Le Duplicant et autres nouvelles du futur - Paul A. Garance - E-Book

Le Duplicant et autres nouvelles du futur E-Book

Paul A. Garance

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Beschreibung

Un duplicant qui tente de se faire une place dans l'univers du cinéma hollywoodien... Un homme sans visage, ou plutôt aux cent visages, torturé par un tueur sadique... Un cambrioleur intergalactique qui fait son casse de trop... Deux enquêteurs mnemonautes qui explorent les souvenirs pour retrouver un assassin... Le gagnant d'une loterie mortelle qui dit "merde" au système... Cinq nouvelles, cinq futurs plus ou moins proches. Le destin de ces personnages forts, héros et anti-héros, ne vous laissera pas indemne. Bien plus que l'avenir des possibles, l'auteur Paul A. Garance nous fait explorer ici les méandres clairs obscurs de l'humanité.

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Veröffentlichungsjahr: 2022

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Sommaire

Le Duplicant

L’Homme aux cent visages

Mon trésor

Juste une balle

La Loterie

Pour ma famille.

Je vous aime, à l'infini et au-delà.

Le Duplicant

Beverly Hills, Californie 1er janvier 2074, 00h01

— Bonne année, pétasses ! hurla Cindy Cox, en faisant sauter le bouchon de son Armand de Brignac « As de trèfle » 2040.

En face d’elle, une trentaine de femmes hystériques semblaient toutes sorties d’un magazine Playboy ou du même moule : 90-60-90. Elles agitaient chacune leur flûte en riant comme des hyènes. Ce soir, Cindy n’avait donné qu’une seule consigne : pas d’hommes, le pouvoir aux filles.

La luxueuse maison de Cindy, star de la téléréalité, avait pris pour l’occasion des allures de boîte de nuit. Ses voisins n’étant pour la plupart jamais là, la musique ne dérangerait pas beaucoup de monde, hormis les mouettes peut-être. La vedette avait fait bâtir sa villa à même la plage, grâce au président Barron Trump qui, au mépris des organismes de protection de l’environnement, autorisait à construire absolument n’importe où. Les tortues et oiseaux tropicaux, qui venaient pondre dans ce sanctuaire californien depuis le dérèglement climatique, avaient tout de même été déplacés à plusieurs milliers de kilomètres d’ici, dans un nouveau paradis : les îles Féroé au Danemark. L’honneur était sauf. Tout allait bien.

Les fêtardes comptaient bien se lâcher et engloutir des tonnes de macarons de Paris tout en buvant sans retenue le champagne à 10 000 dollars la bouteille. Tout un programme pour la nouvelle année.

Le premier feu d’artifice explosa. Elles se ruèrent sur le balcon. Celui-ci donnait une belle vue sur la plage d’où étaient lancées les fusées. Le spectacle dura un bon quart d’heure, sur fond de DJ Nicole 4.2.

Aussi éblouies qu’assourdies, les starlettes ne prêtèrent aucune attention au coup de feu qui retentit dans la villa voisine, celle de l’acteur fraîchement oscarisé, Aaron Monroe. Aucune n’aperçut non plus la silhouette d’un homme s’enfuir par la porte d’entrée, une statuette dorée sous le bras.

Pourtant, le lendemain, pour les chaînes d’information, elles jurèrent avoir tout vu. Livrant leur meilleure performance d’actrice sous l’œil des caméras, elles jouaient les victimes traumatisées, à renfort de larmes et eye-liner coulant : « Cela aurait pu être moi, hoquetait l’une.

— J’aurais pu le sauver, regrettait l’autre entre deux sanglots.

— Il était le meilleur voisin dont on pourrait rêver, affirmait Cindy. »

Les échanges avec l’acteur, en deux ans de voisinage, ne s’étaient pourtant résumés qu’à une seule conversation. Ce jour- là, elle venait d’emménager et lui avait dit : « Salut, Aaron ! j’adore ce que tu fais. ».

Il lui avait répondu : « Ta gueule. »

Ballintoy, Irlande du Nord 12 avril 2065

Le moteur vibrant de la Lamborghini ne manqua pas de faire tourner les têtes de quelques badauds traînant sur le port de Ballintoy. Dans ce petit village de pêcheurs, peuplé d’à peine deux cents âmes, les voitures de luxe n’étaient pas monnaie courante ; encore moins celles conduites par une star américaine comme Aaron Monroe.

Une fois garé le rutilant engin, l’acteur courut rejoindre le plateau de tournage, en ignorant totalement le petit groupe de fans qui bravait la pluie battante dans l’espoir d’un autographe. Aaron ne prêta aucune attention non plus aux membres du personnel qui le saluaient. Il se contenta d’entrer rapidement dans sa caravane privée.

À l’intérieur, il pesta tout son soûl : « Quel temps de merde !

— Cela arrive souvent en Irlande du Nord, lui répondit une voix d’homme. »

L’acteur s’arrêta et dévisagea Mark. Celui-ci se tenait assis dans le canapé au fond du salon, le script du film sur les genoux.

— T’es là, toi ? se contenta de lui dire Aaron avec une pointe de mépris dans la voix.

— Là où tu es, je suis aussi, lui répondit Mark en souriant. Cela fait partie du contrat.

— Ouais. Évidemment. Efface-moi ce sourire. Ça va te faire des rides que je n’ai pas.

Mark cessa aussitôt de sourire. Visiblement, Aaron ne se montrait pas d’humeur à plaisanter ce matin. Encore un mauvais jour. Dans ces cas-là, Mark savait comment réagir : se faire aussi petit que possible.

— Te bile pas à apprendre le texte, poursuivit Aaron tout en se débarrassant de son manteau dégoulinant. Je jouerai aujourd’hui.

— T’es sûr ?

En guise de réponse, la star fusilla Mark du regard. Ce dernier se contenta alors de baisser les yeux.

La porte de la caravane s’ouvrit et laissa entrer un grand barbu furibond. Ce dernier dévisagea d’abord Aaron, puis aperçut Mark.

— C’est qui lui ? Ton gigolo ? questionna sur un ton goguenard Peter Wellberg, le réalisateur du film.

— Je ne trempe pas dans cette engeance- là, répliqua calmement Aaron tout en serrant les poings.

— Trempe ce que tu veux où ça te chante, je m’en tamponne le coquillard. T’es en retard ! aboya le cinéaste. Ça fait une heure que toute l’équipe est prête à tourner et qu’on t’attend sous cette pluie de merde.

— Fallait pas tourner en Irlande, ironisa Aaron.

Mark ne put s’empêcher de pouffer et Peter l’entendit. Lui prêtant de nouveau attention, il le désigna du doigt et demanda encore une fois à son acteur : « C’est qui lui ?

— Mon duplicant. »

Le réalisateur marqua un temps d’arrêt. Ahuri, son regard passa plusieurs fois de Mark à Aaron, puis d’Aaron à Mark. Il semblait se demander si c’était une blague.

— Tu te paies ma tête, Aaron ? T’es pas sérieux ?

N’obtenant en guise de réponse qu’un haussement d’épaules de la star, le réalisateur éructa sa colère : « Putain de merde ! Je déteste les duplicants. J’ai toujours dit que je n’en voulais pas dans mes films.

— Si tu me veux dans ton film, faudra faire avec. C’est à prendre ou à laisser.

— Tu sais aussi bien que moi que c’est la production qui décide. Je suis autant que toi sous contrat avec eux, maugréa Peter. Il ne te ressemble même pas, pesta-t- il en dévisageant Mark.

— On a la même morphologie : taille, carrure, forme du visage et même les cheveux. C’est suffisant. La postproduction fera le reste.

— Aux frais de ton agence, rappela le réalisateur.

— Bien sûr. »

Le cinéaste ne lâcha pas du regard Mark, le duplicant. Ses yeux exprimaient autant le mépris que la méfiance : « Tu lui fais confiance ? Il connaît les règles ? »

Aaron claqua des doigts et Mark se leva, pour ânonner d’une traite, en bon élève récitant sa leçon : « Première règle : mon jeu ne surpassera pas celui de mon maître. Deuxième règle : je suis toujours disponible, en tout lieu, et tout temps, pour mon maître. Troisième règle : je ne sors jamais de l’ombre de mon maître. »

Mark se rassit en soupirant. Il détestait ce petit jeu qui le faisait passer pour un petit chien obéissant.

— Le coup du « maître » par-ci, « maître » par-là, c’est toi, hein ? releva Peter.

Aaron pouffa de rire. Normalement, Mark devrait parler d’Aaron en tant que « client », mais la star, dans un élan de caprice, avait pris le loisir de modifier quelque peu le texte pour se faire appeler « maître ».

— Toi et ton équipe, vous connaissez les règles aussi ? poursuivit Aaron d’un ton menaçant. Discrétion absolue et aucun commentaire. Si la presse révèle que quelqu’un d’autre joue à ma place, mon agence vous colle un procès au cul.

Peter opina du menton et ne s’attarda plus sur le sujet : « Bon, on t’attend au maquillage. Traîne pas. » Il sortit de la caravane. Dehors, Aaron et Mark l’entendirent encore rouspéter : « Pluie de merde ! »

L’acteur remit son manteau et tendit la main vers son duplicant. Ce dernier comprit et lui donna le script. Aaron feuilleta rapidement le livret, s’attarda sur la scène du jour, et ses lèvres articulèrent en silence les répliques.

— OK, souffla- t- il enfin. Toi, tu restes là.

— Je n’ai nulle part où aller, ironisa Mark en souriant.

— Qu’est-ce que je t’ai déjà dit ? se fâcha Aaron. Arrête de sourire…

— Ça me fera des rides que tu n’as pas, je sais, compléta Mark désabusé.

La star allait lui répondre, mais, devant le regard vide de son duplicant, Aaron se ravisa. Il soupira et sortit de la caravane, laissant seul Mark.

Ce dernier se retourna dans le canapé, et leva avec un doigt le rideau pour regarder discrètement dehors. Il sourit. Au moins, il voyait du pays.

Barcelone, Espagne 21 mai 2071

Dans la salle hypostyle du parc Güell, les colonnes striées et faussement bancales de Gaudi s’amusaient à brouiller la vision des visiteurs. Pourtant, l’équipe de tournage n’avait pas envie de les admirer, ni les colonnes ni les céramiques colorées au plafond. Tout le monde était à cran. La cause ? Deux stars qui se disputaient devant tout le monde. Pour tourner une scène romantique, cela minait quelque peu l’ambiance. Le réalisateur tentait vainement de les calmer.

Plus loin, au calme dans les jardins d’Autriche, Mark était assis sur un banc. Oreillettes et lunettes connectées en marche, il visionnait un documentaire sur les dérives du « face swapping », ou « échange de visage ». Virtuellement parlant, bien sûr. Cette technologie avait été mise au point une soixantaine d’années plus tôt et avait rencontré un succès incroyable auprès du grand public. Au début, parents et enfants s’amusaient à échanger leur visage sur des vidéos. En se perfectionnant, cette technique permit ensuite de coller son visage sur celui de stars du cinéma ou de la chanson, dans des scènes de film, des clips vidéos. Coller la tête de son daron sur celle de Britney Spears en lolita dans Baby one more time, cela faisait beaucoup rire, surtout pendant les périodes de confinement de la pandémie de covid-19. Les gens n’avaient que ça à faire, même si quelques rabat- joie de service trouvaient ça glauque. Les studios de cinéma, eux, y trouvèrent une belle aubaine pour rajeunir ses stars, voire carrément les ressusciter.

Les dérives ne manquèrent pas de salir cette technologie de divertissement. Une vidéo d’un candidat aux élections présidentiel les, tenant des propos choquants ? Fake. Il n’avait jamais prononcé ces paroles, victime d’un face swapping orchestré par son rival. Une starlette humiliée par une sextape tournant sur les sites pornographiques ? Fake. Son visage avait été collé sur celui d’une actrice. Pire encore : cela donna l’idée à des pédophiles de mettre des visages d’enfants sur celle des acteurs du sexe.

Les procès ne tardèrent pas à pleuvoir. Un délit fut même inventé, spécifiquement pour le face swapping. Cette technologie devenant de plus en plus perfectionnée, il devenait de plus en plus ardu de prouver la manipulation. Les procès renvoyaient à d’autres temps, au vingtième siècle, où Staline utilisait la technique du photomontage pour manipuler l’opinion publique.

Comme toutes les modes, le face swapping se démoda et tomba peu à peu dans l’oubli. Même les studios de cinéma s’en détournèrent, le public s’en étant lassé.

Une notification masqua soudain le documentaire : « Où es-tu ? Faut que tu remplaces Aaron. » Le duplicant soupira puis dicta à ses lunettes : « Répondre. J’arrive tout de suite. Envoyer. »

Moins de cinq minutes plus tard, il se présenta au réalisateur, Tim Barber. Ce dernier lui expliqua qu’Aaron et sa partenaire, Scarlett Bella, refusaient catégoriquement de jouer ensemble. La production avait eu la bonne idée de faire jouer à l’écran les deux stars en couple dans la vie depuis deux ans. Quand ils signèrent le contrat, tout allait encore très bien entre eux, mais quelques jours après le début du tournage, ils se disputèrent très violemment. Selon les rumeurs, Scarlett aurait accusé Aaron de se droguer, ce qu’il nia en bloc.

— Toi qui le suis partout comme son ombre, c’est vrai ou pas ? l’interrogea Tim.

Mark haussa les épaules. Non pas parce qu’il ne voulait pas le dire, mais parce que lui-même n’en savait trop rien. Certains jours, Aaron se comportait tout à fait normalement, mais d’autres fois il présentait tous les symptômes d’un junky. Ses sautes d’humeur le faisaient passer d’un état de grande fatigue à une hyperactivité fiévreuse, de la dépression à un soudain accès de violence. Mark ne savait pas ce qu’il consommait pour se mettre dans des états pareils, mais il le voyait souvent avaler des cachets, sans savoir de quoi il s’agissait. Le réalisateur leva les bras, par impuissance.

— Il réglera cette histoire avec la production, maugréa- t-il. En attendant, tu remplaceras Aaron dans toutes ses scènes avec Scarlett.

Une jeune femme vint à leur rencontre. Le réalisateur fit alors les présentations : « Scarlett, je te présente… Mais qui êtes-vous ? »

Les deux hommes dévisagèrent l’inconnue. Si elle ressemblait effectivement à Scarlett, en taille, silhouette et chevelure, son visage était quelque peu différent.

— Bonjour, leur dit-elle très simplement, un peu gênée. Je suis Nathalie, la… la duplicante de Scarlett, expliqua- t-elle en baissant la voix.

— Quoi ? Elle aussi ? s’étrangla de rage le cinéaste.

Pendant que Tim essayait de se calmer avec une technique de respiration ventrale apprise au Katmandou, un club néo-new-age de Beverly Hills, les deux duplicants échangeaient de brefs regards, mi-amusés, mi-contrits. Nathalie, d’un petit geste rapide, coiffa une mèche derrière son oreille, et Mark, sans savoir pourquoi, trouva ce geste le plus charmant du monde.

— Bon, tant pis, on fera… avec, lâcha le réalisateur avec une pointe de mépris dans le mot « avec ». On vous a briefée sur la scène ? C’est la première rencontre. OK ? Le coup de foudre. Vous saurez jouer ça ?

Tim leur parlait avec une condescendance à la limite de l’insulte. Mark allait rétorquer qu’avant d’être un duplicant, il était avant tout un acteur et qu’il pouvait tout jouer, mais Tim leur tournait déjà le dos pour donner ses directives au cadreur.

— Au fait, je m’appelle Mark, se présenta- t-il en tendant la main à l’actrice.

— Et moi, Nathalie, répondit-elle avant de se mettre à bafouiller. Mais ça je l’ai déjà dit, pardon, désolée…

Mark trouva adorable la façon de Nathalie de se confondre en excuses, comme une petite fille prise en faute. Se sentant ridicule, elle leva les yeux vers Mark, et Nathalie trouva adorable le regard qu’il posait sur elle, réconfortant et sans jugement. Elle coiffa encore sa mèche, et, de nouveau, Mark fut fasciné par ce geste.

— Tout le monde en place, ordonna Tim Barber de sa voix autoritaire tout en assénant au passage une fessée à la scripte qui se mit aussitôt à glousser.

Mark et Nathalie recouvrèrent leurs esprits. Ils se sourirent, gênés comme des collégiens, et allèrent s’installer sur le plateau. Chacun prit alors le temps de se recentrer sur soi et se glisser dans la peau de son personnage.

L’assistant-opérateur présenta un clap ouvert devant la caméra. Il y était écrit « Il faut sauver le Smeralda : scène 18 : prise 1 : 21 mai 2071 ».

— Silence ! Moteur.

— Ça tourne !

— Action.

Clap de début.

Rosarito, Baja Studios, Mexique 28 février 2072

Clap de fin.

Le silence s’imposa sur le plateau tandis que l’étreinte de Mark et Nathalie s’éternisait. Les deux acteurs, transis de froid, recouverts d’eau gelée, ne semblaient pas pressés de se séparer pour vite se réchauffer chacun dans son coin. Au contraire : ils se réchauffaient mutuellement tout en échangeant de fougueux baisers. Ce fut le sanglot incontrôlé de Tim Barber lui-même qui brisa le silence et rappela aux acteurs que le tournage était terminé.

Ils se séparèrent, embarrassés de s’être autant laissés emporter par l’émotion de la scène. Le réalisateur et tout le personnel du tournage se mirent à applaudir, comme après une représentation théâtrale.

Tim s’approcha des acteurs et, les yeux encore humides, leur adressa quelques mots : « Je n’avais jamais vu deux acteurs jouer si bien l’amour, et ce fut un honneur pour moi de le filmer. »

Un peu plus loin, dans un coin, Scarlett fulminait. Elle écrasa une cigarette au sol et sortit précipitamment du plateau. Les deux duplicants saluèrent les autres membres du tournage, serrant ici une main, embrassant là une joue. La scripte se rapprocha du réalisateur et soupira : « Quelle injustice de devoir remplacer leurs visages ! » Comme piqué au vif, Tim se secoua et se mit à l’invectiver : « Qu’est-ce que tu fous là, toi ? Au boulot ! Ce n’est pas fini. »

Quand ils se retrouvèrent seuls hors du plateau, Mark plaqua Nathalie contre le mur et ils s’embrassèrent de nouveau. S’abandonnant à l’amour, leurs lèvres semblaient chercher à se dévorer. Nathalie leva sa cuisse que Mark agrippa d’une main ferme. Les mouvements de leur bassin l’un contre l’autre ne laissaient planer aucune ambiguïté sur leur désir. Reprenant leur souffle, ils laissèrent éclater leur joie. Ils rirent sans pouvoir s’arrêter. Quand un technicien passa près d’eux, Mark libéra Nathalie de son étreinte et ils reprirent contenance.

Ils pouffèrent quand ils se retrouvèrent à nouveau seuls. Sans un mot, Mark glissa délicatement une mèche derrière l’oreil le de Nathalie. Elle frissonna.

— Tu as froid ? s’inquiéta Mark.

— Non. Enfin, si, mais ce n’est pas pour ça que je tremble.

Mark s’approcha pour l’embrasser de nouveau, quand la montre connectée de Nathalie vibra. Elle regarda ce qui s’affichait sur l’écran et rouspéta.

— Ta cliente ? devina Mark.

Nathalie se contenta de rouler des yeux : « On se retrouvera plus tard, lui dit-elle en commençant à partir.

— Je t’aime, lui lança Mark. »

Elle se retourna : « Je sais. »

Ils se sourirent. Ils venaient de rejouer une scène d’un classique de la science- fiction dont ils étaient fans tous les deux. Elle partit. Mark resta longtemps à la regarder s’en aller.

Quand il se retourna, il vit Aaron qui le dévisageait avec un regard étrange. Mark n’aurait su dire si son visage exprimait la nostalgie, l’envie ou la consternation.

— Tu es là depuis longtemps ? lui demanda Mark.

— Assez, oui, murmura la star.

— Ce que je fais de ma vie privée ne te regarde pas, commença aussitôt à se défendre le duplicant.

Aaron leva la main et d’un signe de la tête lui fit comprendre qu’il ne voulait pas en entendre davantage. Sa main commença à trembler, et Aaron la baissa aussitôt. Il transpirait. Il est en manque, pensa Mark.

— Je viens d’accepter un nouveau film, enchaîna Aaron. En Alaska. J’espère que tu ne crains pas trop le froid ?

Los Angeles, Californie 3 mars 2073

Être le duplicant d’une star internationale, c’était jouer dans de grands films, voyager dans le monde entier, toucher un salaire suffisamment confortable pour se payer un loft à Los Angeles, pas loin de son client, et tout cela en restant anonyme. La vie de vedette sans ses inconvénients. Mark s’en contentait très bien, tant qu’il savait rester à sa place et que son client tournait des films.

Nathalie, elle, se montrait plus amère. Elle n’avait pas autant de chance que Mark. Après le tournage du film, Il faut sauver le Smeralda , Scarlett l’avait renvoyée. Après cinq années de collaboration, la star accusa sa duplicante d’enfreindre la première règle : ne jamais jouer mieux que son client. L’année qui venait de s’écouler après le tournage avait été éprouvante. Elle luttait contre la dépression. Mark dut s’armer de patience et de bienveillance pour l’accompagner au quotidien, être présent, à ses côtés, à défaut de pouvoir la soigner.

— Je ne peux pas porter ta maladie, lui avait- il dit une fois, mais je peux te porter toi.

Encore une référence à un classique du cinéma. Elle l’aimait pour ça. Non pas pour leur passion commune des vieux films fantastiques, mais parce qu’il avait le don pour trouver les mots justes.

Aujourd’hui, après des mois de traitement, elle se sentait mieux. Elle n’avait pas pu consulter de psychologue : comment expliquer son problème quand elle n’avait pas le droit de parler de son métier ? Officiellement, elle n’existait pas.

Malgré cela, grâce à Mark, elle s’en était tirée. Elle se sentait suffisamment forte maintenant pour regarder à la télévision quelque chose qui, auparavant, l’aurait sans doute dévastée : la 145e cérémonie des Oscars. Il faut sauver le Smeralda était nommé pas moins de quinze fois dans différentes catégories, dont celle du meilleur acteur et celle de la meilleure actrice. Au-delà du récit haletant de la catastrophe, à grand renfort d’effets spéciaux toujours plus réalistes, c’est bien l’histoire d’amour entre les deux personnages principaux qui avait marqué les esprits.

« L’amour le plus sincère jamais filmé » avait titré un jour l’un des plus grands magazines du pays. Certaines critiques allaient jusqu’à l’auréoler du titre du « plus grand film d’amour de tous les temps ». Celles- là avaient dû être grassement payées par les producteurs.

Selon Mark, le film était largement surcoté. Néanmoins, le bouche-à-oreille avait fonctionné à merveille. Perçu d’abord comme un énième film catastrophe doublé d’un énième film à l’eau de rose, Il faut sauver le Smeralda fit exploser des records d’audience autant sur les plateformes de vidéo à la demande, que dans les antiques salles de cinéma.