

— Je crains que la magie soit à l’œuvre, poursuivit-il, et j’ai besoin d’un homme capable de se défendre sans faire appel à son pouvoir. Si ce que l’on m’a raconté sur toi est vrai, tu te bats fort bien à l’épée.

— En effet, grâce à mon frère, Yerik.

— Les habitants des Hautes-Terres se méfient de la magie. Il est donc souhaitable de ne pas l’utiliser, par contre, seul un sorcier pourra déterminer si, oui ou non, elle a été employée.

— Comment pourrai-je le savoir ?

— Fie-toi à ton instinct. Maintenant que tu es devant moi, je comprends pourquoi tu m’as été désigné. Tu sauras, toi aussi, voir ce qui est caché.

Syrus était de plus en plus perdu, mais il se sentait flatté et ne voulait pas décevoir le grand Maître. Néanmoins, il ne s’imaginait pas voyager seul et pour se donner du courage face à cet homme qui l’impressionnait tant, il prit une profonde inspiration avant de faire sa requête.

— Vous me faites un immense honneur en me confiant cette mission, mais je ne saurais quitter Barath sans mon frère.

— Partez tous les deux, cela n’est pas un problème, et fais-moi part de tout ce que tu auras découvert. Je te demande d’être un observateur, non un combattant. Si tu perçois le moindre danger, reviens immédiatement nous prévenir.

— Il en sera fait ainsi. Quand devons-nous partir ?

— Demain, aux premières heures du jour. Je donnerai des ordres pour que des chevaux et des vivres soient mis à votre disposition. Prends cette bourse, elle vous permettra de payer ce dont vous aurez besoin.

Avant de le congédier, le grand Maître lui donna également une carte détaillée de la région des Hautes-Terres qu’il devait explorer et, lorsqu’il le quitta, Syrus avait toujours du mal à assimiler tout ce qui venait de se passer.

Une multitude de questions se bousculaient dans sa tête. Pourquoi lui ? Quel danger menaçait les Hautes-Terres ? Comment saurait-il si la magie avait été employée et qui l’avait utilisée ? Il se sentait un peu perdu.

Cela faisait plus d’une heure que Yerik attendait le retour de son frère et si le grand Maître le gardait aussi longtemps, cela devait sûrement être important. Il faisait les cent pas devant la citadelle, impatient d’en savoir plus sur cette convocation inattendue qui mettait un peu de piquant dans son quotidien. Syrus ne pouvait pas comprendre ce que Yerik vivait. Il n’avait aucune perspective d’avenir. Dans le reste du pays, l’armée avait un rôle à jouer, mais ici elle n’avait aucune utilité.

Il contempla la ville qui s’étendait à ses pieds jusqu’à l’océan. Toutes les demeures qui se trouvaient à proximité de la citadelle étaient celles des sorciers et dans cette partie de la cité, les seules personnes que l’on rencontrait étaient des serviteurs ou des gardes. Les sorciers se considéraient comme supérieurs en raison de leur pouvoir et pour cette raison, Yerik les méprisait. Ils s’étaient fait construire des villas somptueuses entourées de splendides jardins alors que les habitants de Barath se contentaient de modestes logis, situés en contrebas, près du port.

Les sorciers vivaient entre eux. Ils formaient un clan soudé au sein duquel le grand Maître et le conseil avaient tout pouvoir.

Lorsqu’il vit Syrus sortir de la citadelle, il oublia ses sombres pensées pour se précipiter à sa rencontre et quand celui-ci lui annonça que leur départ était prévu pour le lendemain, il eut du mal à le croire. Enfin, il allait quitter les murs de la cité et découvrir d’autres contrées ! C’était trop beau pour être vrai !

— Que t’a-t-il dit ? demanda-t-il, surexcité.

— Apparemment, des choses étranges se passent dans les Hautes-Terres.

— Mais c’est l’armée qui doit gérer ce genre de problème, lui fit remarquer Yerik.

— Normalement, oui, mais dans le cas présent, le grand Maître veut être certain qu’aucune magie n’est à l’œuvre.

— Et pourquoi t’a-t-il choisi ? s’étonna Yerik.

— Je ne l’ai pas vraiment compris, avoua Syrus. Ses paroles étaient troublantes et je n’ai pas osé lui poser toutes les questions qui me taraudaient. Malgré tout, je suis sûr que c’est, en partie, à cause de toi. Je suis le seul sorcier à savoir manier une épée et il ne souhaite pas que notre pouvoir soit utilisé en cas de problème avec la population. Ceux qui vivent dans les Hautes-Terres jugent un homme à sa façon de combattre et ils sont très méfiants envers tout ce qui touche à la magie.

— Quand nous étions plus jeunes, se rappela Yerik, tu inventais des histoires dans lesquelles nous explorions de nouveaux territoires et faisions d’extraordinaires découvertes. J’avais toujours rêvé de les rendre réelles et aujourd’hui, cette opportunité nous est offerte.

— Je suis moins exalté que toi à l’idée de quitter le confort de Barath pour passer des jours sur les routes.

Syrus appréhendait un peu ce départ vers l’inconnu, mais l’enthousiasme de son cadet balaya ses doutes.

Lorsqu’il rentra chez lui et annonça la nouvelle à son père, celui-ci reconnut que c’était un honneur, mais il lui reprocha d’emmener son incapable de frère. Comme chaque fois, Syrus sortit de la pièce en claquant la porte derrière lui. Il ne cherchait plus à discuter, cela ne servait à rien. Plus de dix-sept ans s’étaient écoulés depuis la mort de sa femme, pourtant le sorcier Mareq en voulait toujours autant à Yerik et, cela, Syrus ne pouvait l’accepter.

Ce fut donc sans lui faire ses adieux que le lendemain matin il quitta Barath. Un voyage d’au moins trois semaines les attendait et Syrus se consolait en observant Yerik qui rayonnait à ses côtés. Il savait à quel point ce dernier rêvait d’aventure et il n’aurait pas envisagé de faire cette mission sans lui.

Un ciel limpide accompagnait leur départ, tandis qu’au loin, les nuages s’amoncelaient et Syrus se demanda si ce n’était pas un présage. Qu’allaient-ils découvrir dans les Hautes-Terres ? Le grand Maître avait fait allusion à la magie, mais qui, à part les sorciers de Barr-Han, pouvait l’utiliser ? Les Syrelles ? Elles avaient disparu de Vorga depuis longtemps ! Alors d’où pourrait venir cette menace ?

Loin de ces préoccupations, Yerik, en savourant chaque instant de cette liberté dont il avait tant rêvé, respirait à plein poumon l’air pur du matin. Certes, il faudrait revenir à Barath, mais en attendant, il comptait bien en profiter.

Chapitre 2

Un doux baiser la sortit de son sommeil. Elle ouvrit les yeux, regarda la fenêtre, et aussitôt le feuillage qui l’obstruait s’écarta pour laisser entrer la lumière.

— Milla ! Tu ne dois pas faire ça ! lui reprocha Kuran.

— Personne ne peut le voir.

— Crois-tu ? La maison est visible du chemin. Qu’arrivera-t-il si une patrouille passe au moment où cet arbre se met à bouger ? Barath sera informé et je ne veux pas te perdre.

— Je n’avais pas pensé à cela, admit-elle en se retournant vers lui pour se blottir dans ses bras et sentir son corps chaud contre le sien.

C’était si étrange pour Milla de vivre dans une maison, de dormir dans un vrai lit. Les Syrelles n’avaient pas besoin de se construire une demeure puisque la nature était leur véritable foyer. Les arbres leur offraient un abri pour la nuit, les protégeaient, et il était difficile pour elle de ne pas faire appel à eux, même ici, entre ces quatre murs.

Kuran l’embrassa une dernière fois avant de se lever pour allumer le feu afin de faire chauffer un peu d’eau. Milla le rejoignit rapidement. Elle prit deux bols pour la tisane, puis déposa une assiette de fromage et du pain sur la table. Avant de s’asseoir à ses côtés, Kuran jeta une poignée d’herbe dans l’eau frémissante.

Milla ne put s’empêcher de sourire en le regardant. C’était une vie simple à laquelle elle goûtait pour la première fois.

— Ce matin, je vais débroussailler une nouvelle parcelle et ensuite, je m’occuperai du volet. Ainsi, tu n’auras plus besoin de faire appel à ton pouvoir, dit Kuran en remplissant les deux bols d’une tisane odorante.

— Pourquoi te fatiguer ? Laisse-moi préparer la terre.

— Non. Tu ne dois pas utiliser ton pouvoir pour un oui ou un non. C’est trop dangereux.

Milla soupira. Elle ne pouvait contredire son amant.

Kuran était le seul à qui elle avait avoué la vérité. Elle se souvenait encore de la peur qu’elle avait ressentie à l’idée qu’il lui tourne le dos et l’abandonne à sa détresse. Mais, alors que la plupart des gens considéraient celles de son peuple comme des sorcières malveillantes, lui l’avait acceptée telle qu’elle était, la surnommant même sa petite fée en raison du pouvoir qui était en elle.

Cette réputation injustifiée, les siennes la devaient aux sorciers de Barr-Han qui les avaient ainsi discréditées aux yeux de la population pour mieux les anéantir. C’étaient eux les véritables monstres ! Aucune Syrelle n’utilisait sa magie pour détruire.

— Que vas-tu faire ce matin ? lui demanda Kuran en mangeant une tartine de pain.

— Je vais cueillir quelques plantes médicinales. Mes réserves commencent à diminuer.

— Surtout, sois prudente.

— Ne t’inquiète pas, mon amour, je ne ferais rien qui sorte de l’ordinaire.

Ils terminèrent leur repas, puis Milla prit un panier et embrassa une dernière fois Kuran avant de se diriger vers la forêt.

La journée s’annonçait radieuse et elle devait se hâter de cueillir les plantes avant que le soleil chasse la rosée du matin. Elle était heureuse d’avoir suivi Kuran dans cette région où la forêt s’étendait à perte de vue jusqu’aux pieds des hautes montagnes. Certes, les hivers étaient rigoureux, mais au moins, ici, elle était en sécurité.

Il ne lui fallut pas longtemps pour remplir son panier, la nature était généreuse dans cette contrée sauvage et préservée. Sur le chemin du retour, elle vit un roncier couvert de fruits bien mûrs et en cueillit quelques poignées pour Kuran qui les adorait. Elle lui ferait une tarte pour ce midi. Certes, elle n’était pas une excellente cuisinière et avait encore beaucoup à apprendre, mais pour lui, pour lui faire plaisir, elle ne ménageait pas ses efforts.

Bientôt, elle aperçut leur modeste cabane et s’étonna de ne pas voir Kuran dans le jardin. Milla se sentit angoissée, puis se traita d’idiote. Il avait certainement décidé de s’occuper du volet avant de défricher la nouvelle parcelle.

Elle l’appela, mais n’obtint aucune réponse. Où était-il ? Inquiète, elle accéléra le pas, puis s’immobilisa. Ce fut d’abord l’incompréhension, puis la panique. Lâchant son panier, elle se précipita vers le corps étendu sur le sol, tomba à genoux pour le prendre dans ses bras, le supplia de se réveiller. Malheureusement, on ne se réveille pas lorsqu’une épée vous a transpercé le cœur. Elle avait vu la blessure, le sang qui maculait sa chemise, mais ne voulait pas y croire.

Puis, la cruelle réalité s’imposa et la douleur la submergea. Non ! Il ne pouvait pas être mort ! C’était impossible ! Elle resta un moment prostrée, en le serrant dans ses bras, et lorsque ses larmes se tarirent, un détail attira son attention.

Kuran avait fait partie de l’armée avant de la rencontrer et il était tout à fait capable de se défendre contre de vulgaires voleurs. Alors pourquoi n’avait-il pas dégainé son poignard ? Il avait été froidement abattu. On ne lui avait laissé aucune chance. À cet instant, la rage remplaça la douleur dans son cœur. Ceux qui avaient fait ça allaient le payer ! Mais avant, elle devait s’occuper du corps de son amant.

Il y avait un endroit que Kuran affectionnait particulièrement. Derrière leur cabane coulait un petit ruisseau et il disait que le murmure de l’eau l’apaisait. Aussi, pour l’écouter, il s’asseyait tous les soirs sur un banc qu’il avait lui-même fabriqué.

Ce ne fut pas sans difficulté que Milla traîna le corps de Kuran jusqu’à son refuge préféré. Les larmes voilaient son regard et elle dut plus d’une fois s’arrêter pour reprendre son souffle. Mais il n’était pas question qu’elle abandonne ! Là serait sa dernière demeure.

Enfin arrivée près du ruisseau, elle fit appel à son pouvoir et la terre lui répondit pour accueillir en son sein celui qu’elle lui confiait. Il ne restait plus qu’une chose à faire pour que le rituel soit achevé et lorsqu’elle s’éloigna, un magnifique rosier couvert de fleurs épanouies veillait sur celui qui lui avait été si cruellement arraché.

Elle retourna vers la cabane, indifférente aux chants des oiseaux. Elle était comme morte, détachée de ce monde, mais résolue à venger celui qu’elle aimait.

Elle prit un sac de voyage et se hâta de le remplir. Cette demeure l’oppressait, comme si les murs se rapprochaient. Elle ne lui avait jamais paru aussi étriquée, aussi sombre. En réalité, c’était Kuran son véritable foyer, non cette bâtisse devenue froide et inhospitalière. Il était urgent de partir, de quitter cet étau qui lui enserrait le cœur, ce silence assourdissant qui résonnait des souvenirs de son bonheur perdu.

En premier, elle devait se rendre à Yhor afin d’avertir la population qu’une bande armée rôdait dans les parages. Combien étaient-ils ? Elle l’ignorait, mais deux ou trois hommes n’auraient pas pu tuer Kuran aussi facilement. Ce n’était pas un paysan, il savait se battre.

Ensuite, elle partirait à la recherche de ses assassins. Elle savait cela insensé. Ce territoire était sous la responsabilité des sorciers de Barr-Han et s’ils avaient vent de son existence, ils chercheraient à la tuer. Que pouvait-on attendre d’autre de ces monstres ! Mais ce n’était pas cela qui allait l’arrêter.

Avant de partir, elle se recueillit une dernière fois sur la tombe de son amant. Il avait insisté pour venir s’installer dans cette région reculée de Vorga. C’était sa terre natale, celle de ses aïeux, celle où il reposait désormais. Cette pensée raviva sa colère et lui donna le courage de quitter cet endroit où durant quelques mois elle avait goûté au bonheur.

Il lui fallut moins d’une heure pour atteindre Yhor, mais là aussi seule l’horreur l’attendait. Elle ne trouva que des cendres encore fumantes et des cadavres cruellement mutilés, certains éventrés, d’autres la tête ou les membres coupés. Elle ne s’était pas trompée. Il ne s’agissait pas de vulgaires voleurs, comme on en rencontrait souvent dans ces contrées sauvages. Qui pouvait avoir commis de telles atrocités ?

Les maisons avaient été saccagées, les portes brisées, les meubles renversés, la vaisselle éparpillée sur le sol. Ces brutes n’avaient eu aucune pitié, tuant hommes, femmes, enfants, et ce spectacle lui retourna l’estomac. Elle eut beau parcourir toutes les rues et ruelles, toutes les habitations, elle ne trouva aucun survivant. Comment était-ce possible ?

Que devait-elle faire ? Elle ne pouvait pas s’occuper de tous ces corps, mais ne pouvait non plus les laisser ainsi à la merci des bêtes sauvages. Où pouvait-elle trouver de l’aide ? Elle vivait ici depuis moins d’un an et connaissait mal cette région. Elle tenta de se remémorer son arrivée et ce que Kuran lui avait dit. Ils étaient passés près d’un autre village, à moins de trois lieues. Kuran avait promis d’y revenir un jour de marché pour lui acheter une nouvelle robe. À cette pensée, une larme coula sur sa joue.

Non! Ce n’était pas le moment de s’apitoyer, alors qu’un terrible danger menaçait les habitants de cette contrée. Elle respira profondément, fit appel à son pouvoir et le laissa l’envahir, l’apaiser. Enfin rassérénée, elle se reconcentra sur le plus urgent : donner l’alarme.

Elle quitta au plus vite ce qui restait du village d’Yhor et cette insupportable odeur de mort qui régnait partout autour d’elle pour se diriger vers l’ouest.

Pendant les trois heures que dura son voyage, elle eut le temps de se remémorer tout ce qu’elle avait vécu ces dernières années et de s’interroger sur ce que serait son avenir. Devait-elle, au risque de dévoiler sa véritable nature, demeurer ici pour protéger les habitants de ce fléau qui s’était abattu sur Yhor ? Le souvenir des enfants baignant dans leur sang nourrissait sa colère, sa soif de vengeance. De tels crimes ne devaient pas rester impunis ! Comment des hommes pouvaient-ils être aussi cruels ?

Certes, elle avait déjà été témoin de leur violence, mais jamais elle n’avait vu de scènes aussi atroces. De plus, quelque chose la perturbait. Comme Kuran, les habitants d’Yhor étaient parfaitement capables de se défendre. Ils étaient robustes, vivaient à la dure dans cette région où l’hiver s’éternisait, et ils savaient se battre. Alors, pourquoi n’en avait-elle vu aucun une arme à la main ?

Elle avait entendu parler des barbares qui vivaient au nord de Vorga. C’étaient des guerriers redoutables et sans pitié. Mais, comment auraient-ils pu prendre un village entier par surprise ? Quel intérêt auraient-ils eu à massacrer tout le monde pour ensuite disparaître ? Elle savait que les hommes aimaient s’entre-tuer, mais, là, c’était une véritable boucherie. Comment des êtres humains pouvaient-ils se transformer en bêtes enragées ?

Chapitre 3

Ils étaient sur les routes depuis dix jours, mais si Yerik semblait toujours autant apprécier ce voyage, Syrus avait une mine sombre et renfrognée.

En vérité, plus le temps passait, plus son humeur s’assombrissait. Il n’était pas habitué à faire de si longues chevauchées et son corps savait le lui rappeler. Tous ses muscles le faisaient souffrir, il était épuisé, et maudissait le destin pour lui avoir joué un si mauvais tour.

Il en était même arrivé à regretter tout ce qui, jusque-là, lui paraissait terne et sans intérêt, les soirées au coin du feu avec son père, les journées le nez plongé dans d’anciens manuscrits jaunis. Il aurait tout donné pour retrouver cette vie paisible, pour s’installer dans un fauteuil confortable, dormir sur un matelas moelleux, manger l’un de ces merveilleux gâteaux dont Marta avait le secret, ou déguster un vin de Casy. Tout cela lui manquait.

Il se demandait toujours pourquoi le grand Maître lui avait confié cette mission. Il ne cessait de se remémorer l’entretien qu’ils avaient eu la veille de son départ. Mais c’était si confus. Il était sorti de cette entrevue totalement perdu. Pourquoi le grand Maître l’avait-il choisi ? Lui, qui n’avait jamais quitté Barath ! Lui, qui aux yeux de ses aînés n’était encore qu’un novice ! Pourquoi l’avoir préféré à un sorcier plus expérimenté ? Tout cela n’avait aucun sens !

Malgré tout le respect qu’il lui devait, il ne parvenait pas à prendre au sérieux les inquiétudes du vieil homme. Il était si peu convaincu de la nécessité de ce voyage, qu’il avait même envisagé de faire halte dans un village, de trouver une auberge confortable et de s’y prélasser quelques jours. Ensuite, il serait retourné à Barath afin d’annoncer au grand Maître qu’aucune magie n’était à l’œuvre dans le nord du pays. Après tout, comment aurait-il pu savoir si oui ou non, il s’était rendu sur place ? Enfin, il aurait pu le faire si Yerik ne l’avait pas accompagné.

Contrairement à lui, son frère était heureux et savourait chaque instant de ce voyage. Pour la première fois de sa vie, il se sentait libre et n’avait plus à supporter les regards hautains de ces maudits sorciers qui se prenaient pour des êtres supérieurs.

Depuis qu’ils avaient quitté la capitale. Ils étaient passés de village en village pour glaner des informations, mais jusqu’ici, personne n’avait entendu parler d’incidents survenus dans les Hautes-Terres.

Pourtant Yerik n’avait pas ménagé ses efforts et avait interrogé tous ceux qui avaient croisé leur chemin. Les gens venaient facilement vers lui, alors qu’ils préféraient éviter son frère dont l’air revêche ainsi que sa tenue de voyage suscitaient surtout la méfiance. Tout le monde savait de quoi était capable un sorcier de Barr-Han et leur pouvoir effrayait plus qu’il ne rassurait.

Cette attitude hautaine attristait Yerik qui se souvenait qu’autrefois son frère ne se souciait pas de ce genre de considération. Malheureusement, les sorciers en avaient fait l’un des leurs et il comptait bien profiter de ce voyage pour changer cela.

Si durant les premiers jours, ils avaient toujours trouvé une auberge où passer la nuit, depuis qu’ils étaient dans les Hautes-Terres, ce n’était plus le cas. Les villages étaient devenus plus rares et après avoir chevauché toute la journée, ils devaient dormir à la belle étoile, chasser ou pêcher pour leur repas du soir.

Ce n’était pas une vie que Syrus appréciait et cela ne faisait qu’accroître sa mauvaise humeur. Ils étaient vraiment dans un pays de sauvages. Les rares bourgs qu’ils avaient traversés ne possédaient pas d’auberges dignes de ce nom. Il s’agissait plutôt d’établissements sombres et mal entretenus, où les paysans du coin venaient boire une bière au goût douteux. Elles n’avaient vraiment rien de comparable avec les riches auberges que Syrus fréquentait dans la capitale ! Il finit même par regretter celles qu’il trouvait si minables au début de leur voyage.

— Faisons une pause, finit-il par dire d’un air las.

— Un peu de courage. Le soleil est encore haut dans le ciel. Plus nous parcourrons de distance, plus vite tu retrouveras le confort qui te manque tant, lui répondit Yerik.

— Nous ferions mieux de faire demi-tour tout de suite, grommela Syrus.

— Sans accomplir ta mission !

— Personne n’a entendu parler d’incidents. Le grand Maître s’est trompé et nous perdons notre temps.

— Souviens-toi. Autrefois, nous rêvions de parcourir le pays, de partir à l’aventure, lui rappela Yerik avec entrain. N’est-ce pas merveilleux de vivre ses rêves?

— Des rêves d’enfant et ce n’est plus ce que nous sommes, répondit sèchement Syrus.

— Je sais, soupira Yerik en prenant un air affligé. Tu es un sorcier de Barr-Han et moi, je ne suis personne, les sorciers passent à côté de moi sans me voir comme si je n’existais pas.

— Tu es mon frère et ça, rien ne pourra le changer.

— Heureux de te l’entendre dire ! s’exclama Yerik avec un large sourire. Alors, en mémoire du passé, apprécie ces moments que nous passons ensemble et cesse de faire la tête.

— Je ne fais pas la tête ! Mais tu avoueras que passer ses journées en selle et dormir à même le sol, cela n’a rien d’agréable.

— Tu manques d’entraînement et si tu n’y prends pas garde, tu finiras aussi bedonnant que notre père! s’esclaffa Yerik. Regarde, on aperçoit des maisons. Bientôt, tu pourras boire une bonne bière.

— Tu n’es vraiment pas difficile. Une bonne bière ! Cette boisson infecte.

— Je n’ai pas tes goûts de luxe ni les moyens de fréquenter les auberges de la cité, lui fit remarquer Yerik. Moi, je me contente de celles du port.

— Cesse de te plaindre. Je t’ai invité plus d’une fois, mais tu as toujours refusé.

— Je n’ai pas envie d’être regardé de haut par tes amis sorciers, mais …

Soudain, Yerik s’interrompit. Ils approchaient du village et le vent qui soufflait dans leur direction charriait des effluves nauséabonds que tout de suite, ils reconnurent.

Personne ne leur servirait de bière dans ce village dévasté. Ils ne s’attendaient certainement pas à une telle horreur ! Partout, des corps en décomposition gisaient sur le sol et l’odeur était insupportable.

Pourtant, ils étaient venus pour en apprendre davantage et ne pouvaient pas s’éloigner avant de les avoir examinés pour déterminer la cause de leur mort. En mettant un tissu sur leur nez pour tenter de supporter la puanteur ambiante, ils s’avancèrent donc au milieu des cadavres. Beaucoup de corps étaient en partie dévorés par les bêtes sauvages, mais il n’y avait néanmoins aucun doute sur le fait qu’ils avaient été tués par des armes et non par la magie.

Pourtant quelque chose perturbait Syrus. Il compta une centaine de corps et aucun n’avait une arme à la main. Les habitants de ces régions reculées avaient la réputation d’être de redoutables combattants, capables de tuer un ours avec leur poignard, et Syrus remarqua qu’ils en portaient tous un à la ceinture. Alors pourquoi ne l’avaient-ils pas dégainé ? Que quelques-uns se fassent prendre par surprise, il pouvait le concevoir, mais pas un village entier. Quel que soit le nombre de leurs agresseurs, ils auraient dû avoir le temps de réagir et de leur faire face. On avait l’impression que la mort les avait emportés sans qu’ils puissent faire quoi que ce soit et cela n’avait pas de sens. Il ne connaissait aucun pouvoir capable de réaliser une telle chose.

Enfin, jugeant en avoir appris assez, il fit signe à Yerik de le suivre. Il était temps de quitter cet enfer et cette odeur pestilentielle. Dès qu’ils se furent suffisamment éloignés, ils retirèrent le tissu dont ils avaient recouvert leur visage, mais l’odeur toujours les suivait et ils décidèrent de s’arrêter près d’une rivière pour nettoyer leurs vêtements qui s’en étaient imprégnés.

— Qui a pu faire ça ? demanda Yerik, révolté.

— Je ne sais pas, mais quelque chose n’était pas naturel.

— Je l’ai remarqué aussi, ils n’ont pas eu le temps de se défendre. Comme s’ils s’étaient tous retrouvés en même temps face à un meurtrier invisible.

— C’est aussi l’impression que j’ai eue, mais ce n’est pas possible, lui fit remarquer Syrus en se séchant. Il doit y avoir une autre explication.

— La magie est à l’œuvre. Je sais que cela te paraît impossible, mais, pour moi, c’est la seule explication.

— Aucune magie ne peut faire ça ! s’exclama Syrus.

— Crois-tu que le pouvoir des tiens est le seul qui existe en ce monde ? Quand tes ancêtres sont arrivés, ils se sont confrontés à celui des Syrelles. Qui te dit qu’il n’en existe pas un autre, dont vous ignorez tout ?

— C’est possible, mais c’était aussi tes ancêtres, il me semble.

— Même si leur sang coule dans mes veines, je n’ai rien de commun avec les sorciers de Barr-Han. Le grand Maître t’a conseillé de te fier à ton intuition et je sais que, même si cela te paraît improbable, tu es de mon avis. Quelque chose ici n’est pas normal et nous devons poursuivre jusqu’à Irohn. Un important contingent s’y trouve et nous pourrons les informer de ce qui se passe.

— J’aurais préféré retourner tout de suite à Barath, mais tu as raison, Irohn est plus proche et de là-bas, je pourrai envoyer un message. Même si je ne peux pas l’expliquer, je n’aime pas ce que je ressens, admit Syrus d’un air soucieux.

Milla aperçut enfin les premières maisons de Thera et après avoir prévenu les autorités de ce qui était arrivé à Yhor, elle pourrait entreprendre ses propres recherches.

Dans cette région sauvage, les villages n’avaient rien de comparable avec ceux du sud. Ici, ils ne regroupaient que quelques familles et faisaient plus penser à des clans qu’à de véritables cités. Seule Thera faisait exception. Les jours de marché, sa population passait d’une centaine de personnes à plus de cinq cents.

Kuran lui avait expliqué que c’était un point de rassemblement pour toutes les familles qui vivaient dans les environs et pour cette raison, Thera possédait plusieurs auberges qui n’étaient ouvertes qu’une fois par mois. Lorsqu’il lui en avait parlé, cette vie loin de tout lui avait semblé idéale, mais maintenant qu’elle se retrouvait seule, elle se sentait un peu perdue.

Avant même d’entrer dans le village, l’odeur la prit à la gorge et lui donna la nausée, puis elle aperçut les premiers cadavres et recula, horrifiée. Le massacre était plus ancien que celui d’Yhor et en ce milieu d’été, les corps se décomposaient rapidement. Sachant déjà ce qu’elle allait découvrir, elle n’eut pas le courage de traverser Thera. Elle ne comprenait pas pourquoi personne n’était venu les prévenir du danger. Étaient-ils tous morts lors de cette attaque ?

Dans le sud, les gens se déplaçaient sans arrêt, pour commercer ou simplement se promener. Si une telle atrocité se produisait, en peu de temps tous en seraient informés. Mais ici, chacun vivait dans son coin et ils ne se réunissaient qu’une fois par mois pour le marché. Cela pouvait expliquer que ce drame n’ait pas été découvert, mais elle avait quand même du mal à concevoir que personne n’ait pu échapper au massacre.

Que devait-elle faire ? Ce territoire était sous la responsabilité des sorciers de Barr-Han et elle aurait dû les laisser gérer ce problème pour se concentrer sur sa propre vengeance, mais elle ne pouvait pas s’y résoudre. Même si elle n’y était plus la bienvenue, ces terres étaient aussi les siennes, celles où son peuple avait toujours vécu.

Elle se souvint qu’à l’époque où elle était arrivée avec Kuran, elle avait perçu la présence d’une Syrelle avant d’atteindre ce village et s’était dit qu’elle reviendrait plus tard pour la rencontrer. Désormais, elle ne voyait pas vers qui d’autre se tourner. Elle avait peur de découvrir partout les mêmes scènes d’horreur et avait besoin d’aide pour tenter d’y mettre un terme. Ces sauvages devaient être nombreux pour avoir détruit un village comme Thera et elle avait beau être puissante, elle ne l’était pas assez pour affronter une armée.

Milla n’avait pas besoin de faire appel à sa mémoire pour savoir où sa sœur se trouvait, puisqu’il lui suffisait de se mettre à l’écoute de ce monde. Les Syrelles étaient reliées entre elles par un lien infime qui leur permettait de se retrouver sur de courtes distances.

Elle marcha une heure avant de l’entendre. Ce cri lui glaça le sang ! Elle savait qui l’avait poussé et, lâchant son sac, elle courut à perdre haleine. Que se passait-il ? Une Syrelle était en mesure de se défendre contre toute agression et seuls les sorciers de Barr-Han représentaient un danger. Elle ne les portait pas en grande estime, mais ils ne pouvaient pas être responsables des massacres. Tous les malheureux qu’elle avait vus avaient été tués par des épées et elle ne voyait pas pourquoi les sorciers se saliraient les mains alors qu’il leur suffisait d’envoyer une boule de feu sur leurs adversaires.

Au moment où elle les aperçut, elle sentit la vie quitter sa sœur et sans ménagement, ses meurtriers la jetèrent sur le sol. Qui étaient-ils ? Ils ressemblaient à des barbares, le visage et le crâne recouverts de tatouages. Après la stupeur, la rage envahit le cœur de Milla. Elle ne comprenait pas comment ils avaient pu tuer une Syrelle, mais ils allaient payer pour ce crime, pour celui de Kuran et des enfants d’Yhor.

Déjà, la nature lui répondait et bientôt des racines emprisonneraient leurs membres puis enserreraient leur gorge pour lentement les étrangler. Mais soudain, elle ne ressentit plus rien, comme si son pouvoir l’avait abandonnée, et avant qu’elle puisse réagir, l’un de ces sauvages l’empoigna fermement.

Que se passait-il ? Pourquoi sa magie avait-elle disparu ? C’était impossible ! Incompréhensible ! En prenant conscience de la situation, la panique l’envahit. Sans son pouvoir, elle n’était rien, n’avait plus aucun moyen de se défendre. Elle tenta de se débattre, se tortilla en tous sens, donna des coups de pied. Mais cet homme, qui la maintenait, était beaucoup trop fort pour qu’elle puisse lui échapper. Elle était perdue et allait subir le même sort que sa sœur.

Elle releva la tête et vit avec horreur celui qui s’avançait vers elle un poignard ensanglanté à la main, mais autre chose attira aussitôt son attention : l’étrange pierre qu’il s’apprêtait à lui poser sur le front.

Chapitre 4

Après avoir nettoyé leurs vêtements et enfilé ceux de rechange, Syrus et Yerik reprirent la direction d’Irohn. C’était la ville la plus importante de cette région et en son sein résidait un corps d’armée censé maintenir l’ordre.

Ce qu’il venait de découvrir avait fait oublier à Syrus l’inconfort de ce voyage. Il n’avait jamais vu autant de cadavres et même s’il ne le montrait pas, cela le bouleversait. Qui avait commis ce massacre ? Et pourquoi ? Ce n’étaient que de simples paysans !

Il était inconcevable que des populations entières se fassent tuer sans que le général en place à Irhon en soit informé et qu’il prenne les mesures adéquates. Mais s’il avait été au courant, il aurait envoyé un message à Barath. Alors pourquoi le grand Maître n’avait-il pas été averti ? Syrus trouvait tout cela bien étrange et avait hâte d’arriver au fort pour en apprendre plus.

Yerik était tout aussi perturbé que son frère. Il ne s’attendait pas, en venant dans les Hautes-Terres, à voir de telles horreurs. Il ne parvenait pas à oublier ces corps en décomposition aux visages en partie dévorés. Des hommes, des femmes, des enfants ! Ceux qui avaient fait ça devaient le payer !

Alors qu’ils chevauchaient en silence depuis quelques minutes, un cri les fit arrêter leurs montures et changer de direction. Avec un peu de chance, ils allaient débusquer ceux qui perpétraient ces massacres et y mettre un terme. Syrus ne redoutait rien ni personne, puisqu’il pouvait d’un geste tuer des dizaines d’adversaires.

En arrivant, ils découvrirent une jeune femme qui se débattait pour tenter d’échapper à ses agresseurs. Dès qu’ils les entendirent, les hommes se retournèrent et l’un d’eux brandit quelque chose dans leur direction.

Syrus fit appel à son pouvoir pour les réduire en cendres, mais rien ne se produisit. Que se passait-il ? Cela le perturba, mais il n’avait pas le temps de s’interroger sur les raisons de cette faiblesse. Sautant de son cheval, il dégaina son épée et cria à Yerik de le suivre. Grâce à son cadet, il était aussi puissant avec une lame qu’avec sa magie et en cet instant, il se réjouit de ne pas avoir écouté son père qui jugeait cette pratique dégradante pour un sorcier.

Milla fut violemment rejetée sur le sol et les hommes s’emparèrent de leurs armes pour engager le combat. Elle avait tout de suite reconnu l’un des nouveaux arrivants. Il arborait la tenue noir et or des sorciers de Barr-Han et elle devait au plus vite s’échapper. Quel que soit le vainqueur, elle n’était pas en sécurité. Malgré tout, elle ne put se résoudre à abandonner le corps de l’une des siennes derrière elle. Aussi, elle la rejoignit en rampant et la saisit sous les bras pour la tirer le plus loin possible de ses ennemis.

Après quelques pas, avec soulagement, elle sentit son pouvoir lui revenir et décida d’inhumer sa sœur. Elle découvrit une étrange marque sur son front, mais ne perdit pas de temps à en rechercher l’origine. Elle devait faire vite. Elle s’éloigna de la défunte, puis demanda à la terre de l’accueillir en son sein. La nature lui répondit aussitôt, le sol se mit à vibrer et doucement le corps de sa sœur fut enseveli. Elle ne la connaissait pas, pourtant, cela ne changeait rien à la peine qu’elle ressentait.

C’était la deuxième fois qu’elle accomplissait ce rituel. Deux fois en une journée. Deux morts inexpliquées. Comme une plaie qui se rouvre, la douleur la submergea, la même souffrance, le même vide intolérable. Mais très vite, elle se reprit. Un sorcier de Barr-Han était là, à quelques pas, et elle ne devait pas l’oublier, sinon il la tuerait.

Afin d’achever la cérémonie, il fallait faire pousser une plante sur la tombe et en fouillant dans la petite bourse qu’elle portait à la ceinture, Milla en sortit une graine de bourrache, qu’elle avait prévu de semer dans son ancien jardin.

Dès qu’elle fut en terre, la magie des Syrelles opéra. La graine germa et une tige s’éleva vers le ciel en se recouvrant progressivement de feuilles et de fleurs épanouies. Milla ne pouvait pas faire mieux, mais le rituel était accompli et c’était l’essentiel. Le corps retournait nourrir la terre pour la remercier de ses bienfaits et de la mort renaissait la vie afin de perpétuer le cycle naturel.

Alors qu’elle s’apprêtait à partir, un bruit attira son attention. Aussitôt, elle utilisa son pouvoir pour se dissimuler dans les fougères qui l’entouraient. Personne ne pouvait la voir. Elle faisait partie du paysage, se fondait en lui. Enfin, à condition que ce ne soient pas les guerriers aux visages tatoués, sinon elle était perdue. À cette pensée, un frisson d’horreur lui traversa le corps et elle se mit à espérer que le sorcier était sorti vainqueur de ce combat. Face à lui, elle avait une chance de survivre, du moins, elle voulait le croire.

Syrus et Yerik se battaient avec rage, mais leurs adversaires étaient puissants et savaient manier une épée. Néanmoins, la complicité des deux frères leur donna vite l’avantage et quand le troisième homme s’effondra, celui qui semblait être leur chef préféra fuir le combat.

Au moment où Syrus s’apprêtait à le poursuivre, il remarqua le sang qui maculait le manteau de Yerik et en le voyant tituber, il se précipita vers lui pour le soutenir.

— Je n’ai pas été assez rapide pour l’esquiver, dit son cadet d’un air désolé.

Alors qu’il l’aidait à s’appuyer contre un arbre, Syrus sentit son pouvoir lui revenir. Que s’était-il passé ? Qu’importe ! Ce n’était pas le plus urgent. Yerik était blessé et il devait s’occuper de lui.

Il ouvrit son manteau pour évaluer les dégâts et fut soulagé en constatant qu’apparemment aucun organe vital n’avait été touché. Malgré tout, la plaie était profonde et il fallait la recoudre avant d’envisager de reprendre la route.

Syrus n’avait jamais fait cela. Certes, il connaissait la théorie, mais serait-ce suffisant ?

— Où est-elle ? demanda soudain Yerik.

— Je ne sais pas, elle a dû s’enfuir, répondit Syrus avec dédain.

— Lorsque nous sommes arrivés, il y avait un corps étendu sous cet arbre. Si elle l’a emmené, elle ne peut pas être allée très loin, lui fit-il remarquer. Nous devons la retrouver.

— Pourquoi ? Si elle voulait de notre protection, elle ne se serait pas sauvée.

— Elle a dû être effrayée ! Ce n’est pas que je doute de toi, mais tu n’as jamais été très doué de tes mains et une femme serait plus habile pour me recoudre.

Syrus sourit. Il savait que Yerik avait raison, néanmoins, il n’appréciait pas que cette fille leur ait ainsi faussé compagnie. Après tout, ils avaient risqué leur vie pour la sauver et son frère avait été blessé. Quelle ingratitude !

— Je vais voir si je la trouve, finit-il par dire. Mais il n’est pas question que tu t’éloignes de moi.

— N’aie crainte, je tiens encore mon épée d’une main ferme.

— Là, je pense que tu présumes de tes forces, mon frère.

De toute façon, Yerik n’avait pas l’intention de le laisser seul. Non parce qu’il ne lui faisait pas confiance, mais parce qu’il craignait qu’il effraie davantage cette pauvre fille.

À Barath, Syrus vivait dans le cercle très privilégié des sorciers et était habitué à ce que tous lui témoignent du respect. Il ne manquait certes pas de générosité ou de bravoure. Lorsqu’il avait vu la jeune femme en danger, sans réfléchir, il s’était précipité à son secours, mais maintenant, il se sentait sûrement vexé qu’elle ne soit pas venue le remercier. Il manquait juste de délicatesse et de compassion. Il n’avait pas toujours été ainsi et Yerik espérait que ce voyage l’aiderait à retrouver les valeurs qu’ils partageaient autrefois.

Syrus observa le sol et suivit les traces laissées par le corps que la jeune femme avait traîné. En voyant la terre fraîchement remuée ainsi que cette étrange plante qui n’avait pas sa place ici et qui poussait sous ses yeux, il comprit tout de suite à qui il avait affaire.

Les siens pensaient que les Syrelles avaient disparu du pays depuis bien longtemps, mais apparemment, ils se trompaient. Était-il raisonnable de lui demander de l’aide ? Il se remémora les histoires que son père lui avait racontées.

Ses ancêtres vivaient dans une île au centre de laquelle un volcan sommeillait et lorsqu’il s’était réveillé, ils avaient dû, d’urgence, la quitter. Beaucoup avaient péri lors de cette soudaine éruption et les survivants étaient arrivés ici pour trouver un refuge. Alors, ces maudites sorcières avaient tenté de les chasser de leur terre en les empêchant de pénétrer au cœur des forêts qui bordaient le rivage. Pourtant ses ancêtres n’avaient pas le choix ! Leur bateau était trop endommagé pour qu’ils puissent reprendre la mer et, exaspérés, ils avaient fini par utiliser leur magie afin de se frayer un chemin.

Tout aurait pu être différent si elles avaient simplement accepté de les accueillir ! Mais après ces tragiques évènements, les Syrelles avaient préféré disparaître et depuis des décennies, aucune d’elle n’avait été repérée à Vorga.

Si ce n’était pas pour son frère, il ne se serait jamais rabaissé pour demander son aide, mais d’après les histoires que l’on racontait à leur sujet, elles étaient d’excellentes guérisseuses. Aussi, ravalant sa fierté, il tenta de s’exprimer d’une voix douce et sereine.

— Je sais qui tu es et je ne te veux aucun mal. Mon frère est blessé, aide-le.

Milla le regarda s’approcher avec appréhension. La plante continuait à pousser et elle n’y pouvait rien. S’il s’en apercevait, il comprendrait et d’un geste, il pouvait lui envoyer une boule de feu. Que pouvait-elle attendre d’autre de ces maudits sorciers ? Des meurtriers ! Voilà ce qu’ils étaient.

Deux cents ans plus tôt, ces monstres étaient arrivés par la mer et les Syrelles les avaient accueillis. Mais très vite, ils avaient tenté de leur imposer leur volonté et les choses avaient dégénéré. Il suffisait de regarder celui-ci, pour se rendre compte qu’ils n’avaient pas changé. Ils étaient toujours aussi arrogants et vaniteux.

Milla retint sa respiration et ne fit pas un mouvement pendant qu’il examinait les lieux, mais ne souhaitant pas être prise au dépourvu, elle laissa son pouvoir rejoindre les racines qui progressivement devinrent l’extension de ses bras. Ainsi, s’il avait le moindre geste hostile, elle pourrait agir. Mais serait-elle plus rapide que lui ? Ça, elle l’ignorait.

Elle vit son expression se durcir en observant la tombe de sa sœur et déjà de petites racines sortaient de terre, prêtes à s’enrouler autour de ses chevilles. Elle attendit et lorsqu’il s’adressa à elle, un frisson d’horreur lui traversa le corps.

Pouvait-elle le croire ou était-ce un piège pour l’obliger à se montrer ? Ils étaient si sournois! Dès leur arrivée dans cette contrée, ils l’avaient saccagée. Les sorciers de Barr-Han n’apportaient que la mort. Autrefois, ils avaient invoqué le feu pour détruire les forêts qui abritaient et protégeaient les Syrelles. En agissant ainsi, ils avaient, certes, tué bon nombre de ses ancêtres, mais surtout, ils avaient réduit en cendres des arbres centenaires. C’était pour cette raison que les rescapées avaient fui, pour faire cesser le massacre de ces êtres dont elles seules percevaient les râles d’agonie.

Non, il essayait de la tromper, elle en était persuadée. Puis le deuxième homme les rejoignit et elle put constater qu’il était réellement blessé. Comme il ne portait pas la tenue des sorciers, elle fut rassurée, mais ne put s’empêcher de se demander comment deux individus aussi différents pouvaient être frères.

Le nouvel arrivant paraissait si … apaisant. Ce fut le seul mot qui lui vint à l’esprit. Étrange ! Pourtant, c’était bien ça. Il lui inspirait confiance et elle l’aurait volontiers aidé si ce sorcier ne s’était pas trouvé à ses côtés.

Yerik vit tout de suite les racines qui émergeaient du sol et se remémora certaines illustrations qu’il avait contemplées dans son enfance. Les Syrelle y étaient dépeintes sous l’aspect de monstres mi-femmes, mi-arbres, dont les bras en forme de branche s’enroulaient autour du cou de leurs victimes. Il ne les avait jamais prises au sérieux, mais désormais, il savait qu’elles n’étaient pas totalement fantaisistes.

Néanmoins, il avait eu le temps d’apercevoir la jeune femme et elle n’avait rien de monstrueux, bien au contraire. Comme son frère, il pensait que les Syrelles avaient disparu, mais contrairement à lui, il était impatient d’en rencontrer une, de savoir comment leur pouvoir s’exprimait.

Yerik était ainsi. Il aimait les gens, s’intéressait sincèrement à eux, à leurs envies, leurs rêves ou leurs savoir-faire. En chemin, il avait parlé avec des menuisiers, des charpentiers, des fermiers, des aubergistes. Il les avait interrogés sur leurs métiers et tous, sans exception, s’étaient montrés heureux de l’intérêt qu’il leur portait. Ce qu’il avait appris durant ce voyage l’avait passionné, mais cela n’était rien en comparaison d’une Syrelle.

Malheureusement, pour Syrus seuls les sorciers de Barr-Han méritaient un tel intérêt. De plus, il avait été élevé dans la haine de ces femmes qui avaient osé s’attaquer à ses ancêtres et si celle-ci s’en prenait à lui, il n’hésiterait pas à la tuer. Yerik ne pouvait pas le laisser faire. Son frère n’était pas un meurtrier et si, sur un coup de tête, il tuait cette Syrelle, Syrus se le reprocherait toute sa vie. Il devait agir avant que la situation dégénère et que l’un des deux ne commette un acte irréparable.

Lorsqu’il vit Yerik s’approcher, Syrus se précipita vers lui pour le soutenir.

— Où est-elle ? lui demanda-t-il.

— Je sais qu’elle est ici et qu’elle nous observe, mais je ne pense pas qu’elle acceptera de te soigner, lui répondit sèchement Syrus.

— Pourquoi ? Ne lui avons-nous pas sauvé la vie ?

— Si ! Mais c’est une Syrelle et elle préférera sûrement nous voir morts plutôt que de nous aider. Viens, éloignons-nous, je vais m’occuper de toi.

— Non, laisse-moi lui parler.

Syrus aurait préféré invoquer le feu pour punir cette insolente qui refusait de venir en aide à son frère, mais devant le regard suppliant de ce dernier, il capitula et contrôla sa colère.

Yerik ne savait pas où elle se cachait, pourtant elle n’était qu’à un pas de lui et elle l’observait avec curiosité.

— Je sais que les sorciers de Barr-Han et les Syrelles s’affrontent depuis le premier jour, mais peut-être est-il temps d’oublier le passé. C’est arrivé il y a si longtemps et j’avoue ne jamais avoir compris comment tout cela avait commencé. Nos ancêtres étaient à la recherche d’un refuge. Ils n’ont jamais eu l’intention de conquérir ce territoire.

— Ils nous ont agressées dès qu’ils ont posé les pieds sur cette terre ! répondit Milla sans se montrer.

— C’est absurde ! rétorqua Syrus. Les Syrelle les ont attaqués par traîtrise, sans même prendre la peine de les connaître.

— Ils nous ont déclaré la guerre en abattant des arbres et en saccageant notre terre !

— Quoi ? s’exclama Yerik. Tout ça pour des arbres.

— Ils sont sacrés pour nous et avant votre arrivée, la forêt s’étendait à perte de vue. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Je me suis rendu près de Barath il y a quelques années et j’ai pu constater avec horreur qu’elle avait totalement disparu. Et pourquoi ? Pour vous permettre de construire des demeures à l’image de votre arrogance ! répondit-elle avec rage.

— Comment auraient-ils pu le savoir ? lui demanda Yerik avec douceur, pour tenter de la calmer. Les sorciers n’ont pas votre sensibilité. Je ne suis pas comme eux, mais je les connais bien et tu peux me croire, lorsque je t’affirme qu’ils ne perçoivent pas le monde comme vous. Ils n’avaient aucune volonté de vous nuire et sont incapables de comprendre votre réaction.

Yerik faisait un terrible effort pour se tenir debout. Ses forces commençaient à le quitter et son regard se voilait.

— Je t’en prie, j’ai besoin de toi. Je peux te jurer que tu n’as rien à craindre de mon frère et après ce que je viens de te dire, tu dois comprendre que votre querelle est basée sur un malentendu.

— Nous avons tenté de leur expliquer, mais ils n’ont rien voulu savoir, s’obstina Milla.

Elle ne pouvait oublier ses sœurs tuées par les sorciers ni les forêts qu’ils avaient incendiées. Leur pouvoir n’apportait que mort et destruction.

Soudain, Yerik chancela et Syrus le rattrapa avant qu’il s’écroule sur le sol. Il avait perdu beaucoup plus de sang qu’il l’imaginait et ne pouvait pas attendre plus longtemps d’être soigné. Il le souleva dans ses bras pour retourner près des chevaux.

— Je me débrouillerai sans toi, dit-il, à l’intention de Milla. Les Syrelles sont bien les créatures sans cœur que nous ont décrites nos ancêtres.

Elle aurait bien déchaîné sa magie sur cet insolent qui se pensait supérieur à elle, néanmoins, le plus jeune l’avait touchée et elle ne pouvait pas se résoudre à l’abandonner. Elle allait peut-être commettre une grave erreur, mais si elle ne faisait rien, elle se le reprocherait toute sa vie.

Toujours dissimulée dans la végétation, elle les suivit en silence et lorsque le plus âgé s’éloigna en direction des chevaux, elle se rapprocha du jeune homme pour défaire sa chemise.

— Ne le touche pas ! lui ordonna Syrus, lorsqu’il la vit près de son frère.

— Ne veux-tu pas que je le soigne ? rétorqua-t-elle d’un ton sec.

Ils se défièrent du regard durant quelques instants, avant que Syrus lui réponde.

— Je ne te fais pas confiance. Qui me dit que tu ne vas pas le tuer ?

— S’il était un sorcier, je me ferais une joie de l’achever, mais ce n’est pas le cas, aussi je n’ai aucune raison de le haïr.

L’air commença à crépiter et des racines à s’enrouler autour des chevilles de Syrus. Encore une fois, Yerik devait intervenir. Mobilisant ce qui lui restait d’énergie, il saisit le poignet de Milla.