Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
« Elle ne le savait pas encore, mais son évolution était loin d’être terminée... »
Après son aventure à Hodgkin Island, Nina Stinkins souhaitait trouver un équilibre entre son don et la vraie vie.
Alors qu’elle se retrouve une nouvelle fois plongée dans le passé, et que des meurtres affreux se produisent, la jeune femme devenue professeur, pense que son souhait ne se réalisera jamais.
Sa rencontre avec Karan Sharma, psychologue, lui permet cependant d’entrevoir l’espoir de pouvoir vivre sans cette malédiction. Mais en attendant d’en savoir plus, ses visions de cauchemar la précipitent encore une fois au cœur des abysses.
Pour arrêter ces rêves, une seule chose à faire : trouver le responsable des crimes de 1984.
Karan Sharma sera-t-il l’allié que Nina attendait tant ? Sera-t-elle capable de résister à cette nouvelle tourmente ? Ou finira-t-elle par sombrer dans la folie ?
Embarquez dans ce deuxième opus des songes sombres de Nina Stinkins.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Rachelle H. - "Rachelle est professeur des écoles depuis 7 ans.
Son parcours d’auteur commence en CM1 quand elle écrit sa première histoire. Jusqu’à 2015 et l’écriture de son premier roman, Rachelle se perfectionne en écriture grâce aux fanfictions et à des masterclass. Elle a été bercée dès le plus jeune âge par le fantastique, la fantasy et la science-fiction de par son père. Bien qu’elle écrit dans ce monde de l’imaginaire, elle adore lire des romans policiers.
La fiction a toujours été son monde.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 249
Veröffentlichungsjahr: 2024
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Couverture par Miblart
Carte par Ecoffet Scarlett
Maquette intérieure par Ecoffet Scarlett
© 2022 Imaginary Edge Éditions
© 2022 Rachelle H.
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés.
Le code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou production intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
ISBN :9782493845764
http://imaginary-edge.com/
À toi, qui me rends meilleure chaque jour et sans qui le tournant de ma vie n’aurait pas été aussi beau.
Cette nuit-là, la ville était calme. Appuyé contre la baie vitrée, il perdait son regard dans l’immensité de Paradisia. Les lumières des gratte-ciels illuminaient ses yeux absents. Il ne voyait ni les voitures aller et venir sur le boulevard à ses pieds ni les fenêtres des appartements en face de lui s’allumer et s’éteindre les unes après les autres. Il n’entendait ni les sirènes des pompiers ni les cris de son abruti de voisin devant sa télé. Il n’avait d’yeux que pour la nuit et sa noirceur. Il vidait complètement son esprit dans le ciel peu étoilé. Personne n’aurait pu le différencier dans le noir de son appartement d’une sculpture de marbre grecque, les muscles de sa poitrine saillants à l’air libre. Il aimait se perdre ainsi. À vrai dire, c’était sa seule façon d’arrêter le flot d’informations dans sa tête, ne serait-ce que pour une minute. Son sommeil n’était plus une source de liberté depuis longtemps. D’ailleurs, il ne dormait presque plus. Et encore moins de façon traditionnelle. Depuis que le Don s’était révélé à lui enfant, ses rêves n’étaient plus du tout les mêmes. Adieu rêves de pirates et de chevaliers, bonjour morts violentes, de l’antiquité à aujourd’hui. Malgré des années d’études sur la question avec son Hendry, puissant chaman en Afrique, il ne comprenait toujours pas pourquoi ce don existait et d’où il pouvait provenir. Ces mystères restaient à résoudre. Il ne s’arrêterait jamais de chercher. Il avait besoin de savoir. Ce Don lui avait gâché tellement de moments de sa vie. Il lui en avait même arraché, volé, piétiné. Son enfance entre autres. Il voulait comprendre. Il avait appris à le contrôler, à l’utiliser, pour ses fins à lui. Mais cela ne suffisait pas. Malgré cette évolution, il n’avait toujours pas retrouvé la façon de rêver des gens normaux. Sans doute ne rêverait-il plus jamais de la sorte. C’était pour cela qu’il évitait au maximum de dormir plus que nécessaire. Il en avait vécu assez des réveils en sursaut, en sueur, en pleurs, en cris, avec la sensation d’étouffer, d’être poignardé, d’être brûlé vif même. Aujourd’hui, il ne laissait plus le Don s’imposer. C’était lui qui le manipulait à sa guise. Et il lui avait trouvé une application très utile.
Après des années d’errance, il servait désormais à un but précis : lui rapporter du capital. Une enfance en centre pour mineurs lui avait laissé un goût amer de l’argent. Il s’était bien rattrapé grâce à son métier. Il y avait toujours quelqu’un prêt à mettre le prix pour retrouver un objet de valeur, sentimentale ou financière, un trésor caché ou bien une personne disparue. Grâce à ses Rêves, il le pouvait. Plus ou moins facilement suivant les cas. Mais toujours avec succès. Il n’évoluait que dans des sphères restreintes, là où l’argent n’était pas un problème. Il n’avait pas de nom. Seulement un e-mail énigmatique intraçable. Ses rendez-vous étaient toujours dans des lieux publics, éloignés de son chez-lui, où personne ne le connaissait. Ses clients avaient parfois du mal à accepter de faire leur demande aux yeux de tous. Mais ils finissaient toujours par s’y résoudre, la prestation en valait la peine. Sa réputation n’était plus à faire. Il se disait qu’il n’acceptait que les Unionistes. Il se disait qu’un jour, un futur client lui avait fait croire qu’il était originaire de l’Union pour pouvoir l’engager. Il se disait que ce client avait disparu depuis et était resté introuvable. Rien ne prouvait qu’il y avait cause à effet. Mais cela avait suffi à rajouter à son aura.
Il n’avait jamais eu de problème à convaincre ses futurs clients, même au début. Il dégageait un charisme naturel, une suffisance que seules possédaient les personnes qui réussissaient. Personne ne l’avait jamais vu sourire et son regard laissait souvent entendre qu’il pouvait tuer quelqu’un. Cela aidait à ce que personne ne parle de lui en dehors du cercle. La confidentialité devait être réciproque entre l’acheteur et le vendeur pour que le contrat soit conclu. Il aimait ça, réussir, avoir de l’argent. Il aimait avoir un but. Lorsque le Don s’était déclenché, il n’avait que 6 ans. Ses parents avaient d’abord voulu l’aider, mais ils avaient vite lâché l’affaire comme il se le disait lui-même. Ils ne comprenaient pas à l’époque et n’avaient jamais compris. L'homme avait grandi avec l’idée qu’il ne réussirait jamais rien, qu’il n’était qu’un malade mental, qu’il ne serait jamais capable d’avoir une vie normale. Normale. Il avait longtemps voulu être ce gamin sans problème, heureux, avec des rêves d’enfant. Il lui avait fallu du temps pour accepter qu’il n’était pas comme les autres. Mais aujourd’hui, cette différence était pour lui une force. Une force qu’il maîtrisait et grâce à laquelle il avait tout ce qu’il souhaitait. Qui le rendait heureux. Les gens normaux, il les trouvait ennuyeux, sans intérêt. Jamais il ne voudrait plus être comme eux. Il ne pouvait pas dire qu’il était reconnaissant d’avoir ce Don. Mais il l’était de ne pas être une simple fourmi dans la fourmilière du monde. C’était comme s'il avait toujours su qu’il était unique. À sa connaissance, il n’existait pas dans le monde quelqu’un d’autre comme lui. C’était un peu égoïste de ne partager ses talents qu’avec l’Union. Mais c’était sa façon de prendre sa revanche sur tous les partages et les concessions qu’il avait dû faire depuis son enfance. Il décidait. Et il voulait aussi pouvoir profiter de la vie sans parcourir le monde pour les missions qu’il n’aurait pas manqué d’avoir sur toute la planète. Parfois, il aimerait ne pas être le seul, pour pouvoir échanger sur le processus, ne pas effectuer les recherches seul, raconter ses visions et entendre celles de l’autre. Peut-être même, avoir un concurrent, mettant un peu plus de défi et d’adrénaline dans sa vie.
Il soupira et se décolla finalement de la baie vitrée. Sa vie était une bonne vie. Mais il s’avouait parfois qu’il manquait quelque chose. Son existence, pourtant particulière, était presque devenue banale. Métro-boulot-dodo. Enfin, façon de parler. Déjà enfant, il s’ennuyait très vite. Il lui fallait toujours de la nouveauté. Il allait la trouver. Il trouvait toujours. Il mettrait peut-être du temps, mais quand il avait un objectif, il ne le lâchait jamais avant de l’atteindre.
Il s’assit sur le bord de son lit king size, dans sa chambre décorée sobrement, mais avec goût, et soupira à nouveau. Cette lassitude l’envahissait depuis quelque temps déjà. La colère qu’il avait longtemps ressentie et qui le faisait avancer toujours plus loin semblait s’éloigner de lui. Au point que parfois, il ne savait plus pourquoi il vivait. Évidemment, il profitait des femmes avec son charme ravageur, de l’argent, des soirées. Il n’en avait jamais assez de cette vie superficielle auparavant. Cela avait changé depuis quelques semaines. Il récupéra son téléphone portable qui chargeait sur sa table de chevet, en le débranchant d’un geste vif. Il avait un nouvel e-mail sur son adresse cryptée.
— Les affaires reprennent, monsieur Watson !
Il ne savait plus d’où il tenait cette réplique, mais il semblait qu’il la connaissait depuis toujours. Bien que sa vie soit aux yeux de tous superficielle, il n’était pas inculte pour autant. Il aimait beaucoup lire, de grandes œuvres, des essais ou même de la politique. L’imaginaire, très peu pour lui. Un roman récent avait pourtant attiré son attention à sa dernière visite en librairie. Il n’en avait encore lu que la préface.
En ouvrant l’e-mail, il constata qu’il s’agissait bien d’une nouvelle mission. Des cousins qui voulaient retrouver un bijou. Totalement son champ d’expertise. Il leur donna rendez-vous deux jours plus tard, dans un petit café de la banlieue Est de Paradisia. Puis il reposa son téléphone et entra dans ses draps de soie. Il alluma enfin sa lampe de chevet. L’ampoule à faible éclairage n’eut pas d’effet sur lui, après des heures dans le noir. Il prit son nouveau livre sur la table et l’ouvrit au premier chapitre. Sur la couverture, on pouvait lire le titre. La vérité surHodgkin Island.
***
Nina prit son cutter et l’enfonça dans le ruban adhésif du dernier carton. Cela faisait déjà une semaine qu’elle avait pris possession des lieux et il lui avait bien fallu tout ce temps pour ranger ses affaires. Qui aurait cru qu’on pouvait entasser autant dans un si petit appartement ? Aujourd’hui qu’elle possédait une maison, il restait même encore de la place. Elle sortit plusieurs livres du carton et les posa sur l’étagère encore libre de sa deuxième bibliothèque. Ces ouvrages-là étaient précieux : sciences humaines, sciences sociales, psychologie, paranormal, croyances… Tous les sujets qu’elle pourrait aborder dans son nouvel emploi. Deux semaines plus tôt, elle n’aurait jamais cru être déjà si vite de retour à Paradisia. Elle pensait que rien ni personne ne pourrait la dissuader de rester dans sa montagne, dans la quiétude de son chalet. C’était sans compter sur plusieurs facteurs.
***
Deux semaines plus tôt
Tranquillement installée près de la cheminée, Nina reposa son livre sur les croyances primitives sur la table basse et prit la tasse fumante devant elle pour la porter à ses lèvres. L’eau infusée au citron n'eut pas le temps de toucher sa bouche. On avait frappé à sa porte. Personne ne savait où elle se trouvait à part sa meilleure amie Amelia, qui avait juré ne le dire à personne, même sous la torture. Ce devait être un livreur perdu ou un habitant du village en contrebas qui souhaitait un service. Elle se leva, s’approcha de la porte. Elle jeta un œil par la fenêtre adjacente en soulevant le rideau et reconnut immédiatement le fauteur de troubles. Elle hésita à ouvrir la porte sachant pourquoi il était là. C’était évident. Avait-elle envie de l’entendre ? Pourrait-elle l’accepter après tous ces mensonges ? Elle prit une profonde inspiration et jugea qu’elle pourrait au moins le confronter. La jeune femme ouvrit la porte d’un geste décidé.
— Professeur Ramirez.
— Nina. Puis-je entrer ?
Eric Ramirez avait les yeux cernés et le teint fatigué. Il avait fait un certain nombre de kilomètres pour retrouver Nina. Comment d’ailleurs avait-il fait ? Son mentor était plein de surprises. Cela n’avait pas dû être facile, mais il semblait déterminé par la tâche qu’il s’était donnée. La conversation n’allait pas être simple, mais il avait l'air prêt à l’avoir. Contrairement à Nina qui doutait encore.
En réponse à sa question, elle ouvrit la porte entièrement et s’écarta. Il entra et regarda autour de lui le chalet où Nina avait décidé d'élire domicile en se frottant les mains. Il portait pourtant des gants, mais le froid de ce début du mois de janvier dans les sommets infiltrait ses vêtements. Nina l’observa retirer son bonnet et ses gants, les poser sur la table basse et s’approcher du feu. Une fois satisfait par la température de son corps, il se tourna vers Nina, toujours debout devant la porte qu’elle avait refermée. Elle croisa les bras et s’appliqua à lui adresser son regard le plus sévère.
— Je sais pourquoi vous êtes là, Professeur.
— Nina, je t’en prie. J’ai mis du temps à te trouver. Tu peux au moins m’accorder cette conversation.
Il se redressa et Nina interpréta son regard comme une supplication. Ses cheveux grisonnants étaient en bataille et ses vêtements de ski faisaient clairement de lui un touriste. À cette altitude, on était loin des stations de ski et, bien qu’ils aient accepté Nina, les locaux n’étaient pas tendres avec les étrangers. Il avait dû en ce point rencontrer des difficultés à arriver jusqu’à elle.
— Je ne suis pas sûre d’en avoir envie.
— S’il te plaît.
Nina contourna le canapé et reprit finalement sa place. Ramirez prit cette action comme accord et s’installa à l’autre bout. Il voyait bien qu’elle n’osait pas le regarder. Par colère ? Sans doute. Il lui avait fait du mal en lui cachant la vérité. Mais cela n’avait jamais été son but.
— Je cherchais à te protéger.
— Tout ce temps ?! Vous étiez le meilleur ami de mon père biologique avant qu’il disparaisse de ma vie et vous ne vous êtes jamais dit qu’il serait bon que je connaisse la vérité ?!
Cette fois, Nina se tourna vers son mentor. Ses yeux lançaient des éclairs, comme Ramirez s’y attendait. Il savait que la foudre s’abattrait sur lui au moment même où il avait ouvert la bouche.
— Ta grand-mère m’avait fait juré… Je croyais que c’était pour ton bien. Tu sais, je ne le savais pas au début, quand je t’ai rencontrée. C’est plus tard que j’ai compris. Quand j’ai su le nom de ta grand-mère.
La jeune femme pouvait voir la détresse du professeur dans ses yeux. Il ne savait pas comment faire comprendre ce qu’il ressentait et ce qu’il avait ressenti pendant toutes ces années de mensonges. Nina se mura dans le silence.
— J’ai eu maintes fois l’envie de t’en parler. Mais je ne pouvais pas briser la confiance de ta grand-mère. Je la respecte trop pour ça.
— Et moi ? Avez-vous eu du respect pour moi pour me mentir pendant toutes ces années ?
Nina était une véritable snipeuse. Dès qu’un mot se formait dans la bouche de Ramirez, elle le décortiquait et aussitôt, la répartie fusait. Il n’avait pas le droit à l’erreur, il le savait.
— Nina, je suis désolé. Je ne suis pas venu ici pour te convaincre, mais pour essayer de me racheter. J’ai une proposition à te faire.
La jeune femme fronça les sourcils. Elle ne l’avait pas vue venir, celle-là. Elle dut s’avouer qu’elle était curieuse de ce que pensait pouvoir faire Ramirez pour redorer son blason auprès d’elle.
— Laquelle ?
Le professeur d’université prit une profonde inspiration et s’éclaircit la gorge.
— Je ne sais pas où est ton père. Il n’a plus donné de nouvelles lorsqu’il t’a abandonnée à ta grand-mère. Je ne sais pas non plus si tu souhaites le retrouver. Mais si tel est le cas, je suis prêt à le chercher pour toi.
Nina resta sans voix. À ce moment-là, elle ne pouvait prendre de décision. Elle ne s’attendait pas à ce que Ramirez fasse tout ce voyage pour lui proposer une telle entreprise. Voulait-elle vraiment rencontrer son père ? Il l’avait abandonnée sans aucun remords. Et Nina avait déjà un père, aimant, qui avait toujours été présent pour elle. Que pouvait lui apporter Stéphane de plus ? Quelque part, elle avait peur aussi d’être déçue. Quant à son mentor, il semblait avoir beaucoup de ressources, mais parviendrait-il à le retrouver ? La jeune femme ne savait pas si elle pouvait, ou même si elle voulait, lui accorder de nouveau sa confiance. Tant de questions se bousculaient dans sa tête qu’elle fût incapable ce jour-là de lui donner un verdict.
***
Présent
Deux semaines plus tard, elle savait quoi répondre. Elle n’avait pas encore revu le professeur, son retour à Paradisia ayant été mouvementé. Il n’était plus question pour elle de revenir dans son ancien appartement, il ne faisait que faire remonter ses souvenirs d’Hodgkin Island. Et elle avait besoin de tourner la page de sa vie avec Théodore. Elle demanda à son éditrice de l’aider à trouver une maison. Après avoir accepté l’offre de son nouvel emploi, elle réussit à obtenir un prêt pour acquérir son nouveau chez-elle. Par chance, la maison était déjà vide de ses occupants et Nina put très vite obtenir les clés. Le temps de déménager ses affaires de l’appartement et de rendre la maison acceptable à vivre, elle avait passé une longue semaine chez ses parents. Elle savait dorénavant qu’ils n’étaient que ses parents adoptifs, mais pour Nina, cela n’avait rien changé. Elle les aimait comme une fille aimait sa mère et son père. Cependant, quand on a 25 ans, retourner chez papa-maman n’est pas chose aisée et Nina avait hâte de retrouver son indépendance et pour la première fois, la joie d’être propriétaire.
Sa nouvelle maison se situait au 412 avenue Sigmund Freud. La jeune femme avait trouvé cocasse de s’installer dans une rue portant le nom d’un éminent psychiatre en étant diplômée de sociopsychologie. Une sorte de blague privée que ne pouvaient comprendre que ses anciens camarades de promo. La maison était localisée dans un quartier pavillonnaire, pas trop éloignée du centre-ville, mais suffisamment pour ne pas avoir les désagréments qui lui étaient liés. Parmi ses voisins, Nina avait pu apercevoir des couples nouvellement accompagnés d’enfant ; des couples de personnes âgées ; des familles monoparentales et des couples sans enfant. Nina avait peur de faire tache, toute seule, célibataire et sans enfant. Mais ce qu’elle recherchait surtout, c’était le calme et des voisins sans trop d’histoires pour agiter ses nuits. La maison était restée longtemps sur le marché sans que la jeune femme ne sache pourquoi. Mais cela avait arrangé ses affaires : la vente puis son installation avaient pu se faire très rapidement, les anciens propriétaires étant pressés de s’en débarrasser.
C’est ce qui avait été le plus dur en revenant à Paradisia : retrouver les Rêves, ses visions insupportables qu’elle ne pouvait contrôler et qui lui rendaient le sommeil douloureux. Au chalet, vivant en ermite, les visions s’étaient presque tues. Le bouillonnement de la vie citadine les avait fait revenir. Nina se devait de l’accepter. Elle avait ce Don, c’était ainsi. Elle devait trouver comment s’en servir à bon escient et surtout arriver à le contrôler. Ses recherches se poursuivaient, car malgré des centaines d’heures, elle n’avait trouvé que peu d’informations et encore moins de personnes pour la renseigner concrètement. C’était comme si ce Don n’avait jamais existé chez personne d’autre. Certaines croyances, cependant, avaient parfois des similitudes avec ce que Nina vivait depuis quelques mois. C’était sur ce point qu’elle devait creuser.
Pour le moment, sa préoccupation principale était de tout terminer à temps pour son premier repas de famille en tant qu’hôtesse et propriétaire. Elle plia le carton vide et descendit le ranger au garage. Il lui restait encore deux heures et demie pour finir de préparer le déjeuner, dresser la table et se pomponner. Nina était rarement coquette, plaire n’ayant jamais été un objectif. Mais depuis sa vie avec Théodore sur Hodgkin Island, son avis avait quelque peu évolué sur le sujet. Nina devenait une vraie femme, prenant soin d’elle, choisissant méticuleusement sa tenue, prenant même le temps de se maquiller légèrement. C’était un changement radical pour la jeune femme qui en entraînait un autre. Après avoir finalement vécu une histoire d’amour, si ce n’est en réalité, au moins dans le cœur, Nina commençait à se dire qu’être en couple n’était peut-être pas si inutile. Elle ne recherchait rien, mais si une rencontre devait se produire, elle ne la refuserait pas. Que de changements dans sa vie depuis ce séjour étrange! Il y avait du bien et du moins bien, mais il était limpide que la vie de Nina avait changé. Elle ne le savait pas encore, mais son évolution était loin d’être terminée.
La nuit était bien avancée lorsque la jeune femme se retrouva devant sa porte d’entrée. Seul le lampadaire de la rue devant chez elle illuminait son visage ainsi que celui de la personne qui l’accompagnait. Nina esquissa une tendre caresse sur sa joue, un sourire aux lèvres. Il était difficile pour elle d’analyser ce que l’autre pensait à ce moment-là, l’expression de ses traits ne trahissant rien. Mais la jeune femme était convaincue que si cette autre créature était là, c’est qu’elle le désirait. Cela faisait longtemps que Nina n’était pas sortie dans un bar pour essayer de rencontrer quelqu’un. Depuis que son mari était parti avec cette salope de caissière, elle ne se sentait pas prête à assumer sa vie. Ses parents leur ayant acheté la maison, Nina avait pu la garder et c’était un tracas de moins. Mais y faire venir quelqu’un d’autre lui procurait une émotion étrange. Elle était à la fois excitée par ce pas en avant, mais aussi perturbée par ce sentiment de culpabilité qu’une petite voix dans sa tête n’arrêtait pas de lui rappeler. Devant le joli minois de son partenaire, elle oublia vite ses réticences. Enfin, elle pouvait être qui elle était, assumer sa vraie personnalité. Elle n’était peut-être pas prête à annoncer qu’elle souhaitait refaire sa vie ainsi, mais ce soir, rien n’importait d’autre que les yeux bleus magnifiques qui la transperçaient.
Nina enfonça enfin la clé dans la serrure et ouvrit la porte d’entrée. Elle fit un pas dans la maison, ôta son manteau qu’elle accrocha à la patère du vestibule et jeta un œil rapide dans le miroir en pied qui se dressait derrière la porte. Ses collants roses n’étaient pas filés, elle réajusta rapidement le nœud de son bandana dans ses cheveux et remit sa ceinture rose en place sur sa tunique noire. Elle avait osé ce soir-là et le poisson avait mordu. Toujours souriante, elle s’apprêtait à se retourner quand elle sentit dans le dos une douleur aiguë. Elle entendit la porte se refermer derrière son accompagnateur quand elle s’aperçut que la douleur ne passait pas. D’une main tremblante, elle tenta de trouver l’origine de ce mal en tâtonnant son dos. Elle sentit un liquide imprégner progressivement sa tunique lorsqu’un autre coup lui fut porté. Nina comprenait peu à peu ce qu’il lui arrivait, la panique envahissant son être. Lorsque le troisième coup entailla son dos, elle sut qu’une lame la transperçait. Les coups se firent plus rapprochés au fur et à mesure que Nina se recroquevillait sur elle-même vers le sol qui s’approchait rapidement. Elle voyait son sang se répandre sur le tapis à ses pieds, ce tapis que Nick avait choisi comme cadeau de mariage. Elle ne l’avait jamais aimé et mourir dessus lui donnait la nausée. Ou bien était-ce à cause de tout le sang qui s’échappait de son corps? La tête lui tournait et elle avait de plus en plus de mal à penser. D’ailleurs, elle ne réfléchissait plus. Dans son esprit, elle ne contrôlait plus rien. Elle essaya de se concentrer sur sa respiration qui était de plus en plus saccadée. Elle sentait ses forces l’abandonner. Ses jambes ne la tinrent bientôt plus et elle s’écroula finalement sur le tapis.
Nina tenta de voir de nouveau le visage de la personne qui l'assassinait pour essayer de comprendre pourquoi. Mais c’était trop tard. Bien qu’elle levât les yeux vers elle, Nina ne voyait plus rien que du flou qui s’assombrissait à vitesse grand V. Elle crut déceler un sourire sur le visage de son meurtrier. Le cœur de Nina ne battait quasiment plus lorsqu’elle se réveilla dans son lit tout neuf du 412 avenue Sigmund Freud à Paradisia.
***
Le lendemain matin, les talons de Nina résonnaient sur le carrelage du hall de l’université de Buade. Bien que légèrement perturbée par son rêve de la nuit, la jeune femme se sentait sereine. Elle avait tellement arpenté les couloirs de l’université en jeans et en baskets quelques mois encore auparavant, que revenir en robe tailleur noire et en talons marquait un réel changement. Son statut même avait changé. Elle n’était plus la jeune étudiante obsédée par sa réussite aux examens. Elle était à présent une femme qui entrait dans le monde professionnel.
Nina se rappelait très bien le jour où elle avait reçu ce mail du doyen qui lui offrait un emploi, c’était le lendemain de la venue d’Eric Ramirez au chalet. La jeune femme, qui dorénavant croyait à l'existence du destin, y avait vu un signe. Elle avait alors plusieurs raisons de revenir à Paradisia et elle avait pris conscience qu’elle ne pourrait se terrer et échapper à la vie indéfiniment. Ce Don, quel qu’il soit, ne pouvait pas l’empêcher de réaliser ses rêves et de devenir la personne qu’elle était censée devenir. Et ce poste à l’université était ce qu’elle avait toujours désiré. Elle savait que c’était une chance incroyable que d’avoir une place comme celle-ci, dans une université si prestigieuse, à seulement 25 ans. Le doyen lui faisait confiance. Il fallait dire que sa thèse avait été très bien accueillie dans le monde universitaire. Et, sans doute, Eric Ramirez avait dû finir de convaincre le doyen. Nina n’allait pas s’en plaindre. Elle avait décidé de faire un effort avec son mentor. Il était tellement important dans sa vie, qu’elle ne pouvait pas le laisser sur la touche, même après des années de mensonges. Mais il allait devoir ramer pour se faire pardonner.
Nina passa devant le buste en bronze de Louis de Buade et le salua d’un signe de tête. Elle s’amusa de son geste. Louis de Buade avait été un pionnier de l’Union. Il était né en France avant de venir installer une colonie dans ce qui s’appelait encore le Nouveau Monde. Cette colonie avait pris le nom du Paradis, car c’est ce qu’était ce continent pour Louis de Buade. Les fondations de la colonie furent solides à tel point qu’elle ne céda jamais aux Anglais. Beaucoup d’hommes de Paradisia se battirent au côté de Louis de Buade afin que le nord de l’Amérique devienne la Nouvelle-France, puis l’Union, après son indépendance avec la France. Lorsque l’université avait été créée, il avait été logique de lui donner le nom de ce grand homme qui avait tant fait pour la ville, mais aussi pour le pays. Il était mort avant la guerre d’indépendance, à l’âge de 76 ans. Cette statue signifiait surtout que l’amphithéâtre B4 n’était pas loin. Nina ouvrit doucement la porte, sans savoir si un cours s’y déroulait. Par chance, le lieu était vide. Elle descendit prudemment les marches, peu habituée encore à marcher avec des talons, et s’arrêta devant la porte du bureau de son mentor. Elle inspira profondément et frappa.
La voix rauque de Ramirez lui répondit d’entrer. Le professeur était assis derrière son bureau, son assistante Sheryl debout à ses côtés. Tous deux levèrent la tête en simultané pour observer la nouvelle venue. Et Nina fut amusée de voir quatre yeux comme des ronds de flan. Sheryl la regarda rapidement de haut en bas. Son nouveau look ne passait pas inaperçu.
— Nina ?!
— Bonjour Professeur, bonjour Sheryl.
La jeune femme resta debout, tenant la mallette contenant son ordinateur, les mains croisées devant elle. Un ange passa et avec lui un silence qui sembla durer plusieurs minutes. Sheryl fut la première à reprendre ses esprits.
— Professeur, nous verrons ça après. Je... Je vous laisse.
La jeune femme passa à côté de Nina en lui adressant un léger sourire et sortit. L’ex-étudiante s’avança devant le bureau, posa sa mallette sur une chaise et s’assit sur l’autre. Ramirez la fixait toujours. Un sourire se dessina sur son visage.
— Tu es sublime.
— Merci.
Nina essaya de se montrer froide et professionnelle. Elle lui en voulait encore, c’était évident. De tels mensonges laissaient des traces qu’il n’était pas facile d’effacer. Cependant, elle était prête à faire un pas vers lui.
— Alors…
— Je viens faire ma première conférence.
La jeune femme observa l’effet de sa phrase sur Ramirez. Il n’eut pas l’air étonné. Au contraire, il sourit de nouveau.
— Félicitations. Je savais que tu avais accepté l’offre du doyen, mais je n’étais pas sûr que tu passes me voir…
— J’ai réfléchi à votre offre. Celle de retrouver mon père.
Nina inspira profondément avant de poursuivre. Ramirez l’écoutait attentivement, les mains croisées sur son bureau.
— Je l’accepte. Si elle est toujours valide bien sûr.
— Absolument !
Son mentor avait l’air ravi. Cet enthousiasme mit Nina mal à l’aise. Leur relation ne pouvait pas encore redevenir comme avant. D’ailleurs, ce ne serait sûrement pas possible. Elle lui pardonnerait. Sûrement. Mais pas encore.
— Pour le moment, je ne veux rien savoir. Trouvez-le, parlez-lui et ensuite, je reviendrai vous voir. Suivant les informations que vous me donnerez, je déciderai de la suite. Marché conclu ?
Elle avança sa main ouverte. Son visage ne montrait rien. Cette imperceptibilité contraria Ramirez. Il ne l’avait pas vue pendant plusieurs semaines, sans aucune nouvelle. Et aujourd’hui, il semblait avoir un robot sans cœur devant lui. Ce n’était pas la Nina qu’il connaissait. Il se sentait idiot d’avoir cru que tout redeviendrait normal au moment où la jeune femme serait de retour à Paradisia. Eric Ramirez prit sa main dans la sienne et la serra doucement en plongeant ses yeux dans le regard de Nina.
— Marché conclu.
Nina soupira. Une bonne chose de faite. Elle avait réussi à être ferme sur ce qu’elle voulait. Tellement que Ramirez n’avait rajouté aucune condition. Elle s’était attendue à plus de combativité de sa part. Mais elle était ravie que l’entretien se soit passé aussi simplement. Elle se leva, lissa sa robe et récupéra sa mallette après un coup d’œil à sa montre.
— Je dois vous laisser. Je vous dirai bien de ne pas venir dans le public, mais vous allez venir quand même, n’est-ce pas ?
Il lui sourit en levant les yeux vers elle. Il n’avait pas à en faire plus. Nina le connaissait bien et avait bien cerné sa décision. Mais il lui laissait un peu d’avance. Sans un mot de plus, la jeune femme sortit du bureau, remonta les marches pour sortir de l’amphithéâtre B4 et se diriger vers le B6.