Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
L'auteur, à travers un conte ponctué de douze nouvelles inspirées de faits réels ou de récits fantastiques connus, tente de nous révéler ce qui se cache au-delà des apparences de l'existence, de la mort et du destin. Il questionne les limites de la vie pour relativiser cette frontière ténue entre le monde animé et le monde inerte. Si vous vous laissez emporter par le récit, vous assisterez à la métamorphose de l'existence. Ou comment une surface pliée devient un objet en trois dimensions, comment cet objet s'anime, comment l'eau, la pierre et les machines naissent, vivent, et meurent... Pour explorer ce livre, il vous faudra un compagnon de voyage, un aventurier prêt à plonger dans la folie du réel. Ce héros, ce sera "l'enfant monde". Plus qu'un enfant, il est l'enfance de la création. Il forge l'univers et ses différents astres. Il crée la vie. Mais dès lors, il engendre également la mort et la souffrance, à son grand désespoir. À la manière du Petit Prince, en quête de sens, il part visiter de nombreuses planètes et rencontrer les autochtones. Autant d'expériences qui vont façonner sa personnalité. Ce texte est un cheminement à travers les paradoxes de la vie qui participent à la construction de l'individu et vont jusqu'à structurer son esprit et révéler sa propre nature. Il en sera ainsi de notre enfant monde, qui devra grandir et se découvrir.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 197
Veröffentlichungsjahr: 2023
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Je remercie Nathalie Raynaud à qui j’ai confié les épreuves de mon livre. Elle m’a apporté une critique constructive et je tiens à l’associer à la parution de cet ouvrage.
Quel est le point commun entre un livre, une sculpture, une symphonie, une peinture et un être vivant ?
Ne serait-ce pas la vibration ?
Au cœur de la matière, on ne discerne plus l’onde du corpuscule. Toute chose est constituée d’une symphonie vibrante, d’une symphonie vivante1.
Alors, laissez ce livre vous chanter sa musique intérieure au son des pages qui tournent...
1 Platon dans La République, 530d, 617b et le Cratyle, 405c, faisait déjà un rapprochement entre les lois du cosmos et la musique, à travers la théorie de l'harmonie des sphères qu’il emprunte aux pythagoriciens. Pour ces derniers, l'univers est régi par des rapports numériques harmonieux. Musique et physique sont donc sœurs (Pythagore, 530 av. J.-C.).
Herman Hesse, dans Le Jeu des perles de verre (1942), invente également un jeu utopique, « les perles de verre », qui unifierait les mathématiques, la musique et les autres sciences.
PROLOGUE
LE SECRET DU PLI
LE BANQUET D’ULYSSE
RÊVE DE DRAGON
ARBRE DE VIE
LE SAC À MALICE
LA MORT ?
LA VIE DE « PIERRE »
PRODUCTIVITÉ
CONSCIENCE ARTIFICIELLE
JOB
LA PETITE ROBE NOIRE
L’ADN DE LA VICTOIRE
POSTFACE
BIBLIOGRAPHIE
« Au commencement était le Verbe »2, dit la Bible. Mais avant le verbe, n’y avait-il pas l'onde qui porta le verbe à travers la voix ?
Les astrophysiciens l’ont bien compris lorsqu’ils ont inventé la théorie des cordes afin d’unifier la théorie de l’infiniment grand et de l’infiniment petit3. Cela revenait à combiner tous les systèmes de pensée de leurs prédécesseurs. On a d’ailleurs nommé cette doctrine « la théorie du tout ». Dans cette conception du monde, de petites cordelettes vibrent comme des cordes de guitare. Elles forment, selon leur fréquence, différents corpuscules subatomiques, briques fondamentales de la vie.
Les chercheurs, ces grands poètes de la physique, ont imaginé également que ces cordes pourraient avoir deux dimensions et être le canevas de l’infiniment grand. Il existerait des membranes aux dimensions incommensurables qui contiendraient des univers entiers.4
Qu’est-ce qu’un pli sinon une ondulation ? Et que sont les membranes sinon de grandes feuilles ondulant à travers le temps et l'espace sur lesquelles s'écrit l'existant ?
Pour y voir plus clair, regardons une situation que chacun de nous a expérimentée.
Vous êtes sur la plage par une belle journée de printemps, l’air vous caresse le visage et vous regardez la mer. Les vagues, soulevées par des rafales de vent, se forment au loin et viennent mourir sur la grève. La nature crée des objets en trois dimensions à partir d’une surface plate, comme un pliage crée une forme tridimensionnelle à partir d’une feuille de papier qui a deux dimensions. La matière se froisse et crée un objet. En effet, lorsque nous regardons une surface d’eau onduler, voyons-nous des objets que nous nommons vagues, ou une surface plane qui se tord à l’horizon5 ?
De là à imaginer que l’on puisse créer des pliages plus complexes avec les membranes qui forment le corps de l’univers, il n’y a qu’un pas... N’hésitez pas, suivez-moi dans mon récit, franchissez cette limite, elle est à l’échelle de notre imagination…
Il fait nuit, une nuit sombre et protectrice sans aucune sorte de bruit ni de source lumineuse. Seul, un très jeune enfant assis s’essaie au pliage. Au début, il manque de dextérité. Il rate la plupart de ses réalisations et les froisse, de dépit. C’est ainsi qu’il crée une multitude de boules aux contours irréguliers. Ce sont là ses premiers essais. Pourquoi tente-t-il vainement de réaliser quelque chose ? Peut-être cherche-il juste à rompre la solitude ?
À force de laisser tomber ses épreuves loupées, l’espace autour de lui, sans qu’il n’y prenne garde, ressemble bientôt à un capharnaüm sans nom. Alors, pour faire un peu de rangement, il agglomère ces papiers froissés en grosses boules et les lance au loin pour s’en débarrasser. Mais dans le vide, ces boules ne peuvent tomber, elles restent suspendues dans l’espace et volent.
Attirés mutuellement, les globes de papiers chiffonnés se meuvent majestueusement en formant des cercles et des ellipses les uns autour des autres. Certains, les plus gros, s’effondrent sur eux-mêmes et se mettent à briller de mille feux. Ainsi naissent les systèmes solaires. Et ces toupies étincelantes dansent la farandole dans les galaxies qui illuminent l’univers d’une toute nouvelle lumière.
Enfin, après un temps incalculable et moult essais, l’enfant réussit à faire une cocotte dont il est très fier (cela met un terme à la question : « Qui, de l'œuf ou de la poule, est né le premier ? »). Après ce premier exploit et grâce à son entraînement, il réalise d’autres animaux. Tout d’abord un peu grossiers, ses pliages deviennent progressivement plus fins et précis.
Ayant acquis assez d’expérience, il se lance dans une création effrénée. Il crée une multitude d’animaux, de plantes, de fleurs, dont certains sont inconnus de notre cher lecteur. Il fabrique par exemple des arbres volants, des ligrons, des cigagnos zébrées, des crapouilles, des dragonos, des fleurs de pierre, des loups-garous et toutes sortes de poissons, d’oiseaux, de mammifères et de végétaux qui semblent sortir de contes de fées.
Il passe de longs moments à créer toute cette vie. Bien entendu il réalise également l’homme, la femme et d'autres humanoïdes, cependant, voyant le résultat médiocre, il pense les froisser. Puis non ! Il se dit que quelques espèces mal fichues souligneront la beauté des autres réalisations. C’est comme cela qu’il finit par peupler les boules fripées qui ressemblent à des planètes. Pas toutes, non, cela demanderait trop de travail, quelques-unes du moins.
En fait, cet « enfant monde » ne plie pas du papier, il plie les membranes qui forment notre univers...
Sa démarche hasardeuse a donné naissance à de multiples mondes, et même à différentes versions des mêmes mondes. Lorsqu’il ne trouve pas son projet assez réussi, il en crée une variante. De ce fait il produit une multitude de dimensions parallèles grâce au pliage ! C’est ainsi que, par exemple, il existe plusieurs moutures de la planète Terre.
Tout étonné du résultat de ses ébauches, il se dit qu’il laissera ses réalisations se développer et qu’il ne manquera pas d’aller les visiter ultérieurement. Un peu comme un jardinier qui plante un arbre et revient pour voir, quelques temps après, comment il a grandi, pour l’observer en poète averti, au fil des saisons, et prendre du bon temps dans son ombre, ou pour cueillir ses fruits, tailler ses branches et peut-être soigner ses maladies. Rien de plus simple pour notre ami, qui passe d’un univers à un autre en pliant le temps et l’espace sur eux-mêmes.
L’enfant monde a décidé d’établir sa base arrière sur Terre au pôle Sud, dans une demeure construite entièrement de glace. Elle est invisible aux rares visiteurs du lieu, car elle ressemble plutôt à une montagne enneigée qu’à un château. Entre deux sauts intergalactiques, il revient sur Terre voir ce que devient ce petit monde situé en bordure d’une belle galaxie en spirale appartenant à un superamas nommé du doux nom de « Laniakea »6 par ses habitants.
Dix milliards d’années stellaires sont passées et notre enfant est devenu un bel adolescent. Il s’est mis en route comme un pèlerin empli de curiosité et d’espoir, décidé à aller désormais visiter les mondes qu’il avait créés. Les yeux emplis d’étoiles, il vole dans l’espace à la rencontre de ses enfants. Que sont- ils devenus ?
Pour commencer ses pérégrinations, il jette son dévolu sur un monde habité par des humanoïdes qui vivent en symbiose avec la nature. Toutefois, le respect que leur inspire leur environnement ne se reflète guère dans les relations que les deux peuples vivant sur cette planète entretiennent.
2 Citation de la Bible : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu, et le Verbe était Dieu ». Traduction œcuménique de la Bible, Cerf/Bibli'O, 2010.
3 La théorie de la relativité générale et la théorie quantique.
4 La théorie des cordes, inventée par les physiciens Léonard Susskind, Yoichiro Nambu et Holger Bech Nielsen, a subi plusieurs évolutions. Certains chercheurs imaginent notamment que l’univers pourrait-être formé de membranes qui ondulent.
5 Une vague, comme un homme, semble avoir une réalité en soi. Mais si l’on y regarde de plus près, l’une comme l’autre ne sont que le fruit de l’inertie de la matière. La vague n’est que la torsion momentanée de l’eau sous l’effet du vent. De la matière agglomérée pour un temps limité. L’eau qui forme la vague se renouvelle constamment jusqu’à sa disparition. Nous avons l’illusion que la vague subsiste pour un certain temps. Ce que nous appelons « la vague », c’est l’inertie du phénomène. Je prends donc le pari ici que toutes les choses qui existent en ce monde, « homme », « animal », « plante » ou « minéral » répondent au même principe. En deux mots, l’existence c’est l’inertie du mouvement.
6 Notre galaxie appartient à un superamas de galaxies que les hommes ont baptisé Laniakea. Ce superamas s’étendrait sur près de 500 millions d’années-lumière et contiendrait plus de 100 000 galaxies.
Sur l’extrême limite d’un bras de la galaxie d’Ésope, brille un petit soleil autour duquel gravite une minuscule planète aux reflets vert bleuté. Les habitants de cette terre d’opale l’ont baptisée du nom d’IO. Elle est recouverte d’un épais manteau végétal, bordé de vastes étendues turquoise, lacs profonds et grands océans nourris par de longs fleuves qui serpentent sous la frondaison des arbres centenaires des forêts luxuriantes.
Au sein de ce paradis écologique, deux ethnies, les Oyas et les Narnass, se disputent le pouvoir depuis de nombreuses lunes. Leur querelle est profonde. Elle repose sur les coutumes et le mode de vie de chacun des deux groupes d’individus. Leurs croyances, leurs goûts culinaires, leurs habitudes divergent. Et cela suffit à provoquer des troubles incessants. Leurs différends remontent à la fondation de leur capitale. En effet, tout en ayant des contentieux importants, les deux peuples, frères ennemis, ont construit leur ville principale ensemble, au même endroit. Et pour cause, les Narnass approvisionnent principalement la ville en fruits et en viande, tandis que les Oyas fournissent le poisson et des algues qui servent de légumes. Ils sont donc étroitement dépendants les uns des autres pour subsister. Condamnés à vivre en collectivité pour le meilleur comme pour le pire, ils ne parviennent pas à s’entendre pour autant.
C’est ainsi que depuis sa création, ils se disputent leur capitale, chacun revendiquant l’ensemble de la cité. Cela, bien que les uns habitent dans l’épaisse canopée de la forêt, et les autres sous l’eau d’une lagune bleutée.
La solution qu'avaient trouvée les anciens pour éviter les guerres constantes entre les deux tribus, et les pillages qui s’en suivaient, était l’épreuve de « la quête du sceptre ». Une éclipse solaire se produisait tous les cinq ans. Lors de cet événement, une joute devait déterminer quel peuple disposerait du bâton de pouvoir, et de ce fait dominerait l’autre. Le sage du clan dominant devait camoufler dans la forêt, avec son homologue du clan dominé, la clé qui donne accès au sceptre de puissance. Le peuple qui la découvrait le premier se voyait octroyer le pouvoir pour les cinq années suivantes.
Seule, dans une vaste clairière taillée dans la fourrure épaisse de la jungle verdoyante par l’atterrissage d’un antique vaisseau des étoiles, trônant sur un promontoire formé par les vestiges d’acier déchiqueté de sa nef principale, une grande pierre noire mal dégrossie, munie d’une serrure archaïque, faisait office de sanctuaire.
La clé ouvrait la boîte enchâssée dans ce mégalithe dédié au Dieu de la Lune. C’est là que l’objet sacré était conservé, sous la bonne garde de la divinité tutélaire. Les anciens, après sa découverte, avaient érigé le temple sur cette butte pour le préserver de la convoitise des individus des deux tribus.
Le peuple vainqueur qui se voyait octroyer les rênes du pouvoir en abusait bien souvent au détriment du peuple perdant. Cela avait pour effet de faire redouter au gagnant tout retournement de situation.
Les sages des deux clans essayaient de maintenir un certain équilibre des droits. Cependant, la nature de ces humanoïdes ressemblait beaucoup à celle des hommes de notre bonne vieille Terre : l'exercice du pouvoir les transformait et faisait ressortir leurs plus vilains traits de caractère. Souvent, lorsqu’on prête une chose longtemps à une personne, elle s’en croit la propriétaire. C’est le cas pour le pouvoir, qui est assurément très addictif.
L'éclipse approche à grand pas. Les cinq années de règne des Narnass touchent à leur fin et le leadership de la communauté va être remis en jeu. La tension est palpable entre les deux clans. Déjà, aux fêtes du printemps, les équipes de Caroubi7 s’étaient frénétiquement affrontées et les débordements des supporters avaient fait nombre de blessés. Les sages des deux parties avaient dû intervenir pour contenir les velléités des jeunes combattants qui ne cherchaient qu’à en découdre.
À présent, tout le monde a le regard rivé sur l’immense clepsydre végétale accolée à la montagne d’où coule une minuscule source d’eau claire. Formée d’un tronc finement sculpté et de feuilles tressées, qui laissent filtrer l’eau goutte à goutte dans une succession de récipients attachés sur sa partie inférieure, l’horloge indiquera bientôt l’heure fatidique, le moment où la clé va devoir être cachée une fois de plus.
Lors du dernier « quinquennat », c’étaient les Narnass qui avaient gagné la clé. Il y avait même eu « ballotage » ! Les sages avaient dû, à cette occasion, inventer une épreuve supplémentaire pour départager les concurrents qui ne trouvaient pas la clé. On avait fait monter les deux chefs de clan dans un bateau, que les deux tribus faisaient tanguer. Ces derniers avaient été ballottés jusqu’à ce que l’un d’entre eux tombe à l’eau (d’où le terme de « ballottage », utilisé aussi dans nos démocraties lorsqu’un député est en difficulté, bien qu’on ne sache pas comment ce concept a pu voyager jusqu’à nous). Le chef Narnass, qui avait réussi à garder l’équilibre, s’était vu remettre la clé.
Aniimus, le sage de ce clan, en a donc à présent la garde. Pourtant, il affirme tout haut que cette situation de domination temporaire lui déplaît. En effet, être pour cinq ans le peuple soumis ou dominant n’est pas, selon lui, la meilleure solution. Cela crée inévitablement des rancunes. Mais Korgan, le « rassembleur », et les chefs de son clan ne partagent pas son avis, ils comptent bien garder la main mise sur le pouvoir.
Les Narnass vivent dans les arbres. Ils ont des maisons qui ressemblent à des nids de tisserands (sortes de nids ovoïdes en rotin). Ils maîtrisent parfaitement la fabrication du papier, qui leur sert d’isolant dans la construction de leur habitat. Notre vieux sage, quant à lui, l’utilise dans un esprit plus ludique pour faire des origamis, une passion qui l'a assailli très jeune. Chaque jour, il prend quelques instants pour s’adonner à son plaisir. Avec ses yeux fatigués, il s’échine à façonner des figurines de papier. Le matin, dans le soleil levant, ou le soir à la lueur vacillante d’une torche, les yeux plissés, penché sur son ouvrage, il plie patiemment la délicate feuille afin de faire naître une forme aux traits de la vie. C’est là sa méditation quotidienne, le moment où son esprit peut s’apaiser, totalement absorbé par sa création.
Lorsqu’il le voit faire, l’enfant monde se sent tout de suite connecté à lui. Quel étrange petit bonhomme, qui semblait comprendre intuitivement le secret de la création ! L’une des représentations préférées de notre plieur de papier est l’Ignatus, une sorte de rhinocéros à cinq cornes. Jour après jour et pli après pli, il avait imaginé comment réaliser ses pattes, son corps trapu, puis une, deux et enfin trois cornes. Car le papier est récalcitrant et ne se laisse pas dompter par le premier venu. Ce matin il est satisfait, car enfin il se dit que sa création est achevée. Il a réussi, à partir d’une feuille entière, sans couper le papier, à réaliser l’ensemble des membres de la bête. Son fils, qui le voyait tout le temps plier de petits morceaux de papier, admirait sa patience. Plus qu’un passe-temps, c’était pour le vieil homme un art de vivre.
Avec le retour de l'éclipse, Aniimus ne sait plus à qui se fier, à part peut-être justement à son fils Itoine, et au sage Goltir, de la tribu opposée. Les deux anciens avaient, au cours de ces longues années, tissé des liens très solides.
Le danger est palpable pour le vieil homme qui craint à présent de se faire déposséder de son talisman. En fait, le sceptre donne un pouvoir réel à la tribu qui le détient car il s'agit d'un artéfact ancien laissé par le peuple venu des étoiles. L’objet avait été trouvé dans la nef écrasée sur laquelle avait été construit le sanctuaire de la Lune. Les rumeurs disaient qu’il s’agissait d’une arme surpuissante, capable de décimer tous ses adversaires. Ceux qui subtilisaient la clé pouvaient s'autoproclamer souverains, sans autre forme de procès. Aussi, certains humanoïdes des deux peuples veulent-il s’en emparer.
Seule la peur, suscitée par la religion et le respect qu’inspirent les deux sages, retient les chefs des deux groupes opposés de s’approprier le pouvoir en dérobant la clé. Mais la considération des anciens semble à présent s’effriter face aux désirs de pouvoir des jeunes générations.
Comme nous l’avons déjà évoqué, nombreux sont les Narnass qui ne souhaitent pas partager le pouvoir, surtout ceux qui en ont abusé et redoutent un retour de manivelle. Le vieil homme, quant à lui, souhaite au moins respecter la tradition et laisser une chance au clan opposé de diriger. Aussi, pour éviter toute tentative de vol, il garde toujours la clé du coffre dans un vieux papier, plié dans sa poche, et ne s'en défait jamais.
Une semaine avant l’éclipse, le temps s’est éclairci et le sage décide de partir en forêt cueillir des champignons célestes avec son madras blanc, une espèce de cheval à tête de lion, apanage des personnes importantes. C’est à ce moment qu’il rencontre, sur le chemin, des chasseurs de sa propre tribu. Tout d'abord, Ignos, le chef du groupe, lui demande de cacher la clé dans un endroit convenu le jour de l'éclipse. Puis, ne parvenant pas à convaincre le vieux, il tente de lui soutirer la clé par l’intimidation, et enfin par la force. Ses sbires menaçants sortent leurs armes pour attaquer. Le sage ne doit son salut qu'à sa monture, qui se cabre en rugissant à l’approche des hommes d’armes. Profitant de la confusion engendrée par la réaction de son animal, il prend la fuite sur son destrier.
La veille de l'éclipse, la tension est à son comble. Les villageois dévisagent le vieil homme avec un regard tantôt inquiet, tantôt belliqueux. Il s’enferme alors dans son nid aérien de branches et de papier tressé, pour y discuter longuement avec son homologue, le vieux sage du peuple des Oyas. Peu après, il part se recueillir dans la jungle, seul. Il grimpe sur la montagne, et se met à prier le soleil sur un promontoire qui surplombe la rivière, face à la capitale divisée en deux localités rivales. L’endroit lui paraît idéal pour faire ses dévotions.
Disséminées sur le flanc de la falaise dominante ainsi que sur la cime des arbres immenses dont les pieds, tels des cils, bordaient l’œil bleu du lac voisin, se trouvent suspendues les habitations du village des Narnass. Accrochés en grappes, tantôt aux branches tantôt à des saillies de roche, les nids ovoïdes oscillent gracieusement au vent, berçant leurs habitants. De leurs demeures aériennes, les cueilleurs et les guerriers rentrés chez eux perçoivent les rituels du prêtre.
Au pied de cette mangrove, sous l'eau de la lagune, se trouve le village des Oyas. Ce peuple a construit une immense ville sous-marine en utilisant des carapaces de tortues géantes sous lesquelles se sont installées les familles, à l'abri des prédateurs, dans les cavités d'air créées. L'oxygène provient des émanations des petites algues vertes des profondeurs, il remonte à la surface sous forme de bulles libérées par ces plantes aquatiques, puis est capturé par les carapaces. Ces dernières ont une structure spécifique qui laisse s'échapper le dioxyde de carbone et permet à l'oxygène des plantes de s'accumuler sous leur coque. Il existe tout un système ingénieux qui équilibre la température des maisons immergées, permet de filtrer l’eau de consommation et d’éclairer les demeures. On atteint la ville sous-marine à partir d'une plateforme centrale à la lagune.
La population des Oyas vit essentiellement de la pêche, qu’elle pratique en utilisant des pirogues en peaux. Les pêcheurs, eux aussi, peuvent nettement voir le vieil homme en appeler à la divinité du soleil.
Quel n’est pas le choc des habitants des deux villages, affairés à leurs travaux habituels, lorsqu’ils voient le sage, qui priait au soleil, déraper et tomber dans le précipice ! Sans attendre, les villageois des deux camps et le fils du sage courent à perdre haleine vers le lieu de l’accident. Lorsqu’ils arrivent sur la montagne, ils découvrent le papier qui contenait la clé, coincé sous le bâton que le sage avait dû lâcher avant de tomber. Mais nulle clé dans le papier !
Puisque le destin en a décidé ainsi, il est convenu entre les tribus que la première qui retrouverait la clé aurait le pouvoir. Elle avait dû glisser, avec le vieil homme, dans la rivière en contrebas. Il s’en suit des deux côtés une grande effervescence. Chaque clan se met fébrilement à rechercher le graal. Tout d’abord, les protagonistes retournent une à une toutes les pierres de la rivière. Sans résultat. Puis, un grand nombre de battues sur les abords du cours d’eau ont lieu, moins pour retrouver le corps du vieil homme que pour s’emparer de la clé. Plusieurs fois, Goltir, garant du bon déroulé de la chasse à la clé, est obligé d’intervenir pour séparer les deux parties, car dès que les hommes voient quelque chose qui brille, ils s’élancent et se battent pour l’obtenir. Les échauffourées ne sont pas rares et il faut toute la finesse du vieux sage de la tribu des Oyas pour qu’elles ne finissent pas en guerre ouverte.
Malgré une fouille minutieuse du cours d’eau et de ses alentours, personne ne met la main sur la clé.
Le fils du sage récupère le bâton et le papier trouvés sur le promontoire, pour garder un souvenir du vieil homme qu’il admirait tant. Le soir, triste, il tripote machinalement ce papier plié de mille façons, quand il remarque de petits signes qui n'avaient aucun sens. Durant la nuit, dans un sommeil tourmenté et entrecoupé de périodes de somnolence, il revoit son père plier les Ignatus. Et lui vient subitement l'idée que le papier est sans doute un pliage déplié...
Le lendemain matin il refait le pliage, et lorsque celui-ci ressemble à nouveau à un Ignatus, les traits dessinés se joignent pour former le dessin de la clé ! Partant du principe que l’ancienne clé est perdue, il va voir le forgeron du village et lui demande de faire une nouvelle clé, sans en souffler mot à quiconque. Il suffira de la vieillir avec un peu d’acide et de terre pour en faire une réplique honorable.