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Découvrez les aventures épatantes du Danois Thorolf en pleine période viking !
Le destin de Thorolf retrace la vie d’un danois durant la seconde moitié du neuvième siècle au cœur de la période viking. L’intrépide adolescent suivra un jeune chef de clan qui le mènera des raids pirates jusqu’au siège de Paris en passant par la Grande Armée. Thor, son dieu protecteur, lui fera alors prendre un autre chemin. Au travers de la vie de cet homme, riche en aventures, les différents aspects de la société scandinave de cette époque sont abordés, soutenus par de nombreuses références historiques. Bien que guidé par les Dieux et les Nornes tisseuses de destin, Thorolf ne manque jamais l’occasion d’affirmer le droit des hommes à influencer leur propre destinée. Personnages romanesques, légendaires et réels aux caractères bien trempés s’entremêlent tout au long des pages.
Ce roman historique passionnant vous emmènera dans les méandres de la société scandinave du IXe siècle, gouvernée par les Dieux et les légendes !
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
Enfin un livre réaliste sur ce qu'aurait pu être la vie de nos fiers "vikings". L'auteur n'a pas fait de concessions Histoire versus roman, tout le scénario est plausible, sourcé, lecture obligée pour tout reconstituteur ou passionné! -
Kurtis-Koban, Booknode
À PROPOS DE L'AUTEUR
Né en Lorraine,
Joël Torzuoli vit aujourd’hui près de Lunéville, la cité du Château des Lumières. Partageant sa passion du haut moyen-âge européen, il anime un petit groupe d’évocation viking féru de manifestations historiques et amateur de repas médiévaux organisés chaque trimestre depuis plusieurs années.
Le destin de Thorolf est son premier roman.
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Seitenzahl: 404
Veröffentlichungsjahr: 2019
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Joël Torzuoli
Le destin de Thorolf
Roman
© Lys Bleu Éditions – Joël Torzuoli
ISBN : 978-2-85113-785-2
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À ma Vighild
Avec tous mes remerciements aux membres de mon entourage, parents, amis, qui ont inspiré certains de mes personnages. Mes respectueux hommages à ceux dont l’Histoire a retenu le nom et qui apparaissent au gré des pages qui suivent. Merci enfin à tous ceux qui savent partager leur passion et leurs connaissances, sans qui je n’aurais, sans doute, jamais eu l’idée de me mettre au clavier.
Nous sommes en l’an de grâce 900 des chrétiens, je suis Thorolf Sveinson, Thorolf Langlifispour mes compagnons. Ma barbe blanche, mes cicatrices et mes aventures passées témoignent de mon existence déjà longue. Je suis né en 850, dans le Jutland, à Ribe, au bord de la mer du Nord, dans ce qu’on appellera le Danemark. J’avais dix ans à peine quand Ansga, l’archevêque de Hambourg-Brême, demanda au roi danois Horik II de faire construire la première église dans la plus grande ville de négoce de Scandinavie qu’était Ribe à cette époque. Fils de Svein Odinson le Pêcheur, moins enclin que mes frères, Bard et Ulrik, à aider notre père à la pêche, je participe, dès ma plus tendre enfance, à tous les jeux qui préparent les petits Nordiques à devenir de solides guerriers ou aventuriers. Tout juste sorti de cette période, je rencontre un jeune chef de clan à la réputation prometteuse, Siegfried, qui avait déjà participé à un certain nombre de raids. Nul ne pouvait imaginer, à ce moment-là, que je deviendrais un jour son bras droit. Devinant mon envie d’aventures et séduit par ma solide stature, il me proposa de le suivre en raid viking dans l’ouest de la Francie, en 865, où nous allions répandre la fureur des hommes du Nord. Craignant pour l’honneur de la famille s’il s’opposait à mon départ, mon père ne fit rien pour me retenir, même s’il eût préféré voir partir un de mes aînés.
Après quelques pillages de villages, souvent abandonnés par leurs habitants, nous participâmes à celui, plus conséquent, de la ville de Poitiers qui fut incendiée. Établis sur la Charente, nous y fûmes attaqués et défaits par les Aquitains. Siegfried réussit néanmoins à faire embarquer une centaine d’hommes sur quatre langskips sauvés des flammes. Ces débuts peu glorieux nous conduisirent à rejoindre la Grande Armée des fils de Ragnar Lodbrok, Ivar, Ubbe et Halfdan, en Angleterre, où, à partir de la région de York que nous avions conquise en 866, nous menâmes une guerre sans merci aux Saxons. Assoiffés de conquêtes et prétextant venger la mort de leur célèbre père, jeté dans une fosse à serpents par le roi Aelle de Northumbrie quelques années plus tôt, les frères Ragnarsson avaient pris la tête de la Grande Armée en cette année 865. Leur objectif était, en fait, l’invasion de toute l’Angleterre et son annexion.
Petit à petit, les différents royaumes furent conquis, la Northumbrie puis l’Est-Anglie. En 874, Bagsecg arriva de Scandinavie avec la Grande Armée d’été, renfort appréciable qui permit d’envahir la Mercie du roi Burgred qui en fut chassé. Bon nombre d’hommes et de femmes commencèrent alors à s’installer durablement sur les terres conquises. Après cela, l’armée se sépara en deux, Halfdan allant attaquer les Pictes au nord, tandis que Guthrum, le nouvel homme fort des Vikings, pratiquait une politique bien connue, assiégeant les places fortes afin d’obtenir de substantiels tributs en échange de son retrait et d’une paix temporaire. Deux ans plus tard, la Grande Armée se reforma et se tourna vers le Wessex du roi Alfred, dernier royaume anglo-saxon encore indépendant.
Forts de notre victoire à Wareham dans le sud du Wessex, nous ne nous attendions pas à une contre-attaque saxonne. C’est pourtant ce que fit Alfred à Ethandun. Face à une armée nombreuse et puissante, mais sans réelle organisation ni équipement véritablement militaire, le souverain du Wessex opposa des formations disciplinées, s’inspirant du modèle Romain qu’il avait longuement étudié. Reproduisant les célèbres tortues des légions romaines, il fit progresser ses hommes à l’abri de leurs boucliers, au-dessus comme sur les côtés, et sur lesquels nous allions buter. La bataille fut terrible et l’issue incertaine durant de longues heures, mais les Saxons finirent par l’emporter, nous obligeant à fuir et subir, à notre tour, un siège dans la cité de Chippenham. Guthrum fut contraint de signer un traité de paix et d’être baptisé sous le parrainage de son vainqueur.
En 878, Alfred deviendra donc Alfred le Grand, premier roi de tous les Anglo-Saxons. Les enjeux étaient énormes, mais le souverain n’avait pas tremblé, une défaite aurait sans doute débouché sur la fin des Saxons et l’invasion totale de l’Angleterre par les Danois.
Ce qui restait de la Grande Armée se retira plus au nord, créant un royaume viking, le Danelaw, le territoire où règne la loi des danois, occupant toute la partie Nord-Est de l’île !
Durant ces treize années, Siegfried et moi ne nous séparâmes guère. Il avait fait de moi son second sur le champ de bataille, celui qui transmet les ordres des chefs avec son olifant. Des sons de cor, aux codes toujours renouvelés, permettaient de communiquer sur de grandes distances. Les périodes d’offensives se succédaient irrégulièrement du printemps à l’automne. Je participai à quelques-unes des batailles décisives qui débouchèrent sur le contrôle des différents royaumes vaincus, ainsi qu’à quelques sièges de villes résistantes qui se rendaient ou payaient en argent notre retrait. Des affrontements isolés se déroulaient sporadiquement, mais de longues trêves permettaient une vie presque normale pour l’ensemble de la population qui devait continuer le travail quotidien, notamment les travaux agricoles nécessaires aux besoins considérables en nourriture des uns et des autres.
Nous passions les hivers dans des camps près des côtes, souvent à l’embouchure de rivières. Le plus important que je connus fut celui de Repton, sur la Trent, une vaste plaine où plusieurs milliers d’hommes, de femmes et d’enfants s’étaient installés. La plupart vivaient dans des tentes. On y trouvait toutefois quelques structures plus solides. Chantiers navals, artisanat de toute sorte, commerces faisaient de ce camp, en activité comme en taille, une ville à part entière, plus étendue et plus peuplée que la majorité des cités britanniques. Le mode de vie scandinave y avait été reproduit avec ses lois, ses fêtes, ses jeux quotidiens. La grande fête de Jul donnait lieu, ici, à une cérémonie bien particulière. Les fils de Ragnar et les principaux chefs de clan avaient pris l’habitude de récompenser ceux qui, dans l’année écoulée, avaient montré des talents particuliers, principalement au combat. C’est ainsi qu’en 868, dans ma dix-huitième année, je reçus des mains d’Ivar le Désossé en personne, ma première épée, une belle épée de combat à la longue lame à double tranchant, solide et souple à la fois. Siegfried lui avait raconté comment, à la fin de l’été, j’avais, à grands coups de hache, forcé un passage parmi les Saxons qui gardaient un pont. Fait d’armes parmi d’autres qui, bien conté, pouvait transformer un jeune viking en un héros ayant permis la prise d’une bourgade d’où partaient trop souvent de petits groupes de rebelles. Nous fûmes, à cette mémorable soirée de Jul, une dizaine de guerriers à recevoir cette arme de prestige. S’en suivit une débauche de nourriture et de boisson tout aussi mémorable !
Ce camp, comme tous les autres, fut démantelé après le traité de paix signé par Alfred et Guthrum. Ceux qui s’étaient établis dans les terres conquises furent autorisés à rester, d’autres garderaient le Danelaw et ceux qui le souhaitaient, pouvaient revenir dans leurs différentes contrées de Scandinavie.
Je fis alors partie de ceux qui retournèrent en terre natale, craignant sans doute de perdre mon identité et mes racines. Je retrouvai naturellement mes frères à Ribe, où mon épée, ma hache, mon bouclier et mes beaux habits firent de moi une idole. Mais rapidement, le glorieux guerrier dut gagner sa nourriture. Ce que j’avais fui à quinze ans me rattrapait et c’est sans réel plaisir, que j’embarquai pour autre chose que des raids. L’odeur du sang m’avait toujours plus attiré que celle du poisson, mais j’éprouvais, à ce moment de ma vie, le besoin de souffler après ces treize années de violences.
Je ne pouvais compter le nombre de blessés et de trépassés dont j’avais dû m’occuper. Ceux qui étaient morts au combat festoyaient désormais auprès d’Odin au Valhalla, avec les autres einherjar, se rassasiant tous les soirs de la viande du sanglier Saehrimmir, buvant l’hydromel qui coule directement des pis de la chèvre Heidrun et combattant entre eux tous les jours jusqu’à la mort, avant de ressusciter, pour revenir au banquet du soir. Il n’en était pas de même pour les blessés les plus atteints. Estropiés, amputés, ils ne devaient leur survie qu’à la solidarité populaire qui, heureusement, dans chaque communauté alimentait des caisses de secours pour les indigents. J’avais moi-même reçu quelques mauvais coups qui m’avaient laissé des cicatrices. Une lance me transperça un jour le flanc droit, sans toucher miraculeusement d’organes vitaux. Quand Siegfried avait bu suffisamment de bière, il racontait comment il avait vu, dans la bataille, le marteau de Thor dévier la lance, afin qu’elle ne me tue pas. Le puissant Dieu n’en avait pas fini avec moi sur Midgard !
Mon chef, lui-même ne fut pas épargné par les blessures, et ce n’est pas à un marteau divin qu’il dut la vie, mais à une chose bien matérielle, son casque en l’occurrence, qu’un coup de hache fendit en deux, la lame ne venant qu’entailler son cuir chevelu, l’assommant tout de même au passage. Le destin ne voulut donc pas nous ouvrir les portes du Valhalla ni, heureusement, nous rendre infirmes.
En revanche, il fit de nous des spécialistes de la mort et de ses rites. À l’issue des batailles nous devions enterrer les défunts rapidement, le plus souvent dans des fosses communes, nous leur apportions toujours le respect qui leur était dû, n’omettant jamais de joindre à leurs corps, leurs armes, de la nourriture, de la boisson, sacrifiant pour les dieux un nombre d’animaux, proportionnel à celui des hommes dont l’âme s’était séparée du corps. Dans le meilleur des cas, de grands bûchers étaient dressés, corps et offrandes étaient incinérés, la fumée montait alors directement vers Asgard alors que les cendres retournaient à la terre.
Nous eûmes, avec mes compagnons, l’honneur de participer aux funérailles d’un second des frères Ragnardson, Leif Gunnarson le Géant. Sa haute taille faisait de lui un monstre auprès de nos ennemis, son crâne et ses larges épaules souvent couverts d’une peau d’ours, dont la tête et la mâchoire supérieure lui faisaient un casque effrayant. Il courait vers ses ennemis en hurlant à la manière de son animal totem découvrant des dents limées, peintes en rouge donnant l’impression qu’il avait en permanence du sang dans la bouche. Les pires histoires circulaient sur Leif, tant dans les rangs de nos adversaires que dans les nôtres. On le disait anthropophage, buveur de sang humain, égorgeant ses victimes, hommes, femmes ou même enfants. Cette personnalité lui valut l’amitié d’Ivar qui, lui-même, n’était pas un tendre.
Ni Siegfried ni moi ne portions crédit à ces rumeurs, nous l’avions croisé quelquefois sur le champ de bataille. Sa force, doublée de son courage, y faisait beaucoup de victimes. On l’apercevait régulièrement sur des camps, où la bière lui était servie directement dans de petits tonnelets et où sa taille et sa voix ne passaient jamais inaperçues. Cette haute stature fut, d’ailleurs, à l’origine de sa mort. Une flèche sifflant au-dessus de la mêlée vint se planter dans le cou de notre chef. Il réussit pourtant à se battre encore, pourfendant, à grands coups de hache, bon nombre de Saxons, avant de s’effondrer. Son agonie dura plusieurs jours avant que les Valkyries ne viennent l’emporter vers Odin.
Une grande fosse fut creusée en surplomb d’une rive de la rivière Trent, à proximité du grand camp d’hiver. Un bateau de douze mètres y fut placé. Le corps du berserk reposa sur un lit de bois, sur sa peau d’ours, au milieu du navire. Avant cela, il fut longuement préparé, toiletté, coiffé, la barbe tressée, orné de tous ses bijoux et revêtu de somptueux habits neufs, taillés dans les plus beaux lainages aux couleurs magnifiques.
Son cheval et ses chiens l’accompagneraient dans l’au-delà, ainsi qu’une esclave choisie parmi les plus belles. Ses armes et divers récipients contenant aliments et boissons furent répartis autour de lui. Après une semaine de festivités, les animaux et la jeune esclave furent sacrifiés et placés dans le bateau, le cheval à la proue, les chiens à la poupe et la fille à ses côtés, afin qu’elle puisse rapidement le servir. À la tombée de la nuit, le feu fut allumé et le bûcher brûla jusqu’au petit matin, dégageant une épaisse fumée, montant rapidement au ciel.
Quand les dernières braises s’éteignirent, il était temps de former le tumulus au-dessus de la fosse, formant une tombe qui persisterait dans les siècles à venir. Tout avait été fait pour que le Géant habite sa tombe le plus sereinement possible. Nul ne souhaitait qu’il devienne un jour ce draugr, mi-fantôme, mi-zombie, qui viendrait hanter ceux qui lui déplairaient, par leurs actions contraires à son repos, ne respectant pas son âme ou le souvenir de ce qu’il fut.
Mon statut de Viking me plaça dans une position particulière au sein de la communauté. Toujours prêt à répondre aux appels du Jarl, j’entraînais régulièrement les jeunes hommes à défendre leur cité. Nous n’eûmes jamais à nous battre pour la ville elle-même, mais il nous fallut plusieurs fois intervenir à l’extérieur pour réprimer quelques bandes de pillards qui erraient dans les campagnes ou aider à régler quelques différends entre clans, quand les coutumes n’y suffisaient pas ou que les jugements des Godar n’étaient pas respectés.
Il me fallut me battre aussi, assez régulièrement, contre mon père qui voulait absolument me marier et entamait souvent des négociations avec quelques pères en mal de caser leurs filles. Bien que le mariage soit une institution légitime qui permettait à la population de se reproduire et de perdurer, je n’y voyais que désagrément, les femmes de mon pays ayant un caractère bien plus trempé que celles que j’avais connues de l’autre côté de la mer du Nord.
Bien que la polygamie soit tolérée et que certaines esclaves puissent être utilisées à d’autres fins que domestiques, je m’imaginais difficilement lié par quelque lien que ce soit à une fille et à sa famille.
Une vie bien tranquille commençait à prendre forme, la pêche, même si je m’en échappais le plus souvent possible, les jeux avec une bande de fidèles amis, les fêtes qui rythmaient les saisons, la chasse, les services armés pour notre Jarl, faisaient passer les années. Si je n’avais eu ce passé de guerrier pour lequel j’inspirais admiration et respect à la plupart des habitants de la région, la vie d’homme libre et sans attaches que je menais aurait pu me valoir quelques tracas. Celui qui refusait le mariage, n’avait pas de réel métier, se battait volontiers et festoyait à la moindre occasion dénotait et ne montrait pas l’exemple pour les jeunes gens de la communauté. Par chance, mon caractère jovial, mon sens inné de l’entraide et ma participation à de nombreuses activités rétablissaient un équilibre somme toute fragile. Et je devins trentenaire.
Usé par le travail et la vie, mon père partit au royaume souterrain de Hel, la fille de Loki, rejoindre sa femme Norveig qui l’avait précédé de nombreuses années auparavant, en mettant au monde celui qui aurait dû être mon petit frère et qu’elle avait emmené avec elle.
Heureusement, mon père n’était pas mort noyé, la grande crainte des pêcheurs et des marins, sans quoi il n’aurait pu être accueilli par Hel, mais par la déesse Ràn, dans le sinistre royaume des morts noyés où il aurait été bien seul.
Le cimetière de tombes naviformes en pierres dressées de Ribe était l’endroit idéal pour y ensevelir notre père. À la manière des plus grands, parés de ses plus beaux habits, il fut installé dans une de ses barques, un filet de pêche à ses pieds, quelques outils du quotidien et de la nourriture à ses côtés sans oublier son vieux chat qui continuerait à lui tenir compagnie dans sa nouvelle vie. L’influence grandissante des chrétiens limitait les crémations. La barque, placée dans une fosse, fut donc recouverte d’un petit tertre entouré de pierres, reprenant la forme du bateau. Dans certains cas, le bateau était symboliquement remplacé par des clous et des rivets répartis autour du défunt afin de lui offrir une digne tombe, sans sacrifier une embarcation coûteuse.
Sept ans après mon retour, ma vie allait prendre une nouvelle direction. Siegfried qui m’avait éduqué à l’art du pillage et de la guerre, auprès duquel j’avais combattu tant de fois, devenant au fil du temps le second, vint me trouver dans mon humble demeure. Il montait une expédition pour participer à la nouvelle armée qui devait conquérir Paris... Comment résister à une telle offre ? Le temps de sortir mes armes de leur coffre, je montais sur le cheval qu’il avait prévu pour moi ne doutant pas de ma réponse. Une deuxième fois, mes frères me voyaient quitter une maison que je ne reverrais peut-être plus !
Quelques années auparavant, en compagnie de Godfred, Siegried s’était aventuré jusqu’en Lotharingie. Ils avaient quitté le pays après le paiement, par Charles le Gros, d’une rançon de deux mille huit cents livres d’argent et d’or prélevée dans le Trésor de la Cathédrale Saint-Etienne de Metz.
Deux ans plus tard en 884, l’empereur ordonna aux Francs neustriens et lotharingiens d’attaquer les Scandinaves qui hivernaient à Louvain. En vainqueurs, les Danois décidèrent à leur tour une grande expédition contre la Francie occidentale. Ils s’emparèrent de Rouen au mois de juillet. Rejoignant ceux de Louvain, des bandes venues d’Angleterre et du Danemark, dont je faisais désormais partie, arrivèrent sur la Seine. Ce ne sont pas moins de sept cents navires portant plusieurs dizaines de milliers d’hommes qui remontèrent le fleuve.
Le 25 novembre 885 s’engagea une nouvelle tentative pour conquérir Paris ou, du moins, en forcer le passage. Siefried fut alors envoyé en émissaire auprès de l’évêque Gozlin à qui il promit de ne pas attaquer la ville en échange du droit de passer au-delà de Paris vers la Bourgogne. Le refus de l’évêque précipita la ville dans un chaos de presque deux ans.
À la différence des précédentes tentatives de conquête de la cité, celle-ci était fortifiée depuis 877. Deux solides ponts, notamment, interdisaient le passage du fleuve. Munis d’échauguettes surmontées de tours, ces ponts nous empêchaient d’accéder à la ville, de la prendre ou de l’incendier. Nous étions nombreux, bien préparés et équipés, mais la résistance des francs fut héroïque. Nous n’eûmes d’autre choix que de les assiéger.
Après de terribles et meurtrières charges, en ce mois de novembre, pour tenter de faire céder, en vain, les Parisiens, de multiples stratégies furent mises en place sans succès probant. Les assiégés n’abandonnèrent jamais le combat.
Nos troupes ne perdaient pour autant ni leur moral ni leur temps puisque la situation figée du siège et notre grand nombre nous autorisaient des escapades régulières. Siegfried nous mena, entre autres, piller les régions de Reims puis de Bayeux.
C’est une action du comte Eudes, défenseur de la ville, qui décida de la suite et de la fin de l’aventure. Quittant secrètement Paris, laissant le commandement à Elbes, l’abbé de Saint-Denis, il alla réclamer l’aide de l’Empereur Charles le Gros. De retour d’Italie, celui-ci quitta alors Metz et marcha vers l’ouest. Surpris par la puissance de notre armée, il se refusa à l’affronter préférant accepter ce que Gozlin avait refusé un an avant.
Le paiement d’un tribut de sept cents livres d’argent mit fin à l’offensive six mois plus tard. Outre l’argent, nous avions obtenu un droit de passage vers la Bourgogne que nous allions pouvoir piller sans retenue. Pour Charles, Paris était sauvée, et la région qui lui posait quelques soucis allait être bien affaiblie. Tout cela sans perte pour ses troupes, l’empereur, sans gloire, ne s’en sortait pas si mal.
Après ces événements, Siegfried et moi retrouvions une deuxième jeunesse participant notamment aux pillages de Troyes, Toul, et de la région de Verdun. C’est là que les dieux décidèrent de mon avenir. Au début de l’été 888, enrichi, fatigué et vieillissant, Siegfried décida de changer de stratégie et vit en la Lotharingie un pays avec lequel nous pourrions avoir d’autres relations, aussi m’envoya-t-il en émissaire à Metz à la cour de Rodolphe Ier.
J’y découvris une culture héritée de leurs ancêtres mérovingiens. Les bijoux, les parures étaient sans équivalents, l’art sous toutes ses formes était développé, la religion chrétienne y était puissante et le commerce, florissant, attira mon attention.
À deux jours de cheval de là, Verdun était une plaque tournante géographique. Un marché conséquent s’y était développé où se vendaient et s’échangeaient toutes sortes de produits, métaux, vin, tissus, céréales, épices et bien sûr, esclaves. Bien que la religion officielle condamne le commerce d’êtres humains, elle le laissait encore se pratiquer. De jeunes et robustes mâles étaient sélectionnés pour devenir eunuques chez quelques riches princes arabes. Ils partaient alors pour un long voyage dont beaucoup ne verraient pas l’issue, transitant par l’Espagne où des spécialistes juifs les castreraient, quand ce n’était pas fait sur place, occasionnant de lourdes pertes parmi les « élus » !
Les propositions de paix de Siegfried séduisirent Rodolphe Ier qui lui accorda une ancienne Villa romaine, les terres et les serviteurs qui s’y attachaient. Quant à moi, il me proposa un droit de commerce entre Metz et Hedeby, port et marché danois en pleine expansion. Siegfried m’offrit un magnifique Knorr, un navire de transport de quinze mètres de long sur cinq de large permettant de transporter huit à dix tonnes de denrées. Ce bateau qui nous accompagnait depuis la campagne de Paris serait l’outil idéal pour mes futures activités.
Le trésor amassé lors des derniers pillages me permettrait d’engager une dizaine d’hommes parmi la cinquantaine de nos compagnons restés à nos côtés, les autres pourraient louer leurs talents comme mercenaires, s’intégrer dans cette nouvelle région ou bien encore retourner vivre en Scandinavie où ils retrouveraient sans doute famille et ancien métier.
L’évêque de Verdun nous imposa le baptême en échange d’un soutien dont nous ne pouvions nous passer. Nous n’étions pas les premiers Scandinaves à nous convertir de cette façon ce qui ne nous posait aucun problème, nos dieux étant très tolérants. Un Mjöllnir légèrement déformé ferait une parfaite croix chrétienne. Il n’était pas question pour moi de renier le Dieu dont je portais le nom. Thor m’avait si souvent sorti de mauvais pas dans la bataille usant de son marteau pour éliminer les ennemis dont j’étais à la merci, et qui maintenant m’offrait une destinée si prometteuse.
Ce destin allait être définitivement scellé par ma rencontre avec Reinhild d’Hedeby en visite à la cour de Rodolphe. Elle était la fille de Gisela de Lotharingie héritière de Lothaire II, et de Gorm du Danemark né en Angleterre, fils de Sigurd Œil de serpent et roi d’Hedeby jusqu’à sa mort en 885. Ce mariage et cette naissance avaient assuré des liens solides entre la Lotharingie et la prospère ville danoise. Depuis la disparition de son père, Reinhild portait le titre honorifique de Reine et bénéficiait des avantages qui y étaient liés, sa mère Gisela s’était retirée dans un couvent de l’évêché de Toul. Ce statut faisait d’elle la femme la plus importante et influente de la cité dont elle était, par ailleurs, l’ambassadrice. La ville était administrée par un conseil de représentants des différentes communautés, présidé par la reine. Parmi les dames de compagnie de Reinhild se tenait Vighild Helgisdottir.
Moi qui n’avais jamais vu d’intérêt à une quelconque liaison de plus d’une nuit avec une femme, moi le terrible guerrier, je fus envahi par un sentiment aussi nouveau que puissant. Peut-être demanderai-je un jour à l’évêque si c’était ce qu’il appelait un miracle ou peut-être Freya, qui ne m’avait jamais inspiré jusque-là, s’était-elle penchée sur ma modeste existence ? En fermant les yeux, je me vis aux côtés de cette femme magnifique devant l’entrée d’une grande maison à surveiller une ribambelle d’enfants turbulents. Bien que peu enclin à la magie, je me surpris alors à penser consulter une völva qui, pratiquant le Seidr, pourrait me dire ce que les Nornes, tisseuses de destin, manigançaient dans mon dos. Rois et Jarls aimaient compter dans leur entourage une prêtresse du Seidr qui pouvait lors de transes impressionnantes entrer en contact avec les mondes invisibles ou divins, réalisant alors divinations, prophéties ou enchantements. Sa quenouille lui servait d’instrument magique.
Comme bon nombre d’hommes du peuple et de guerriers, je me tenais éloigné de ces pratiques surnaturelles, préférant laisser aux dieux eux-mêmes les rênes de mon destin, y ajoutant, quand ils le permettaient, une petite touche personnelle.
Quoi qu’il en soit, j’étais, il faut bien le dire, tombé amoureux. Tomber au combat m’ouvrirait les portes du Valhalla. L’amour ouvrait-il celles du Paradis ?
L’occasion était trop belle, je proposai notre protection à Reinhild et ses accompagnants pour le chemin du retour à Hedeby, ce qu’elle accepta, non sans avoir compris ce que cela cachait. Rodolphe et l’évêque donnèrent également leur bénédiction officialisant ma démarche. Je me promis de demander la main de Vighild à sa protectrice dès notre arrivée au Danemark, foi de Thorolf !
L’été finissant, il était grand temps de se préparer au départ, après avoir fait mes dignes adieux à Siegfried. Nos chemins se séparaient une nouvelle fois, mais je ne doutais pas que le destin nous ferait encore nous rencontrer à l’avenir.
Je n’eus aucune difficulté à recruter une dizaine d’hommes parmi mes anciens compagnons d’armes, fidèles amis à la recherche, comme moi, de nouvelles aventures. J’investis le reste de mon argent dans l’achat de diverses marchandises que je revendrais au marché d’Hedeby. Ainsi débuta ma vie de commerçant. Le Knorr fut chargé, Reinhild et la vingtaine de personnes l’accompagnant prirent place dans deux embarcations plus modestes. Mes hommes et moi nous répartîmes dans les trois navires, le hasard ne fut aucunement responsable de ma présence aux côtés de la belle Vighild...
Nous allions entrer dans une période faste pour les marchands, une économie d’échange renaissait après des siècles troublés. Les routes nord-sud et est-ouest offraient des possibilités de commerce sur de longues distances terrestres, maritimes ou fluviales. Nos bateaux nordiques y faisaient merveille. Des villes comme Ribe, Hedeby, Bonn, Mayence, Verdun, Metz allaient en profiter de même que la Suède ou l’Angleterre dans leur globalité. L’argent était la monnaie commune, sous forme de pièces ou de lingots découpés au poids, à la demande. Du Nord au Sud se vendaient, esclaves, fourrure, graisse, ambre, ivoire de morse... au retour, vin, huile, épices, luxe d’orient, soierie, bijoux étaient importés. D’est en ouest circulaient préférentiellement bois, armes, métaux, céréales et vin. En bref, tout ce qu’il fallait pour enrichir marchands et villes commerciales, sans épées, haches et boucliers, enfin, presque...
Nos allures, encore guerrières, nous assurèrent un voyage assez paisible et la présence de Reinhild nous ouvrit des portes qui se seraient, sinon, bien fermées devant de terribles Vikings. Ces haltes nous offraient des repas et des nuits de plus grand plaisir et confort que nos poissons séchés et les bancs des navires. Fleuves et rivières furent parcourus durant ce beau mois de septembre. C’est après avoir repris un petit trajet maritime que nous accostâmes dans le port d’Hedeby, à l’extrémité de la Schlei, bras de mer de la Baltique d’une dizaine de lieues.
Je n’avais jamais rien vu de tel, ouverte en demi-cercle sur les terres, protégée par des palissades de bois avant le port et d’un rempart de terre vers la plaine, la ville grouillait d’une activité incroyable. En premier plan, des maisons de pêcheurs comme à Ribe, devant lesquelles on observait filets et autres paniers. Ensuite, se situaient les maisons d’artisans, petites constructions semi-enterrées, ouvertes sur rue par un atelier-boutique avec à l’arrière la partie habitable, au toit souvent végétal. À la suite, on apercevait d’autres maisons un peu plus grandes avec une ou deux dépendances abritant des familles entières, leurs animaux et leurs esclaves, avec leurs toits de chaume ou de larges tuiles de bois. De simples tentes et des tentes-échoppes formaient un vaste marché sur la place centrale, alors qu’en arrière-plan quelques maisons longues de riches notables avec leur forme caractéristique de bateaux retournés, aux portes finement sculptées, se succédaient jusqu’aux remparts.
Au-delà des palissades, on apercevait les contreforts du Danevirke, ligne de fortifications, construite, renforcée et entretenue depuis plusieurs siècles. Traversant l’isthme du Schleswig, le mur défensif protégeait la frontière séparant le Jutland du reste du continent européen. D’une trentaine de kilomètres, il suivait la route la plus courte entre la mer du Nord et la Baltique.
Reinhild, reconnue, fut happée par une foule qui l’accompagna jusqu’à sa maison, aux sons des cornes, des tambours et des cris d’enfants, remontant la large allée rectiligne qui traversait Hedeby en son centre, jusqu’aux remparts. Pantois, je demeurais de longues minutes à bord du Knorr. L’arrivée d’un groupe d’hommes dont plusieurs en armes, encadrant deux personnages somptueusement vêtus, me tira de ma torpeur.
Le plus âgé portait un grand manteau de laine vert, agrémenté de parementures jaunes, fermé au tiers de sa hauteur par une rangée de boutons dorés et, à la taille, par une large ceinture de soie aux couleurs vives. Il portait sur la tête un grand bonnet de laine, vert également, bordé de fourrure. De belles bottes de cuir apparaissaient sous le manteau. Le second portait un caftan plus classique, mais de tout aussi haute facture, de laine mauve ourlée de soie jaune, croisé sur le devant et fermé par une ceinture de galon de laine aux motifs géométriques. Sa coiffe était de cuir, bordée de fourrure. Son pantalon bouffant, de laine bleue, était serré aux jambes couvertes de bandes molletières. De fines chaussures de cuir couvraient ses pieds. Tous deux portaient à leur ceinture de cuir aux inclusions métalliques, une épée de parade au pommeau et à la garde incrustés d’or, d’argent et de cuivre. Bagues, bracelets et colliers en métaux précieux et perles de verre attestaient de leur statut et de leur fortune.
Le premier contact fut assez froid, mais mon attestation de droit commercial signé par Rodolphe Ier de Lotharingie ainsi que mes références à Siegfried et aux frères Ragnarson eurent raison de la retenue des représentants de la cité. Je confiai le bateau et sa cargaison à mes compagnons et suivis les émissaires dans la maison longue des notables de la ville.
Sous la responsabilité de Reinhild, deux hersar danois et deux varègues administraient le port, épaulés par la garde royale, autant pour garantir leur sécurité que pour leur rappeler leur allégeance. Des représentants des principales corporations de la ville complétaient le conseil, qui, la reine à sa tête, gouvernait la cité et les campagnes qui en dépendaient. Le cas échéant, les hersar avaient le pouvoir et le devoir de commander chacun une centaine d’hommes pour défendre la ville ou répondre à l’appel du Jarl du comté en cas de conflit plus important, voire de guerre, sur le territoire ou à l’étranger. Chaque bondi, homme libre, en âge de combattre et régulièrement entraîné, devait alors préparer ses armes, le plus souvent une simple hache de travail ou une lance, et suivre les commandants.
Il me fut alors fermement indiqué que je ne devrais, en aucun cas, m’éloigner des conditions contractuelles de mes droits commerciaux, tant sur la zone géographique allant de Metz à Hedeby par les voies fluviales, que sur les produits échangés, artisanat et productions locales des deux pays et esclaves, ni armes, ni produits de luxe orientaux, rus ou varègues ! Ces formalités terminées, l’ambiance se détendit et l’on m’annonça qu’un grand banquet, offert par Reinhild, se tiendrait, ce soir même, dans sa demeure, en l’honneur de mon équipage et au nom de notre amitié.
Je ne prêtai guère attention aux paroles d’accueil des uns et des autres, mon esprit étant accaparé par la perspective de la soirée à venir, et surtout de la façon dont je pourrai demander Vighild en mariage... Je n’avais que quelques heures pour découvrir si, parmi mes compagnons, l’un d’eux avait une quelconque expérience en la matière. Il nous faudrait également trouver de quoi nous laver et nous vêtir au niveau de l’honneur qui nous était fait.
Ma situation et celle de la jeune femme ne permettaient pas d’envisager une union classique, négociée par nos deux familles assistées de quelques personnes importantes de nos villages d’origine. Mon second, Haabjorn Ingvaldson, me proposa de rencontrer Reinhild, la tutrice de Vighild depuis la mort prématurée de ses parents, et de régler avec elle les conditions de notre mariage. Le jeune Jorik Langue Pendue fut envoyé afin de prévenir la reine et sa suivante. Nul doute que sa verve saurait convaincre ces dames tout en les amusant ! Il deviendra un célèbre scalde connu dans tout le monde viking. L’adolescent racontait déjà à merveille des histoires sur Ragnar Lodbrock et ses fils, la Grande Armée, sur Siegfried et moi-même, sans en avoir vécu aucune, mémorisant et embellissant chacun de nos récits !
Propres, cheveux et barbes peignés, vêtus de magnifiques tenues danoises en laine teintée aux éclatantes couleurs, parés de nos plus beaux bijoux, nous attendions patiemment le signal qui indiquerait le début du banquet. Des odeurs de nourriture et de prometteuses boissons, envahissaient déjà les rues de la ville. La nuit était tombée depuis quelques heures quand quatre longs sons d’olifant, qui me rappelèrent étrangement mon rôle auprès de Siegfried dans les batailles, nous invitèrent à entrer dans la maison longue royale.
Une imposante double porte sculptée en protégeait l’entrée et ouvrait, passé la poutre de seuil, sur une immense halle de plus de trente mètres de longueur avec, au fond, une estrade. Au centre, sur un dallage de larges pierres, trois foyers permettaient de cuire différents aliments et de chauffer le bâtiment de bois. De part et d’autre, banquettes, tables et bancs de bois attendaient les invités, des fourrures et des tapisseries brodées ornaient les murs tout en les isolant du froid extérieur. Des lampes à huile et quelques cierges de cire d’abeille éclairaient faiblement le lieu, créant une ambiance propice à la fête qui se préparait.
Sur l’estrade, Reinhild était assise sur un trône finement sculpté, garni de peaux et de coussins, tandis que son fils Grim Olavson, petit blondinet de cinq ans, avait pris place à sa droite, représentant fièrement son père. Olav Haraldson surveillait son petit monde depuis le Valhalla où Odin l’avait accueilli quelques années plus tôt. Il avait perdu la vie en portant secours au jarl Thorgil, dit Knut l’Ancien, lors de la bataille qui permit à Alfred le Grand de reprendre Londres à Guthrum en 886. Au soir de cette défaite, les Valkyries avaient conduit Thorgil, Olav et bon nombre de leurs hommes dans les plaines d’Idavoll au centre d’Asgard où Odin les attendait pour festoyer.
Assise à gauche de la Reine, en léger retrait, Vighild me suivait du regard. Ses grands yeux bleus fendaient la foule. Peut-être même pouvaient-ils traverser les poutres afin de ne pas me perdre ? Je m’amusais un peu de cette attitude en filant d’un endroit à l’autre de la grande salle. Sa jeunesse pétillante y répondait par des regards faussement courroucés, trahis par de discrets sourires que ses jolies lèvres carmin ne pouvaient réprimer. Tova, la servante slave qui ne la quittait jamais, avait réalisé de magnifiques tresses dans sa longue chevelure blonde. Bien que maîtresse et esclave, les deux jeunes femmes cachaient difficilement une complicité qui n’était pas forcément du goût de tous. Reinhild leur rappelait assez souvent. Elle tolérait, certes, ces attitudes en privé, mais son statut l’empêchait de les autoriser en public. Aux yeux du plus grand nombre, les esclaves avaient perdu toute dignité humaine quand ce n’était pas, tout bonnement, leur humanité, les rabaissant au rang des animaux dont ils partageaient régulièrement l’habitat. Leurs maîtres avaient droit de vie et de mort sur eux bien qu’ils fussent plus utiles vivants que morts.
Les thraellar et ambattir de la maisonnée, sans doute les mieux traités d’Hedeby, avaient déjà posé sur les tables quelques victuailles, des petits pains d’orge et d’épeautre cuits sur des plaques de fer, toutes sortes de fruits secs, fruits des bois, séchés ou conservés dans du miel, saumon à l’aneth, morue et autre hareng séché, tandis que dans de gros chaudrons mijotaient des potées de légumes, choux, carottes, oignons, panais, navets, champignons... relevées de quelques épices exotiques et de graines locales, genévrier, moutarde, pavot, fenouil ou coriandre sans oublier le myrte des marais aux vertus multiples qui, en cuisine, parfume plats ou alcool. De grosses volailles ainsi que de beaux morceaux de porc, de mouton et de bœuf doraient au-dessus des foyers, à la broche ou sur des grilles en spirales prolongées d’un long manche, emplissant la halle d’une odeur à nulle autre pareille.
De beaux morceaux de gibier avaient été préparés spécialement pour être cuits dans des fosses au fond desquelles des pierres brûlantes étaient placées. On posait dessus la viande, enroulée dans des feuilles, on disposait de nouveau des pierres chauffées à blanc que l’on recouvrait d’une couche de tourbe pour combler la fosse. Il suffisait alors de laisser cuire quelques heures avant de déguster. Les produits laitiers ne manqueraient pas, du lait à boire jusqu’au skyr, fromage blanc frais, en passant par différents fromages fortement salés, principalement fabriqués à base de lait de vache, quelques spécialités au lait de chèvre seraient présentées également. Les esclaves s’affairaient afin que chacun, le moment venu, ne manque pas de nourriture, et surtout, de boisson. Assiettes et bols en bois, cuillères et couteaux, gobelets en bois, corne ou métal, quelques cornes à boire finement décorées et même quelques verres ornaient les tables.
De larges récipients de bière forte dans lesquelles plongeraient de somptueuses cornes de cérémonie, afin de servir les hôtes, avaient été répartis dans la salle, tandis que de grandes cruches d’hydromel attendaient leur heure. Le vin de Moselle, fraîchement débarqué de notre Knorr, avait été préparé avec l’adjonction de quelques épices, mais sans être coupé d’eau. Ce vin de Lotharingie deviendrait sans doute l’une des bases de mon négoce tant les puissants de Scandinavie l’appréciaient. J’eus même, à cet instant, une sorte de vision, me voyant cultiver la vigne et produire mon propre vin, ici, au Danemark...
Après quelques mots d’accueil de la reine, qui avait invité les personnalités influentes d’Hedeby ainsi que quelques riches marchands et habiles artisans avec qui je ferais affaire dans les années à venir, place fut laissée à la fête. Dès que la bière eut échauffé les esprits, chants et contes se succédèrent. Jorik Langue Pendue prenant une part plus qu’active à ces réjouissances avant que l’hydromel n’eût raison de sa jeunesse. Avant cela, il eut le temps de faire de moi une sorte de héros, comparable à ceux de la Grèce antique, dont les Byzantins ne tarissent pas d’éloges. À l’entendre, je menais à moi seul la Grande Armée et aurais conquis Paris si l’Empereur Charles le Gros n’avait lâchement payé le tribut. Encore une preuve que le temps ferait de lui un grand poète. Toutefois, hommes et femmes n’ayant jamais manié l’épée ou la hache, aimaient ces récits héroïques. Je laissais donc Jorik enflammer les esprits. Nul doute qu’un jour ces paroles serviraient mes intérêts.
Le temps de la musique était venu également. Lyres, flûtes, vièles et percussions accompagnaient les voix puissantes de quelques hommes et femmes à qui Odin lui-même, père des dieux, dieu de la poésie, avait donné le don de la musique et du chant. Parmi eux, une frêle jeune femme à la longue chevelure blonde se distinguait par sa voix douce et envoûtante et sa dextérité à manier tous les instruments existants. Elle était la fille de Bragi Boddason dit l’Ancien, célèbre scalde norvégien, et se prénommait Magnhyld. La gloire des dieux et des héros était louée par leurs chants, bien que la vie de tous les jours n’en fut pas exclue. À la demande, des textes plus légers faisaient partie du répertoire.
Ici et là, quelques couples s’adonnaient à un jeu de duel de consommation d’alcool et d’éloquence, buvant, déclamant des poésies, se vantant tout en dénigrant les adversaires. Toutefois, promesse fut faite aujourd’hui, de ne pas en arriver aux mains, ce qui était assez fréquent à l’issue de ces réjouissances. D’autres, plus calmes, avaient sorti des coffres des plateaux de Hnefatafl, ces jeux de table opposant un roi, le Hnefl, et ses douze soldats blancs, à vingt-quatre guerriers noirs. La capture du roi par les pions noirs donnait la victoire aux attaquants. Les blancs assuraient sa défense en essayant de lui permettre d’accéder à une des quatre citadelles placées aux angles du plateau. Là aussi, les parties se terminaient parfois en pugilat, la probité d’un des joueurs mise plus ou moins en cause suffisait à déclencher une rixe dont les conséquences pouvaient être dramatiques.
Alors que les panses se remplissaient et que l’alcool embrumait bien des esprits, Haabjorn et Reinhild, sobres, discutaient de mon union avec Vighild. Avant même d’en envisager les conditions matérielles, ils décidèrent de la date du mariage, prouvant ainsi que rien ne viendrait contrarier le projet. Ce serait, comme de coutume, un vendredi, jour de Frigga, déesse de l’amour et du mariage. Le premier du mois de septembre fut retenu, après les moissons et avant le mauvais temps afin que les réserves de nourriture soient suffisantes ainsi que le miel nécessaire à la fabrication de l’hydromel pour les noces et la Lune de miel. Une Lune pendant laquelle les époux doivent continuer à se partager l’hydromel du mariage. Une date idéale pour que les invités soient libérés des travaux des champs et puissent voyager dans de bonnes conditions.
Une année pendant laquelle Vighild tisserait et coudrait vêtements et linge de maison. Elle se préparerait auprès des femmes mariées de la cité à devenir une bonne husfreyja, cette maîtresse de maison qui, en l’absence de son mari, savait gérer les affaires de la maisonnée. Dans le même temps, j’installerais mon activité commerciale et construirais notre future demeure. Telles furent les conditions demandées et acceptées par les deux parties. Douze mois qui permettraient aussi à Vighild et moi de mieux nous connaître et tisser les liens qui nous uniraient pour le restant de nos vies.
Au petit matin, la halle n’avait plus tout à fait la splendeur de la veille au soir. Nombre d’hommes et de femmes n’avaient eu d’autres solutions que d’y dormir, plus très sûrs que leurs jambes ou leur tête pourraient les mener à leur maison. Petit à petit, la vie quotidienne reprit ses droits et tout le monde alla, tant bien que mal, vaquer à ses occupations.
Il nous fallait maintenant, avec mes compagnons, terminer de vider de son chargement le Knorr, qui avait été gardé toute la nuit par quelques gardes de Reinhild, et nous diriger vers le marché où nous allions faire nos premiers pas de commerçants. La vie avait fait de moi un apprenti pêcheur, un Viking, un guerrier, de nouveau un pêcheur, de nouveau un Viking et maintenant un marchand que de nouvelles aventures attendaient. Le marchand, comme le combattant, ne saurait se séparer de son épée et de quelques robustes compagnons bien armés également. Le commerce et les voyages en notre temps n’étant pas toujours faciles à gérer !
Notre stock de céréales, de vin, de sel, de tissus et quelques échantillons de métal ramenés de Metz furent très rapidement écoulés. Pas ou peu de troc cette fois-ci, j’avais besoin d’argent que je reçus en pièces arabes et fragments de lingots. Sous une forme ou une autre, l’argent était la monnaie d’échange. Chaque marchandise avait une valeur en poids d’argent. La valeur des pièces correspondait également à leur poids en métal précieux. C’est ainsi que le premier investissement d’un négociant résidait dans l’achat d’une balance à doubles plateaux, permettant d’évaluer le poids des morceaux de lingot, le plus souvent découpés au fur et à mesure des transactions, quand ce n’était pas les pièces elles-mêmes qui étaient fragmentées. Ce petit trésor me permit de payer mes hommes qui iraient, au moins pour l’hiver, trouver fortune ailleurs. Quelques-uns me reviendraient au printemps pour retourner à Metz.
Cet hiver ne serait pas trop long pour moi, je constituerais des réserves de marchandises que j’échangerais en Lotharingie au printemps. Je commencerais à construire ma future demeure et réviserais le navire qui, déjà plus tout neuf, avait souffert du dernier voyage. Un bon programme qui ne s’interromprait que pendant les fêtes de Jul, au solstice d’hiver, et devrait être, en grande partie, réalisé avant de reprendre les fleuves et les rivières au mois de mars.
Pas de soucis particuliers concernant l’entretien du bateau. Hedeby possédait un sérieux chantier naval où de fameux charpentiers, aidés de solides esclaves, construisaient et réparaient tout ce qui allait sur l’eau, de la barque de pêche au langskip, en passant par les fabuleux snekkar de guerre que je connaissais si bien. Quelle que soit la taille de ces embarcations, la technique de construction était la même. Bordés à clin, ils étaient faits de longues planches de chêne souple, fixées entre elles par des rivets de fer. Le mât était escamotable pour permettre de passer sous des ponts. Il était équipé d’une voile de laine carrée, parfois multicolore, dont les coutures étaient imperméabilisées à la poix, tout comme les cordages. L’étrave, souvent sculptée, était faite d’un seul tenant, de même que la longue et fine quille. Le dernier point commun de tous ces bateaux était l’aviron-gouvernail situé à tribord.
Le calfatage était réalisé avec des fibres végétales ou animales, enduites de goudron de pin, placées entre les planches. L’ensemble de la coque était couvert de poix et pouvait être peint. Sur les navires de guerre, les herskips, à tribord et à bâbord, sur toute la longueur des ponts, les boucliers colorés des guerriers étaient ostensiblement accrochés, ajoutés aux figures de proue monstrueuses, ils contribuaient à rendre ces bateaux terrifiants dès qu’on les apercevait au large. Le développement des besoins maritimes et fluviaux, tant pour les expéditions commerciales que pirates ou guerrières, entraîna celui des chantiers navals et tout ce que cela réclamait : l’utilisation du bois en énorme quantité, sa gestion, la formation et la qualification d’artisans et d’esclaves aux techniques de construction. La forge, le tissage des voiles, la production de laine, tout cela prit également de l’ampleur.
Parallèlement, la production de goudron de pin, connue depuis des siècles à l’échelle locale, dut s’adapter. Cent trente litres du produit étaient nécessaires pour étanchéifier un langskip.
De grandes fosses, des tjärdal, d’une contenance de cinq cents litres, remplacèrent progressivement les petits fours ancestraux. D’une embouchure pouvant dépasser un mètre de circonférence, les fosses étaient pourvues d’énormes jarres de terre cuite, dans lesquelles s’écoulait la poix produite par une lente combustion de la résine de pin. Le bois couvert de tourbe se consumait au-dessus des excavations. La production et le commerce du goudron de pin se développèrent également au point de pouvoir même en exporter.
Trouver un toit devenait primordial, la tente qui me servait de boutique sur le marché central ne résisterait pas longtemps aux bourrasques qui accompagneraient bientôt l’arrivée de l’automne. Les dieux qui ne m’avaient pas abandonné, mirent sur ma route un couple de négociants venu des lointaines îles Lofoten, au climat si tempéré, qui faisaient face aux côtes du nord de la Norvège.