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Un homme se présente chez le docteur Watson avec le pouce tranché. Il se nomme Victor Hatherley et est ingénieur hydraulique. Après l'avoir soigné, Watson emmène donc l'ingénieur mutilé chez son ami Sherlock Holmes afin qu'il mène l'enquête. ...
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Seitenzahl: 44
Veröffentlichungsjahr: 2020
Arthur Conan Doyle
Parmi tous les problèmes dont mon ami M. Sherlock Holmes entreprit de découvrir la solution au cours des années où nous vécûmes côte à côte, il n’en est que deux seulement sur lesquels je fus le premier à attirer son attention : celui du pouce de M. Hatherley et celui de la folie du colonel Warbuton. Le second de ces deux cas était sans doute mieux fait pour donner libre carrière à ses étonnantes facultés d’observation, mais le premier avait un caractère si étrange et si dramatique qu’il mérite peut-être plus que l’autre d’être rapporté, même s’il ne doit pas mettre aussi ostensiblement en valeur les méthodes de déduction qui permettaient à Holmes d’arriver à d’aussi remarquables résultats.
L’histoire a, je crois, été contée à plusieurs reprises dans les journaux ; mais, comme toujours, elle est beaucoup moins saisissante à lire dans un résumé succinct de reporter que lorsque l’on voit se dérouler lentement sous ses yeux les faits et se dissiper peu à peu le mystère au fur et à mesure que l’on avance vers la découverte de la vérité. Pour ma part, elle me causa sur le moment une impression très vive, et les deux années qui se sont écoulées depuis, en ont à peine diminué l’effet.
C’est au cours de l’été 1889, peu de temps après mon mariage, que se produisirent les événements dont je me propose de faire le récit. J’avais repris une clientèle civile et laissé Holmes tout seul dans notre logement de Baker Street, mais j’allais fréquemment le voir et je réussissais même parfois à lui faire abandonner ses habitudes de bohème au point de le décider à nous rendre visite. Ma clientèle se développait maintenant d’une façon régulière et, comme j’habitais dans les parages presque immédiats de la gare de Paddington, je comptais quelques clients parmi les employés de Great Western. L’un d’entre eux, rétabli grâce à mes soins après une longue et douloureuse maladie, m’avait gardé une si profonde reconnaissance qu’il chantait mes louanges à qui voulait l’entendre et m’envoyait tous les malades qu’il pouvait décider à venir me voir.
Un matin, un peu avant sept heures, je fus réveillé par la servante, qui frappa à ma porte pour m’annoncer que deux hommes de la gare de Paddington m’attendaient dans mon cabinet de consultation. Sachant par expérience qu’il s’agissait souvent, en pareil cas, de blessures graves, je m’habillai à la hâte et descendis sans perdre un instant. Mais j’étais à peine parvenu au bas de l’escalier que je vis mon vieil ami le chef de train sortir du cabinet en refermant avec soin la porte derrière lui.
– Je l’ai mis là-dedans, m’expliqua-t-il à mi-voix en pointant derrière lui avec son pouce par-dessus son épaule ; il n’y a rien à craindre.
– De quoi s’agit-il donc ? lui demandai-je un peu étonné, car, à ses allures, on aurait été tenté de croire qu’il venait d’enfermer dans le cabinet je ne sais quel animal étrange.
– C’est un nouveau client, me confia-t-il toujours à voix basse. J’ai mieux aimé vous l’amener moi-même. Comme ça, il n’y a pas de danger qu’il vous échappe, et je suis plus tranquille. Mais maintenant, docteur, il faut que je me sauve ; je suis comme vous, j ‘ai mon travail qui m’attend.
Et, sur ces mots, mon fidèle racoleur s’éclipsa sans même me laisser le temps de le remercier.
En pénétrant dans mon cabinet, j’y trouvai un homme assis auprès de ma table. Il était modestement vêtu d’un complet de tweed couleur bruyère et avait posé sur mes livres sa casquette en drap. L’une de ses mains était entortillée d’un mouchoir taché de sang. Il était jeune – pas plus de vingt-cinq ans, je crois – et avait une physionomie très énergique ; mais je remarquai qu’il était excessivement pâle, et il me fit l’effet d’être en proie à une agitation qu’il avait toutes les peines du monde à surmonter.
– Je m’excuse, docteur, de vous déranger à une heure aussi matinale, me dit-il, mais j’ai été victime, cette nuit, d’un très grave accident, et à mon arrivée à Paddington, ce matin, j’ai fait la rencontre d’un très brave homme qui, en apprenant que j’étais à la recherche d’un médecin, a eu la complaisance de me conduire chez vous. J’avais remis ma carte à votre domestique, mais je m’aperçois qu’elle l’a laissée sur ce guéridon.
Je pris la carte et y jetai un coup d’œil : « M. Victor Hatherley, ingénieur en hydraulique, 16 bis, Victoria Street (3e étage). » Tels étaient le nom, la profession et l’adresse de mon matinal visiteur.
– Je regrette de vous avoir fait attendre, lui dis-je en m’asseyant dans mon fauteuil. Vous venez, d’après ce que je vois, de voyager toute la nuit, ce qui n’a rien de bien divertissant, n’est-il pas vrai ?
– Oh ! je vous réponds que je n’ai pas eu le temps de m’ennuyer, s’écria-t-il en partant subitement d’un éclat de rire nerveux qui le secoua tout entier et qui, en ma qualité de médecin, m’inspira aussitôt d’assez vives inquiétudes.
– Hé là ! hé là ! calmez-vous, mon ami, calmez-vous ! lui dis-je en versant de l’eau dans un verre et en le faisant boire.
Mais ce fut peine perdue. Il était en proie à une crise insurmontable comme en ont même les hommes les mieux trempés lorsque survient la détente qui succède à une vive émotion.
Au bout d’un certain temps pourtant, il se calma de lui-même.
– Je viens de me rendre ridicule, balbutia-t-il, tout pantelant et cramoisi de honte.
– Mais non, mais non. Tenez, buvez ceci, lui dis-je en versant un peu de cognac dans son verre et en le lui tendant de nouveau.
– Ça va mieux ! déclara-t-il enfin. Et maintenant, docteur, voulez-vous, s’il vous plaît, me soigner mon pouce, ou plutôt la place où était mon pouce ?