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La vie de Nina Stinkins est fichue. Prisonnière de l’hôpital psychiatrique St John, la jeune femme se noie dans la solitude.
Alors qu’elle pensait que son existence ne pouvait pas être pire, son don se manifeste de nouveau et la projette dans l’institut psychiatrique de 1960. Dans le corps d’une infirmière, elle doit découvrir la véritable cause de sa mort.
Heureusement, elle peut toujours compter sur Karan Sharma et son coéquipier forcé, Albert Duvall, pour se sortir de cet enfer.
Vivez la dernière aventure haletante de Nina Stinkins au coeur de la folie !
À PROPOS DE L'AUTRICE
Rachelle H. - Rachelle commence son parcours d'auteur en CM1 quand elle écrit sa première histoire. En 2015, elle écrit son premier roman et se perfectionne en écriture grâce aux fanfictions et à des masterclass. Elle a été bercée dès le plus jeune âge par le fantastique, la fantasy et la science fiction de par son père. Bien qu'elle écrit dans ce monde de l'imaginaire, elle adore lire des romans policiers. La fiction a toujours été son monde.
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Seitenzahl: 250
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Carte par Ecoffet Scarlett
Maquette intérieure et couverture par Ecoffet Scarlett
© 2024 Imaginary Edge Éditions
© 2024 Rachelle H.
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés.
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ISBN : 9782385722722
À Mamie Cocotte (Geneviève) et Papi Joël, pour les souvenirs d’enfance qui embellissent ma vie et qui resteront à jamais dans mon cœur.
I
ls étaient assis l’un à côté de l’autre sur ce brancard poussiéreux, laissé là depuis longtemps. Le silence n’était pas gênant, ils en avaient l’habitude et cela n’avait jamais été un problème. Pourtant, quelque chose dans l’air semblait différent ce soir-là. Il paraissait nerveux. Lui qui était invariablement d’un calme olympien face à des situations toujours plus violentes dans ce service, avait aujourd’hui les mains tremblantes. Il évitait son regard alors qu’il n’y avait jamais eu de malaise entre eux.
Le contraste était flagrant avec elle. Elle se sentait bien. Depuis le début de sa formation pratique, quelques semaines auparavant, elle prenait confiance en elle et constatait avec plaisir qu’elle avait choisi la bonne voie. Elle se sentait à sa place. St John et ce service, ces gens avec qui elle travaillait et qu’elle côtoyait tous les jours lui apportaient un véritable endroit d’expression. Un lieu où elle pouvait exprimer son savoir-faire, être dans l’action. C’était sa vocation. Elle le savait depuis longtemps, depuis que sa mère avait montré les premiers signes de sa manie dépressive, mais aujourd’hui, la chose devenait concrète. Il lui restait des mois de formation, mais elle savait qu’elle réussirait à passer tous les obstacles. Elle avait déjà prouvé en peu de temps qu’elle était non seulement capable d’apprendre, mais aussi de réagir face à des situations complexes.
Elle souriait, la tête plongée dans ses pensées quand il se tourna pour lui parler. Il devait lui avouer quelque chose. D’abord surprise, elle l’écouta attentivement. Son sourire disparut progressivement.
Malheureusement, il n’était pas sur la même longueur d’onde. Comment lui confesser sans le blesser? Ses yeux brillants fixés sur elle la rendirent nerveuse. Elle travaillait avec lui, la situation était délicate. Elle ne désirait pas que leur relation se complique, elle souhaitait rester son amie, elle voulait pouvoir continuer à lui parler, à échanger autour d’un café, à se soutenir dans les moments difficiles de leur emploi. Et puis, dans cette unité, il fallait constamment évoluer en équipe pour le bien des patients. La communication et la synchronisation des infirmières participaient au bon fonctionnement du service. C’est pourquoi l’infirmière en chef avait été bien spécifique sur l’amitié au travail. Évidemment, ni lui, ni elle, ni même les autres, ne respectaient vraiment la règle. Au contraire, elle trouvait qu’une certaine proximité serrait les rangs pour une efficacité optimale. Mais cette déclaration mettait le grain de sable dans l’engrenage.
Alors qu’elle cherchait les mots pour lui répondre, il s’approcha furtivement de son corps et tenta de l’embrasser. Elle ne contrôla pas sa réaction et s’écarta brusquement. Le geste était violent, bien plus qu’elle ne l’aurait voulu, mais ses réflexes avaient pris le dessus. Elle put lire sur son visage qu’il l’avait vécu comme une véritable gifle. Une fois l’étonnement passé, ses traits se durcirent et pour la première fois, elle eut peur de lui.
Il se leva et ferma d’un geste bref la porte à clé, tandis que son cœur battait la chamade. Sa poitrine à elle semblait aussi vouloir exploser. Elle se leva à son tour et tituba légèrement dans un coin de la pièce alors qu’il avançait vers elle, le regard obscurci par un voile de colère qu’elle n’aurait jamais cru possible chez lui. Il l’attrapa vivement par le bras et la força à s’approcher pour un baiser. Elle s’agita dans tous les sens en lui disant de cesser. Sa peur prenait le dessus et elle ne réagissait plus comme la jeune fille calme et posée qu’elle avait l’habitude d’être. Ses gestes ne l’arrêtèrent pas pour autant.
Plus elle se débattait, plus il devenait violent. Elle sentait la force dans ses poignets. Puis, il la jeta par terre et se mit à califourchon sur elle avant d’ouvrir rageusement le haut de son uniforme, dévoilant ses sous-vêtements. Il caressa sa poitrine alors qu’elle agitait bras et jambes pour s’extirper de son emprise. Il fit soudain quelque chose qu’elle ne vit pas venir. Il lui asséna deux violentes claques sur les joues. Légèrement choqué, il sentit que ses protestations avaient diminué en intensité. Il en profita pour essayer à nouveau de l’embrasser. Elle détourna le visage, mais il ne s’en offusqua pas et déposa sa bouche dans son cou. Elle grimaça en sentant sur son bas-ventre son appendice durcir. Elle eut alors la nausée. Il fallait qu’elle se batte. Elle ne pouvait pas le laisser gagner, le laisser prendre sa pudeur ainsi. Ils étaient amis, comment pouvait-il agir de la sorte? Soudain, elle eut une idée.
Étant concentré à déposer des baisers dans son cou, il avait baissé sa garde. Elle fit mine de se laisser faire puis d’un coup sec remonta son genou droit dans ses parties intimes. Il grogna et se renversa un instant sur le côté. Elle profita de ce moment pour se relever et se dirigea vers la porte. Mais il fut plus rapide. Toujours à terre, il lui attrapa violemment la cheville et la fit tomber. Elle se retrouva de nouveau au sol dans la même situation : lui à califourchon sur elle. Cependant, cette fois, ce n’était plus de la lubricité qu’elle voyait dans ses yeux, rouges et gonflés de haine.
Il plaça ses deux mains autour de son cou et se mit à serrer. Elle commença à étouffer rapidement. Elle tapait des mains et des pieds. Son visage devenait bleu. Il ne semblait pas avoir conscience de ce qu’il commettait, de sa force, il paraissait dans un monde différent. Lorsqu’il en revint, il était trop tard.
Elle gisait là, les yeux exorbités, la peau d’une autre couleur. Plus aucun mouvement n’agitait son corps. Il lui fallut une minute pour savoir qu’elle était morte. Il l’avait tuée. Lui, celui qu’on disait doux comme un agneau, qui n’avait jamais fait de mal à une mouche malgré un beau-père qui le battait. Lui, qui avait la confiance de tous, à qui tout le monde confiait ses secrets. Aujourd’hui, il était devenu un meurtrier. Mais était-ce vraiment de sa faute? Elle n’avait qu’à lui dire oui, elle n’aurait eu qu’à se laisser faire. Il prit une profonde inspiration et se releva enfin.
Il posa ses mains sur ses hanches tout en continuant à regarder le cadavre. Qu’allait-il faire à présent? Son existence tout entière était en jeu. Pire, il risquait sa carrière, la seule chose qui le maintenait en vie. Il fallait réfléchir, et vite. Il jeta un coup d’œil autour de lui, dans cette pièce sombre, et eut soudain une idée qu’il jugea brillante. Il allait s’en sortir.
L
e docteur Anna Thompson enleva son manteau, l’accrocha à la patère derrière son bureau en bois d’acajou et se laissa choir dans son fauteuil. Il n’était que 9 heures du matin, mais la psychiatre en chef des deux services psychiatriques de l’hôpital St John était déjà debout depuis plusieurs heures. Elle avait commencé sa journée par de l’administratif, puis on l’avait appelée pour une urgence. La patiente avait soi-disant fait une tentative de suicide. En réalité, c’était une femme âgée qui avait mélangé les médicaments. Cette intervention lui avait fait perdre du temps et à présent, elle devait enchaîner les rendez-vous prévus avec les malades du service A2.
Anna Thompson ouvrit le premier tiroir de son bureau, sortit cinq dossiers puis ouvrit celui de sa plus récente patiente : Nina Stinkins. Cette jeune femme de presque 26 ans était arrivée par décision de justice quasiment un mois plus tôt. Dans les documents, il était indiqué une agression au couteau, des migraines et des absences. En réalité, la psychiatre savait que cela allait plus loin. Les comptes rendus des soignants, surveillant les nuits de la patiente, avaient clairement exprimé des rêves complexes, peut-être des hallucinations également. Mais le diagnostic était des plus compliqués à établir à cause de la patiente elle-même. Nina Stinkins n’avait pas décroché un mot depuis son arrivée, ni à la chef de service, ni aux soignants, et encore moins aux autres malades. Anna se gratta la nuque, embêtée. En 25 ans de carrière, elle avait déjà eu affaire à des cas de ce genre, des patients qui ne pouvaient pas parler, bloqués par une quelconque fatalité invisible. Cependant, elle soupçonnait mademoiselle Stinkins de ne pas VOULOIR parler. La différence était importante. Une telle obstination n’était pas bonne pour la malade et rendait le travail des soignants plus difficile.
Anna Thompson en était là de ses réflexions quand on frappa à la porte de son bureau. Après l’avoir autorisé, Tom Spencer, l’aide-soignant de garde, ouvrit la porte et laissa entrer la patiente. Nina s’assit dans le fauteuil en cuir face à une table en acajou et croisa immédiatement les bras. Anna et Tom échangèrent un regard puis l’aide-soignant referma la porte pour les laisser seules.
La psychiatre en chef de St John soupira discrètement. Elle avait désormais l’habitude de voir sa patiente assise ainsi, son langage corporel signifiant clairement qu’encore une fois, le médecin parlerait tout seul. Nina ne la regardait même pas. Le docteur Thompson s’éclaircit la voix en jetant un œil au dossier ouvert devant elle, ajusta ses lunettes puis croisa les mains pour affronter sa malade.
—Mademoiselle Stinkins… cela fait un peu plus de trois semaines que vous êtes ici et vous ne voulez toujours pas parler, ni à moi ni aux autres membres du personnel soignant. Même vos pairs ne connaissent pas le son de votre voix.
La psychiatre attendit une réaction de la part de Nina, qu’elle tourne enfin son regard vers elle, en vain. Elle poursuivit avec son accent anglais toujours prononcé, malgré des années à vivre dans l’Union.
—Vous avez toujours des nuits plus qu’agitées, le personnel m’en tient informée, mais j’imagine que vous refusez toujours le traitement médicamenteux que je vous ai proposé à notre dernière entrevue?
En effet, Anna n’avait pour le moment que cette solution pour au moins calmer l’agitation nocturne de la jeune femme. Il faudrait bien sûr agir sur le pourquoi, mais tant que Nina n’exprimait rien, la psychiatre était limitée dans ses actions. Par défi, sa patiente tourna la tête et la fixa dans les yeux.
Anna Thompson soupira à nouveau, bruyamment cette fois, en se positionnant au fond de son siège. Elle ne le montrerait pas, mais quelque part, elle était impressionnée de voir ce bout de femme tenir autant de temps sans interaction humaine. Comment allait-on réussir à sortir Nina de cette tombe qu’elle se creusait elle-même? Rien n’était encore décidé.
—Vous savez que je dois rendre des comptes au juge de l’avancée de votre thérapie chez nous. Une fois par mois. Nous arrivons bientôt à échéance. Et je doute que votre silence joue en votre faveur. Si vous voulez guérir et retourner à votre vie, je pense que vous commettez une erreur de stratégie.
Nina détourna le regard. La psychiatre savait qu’elle ne l’écouterait plus. Mais elle espérait que Stinkins réfléchirait en prenant conscience que le délai pour parler fondait comme neige au soleil. Anna griffonna quelques mots dans le dossier de Nina puis se leva et lui ouvrit la porte. Elle regarda la jeune femme sortir et suivre Tom dans le couloir. La psychiatre retourna dans son bureau, frustrée.
Alors qu’elle marchait à pas traînants jusqu’à la salle TV, Nina avait l’impression d’avoir un poids sur les épaules qui devenait de plus en plus pesant. Elle entendit à peine Tom lui dire en souriant :
—Alors, comment ça s’est passé, Nina? Toujours pas un mot?
Derrière son sourire, il connaissait déjà la réponse. La Rêveuse ne tourna même pas la tête vers lui.
Elle se perdait clairement depuis son arrivée ici. Ses journées étaient fades, elle avait l’impression que son esprit non stimulé s’évanouissait. Elle n’était plus que l’ombre d’elle-même, mais elle ne voulait pas rendre les armes en adoptant la stratégie que Thompson lui conseillait. Elle s’était persuadée que si elle ne parlait pas, personne n’aurait d’arguments pour affirmer qu’elle était mentalement déséquilibrée. Cette stratégie était loin d’en être une bonne. Mais rien ni personne ne l’avait pour le moment convaincue de changer de trajectoire.
La jeune femme s’installa dans un fauteuil près d’une fenêtre, et recroquevilla ses jambes sous ses fesses.
Thompson avait raison, ses nuits étaient un véritable foutoir. Elle enchaînait les rêves, tous plus violents les uns que les autres. Chaque nuit, elle se retrouvait dans le corps d’une femme actuellement à St John ou qui y avait vécu un temps. Et chaque nuit, elle éprouvait des traumatismes liés aux personnes mentalement malades. C’était un calvaire. À présent que Joe Miller avait pu atteindre le bain cosmique, l’esprit de Nina était libre. Et pourtant aucune âme ne venait s’ancrer. La Rêveuse en était pour le moment soulagée. Elle n’avait aucune idée de ce qui se passerait si elle devait sauver une âme, enfermée ici. Tout ce qu’elle espérait, c’est ne pas rêver en journée. Dans son lit, au fond de sa chambre, fermée pour la nuit, son image était relativement en sécurité. Si elle se mettait à déambuler dans le service alors qu’elle avait une vision, c’en était fini. Jamais plus elle ne sortirait d’ici. Nina avait une représentation très restreinte de la psychiatrie. Pour elle, si tu étais en HP, c’est que tu étais fou. Point. Elle allait découvrir que cette généralité était loin d’être exacte.
***
Karan Sharma avait du mal à respirer. Le bus dans lequel il se trouvait donnait l’impression de rouler à 20 km/h. Le trajet vers le bureau de Katia Host était interminable, tout comme l’absence de Nina dans sa vie. Il ne supportait plus de vivre loin d’elle.
Personne n’avait encore de nouvelles. Les premières visites de la famille n’étaient autorisées qu’après un mois d’isolement. Le psychologue se disait néanmoins que l’avocate de la Rêveuse devait au moins posséder quelques informations, ne serait-ce que du juge en contact avec St John.
Karan avait tenté plusieurs fois de l’avoir au téléphone, puis de prendre rendez-vous avec elle, mais jamais sa secrétaire n’avait daigné lui en donner un. Sous prétexte qu’il ne jouait pas un rôle prioritaire dans cette affaire, madame Host était une avocate de renom, sous-entendu très occupée. Trop occupée pour lui visiblement.
Karan se rattrapa de justesse à la barre au plafond du bus après un freinage impromptu. Il n’était pas du genre à s’imposer, il aimait effectuer les choses dans les règles. Mais là, il ne tenait plus. Il sentait que Nina avait besoin de lui. Il n’était pas sûr de la provenance de cette conviction : ses sens de Guide ou bien les sentiments ambigus qu’il avait pour elle. Dans tous les cas, il devait faire quelque chose.
Elle ne voulait pas lui accorder un rendez-vous? Eh bien, il allait le prendre de force.
Le bus se stoppa enfin à l’arrêt de Karan. Il lui restait encore cinq bonnes minutes de marche avant de trouver l’immeuble où Katia Host avait établi son bureau. Monté sur ressorts, il avala la distance sans s’en apercevoir. Il ressentait une rage folle. Oui, le charmant et posé Karan Sharma fumait de colère depuis la sentence du juge, trois semaines plus tôt. Il ne parvenait plus à se concentrer sur ses patients. Il avait parfois confondu leurs histoires, la tête ailleurs.
Quelques jours auparavant, il avait même décidé de fermer le cabinet le temps d’essayer de reprendre ses esprits. Mais rien ne le calmerait, à part pouvoir voir Nina. C’était le but de sa rencontre forcée avec Katia Host : réussir à voir la Rêveuse par tous les moyens possibles. Et s’il devait se faire engager à St John pour ça, il le ferait. Même si secrètement, il espérait qu’une autre solution soit trouvée.
Il entra enfin dans l’immeuble flambant neuf et se présenta à l’accueil. La fille derrière le comptoir mâchait frénétiquement un chewing-gum en fixant son ordinateur.
—C’est pour quoi? dit-elle d’un ton traînant.
—J’ai rendez-vous avec Katia Host.
Karan espérait que la jeune femme ne poserait pas plus de questions. Elle ne lui adressa même pas un regard et lui tendit un ticket pour passer le tourniquet électronique à sa droite.
—Vous pouvez y aller. 6e étage.
Le psychologue la remercia du bout des lèvres et se dirigea vers la machine le plus calmement qu’il put.
Son cœur battait à tout rompre. Il ne savait pas trop comment il allait gérer la situation une fois en haut. La secrétaire de l’avocate ferait sûrement barrage. Il devait trouver un moyen de la contourner. Mais sans connaître la disposition de l’étage, ce n’était pas chose facile. Il fallait encore patienter avant d’élaborer une quelconque stratégie.
Il monta dans l’ascenseur et sentit des fourmis parcourir ses jambes. Il ferma les yeux et tenta de se calmer. Beaucoup trop d’émotions l’avaient envahi depuis trois semaines, plus peut-être que dans toute sa vie auparavant.
Les portes s’ouvrirent enfin et Karan sortit de la cabine, fébrile. Il se retrouva dans un couloir luxueux aux couleurs ambrées et au sol carrelé gris. Il avança à petits pas, comme s’il reculait à présent face à la tâche qu’il s’était pourtant lui-même ordonnée de faire. Il arriva dans un espace ouvert. À sa droite, le bureau de la secrétaire, absente à ce moment-là. En face de lui, une pièce aux murs de verre. Il reconnut Katia Host à l’intérieur, mais elle n’était pas seule. Un homme brun, grand et en costume, semblait discuter avec elle. Karan ne voyait pas son visage, seulement son dos. Un associé? Ce n’était pas important. La secrétaire absente de son poste constituait son ticket d’entrée. C’était le moment idéal, il ne pouvait pas passer à côté.
Il inspira profondément puis avança d’un pas décidé vers le bureau. Alors qu’il mettait la main sur la poignée, une femme qui devait être la secrétaire sortit de la salle adjacente. Lorsqu’elle vit Karan, elle l’interpella, mais il ne l’écouta pas. Il ouvrit la porte du bureau de l’avocate et entra malgré les injonctions de la réceptionniste dont le psychologue entendit les pas précipités dans son dos.
—Maître Host, je suis vraiment désolée…
La secrétaire ressemblait à une pivoine quand elle arriva dans l’encadrement de la porte.
— Ça va aller, Myriam.
La juriste et son visiteur regardaient à présent Karan Sharma, interloqués. L’homme brun eut même un léger sourire que le psychologue ne sut interpréter. Il se tourna vers Katia et lui pressa faiblement le bras.
—Je vous laisse. On s’appelle plus tard.
— Entendu.
L’homme frôla Karan en sortant et la secrétaire finit par refermer la porte après lui, en s’excusant une nouvelle fois. Katia Host contourna son bureau en faisant claquer ses talons sur le carrelage et s’installa dans son grand fauteuil de cuir avant d’enfin adresser la parole au psychologue.
—Monsieur Sharma. Je crois que nous n’avions pas rendez-vous.
—En effet. Parce que vous n’avez pas voulu faire l’effort de me rencontrer.
—Je pensais ne rien avoir à vous dire. Vous êtes bien placé pour comprendre le secret professionnel.
Karan s’y attendait. Tout comme dans sa profession, le secret professionnel planait sur les affaires de l’avocate. Mais il n’était pas sûr d’être venu pour avoir des nouvelles de Katia Host. C’était de la bouche de Nina qu’il voulait les entendre.
Gonflé par le courage et cette assurance arrogante qu’il ne pensait pas avoir dans la panoplie de ses capacités, Karan prit une des deux chaises en face du bureau pour s’y asseoir. Il croisa les bras, comme un enfant récalcitrant. L’avocate le fixait et attendait visiblement qu’il parle le premier. Elle était redoutable.
Karan finit par se sentir mal à l’aise et avant de se dégonfler, il se démarra la discussion :
—Vous devez trouver un moyen pour que je puisse voir Ni… mademoiselle Stinkins.
—Je vous demande pardon?
—Vous avez compris. Je suis son psychologue et dites-moi si je me trompe, mais elle se révèle être en thérapie. J’aimerais… poursuivre mes soins avec elle.
L’idée lui était venue comme ça, sans prévenir. Et à y réfléchir, ce n’était pas complètement stupide. Mais Katia se murait dans le silence. Le cerveau de Karan tournait à cent à l’heure. Il connaissait bien Nina, il fallait s’en servir.
—Vous ne pouvez rien me dire, mais moi je peux m’exprimer.
Aucune réaction. Il poursuivit.
—Je parie que mademoiselle Stinkins ne parle pas. À personne. Et qu’elle ne prend pas de médicaments, malgré des nuits agitées.
Katia Host était vraiment forte, mais Karan Sharma plus encore. Il réussit à déceler un mouvement quasi imperceptible de sa paupière qui lui permit de savoir qu’il disait vrai.
—Je ne vous en dirai pas plus, car cela relève du secret professionnel. Vous comprenez ce que c’est.
Le psychologue argua un sourire.
—Je me doute que son attitude ne va pas jouer en sa faveur auprès du juge. Et je suis la solution si vous voulez vraiment aider votre cliente…
Il croisa les jambes et attendit que son argument fasse mouche. Le petit sourire suffisant de l’avocate avait disparu et elle détourna même les yeux. Elle s’appuya finalement sur le plateau du bureau en chêne massif.
—Très bien, monsieur Sharma, vous m’avez eue. Je vais réfléchir à un moyen de vous permettre de voir Nina, avec l’accord du juge.
Elle se leva, fit à nouveau le tour de son bureau et tendit la main à Karan.
—Mais c’est moi qui vous appelle. Inutile de harceler ma secrétaire. Marché conclu?
Le psychologue se leva à son tour et serra la main de l’avocate.
—Marché conclu, maître.
***
Éric Ramirez tourna rapidement les pages du Paradisia Herald pour trouver l’article qui l’intéressait. Il découvrit alors en page 6 le portrait de Nina Stinkins sur un quart de la feuille, l’autre quart étant occupé par une chronique au titre des plus racoleurs. Le professeur se mit à parcourir les lignes dudit article et grogna à plusieurs reprises pendant sa lecture. Un ramassis d’idioties. La plupart des informations sur sa protégée étaient fausses. Il avait plus l’impression de lire un feuilleton à sensation qu’un véritable sujet journalistique.
Le téléphone sur son bureau sonna, mais il n’y prêta aucune attention. Sheryl se trouvait à l’université et Ramirez lui avait demandé de répondre à tous les appels, pendant sa pause. Il ne voulait également voir aucun élève.
Depuis que Nina avait poignardé cette femme, le professeur tentait d’étouffer l’affaire au cœur de l’université. Il y était arrivé pendant une semaine. Mais il avait bien fallu expliquer au doyen pourquoi son nouveau professeur était absent. Lui avouer qu’elle était assignée à résidence pour agression puis placée à St John avait été un calvaire pour Éric. Il savait que sa réputation au sein de la sphère universitaire comptait énormément pour la jeune femme et quand il avait commencé à entendre les élèves chuchotaient à son sujet, il en eut le cœur brisé.
Le mentor de Nina referma rageusement le journal, le plia et l’envoya valser dans son bureau de l’université. Il se ravisa finalement, se leva pour le récupérer et l’enfourna dans sa sacoche en cuir pour l’emmener à Katia Host. Cet article était un exemple flagrant de diffamation et Ramirez ne laisserait pas passer ça. L’avocate de Nina semblait vraiment vouloir le meilleur pour sa cliente. Il n’avait toujours pas compris pourquoi elle se donnait tout ce mal pour une affaire pro bono, mais il ne s’en plaignait pas.
Il se rassit en soupirant et son portable émit le son significatif d’une notification email. Après une hésitation, il prit l’appareil pour consulter son nouveau message. Comme fait exprès, il venait de maître Host. Alors qu’il lisait la bonne nouvelle qu’elle lui apportait, on frappa à la porte de son bureau. Il ne répondit d’abord pas, il avait expressément demandé à ne pas être dérangé. Mais les coups ne cessèrent pas. Il finit par inviter le perturbateur à entrer. Son assistante passa une tête, embêtée.
—Je suis navrée, professeur…
—Qu’y a-t-il, Sheryl?
—Un monsieur insiste pour vous parler au téléphone. Il insiste vraiment. Il dit qu’il n’a pas réussi à vous joindre sur votre portable.
Ramirez jeta un œil à son appareil, mais il ne vit aucun appel manqué. Il ne s’en étonna pas vraiment, le réseau dans son petit cagibi, comme il nommait parfois son bureau, était loin d’être optimal.
—Vous a-t-il donné son nom? demanda le professeur en levant un sourcil.
—Stéphane. Martin. Stéphane Martin.
Sheryl put voir tour à tour l’étonnement puis la colère passer sur le visage de l’enseignant. Elle déglutit. Elle n’aimerait pas susciter ce genre de réaction, chez personne. Les yeux de Ramirez dévoilaient tout le mépris qu’il pouvait avoir pour l’homme qui l’appelait.
—Très bien. Passez-le-moi.
—Tout de suite, monsieur.
Eric décrocha le combiné et attendit que son assistante ait raccroché avant de lancer un Allô innocent.
—Eric? C’est Stéphane.
—Qui ça?
—Ne joue pas à l’idiot. Tu sais qui.
Eric soupira de façon suffisamment bruyante pour bien montrer son agacement au père de Nina.
—Qu’est-ce que tu veux, Stéphane? demanda le professeur en s’enfonçant dans son fauteuil.
—Ce que je veux? Des nouvelles de ma fille pardi ! J’ai vu l’article du Paradisia Herald sur Internet.
Ramirez maudit en silence le journal d’avoir également mis cet article absurde en ligne. Il ne put empêcher le sarcasme.
—Ah, maintenant, tu veux savoir? Eh bien, tu n’en as plus le droit! Tu as été très clair lors de ma visite. Et je pense que Nina a besoin de tout, sauf de toi en ce moment.
—Mais enfin, Eric, écoute-moi!
—C’est trop tard, Stéphane. Adieu.
—Eric, non, attends! Je…
Le professeur raccrocha sans aucune autre forme de procès.
Il avait laissé sa chance à Stéphane. Du moins le pensait-il à ce moment-là. Et il avait fini par se rendre à l’évidence : Stéphane Martin ne souhaitait rien avoir à faire avec sa fille. Ramirez voulait à tout prix protéger Nina. Alors qu’il s’imaginait d’abord que c’était pour son bien qu’il avait entrepris de retrouver son père, il avait revu sa copie. La jeune femme avait bien assez à gérer sans que Ramirez mette de l’huile sur le feu avec un père qui avait prétendu pendant 25 ans qu’il n’avait pas de fille. Et ce coup de téléphone ne changeait rien. Il allait devoir gérer avec sa conscience.
En attendant, il relut l’email de Katia Host en souriant. Dans quelques jours, il pourrait enfin revoir sa protégée.
N
ina Stinkins se traîna dans la cafétéria du service A2 de St John. Elle était vide à cette heure de l’après-midi et elle n’y venait de toute façon pas pour déjeuner. La salle carrée aux murs blancs servait également de lieu de visite pour les familles une fois par semaine, et aussi, dans son cas présent, aux avocats. Dans son tailleur-jupe bleu marine, Katia Host attendait sa cliente debout à côté d’une table rectangulaire près des présentoirs de nourriture. Et en la regardant entrer, l’avocate fit une drôle de tête. La Rêveuse savait qu’elle ne devait pas avoir belle figure. Dans son jogging gris trop grand de taulard, les yeux cernés et le teint pâle, elle dépérissait. Que maître Host la voie ainsi, elle n’en avait cure. Elle avait dû en rencontrer des prisonnières dans un état pire que le sien. Au moins, elle ne souffrait d’aucune blessure et n’avait pas encore asséné un poing à quelqu’un. Nina se laissa tomber sur le banc qui accompagnait la table.
Katia lissa sa jupe et s’assit à son tour en face de sa cliente. La Rêveuse sentait le regard de sa défenderesse, mais elle ne pouvait pas l’affronter. Katia Host réprima un soupir et finit par briser le silence.
—Je ne vous ferai pas l’affront de vous demander comment ça va...
L’avocate grimaça, puis prit sa sacoche en cuir pour sortir le dossier, dont l’épaisseur augmentait à chaque rencontre, de Nina Stinkins.
—J’irai droit au but. J’ai des bonnes et une mauvaise nouvelles. J’imagine que vous voulez commencer par la mauvaise?
Elle tentait du mieux qu’elle pouvait de la faire parler. Pour l’instant, Nina se contenta de lever un regard circonspect. C’était un début. Katia était une lionne, elle ne s’avouait jamais vaincue.
—Le juge a eu un premier compte rendu du Dr Thompson et, vous devez le savoir, il n’est pas bon. Vous ne pouvez pas continuer à être butée, vous n’arriverez à rien ici avec cette attitude, et vous le savez. Plus vous lutterez, plus de temps vous passerez dans ce service. Vous voulez sortir, non? Retrouver une vie?
Nina haussa légèrement les épaules. Quelle vie récupérerait-elle en sortant? Elle serait aux yeux de tous une criminelle et une cinglée.
—Mais comme vous avez de la chance, je suis votre avocate. J’ai réussi à conclure un deal avec le juge… incroyable. Je crois que c’est le plus GROS de ma carrière.
Katia Host lut alors dans les yeux de Nina qu’elle avait ferré le poisson. Elle avait désormais toute son attention.
—Cependant, toutes mes annonces ne seront valables que si vous jouez le jeu, que vous arrêtez votre silence et que vous vous mettez en mode thérapie. Même si je sais qu’il faudra «adapter».
Nina soupira bruyamment en posant ses avant-bras sur la table. Enfin, des mots sortirent de sa bouche.