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Avec son nom, Damien Dubois aurait pu suivre l'exemple familal en devenant sculpteur. Son choix s'est porté sur l'art de la marqueterie ... en écriture. Une belle histoire d'amitié entre Thierry et Pierre: la difficulté de vivre quand on nous colle une étiquette ; l'histoire d'amour entre Pierre et Christiane ; les peuples autochtones qui souffrent ; les relations familiales, parfois sereines, d'autres fois conflictuelles ; la vie qui apparait ici, mais qui s'en va là ; les chats de la famille qui font des bétises mais apportent joie et bonne humeur ; les services de l'état sensés simplifier la vie, mais qui parfois la compliquent; un coup de gueule ; les amis, les voisins.
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Seitenzahl: 279
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Ma plume à Pierrot
Avant-Propos
Chapitre I : Mon ami Pierrot
Chapitre II : Ses 100 kg, mes 75 kg et nos handicaps. Ma nonvoyance
Chapitre III : Nos retrouvailles
Remerciements
Lila, Linou et Nous
Chapitre I La Première super Lune
Chapitre II Les gens de base aussi importants que les autres
Chapitre III La première super nouvelle lune
Chapitre IV Sissi et nous
Chapitre V Histoire numérique de l’Amusant Musée
Postface
Remerciements
Les petits petons et les temps suspendus
« Préfax »
Chapitre I L’os cassé de Christiane
Chapitre II La première opération chirurgicale
Chapitre III La deuxième opération chirurgicale
Chapitre IV Le temps suspendu
Conclusion : dehors et dedans
Remerciements
Où (en) suis-je ?
Préface
Chapitre I : Contexte Je suis un doux rêveur et un rare relativiste
Chapitre II : Les petits petons et les temps suspendus
Chapitre III Le monde est en phase d’accoutumance au stress
Chapitre IV : Droit devant
Chapitre V : Je VEUX, parce que j’EXISTE, être influent
Conclusion : Permettre l’avenir
Postface
Les petits saints
Chapitre I : Le jeu
Chapitre II : L’approche des fêtes
Chapitre III :La Fête de Noël
Ode à la vie
Postface
Remerciements
L’Airain et le Zinzolin
Avant-Propos
Chapitre I Le Socle
Chapitre II L’excitant est dans LA nouveauté
Conclusion La montée des eaux
Remerciements
Bibliographie
« Pierrot, mon ami Pierrot, je suis là, toi dans ton rêve, moi sur mon astre, peuplé de souvenirs, chargé de maux, embrasé de ta sensibilité. J’espère que je saurai les décrire, ne parlerai pas faux. Dors paisiblement, laisse-moi le temps de retranscrire ce que tu m’as laissé en héritage. C’est moi qui te réveillerai à l’issue de ton voyage. Tu te réveilleras, je te l’assure, de ton vaisseau en transhumance, comme un roi accueilli à Paris, sortant d’une diligence. Cesse de transpirer et de te retourner dans tes draps, je te retrouverai là, tout haut, tout en haut ».
LE PRESENT DE PIERRE
Pierre est un garçon qui aime le calme. Il passe souvent quelques heures, le soir, à méditer avant de se coucher. Déjà, vers seize et dix-sept ans, il s’endormait mal. Trente-six ans après, il a pris le parti de s’accorder ces quelques heures du silence de la nuit dans son HLM, dans son fauteuil, sur des musiques douces (« soft music », dit une web radio avec un mauvais accent anglais), plutôt que de se mettre devant un écran de télé aux profusions d’images, de publicités et de sons disharmonieux.
Ainsi, même s’il ne croise pas grand monde dans la journée, quand il sort de chez lui, avec ou sans sa compagne, ils ont tous les deux toujours l’esprit gai et enjoué et ne ratent pas une plaisanterie à ajouter avant de quitter leur conversation. Que cela soit au drive ou chez le buraliste d’eliquide, il y a toujours un mot pour rire, pour montrer leur gratitude à un vis-à-vis agréable.
Ce besoin de méditation se fait de plus en plus sentir dès l’automne. Sans activité passionnante, il approche de la retraite après de nombreuses difficultés professionnelles et se demande ce qu’il va faire, moins allant physiquement et aussi moins inspiré pour faire les choses, désabusé par la vie, par son père qui lui a notamment retiré toutes ses passions, dont la culture, et les administrations ne lui ayant que très rarement porté chance.
Ce serait même l’opposé : dernièrement, il a été contraint d’arrêter le travail sur son site de vente de petits jouets peu coûteux mais choisis et va sans doute renoncer à payer annuellement ce site ainsi que celui de l’Amusant Musée1, qui lui avait demandé tant d’heures de « consécration », chez lui, jour et nuit, ou chez son meilleur ami, décédé il y a deux ans et un mois, ou encore dans les hôtels où il dormait la veille des spectacles d’objets en maison de retraite, spectacles de l’Amusant Musée pour faire travailler la réminiscence, l’attention, mais aussi les joues de larges sourires ou les visages d’émerveillement.
ENTRE TOURS ET BRUXELLES
Le soir, pour démarcher les maisons de retraite (deux mille enveloppes en septembre, deux mille en février), s’il ne faisait pas l’allerretour dans la nuit pour venir me voir à cinquante kilomètres de chez lui, il imprimait les prospectus sur ses machines jet d’encre, veillant à l’approvisionnement en papier comme en encre. Car c’était tout un cirque pour imprimer les pages quinze par quinze. De plus, après le recto, il fallait faire le verso sans se tromper de sens (haut et bas) pour approvisionner l’imprimante.
« Canon, you can »… oui, mais difficilement ! En fait, il fallait avoir l’œil sur le résultat car, bien sûr, les cartouches étaient séparées du fait de l’obligatoire disproportion de couleurs donc d’encres dans la page. Il essayait d’utiliser chaque cartouche de couleur jusqu’à ce qu’elle soit épuisée. Durant une maintenance d’une des deux machines encore sous garantie, le réparateur, voyant le nombre de pages tirées enregistré quelque part, lui avait dit n’avoir jamais vu une imprimante si bien rentabilisée.
Plus tard, il s’est décidé à acheter à crédit une machine laser couleur de qualité professionnelle, dont le toner, une fois sur le papier, ne tachait pas à la moindre humidité et qui demandait aussi beaucoup moins d’entretien et de temps. Ce temps libre, il pouvait le consacrer à l’impression des enveloppes et à faire des ajouts ou mises à jour de sa base de données d’adresses. Il fallait le rembourser, ce crédit, et disposer d’une vraie imprimante payée !
Le spectacle pour les enfants n’avait jamais, lui, été rentabilisé. Pourtant, il s’était, par les pages jaunes des bottins qu’il commandait au début, plus tard par le net, créé une base de cinq mille adresses d’écoles primaires et maternelles.
Pourquoi, si les enveloppes étaient à faire soi-même, ne pas faire imprimer le prospectus ? Parce que la réussite du spectacle n’était pas garantie, la fidélisation non plus et SURTOUT, le comédien principal, son père, même si au coffre robuste et à la voix qui porte, était un homme de plus de soixante-dix ans, qui avait fait un cancer de la prostate et un AVC. Faire un gros investissement en passant par un imprimeur, il ne pouvait se le permettre, d’autant plus que les tarifs affichés démarraient bas et qu’il fallait pouvoir les adapter comme améliorer ce prospectus, principale source de revenus hors saison du musée.
Pierrot, je l’appelais ainsi, me disait tout, car j’étais son confident, jusqu’à ses angoisses d’avoir les quatre cents à huit cents kilomètres à faire par jour en semaine bleue2 et les installations-spectacle-rangement dans la voiture bondée. La grosse difficulté était peut-être, avec ses crises de mal-être, qui ne l’empêchaient pas d’agir mais de se concentrer, lui demandant de tripler l’effort pour atteindre l’objectif, de mériter un cachet, et enfin, souvent tard, de rentrer soi et son trésor d’objets intacts au bercail ou à l’hôtel.
Le père se laissait porter par le fils qui, avec toutes ces responsabilités, profitait peu des dépaysements.
Je l’ai vu avec certaines de ses crises, chez moi, occasionnellement, et ne savais comment l’en défaire, sinon lui procurer du calme complet. Elles étaient certainement aussi pénibles que mes crises d’épilepsie étaient dangereuses, car elles duraient parfois des heures.
Près de son père, sans doute grâce à l’habitude qu’ils avaient l’un de l’autre et aussi à un bon travail d’équipe bien défini et rodé, il avait peu de crises d’angoisse et le rôle du clown triste lui revenant, cela était moins inquiétant.
Je me souviens qu’un jour, mangeant au kebab à une terrasse, le bruit incessant des voitures et une mauvaise fréquentation croisée, que l’on supposait être un dealer, m’avaient tellement troublé qu’il l’avait ressenti et m’avait proposé de rentrer. Ce jour-là, nous étions partis avec nos compagnes mais sans voiture, et mon épilepsie « montait » en même temps que je peinais à rejoindre la maison.
Pierrot, de sa corpulence de la quarantaine d’années et de son mètre quatre-vingt-six, m’a entouré de ses bras par la taille et m’a soulevé. J’étais tellement surpris de son geste et de sa force que cela a dû enrayer la mauvaise mécanique de mon cerveau et, comme « déconnecter de ma contrariété », « le circuit était rétabli » : reposé au sol, je sentais cette énorme fatigue que lui devait connaître durant et après ses crises un peu pour les mêmes raisons, mais je n’étais plus tremblant du gros souci maintenant passé.
Sa compagne nous a peu après rejoints. Connaissant mes crises qui m’avaient valu notre séparation ─ en effet, elle avait longtemps été ma conjointe et devenait progressivement la sienne ─, car j’ai longtemps refusé de prendre mon traitement régulièrement, elle était revenue rapidement avec le bon médicament et je m’en suis retrouvé complètement soulagé.
Oui, pardon, j’ai oublié de me présenter, je décris Pierrot comme si c’était moi, mais je vous dirai peut-être plus loin pourquoi tant de détails sur lui. Disons juste que ma vie n’était pas passionnante avant lui et que je vivais à travers lui et ses confidences.
Il lui est même arrivé de venir me demander secours, pour une fois de jour et, sentant que sa voix était trop troublée, quand il m’a demandé une de mes Gitane, je la lui ai accordée, comprenant bien que face à un tel dilemme, une telle pression, j’étais impuissant.
Pierrot, ce jour-là, pour la première fois de sa vie, avait dû porter la main sur quelqu’un, et ce quelqu’un, c’était son père, lui aussi une force de la nature. Cet homme l’avait fait travailler sept jours sur sept à la visite guidée du musée et aux spectacles assis, animation d’une trentaine de minutes, le bloquant tout l’été et ne lui accordant que quelques remplacements ponctuels pour les visites guidées.
À la mi-septembre, il était toujours sans congés mais obligé de recevoir les cars de touristes dans ce petit musée fait pour une douzaine de personnes.
Pierrot, s’il arrivait quelque chose, savait que cela lui porterait un gros préjudice : il était épuisé, le risque était qu’il « craque » sur une personne désobligeante dans ce petit musée où il avait reçu plusieurs années sous un toit de tôle, été comme hiver. Son père, d’ailleurs, l’avait fait mettre dans le journal et sur le net : « l’Amusant Musée ne prend pas de vacances ».
Ayant développé le nombre de ses visiteurs, son chiffre d’affaires augmentait, mais pas ses revenus, car le contrat public avec l’association « L’Amusant Musée » (Contrat Initiative Emploi, ou CIE) était de moins en moins aidé.
Une saison, un groupe de scouts s’était improvisé alors que les visiteurs, eux, étaient venus sur réservation. Il ne pouvait refuser les trente jeunes, enjoués de venir, ni renoncer à plus de marge pour sa visite. Tout s’était passé dans la bonne humeur, serrés comme des sardines dans la salle principale à une quarantaine ou plus (au lieu de trente à l’époque, douze, donc, plus tard), les jeunes debout pendant le spectacle.
Mais un autre jour, usé, et réussissant enfin à se passer d’anxiolytiques (l’anxiolytique du père étant la bière de l’après-midi) et ayant prévenu, Pierrot a décidé de ne pas recevoir un car et s’est enfermé chez lui, à côté du musée.
À la suite de cela, l’homme l’a encore provoqué ; de colère, Pierrot, à grands coups de pieds, a cassé des vitrines et est ressorti pour se ressourcer. Son père était sur les marches de l’entrée, ayant compris qu’après cela, il fallait maintenant empêcher le fils d’en rajouter. Pierrot, voyant l’homme, ce « gorille », faire barrage devant la porte, lui a foncé tête baissée dans le ventre, en plein estomac. Le patriarche, souffle coupé, s’est retrouvé sur le dos, passé les marches de l’entrée. Le fils, en chaussures robustes, se retrouvait à l’intérieur, un pied de chaque côté de la tête de son père. Il l’a épargné, car il aurait pu le défigurer. Deux minutes après, l’homme réattaquait en lui disant : « tu vois, il t’en restait, de l’énergie ! »
Je me souviens que Pierrot m’a dit que devant son père, il s’est effondré en larmes et que celui-ci, ancien haut fonctionnaire de l’époque, jamais poussé à bout, n’avait pas compris que cette révolte, c’était l’énergie du désespoir. C’est tout ce qu’il m’a dit sur cette séquence.
Fin septembre de ce mois-ci, il devait partir avec Armelle, une amie parisienne, faire de la marche une semaine en Alsace. En arrêt maladie, il a dû fondre en larmes devant la Caisse Primaire d’Assurance Maladie pour avoir l’autorisation d’enfin se dépayser.
À part me voir la nuit, il ne quittait pas le musée, souvent nourri par sa mère. Avec ses sept cents euros par mois, pour lesquels il se faisait lui-même le bulletin de paye, il avait longtemps payé deux cents euros de loyer à son père pour cette vieille maison énergivore du grand-père, petit homme très talentueux en art mais tout aussi autoritaire et directif.
Le trajet aller-retour en Alsace a été fatigant pour Pierrot. Il y a fait un peu de marche, mais pas de randonnée. L’amie a sans doute été légèrement déçue, mais a profité de ses vacances.
Un ou deux ans plus tard, alors qu’il résidait dans une maison de repos (FAM), il a aidé cette amie à quitter Paris pour Saint-Nazaire.
Ils ont rempli à deux, deux caves de grands sacs prêts à descendre cinq étages par l’escalier, rempli sa voiture pneus larges à craquer, l’amie sur le siège passager portant ce qu’elle pouvait sur ses genoux. Ils ont démarré à 16 h 55 derechef, pour éviter les bouchons à la porte d’Italie. Armelle lui a dit, je crois, à constater ce déménagement à deux, qu’elle n’aurait « jamais cru une telle prouesse physique possible ». Je pense qu’ils ont dû arriver autour de minuit, s’arrêtant seulement aux aires de repos. Souvent, Pierrot ne dormait que deux heures avant une lourde tâche, impatient d’être à l’œuvre et de l’avoir accomplie dans les formes.
Les amis chers pour Pierrot, il en prend soin, surtout quand il sait qu’ils sont dans le besoin. Dire qu’à cause de mon arrêt volontaire de mon traitement pour l’épilepsie, j’ai failli le perdre, mon ami Pierrot ! Peu fier de moi, pour lui et sa compagne, j’essaierai de retarder le sujet ; si je l’oubliais et l’occultais, n’en reparlons pas.
PIERROT : UN COLOSSE AUX PIEDS D’ARGILE
Pierrot, émotif colosse aux pieds d’argile, prend des médicaments qui le rendent moins sensible, moins imaginatif aussi.
Dernièrement, j’ai vu comment, s’attendant à voir une petite vidéo d’un enfant de dix ans jouant avec une chèvre, vidéos et petits clips d’enfants et d’animaux qu’il affectionne plus particulièrement, il est tombé sur l’étreinte de ce gamin avec sa chèvre.
Le son de larmes l’a fortement troublé, chèvre serrée par l’enfant de toute sa force par le cou dans ses bras qui semblaient faits pour elle, de toutes ses forces et de toute sa tendresse aussi.
De son esprit d’interprétation, du son de ces larmes déchirantes d’un gosse qui semble avoir perdu sa mère qui serait là, inanimée, dans ses bras, il devinait que cette chèvre qui se laissait faire, non inquiète, un peu surprise et passive, dans son silence couvert par ces pleurs si clairs et réels qu’on en était pétrifié à n’en pouvoir éteindre ce clip, cette chèvre était visiblement destinée à être abattue pour la viande.
« Mais bordel ! Ils ne pouvaient pas arrêter cette vidéo et rassurer l’enfant, lui promettre qu’elle mourrait de sa belle mort, c’est-à-dire de vieillesse ! Peuvent pas lui dire que pour quelques os décharnés, on lui laisserait sa chèvre, qu’il joue avec elle, qu’elle lui grimpe à nouveau sur le dos, qu’ils partagent longtemps amour et tendresse innocents ? Merde ! Pour quelques bouts de viande, peuvent pas manger plus de couscous-carottes et pois chiches sans cette pauvre bête dont le cœur est celui de l’enfant ? »
Il était trois heures du matin quand Pierrot prononçait ces mots pendant que je lisais un livre passionnant, mais le voyant défait, qui prenait alors le médicament qui, il le savait, l’abrutirait mais lui ferait tourner cette page de sa mémoire, mémoire de pleurs trop douloureux, lui très empathique, je « décrochais » de mon livre pour lui changer les idées. Quatre heures, nous nous couchions, lui dans le lit que je ne fréquentais plus et moi dans le canapé, comme à mon habitude, devant ma télé, en sourdine.
Le lendemain, il me préparait mon café pendant que je dormais, me réveillait sans trop parler de la mésaventure de la veille et nous déjeunions, un peu dans « le cirage » d’avoir veillé tard. Une fois « émergé », comme il disait, il reprit la route pour aller continuer l’archivage des jouets et curiosités que son père avait stockés dans des cartons, dans son grenier.
Il avait sept mille jouets dans des greniers (trois mille au musée même) qu’il avait entrepris de photographier et de numéroter. Parfois, chez lui, seulement pour cette tâche, m’avait-il confié, lui qui ne buvait normalement jamais d’alcool, se dopait, le soir, pour démarrer, se faisait un mélange café whisky qu’il appelait son « irish coffee ».
Dès que ce travail de prise de vues de photographie sur fond uni a été achevé, avant d’aller rejoindre Christiane et de s’installer avec elle dans son rez-de-chaussée de HLM, il a tout de suite interrompu cet irish coffee.
Parfois, il emportait son ordinateur chez moi au Mans, ou chez Christiane, où ils résident maintenant tous les deux : il retouchait les contrastes et couleurs de ses images tout en échangeant avec nous. Le résultat est visible sur un site, lui, peu visité, mais aussi fait pour être une considérable archive à la disposition de tous3.
Pierrot, dernièrement, concernant sa future retraite, pourtant n’ayant que la cinquantaine, mais n’ayant cotisé qu’une vingtaine d’années majoritairement sur des petits salaires, était inquiet pour l’avenir.
Pierrot est en fait arrivé chez son père dépressif, dans la maison mitoyenne au musée que le septuagénaire animait en passionné, l’homme l’ayant bidouillé à sa retraite avec les moyens du bord dans l’atelier de sculpture de son propre père, un sculpteur taille direct (technique que je décrirai plus loin) en art sacré.
Il a atterri là à la suite d’un CDI auquel il a dû renoncer, malgré, alors, un bon salaire, mais surtout de gros frais de déplacement.
Les déplacements étaient trop nombreux et trop longs : Le Mans-Charleroi le dimanche soir, Charleroi-La Louvière (Belgique) la semaine, et retour au Mans le vendredi soir, pour à nouveau quitter difficilement sa compagne dépressive en larmes le dimanche.
Tout cela l’a trop éprouvé, jusqu’à, durant une nouvelle prestation, ne pas pouvoir faire son travail chez PSA, incapable, trop tôt après une dépression, manquant de confiance en lui, de trouver l’allant pour demander de l’aide à ses collègues.
N’ayant pas fait son travail au bout d’un mois, il s’est laissé virer par son employeur, celui-ci prétendant ne pas avoir les épaules pour un arrêt maladie longue durée et Pierrot étant incapable de se battre seul, sachant qu’il aurait été accusé de faute professionnelle, la faute étant qu’il aurait dû renoncer à ce détachement à PSA, en pleine « mutation » de la Défense à Vélizy-Villacoublay, deux endroits dont l’aspect et la manière de travailler auront été très différents.
Son père a saisi l’aubaine. Le fils présent connaissait le mieux sa collection de jouets et pourrait la faire fructifier. Il l’a ménagé, au début, le sachant dépressif et lui trouvant un contrat aidé de deux ans, pouvant, d’une pierre deux coups, le rétribuer et lui prendre un loyer. Mais Pierrot, toujours sous antidépresseurs et voyant non pas qu’il ne pourrait se faire un salaire digne mais tout simplement qu’il toucherait un très petit revenu, investissait tout (prime pour l’emploi incluse), se considérant comme à son compte et non pas comme salarié d’une association, dont lui était le plus jeune et l’homme à tout faire.
En tant qu’ami et sans emploi, je suis entré à l’association, pouvant l’aider à aménager le musée pour l’accueil des adultes handicapés.
Mais Pierrot se désocialisait progressivement, tous ses vieux amis s’étant éloignés de lui et lui vivant plutôt la nuit, quand il venait me voir, prenant la route après une douche du soir et un café pour se dynamiser. Je n’ai pas mon permis et du fait de mon handicap, il devait venir me chercher et me ramener après m’avoir reçu. Il m’a dit un jour qu’entre les trajets pour les spectacles et ceux pour me voir, il avait bien usé une voiture. J’ai compris plus tard qu’il en avait usé deux.
Déjà, quand il était à en Belgique, voyant que sa voiture moyen gabarit l’épuisait plus que lui ne l’usait et lui coûtait cher en essence, il est passé au gas-oil avec une turbo diesel sept places qu’il n’avait pas payée cher là-bas. Elle n’était pas large mais longue et roulait bien et vite. Rentré en France, au musée, elle vieillissait cependant ou risquait de coûter cher à l’entretien, avec son turbo, et ne rentrait pas dans le garage. Il l’a revendue sans trop de perte dans la région mancelle, après expertise, pour l’estimer, par un spécialiste, et a pris une petite voiture française d’occasion à un revendeur spécialisé ; il a d’ailleurs fait marcher la garantie avant la date fatidique pour un cardan qui craquait.
Une petite anecdote qu’il m’a racontée, « prouvant l’effet euphorisant de l’antidépresseur au début » : il a échangé contre le passeport d’un jeune Maghrébin le véhicule français moyen gabarit, trouvant dommage que celui-ci ne serve pas et ne trouvant pas le temps de le vendre. Il l’a prêté à Lille, l’a récupéré à Tours après quelques mois et quelques menaces envers la mère du jeune homme au téléphone. Pour une fois, je dois dire que Pierrot a eu de la chance… de n’avoir eu qu’à nettoyer le siège arrière au shampooing moquette… Passons…
La voiture française, plus petite, après l’avoir conservée quelque temps dans son garage, il l’a revendue dans son village en saison plus creuse, car son père était intéressé par le confort d’une seize-soupapes anglaise d’une tante, confort et sécurité qu’ils n’avaient pas regrettés, surtout sur les longs trajets des spectacles. Moi aussi, cette voiture sièges cuir, je l’ai appréciée, lui, bon chauffeur, roulant avec souplesse.
Cette seize-soupapes était une belle voiture, même si c’était aussi une occasion, et surtout une belle âme, car elle n’a fait faux bond à Pierrot qu’après leur tout dernier spectacle, et en plus au dernier coin de la rue du Bataclan, où ils allaient fêter cela. Cela leur a valu un retour à l’hôtel en taxi et un voyage en première classe en train à Sablé-sur-Sarthe offert par son assurance, qui n’avait jamais rien eu à débourser pour Pierrot en vingtcinq ans de (bonne) conduite.
Voilà quelques aventures de Pierrot qu’il m’a décrites. Il y en a bien d’autres marquantes. Quoi qu’il en soit, si sa retraite avait pu être au kilométrage parcouru, il aurait été moins inquiet.
LES POINTS MANQUANTS DE LA RETRAITE DE PIERROT
Si ses bonnes œuvres étaient comptées en points retraite, il en mériterait trois ou quatre beaux :
Déjà, à Charleroi, il a réussi à héberger un SDF deux semaines, alors qu’il sous-louait, SDF qui, en douce, pendant que Pierrot dormait, prenait sa dose d’acide pour s’endormir. Épuisé, la deuxième ou troisième semaine, il lui a laissé quelques billets de francs belges pour qu’il se trouve un gîte.
Pierrot avait été marqué par la phrase du jeune homme avant qu’il l’héberge, parlant la larme à l’œil, lui disant qu’il se sentait comme le Christ crucifié. Même si le Christ (avec une majuscule) est du domaine de la croyance, la crucifixion, elle, a existé et Pierrot, travaillé par cette image, avait jugé bon un répit pour cet homme que le premier venu lui devait.
Quelques années après, alors qu’il logeait chez son père, sa mère lui a demandé d’héberger Miguel quelques jours, un jeune délinquant en recherche de travail.
Miguel, prévu pour l’hiver, travaillant la nuit au ramassage de volailles, est resté jusqu’à l’été, où il est allé camper dans la caravane du père de Pierrot, dans un bois où il a laissé quelques bouteilles et cannettes vides. Ce sont les parents de Pierrot, plus disponibles, qui ont fait le « nettoyage », après que le père en a eu « marre des abus de Miguel ».
Le jeune homme était un fieffé menteur, il avait même planté des graines de pavot dans le jardin de Pierrot, avec son acolyte, Marc, qui l’avait rejoint chez mon ami, comme si un gîte et un lit ne leur suffisaient pas.
Marc, qui fonctionnait au Valium, soi-disant pour son cœur, et Miguel avaient rapporté « d’une ferme », sans doute voisine du bois où était la caravane, deux machines à couper l’herbe qu’on leur aurait données. Pierrot se doutait qu’une, c’était un beau geste, mais deux, c’était surprenant. En effet, une quinzaine de jours plus tard, deux gendarmes venaient demander à Pierrot de récupérer des objets de jardinage derrière chez lui. Il leur a dit de voir par eux-mêmes et quand ils ont rapporté les deux outils, Pierrot n’a pu que constater que ces objets ne lui appartenaient pas.
Le « Bouquet »
Ce qui a le plus fait de tort à Pierrot a été qu’ils volent trois cents euros dans l’argent du musée.
Pierrot a longtemps cru à une erreur de comptabilité, mais quand il a appris par sa mère que son père croyait qu’il volait dans la caisse et qu’il voulait le mettre dehors, lui, son fils, qui travaillait jour et nuit sur le site internet du patriarche (à en avoir attrapé une phlébite aux jambes), la coupe a été pleine. Il n’a pas dénoncé Miguel, mais décidé de quitter le musée, de ne plus s’intéresser qu’au virtuel de cet emploi, reprenant des droits anciens au chômage en « fin de ce contrat CIE ». Déjà, le musée ne lui apportait plus de salaire, mais des frais de déplacement, comme président d’association et chauffeur des spectacles itinérants.
Quelque temps plus tard, sa sœur s’imposait à lui pour qu’il arrête ces activités : il choisit de quitter cette maison sombre et humide pour un Foyer d’accueil médicalisé tout confort (FAM), même s’il y régnait aussi une promiscuité et, plutôt que de revenir pour encore subir l’omniprésence du père, qui le lui avait demandé, toujours sans bail. Il s’est inscrit comme autoentrepreneur en vente de petits jouets, activité qu’il continuera chez Christiane. « Chez Christiane », par un avenant au bail, deviendra leur chez-eux.
Plus tard, le mot est passé comme quoi Miguel « serait décédé ». Encore plus tard, l’annonce est faite, de la réalité plutôt : que grâce à l’arrivée d’un enfant, il s’est assagi et a maintenant une vie rangée.
UNE MALCHANCE DURANT SON SEUL CDI
Pierrot, à La Louvière, se sentait bien au milieu du personnel de tous âges et de tous horizons, simples et conviviaux, contrairement au jeune personnel prétentieux chez un fournisseur du secteur automobile, à La Suze-sur-Sarthe, au sein du bureau d’études, qui abusait de sa gentillesse, supérieurs comme collègues, très individualistes, médisants quand il s’agissait de communiquer pour masquer leurs failles ou incompétences.
L’expérience de deux mois, dans cette même entreprise, mais à Nevers, avait été, elle, plus concluante, hors saison du musée, car Pierrot, avant de s’investir complètement pour son père, voulait essayer une nouvelle tentative dans la CAO (conception assistée sur ordinateur).
Le personnel avait été plus accueillant envers un jeune. Je me rappelle cependant qu’il m’avait décrit l’esprit moqueur envers un prestataire quinquagénaire qui, le malheureux, s’était endormi au volant sur l’autoroute, s’en était sorti indemne, mais sans voiture : il était raillé, d’après Pierrot, parce qu’il était encore prestataire, et donc livré à lui-même, un peu comme lui à La Suze. Mais ces jeunes n’avaient pas conscience qu’une carrière était rarement toute tracée, même sans problème d’orientation, problème qu’avait eu Pierrot, normalement thermicien de formation et non dessinateur étude II, qu’il a en partie compensé par une année de FONGECIF.
Bref, Pierrot avait démissionné de ce CDD malsain à La Suze-sur-Sarthe, où il avait commencé les antidépresseurs lors d’arrêts maladie, pour trouver dans les dix jours suivants, après quelques tests de DAO (dessin assisté sur ordinateur) sur le logiciel Catia, son CDI qui, pour sa première mission, l’avait envoyé à La Louvière, en Belgique, pas loin de Maubeuge, en France. Il devait par la suite être détaché à Bruges, jolie ville : la carotte.
Formé sur place dès le début de l’emploi, avec ses jeunes collègues français prestataires, avec qui l’entente était la meilleure, à un logiciel de base de données de CAO qu’il m’a cité mais dont j’ai oublié le nom (en tout cas un sigle) pour gérer les pièces du train en cours de conception, les assembler, ils avaient tous apprécié cette formation et le travail était agréable.
Jusqu’au jour où il a serré malencontreusement la main de son supérieur (et client) en Belgique sans faire exprès avec le signe de reconnaissance des francs-maçons qu’un ami de Maubeuge lui avait montré, fier de faire partie d’un groupuscule puissant (la Grande loge). Cet ami, avec qui il avait été colocataire pendant trois ans à Saint-Ouen (département 93, ou 9-3 comme on dit là-bas), il l’avait connu du temps où ils travaillaient dans la photographie en région parisienne. Tout se serait bien passé si ce supérieur ne s’était pas « pointé » à l’heure de la débauche pour lui demander un dessin rapide que l’homme aurait pu faire lui-même pour son propre supérieur. Le franc-maçon voulait sans doute échanger, mais Pierrot, n’ayant pas fait la poignée de main exprès, avait d’autres choses en tête et n’avait pas saisi.
Pierrot devait accueillir le SDF, qui n’avait pas la clé de ce qui était déjà une sous-location, à Charleroi, et quand le supérieur lui a demandé s’il voulait mettre au propre le petit dessin qu’il a mis un quart d’heure à lui dessiner à main levée, il lui a répondu : « je ne sais pas si je veux le faire, mais je vais le faire ». Le franc-maçon n’ayant sans doute pas apprécié, peu de temps après, Pierrot se retrouvait dans un coin de la salle, sur un vieux coucou qu’il n’avait jusque-là pas vu fonctionner. En effet, ce vieil ordinateur capricieux fonctionnait quand il le voulait, dessinant bien, mais était visiblement incapable d’être stable avec la base de données, ce que personne ne disait, mais qu’il a compris une quinzaine d’années après.
Le travail devenait épuisant nerveusement sur cette machine, le SDF faisait toujours acte de présence, les trajets de deux fois cinq cents kilomètres au Mans étaient sans solution, retenu affectivement par son exconjointe les week-ends, avec qui il avait trop longtemps fait le bouchetrou. De plus, cuisiner dans sa sous-location devenait difficile pour Pierrot.
Pierrot passa finalement une nuit à l’hôpital de son propre chef, reprit le lendemain à l’heure, alors qu’il était de l’après-midi, sa « chance », en deux-huit (une semaine du matin, l’autre du soir), mais cette fois, avec le double de médicaments. Ainsi médicamenté, il avait des absences que lui ne remarquait pas.
Un week-end, en larmes, il appela son supérieur à Paris (plus exactement Courbevoie) pour s’excuser et lui dire qu’il prenait un arrêt maladie. Il avait craqué, ne s’en remettrait jamais, réellement drogué, cette fois-ci, à vie.
L’employeur, après l’arrêt maladie, le mit en formation avec un collègue une semaine à Courbevoie. Sa confiance en lui était perdue. Il en aurait vraiment eu conscience, il aurait su dire non pour le travail à la Défense et Vélizy, mais il connaissait mal cette maladie que, sans le réaliser, il traitait depuis un genre de burnout à dix-huit ans, s’imaginant qu’il redeviendrait vite comme trois mois plus tôt.
Il logera quelques semaines en sous-location chez Armelle, dans le XIIIe arrondissement, traversera matin et soir Paris, d’ouest en est le matin, levé très tôt, mais ne pouvant éviter les bouchons, surtout au retour, rentrant dans le XIIIe manger une soupe asiatique et se coucher, échangeant très peu avec son amie, lui étant encore malade. Il tentera, ultime recours, de loger à l’hôtel à la Défense pour sauver son emploi.
Toute sa paie passera dans ce deux-étoiles pour éviter de traverser Paris. Son père lui en voudra longtemps de lui avoir emprunté et non rendu 5 000 FF (nous sommes un an avant l’euro), mais il comprendra très tardivement qu’ils ont fait ce qu’il fallait, c’est-à-dire tenter de préserver un CDI bien rémunéré, et lui fera cadeau de cette dette. Pierrot, il faut le savoir, aura cependant, plus tard, investi toute sa prime de reprise d’emploi dans ce travail au musée (aussi 5 000 FF).
Pierrot devait compenser les effets secondaires du traitement par un anxiolytique : cinq ou six ans après, il arrivait difficilement, enfin, à se passer de ce que le médecin spécialiste appelait un correcteur, pour nerveusement craquer sur son père (sa conjointe, une jeune Vietnamienne trop immature malgré ses nombreuses qualités, prenant le parti du vieux monsieur, celui-ci mettant toujours les gens dans sa poche, chose d’autant plus facile que ce père avait une bonne retraite et un trésor de femme au foyer).
Pierrot a quitté le musée en 2008, musée qui a fermé en 2014 et a été vendu aux enchères sur demande de sa sœur. Pierrot était lui-même d’accord, même si l’écoulement des jouets référencés dans une nomenclature d’images aurait pu lui faire un complément de revenu.
Pierrot était devenu insomniaque de par les mauvaises habitudes conservées des deux-huit, puis au musée, puis dans la vente sur le net,