Le cycle des âmes - Tome 1 - Rachelle H. - E-Book

Le cycle des âmes - Tome 1 E-Book

Rachelle H

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Couverture par Miblart

Carte par Ecoffet Scarlett

Maquette intérieure par Ecoffet Scarlett

© 2022 Imaginary Edge Éditions

© 2022 Rachelle H.

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés.

Le code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou production intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

ISBN : --

Table des matières

PROLOGUE

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Remerciements

ÀFabrice et Catherine, mes parents, qui de là-haut dans les étoiles, ont continué de m’inspirer et le feront toujours.

PROLOGUE

2008

L

e soleil était sur le point de se coucher quand Stan et Clara accrochèrent leur barque au ponton de bois qui symbolisait l’entrée de l’île. Stan aida Clara à descendre et ils prirent un instant pour observer ce qu’ils voyaient dans les derniers rayons du jour. Le paysage était à la hauteur de leurs espérances. Ils échangèrent un regard satisfait et un sourire qui en disait long, puis Clara partit d’un pas décidé et Stan la suivit en remontant son sac à dos sur son épaule. Leurs pieds crissèrent sur le chemin de pierres blanches qui roulaient sous leurs pas. L'homme d'une trentaine d'années se demanda s’il devait commencer à filmer dès maintenant. Sa femme lui indiqua qu’il était encore trop tôt pour ça, comme si elle avait lu dans ses pensées. Il y avait tellement à voir sur cette île, qu’ils ne savaient pas vraiment par où commencer. Ce qui était certain, c’est qu’ils sentaient la mort planer.

Stan frissonna. Aucun animal ne se promenait gaiement, les chants des oiseaux se faisaient timides et il commençait déjà à faire froid. Clara alluma la première sa lampe frontale. C’était elle la meneuse, c’était elle qui avait lancé leur projet de vidéos sur Internet, elle qui avait eu les idées pour attirer les amateurs, pour trouver les lieux, pour faire vivre la peur. Stan, lui, se contentait de la suivre et de filmer. Mais cela ne le dérangeait pas. Il n’avait jamais eu une âme de leader, il était juste heureux de pouvoir se rendre utile dans l’entreprise de la femme de sa vie. Clara était toujours excitée lorsqu’ils préparaient leurs projets et elle réservait toujours à Stan de bons moments de vie conjugale. Et puis, il aimait la voir ainsi, après ce qu’elle avait vécu par le passé... Son obsession de la mort ne datait pas d’hier et, bien que Stan ne la comprenait pas lors de leurs premiers mois ensemble, aujourd’hui, il ne pouvait qu’être fier de ce qu’elle en avait fait. Clara avait perdu son père très jeune dans un accident de voiture. Il était mort sur le coup et sa mère en avait été dévastée. Elle avait sombré dans l’alcool et la dépression, laissant Clara s’occuper seule d’elle-même, mais surtout de son petit frère. Leur mère avait fini par se suicider, Clara l’avait retrouvée pendue dans le garage. Encore une mort brutale d’un proche auquel elle n’avait pas pu dire au revoir. Clara avait dix-sept ans et le juge lui avait accordé le statut d’adulte indépendant pour veiller sur son frère qui en avait quinze. Elle enchaîna les petits boulots, travaillant d’arrache-pied pour permettre à Alban de ne manquer de rien.

Clara était toujours active pour ne pas penser à la mort qui, selon elle, rôdait en permanence autour de sa famille. Elle n’avait, semble-t-il, pas tout à fait tort. Alban obtint une bourse pour ses talents au football et entra à l’université. Mais lors d’un de ses premiers matchs universitaires, un choc à la tête le plongea dans le coma. Peu de temps après, les médecins le déclarèrent en mort cérébrale et Clara dut prendre la décision de le débrancher. Cette fois, elle eut le temps de lui dire adieu. Mais quand la personne que vous aimez le plus, le seul membre de la famille qu’il vous reste, ne peut pas répondre à vos témoignages d’amour, quand vous ne savez même pas s’il vous entend, s’il vous comprend, c’est d’une frustration sans borne. Clara était alors au bord du gouffre et ce fut sa rencontre avec Stan qui l’avait sauvée. Elle avait cette obsession, ce sentiment que les morts étaient toujours là, qu’ils ne disparaissaient jamais complètement et qu’on pouvait trouver leur trace dans les lieux où ils avaient connu la mort, surtout s’il s’agissait de morts violentes et brutales. Et de cette idée, ils avaient créé leur site : Les esprits de Clara et Stan.

Clara poussa le portail en fer forgé et pénétra parmi les tombes. Stan sortit sa caméra et commença à filmer, les mains moites. Elle se tourna face à la caméra et fit son petit laïus d’introduction sur le lieu qu’ils allaient découvrir avec les spectateurs. De quoi les allécher. Ils ne pouvaient clairement pas visiter l’île en une nuit et il leur fallait rester à un endroit suffisamment de temps pour que les esprits puissent s’habituer à leur présence puis se manifester.Ils décidèrent alors d’aller directement dans les ruines du vieil hôtel, une fois leur visite du cimetière terminée. Dans le hall, l’atmosphère semblait encore plus macabre. Un nouveau frisson parcourut le dos de Stan. Le froid était bien plus piquant à l’intérieur. Depuis dix ans qu’ils arpentaient ce genre de lieux, vides de vie, ils ne ressentaient plus vraiment la véritable peur, l’adrénaline pure. Pourtant, ici, les vestiges d’une époque révolue et l’histoire tragique de l’île plongèrent le couple dans une nervosité qu’ils n’avaient pas ressentie depuis leur début.

Stan continuait à filmer Clara qui commentait ce qu’elle voyait, observant chaque détail, chaque meuble, chaque poussière. Ils montèrent les étages, analysant chaque chambre. Ils furent surpris de constater qu’une des chambres semblait fermée à clé, mais ils n’insistèrent pas, il y avait bien d’autres choses à voir dans cet endroit. Clara était trop pressée, le sol grinçait sous ses pas et Stan n’arrivait pas à la suivre. Il était encore dans une chambre à l’étage inférieur, que Clara était déjà au dernier étage. Il n’y avait que deux grandes chambres dans les hauteurs. En arrivant sur le seuil, Stan constata que celle de gauche était ouverte. Tout en continuant à filmer, il entra à son tour et remarqua que Clara se tenait dos à lui, au milieu de la pièce. Elle était parfaitement immobile et ne parlait plus. Stan sentit que quelque chose clochait.

— Clara ? Tout va bien ?

Il avança prudemment, la caméra toujours à la main. Quand il fut suffisamment près pour voir son visage, il s’aperçut que Clara avait le regard vide, fixé sur quelque chose que Stan ne voyait pas. Son corps tout entier tremblait et Stan sentit une drôle d’odeur qu’il n’avait pas sentie jusqu’alors. La nervosité qu’il ressentait en entrant dans le bâtiment se transforma en peur extrême. Il resta comme paralysé. C’est alors qu’il observa Clara prendre le couteau suisse dans sa poche, celui qui ne la quittait jamais, et la vit le planter directement dans son œil droit. Stan lâcha aussitôt la caméra, qui continua à filmer sur le sol. Une odeur de rouille envahit l’air, cette odeur caractéristique du sang, et le liquide rouge se mit à couler de la blessure de Clara. Stan se précipita sur la jeune femme pour l’empêcher de commettre le même acte sur son œil gauche, mais elle semblait avoir une force surnaturelle. Elle le repoussa violemment et il tomba à terre, soulevant un nuage de poussière. Quand il releva la tête, le mal était fait. Clara s’effondra sur le sol et continua de se vider de son sang.

L’île avait fait une nouvelle victime.

Chapitre 1

P

aradisia Herald

Un peu d’Histoire pour les 240 ans de l’Union !

Souvenez-vous.

Avant d’être l’Union telle que nous la connaissons, il a fallu du temps et de nombreux heurts. À partir de 1565, les colons français investissent un nouveau continent baptisé Amérique. Cependant, ils ne sont pas les seuls à être attirés par ce territoire. Les principaux concurrents des Français à la conquête de l’Amérique du Nord sont alors les colons britanniques. Malgré des conflits réguliers, les Français parviennent à créer, de façon durable, seize colonies (représentées par les étoiles sur notre drapeau national). Après des années de batailles, les Français prennent le pas sur les Anglais qui finiront par abandonner le territoire de l’Union actuelle, de la frontière mexicaine à la baie d'Hudson et la mer du Labrador.

Les colons et leurs descendants, une fois débarrassés des Britanniques, se montrent progressivement hostiles à la souveraineté du Royaume de France sur leur territoire. Il est vaste avec des colonies bien implantées et une agriculture ainsi qu’un commerce florissant. Menées par Gilbert de Motier, marquis de La Fayette, les colonies se rebellent alors contre la France, qui est obligée d’envoyer des soldats se battre sur ces terres lointaines. Après plusieurs défaites, la France finit par capituler. L’union des seize colonies forme à partir de 1775 un nouveau pays indépendant dont La Fayette devient le premier président.

Aujourd’hui, sans renier ses origines françaises qui exercent toujours une forte influence, l’Union se démarque par une politique progressiste, une avancée dans les technologies de pointe et un mode de vie unique.

Qu’il fait bon vivre dans la démocratique Union !

Martin Ardwel, unioniste convaincu

***

2015

Nina tapotait nerveusement son stylo sur le rebord de son cahier à spirales d'une main et se mordillait les ongles de l'autre. La tension était palpable dans cette salle aux murs ternes. Les petits gestes des quatre autres étudiants présents le montraient bien : Jessica tapait du pied à un rythme effréné, Manuel s'humectait les lèvres toutes les trente secondes, Edward dessinait frénétiquement sur sa feuille et Kraig mâchouillait fermement un chewing-gum dans sa bouche. Ce qui allait se passer dans quelques minutes déterminerait le restant de leur vie.

Le professeur Ramirez entra enfin dans la pièce, un carnet de notes à la main. Il s’assit au bureau en face de ses étudiants et testa leur détermination du regard. La plupart détournèrent ou baissèrent les yeux, mais pas Nina. Elle sourit. Elle connaissait Eric Ramirez depuis longtemps, c’était un des rares professeurs qui s’était donné la peine de venir à la soirée de présentation des nouveaux étudiants de sociopsychologie. Il avait alors dit à Nina qu’il aimait ce genre de réception, mais les rumeurs disaient surtout qu’il ne venait que pour approcher les élèves dont le parcours l’intéressait et qu’il jugeait les plus prometteurs. Nina avait été de ceux-là. Et au fil de ses années d’études, Ramirez était devenu plus qu’un simple professeur : un mentor et parfois même un père spirituel. Nina adorait son père, bien sûr, celui qui l’avait élevée et aimée, mais la jeune femme avait toujours eu besoin d’être stimulée intellectuellement et ce que lui avait fourni son père n’avait pas été suffisant. Elle partageait avec son professeur des valeurs communes et une relation qui lui avait permis de pleinement s’épanouir en utilisant tout son potentiel dans ses études.

L’homme d’une cinquantaine d’années, les cheveux commençant à tendre vers le poivre et sel, un visage et des expressions trahissant une jeunesse mentale et une personne très active, parla enfin :

— Bonjour à tous. J’espère que vous êtes en forme, prêts pour l’aventure de votre vie. Est-ce que quelqu’un peut me rappeler la problématique de votre thèse ?

Nina leva immédiatement la main pendant que les autres s’échangeaient des regards apeurés.

— Stinkins ?

— Comment les théories et les faits hasardeux peuvent infliger des troubles psychiques et psychologiques dans des lieux abandonnés, dits hantés ? 

— Merci. Vous avez tous la même problématique, ce qui, j’en suis conscient, ne vous facilitera pas la tâche. Ma sélection sera donc très exigeante. Deux d’entre vous seulement verront leur thèse approuvée et publiée, ainsi que leur doctorat validé. Les autres devront repartir pour une année et travailler sur une autre thèse. Jessica Thompson, pouvez-vous me dire ce que j’attends de vous pour réussir cette thèse ?

Jessica sursauta légèrement en entendant son nom, puis bredouilla la réponse que le professeur Ramirez attendait :

— Eh bien... Je... Nous... Nous devons nous rendre seuls dans un de ces lieux abandonnés et prouver que nous ne sommes pas affectés par les... enfin... que nous n’avons aucune hallucination ou aucun trouble psychique même en connaissant les rumeurs sur l’endroit et les incidents qui ont pu s’y produire.

— Bien, c’est clair pour tout le monde, j’imagine ? Est-ce que l'un d'entre vous pense que vous n'êtes que des cobayes et souhaite reculer ?

Nina jeta un coup d'œil rapide à ses camarades. Aucun ne broncha. Ils avaient tous conscience de ce qu'on leur demandait et ils en avaient accepté les termes il y a déjà longtemps.

— Bien. Nous pouvons passer à la suite. Vous allez me donner le lieu que vous avez choisi et je vais le noter dans ce petit carnet.

Il désigna le carnet du menton, l’ouvrit et appuya sur son stylo. Les étudiants échangèrent de nouveau quelques regards en biais. La compétition était bien présente et aucun ne connaissait le lieu choisi par les autres pour cette drôle d’expérience, chacun craignait de se faire voler son premier choix.

— Thompson, on commence par vous.

Jessica garda la tête baissée sur ses notes pendant quelques minutes sans un mot. Elle voulait être sûre d’avoir bien choisi et de ne pas regretter sa décision. Une fois convaincue, elle leva le visage avec une assurance nouvelle pour répondre au professeur.

— J’ai choisi l’hôpital psychiatrique de Bernac, au sud du pays.

Manuel Mendes soupira et barra vigoureusement son carnet de notes. L’Argentin avait visiblement choisi l’hôpital de Bernac au sommet de sa liste lui aussi. Il devrait se contenter de son second choix.

— Je sais parfaitement où se trouve Bernac, mademoiselle Thompson, merci. Mendes ?

— Je prends le complexe militaire de San Corlodo, répondit Manuel, non sans amertume.

—Je prends note que ce n’est pas votre premier choix, Mendes. Carlyle ?

Edward Carlyle tourna et retourna une feuille remplie de notes comme s’il hésitait encore. Visiblement, il avait recueilli beaucoup d’informations sur deux lieux et semblait avoir du mal à choisir celui qui lui permettrait le mieux de réussir. Il se décida finalement après quelques minutes.

—Pour moi, ce sera l’hôtel Montadora.

— Choix très intéressant, monsieur Carlyle, espérons qu’il vous porte chance. Monsieur Pavlov ?

— Le parc d’attractions Cool zone de Majani, répondit Kraig Pavlov d’un ton assuré, à travers ses mastications.

—Pas d’hésitation, parfait. Il ne reste plus que vous, mademoiselle Stinkins.

Nina arrêta enfin de tapoter son stylo. Elle le posa délicatement sur son cahier et leva les yeux, droit sur Ramirez. Il ne la regardait pas, le stylo en main, toujours prêt à noter. Nina était sûre d’elle et elle n’eut besoin que de deux mots pour ébranler les cinq autres personnes de la salle.

— Hodgkin Island.

Ramirez laissa un instant son stylo en suspens avant de le poser sur le bureau et de relever ses yeux bleus lentement vers Nina. Il semblait vouloir s’assurer que ce n’était pas une plaisanterie. Il sonda sa jeune étudiante du regard. Une fois qu’il fut sûr que Nina ne plaisantait pas, une lueur de frayeur passa dans ses yeux. Les quatre autres étudiants avaient arrêté toute conversation et dévisageaient tour à tour Nina et Ramirez. Nina ne put empêcher un léger sourire de se dessiner sur son visage. Elle s’était bien doutée que son annonce ferait l’effet d’une bombe. Ce fut le cas.

— Hodgkin Island ? répéta Ramirez.

—Exactement.

—Hodgkin Island.

—Oui, professeur.

—Votre choix est-il mûrement réfléchi, mademoiselle Stinkins ?

— Je n’ai jamais été aussi sûre de moi, professeur. Il y a, sur cette île, plusieurs types de bâtiments, alors que mes camarades n'en auront qu'un seul à disposition. C’est le lieu parfait pour expérimenter notre problématique. Je suis déjà persuadée de la réponse... Rien ne se passera sur cette île. Absolument rien. Je ne veux pas passer à côté, monsieur. C’est mon challenge, c’est le lieu de ma consécration et, avec tout le respect que je vous dois, professeur Ramirez, je n’y renoncerai pas.

Éric Ramirez scruta la jeune femme et testa du regard sa détermination. Ils s’affrontèrent ainsi pendant plusieurs minutes, les autres retenant leur souffle et pensant tous que Nina était folle, à n’en pas douter. Mais sa décision était à la mesure de son ambition. L’étudiante semblait lire quelque chose d’autre dans le regard de son professeur. Il s’inquiétait vraiment pour elle. Plus peut-être qu’un simple mentor n’aurait dû le faire. Après un temps qui parut une éternité, le professeur de sociopsychologie ouvrit enfin la bouche, sans quitter Nina des yeux :

—Vous pouvez partir. Vos lieux de recherche sont approuvés. Vous pourrez demain après-midi récupérer toutes les autorisations que l’université peut vous fournir au secrétariat central. Stinkins, dans mon bureau, maintenant !

Les camarades de Nina passèrent à côté d’elle en sortant de la salle. Certains lui sourirent d’admiration, d’autres lui donnèrent des encouragements. Elle attendit qu’ils soient tous sortis pour suivre le professeur Ramirez jusqu’à son bureau, accolé à la salle de cours. Elle salua d’un signe de tête son assistante qui en sortait et entra après lui.

— Asseyez-vous, ordonna-t-il avant de lui-même prendre place dans son fauteuil.

—Monsieur, je ne renoncerai pas. Je vous assure, c’est...

— Mademoiselle Stinkins, l’interrompit-il. J’ai bien pris note de votre détermination et je ne remets absolument pas en cause vos motivations, mais Hodgkin Island... Savez-vous que, depuis cinq ans, les autorités sont très restrictives sur les séjours là-bas ?

Nina fit la moue. Elle n’était pas au courant de cette donnée qui allait sans aucun doute compliquer sa tâche. Ramirez poursuivit :

—De plus... Enfin, Nina, vous connaissez l’histoire de l’île. Vous savez le nombre de morts qu’il y a eu là-bas… Êtes-vous vraiment prête à risquer votre vie ?

Nina inspira bruyamment pour se donner du courage. 

— Professeur. Tout ira bien ! Je suis convaincue que cette île n’est pas maudite ! Les lieux hantés, ça n’existe pas ! Ces morts… Elles ont été expliquées. Et puis ceux qui y sont morts sont morts. C’est le lieu idéal pour mes recherches, et celles-ci… eh bien, c’est toute ma vie, et vous le savez. Donc oui, professeur, je suis prête à risquer ma vie sur Hodgkin Island.

Chapitre 2

N

ina posa un pied sur le sol ferme en tanguant légèrement. Après avoir quitté Paradisia et subi 4h30 de transport incluant 3h de train et 1h30 de bus, la jeune femme se sentait nauséeuse. Son mal des transports l’avait encore prise de court. Avec l’âge, elle pensait être immunisée, mais il n’en était rien. Elle ferait davantage attention à sa place dans le bus au retour. En étant devant, elle aurait évité le plus dur. Elle inspira une grande bouffée d’air, essuya d’un geste son front trempé de sueur et récupéra ses bagages dans la soute du bus. Elle était enfin arrivée à Hosty.

La jeune femme redressa son sac à dos de randonneur et se mit à tirer sa valise bien remplie dans les petites rues du village. Clairement, Hosty était l’archétype de la bourgade de pêcheurs datant de l’ancien temps. Les rues étaient étroites, beaucoup de maisons semblaient abandonnées et en décrépitude totale. Quelques barques et petits bateaux à moteur traînaient çà et là sur le bord de la rive, mais les vraies embarcations de pêche semblaient avoir disparues depuis bien longtemps. Nina s’était un peu renseignée sur le lieu afin de savoir si elle pourrait loger quelque part pour la nuit avant son départ pour Hodgkin Island. Le village ne comptait pas plus de deux mille habitants, répartis sur quelques kilomètres carrés. Pendant qu’elle marchait, la jeune femme remarqua de vieux marins l’observer du seuil de leur porte ainsi que quelques vieilles femmes derrière leurs fenêtres. La moyenne d’âge était de soixante-cinq ans à Hosty. Ceux qui restaient étaient pour la plupart d’anciens pêcheurs pour qui la retraite n’était pas dorée. Les actifs présents n’avaient pas un sort plus favorable, ils étaient soit chômeurs soit à pêcher un peu de poisson, dans la limite de leur pauvre moyen matériel. Au fur et à mesure que Nina avançait, elle se sentait épiée de toutes parts. Vraisemblablement, les habitants d’Hosty n’avaient pas l’habitude de recevoir d’étrangers. Un léger sourire en coin se dessina sur le visage de la jeune femme : ce village serait un thème de sociologie et d’anthropologie très intéressant.

Nina déambula un moment dans les ruelles avant de trouver le bar d’Hosty. C’était le seul endroit public du village et il se disait que la gérante avait une chambre à louer. Enfin devant le bâtiment, Nina prit le temps d’observer la façade en reprenant son souffle. La peinture s’écaillait et l’enseigne avec le mot « BAR » semblait n’être suspendue que par un fil. La jeune femme prit son courage à deux mains et poussa la porte légèrement poisseuse. Un regard rapide autour d’elle en entrant lui indiqua que l’endroit n’était pas aussi infâme qu’elle l’avait d’abord pensé de l’extérieur. Elle entra dans une petite salle plutôt propre et qui sentait bon le jasmin. Il y avait quelques tables, une télévision dans un coin et le bar en lui-même à sa gauche. Les murs étaient en bois et donnaient un semblant de chaleur à l’endroit. À cette heure-ci, le bar était encore désert et Nina en fut reconnaissante. Elle s’avança, traînant sa valise derrière elle, jusqu’au comptoir où une femme plutôt ronde, mais à l’air jovial, essuyait des verres. Quand la femme l’aperçut, elle ouvrit de grands yeux étonnés avant de reprendre son sérieux et d’afficher un joli sourire sur son visage.

—Bonjour, ma jolie ! Que puis-je faire pour vous ?

—Bonjour, madame. Voilà, je cherche un endroit pour passer la nuit... Je ne suis que de passage et on m’a recommandé votre établissement.

La femme gloussa devant le mot. Son établissement. Elle répondit, ravie :

— Vous avez été très bien aiguillée ! Je suis Dorothy, la patronne. Et j’ai justement une chambre disponible au-dessus. Elle est toute simple malheureusement, mais vous avez un lit, une petite armoire et un mini-frigo.

—Ce sera plus que suffisant, madame Dorothy, la rassura Nina avec un sourire. Je ne vais rester qu’une nuit.

—Oh ! appelez-moi juste Dorothy, je vous en prie ! Peut-être... Peut-être vous faudra-t-il un repas ce soir, hein ? Et un petit-déjeuner ?

—Si vous pouviez inclure tout ça dans le prix de la chambre, j’en serais ravie, avoua la jeune citadine.

—Ah, mais oui, oui, avec plaisir ! Disons que pour la chambre, le dîner et le petit-déjeuner... ça vous fera... cinquante francs ?

—Cinquante francs ! s’étonna Nina en ouvrant la bouche.

—Oui... Mais, mais, je peux baisser à quarante-cinq si vous préférez !

—Oh non, ria l’étudiante. Cinquante, c’est parfait ! Je vous les règle d’avance ?

—Heu, comme vous voulez... Oui, on peut faire ça.

Nina était tellement surprise du montant si bas de sa chambre tout compris, qu’elle s’empressa de payer Dorothy qui semblait fébrile, presque sur le point de s’évanouir. Elle ne devait pas être habituée à vraiment louer cette chambre. Nina s’imaginait plutôt qu’elle servait de coin de repli pour les pochards trop soûls pour rentrer chez eux. La patronne prit l’argent en tremblant légèrement et le rangea directement dans la caisse enregistreuse du bar. Elle prit une clé près de cette même caisse et demanda à Nina de la suivre. Elles montèrent un escalier en colimaçon pendant que Dorothy essayait de se montrer professionnelle.

—Ne vous inquiétez pas, ma jolie, ici vous n’avez rien à craindre, même si c’est un bar ! Je ne laisse jamais personne déranger mes clients !

Elles arrivèrent devant une simple porte en bois, semblable au reste du bar. Dorothy l’ouvrit grâce à la clé et laissa entrer Nina, chargée de ses affaires. La chambre correspondait parfaitement à la description de la patronne et à l’idée que la jeune femme s’en faisait. Ce serait bien plus que suffisant pour le peu de temps qu’elle y passerait.

—Voilà, simple, mais confortable...

—C’est parfait, Dorothy.

—Quand voulez-vous prendre votre dîner ?

—Eh bien... —La jeune femme regarda sa montre—, je vais déposer mes affaires et faire un tour sur le port. J’ai besoin de trouver un bateau pour demain... Peut-être à mon retour ?

—Ah oui, oui, fort bien... Un bateau, dites-vous ?

—Oui, j’aimerais trouver quelqu’un pour m’emmener à Hodgkin Island, répondit Nina en déposant son sac à dos sur le lit. Je sais que ça ne va pas être facile, mais je dois tenter le coup.

La jeune femme s’attendait à une réponse, qui ne vint pas. Elle se retourna, étonnée, vers la gérante et remarqua alors son visage blême et ses yeux dans le vague. Elle se mordilla la lèvre. Peut-être aurait-elle mieux fait de se taire...

—Dorothy ?

—Vous... Vous ne pouvez pas aller à Hodgkin Island !

—Oh si, je le peux, ne vous inquiétez pas. J’ai toutes les autorisations nécessaires. Je me suis battue bec et ongles pour les avoir, ricana l’étudiante. Je n’y resterai que deux jours, trois au maximum.

—Vous ne comprenez pas... vous ne devez pas y aller !

Quelque chose dans le ton de la voix de Dorothy interpella Nina. La patronne semblait paniquée. C’était prévisible et Nina aurait dû s’y attendre, la réputation de l’île avait marqué Dorothy, comme tous les habitants d’Hosty sûrement. Sa quête de bateau s’annonçait complexe. L’étudiante s’approcha lentement de Dorothy sans la quitter des yeux.

— Que voulez-vous dire, Dorothy ? Je suis au courant de son histoire, mais je n’ai pas peur... Savez-vous quelque chose que j’ignore ? Voulez-vous me dire quelque chose ?

La patronne ne répondit toujours pas, elle paraissait en transe. Nina observa le corps de Dorothy frissonnant des pieds à la tête, la clé entre ses mains prête à tomber au sol. Elle n’avait pas peur, elle était terrorisée. Nina répéta sa question en posant une main apaisante sur son épaule.

— Dorothy, qu’est-ce que vous savez ? Que voulez-vous me dire ?

Soudain, la lueur revint dans le regard de la patronne. Elle s’écarta vivement, déposa précipitamment la clé de la chambre dans la main de Nina, puis prit la fuite sans un mot de plus et sans même refermer la porte derrière elle. Nina soupira en posant la clé sur la table de chevet. Boudeuse, elle s’assit sur le lit. Trouver un chauffeur pour Hodgkin Island allait être quasi mission impossible.

***

Nina lança furieusement son téléphone sur le lit avant de s’écrouler à côté. Sa recherche pour trouver quelqu’un susceptible de la conduire à Hodgkin Island en bateau était un véritable fiasco. Évidemment, elle s’était attendue à rencontrer des réticences de la part des habitants, mais elle ne pensait pas réellement qu’ils s’étaient tous ligués pour empêcher les curieux d’aller sur l’île, comme elle avait pu le lire sur Internet. Personne dans cette fichue ville n’avait même accepté de lui louer une barque sous prétexte qu’ils pensaient ne jamais revoir leur bien, et ce, peu importait l’argent que la jeune femme proposait ou les autorisations exceptionnelles des autorités que l’université avait réussi à lui obtenir. L'étudiante trouvait ça profondément ridicule. D’accord, il y avait eu quelques morts suspectes sur cette île et peut-être certaines disparitions —Nina n’avait pas voulu en savoir trop pour ne pas avoir l’esprit « pollué » —, mais être autant paniqué par un gros caillou sur l’eau, c’était au-delà de la compréhension de l’étudiante. Pour sûr, toutes ces réactions serviraient à sa thèse... Encore faudrait-il qu’elle puisse voir le jour ! Et si Nina ne parvenait pas à trouver un moyen d’aller sur son lieu de recherche, tout son travail en amont aurait été vain. Elle grogna. Elle qui n’avait jamais enfreint les règles ni aucune loi se sentait même prête à voler un bateau à moteur. Nina Stinkins était très ambitieuse, mais l’était-elle au point de commettre un tel délit ? On cogna alors à la porte, interrompant ses pensées rageuses.

— Entrez !

L’étudiante savait que Dorothy venait lui apporter son repas. Elle n’avait pas le moral pour dîner en bas avec tous ces gars de la ville qui la dévisageraient et la traiteraient de folle en chuchotant sur son passage. Dorothy posa le plateau sur une espèce de bureau miniature à l’entrée de la chambre. Sans même regarder Nina, elle lui demanda à quelle heure elle souhaiterait prendre son petit-déjeuner le lendemain.

— Vers huit heures, si c’est faisable pour vous, Dorothy.

— Oui, oui, très bien. Vous n’aurez qu’à redescendre le plateau quand vous voudrez. Bonne nuit.

—Bonne nuit, et merci !

Son remerciement se perdit dans le claquement de la porte qui se referma brutalement. On aurait dit que la patronne ne voulait pas rester une seconde de plus en sa présence. À croire que l’entêtement de Nina pouvait se révéler dangereux pour quiconque resterait près d’elle.

—Incroyable... grogna à nouveau Nina.

Elle se leva du lit et s’approcha du bureau où étaient disposés un verre d’eau et un verre de soda, un morceau de terrine avec un morceau de pain, une assiette de haricots verts et une côte de porc aux herbes ainsi qu’une part de tarte aux pommes qui semblait faite maison. Un menu classique, mais qui plaisait à Nina. La jeune femme aimait les choses simples. Le repas sentait divinement bon et vingt minutes plus tard, Nina en était seulement à déguster son dessert quand on frappa de nouveau à la porte. La jeune femme, qui allait porter à sa bouche un nouveau morceau de tarte, suspendit son geste. Dorothy lui avait pourtant dit de redescendre le plateau quand elle aurait fini… Nina posa doucement sa cuillère et attendit un second coup. Il n’y en eut aucun. L’étudiante se leva et ouvrit la porte, mais il n’y avait personne. Elle écouta attentivement et n’entendit que les bruits de verre qu’on boit et les conversations des clients du bar, à l’étage inférieur. Elle vit cependant à ses pieds un tas informe. En y regardant de plus près, elle découvrit des coupures de presse des différents journaux de la région. Des articles de fond, des témoignages, des courbes et des chiffres sur la dépopulation d’Hosty, mais aussi sur l’augmentation des cas de maladies mentales. Intriguée, Nina les emporta dans sa chambre. Devait-elle les lire ? Bien sûr, l’étudiante s’était préparée et renseignée dans les grandes lignes sur l’histoire de l’île, surtout sur la tragédie de 1938. Mais pour épargner son mental, pour ne pas être influencée par les rumeurs une fois seule sur l’île, elle avait omis de se documenter sur certains faits. Découvrir l’île par elle-même était important pour la jeune femme, afin de garder une certaine neutralité de départ. Nina était plus qu’hésitante. Se tortillant une mèche de cheveux, elle réfléchit à ce qui serait le mieux pour sa thèse, car en savoir le plus possible sur l’île serait un avantage pour prouver que rien ne lui était arrivé d’étrange pendant son séjour à Hodgkin Island, même en connaissance de cause. C’était tout de même un point de sa problématique et elle ne pouvait risquer le hors-sujet.

***

Quand Nina se réveilla le lendemain matin, la tête lui tournait. Elle avait fini la veille par s’endormir sur les articles qu’on lui avait mystérieusement apportés. Ses rêves furent emplis de hippies disparus, de suicides en tout genre, de meurtres parfois, de coups de folie aussi, comme cette jeune femme qui s’était elle-même percé les yeux. Elle ne pouvait qu’admettre qu’une inquiétude était née à la lecture de tous ces témoignages, mais elle n’avait pas pour autant perdu sa détermination. Elle mit cette appréhension naissante de côté et alla prendre son petit-déjeuner.