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La sueur, la douleur physique, le découragement, représentaient le quotidien des ces sportifs venus défendre un drapeau et entendre l'hymne national sur un podium. Lorsqu'un des leurs manqua à l'appel, la rivalité décupla. Un concurrent de moins présageait une victoire. Etre le vainqueur franchissant la ligne d'arrivée. Décrocher la médaille d'or.
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Seitenzahl: 235
Veröffentlichungsjahr: 2023
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À vous lectrices, lecteurs À mes petites filles
Ce livre est un roman.
Toute ressemblance avec des personnes, des noms propres, des lieux privés, des noms de firmes ou d’établissements, des situations existantes ou ayant existé, ne saurait être que le fruit du hasard.
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Chapitre 31
Chapitre 32
Chapitre 33
Chapitre 34
Chapitre 35
Chapitre 36
Chapitre 37
Chapitre 38
Chapitre 39
Ce que nous imaginons aujourd’hui devient la réalité de demain, car nous le croyons possible, donc réalisable.
Avant le temps zéro.
— Va te faire foutre, connasse ! Tu n’as pas compris à qui tu t’adressais ! Tu veux que je te montre de quoi je suis capable !
Les mots claquèrent, fouettant l’oreille de la femme collée au téléphone portable. Ils étaient semblables à une pluie automnale s’écrasant au sol sous un vent impétueux. Gris, le ciel ; noirs, les nuages ; orageuses, les phrases.
— Tes menaces ne m’intimident pas. Écoute-moi bien
— C’est plutôt toi qui vas m’écouter, pauvre conne ! Si tu téléphones encore une seule fois, je ferai de ta vie un enfer ! Tu ne sais pas de quoi je suis capable ! Tu apprendras à me connaître ! Je serai sur ton dos comme la puce sur un chien galeux ! Tu avanceras, les yeux rivaient sur la peur que j’aurais mise dans ton bide ! Chacun de tes pas sera un calvaire à glacer les sangs ! J’accaparerai ta caboche à un point que tu ne peux même pas imaginer, car cela dépassera l’envisageable !
« Qu’est-ce qu’il dit ? »
— Toi, ta gueule !
— Comment ça, ta gueule ? Tu as oublié à qui tu parlais, crevure ! Tu n’as pas entendu ce que j’ai dit ! Tu es sourde ou tu le fais exprès ! Tu vas voir comment je vais te la fermer, moi, ta grande gueule ! Tu fais chier depuis trop longtemps ! Il n’y aura pas de compromis !
L’homme excédé raccrocha. Maintenant, il devait se calmer. Il avait moins de cinq minutes pour afficher un visage paisible s’il ne voulait pas gâcher sa journée à cause d’elle. Pas sûr de réussir cet exploit avec les paroles de cette salope gravées dans le cerveau. Il défroissa son pantalon d’un geste brusque, et repositionna les boutons de manchettes en or jaune qui avaient tourné vers l’intérieur du tissu durant l’altercation, conséquence de la gesticulation puissance dix de ses bras – il avait brassé l’air tel un ventilateur sous l’ire explosive. Bon sang, s’il l’avait eue sous la main, il l’aurait étranglée, aurait jeté son corps dans une déchetterie sauvage au milieu des immondices, ce caniveau où elle vivait auparavant et qu’elle n’aurait jamais quitté sans aide. Une erreur commise de sa part, tellement gonflée par les regrets qu’elle était prête à exploser. Et le problème aurait été réglé définitivement. Sauf qu’ici, c’était plus compliqué à réaliser que dans la cambrousse. De toute façon, il fallait trouver maintenant le moyen de lui faire admettre que, lorsque c’était fini, c’était bel et bien fini. Surtout avec lui. Point final, à la ligne.
Les doigts faillirent jeter le téléphone portable qu’ils serraient, les phalanges blanchies d’une colère rentrée. La femme réfléchissait. Avoir une solution. Vite. Très vite. Et ce n’était pas celui vautré en face d’elle sur un canapé miteux qui résoudrait le problème avec ses neurones bousillés par des bitures à répétition. Décidément, elle était vraiment seule en ce bas monde. Comme avant. Retour à la case départ. Vers qui se tournerait-elle si elle supprimait l’autre enflure de l’équation ? Personne. Fais chier ! Chienne de vie !
Au royaume des boussoles pour les égarés, l’aveugle qui voulait sauver la planète demanda audience aux dieux dans l’ultime but de voir la lumière du non-fait.
Cri d’alarme à l’encontre d’un possible réveil de l’histoire pendant que le monde souterrain s’instruisait à se prévaloir d’être les meilleurs, dissimulés derrière les masques du dogme monétaire d’un marketing outrancier.
Vendredi : Trois jours avant le temps zéro.
Matin.
Doel. Belgique.
— Tu es sûr de ton coup, s’inquiéta le jeune homme, triturant ce tee-shirt qui le boudinait depuis qu’il avait grossi malgré l’activité physique intense qu’il infligeait à son corps. Le bermuda serrait aux cuisses.
— On n’a pas le choix, rétorqua sur un ton bourru, le frère aîné, debout au milieu de la cuisine, buvant une énième tasse de café froid, les yeux noirs lançant des éclairs dans la direction du cadet, tendu comme un arc par l’hésitation prononcée de celui-ci.
— Je pourrais y renoncer, et arrêter d’acheter sur Internet les gélules de CBD. Elles coûtent cher.
— Non. T’as besoin d’elles pour tes performances.
— Alors, je diminue les doses. Trois au lieu de six, et j’avale du Doliprane à la place. 300 euros par mois, c’est une somme et ce n’est pas remboursé.
— Pour te flinguer le foie. Le cannabidiol, c’est plus naturel, et le site qui nous fournit tes flacons est clean. Il n’y a pas de produits chimiques ajoutés chez eux. Et tu souffres moins depuis que tu les consommes, donc, tu continues à les avaler jusqu’à ce que l’autre abruti reconnaisse ta valeur.
— Sinon, c’est moi qui demanderai aux vieux le fric dont on a besoin. Depuis le temps qu’on se démène tous les deux pour joindre les deux bouts avec nos boulots de merde, ils pourraient lâcher du flouze rien qu’une fois. La mère, elle comprendrait.
— Il n’en est pas question ! gueula l’aîné, excédé par la suggestion de son frangin. Déjà que la mère a accepté de mauvaise grâce qu’on squatte dans la piaule de la grand-mère qu’on continue à louer à la commune avec nos thunes alors qu’elle voulait vendre les meubles et toi, tu crois qu’elle nous filera du blé. Tu rêves ! Et, regarde où on vit !
— Ouais, d’accord, c’est un peu glauque.
— Un peu ! T’es pas difficile, frérot. T’as vu le décor de jeunesse : un mobilier qui date de Mathusalem, du marron foncé partout, des rideaux à fleurs, un papier peint qui se décolle avec l’humidité qui règne dans toutes les pièces par manque de chauffage, un frigo congélateur qui va nous claquer dans les doigts du jour au lendemain tant il a fait son temps, et une téloche qui risque de nous péter à la gueule avec son tube cathodique qui grésille par moments. Et je parle pas du lave-linge qui menace de casser sa courroie quand il amorce l’essorage. Et la puanteur qui règne ici. Tu sens pas. Pas moyen de supprimer cette odeur de vieille peau desséchée qui se pissait dessus comme tous les vieillards qui crèchent dans les environs. Tu t’y es peut-être habitué, toi, moi, pas. Cette opportunité, c’est la chance de nous sortir de ce trou à rat, de foutre le camp d’ici, de te faire un nom dans le milieu. Doel ! Tu parles d’un bled ! On est coincé entre l’agrandissement du port d’Anvers qui exproprie les gens à tour de bras et la centrale nucléaire ! Un village fantôme. Un ghetto pour les pauvres dont on fait partie, toi et moi. Il n’y a pas de quoi être fier de notre sort débattu par des politiciens de merde sous le prétexte d’intérêt public. Et notre intérêt, à nous, il est où, à part payer un loyer au ras des pâquerettes qui nous permet de survivre tous les mois. Et, puis, bouge-toi, maigris un peu. Merde ! T’as vu comme t’es devenu !
Le cadet n’avait pas besoin que l’aîné lui signale son tas de graisse. La comparaison avec le frère était flagrante. L’un, 28 ans, 1 m 85, une musculature à faire pâlir d’envie un sportif de haut niveau, quant aux filles, elles tressaillaient sur son passage et tombaient en pâmoison à son souvenir ; il n’avait jamais franchi le seuil d’une salle de sport, à croire qu’être déménageur à soulever des cartons au lieu d’haltères suffisait. L’autre, 24 ans, 1 m 75, compensait son stress par une boulimie croissante consistant à trop de féculents, de boissons gazeuses, de sandwichs avalés sur le pouce entre deux pauses – il travaillait en tant que caissier à temps partiel dans un magasin de bricolage vouait à disparaître comme le reste des commerces dans les environs.
— Je vais me dépenser plus là-bas. Je te le promets. J’aurais du temps à revendre.
— T’as intérêt, mon pauvre vieux, sinon tu seras la risée de tous ces connards qui se la pètent grave, lorsqu’ils te verront dans ton bermuda moulant avec tes cuisses qui ressemblent à deux tonneaux. T’ingurgites trop de glucides. J’arrête pas de te le rabâcher, tu dois manger équilibré. Un corps sain dans un esprit sain est la garantie du succès. Prends exemple sur les autres, tu y gagneras.
L’aîné n’avait pas l’intention de vexer son frère, celui-ci le savait, il voulait juste le secouait un peu.
— Quand même, c’est risqué.
— Arrête d’y penser où tu vas chier dans ton froc quand on y sera. On l’a déjà fait et il n’y a pas eu de problème.
— Une seule fois.
— Ne nous porte pas la poisse avec tes pensées à la con. De toute façon, on a juste assez pour les frais, alors, il n’y a pas à discuter. On repère le pigeon, on tape sur place et on file avant qu’il ne réagisse. On ne change rien au programme. Comme sur des roulettes, je te dis. Il faut juste que t’aies confiance en moi. T’as confiance ou pas ?
— Ouais. C’était son grand frère. Il avait toujours su prendre les bonnes décisions, alors, pourquoi s’obstinait-il à le contredire aujourd’hui ?
— Donc, c’est réglé. Il faut partir. On a déjà perdu vingt minutes à palabrer.
L’aîné était déjà à la porte, la main sur la poignée.
Le cadet hésitait encore. Il le suivit. Dehors, il embrassa du regard la bicoque qui était dans un piteux état avec ses murs lézardés, ses volets écaillés et son toit moussu. Ils auraient dû l’entretenir. Même le jardinet était méconnaissable, l’espace cultivable ayant été abandonné aux herbes folles par les petits-fils. Son frère avait raison ; sur lui reposait un avenir meilleur, loin de cet univers sordide où il vivait depuis cinq ans sans aucun espoir de le quitter un jour, là où la misère coulait telle un torrent, engloutissant le moindre euro, gagné à la sueur des fronts ouvriers, et c’était sa faute si l’argent manquait. Il culpabilisa à mort.
— Qu’est-ce que tu fous ? Il est 9 heures 10. Magne-toi un peu, s’impatienta l’aîné devant le portillon attaqué par la rouille.
— Et la mob ? on la laisse dehors ?
— Qui veux-tu qui nous la choure ? t’as vu la gueule qu’elle a.
— Tu as raison. On s’arrache.
Ce qui aurait pu être, s’envole. Ce qui s’envole, disparaît. Ce qui disparaît, s’apparente à l’inconscient. Ce qui est inconscient, échappe à la conscience. Ce qui est conscience, devient un fait. Le fait assied l’existence de la réalité. La réalité est, sera, aurait pu être…
Trois jours avant le temps zéro.
Matin.
Paris. France.
Room service. 6 heures. Petit-déjeuner pris dans la chambre contraire aux habitudes.
Un lever aux aurores. Les rayons prometteurs d’un soleil ardent léchèrent les toits aux premières lueurs du jour, poussant la brume qui tardait à se dissiper.
La Jaguar XE rouge à l’intérieur fleurant bon le cuir grené d’une teinte lie-de-vin et noir quitta le parking de l’hôtel 5 étoiles, situé dans la capitale française, emprunta le périphérique extérieur, et s’engagea sur la Francilienne, puis sur l’autoroute, direction le plat pays. Maintenant, elle était proche d’atteindre sa destination après avoir parcouru 352 kilomètres d’une traite. À son bord, il y avait Bernard von Hartung, le propriétaire de la voiture, le conducteur à cet instant, expert en œuvres d’art, 62 ans, une allure « Bon Chic Bon Genre » dans un costume gris perle, chemisette blanche et des Richelieu noirs à lacets aux pieds, et son compagnon, Alberto Giordano, 34 ans, son contraire vestimentaire avec un jean vert pâle, un polo de la marque Ralph Lauren en coton piqué vert bouteille, un pull-over beige en lainage fin jeté sur les épaules dont il avait noué les manches sur la poitrine, chaussé de Derbys bleu marine, et Cannelle, une femelle chihuahua à poils longs couleur caramel âgée de 16 mois à peine, offerte à Alberto par Bernard après que celui-ci ait subi le cambriolage de son appartement, un traumatisme que Alberto avait effacé de sa mémoire peu à peu – ils demeuraient dans deux habitations respectives par choix délibéré. Cannelle, leur bébé d’amour, surtout au passager.
Le visage de Alberto trahissait l’inquiétude. Il avait une boule dans le ventre qui grossissait à chaque seconde, proportionnelle au temps qui le séparait de la rencontre. Encore une heure à ce régime et il exploserait comme un ballon de baudruche sur une épine de rose, car c’était bien une épine que Bernard lui avait plantée dans le pied sans le vouloir.
Bernard jeta un regard à la fois admiratif et triste sur sa droite. Figure crispée. Poings fermés. Pourquoi avait-il embarqué Alberto dans son acceptation ? L’avait-il méjugé ? Certes, il savait que celui-ci aimait l’action, pimenter son quotidien, il l’avait prouvé à maintes reprises, mais, là, il avait, peut-être, surestimé ses capacités à se dominer. Il aurait dû discuter plus longuement avec lui de l’enjeu plutôt que de lui soumettre un scénario avec la mention « sans prise de risque » alors que le risque était bien réel. Mais il avait besoin de sa coopération ; seul, il n’y arriverait pas ; il ne pouvait plus reculer ; simple raisonnement à la logique imparable. Il tenta une diversion.
— Et si nous proposions à Vandermeer de découvrir l’exposition que nous venons de voir lorsque nous serons chez lui ? Nous pourrions y retourner. Elle t’a tellement plu et se termine à la fin du mois.
— Si nous ne sommes pas morts, répondit Alberto une voix lugubre.
Bernard feignit d’avoir entendu.
— Ce n’est pas tous les jours que le musée du Louvre offre au public les rois de Napata ayant régné sur l’Égypte 700 ans avant Jésus Christ. Qui se souvient de la XXVe dynastie Kouchite aujourd’hui ? Personne. Les gens ne se rappellent que les principaux pharaons : Ramses Ier, et le deuxième, Nefertiti ou Cléopâtre.
— Ouah ! Ouah !
— Écoute. Même Cannelle est d’accord avec moi et se réjouit à l’idée d’un second séjour à Paris.
— Tu te trompes. Elle manifeste seulement son envie de promenade depuis le dernier arrêt, bougonna Alberto, tournant le buste vers la chienne confortablement installée sur la banquette arrière, la truffe nichée dans les coussins en fausse fourrure à cause de la climatisation qui soulevait ses poils. La température affichée sur le tableau de bord indiquait 29 °C à l’extérieur et 22 °C à l’intérieur.
— Ne souhaiterais-tu pas partager ton plaisir de revoir cet élément de pectoral d’un Dieu Bélier avec notre ami ? Tu étais si enthousiaste.
— Il est ma-gni-fi-que ! s’exclama Alberto, soudain sorti de sa torpeur. Avec de belles incrustations en pâte de verre d’un bleu irisé. Digne d’un orfèvre.
— Et que dire de cette splendide statue du Dieu Amon-Rê en bronze incrusté d’or, de cuivre, et d’argent.
— Su-bli-me !
— Des splendeurs cachées. Sans compter les bas-reliefs, les statuettes, le scarabée en lapis-lazuli, les stèles funéraires
— Qui nous renvoient à notre venue dans cette ville, soupira Alberto, l’esprit de nouveau embrumé par les idées noires, la réjouissance marquant les traits n’ayant été que de courte durée.
Imperturbable, Bernard, après avoir quitté l’autoroute A 112, bifurqua au panneau de signalisation Anvers, n’osant plus prononcer un mot.
11 heures. L’horaire était respecté.
Déjà, les immeubles remplaçaient la campagne bordant les routes, le béton jouxtant les parcs de la ville. Direction le parking situé à six minutes à pied de la gare centrale et à mi-chemin entre cette dernière et le Diamond District, lieu du rendez-vous – ils n’avaient pas le temps de flâner dans le quartier latin, ancien fief de l’élite francophone que rappelaient les musées et les théâtres, et encore moins dans le vieux centre avec ses ruelles et ses charmants passages aboutissant à la cathédrale qu’ils affectionnaient tous deux.
L’un à côté de l’autre, Bernard et Alberto marchaient. Les rues, très animées en cette fin de matinée, perturbaient Cannelle dans son sac de transport. Elle s’agitait, ne sachant pas si elle devait sortir le museau ou le cacher, à l’image de son maître qui aurait aimé disparaître, lui aussi, s’il avait eu la possibilité d’accomplir cette prouesse. À quelques mètres de la porte d’entrée d’un immeuble, ils stoppèrent. Bernard scruta les complets bleu marine sortant du 78 de la Pelikaanstraat, un bâtiment néoclassique, sans savoir que lui-même était observé par deux individus sur le trottoir opposé. Les hommes, avançant vers eux, se confondaient tant leur démarche était similaire, le corps raide, le regard altier, la mallette à la main – Bernard avait un modèle identique en cuir noir. Tous issus du même moule ou presque, façonnés de génération en génération, perpétuant le « Mazal » prononcé par leurs pairs, cette poignée de main concluant la vente à la Beurs voor Diamanthandel d’où ils sortaient, l’antre du négoce des diamantaires interdit aux particuliers.
Sans la description communiquée par Dimitri Arkhipova au téléphone, Monsieur Verhoeven, vieux roublard à la soixantaine au sourire commercial, vêtu comme ses acolytes, ne les aurait pas distingués des autres clients. Un salut de la tête. « Venez. Suivez-moi ». La discrétion était de rigueur telle un secret gardé au plus profond des âmes.
Alberto suait à grosses gouttes à présent, et la moiteur ressentie en cette mi-juillet ne le rafraîchirait certainement pas. Il essuya ses paumes moites avec un mouchoir de batiste sorti de la poche de son pantalon.
Le restaurant où les conduisit Verhoeven était proche de son lieu de travail. Situé au rez-de-chaussée, l’établissement était coincé entre deux ateliers où des artisans joailliers vêtus de noir avaient le buste courbé sur l’établi, façonnant l’or et sertissant les pierres sous une loupe.
L’intérieur du restaurant surprenait par un style contemporain. La brigade concoctait une cuisine gastronomique, appréciée par les gourmets, dans un espace ouvert sous un éclairage approprié et des hottes aspirantes à faibles décibels. La salle était un alignement de fauteuils orangés autour de tables wengé aux nappes de couleur chocolat sur lesquelles avaient été disposés des verres en cristal et des couverts argentés. Les serviettes étaient assorties aux sièges. Des bouquets de fleurs dans des vases en céramique de couleur bleue posés sur des sellettes égayaient la pièce et séparaient, d’une manière fort ingénieuse, les convives.
— Tout d’abord, je vous montre l’échantillonnage, annonça Verhoeven, la mallette sur ses genoux. Il fit signe à un des serveurs d’apporter la carte.
Après le départ de celui-ci, Verhoeven posa un écrin au centre de la table. Plusieurs diamants de qualité différente étaient logés dans de petits compartiments habillés de velours noir. Ils étincelaient sous les spots, brillants de mille feux.
— Et voici pour vous.
Verhoeven fit glisser sur la nappe une petite bourse en peau fermée par un lacet de cuir. Elle contenait les autres pierres précieuses, chacune enveloppée dans du papier de soie suivant les instructions demandées par l’acheteur.
— Je vous ai donc apporté les diamants de taille ronde selon le souhait de votre ami. Ils appartiennent à la catégorie FL, IF, et VVS, à savoir, sans défaut, pur à la loupe x 10, et très très légèrement inclus, l’impureté étant difficilement visible à la loupe x 10, une inclusion qui s’est glissée dans le minéral au cours de sa formation. Le carat, le nombre, et la couleur ont été scrupuleusement respectés. Aucune qualité inférieure, cela va de soi. Notre réputation serait entachée par une telle pratique. Et rassurez-vous, le paiement concernant l’achat a été crédité depuis hier sur nos comptes. Messieurs, ce fut un réel plaisir de traiter avec vous. Je vous souhaite un bon séjour parmi nous. Bon appétit, dit-il fermant définitivement la mallette qu’il enchaîna à son poignet, chaînette que Bernard et Alberto n’avaient pas remarquée – il avait dû débloquer le système d’attache pendant qu’ils récupéraient les porte-menus par le serveur.
Verhoeven se leva et quitta l’établissement sous le regard étonné de Alberto.
— Il part, murmura-t-il.
Bernard poussa la bourse vers son compagnon. Ce dernier n’osa pas la toucher, lui attribuant des pouvoirs maléfiques, mais, après un laps de temps qui sembla être une éternité, il s’empara d’elle. Bernard l’encouragea du regard. « Va ».
Fugace moment de doute.
Alberto ne bougeait pas, pétrifié, une larme au coin de l’œil, les doigts cramponnés au tissu. Tous les encouragements prodigués par Bernard ne réussirent pas à le persuader. Il devait pourtant finaliser l’opération « commando » comme il la nommait depuis qu’il avait eu connaissance d’elle.
Subtile proposition.
« Tu prends Cannelle avec toi », émit Bernard, sachant que la chienne avait toujours un effet apaisant sur son maître.
Résigné, Alberto se leva enfin, Cannelle dans ses bras, la bourse dans le sac de transport, et se dirigea vers les toilettes.
La charismatique pauvreté entérine l’ombre gracieuse de la concupiscence.
Trois jours avant le temps zéro.
Fin de matinée.
Anvers.
Trente minutes de trajet passé à rassurer le cadet, à répéter encore et encore qu’ils n’avaient rien à craindre de fâcheux.
— T’as pigé le plan, frérot ?
— Ouais, ne t’inquiète pas. J’ai compris que c’était la seule solution pour résoudre nos problèmes une bonne fois pour toutes. Il n’y a pas d’alternative. J’ai pigé.
Une claque dans le dos approuva les paroles du cadet. Après avoir garé leur véhicule au parking de la gare centrale d’Anvers, les deux hommes s’étaient engagés dans la rue Pelikaanstraat. Ils se mêlèrent aux touristes peuplant déjà le trottoir à 11 heures, évitant ceux qui stationnaient devant les vitrines exposant les bijoux, qui contemplaient ces richesses avec l’envie de les posséder. Un rêve inaccessible pour la plupart d’entre eux.
— Regarde-moi tous ces cons, frérot. Ils sont venus de loin convoiter ce que, nous deux, nous déroberons tout à l’heure à un pigeon.
— Parle pas si fort, quelqu’un pourrait nous entendre, s’inquiéta le cadet, l’œil aux aguets.
— Toi, tu flippes encore. Détends-toi, frérot, j’ai tout prévu. La bagnole nous attend, prête à démarrer au quart de tour avec le plein d’essence. Et avec le monde qui circule, aucun risque de se faire choper.
— Avec le canoë sur le toit de la Dacia, ce n’est pas la meilleure façon de passer inaperçu.
— Au contraire, c’est normal pendant les congés d’été. On se fondra dans la meute de vacanciers traversant le pays. Maintenant, arrête de gamberger et concentre-toi. Il faut que nous détections, proche de la bourse, le gogo à pognon qu’on va plumer.
— Ouais, tu as raison. Ce qu’on piquera ne sera pas le casse du siècle. Ce sera facile. Aucune comparaison.
— Putain ! C’est sûr que ce ne sont pas les millions d’euros volés au Diamond Center en 2003 ! Quand je pense que cet abruti de Leonardo Notarbatolo a été arrêté par les poulets comme un débutant après avoir réussi son coup, il n’a pas été très malin. Quel con ! Ce n’est pas à nous que cela arrivera, nous sommes meilleurs que lui, je te le garantis. Nous, les flics, ils nous auront pas. Nous sommes de la trempe des débrouillards. Sur la tête de la mère, je te le dis, que nous passerons entre les mailles du filet, bien que sa tête ne vaille pas grand-chose.
— La tête de la grand-mère, plutôt, rectifia le cadet. Et arrête de prononcer le mot « putain », c’est vulgaire.
— Putain ! Je le dis quand je suis énervé, ça me calme, et côté vulgarité, c’est plutôt à la mère que tu devrais t’adresser, c’est elle qui nous l’a appris. Mais j’suis d’accord avec toi, frérot ! C’est grâce à la vieille qu’on ne couche pas sous les ponts. Paix à son âme, dit-il, la main sur le cœur.
Un rire tonitruant couvrit un instant les conversations des badauds.
— Sérieux, maintenant, frérot. On approche du but. On ouvre grand les yeux, on cherche et on tape. Tranquille, je te dis.
Au 62 de la rue Pelikaanstraat, les deux hommes s’arrêtèrent devant la devanture d’un bureau de tabac qui proposait aussi des en-cas à sa clientèle. Le cadet regarda les plats proposés écrits sur un bristol. L’aîné éprouvait de la difficulté à le lire. L’encre avait jauni sous les rayons solaires frappant la vitre. Il était posé sur un mini-chevalet de bois dans la vitrine, perdu sur une étagère au milieu des étuis à cigarettes. Ce magasin s’accorde mal avec les joailleries aux alentours, mais il est certainement indispensable à tous ces messieurs de la haute, ces fumeurs de cigares hors de prix. Puis il revint aux fondamentaux. Coup d’œil circulaire sur le terrain de jeu.
— Y a du beau, aujourd’hui.
— Que penses-tu de cette cible à 15 heures ?
— Hé, frérot ! t’y prends goût à la traque ! Ça fait pas trente minutes que nous sommes là et la chance est avec nous. Je n’aurais pas mieux choisi. C’est OK ! Il est tellement voyant qu’on ne le perdra pas de vue, celui-là.
— On se calque sur eux ?
— Je veux, oui. Nous les imitons comme des clones dans un jeu vidéo. Ils avancent, on avance, ils reculent, on revient sur nos pas, l’air de rien, comme si on cherchait dans ces foutues vitrines un bijou à offrir qui ne correspond pas à nos bourses pour l’instant, mais, dans pas longtemps, nous aussi, on s’en paiera une tranche.
— Et s’ils partent en voiture ?
— Deux options : soit on tape avant, soit on suit leur bagnole. Il n’y a que deux parkings proches d’ici, et nous sommes deux. On se séparera. Chacun son parking.
— Prions pour qu’ils aient eu la bonne idée de se garer là où on a garé la nôtre.
— T’as raison, frérot. Si cela concorde, je te promets que nous irons investir dans un cierge pour la grand-mère comme deux bons petits-fils.
— C’est un peu notre ange gardien.
— Pas faux. Sérieux, maintenant, détaillons-les de près. La mallette du vieux n’est qu’un vulgaire attaché-case. Trop nase, le mec. On la lui tirera dès qu’il sera, avec l’autre folle, dans un lieu plus désertique. L’accompagnateur n’est pas dangereux, et le clebs encore moins.
— Ici, l’endroit n’est pas propice. Trop de cols blancs. D’autant plus qu’ils sont trois depuis que cet homme les a rejoints.
— Bien vu, frérot. On suit le trio et dès que le vieux croulant les largue, nous deux, on leur saute sur le paletot et à nous la marchandise.
— Ouais, ton plan n’est pas idiot sauf que là, on fait quoi ? Ils sont entrés dans ce resto pour rupins depuis une plombe et ils ne sont pas près de ressortir vu qu’il est midi et qu’ils vont grailler là.
— On va aller se planquer chez le marchand de clopes et on profitera de la pause pour bouffer un sandwich. T’inquiète pas, ils finiront par sortir quand ils seront gavés, ces porcs, et ils seront plus vulnérables le ventre plein. Allez, viens, il ne faut pas traîner dans les parages. C’est qu’ils sont méfiants, les riches.
Le buraliste accueillit les deux consommateurs avec la cordialité seyante à ses principes. La venue de ces clients multipliait au centuple ses convictions. Il leur offrit même le café à la dernière bouchée avalée. De l’altruisme contre l’aisance financière suant de ces personnes qui fréquentaient son bureau de tabac les jours ouvrés, le toisant à l’image des Seigneurs à l’ère féodale lorsqu’ils sortaient.
— Deux heures trente-quatre minutes exactement à écouter palabrer le bonhomme. Putain ! J’ai cru crever d’ennui. Heureusement qu’on était deux à surveiller la rue. Il aurait pu nous faire manquer la cible à nous distraire avec toutes ses histoires, ce con.
— Un gars sympathique qui nous a rendu service.