Le Nez d'un Notarie - Edmond About - E-Book

Le Nez d'un Notarie E-Book

Edmond About

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Beschreibung

Vers 1855, à 32 ans, Alfred est le meilleur notaire de France. Un jour, il frappe le nez d'un ottoman : Ayvaz. Le lendemain, Ayvaz le provoque en duel et lui coupe le nez d'un coup de sabre. Le docteur Bernier coud le bras d'un quidam, Romagné, au visage d'Alfred pendant un mois. Celui-ci donne 100 louis à Romagné, mais il les dépense très vite.

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Edmond About

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table des matières

Chapitre 1 L’Orient et l’Occident sont aux prises - Le sang coule

Chapitre 2 La chasse au chat

Chapitre 3 Où le notaire défend sa peau avec plus de succès

Chapitre 4 Chébachtien Romagné

Chapitre 5 Grandeur et décadence

Chapitre 6 Histoire d’une paire de lunettes et conséquences d’un rhume de cerveau

Dédicace à M. Alexandre Bixio Permettez-moi, monsieur, d’inscrire en tête de ce petit livre le nom cher et honoré d’un homme qui a consacré toute sa vie à la cause du progrès, d’un père qui a offert ses deux fils à la délivrance de l’Italie, d’un ami qui est venu entre les premiers me donner une preuve de sympathie le lendemain de Gaetana. 1

E. A.

Chapitre 1 L’Orient et l’Occident sont aux prises - Le sang coule

Chapitre 1L’Orient et l’Occident sont aux prises - Le sang coule

Maître Alfred L’Ambert, avant le coup fatal qui le contraignit à changer de nez, était assurément le plus brillant notaire de France. En ce temps-là, il avait trente-deux ans ; sa taille était noble, ses yeux grands et bien fendus ; son front olympien, sa barbe et ses cheveux du blond le plus aimable. Son nez (premier du nom) se recourbait en bec d’aigle. Me croira qui voudra, mais la cravate blanche lui allait dans la perfection. Est-ce parce qu’il la portait depuis l’âge le plus tendre, ou parce qu’il se fournissait chez la bonne faiseuse ? Je suppose que c’était pour ces deux raisons à la fois.

Autre chose est de se nouer autour du cou un mouchoir de poche roulé en corde ; autre chose de former avec art un beau nœud de batiste blanche dont les deux bouts égaux, empesés sans excès, se dirigent symétriquement vers la droite et la gauche. Une cravate blanche bien choisie et bien nouée n’est pas un ornement sans grâce ; toutes les dames vous le diront. Mais il ne suffit point de la mettre ; il faut encore la bien porter : c’est une affaire d’expérience. Pourquoi les ouvriers paraissent-ils si gauches et si empruntés le jour de leurs noces ? Parce qu’ils se sont affublés d’une cravate blanche sans aucune étude préparatoire.

On s’accoutume en un rien de temps à porter les coiffures les plus exorbitantes ; une couronne, par exemple. Le soldat Bonaparte en ramassa une que le roi de France avait laissé tomber sur la place Louis XV. Il s’en coiffa lui-même, sans avoir pris leçon de personne, et l’Europe déclara qu’un tel bonnet ne lui allait pas mal. Bientôt même il mit la couronne à la mode dans le cercle de sa famille et de ses amis intimes. Tout le monde autour de lui la portait ou la voulait porter. Mais cet homme extraordinaire ne fut jamais qu’un porte-cravate assez médiocre. M. le vicomte de C…, auteur de plusieurs poèmes en prose, avait étudié la diplomatie, ou l’art de se cravater avec fruit.

Il assista, en 1815, à la revue de notre dernière armée, quelques jours avant la campagne de Waterloo. Savez-vous ce qui frappa son esprit dans cette fête héroïque où éclatait l’enthousiasme désespéré d’un grand peuple ? C’est que la cravate de Bonaparte n’allait pas bien.

Peu d’hommes, sur ce terrain pacifique, auraient pu se mesurer avec maître Alfred L’Ambert. Je dis L’Ambert, et non Lambert : il y a décision du conseil d’État. Maître L’Ambert, successeur de son père, exerçait le notariat par droit de naissance. Depuis deux siècles et plus, cette glorieuse famille se transmettait de mâle en mâle l’étude de la rue de Verneuil avec la plus haute clientèle du faubourg Saint-Germain.

La charge n’était pas cotée, n’étant jamais sortie de la famille ; mais, d’après le produit des cinq dernières années, on ne pouvait l’estimer moins de trois cent mille écus. C’est dire qu’elle rapportait, bon an, mal an, quatre-vingt-dix mille livres. Depuis deux siècles et plus, tous les aînés de la famille avaient porté la cravate blanche aussi naturellement que les corbeaux portent la plume noire, les ivrognes le nez rouge, ou les poètes l’habit râpé. Légitime héritier d’un nom et d’une fortune considérables, le jeune Alfred avait sucé les bons principes avec le lait. Il méprisait dûment toutes les nouveautés politiques qui se sont introduites en France depuis la catastrophe de 1789. À ses yeux, la nation française se composait de trois classes : le clergé, la noblesse et le tiers état. Opinion respectable et partagée encore aujourd’hui par un petit nombre de sénateurs. Il se rangeait modestement parmi les premiers du tiers état, non sans quelques prétentions secrètes à la noblesse de robe. Il tenait en profond mépris le gros de la nation française, ce ramassis de paysans et de manœuvres qu’on appelle le peuple, ou la vile multitude. Il les approchait le moins possible, par égard pour son aimable personne, qu’il aimait et soignait passionnément. Svelte, sain et vigoureux comme un brochet de rivière, il était convaincu que ces gens-là sont du fretin de poisson blanc, créé tout exprès par la providence pour nourrir MM. les brochets.

Charmant homme au demeurant, comme presque tous les égoïstes ; estimé au Palais, au cercle, à la chambre des notaires, à la conférence de Saint-Vincent de Paul et à la salle d’armes ; beau tireur de pointe et de contre-pointe ; beau buveur, amant généreux, tant qu’il avait le cœur pris ; ami sûr avec les hommes de son rang ; créancier des plus gracieux, tant qu’il touchait les intérêts de son capital ; délicat dans ses goûts, recherché dans sa toilette, propre comme un louis neuf, assidu le dimanche aux offices de Saint-Thomas d’Aquin, les lundis, mercredis et vendredis au foyer de l’Opéra, il eût été le plus parfait gentlemande son temps au physique comme au moral, sans une déplorable myopie qui le condamnait à porter des lunettes. Est-il besoin d’ajouter que ses lunettes étaient d’or, et les plus fines, les plus légères, les plus élégantes qu’on eût fabriquées chez le célèbre Mathieu Luna, quai des Orfèvres ?

Il ne les portait pas toujours, mais seulement à l’étude ou chez le client, lorsqu’il avait des actes à lire. Croyez que les lundis, mercredis et vendredis, lorsqu’il entrait au foyer de la danse, il avait soin de démasquer ses beaux yeux. Aucun verre biconcave ne voilait alors l’éclat de son regard. Il n’y voyait goutte, j’en conviens, et saluait quelquefois une marcheusepour une étoile;mais il avait l’air résolu d’un Alexandre entrant à Babylone. Aussi les petites filles du corps de ballet, qui donnent volontiers des sobriquets aux personnes, l’avaient-elles surnommé Vainqueur.Un bon gros Turc, secrétaire à l’ambassade, avait reçu le nom de Tranquille,un conseiller d’État s’appelait Mélancolique;un secrétaire général du ministère de…, vif et brouillon dans ses allures, se nommait M. Turlu.C’est pourquoi la petite Élise Champagne, dite aussi Champagne II e, reçut le nom de Turlurettelorsqu’elle sortit des coryphées pour s’élever au rang de sujet.

Mes lecteurs de province (si tant est que ce récit dépasse jamais les fortifications de Paris) vont méditer une minute ou deux sur le paragraphe qui précède. J’entends d’ici les mille et une questions qu’ils adressent mentalement à l’auteur. « Qu’est-ce que le foyer de la danse ? Et le corps de ballet ? Et les étoiles de l’Opéra ? Et les coryphées ? Et les sujets ? Et les marcheuses ? Et les secrétaires généraux qui s’égarent dans un tel monde, au risque d’y attraper des sobriquets ? Enfin par quel hasard un homme posé, un homme rangé, un homme de principes, comme maître Alfred L’Ambert, se trouvait-il trois fois par semaine au foyer de la danse ? »

Eh ! chers amis, c’est précisément parce qu’il était un homme posé, un homme rangé et un homme de principes. Le foyer de la danse était alors un vaste salon carré, entouré de vieilles banquettes de velours rouge et peuplé de tous les hommes les plus considérables de Paris. On y rencontrait non seulement des financiers, des conseillers d’État, des secrétaires généraux, mais encore des ducs et des princes, des députés, des préfets, et les sénateurs les plus dévoués au pouvoir temporel du pape ; il n’y manquait que des prélats. On y voyait des ministres mariés, et même les plus complètement mariés entre tous nos ministres. Quand je dis on yvoyait,ce n’est pas que je les aie vus moi-même ; vous pensez bien que les pauvres diables de journalistes n’entraient pas là comme au moulin. Un ministre tenait en main les clefs de ce salon des Hespérides ; nul n’y pénétrait sans l’aveu de son excellence. Aussi fallait-il voir les rivalités, les jalousies et les intrigues ! Combien de cabinets on a culbutés sous les prétextes les plus divers, mais au fond parce que tous les hommes d’État veulent régner sur le foyer de la danse ! N’allez pas croire au moins que ces personnages y fussent attirés par l’appât des plaisirs défendus ! Ils brûlaient d’encourager un art éminemment aristocratique et politique.

La marche des années a peut-être changé tout cela, car les aventures de maître L’Ambert ne datent point de cette semaine. Elles ne remontent pourtant pas à l’antiquité la plus reculée. Mais des raisons de haute convenance me défendent de préciser l’année exacte où cet officier ministériel échangea son nez aquilin contre un nez droit. C’est pourquoi j’ai dit vaguement en cetemps-là,comme les fabulistes. Contentez-vous de savoir que l’action se place, dans les annales du monde, entre l’incendie de Troie par les Grecs et l’incendie du palais d’Été à Pékin par l’armée anglaise, deux mémorables étapes de la civilisation européenne.

Un contemporain et un client de maître L’Ambert, M. le marquis d’Ombremule, disait un soir au café Anglais :

— Ce qui nous distingue du commun des hommes, c’est notre fanatisme pour la danse. La canaille raffole de musique. Elle bat des mains aux opéras de Rossini, de Donizetti et d’Auber : il paraît qu’un million de petites notes mises en salade a quelque chose qui flatte l’oreille de ces gens-là. Ils poussent le ridicule jusqu’à chanter eux-mêmes de leur grosse voix éraillée, et la police leur permet de se réunir dans certains amphithéâtres pour écorcher quelques ariettes. Grand bien leur fasse ! Quant à moi, je n’écoute point un opéra, je le regarde : j’arrive pour le divertissement, et je me sauve après. Ma respectable aïeule m’a conté que toutes les grandes dames de son temps n’allaient à l’Opéra que pour le ballet. Elles ne refusaient aucun encouragement à MM. les danseurs. Notre tour est venu ; c’est nous qui protégeons les danseuses : honni soit qui mal y pense !

La petite duchesse de Biétry, jeune, jolie et délaissée, eut la faiblesse de reprocher à son mari les habitudes d’Opéra qu’il avait prises.

— N’êtes-vous pas honteux, lui disait-elle, de m’abandonner dans ma loge avec tous vos amis pour courir je ne sais où ?

— Madame, répondit-il, lorsqu’on espère une ambassade, ne doit-on pas étudier la politique ?

— Soit ; mais il y a, je pense, de meilleures écoles dans Paris.

— Aucune. Apprenez, ma chère enfant, que la danse et la politique sont jumelles. Chercher à plaire, courtiser le public, avoir l’œil sur le chef d’orchestre, composer son visage, changer à chaque instant de couleur et d’habit, sauter de gauche à droite et de droite à gauche, se retourner lestement, retomber sur ses pieds, sourire avec des larmes plein les yeux, n’est-ce pas en quelques mots le programme de la danse et de la politique ?