Le Jeu de la Mort - Eric Schmidt - E-Book

Le Jeu de la Mort E-Book

Eric Schmidt

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Beschreibung

Grands amateurs de jeux à sensations fortes, plusieurs femmes et hommes se réjouissent de participer à une Murder Party d'un nouveau genre. D'abord excités par cette aventure inédite et perverse, l'angoisse et la peur les rattrapent peu à peu. Jusqu'au dénouement final qui ne se passe pas comme prévu. Dès lors, les principaux candidats vont se retrouver entraînés dans un jeu de dupes diabolique, dont ils risquent de ne pas sortir indemnes.

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Seitenzahl: 375

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Sommaire

Prologue

Chapitre 1 : Conversation matinale

Chapitre 2 : Sur les rives du Lez

Chapitre 3 : La photo mystérieuse

Chapitre 4 : A l’institut médico-légal

Chapitre 5 : « Blanche-Neige » se repose

Chapitre 6 : Sénèque Editions

Chapitre 7 : Dîner oriental

Chapitre 8 : Débriefing

Chapitre 9 : Virements bancaires

Chapitre 10 : Conseil de nains

Chapitre 11 : Dilemmes photographiques

Chapitre 12 : Hector Bouvier

Chapitre 13 : Au Tennis Club Baron

Chapitre 14 : Buffet arrosé chez Sénèque Editions

Chapitre 15 : Garde à vue

Chapitre 16 : Confessions amoureuses

Chapitre 17 : Présomptions

Chapitre 18 : Complications

Chapitre 19 : Planification diabolique

Chapitre 20 : Un projet téméraire

Chapitre 21 : Le jeu de la mort

Chapitre 22 : Pièce à conviction

Chapitre 23 : Empreintes incertaines

Chapitre 24 : Un complot peut en cacher un autre

Chapitre 25 : Succès ou revers

Chapitre 26 : Epilogue

Prologue

On l’avait placé dans une petite loge, charmant réduit d’une douzaine de mètres carrés, meublé et décoré avec goût. L’espace n’était pas très vaste, mais suffisant pour se reposer et se préparer à la suite. A sa droite, il avait même à disposition un petit cabinet de toilettes privatif. Devant lui, sur un meuble professionnel laqué de blanc, le panel complet du maquillage avait été déposé ; poudre, blush, crayons, gommes et fards à paupière, rien ne manquait à l’appel. Face à lui, un magnifique miroir orné de dorures reflétait son visage impassible. Sur la gauche du mobilier, un seau à champagne trônait, accompagné de quelques toasts croustillants fort appétissants.

Paul-Henri prit une coupe et se servit une rasade de bulles pétillantes. Il avait un peu le trac ; il ignorait comment cela allait se passer, mais en même temps, la situation l’excitait au plus haut point. Et puis tout semblait parfaitement bien organisé. Il y avait même une petite musique relaxante, analogue à celle qu’il pouvait habituellement écouter lorsqu’il se rendait dans son centre de massage préféré. La seule chose qui le gênait un peu était d’être seul. Il n’en avait pas l’habitude. Généralement, une pléiade de gens intimes ou anonymes le courtisait. Cela le ravissait au plus haut point. Rien n’était plus agréable qu’être écouté ou flatté, même par des lèche-bottes qu’il méprisait au plus profond de lui.

D’après les informations qu’on lui avait données à son arrivée, cette période d’isolement ne devait pas s’étendre plus d’une heure ; juste le temps nécessaire aux différents préparatifs.

Alors qu’il venait de finir de se farder et de se peigner, il entendit le grésillement d’un haut-parleur encastré sous le plafond. Une voix féminine, grave et posée s’exprima alors.

— Bonjour et bienvenue parmi nous. Nous espérons que notre accueil est à la hauteur de vos espérances. Il vous reste environ quinze minutes avant l’entrée en scène.

Afin de garantir l’anonymat initial des participants, nous vous demanderons d’ajuster sur votre tête le masque que nous avons mis à votre disposition. Si vous ne l’avez pas encore repéré, il est suspendu sur le portemanteau situé à votre gauche, à l’entrée de votre loge. Nous espérons sincèrement qu’il vous séduira, mais surtout qu’il sera agréable à porter.

Dans un quart d’heure, une petite sonnerie retentira dans votre boudoir. La porte s’ouvrira alors automatiquement et vous voudrez bien suivre les flèches illuminées qui sont marquées au sol. Nous vous attendrons au bout du chemin. Profitez bien des quelques minutes de quiétude qui vous restent. La suite sera plus animée.

— Devra-t-on garder le masque durant tout la cérémonie, demanda Paul-Henri, à voix haute ?

Il n’eut aucune réponse ; la voix s’était éteinte, laissant la musique relaxante reprendre son cours.

Il se leva, s’approcha du portemanteau et saisit le masque qui y était accroché.

Il éclata instantanément de rire, puis devint songeur et méfiant. Pourquoi lui avait-on attribué ce déguisement pour le moins inattendu ?

Il décida cependant de l’essayer, curieux de visualiser son nouvel aspect. Il le plaqua intégralement sur son visage et le positionna méticuleusement sur son crâne ; il attacha ensuite délicatement les élastiques qui le maintenaient, puis releva la tête. Face au miroir, il observa fixement son reflet pendant de longues secondes.

Il portait désormais une longue barbe blanche, un gros nez rouge et un bonnet vert allongé. En un instant, il était devenu l’un des sept nains de Blanche-Neige.

Il hésita à le garder, quand soudainement, la porte de sa loge s’ouvrit. Etrangement, ainsi affublé, il se sentait plus en sécurité, comme si le masque formé de silicone et de caoutchouc pouvait efficacement servir d’armure. Dès lors, il engagea plutôt sereinement son originale tête de sept nains à travers l’ouverture de la porte. Puis il pencha son buste afin de regarder attentivement le sol et découvrit ainsi les flèches lumineuses indicatrices évoquées par la voix féminine. Suivant les consignes, il s’élança dans le couloir.

L’ambiance était à la fois inquiétante, mais aussi apaisante, une douce musique digne des contes de fées, accompagnant chacun de ses pas dans le long corridor.

Tout au bout de ce dernier, il trouva une porte battante qu’il poussa énergiquement. Il se retrouva immédiatement aveuglé par d’intenses projecteurs. Il marcha alors par petits pas pour pénétrer dans une salle qui lui semblait immense. Il ne voyait vraiment pas où il se dirigeait quand il sentit soudainement un obstacle se dresser face à lui. Il baissa les yeux et constata qu’il venait de buter sur un large fauteuil en cuir. Sur le dossier du siège, un petit panneau avait été accroché par une fine chaîne en or. Le message « asseyez-vous » y avait été inscrit.

Il exécuta cette injonction sans broncher et s’affala sur ce fauteuil à la texture douillette et confortable.

Tout à coup, la musique s’interrompit et les lumières s’éteignirent. Plongé dans l’obscurité, il entendit plusieurs roulements de tambour, puis des jeux de lumières multicolores commencèrent à balayer l’immense pièce. Des effets stroboscopiques parcoururent alors la salle, illuminant furtivement plusieurs sièges dont le sien. En suivant ces flashs, Paul-Henri put constater qu’il n’était pas seul. Plusieurs individus, portant un masque de nain comparable au sien, siégeaient sur les autres fauteuils.

Il compta rapidement. Six sièges étaient occupés par les autres personnages. Avec le sien cela faisait sept.

Ils étaient donc sept nains !

« Le plus grand obstacle à la vie est l’attente, qui espère demain et néglige aujourd’hui »

Sénèque (-65)

Cette citation du philosophe romain Lucius Annaeus Seneca, dit Sénèque, était la préférée d’Antoine.

Il l’aimait tant qu’il en avait fait la devise de sa vie, et il la partageait à ses amis ou ses relations dès que cela était possible, en la résumant simplement d’un « Penser à demain, c’est négliger aujourd’hui ».

Il est vrai qu’Antoine menait sa vie tambour battant. Il voulait profiter de chaque minute, de chaque seconde ; il désirait vivre chaque instant intensément et surtout ne rien s’interdire.

Beau brun d’une trentaine d’année, à l’allure sportive et élancée, Antoine avait décidé, dès le plus jeune âge, de tout entreprendre pour réussir à mener sa vie à sa guise. Dès la fin de ses études de commerce, il avait monté, avec l’aide de quelques amis, une start-up spécialisée dans la publicité sur internet. A l’époque le projet était ambitieux et risqué. Mais grâce à son travail passionné et acharné, il avait dépassé toutes les attentes et intégré son entreprise parmi les mastodontes de la communication. De grandes entreprises françaises ou étrangères étaient ainsi devenues ses principaux clients, et elles s’arrachaient ses services à coups de millions d’euros.

En très peu de temps, Antoine était devenu suffisamment riche, ce qui lui permettait d’assouvir les diverses passions qu’il affectionnait. Et il goûtait beaucoup de choses ; sa curiosité était même sans limite. Sa passion principale restait cependant le poker, un jeu qu’il avait longuement pratiqué lorsqu’il était étudiant, et qui lui procurait une exaltation incommensurable.

Comme il le disait souvent, le poker est le seul jeu au monde où l’on peut gagner, même quand on a de mauvaises cartes.

Comme ses traits de caractère ne pouvait l’amener qu’à ce type de profil, Antoine était devenu un redoutable joueur, un challenger agressif, obnubilé par l’optimisation du gain. Sa maîtrise des éléments subjectifs, sa capacité à deviner les cartes, à comprendre la psychologie de ses adversaires, son expérience et son talent, lui permettaient d’être très souvent triomphateur. Son feeling était redoutable, et ses adversaires rêvaient tellement de le faire tomber de son piédestal, qu’ils ne mesuraient pas toujours le danger à affronter un tel concurrent.

Chaque semaine, le vendredi soir, Antoine retrouvait d’autres joueurs, amis ou anonymes, pour une partie sans limite dans un pub aménagé pour l’occasion.

Ce soir-là, Gilbert, tenancier du bar, l’accueillit à bras ouvert.

— Salut Antoine, ce soir, ça va être chaud ; on a de très bons joueurs à la table. Et moi, je me sens en forme supersonique.

— Salut Gilbert, fais attention ; tu sais bien que l’excès de confiance est nuisible à ce jeu.

— Cette semaine, mon horoscope ne m’annonce que de bonnes ondes. Et j’ai tendance à le croire, surtout quand il me plait.

— Tu crois encore à ces choses-là ? plaisanta Antoine. Bientôt, tu vas consulter des cartomanciennes ou des marabouts !

— Pourquoi-pas, si cela m’apporte succès et argent. Allez viens, je vais te présenter aux différents joueurs du soir.

Antoine longea le bar pour se retrouver dans une petite salle feutrée aux poutres apparentes. Au centre de la pièce, une table ronde couverte d’un tapis vert avait été installée.

— Ce soir on est sept à jouer. Je te présente, juste face à toi, Alain, le monsieur aux cheveux blancs et lunettes noires en écaille, puis à sa droite, Francis, avec son chapeau de cowboy qu’il ne quitte jamais (il parait que c’est son porte-bonheur) ; Il parait qu’ils sont redoutables. Les trois autres tu les connais bien, ce sont des habitués.

Antoine serra la poigne de ses amis de jeu, Bruno, Patrick et Jean-Charles, puis salua les deux nouveaux venus. Alors qu’il s’installait, il remarqua la présence d’une jeune femme perchée sur un tabouret proche du bar. Cette jolie brune, au regard de braise et au sourire aguichant, croisait et décroisait sensuellement ses jambes gainées de soie noire, laissant par instant dévoiler le haut de ses bas.

— Qui est-elle ? demanda Antoine à son ami Gilbert. Elle ne joue pas avec nous ?

— C’est vrai, je ne te l’ai pas encore présentée. C’est ma nouvelle compagne, Victorine. Elle aurait bien aimé jouer, mais je lui ai déconseillé. Elle débute ; je ne voudrais pas qu’elle se fasse plumer. Elle a insisté pour nous regarder afin d’apprendre. Alors je n’ai pas pu lui dire non. Mais rassure-toi, elle ne regardera pas nos jeux et n’interférera pas dans la partie.

— Ok, ça ne me pose pas de problème, répondit Antoine.

— Tu es bien sûr ? Je peux lui demander de se déplacer si sa présence t’embarrasse.

— Non, au contraire, elle m’inspire.

Désormais tous les compétiteurs étaient installés. La pile de cartes trônait sur la table et les jetons avaient été distribués à l’ensemble des protagonistes. Antoine prit la parole.

— Messieurs, comme vous le savez, on joue ici avec un stack initial de dix mille euros. Il n’est pas autorisé de remettre au pot, car sinon, il faudrait plusieurs jours pour finir une partie. On va partir avec une blind de cinquante euros, et puis on montera régulièrement en grade. On a un chronomètre qui permet de définir les moments de hausses de blind. On a le temps de réfléchir avant de miser ou de passer, mais bon, il ne faut pas s’éterniser non plus. Ah si, l’essentiel, on joue avec les règles classiques du Texas Hold’em.

Antoine fut interrompu par une voix féminine provenant de son dos.

— C’est quoi les règles du Texas Hold’em ? demanda Victorine.

Légèrement agacé, Antoine prit malgré tout le temps de répondre.

— Je vais vous répondre, mais ensuite merci de ne plus poser de questions. Pour commencer, on distribue deux cartes à l’ensemble des joueurs. Chaque participant va alors miser ou passer. Puis on dévoilera trois cartes sur le tapis. C’est ce qu’on appelle le flop. Là encore, les joueurs toujours en course pourront miser ou se coucher. Et puis le donneur dévoilera la quatrième carte (le turn) puis la cinquième (la river). C’est clair ?

— Non, pas vraiment.

— Ce n’est pas grave ; tu regardes et au bout d’un moment, tu devrais finir par comprendre. Sinon, il te reste peut-être des tâches ménagères à finir d’accomplir ?

— C’est malin, répliqua Victorine, tout en tirant lascivement sa langue.

Gilbert commença à effectuer la distribution et les tours s’enchainèrent avec des mises raisonnables, personne ne souhaitant griller ses chances trop rapidement.

Une heure plus tard, une petite pause s’imposa, le temps de se rafraichir la gorge ou bien de griller une cigarette.

Les écarts entre les joueurs étaient encore peu significatifs. Le plus riche, Gilbert possédait désormais un stack de douze mille euros, le plus pauvre, Jean-Charles, huit mille euros. Rien n’était encore joué.

La partie reprit, avec des blinds désormais réhaussés à deux cents euros. Les enjeux devenaient de plus en plus sérieux et la moindre relance beaucoup plus dangereuse.

Francis fut l’un des premiers à prendre de gros risques. Fort de sa paire de dames, il relança avec une mise élevée. Mais face à lui, Gilbert avait obtenu les rois. Il suivit donc la relance de son adversaire. Le flop sans intérêt n’interrompit pas les mises, jusqu’à ce que Francis fasse tapis, estimant que Gilbert cherchait à le bluffer. Il se trompait et fut le premier à se faire éliminer.

Peu de temps après, ce fut au tour de Jean-Charles de se retirer de la partie. A ce moment-là, cela faisait déjà près de trois heures que la compétition avait débutée. Gilbert menait la danse, suivi d’Alain et d’Antoine, alors que Bruno et Patrick ramaient pour rester en vie.

Il était temps de faire un nouveau petit break. Antoine n’aimait pas les interruptions, et pour ne pas se déconcentrer préféra rester à la table à compter ses jetons. Gilbert, pour sa part se sentait fort, et alla se frotter contre sa Victorine, caressant ses cuisses et ses cheveux, tout en délivrant par petites doses des baisers qu’elle accueillit avec un plaisir non dissimulé. Les autres préférèrent s’aérer pour reprendre des forces et imaginer de nouvelles stratégies.

A la reprise, le jeu s’emballa et fit de nouvelles victimes.

Minuit était passé et seul Gilbert et Antoine restaient en course. Le maître des lieux possédait le double de jetons d’Antoine, et fort de cette avance, il voulut mettre à mal son adversaire. Trop enthousiaste, il prit des risques inconsidérés qui ne s’imposaient pas. Cette erreur de jugement lui fut préjudiciable et il se retrouva rapidement dans une position moins confortable, proche de l’exclusion.

Gilbert avait trop cru à la victoire pour se satisfaire d’une honorable défaite. Il proposa alors à Antoine un marché.

— Malgré cette petite faiblesse passagère, je sens que je suis dans un grand jour. Je te propose de jouer en une fois mon bar. Tu gagnes la prochaine donne et il est à toi. Tu perds, et je remporte toutes les mises. Qu’en penses-tu ?

— Je n’en veux pas de ton pub. J’ai autre à chose à faire que d’officier comme barman, répondit Antoine.

— Bah, qu’est-ce qui te plairait alors ?

— Ta femme.

Gilbert fut décontenancé par cette réponse et porta un regard interrogatif vers Victorine qui hocha la tête comme signe d’approbation.

— Comment ça ma femme ?

— Je la sens très excitée ce soir. Alors si je gagne, je la prendrai par derrière sur la table. Evidemment, vous pourrez tous assister.

Les autres joueurs écarquillèrent les yeux, mais Victorine ne se démonta pas :

— Si cela permet à Gilbert de gagner, cela ne me gêne pas. Il parait que tu es un bon coup. Comme ça je pourrais vérifier si cela est bien réel. Je doute cependant que tu puisses égaler Gilbert dans ce domaine…

Victorine se leva, prit les cartes, les mélangea puis en distribua deux à chacun.

Gilbert regarda ses cartes et ne put s’empêcher d’afficher une moue satisfaite. Il détenait une paire d’as.

Il misa une forte somme que suivit Antoine, qui de son côté avait hérité d’un huit et d’un neuf.

Victorine distribua le flop qui fit apparaître un As, un valet et un sept.

Désormais Gilbert possédait un brelan d’As, l’arme presque suprême. Il fit immédiatement tapis.

Pour Antoine, la donne était simple ; il lui fallait absolument un dix pour bénéficier d’une quinte. Il n’était pas à quelques milliers d’euros près, et il tenta donc le coup. Il fit tapis à son tour.

Le turn offrit un deux.

La river dévoila un dix.

Gilbert était effondré. Antoine était aux anges et arbora un sourire flamboyant.

— Eh bien, je crois qu’au plaisir intérieur de gagner, je vais ajouter le délice charnel de la victoire. Messieurs, je vous laisse assister au spectacle dont j’imagine, on reparlera pendant longtemps. Victorine, tu peux venir, je vais t’offrir ta récompense.

La jeune femme jouait maintenant beaucoup moins les fières à bras. Légèrement timorée, elle se dirigea vers Antoine et dit.

— Est-il vraiment nécessaire de m’humilier ainsi en public ?

— Comment ça ? il me semble que tu en avais sacrément envie il y a seulement quelques minutes. Tu verras, ça se passera bien ; je crois même que tu y prendras du plaisir. Allez mets-toi en position.

— Quelle position ?

— Tu t’approches de la table ; tu y poses le buste, tu cambres le dos et tu écartes les cuisses.

Perchée sur ses hauts talons, la jeune femme se pencha comme il lui était demandé.

Antoine s’approcha, souleva la jupe de la demoiselle, faisant apparaitre ses jarretelles noires, puis lui baissa la culotte. Il mit alors la main à sa braguette et l’actionna lentement.

Médusés d’assister à une telle représentation, les autres joueurs retinrent leur souffle. Personne n’osa prononcer le moindre mot. Même Gilbert, qui avait préféré se retourner afin de ne pas croiser le regard inquiet de sa compagne.

Antoine s’approcha lentement du postérieur dévoilé de Victorine ; Dans la pièce, l’atmosphère devint soudainement lourde et oppressante. Plus aucun bruit, même pas le moindre soupir.

Antoine leva le bras et s’empara d’une cuillère en bois qui traînait sur le zinc. A l’aide de celle-ci, il martela délicatement les fesses de la jeune femme, puis éclata de rire.

— Vous ne croyez tout de même pas que j’allais ainsi abuser de la femme de mon ami. Tu peux te rhabiller Victorine. Tu es très jolie, mais tu n’es pas mon style. Je préfère les femmes beaucoup mois dociles.

Victorine fut vexée d’avoir été abusée de la sorte, ou plutôt de ne pas l’avoir été. Enfin, elle ne savait plus et lança un regard noir à l’adresse d’Antoine. Pour avoir laissé se dérouler cette scène humiliante, sans même lever le petit doigt, Gilbert reçut le même châtiment.

Antoine ne parvenait plus à s’arrêter de rire. Une fois de plus, il avait triomphé et s’était en outre offert une bonne comédie.

Il rentra chez lui satisfait. Ses désirs d’amusement avaient été comblés. Il pouvait maintenant penser à demain et imaginer de nouvelles sources de distraction.

Quelques jours plus tard

Il ne savait vraiment pas à quoi s’attendre.

On lui avait proposé de participer à ce jeu original, et il avait pris immédiatement la décision d’y répondre favorablement sans y réfléchir le moindre instant. Ce jeu mystérieux et énigmatique l’intéressait au plus haut point. C’est ce qu’il recherchait quotidiennement : Être surpris. Sa seule angoisse était de ne pas tout maîtriser, mais en même temps, tout contrôler éteint la surprise.

Il avait suivi à la lettre les instructions, et sans rencontrer personne, s’était retrouvé dans une petite loge fort bien décorée.

Quand il découvrit le masque de nain, il éclata de rire. Sans rechigner, il l’enfila puis se regarda dans le miroir. Il sourit longuement en se voyant ainsi affublé d’un bonnet jaune, d’une barbe blanche et d’un gros nez rouge.

Il se demanda longuement à quoi pouvait bien servir cet accoutrement, puis se dirigea vers la salle où on lui avait demandé de se rendre.

Dans la pénombre, il s’installa sur le premier fauteuil qu’il rencontra. A peine était-il assis, qu’un faisceau lumineux l’aveugla. Il préféra fermer les yeux. Quand il les rouvrit, il aperçut furtivement que d’autres nains semblables à lui-même étaient installés sur des sièges identiques. Il se retourna afin de voir si d’autres personnes étaient présentes dans cette salle immense.

Derrière lui, pas d’âme qui vive, mais juste un petit panneau accroché au-dessus de son siège, sur lequel était noté « Joyeux ».

En un instant, son identité venait radicalement de changer. Il était devenu le nain « Joyeux » des sept nains de Blanche-Neige.

« Là où la volonté de puissance fait défaut, il y a déclin »

Nietzsche (1887)

Anne ne voulait pas décliner.

Cette trentenaire dynamique voulait maîtriser sa vie par-dessus-tout, et afin d’accomplir ce précepte, elle était prête à imposer sa volonté de fer à tous ceux qu’elle croisait.

Toujours bien apprêtée dans son tailleur de marque parfaitement ajusté, ses cheveux châtains harmonieusement fixés en chignon, elle dégageait autant de féminité que d’assurance.

Les mots « excuses », « regrets », « remords » avaient été balayés de son vocabulaire. Anne n’aimait pas qu’on lui résiste, et ceux qui pouvaient être tentés de le faire n’avaient qu’à bien se tenir.

Quelques années plus tôt, elle avait épousé un riche milliardaire, propriétaire de nombreuses cliniques privées et maisons de retraite. Comme elle avait effectué des études médicales, elle s’était proposée pour diriger certaines de ces entreprises. Son époux, prénommé Jean-Jacques, fou amoureux d’elle, avait systématiquement souscrit à ses demandes.

Jean-Jacques avait croisé Anne lors d’une réception donnée par l’un de ses établissements. Il avait rapidement flashé sur la jeune femme qui lui rendait au moins une dizaine d’années. Il la trouvait exquise et fit tout son possible pour l’amadouer. Il ne le savait pas encore, mais il était tombé sur la victime parfaite, car Anne recherchait avant tout un homme fortuné qui pouvait lui donner une situation enviable, plutôt qu’un bellâtre fauché. Jean-Jacques n’était pas très beau ni franchement séduisant, mais il développait malgré tout une certaine élégance dans ses costumes cossus, agrémentés de cravates au tons et motifs toujours originaux. Ses atouts principaux étaient sa voix grave et légèrement rocailleuse, sa finesse d’esprit et sa faculté à toujours rechercher des issues positives.

Afin de satisfaire son épouse et lui témoigner sa confiance, il l’avait habilement placé dans les comités de direction de ses plus grandes entreprises.

Malheureusement, chaque expérience avait mal tournée. Son management perfide et autoritaire avait engendré plus de désordres que de réussites. Les plaintes pour harcèlement s’étaient multipliées et il avait été de plus en plus difficile de les étouffer. Pour calmer le jeu et ne pas désavouer son épouse, Jean-Jacques avait réussi à la convaincre d’arrêter de travailler pour se consacrer intégralement à sa passion : le tennis. Pour la décider, il lui avait même offert un superbe complexe sportif, qu’elle pouvait organiser et manager à sa guise.

Elle avait embauché plusieurs professeurs de tennis, hommes et femmes confondus, à qui elle demandait élégance et raffinement en toute occasion. Elle leur imposait aussi sa discipline à laquelle ils devaient se conformer en toutes circonstances.

Anne était dominatrice et prenait du plaisir à imposer ses volontés, même les plus spécieuses. De façon générale, son personnel avait appris à accepter son caractère et ses caprices. Il est vrai qu’elle le payait très généreusement, et de ce fait elle estimait qu’il lui devait tous les égards.

Régulièrement, elle organisait des tournois de tennis en simple ou double. Elle possédait un très bon niveau qui lui permettait la plupart du temps d’atteindre la finale et de gagner le trophée tant convoité. Elle avait même aménagé une salle spéciale entièrement dédiée aux diverses coupes issues de ses triomphes.

Sur le court, c’était une guerrière, impitoyable pour ses adversaires et complexe à gérer pour les arbitres. Ses accès de colère étaient mémorables et lui étaient souvent profitables car ses concurrentes préféraient parfois lâcher prise afin de ne pas subir son courroux, à l’issue du match.

Un samedi d’avril, alors qu’elle disputait un tournoi en double, sa fureur dépassa tout ce qui avait pu se produire jusque-là.

Elle avait choisi comme co-équipière une jeune professeure de tennis, mieux classée qu’elle, prénommée Octavie. Ensemble, elles allaient affronter une doublette issue d’un club concurrent.

Déjà dans les vestiaires, la préparation du match avait mal commencé. Octavie était arrivée vêtue d’une jupe bleue et d’un t-shirt rose. Et cela ne convenait pas à la directrice qui souhaitait ardemment que le blanc soit l’unique teinte autorisée lors des compétitions.

— Octavie, pourquoi donc cette tenue non réglementaire ? Te souviens-tu qu’ici, on ne porte que du blanc ?

— Oui, je sais, mais je n’avais plus de blanc disponible. Et comme les adversaires sont vêtus de maillots colorés, je pensais que cela ne posait pas de problème.

— Tu n’es pas dans l’équipe adverse. Tu représentes notre club. Par conséquent, je te prie de te déshabiller immédiatement. Et tu iras ensuite à la lingerie demander un ensemble adéquat.

— Mais je ne vais pas y aller en petite culotte.

— Si, Mademoiselle. C’est cela ou la porte.

Octavie commença à sentir des larmes couler sur sa joue. Elle ne savait pas si elle devait obtempérer ou bien envoyer balader sa patronne. Elle avait un très bon contrat dans cette entreprise. Ce serait difficile de trouver l’équivalent ailleurs. Elle finit donc par se plier aux injonctions et se rendit à la lingerie en culotte et baskets. Quelques minutes plus tard, elle revint habillée selon la norme des lieux.

Anne, qui savait souffler le chaud et le froid, essaya de la réconforter en vue du match.

— Octavie, je ne voulais pas être aussi autoritaire et t’infliger une humiliation. Ce n’était vraiment pas mon désir. Mais, tu sais, il y a des règles à respecter, et je tenais à te le faire savoir. J’espère que tu ne m’en porteras pas ombrage et que tu joueras en pleine possession de tes moyens.

— Ce n’est pas très grave, Anne, répondit Octavie, à contre cœur.

Le match commença de façon idyllique.

Octavie ne montrait aucun signe de faiblesse, malgré l’affront qu’elle venait de subir. Elle jouait à merveille et rattrapait même les erreurs de sa partenaire. Le premier set fut plié en moins de vingt minutes : six à zéro.

Le second set fut plus compliqué. Les adversaires mirent toute leur rage pour s’accrocher et revenir au score. La bataille était intense et serrée ; elle ne pouvait finir que sur un tie-break. A six points à cinq en faveur du couple Anne/Octavie, les deux femmes eurent l’occasion de s’approprier la victoire. Sur une balle semi-lobée, Octavie courut pour effectuer un smash, alors qu’Anne lui criait de lui laisser la balle. Elle tenta malgré tout sa chance et la balle s’écrasa de quelques centimètres en dehors des limites du terrain.

La foudre s’abattit alors sur la jeune joueuse. Anne ne parvenait pas à décolérer de ne pas avoir été écoutée. Sa fureur mal surmontée l’amena à rater des coups faciles qui leur fit perdre le gain de ce deuxième set.

Ses regards sombres envers sa partenaire devinrent même gênants pour les adversaires qui n’en demandaient pas tant.

Le troisième set ne fut qu’un non-match, au cours duquel Anne enchaîna les coups de force indomptés. La défaite était inexorable et elle fut consumée en un temps record.

Lors de la remise des trophées, Anne, le visage crispé, laissait transpirer sa rancœur.

Dans un silence déconcertant, les jeunes femmes regagnèrent le vestiaire.

— Tu es contente ! Grâce à toi on a perdu, dit Anne.

— Ce n’est pas uniquement de ma faute, répondit calmement Octavie. On était bien deux sur le terrain.

— Oui, mais quand je donne un ordre, on le respecte. Si chacun fait ce qu’il lui plait, c’est l’anarchie, le désordre.

— Je t’ai entendu trop tard. Mais après, on avait largement le temps de se refaire.

— Tu as surtout désobéi. Pourquoi faut-il que des gens comme toi en fassent à leur guise, sans se conformer à mes demandes ?

— Je viens de te l’expliquer.

— Eh bien, tu iras te disculper ailleurs. Dès maintenant, tu ne fais plus partie du club. Tu es révoquée, renvoyée. Je veux que tu disparaisses immédiatement.

— Mais ce n’est pas possible. On ne vire pas les gens ainsi.

— C’est un ordre à exécution immédiate. Tu retires tout de suite les vêtements que le club t’a fourni, et après, tu t’en vas.

— Mais…

Aussitôt, à la demande d’Anne, un membre du service de sécurité apparut alors qu’Octavie se déshabillait. Elle aurait voulu se rebeller, gifler cette patronne sans scrupule, mais l’agent l’en empêcha et la poussa manu-militari vers la sortie.

Un peu plus tard, au club house, Anne retrouva un de ses adjoints à la direction et lui fit part de sa mésaventure.

— Bon, Octavie c’est fini. Elle n’avait pas les épaules suffisantes pour gagner. Il faudra me trouver une remplaçante, plus forte, mais aussi plus docile.

Quelques jours plus tard

Avachie sur un fauteuil douillet et velouté, Anne contemplait les autres invités du jeu. Il n’y avait que des nains. Elle avait compté ; ils étaient sept. Devant elle, un microphone avait été installé sur un pupitre et une coupe de champagne ne demandait qu’à être sirotée.

Quelques minutes plus tôt, elle avait suivi les indications et apposé sur son visage le masque qu’on lui avait désigné. Elle portait un bonnet marron et était affublé d’une barbe blanche et d’un gros nez rouge. En se retournant, elle avait identifié le personnage qu’elle devait jouer : elle serait « Grincheux ». Elle se sentait un peu ridicule ainsi grimée, alors que pour l’occasion elle s’était vêtue d’une magnifique robe de soirée échancrée en taffetas rouge.

Elle espérait que la soirée serait à la hauteur de ses espérances. Elle avait tout de même dépensé cent mille euros afin d’être présente ici, entourée de nains. Elle était impatiente de connaître la suite, mais surtout elle était farouchement désireuse de gagner. Et tous les moyens seraient bons pour y parvenir.

« L’essentiel n’est pas de vivre mais de bien vivre. »

Platon (-400)

Jusqu’à maintenant, Delphine avait réussi sa vie.

Elle était libre, riche, sans contrainte et pouvait assouvir tous ses désirs. Elle aimait le luxe et les boutiques luxueuses la chérissaient aussi. Les marques « Chanel », « Dior » ou encore « Vuitton » n’avaient plus aucun secret pour elle.

Après avoir suivi aux Etats-Unis, un cursus universitaire de haut niveau, cette jeune femme élégante, aux cheveux courts blonds polaires, avait repris la direction de l’entreprise familiale, une célèbre banque d’investissement international. Elle dirigeait ses équipes de façon admirable, sachant se montrer directive et exigeante, mais aussi attentionnée et généreuse avec l’ensemble de ses salariés. Les résultats de sa société progressaient régulièrement, les bénéfices annuels prospéraient sans jamais fléchir, et tous ses collaborateurs en récupéraient les fruits car elle savait partager.

Mais sa plus grande passion restait le trading. Elle avait l’âme d’une joueuse, d’une compétitrice redoutable.

Elle participait ainsi régulièrement aux plus prestigieuses compétitions de trader. Elle avait commencé il y a quelques années par concourir à des tournois où l’argent investi était fictif. C’était fort agréable, mais il manquait la sueur de l’argent, le risque de perdre sa propre fortune. Elle avait donc rapidement délaissé ces compétitions pour se consacrer à d’autres challenges, plus audacieux mais aussi plus lucratifs.

Mais ce n’est pas la convoitise financière qui la stimulait. Ce qui la motivait, c’était de décrocher le trophée de meilleur trader. Les émotions et l’ivresse du succès étaient ses moteurs.

*

Cette année, elle avait participé aux qualifications du célèbre Trading Awards, une compétition regroupant les meilleurs traders du monde. Elle avait brillamment passé ce premier cap et s’avançait désormais vers la phase finale, avec de hautes ambitions.

Discrètement superstitieuse, elle avait revêtu sa robe porte bonheur, une magnifique toilette Chanel en soie noire. Pour l’agrémenter harmonieusement, elle avait chaussé ses bottes de sept lieues signées Gucci. Ainsi parée, elle se sentait forte et irrésistible. Dans des tournois, où la présence masculine est prédominante, elle estimait, à juste raison, que jouer de ses atouts féminins pouvait déstabiliser certains concurrents.

Au petit matin, un taxi la déposa devant l’entrée d’un des hôtels prestigieux de la Place Vendôme. Arrivée dans le hall, elle déclina son identité et un valet la conduisit dans le salon où se déroulait le tournoi. Elle fit connaissance avec ses adversaires, leur délivrant de larges sourires puis rejoignit la place qui lui avait été attitrée. Elle but un café noir et dégusta une petite mignardise.

Il était 8h30. Il lui restait trente minutes pour se préparer. Comme les autres challengers, elle disposait d’un ordinateur très puissant, d’un clavier, d’une souris et d’un écran géant fractionnable à volonté.

Une dizaine de minutes plus tard, l’organisateur, un homme d’une cinquantaine d’année en smoking noir, se présenta et prit la parole.

— Madame et Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. J’espère que vous êtes bien installés et que votre confort est optimal. Nous avons pris toutes les dispositions afin que votre bien-être soit idéal. Quoique vous ayez besoin, nous sommes à votre service et répondrons assidûment à vos demandes.

Comme vous le savez, cette compétition va se dérouler sur une seule journée, et comme cette année, la ville de Paris a l’honneur d’organiser cette rencontre, vous effectuerez l’ensemble de vos opérations exclusivement sur des valeurs cotées à la Bourse française. Celle-ci démarre à 9h00 et ferme généralement à 17h35. Durant toute cette période, vous pourrez acheter et vendre à volonté. Comme la Bourse de Paris fonctionne en continu, il n’y aura pas d’interruption. Ce sera à vous d’organiser vos moments de repos, notamment lors des pauses sanitaires. Pour les repas, vous pourrez les prendre à votre guise, à tout moment, sur votre bureau. Nous avons déposé sur votre pupitre la carte des plats et des boissons que vous pourrez commander.

Vous pouvez acheter tous les produits disponibles ; vous êtes également autorisés à pratiquer la vente à découvert. Toutes les options sont possibles. L’essentiel est qu’à la fin de la séance, l’ensemble de vos fonds ne soit plus engagé mais intégralement crédité sur votre compte. Vous débuterez la compétition avec la somme de cent mille euros. Le grand vainqueur sera celui ou celle qui aura réalisé le meilleur profit journalier. A la fin, vous conserverez vos gains, vous devrez encaissez vos pertes.

Je vous souhaite bonne chance et bon Trade.

Delphine avait préparé son affaire méticuleusement. Les jours précédents, elle avait épluché minutieusement l’ensemble des journaux financiers. Elle avait mémorisé les prochaines annonces de résultats et les différents indicateurs économiques qui allaient modifier la donne du jour. Il était impératif d’être réactif afin de prendre les bons trains à la bonne heure.

Les profits en trading se jouent sur une fraction de secondes. Il faut être rapide, très rapide, et c’était une de ses qualités principales. Analyser vite et réagir vite.

La journée se déroula à merveille. Elle choisit systématiquement les bonnes options. Sur un écran lumineux accessible à tous, où les observateurs pouvaient suivre les progressions des différents candidats, le prénom de Delphine s’afficha rapidement en première position. Elle ne céda jamais cette place. Au contraire, la marge sur ses concurrents ne fit que s’accroître au fil des minutes.

Elle triompha avec un résultat saisissant. Près de 50% de gains en une seule journée. La concurrence était écrasée. Fière de son parcours, elle regarda ses adversaires d’un air conquérant mais non dédaigneux. Ses yeux rayonnaient de bonheur. Elle adorait surpasser ses homologues masculins, mais avant tout c’était la victoire qui la comblait. Ce challenge qui lui était longtemps paru inabordable, elle l’avait enfin dompté. Il lui fallait désormais trouver une autre source d’enchantement, un nouveau défi dans ses cordes.

Elle rentra chez elle, étincelante, lumineuse, emportant avec elle le trophée si convoité.

Elle aurait beaucoup aimé le partager avec une autre personne. Il ne lui manquait plus qu’à trouver l’âme sœur. Elle avait eu de nombreuses conquêtes, mais aucune n’avait vraiment abouti. Peut-être était-elle trop exigeante ; elle le pensait intimement, mais n’était pas prête à changer sa personnalité. Elle avait bien le temps. Tout ce qu’elle voulait, c’était vivre, explorer toutes ses passions, découvrir des mondes inconnus et surtout s’amuser, jouer et …. Gagner.

*

Quelques semaines plus tard, elle découvrait dans sa boite à lettres, une petite enveloppe contenant une invitation à un jeu qui, elle ne le savait pas encore, allait bouleverser sa vie.

Quelques jours plus tard

Qui étaient donc ces autres participants ?

Comme elle, ils portaient tous un masque de nain. Elle avait hérité du personnage de « Timide ». Était-ce le fruit du hasard ? Elle le pensait sincèrement, car ce n’était pas son trait de caractère principal, même s’il lui arrivait parfois de manquer d’assurance quand elle se retrouvait face à quelqu’un qui lui plaisait fortement. Un peu gênée d’être ainsi grimée, elle restait malgré tout satisfaite d’avoir choisi un tailleur vert qui se mariait parfaitement au bonnet vert forêt qu’elle avait dû enfiler.

Elle observa méticuleusement les autres nains qui se scrutaient mutuellement à défaut de pouvoir se dévisager. A leur tenue plutôt distinguée, elle les imagina issus d’un milieu aisé comparable au sien.

Personne n’osait dire un mot. Certains avaient essayé de tapoter les microphones, mais visiblement, ils n’étaient pas encore fonctionnels.

Pendant une dizaine de minutes, les sept nains, quasiment immobiles et avachis dans leur fauteuil, ne firent que se contempler, boire ou grignoter, comme si cette ambiance surnaturelle leur avait ôté toute parole.

Et puis, progressivement la lumière s’estompa, jusqu’à ce que l’obscurité soit totale. Un air musical s’éleva alors dans la salle. Le morceau commença par une petite mélodie jouée avec une boite à musique et renforcée par un piano. A cette berceuse, s’ajoutèrent assez vite, les violoncelles, les altos, les violons et les arpèges pianistiques, donnant alors à cette pièce un aspect magique, féérique et merveilleux. Tous les participants reconnurent immédiatement la mélodie « Un jour mon prince viendra ».

C’est à ce moment-là que le plateau situé au milieu de la salle s’illumina. Une trappe, parfaitement dissimulée sur le plancher, se souleva avec douceur. Les sept nains virent alors se soustraire des entrailles du sol, une nouvelle créature vêtue de jaune et de bleu : « Blanche-Neige ».

« Remarquez bien, la plupart des choses qui nous font plaisir sont déraisonnables. »

Montesquieu (1721)

Gabriel n’était pas un ange.

Il le savait pertinemment et s’en fichait royalement.

Il était profondément attiré par l’inédit, l’interdit, le subversif. Chaque pensée, chaque acte était guidé par le plaisir. Et il ne souhaitait pas qu’il soit insignifiant ; il en voulait toujours plus ; il désirait profiter de chaque instant et surtout se procurer des sensations fortes.

Déjà, dès l’école primaire, il officiait comme trublion de service, toujours prêt à défier quelque autorité. Il en abusait régulièrement, se sachant protégé par la situation de son père, grand bienfaiteur des services publics ou privés. Le mot « besoin » n’existait pas dans sa famille. Ses désirs matériels étaient systématiquement exaucés, même quand il ne le méritait pas.

Gabriel n’avait pas de situation, ni professionnelle, ni domestique. Il vivait d’aventures, dépensant sans compter ce qu’il avait hérité. Et même à ce rythme effréné, il lui aurait fallu plusieurs siècles pour tout dilapider.

Il n’avait aucun tabou, pas de foi, pas de limite, pas de religion. Il goûtait à tout, aux plaisirs charnels avec les hommes, avec les femmes, avec les deux, à trois, à quatre, à plus selon ses envies. Il avait testé tous les stupéfiants, passant sans problème du cannabis, au LSD ou à la cocaïne. Sa grande force résidait dans le fait qu’en étant constamment déraisonnable, il lui fallait systématiquement découvrir de nouveaux horizons qui de facto l’empêchaient d’être dépendant à quoique ce soit.

Un jour, il pensait blanc, le lendemain noir, la veille gris. Constamment insaisissable, il lui était compliqué de conserver des amis. Mais sa joie de vivre, tellement communicative, le rendait toujours attrayant, et il était bien rare qu’il se retrouve seul.

Sa seule véritable passion était le jeu. Le seul domaine où le hasard ne s’achète pas.

On peut définir le jeu comme l’opposé du travail, pensait-il sincèrement. Il adorait en parler et le décrire.

Le jeu permet d’apprivoiser l’imaginaire, de créer l’espace ludique, d’élaborer sa créativité.

Le jeu est une action librement choisie, sans autres obligations que celles décidées par le joueur et sans contraintes extérieures.

Le jeu est une activité incertaine, dépendante de la fantaisie du joueur, une action libre qui ne peut être commandée.

Surtout le jeu est une activité dont on ne connait pas le dénouement. Personne ne sait à l’avance s’il va perdre ou gagner. Et ça change tout à la vie.

C’est ainsi que Gabriel concevait la sienne : comme un jeu perpétuel fait de déceptions et de surprises, mais jamais ennuyeux.

Il fréquentait ainsi les hippodromes, les casinos, les salles de jeu. Il expérimentait le poker, la roulette, le black jack, mais aussi les paris sportifs. Et puis ce qu’il préférait était de participer à des Escape Game, des Murder Party, des Hot Game.

*

La dernière Murder Party à laquelle il avait participé s’intitulait « Le meurtre de l’île du Mirage ». Il y avait décroché le meilleur rôle, celui qu’il souhaitait à chaque fois, celui de l’assassin.

Le scénario s’inspirait vaguement des « Dix petits nègres », mais comme il était original, il demeurait insolite pour chacun des participants.

L’intrigue se passait dans une île perdue au milieu de l’atlantique, l’île du Mirage. Mr Chris Medict, un riche homme d’affaires de nationalité américaine, propriétaire de cet archipel depuis de nombreuses années, avait décidé pour des raisons personnelles de le revendre. Cependant ce projet de revente avait provoqué de nombreuses polémiques, et afin d’éclaircir la situation, Mr Medict avait organisé un huis-clos secret auquel il avait convié plusieurs invités.

C’est ainsi que le jeudi 22 juin 2032, vers 15h, un hélicoptère piloté par John Blake, l’homme de main de Mr Medict, s’envolait à destination de l’ile du Mirage. A son bord, Mr Thiery et sa secrétaire Estelle, Mme Dupuis, Melle Lamanètre et Mr De Villiers. Après avoir été déposés, ils étaient tous convivialement reçus par Mr Medict, qui leur présentait leurs chambres respectives.

Vers 20h, après s’être confortablement installés et s’être mis sur leur trente et un, ils descendaient dans la salle à manger, conviés au dîner servi par Mme Paule, l’intendante de la villa. Vers 20h15, alors que les convives dégustaient leur première coupe de champagne, un énorme bruit d’explosion retentit à quelques centaines de mètres de la maison.

Tous sortirent immédiatement afin d’identifier la provenance de cette déflagration si impressionnante. Ils constatèrent rapidement que l’hélicoptère qui les avait amenés venait d’exploser. Les flammes qui s’en dégageaient se propageaient vers la villa à grande vitesse, poussées par un vent violent. Afin d’éviter tout drame, John Blake leur demanda alors de se précipiter vers la plage à proximité. Les invités s’exécutèrent sans rechigner, chacun choisissant un chemin différent afin de rejoindre l’océan.

Une heure plus tard, un violent mais heureux orage s’abattit sur l’archipel. Le feu et les flammes étaient circonscrites. Les invités décidèrent alors de retourner à la villa, tout danger semblant désormais écarté, grâce à cette pluie opportune.

Une terrible surprise les attendait. Affolée, Mme Paule les accueillit et déclara : « On a tué Mr Medict. J’ai essayé de joindre la police, mais il n’y a plus de réseau ». La précarité de la situation éclatait alors aux yeux de tous. Le système de communication avait été saboté.

Il était dorénavant impossible de joindre le monde extérieur ou de quitter l’île.

Mr Blake déclara alors solennellement : « Il y a un assassin parmi nous. Nos vies sont menacées. Personne ne sortira de cette maison tant que nous n’aurons pas démasqué le meurtrier ».

Le jeu pouvait alors démarrer.

Les sept personnages, incarnés par différents joueurs, étaient les suivants.

Mr Thiery, homme politique aussi puissant que véreux, avait autrefois participé à de nombreuses affaires obscures. Quand il avait appris la vente de l’archipel, il s’était souvenu que Mr Medict lui devait beaucoup d’argent et il comptait utiliser cet atout pour acquérir cette île à moindre frais. Il en était persuadé, il était en position de force.

Estelle, la secrétaire, cachait sa véritable personnalité. Journaliste d’investigation, elle s’était fait embaucher par Mr Thiery. Grâce à son charme et ses manières, elle avait rapidement réussi à mettre l’homme politique dans sa poche. Elle était déterminée et prête à tout pour décrocher le scoop de l’année. Sa vivacité et son esprit d’investigation étaient ses principaux atouts.

Mme Dupuis, militaire de formation, travaillait aux services de renseignement. Elle était ici en mission secrète. Son objectif : acquérir l’île afin d’en faire une base militaire. Pour assurer la réussite de sa mission, elle se faisait passer pour la dirigeante d’une entreprise de tourisme. Habillée d’un tailleur strict mais coloré, elle espérait réussir à convaincre Mr Medict grâce à sa force de persuasion et son raffinement.