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Chacun a son rêve avec son lot d'ambitions et d'échecs. Celui de la femme diffère parfois de celui de l'homme.
Quelle direction prendre ?
Das E-Book Le rêve africain wird angeboten von BoD - Books on Demand und wurde mit folgenden Begriffen kategorisiert:
polar,Policier,roman noir,enquête policière,Afrique
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Veröffentlichungsjahr: 2025
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À vous lecteurs et lectrices, je dédie ce livre .
Toute ressemblance avec des personnes, des noms propres, des lieux privés, des noms de firme ou d’établissements, des situations existantes ou ayant existé, ne saurait être que le fruit du hasard.
Les deux langues parlées au Kenya sont le plus souvent l’anglais et le swahili, mais j’ai utilisé le français avec des introductions de mots africains dont glossaire ci-dessous, swahili-français.
Bei nafuu c’est très bon marché
Gari voiture
Ghali Sana c’est trop cher
Jambo bonjour, bonsoir
Kahawa café
Kulia droite
Kwaheri au revoir
Ndiyo oui
Nina aboya j’ai un garçon
Ninaitwa manu je m’appelle
Nina kiu j’ai soif
Nina njaa j’ai faim
Ninataka kahawa je voudrais un café
Nipateni ! à l’aide !
Pesa argent
Pole pardon
Polisi police
Samahani excusez-moi, svp
Sina saana je ne me sens pas très bien
Février 2024. Aéroport de Kisuma, Kenya.
Vendredi 6 heures.
Il avait lu tant de fois les feuilles qu’il les connaissait par coeur, alors il avait jugé inutile de les ranger dans la valise. Il connaissait la violence des mots envers le destin impitoyable de l’aïeul. Il avait ressenti sa peur, sa crainte, et sa colère à travers les paroles étouffées, d’abord orales, puis libérées, écrites par une personne plus instruite que ne l’était l’ancêtre livrant son témoignage à sa descendance. Il ne voulait pas prendre le risque que son bagage fut égaré avec les précieux feuillets, cela l’aurait empli de désespoir ; ils attendraient, là-bas, chez lui, dans le tiroir détraqué de la commode entre deux tee-shirts.
Le haut-parleur annonça l’embarquement de son vol. Simba se leva, les pensées tournées vers un passé si présent.
« 1 830.
Le rayon lunaire franchissait le seuil de la porte entrouverte. Elle ajoutait une teinte blafarde à celle de l’huile dans la lampe.
Les bras s’élevèrent lentement vers le plafond. Dans la main droite, un couteau, dans la gauche, une coupe. La lame au tranchant aiguisé sectionna d’un geste assuré le cou. La tête roula sur le côté. Le récipient recueillit le sang.
La puissance de l’acier avait ôté la vie en une fraction de seconde.
La lame s’attaqua ensuite à fendre la chair abdominale. Les doigts s’enfoncèrent et pratiquèrent une éviscération rapide. Les entrailles étalées sur la modeste planche de bois exhalaient leur odeur de mort.
L’homme se pencha, les renifla, les écarta avec l’ongle de son index droit. La lecture était confuse. Il s’empara du récipient, avala une gorgée de sang tiède ; il devait comprendre. Goût de fer dans la bouche plus prononcée que d’habitude, avec une sensation d’âpreté qui le fit frissonner. Il ne s’était jamais trompé.
Les esprits envoyaient des signes depuis l’au-delà.
Le mal arrivait.
Le coq n’était pas mort pour rien.
Le sage avait toujours proclamé qu’au commencement, il n’y avait ni maître, ni personne soumise. L’harmonie régnait entre les hommes. Il n’y avait pas de cannibalisme pour s’approprier la force du vaincu.
Puis la convoitise avait changé l’individu.
Le règne du fort écrasant le faible était tombé sur nous comme la foudre sur la terre un jour d’orage.
La soumission s’appelait désormais esclavage ; elle était contraire aux lois naturelles enseignées depuis la nuit des temps, égarant le possesseur dans un profit dont la fin devenait inatteignable.
Le cannibalisme avait pris la forme d’une vente d’êtres humains sur un marché, exhibant la musculature de ce nouveau bétail comme une valorisation de la force du vainqueur.
Depuis qu’ils m’avaient jeté à fond de cale, enchaîné avec mes frères noirs, j’avais perdu mon identité. J’étais mon ectoplasme, j’étais transparent, j’étais vaporeux.
Ma parole n’avait plus aucune valeur.
Ma pensée était bafouée.
Le souffle du vent pouvait m’effacer de la surface de la terre, cela n’aurait rien changé. Le soleil continuerait à se lever chaque matin, brillerait jusqu’au soir, et se coucherait chaque fois que la lune lui volerait sa place.
Je n’existais plus malgré mes revendications qui s’étaient poursuivies en supplications. Elles étaient mortes dans un silence pesant que, seul, le bruit des vagues contre la coque était arrivé à rompre. Je n’étais même plus l’ombre de moi-même, car l’ombre était la trace de l’homme et de trace, il ne devait y avoir.
La couleur de la peau était aussi noire que l’ébène, le corps aussi dur que ce bois a enduré les charges, prisonnier des chaînes attaquées par le sel des larmes.
La pensée réactionnaire échauffait le cerveau et s’étouffait sous la verge.
Le témoignage avait autant de prix qu’une bouteille jetée à la mer : VIDE.
L’homme noir était né libre et finissait privé de liberté sans avenir autre que celui d’espérer la délivrance ou la mort.
J’essayais de ne plus penser, de ne plus imaginer, sans y parvenir.
Qu’étais-je parmi ces hommes et ces femmes que je n’avais jamais vus ? aux origines inconnues ? si différent d’eux et pourtant si proche ?
Je croyais avoir atteint la terre promise, le regard tourné vers des cieux cléments, et j’étais tombé dans le gouffre de l’absurde à croire la vraisemblance.
L’existence du moi s’était dissoute dans le rien. Je n’étais qu’une coquille vide, conscient de ma condition.
Le désespoir avait remplacé peu à peu l’angoisse première.
La pensée mortifère était devenue mon salut et je m’y complaisais.
Singulier équivalait à utopie.
Nous n’étions pas des frères d’armes, nous étions des frères de chaînes dès que le soleil amorçait sa lente descente vers le crépuscule.
Le fouet ne claquait plus. Il était inutile de le manier à cette heure du jour puisque le métal avait remplacé la corde de cuir tressé et que celui-ci nous reliait les uns aux autres, maillons d’une chaîne vivante marchant vers les baraquements, nous obligeant à avancer en file indienne. Les cercles d’acier entourant nos cous ressemblaient à des colliers rouillés portés par les chiens que nous étions à présent.
Que l’un de nous trébuchât, la cohorte s’ébranlait ; que l’un de nous fléchît, elle s’écroulait et rampait sur le sol telle un maladroit serpent. Alors chacun exhortait au courage de peur d’être traîné ou piétiné par celui qui marchait derrière avec un automatisme répugnant. Si un homme tombait, il était aussitôt relevé par des bras meurtris, soutenu par des frères moins harassés que lui afin qu’il survécût pour affronter le lendemain.
Quelle fierté y avait-il à être un survivant ? un moribond progressant vers son calvaire ? Chaque soir, je m’interrogeais et, au matin, je n’avais toujours pas trouvé la réponse. Alors, je pleurais, et me levais.
Une guerre perdue d’avance.
Les doigts se rétractaient sans que je ne les commande. Ils obéissaient malgré la douleur, malgré les coupures à ramasser les boules blanches et à les entasser dans le sac de toile.
Douleur des bras à force de porter.
Douleur du dos à force d’être courbé.
Douleur des jambes à force de les plier.
Picotements descendant des épaules jusqu’aux mains.
Élancements glissant le long de la colonne vertébrale sur le trajet des nerfs endommagés, tant sollicités que je craignais la paralysie à chaque instant. Je craignais l’inutilité.
J’étais une machine vivante aux gestes mécaniques qui traînait ses os, un pas après l’autre, sur une terre à l’horizon bouché.
J’exécutais les ordres.
Je ne réfléchissais pas.
Ma vie ne m’appartenait plus. Elle avait disparu dans un brouillard de phrases criées. Je n’écoutais plus, je n’entendais plus, ma présence était tournée vers le passé.
J’étais mort et, pourtant, j’étais là, à respirer encore, peinant à me tenir debout.
Le fouet avait, une nouvelle fois, claqué dans les airs. La main n’avait pas tremblé ; dureté du regard sur le dos de l’homme puni, un vieillard de 50 ans passés qui n’avait plus la force d’accomplir ce que le maître demandait, mais n’exécutait pas lui-même.
La sanction, c’était l’autre qui la donnait, un rictus sur la figure, méprisant ce que nous étions, nous rabaissant au rang d’animaux dociles à encaisser les coups.
Lorsque je le voyais agir de la sorte, j’avais envie de me révolter, de tenir fermement la sagaie d’autrefois, de la lui enfoncer dans le ventre, de le regarder s’étonner de mon audace. Je l’imaginais s’affaissant, les yeux vitreux, la vie s’échappant de son corps, mais je n’étais pas lui, je n’étais pas une bête sanguinaire. Personne ne m’avait appris à tuer pour le plaisir. Chez moi, personne ne chassait l’homme, ni le traquait avant qu’ils ne vinssent.
Lequel, du maître ou de lui, aurait mérité le châtiment de la vengeance ? À mes yeux, ils étaient égaux dans la sentence.
J’avalais ma rancoeur.
Je patientais.
Je savais qu’un matin l’homme blanc nous chasserait après avoir épuisé les ressources de sa plantation et celles de notre endurance, nous abandonnant à notre sort, et j’espérais chaque soir ce jour béni ayant un goût de liberté retrouvée. Plutôt mourir de faim libre que sous un joug. Esclave qu’on ne jetterait plus dans un trou à sa mort, mais qui aurait une sépulture digne afin que personne ne l’oubliât. Comme autrefois, sur le sol de mes ancêtres.
Le chien dévorait les restes de la dépouille, babines retroussées à qui aurait osé s’approcher. Auparavant, il s’en était fallu de peu qu’il ne mordît la main tendue posant au sol l’écuelle remplie de sang qu’il avait aussitôt lapé goulûment.
Festin de roi accordé par son maître après la chasse ; ce maître préférant nourrir l’animal domestique plutôt que celui qui trébuchait, affamé, sous le labeur ordonné par ce dernier.
INDIFFÉRENCE.
La bête au-dessus de la bête, telle était notre condition en ce sinistre lieu.
Obnubilée par la concupiscence depuis des mois, la tentation avait orienté le maître vers une action mauvaise.
La clairvoyance avait été ce discernement par lequel j’avais entrevu l’âme de celui-ci.
J’avais espéré un retournement, qu’il eût retrouvé la vue et eût distingué, à travers l’opacité de ses actes, la réalité, lumières de la vérité, assassin de notre liberté.
Le négrier était un appel aux crimes, le maître, un vil complice.
L’esclave était le produit de l’enfer sur terre.
La propriété de soi-même avait, à tout jamais, disparu.
Je savais que le blanc se reposait à cause de la chaleur. Il était à l’image de l’enfant ou du vieillard ; il suspendait le temps dans les bras de Morphée.
La sieste.
Je savais qu’il était assoupi sous un arbre ou dans le fauteuil du salon pendant que Mary l’éventait. Jamais il ne dérogeait à ce repos du début de l’après-midi. Il confiait à son entourage que cela lui permettait de récupérer et que les bienfaits seraient ressentis à son réveil. Grâce à cette pratique, il débordait d’énergie et d’efficacité pour aller jusqu’au soir.
Pendant qu’il dormait, moi, je m’échinais sur la plantation, efficace sans m’arrêter une seule seconde. La sueur ruisselait sur mon corps avec l’envie de boire qui ne se calmerait que tardivement, à la case nommée pompeusement « habitation », rondins de bois empilés avec un toit en tôle, froid l’hiver, étouffant l’été, si je ne mourais pas avant sous les coups du fouet.
Pas d’interruption pour l’homme noir.
L’homme blanc, éprouvait-il des sentiments pareils aux miens ?
Lorsque je l’entendais aboyer ses ordres sur nous et le voyais changer d’attitude avec la femme blanche qu’il courtisait, devenant mielleux dans l’unique but de la conduire à sa couche, je doutais de sa sincérité.
Un sage m’avait raconté que, dans les temps anciens, une « toubab » s’était amourachée d’un noir et avait voulu s’enfuir avec lui. Les blancs s’étaient élancés à leur poursuite, les avaient rattrapés sans mal, et, au lieu de maudire la blanche pour sa conduite irraisonnée, ils avaient pendu le noir à l’arbre sacré de la tribu, sacrilège à la hauteur de la punition infligée à cet homme qui avait cru à la puissance de l’amour. Charme de l’exotisme ensorceleur tourneboulant les esprits. Il avait été enterré sous les couches de mépris des blancs et l’amour des siens.
La raison avait divisé les êtres. Elle les avait exhortés à construire des murs infranchissables.
Je débordais d’amour pour celle qui accompagnait mes jours et partageais mes nuits, mais avions-nous raison d’engendrer l’enfant que le maître blanc finirait par nous voler plus tard ?
Serpent qui se mordait la queue, l’Amour n’était-il pas notre pire ennemi ?
Un matin, un homme était venu pour notre salut. Face à notre infortune, l’homme blanc habillé d’une tenue sombre nous avait demandé de renier nos esprits, les âmes de nos ancêtres, toutes ces entités en lesquelles nous avions cru depuis notre naissance. Mais elles étaient une partie de nous. Nous ne pouvions envisager de ne plus les vénérer lorsque la nuit aurait étendu son voile noir, celui qui effrayait tant l’étranger venu d’un pays que nous ne connaissions pas.
L’homme blanc s’était affairé à bâtir une maison qu’il avait baptisée « temple » non loin du village. Devant son incapacité à aboutir, il avait sollicité notre aide. Notre chef la lui avait accordée, car l’hospitalité nous avait été enseignée par nos pères, et les pères de nos pères. Nous avions offert nos bras pour abattre les arbres et nos corps pour construire. Lorsque tout avait été terminé, il nous avait invités à venir écouter la parole de son dieu. Nous étions venus, nous avions entendu et nous étions partis sans avoir compris de quoi il avait parlé et de qui.
Le mal et le bien étaient pour cet homme blanc vêtu de noir un dilemme. Avoir des enfants avec une autre femme que la sienne était punissable, clamait-il, mais il ignorait qu’ici peu d’enfants atteignaient l’âge d’être considéré comme un homme pour un garçon ou de pouvoir enfanter pour une fille. Nombreux, étaient-ils ; six à huit par famille ; nos esprits le comprenaient et nous les honorions en retour.
Esprit des arbres et des rochers, esprit des rivières et des cascades, Mogaï, Dieu suprême demeurant dans l’arbre sacré qui recevait nos sacrifices en remerciement pour sa clémence.
Malgré notre manque d’assiduité à écouter la parole divine, il était resté parmi nous. Il avait pris femme blanche selon ses rites ; bientôt, elle serait mère.
D’autres blancs étaient venus. Ils nous avaient réclamé des terres à cultiver et nous leur avions offert une partie des nôtres. La terre, n’appartenait-elle pas à celui qui la foulait ?
Plus tard, d’autres les avaient rejoints. Des gens mauvais, toujours plus nombreux à nous chasser du sol de nos ancêtres avec leurs armes de feu contre lesquelles nous n’avions pu lutter avec nos sagaies. Ils avaient pillé les richesses de notre sol et avaient volé nos arpents cultivables, mais cela ne leur avait pas suffi. J’ai gardé en mémoire la peur engendrée et le soulèvement de mes frères noirs des tribus voisines contre nous, ces frères capturant nos valeureux guerriers pour les leur vendre afin qu’ils les épargnassent, eux et leur village. Où se situait le mal dont parlait l’homme du temple ? ce manichéisme qu’il évoquait avec ses semblables au noir dessein, là où je n’étais plus ? La tristesse effaçait la jovialité de naguère sur mon visage et sur celui de mes frères et soeurs que j’entendais gémir autour de moi.
« N’oubliez pas ! » tel était le cri en chacun de nous.
Les tourments induisaient l’Homme à se révolter. Sa colère n’avait point de limite. Il maudissait ce Dieu aux mille visages qu’il avait tant prié dans sa détresse, ce Dieu sourd aux lamentations, aveugle au sang versé, muet aux réponses attendues. L’incompréhension s’enfonçait dans le coeur et finissait par ronger la sagesse acquise.
L’Homme s’éloignait de la fange avec la conviction d’avoir été souillé à son insu, bercé d’illusions.
L’inexistence de ces divinités l’ayant nourri depuis des millénaires était devenue une évidence. Le manichéisme avait volé en éclats, ne restait qu’une mue piétinée par la certitude du Rien.
La conscience avait révélé l’absurdité des antiennes. Elle marchait sur la voie de l’athéisme.
Livré à lui-même, l’Homme cherchait dans les profondeurs de son moi la force pour continuer à vivre.
Obscurité de la réalité ou savoir à la lumière du jour ?
Je réfrénais ma colère en les écoutant, eux qui nous exploitaient, jalousant les blancs qui nous avaient pillé nos richesses, là-bas, si loin de leurs plantations qu’ils les auraient volontiers échangées contre des mines d’or creusées avec les bras de ces noirs catalogués « sauvages et incultes ». Nous autres, êtres primitifs esclaves de la bêtise humaine.
Les blancs jalousaient d’autres blancs, ceux qui avaient saisi l’opportunité de rentrer chez eux la fortune faîte, les poches remplies de pièces, bouffis d’orgueil et de pouvoirs, des puissants piétinant nos cadavres aussi noirs que leurs âmes.
Puissance malsaine.
Ce blanc aveugle et sourd vénérait les conquérants d’un autre monde, obscurcissant la colonisation et le commerce triangulaire dont il tirait profit sans avoir quitté son pays d’origine, soulevant dans les coeurs l’espoir que, demain, il serait un des leurs. UN PUISSANT. L’ignorance demeurait tapie dans l’ombre des cavernes, soumise à la brutalité privant le noir de ses droits. La liberté ressemblait désormais à une pierre tombale toute de guingois dans un cimetière voué au profit du blanc. Ici ou là-bas, le même constat : du malheur partout. La mort régnait en maître pour celui ou celle qui s’opposait.
Un sage, prénommé Machiavel, avait dit : « Il arrive que les mots doivent servir à déguiser les faits, mais cela doit se faire de telle façon que personne ne s’en aperçoive ; ou, si cela venait à être remarqué, il faut avoir toutes prêtes des excuses que l’on peut sortir sur-le-champ. »
Ici ou là-bas, pléthore d’excuses, il y avait.
Il y avait moi et puis, il y avait les autres. Ceux qui m’insupportaient. La suffisance suintait par leurs pores, leur peau humide prête à déverser sur nous un flot d’injures.
Nulle controverse acceptée.
Aucune argumentation ne pouvait ébranler cette fate engeance quelle que fût l’heure de la journée. Elle avait l’art d’avoir toujours raison. Un art que ce groupe d’individus s’entraînait à améliorer en se réunissant quotidiennement, et je les entendais malgré moi. Leur réunion était mon vice, la quête de ma journée. J’emmagasinais les mots tel un trésor amassé qui se répandrait plus tard sous une forme honteuse.
De jour en jour, de semaines en semaines, de mois en mois.
J’oyais leurs diatribes et je guettais inlassablement le moment opportun qui mettrait fin au supplice.
« Partir et ne plus revenir.
Partir, pour oublier
ce que vous m’avez fait,
Toi, l’adulte conscient
à la vue d’un enfant.
Voleur d’innocence,
épine des ténèbres.
Chemin sanguinolent,
Quand bifurqueras-tu
vers la lumière ?
Empreintes dans la terre
effacées à jamais. »
Un voeu formulé dans mon coeur.
Un murmure qui répondait au chagrin.
« Accepter, envers et contre tout, et contempler les cieux.
Tourner la tête vers l’horizon bouché et souffler la bourrasque pour balayer le présent, dégager le futur.
Offrir à la descendance un avenir.
Chair de ma chair, osez ce que je n’ai pas osé dire, ni faire.
Chair de ma chair, que l’espoir rayonne dans vos coeurs, le mien est asséché à verser trop de larmes.
Chair de ma chair, apprenez à dire NON. »
Telle était ma prière avant de m’endormir.
Les blancs conversaient au crépuscule. Ils ne se cachaient pas pour médire ; pourquoi l’auraient-ils fait ? nous étions insignifiants à leurs yeux.
Ils vantaient la naturalisation de l’esclavage qui s’imposait à l’homme par l’intermédiaire de Dieu. Cité dans la Bible, il était inutile de résister. Mieux valait être l’esclave du vainqueur que d’être tué vaincu.
« Ainsi parlaient les anciens, l’esclave était un prisonnier de guerre sur tous les continents à toutes les époques. » répétaient-ils à l’envi.
« Servi quasi servati ». J’ignorais le sens de ces mots. Maintenant, je connaissais leur signification : droit de vie ou de mort, le pouce de Caius Julius Caesar en dehors du Colisée. Être un serviteur pour avoir la vie sauve.
Les blancs oubliaient de préciser que la guerre était rare entre les tribus, mais le savaient-ils ou feignaient-ils l’oubli ? Cette dernière survenait quand le gibier se raréfiait, lorsque le ruisseau se tarissait, que les cultures poussaient mal ou quand la récolte abondante était détruite par une nuée de criquets. Alors, et seulement dans ces cas-là, nous combattions nos voisins pour survivre.
Et les blancs continuaient à deviser sur le même ton. Ils criaient à l’ignorance de notre capture. L’irruption dans nos villages qui aboutissait toujours à l’enlèvement d’un grand nombre de mes frères noirs leur était inconnue, du moins, c’était ce qu’ils racontaient, un mensonge accepté par tous. Heureux ceux qui étaient partis chasser plusieurs jours. Heureux le vieillard, heureux le malade, ils étaient épargnés.
Entre nous, nous évoquions seulement la brièveté de la liberté et les moyens pour la récupérer.
Les noirs gardaient espoir, car le désespoir était leur pire ennemi.
L’espoir leur permettait d’avancer, les pieds dans le désarroi. Il leur permettait de se lever quand ils avaient envie de trépasser, et de crier au lieu de se taire, la gorge nouée par les sanglots.
Une soif de justice abreuvait les âmes et les esprits torturés.
La patience accompagnait les jours de souffrance et les nuits sans rêve.
Demain, le vent soufflerait la promesse d’être délivrés de nos chaînes.
Demain était aujourd’hui.
Demain était hier.
Lorsque je songeais à nos guerres tribales, j’en arrivais à sourire. Bienheureux ce temps-là aux sagaies ensanglantées, il signifiait que nous étions vivants.
Demain,
Aujourd’hui,
Hier,
Mon corps,
Un arbre mort pourrissant au sol sans pouvoir croître à nouveau.
Avenir obscur,
Sans idéal,
Hier,
Aujourd’hui,
Demain,
Une respiration linéaire.
,
Domination
Humiliation
Suffocation
Souffrance
Briseur de rêves
L’affranchissement
Une délivrance
ou s’enfuir à la vitesse du vent
et quitter l’enfer
reconquête du moi
Comment continuer à vivre sans le vouloir
comme des points de suspension
dans une vie hachée.
La volonté, s’apparenterait-elle à une bouffée d’optimisme dans la nature humaine ? avoir en soi la volonté de choisir, de créer, de parfaire et braver les obstacles ?
La volonté, n’était-elle pas, mes frères noirs, ce mode déterminé par une cause aboutissant à la conséquence, effaçant sur son passage toutes les traces pessimistes parce que l’Homme, où qu’il fût, croyait possible sa réalisation ? Ce qu’il avait imaginé hier devenait une illusion de pensée créative s’inscrivant dans une continuité constructive.
La volonté métamorphosait l’illusion en la concrétisant avec un optimisme à vaincre l’invincible. Rien ne pourrait demain entraver sa marche, et nul ne l’entraverait.
D’abord un, puis deux, puis dix. La parole se propagea de cases en cases, de plantations en plantations. La rébellion alimenta nos coeurs enthousiastes. Je la sentis vibrer au fond de moi, nous la sentîmes tous vibrer en nous, cette braise qui allumera bientôt un incendie.
Le rire était un affront à la douleur physique et morale endurée pendant des heures. Tonitruant et gras était celui du maître, ruisselant sur nos coutumes de « singes » ; ricaneur, celui de la maîtresse qui emboîtait le pas à son homme sans chercher à comprendre la raison de cette hilarité ; cristallin, celui de l’enfant innocent, trop jeune pour savoir le pourquoi.
Je les entendais, ces rires, bien avant d’avoir atteint notre misérable demeure, nattes au sol, écuelles et seaux d’eau, une niche pour des chiens que nous sommes à leurs yeux, eux qui n’auraient pas enduré le dixième de ce que nous supportions.
Un rire niant l’intolérable,
Un rire étouffant nos prières,
Un rire chassant d’un revers de main nos larmes
d’où surgirait l’affrontement.
Demain ou dans un mois,
dans un an ou dans un siècle,
moi aussi, je rirai.
Un rire de victoire.
Un rire pour réapprendre l’existence de soi. »
Février 2024. France.
Neuf jours écoulés.
Forêt de Hourtin. Un dimanche après-midi.