Le livret rouge - Luigi Pirandello - E-Book

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Luigi Pirandello

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Beschreibung

Luigi Pirandello nous propose avec "Le livret rouge" (1923) un recueil de cinq nouvelles exceptionelles empreintes de réalisme et d'émotion.

La première et la plus célèbre des histoires, "Le livret rouge", se déroule à Nisias, un village de Sicile. À Nisias, chaque femme peut, si son bébé meurt, accueillir un nouveau-né à l'hospice. Elle reçoit ensuite un carnet rouge, d'une valeur de 6 francs par mois...

Luigi Pirandello est un écrivain italien, poète, nouvelliste, romancier et dramaturge, né le 28 juin 1867 à Agrigente en Sicile, durant une épidémie de choléra, et mort à Rome le 10 décembre 1936. Son œuvre a été récompensée du Prix Nobel de littérature en 1934. 

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Luigi Pirandello

Le livret rouge

table des matières

LE LIVRET ROUGE

Première partie - Le livret rouge

Deuxième partie - Le devoir du médecin

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Troisième partie - L’illustre disparu

Chapitre 1

Chapitre 2

Quatrième partie - La lumière d’en face

Cinquième partie - Dessus et dessous

LE LIVRET ROUGE

Luigi Pirandello

Première partie - Le livret rouge

Nisias. – Un gros village qui bourdonne sur une plage étroite au bord de la mer de Sicile. Naître dans de mauvaises conditions, n’est pas une prérogative exclusive des hommes. Les villages non plus, ne naissent pas comme ils veulent, ni où ils veulent, mais là où quelque nécessité naturelle engendre de la vie. Alors si un trop grand nombre d’hommes, attirés par cette nécessité, accourent en ce lieu, s’ils s’y reproduisent en trop grand nombre, si, enfin, la place y est trop mesurée, il s’ensuit que le village en question ne saurait avoir une croissance normale.

Nisias, pour grandir, a dû se hisser, maison par maison, le long des mornes pentes escarpées du plateau voisin, qui, un peu au-delà du bourg, surplombe, menaçant, la mer. Nisias aurait pu s’étendre à son aise sur ce plateau vaste et bien aéré, mais aurait dû pour cela s’éloigner de sa plage. Et un beau jour, peut-être, un beau jour, aurait-on vu quelque maison, plantée de force là-haut, redescendre sur la plage, coiffée de ses tuiles et bien serrée dans le châle de son crépi. C’est que, sur la plage, la vie bouillonne.

Sur le plateau, les gens de Nisias ont placé leur cimetière. Les morts ont de quoi respirer.

— Nous respirerons là-haut, disent les gens de Nisias.

Ils parient de la sorte parce qu’en bas, sur la plage, on ne respire point au milieu du trafic bruyant et poussiéreux du soufre, du charbon, du bois, des céréales, des salaisons, non, on ne respire pas. Ceux qui veulent respirer doivent aller là-haut ; ils y vont quand ils sont morts, et s’imaginent qu’une fois morts, ils respireront.

C’est une consolation.

†††

Il faut être indulgent pour les habitants de Nisias, car il n’est guère facile de se montrer honnête quand on se trouve dans une aussi mauvaise situation.

Dans ces pauvres maisons pressées les unes contre les autres, véritables tanières, plutôt que logis humains, fermente une horrible puanteur lourde, humide, âcre, qui corrompt petit à petit la plus solide vertu. Pour aider à cette corruption de la vertu, entendez pour augmenter la puanteur, il y a les gorets et les poules ; il y a de plus, assez souvent, un petit âne qui piétine dans sa litière. La fumée ne sait par où sortir et stagne dans ces bouges, noircissant plafonds et murailles. Et du haut des mauvais chromos encrassés de suie, les saints protecteurs qu’on a pendus aux murs, font des grimaces de dégoût.

Les hommes se rendent moins bien compte de cet état de chose, embrigadés et abrutis tout le jour comme ils le sont sur les quais ou sur les navires ; les femmes, elles, en sont pénétrées ; elles en deviennent comme enragées, et on dirait que le meilleur moyen qu’elles aient trouvé de passer leur rage, soit de faire des enfants.

C’est effrayant ! L’une en a douze, une autre quatorze, une autre seize… Il est vrai d’ailleurs, qu’elles ne parviennent pas à en élever plus de trois ou quatre. Mais ceux qui meurent au maillot, aident à grandir et à s’établir les trois ou quatre survivants, faut-il dire plus heureux ou plus malheureux que les autres ? Chaque femme, en effet, aussitôt après la mort d’un bébé, court à l’hospice des enfants assistés, et prend un nourrisson, qu’escorte un livret rouge, lequel vaut six francs par mois, durant pas mal d’années.

À Nisias, tous les marchands de toile et en général tous les marchands d’étoffes sont des Maltais. Même s’ils sont nés en Sicile, ce sont des Maltais. « Aller chez le Maltais », signifie à Nisias, aller se pourvoir de toile. Et les Maltais armés de leur demi-mètre font à Nisias des affaires d’or : ils accaparent ces fameux livrets rouges ; ils donnent en échange d’un livret deux cents lires de marchandises : un trousseau de mariée. Les filles à Nisias se marient toutes ainsi, grâce aux livrets rouges des enfants assistés, qu’en retour leurs mères devraient allaiter.

Il fait beau voir, à la fin de chaque mois, la procession des Maltais ventrus et taciturnes, en pantoufles brodées et casquette de soie noire, un large mouchoir rouge d’une main et de l’autre leur tabatière de corne ou d’argent, se présenter à la Mairie de Nisias, chacun avec sept ou dix ou quinze de ces livrets rouges. Ils s’asseyent en file sur le banc du long corridor poussiéreux où s’ouvre le guichet des paiements, et chacun attend son tour, en somnolant pacifiquement, en se bourrant le nez de tabac, en chassant les mouches, tout doux, tout doux. Le paiement des mois de nourrice aux Maltais est désormais traditionnel à Nisias.

— Marenga (Rose), crie l’employé.

— Présente, répond le Maltais.

†††

Marenga Rose de Nicolao est célèbre à la Mairie de Nisias. Voilà plus de vingt ans qu’elle alimente l’usure des Maltais d’une série ininterrompue de livrets rouges.

Combien a-t-elle perdu d’enfants au maillot ? Elle-même n’en sait plus le compte. Elle en a élevé quatre, quatre filles. Trois sont déjà mariées. Et maintenant, elle a fiancé sa quatrième.

Mais on ne sait plus, véritablement, en la regardant, s’il s’agit d’une femme ou d’un tas de chiffons ; si bien que les Maltais auxquels elle s’était adressée pour ses trois aînées, se sont refusés à lui faire crédit pour la dernière.

— Gnora Rosilla, vous n’y arriverez pas.

— Moi ! je n’y arriverai pas, moi ?

Elle s’est sentie offensée dans sa dignité de bête de race si longtemps bonne laitière, et, comme on ne discute pas avec les Maltais taciturnes, elle a hurlé férocement devant leurs boutiques.

Puisqu’à l’hospice on lui a confié un enfant trouvé, cela ne veut-il pas dire qu’on l’a reconnue capable de l’allaiter ?

Mais à cet argument, les Maltais, dans l’ombre, derrière le comptoir de leur boutique, ont souri dans leur barbe en hochant la tête. On peut supposer qu’ils n’avaient pas grande confiance dans le médecin et dans l’adjoint au maire chargés de veiller sur le sort des enfants-assistés. Mais non. Les Maltais savent qu’aux yeux du médecin et de l’adjoint, la tâche d’une mère qui a une fille à établir et ne peut y parvenir que grâce à un livret rouge, est autrement lourde et mérite beaucoup plus d’égards que celle d’élever un enfant trouvé : celui-là, s’il meurt, qui en aura du chagrin ? et qui s’en plaindra, s’il souffre ?

Une fille est une fille, un nourrisson de l’hospice, un nourrisson de l’hospice. Et, d’ailleurs, si la fille ne se marie pas, il est à craindre qu’elle ne contribue à son tour à augmenter le nombre des enfants assistés dont la Commune devra se charger par la suite.

Mais si la mort d’un enfant assisté est une bonne fortune pour la Commune, c’est de toutes façons pour le Maltais une mauvaise affaire, même quand il réussit à récupérer la marchandise livrée à crédit. Aussi n’est-il point rare de voir à certaines heures de la journée, sous couleur de faire un petit tour de promenade, les Maltais se livrer à des rondes d’inspection dans les ruelles sales toutes grouillantes d’enfants nus, terreux, brûlés par le soleil, de gorets crayeux et de poules, tandis que d’un seuil à l’autre bavardent et plus souvent se querellent toutes ces mères à livrets rouges.

Les nourrissons sont exactement de la part des Maltais l’objet des mêmes soins que les gorets de la part des femmes. Certains Maltais, au comble de la consternation, sont allés jusqu’à faire donner le sein par leur propre femme, une demi-heure chaque jour, à des nourrissons trop amaigris.

Passons. Rose Marenga a trouvé finalement un Maltais de seconde catégorie, un petit Maltais débutant qui a promis de lui avancer en plusieurs fois, non pas comme à l’ordinaire, deux cents francs de marchandises, mais cent quarante seulement. Le fiancé et ses parents s’en sont contentés, et l’on a décidé les épousailles.

Et maintenant un nourrisson affamé, dans une sorte de sac tendu sur des cerceaux d’osier, accroché par deux ficelles, dans un coin de la bauge, hurle du matin au soir, tandis que la fille de Rose Marenga, Tuzza, la fiancée, « fait à l’amour », avec son épouseur, rit, coud son trousseau, et de temps en temps tire la ficelle pendue à ce berceau primitif qu’elle balance :

— Là, là, beau petit, là, là… Vierge sainte, que ce nourrisson est « rétique » !