Le Révizor - Le Mariage - Nikolaï Gogol - E-Book

Le Révizor - Le Mariage E-Book

Nikolái Gógol

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Beschreibung

Créée à Saint-Pétersbourg en 1836, d'après une histoire racontée à Gogol par Pouchkine, Le Révizor est la plus célèbre comédie du théâtre russe : Khlestakof, un jeune voyageur, tout juste arrivé dans une petite ville de province, est pris par les notables pour l'envoyé secret du tsar chargé d'enquêter sur eux. Auprès du rusé Khlestakof, qui n'en demandait pas tant, les notables vont rivaliser d'amabilités et de largesses.

Le Mariage, créé en 1842 mais écrit au même moment que Le Révizor, raconte les atermoiements d'un fonctionnaire, Podkoliossine, célibataire endurci décidé, peut-être, à ne plus le rester.

Traduction de Marc Semenoff, 1922

EXTRAIT

LE PRÉFET DE LA VILLE. — Je vous ai invités, messieurs, pour vous annoncer une nouvelle quelque peu désagréable : le révizor arrive.
AMMOSS PHIODOROVITCH. — Quoi ! Le révizor ?
ARTEMI PHILIPPOVITCH. — Quoi ! Le révizor ?
LE PRÉFET. — De Petrograd, incognito, et avec des ordres secrets !
AMMOSS PHIODOROVITCH. — Ah ! par exemple !
ARTEMI PHILIPPOVITCH. — Nous n’avions pas assez d’ennuis, il nous fallait encore cette tuile !
LOUKA LOUKITCH. — Seigneur Tout-Puissant ! Est-il possible d’arriver avec des ordres secrets !

À PROPOS DE L'AUTEUR

Nikolaï Vassiliévitch Gogol est un romancier, nouvelliste, dramaturge, poète et critique littéraire russe d'origine ukrainienne, né à Sorotchintsy dans le gouvernement de Poltava le 19 mars 1809 et mort à Moscou le 21 février 1852.

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BIBLIOTHÈQUE RUSSE ET SLAVE

— LITTÉRATURE RUSSE —

Nikolaï Gogol

Гоголь Николай Васильевич

1809 – 1852

LE RÉVIZOR – LE MARIAGE

Ревизо – Женитьба

1836 – 1842

Traduction de Marc Semenoff, Paris, Plon-Nourrit et Cie, 1922.

© La Bibliothèque russe et slave, 2014

© Marc Semenoff, 1922

 

Couverture : Piotr BOKLEVSKI, Illustration pour le Révizor (1863)

 

 

 

Chez le même éditeur — Littérature russe

 

1. GOGOLLes Âmes mortes. Traduction d’Henri Mongault

2. TOURGUENIEVMémoires d’un chasseur. Traduction d’Henri Mongault

3. TOLSTOÏLes Récits de Sébastopol. Traduction de Louis Jousserandot

4. DOSTOÏEVSKIUn joueur. Traduction d’Henri Mongault

5. TOLSTOÏAnna Karénine. Traduction d’Henri Mongault

6. MEREJKOVSKILa Mort des dieux. Julien l’Apostat. Traduction d’Henri Mongault

7. BABELCavalerie rouge. Traduction de Maurice Parijanine

8. KOROLENKOLe Musicien aveugle. Traduction de Zinovy Lvovsky

9. KOUPRINELe Duel. Traduction d’Henri Mongault

10. GOGOLLe Révizor — Le Mariage. Traduction de Marc Semenoff

11. DOSTOÏEVSKIStépantchikovo et ses habitants. Traduction d’Henri Mongault

12. Les Bylines russes — La Geste du Prince Igor. Traductions de Louis Jousserandot et d’Henri Grégoire

13. PISSEMSKIMille âmes. Traduction de Victor Derély

14. RECHETNIKOVCeux de Podlipnaïa. Traduction de Charles Neyroud

15. TOURGUENIEVPoèmes en prose. Traduction de Charles Salomon

LE RÉVIZOR

— « Ne vous en prenez pas à votre miroir, si votre gueule est de travers. »

 

PERSONNAGES

ANTONE ANTONOVITCH SKVOZNIK-DMUKANOVSKI, préfet de la ville.

ANNA ANDREEVNA, sa femme.

MARIA ANTONOVNA, sa fille.

LOUKA LOUKITCH KHLOPOF, inspecteur scolaire.

SA FEMME.

AMMOSS PHIODOROVITCH LIAPKINE-TIAPKINE, juge.

ARTEMI PHILIPPOVITCH ZEMLIANIKA, surveillant des œuvres de bienfaisance.

IVAN KOUZMITCH CHPEKINE, directeur des postes.

PIOTR IVANOVITCH DOBTCHINESKI, PIOTR IVANOVITCH BOBTCHINESKI, bourgeois de la ville.

IVAN ALEXANDROVITCH KHLESTAKOF, fonctionnaire de Petrograd.

OSSIP, son domestique.

CHRISTIAN IVANOVITCH GUIBNER, médecin de campagne.

PHIODOR ANDREEVITCH LIOULIOUKOF, IVAN LAZAREVITCH RASTAKOVSKI, STÉPANE IVANOVITCH KOROBKINE, fonctionnaires en retraite, personnages jouissant d’une grande considération dans la ville.

STÉPANE ILITCH OUKHOVERTOF, commissaire de police.

SVISTOUNOF, POUGOVITSINE, DERJIMORDA, agents de police.

ABDOULINE, marchand.

PHEVRONIA PETROVA POCHLIOPKINA, femme d’un serrurier.

FEMME D’UN SOUS-OFFICIER.

MICHKA, domestique du préfet de la ville.

GARÇON DE TRAKTIR.

 

CARACTÈRES ET COSTUMES

NOTES POUR LES INTERPRÈTES

 

LE PRÉFET DE LA VILLE. — Fonctionnaire qui a vieilli dans son service ; homme pas trop bête. Bien qu’aimant les pots-de-vin, il sait se conduire en être posé. Assez sérieux, même un peu raisonneur, il ne parle ni haut ni bas, ni peu ni beaucoup. Chacune de ses paroles a une signification importante. Les traits de son visage sont durs, grossiers comme chez tout fonctionnaire parti du rang le plus obscur. Il passe rapidement de la peur à la joie, de la manière vile au ton arrogant, comme tout homme aux instincts vulgaires. Uniforme habituel, cheveux grisonnants, coupés ras.

ANNA ANDREEVNA, sa femme. — Une coquette de province, d’âge moyen, élevée moitié dans les romans et les albums, moitié dans les soucis et commérages de l’office. Très curieuse et sachant à l’occasion manifester de l’orgueil. Elle mène parfois son mari par le bout du nez, uniquement parce que celui-ci n’a pas la repartie facile ; mais cette autorité ne s’exerce que sur de petits détails, ne se contente que de reproches et moqueries. Anna Andreevna change quatre fois de robe dans le cours de la pièce.

KHLESTAKOF. — Jeune homme âgé de vingt-trois ans, maigre et fluet. Légèrement sot et comme on dit « sans boussole dans le cerveau ». Un de ces fonctionnaires que l’on appelle dans les bureaux des « propres à rien ». Il parle et agit sans discernement, est incapable de fixer son attention sur une pensée. Sa parole est saccadée et les mots échappent de sa bouche d’une manière toujours inattendue. Le rôle de l’acteur est de manifester le plus de candeur et de simplicité possible. Vêtu selon la mode.

OSSIP. — Domestique, tel que sont tous les serviteurs d’âge mûr. Il parle avec gravité, baissant légèrement la tête, raisonne sans cesse et aime se tracer une règle de conduite vis-à-vis de son barine. Sa voix est presque toujours égale ; quand il parle à son maître, il prend une expression sévère, dure et même impertinente. Il est plus intelligent que son barine et devine plus vite les situations, mais il n’aime pas parler et joue silencieusement le coquin. Son costume gris ou bleu est élimé.

BOBTCHINESKI ET DOBTCHINESKI. — Tous deux très petits et de taille courte ; très curieux, se ressemblant beaucoup. Tous deux avec un léger embonpoint, parlant rapidement et avec force gestes. Dobtchineski est un peu plus grand et plus sérieux que Bobtchineski, mais Bobtchineski est plus vif, de tournure plus désinvolte que Dobtchineski.

LIAPKINE-TIAPKINE, juge. — Un homme qui a lu cinq ou six livres, aussi a-t-il acquis une certaine indépendance d’esprit. Il aime assez les calembours et c’est pourquoi il attache beaucoup d’importance à chacune de ses paroles. L’acteur doit toujours garder un air imposant, parler avec une voix de basse, enrouée, prolongeant ses mots et reniflant sans cesse, telles de vieilles horloges qui sifflent d’abord et puis sonnent l’heure.

ZEMLIANIKA, surveillant des œuvres de bienfaisance. — Homme très gros, très ours dans ses mouvements, mais débrouillard et rusé. Très obligeant, toujours agité.

LE DIRECTEUR DES POSTES. — Homme simple jusqu’à la naïveté.

 

Les autres rôles n’exigent aucune explication : l’original, « le type » se trouve toujours devant nos yeux.

ACTE PREMIER

Une pièce dans l’appartement du préfet de la ville.

SCÈNE I

LE PRÉFET DE LA VILLE, LE SURVEILLANT DES ŒUVRES DE BIENFAISANCE, L’INSPECTEUR SCOLAIRE, LE JUGE, LE COMMISSAIRE DE POLICE, LE MÉDECIN, DEUX AGENTS DE POLICE.

LE PRÉFET DE LA VILLE. — Je vous ai invités, messieurs, pour vous annoncer une nouvelle quelque peu désagréable : le révizor arrive.

AMMOSS PHIODOROVITCH. — Quoi ! Le révizor ?

ARTEMI PHILIPPOVITCH. — Quoi ! Le révizor ?

LE PRÉFET. — De Petrograd, incognito, et avec des ordres secrets !

AMMOSS PHIODOROVITCH. — Ah ! par exemple !

ARTEMI PHILIPPOVITCH. — Nous n’avions pas assez d’ennuis, il nous fallait encore cette tuile !

LOUKA LOUKITCH. — Seigneur Tout-Puissant ! Est-il possible d’arriver avec des ordres secrets !

LE PRÉFET. — Je le pressentais, ma parole : deux rats tout à fait extraordinaires n’ont pas cessé de hanter mon rêve cette nuit... Je n’en vis jamais de pareils, je vous jure... noirs, de taille fantastique !... Ils sont venus et, après avoir reniflé autour d’eux, ils ont disparu... Tenez... je vais vous lire la lettre que j’ai reçue d’André Ivanovitch Tchmikhof... vous le connaissez, Artemi Philippovitch. Voilà ce qu’il écrit : « Cher ami, collègue et bienfaiteur... (Il marmotte, parcourant vite la lettre) et t’annoncer »... Ah ! voilà, j’y suis. « Je me hâte de t’annoncer, entre autres choses, qu’un fonctionnaire est arrivé avec l’ordre de visiter tout notre gouvernement et spécialement notre district. (Le préfet lève son doigt d’un air significatif.) Je l’ai appris d’une source sûre... Le révizor se fait passer pour un particulier... Et vu que je ne suis pas sans ignorer que tu as comme nous tous quelques péchés sur ta conscience... que tu es un homme intelligent n’aimant pas laisser échapper ce qu’il peut saisir au vol »... (s’arrêtant) ceci me regarde... « Je te conseille donc de prendre tes précautions, car il peut arriver d’une heure à l’autre... s’il n’est déjà là, quelque part, incognito... Hier, je... » Ce sont des affaires de famille. « Ma sœur Anna Kirillovna est descendue chez nous avec son mari ; Ivan Kirillovitch a beaucoup engraissé et ne cesse de jouer du violon »..., etc., etc... Voilà le fait, messieurs.

AMMOSS PHIODOROVITCH. — Oui, un fait évidemment extraordinaire, simplement extraordinaire... et qui doit cacher quelque dessous...

LOUKA LOUKITCH. — Mais pour quel diable de motif, Antone Antonovitch, ce révizor vient-il ici ?... Pourquoi ?...

LE PRÉFET. — Pourquoi ? Telle est, sans doute, notre destinée. (Il pousse un soupir.) Jusqu’à ce jour, les révizors allaient ailleurs, Dieu soit loué... Notre tour est venu...

AMMOSS PHIODOROVITCH. — Je crois, Antone Antonovitch, qu’il s’agit là d’un motif subtil et surtout politique... Cela signifie... que... la Russie... oui... veut faire la guerre... Et le ministère, voyez-vous, a envoyé un fonctionnaire pour savoir si quelque trahison...

LE PRÉFET. — Vous allez bien loin... vous, un homme intelligent !... La trahison dans une ville de district ! Sommes-nous donc à la frontière !... Sortez de votre trou, galopez pendant trois ans... et vous n’arriverez nulle part !...

AMMOSS PHIODOROVITCH. — Je vous dis que vous n’y... que vous ne... Le gouvernement a des vues plus fines... évidemment... nous sommes loin... mais il ne perd pas le nord...

LE PRÉFET. — Qu’il le perde ou non... moi, je vous ai avertis, messieurs... J’ai déjà pris des mesures en ce qui me concerne, je vous conseille d’en faire autant... surtout vous, Artemi Philippovitch... Je suis sûr que ce fonctionnaire visitera tout d’abord les établissements dont vous avez la surveillance... Faites donc pour le mieux. Que les bonnets soient propres et que les malades ne se promènent pas comme d’ordinaire, Dieu sait dans quelle tenue...

ARTEMI PHILIPPOVITCH. — Cela n’a pas d’importance... Mais évidemment... on peut mettre des bonnets propres...

LE PRÉFET. — Oui... Et écrivez donc au-dessus de chaque lit vos observations en latin... ou dans n’importe quelle autre langue... Ceci vous regarde, Christian Ivanovitch... La maladie... la date de l’entrée du malade... et de plus... il est regrettable que vos malades fument un tabac aussi fort... À peine entré qu’on éternue !... D’ailleurs, il faudrait réduire le nombre des malades... On accuserait... on dirait qu’ils sont mal soignés, que le médecin est mauvais...

ARTEMI PHILIPPOVITCH. — Christian Ivanovitch et moi nous avons pris toutes nos mesures pour les soins à donner aux malades... le plus près de la nature, c’est le mieux... pas de médecine coûteuse... L’homme est simple : s’il est condamné à mourir, il mourra... et s’il doit guérir, il se remettra tout seul... D’ailleurs, il est impossible à Christian Ivanovitch de s’expliquer avec les malades : il ne sait pas un mot de russe.

CHRISTIAN IVANOVITCH(il marmotte une syllabe inintelligible dans laquelle on distingue la lettre i et la lettre ê).

LE PRÉFET. — Quant à vous, Ammoss Phiodorovitch, je vous conseillerais de surveiller davantage ce qui se passe au palais... Dans le vestibule où attendent les clients, les gardiens ont introduit des oies avec leurs petits... et ces bêtes vous trottent dans les jambes... Il est tout à fait louable d’élever des animaux domestiques et pourquoi les gardiens du Palais de Justice s’en priveraient-ils ?... Mais je vous assure... dans vos bureaux, c’est vraiment déplacé... Il y a longtemps que je voulais vous le faire remarquer... mais je ne sais pourquoi... j’oubliais...

AMMOSS PHIODOROVITCH. — Je vais dire aujourd’hui même qu’on les descende à la cuisine. Voulez-vous dîner avec nous ce soir ?

LE PRÉFET. — De plus... toutes sortes de saletés sèchent dans votre bureau... c’est très laid... et j’ai vu tout un attirail de chasse sur votre armoire à papiers... Je sais que vous aimez la chasse, mais enlevez donc tout cela... quitte à le remettre quand le révizor sera parti... Et votre assesseur... c’est un homme très intelligent... mais il pue... à croire qu’il vient toujours de sortir du cabaret... Mauvaise note !... Je voulais vous le dire aussi, mais j’ai été distrait... je ne sais pourquoi... Si c’est réellement une odeur naturelle, comme il le prétend, il y a un moyen de la combattre... on peut lui conseiller de manger de l’ail, de l’oignon... ou telle autre chose... Christian Ivanovitch nous aidera en donnant des médicaments...

CHRISTIAN IVANOVITCH(marmotte toujours la même syllabe inintelligible).

AMMOSS PHIODOROVITCH. — Je suis sûr qu’il n’y a rien à faire... Sa nourrice l’a blessé quand il était enfant... il me l’a raconté... et depuis il a toujours senti la vodka.

LE PRÉFET. — Oh ! je vous ai fait là une simple remarque. Quant aux mesures d’ordre plus intérieur... ce qu’André Ivanovitch appelle « petits péchés » dans sa lettre... je ne puis rien dire. D’ailleurs, il est vraiment impossible d’en parler : il n’existe pas d’homme qui n’ait quelque péché sur la conscience... Dieu lui-même nous a créés ainsi... et les voltairiens discutent vainement là-dessus...

AMMOSS PHIODOROVITCH. — Mais que diable voulez-vous dire avec vos péchés, Antone Antonovitch ?... Les péchés diffèrent tellement les uns des autres !... Je ne cache à personne que je prends des pots-de-vin !... Mais en quoi consistent-ils ? En lévriers !... C’est une autre affaire !...

LE PRÉFET. — Lévriers ou autres choses... ce sont toujours des pots-de-vin...

AMMOSS PHIODOROVITCH. — Ça non, Antone Antonovitch. Supposons, par exemple, que le manteau de fourrure d’un solliciteur coûte cinq cents roubles... et que votre femme ait besoin d’un châle...

LE PRÉFET. — Peu m’importe que vos pots-de-vin soient des lévriers !... En revanche, vous ne croyez pas en Dieu... vous n’allez jamais à l’église... tandis que moi... je m’y rends tous les dimanches... je suis ferme dans mes croyances... Ah ! quand vous commencez à parler de la création du monde, mes cheveux se dressent sur la tête...

AMMOSS PHIODOROVITCH. — Oui, mais c’est grâce à mon intelligence que mes convictions se sont forgées...

LE PRÉFET. — Il y a des cas où le manque de raison est préférable à l’excès... D’ailleurs, c’est incidemment que j’ai parlé du tribunal... et je doute fort que jamais on y fourre son nez... Dieu lui-même protège cet endroit si réputé... Vous, Louka Loukitch, qui êtes inspecteur scolaire, vous devriez vous occuper de vos instituteurs. Ils sont évidemment très instruits, après avoir été élevés dans des collèges... mais j’avoue que leur tenue laisse à désirer... certes leur métier y est pour quelque chose... L’un d’eux, par exemple, le gros joufflu... impossible de me rappeler son nom... Jamais il ne commencera sa leçon sans faire une grimace... tenez... comme celle-là, (Il fait une grimace.) et sans tirer sa barbe après avoir passé la main sous sa cravate. Cela a peu d’importance devant ses élèves... peut-être même est-ce nécessaire ? je ne suis pas compétent... Mais pensez donc... S’il le fait devant un étranger... cela pourrait mal finir... le révizor ou un autre pourrait croire que cette attitude le vise...

LOUKA LOUKITCH. — Que voulez-vous que je fasse ? Je lui en ai déjà parlé ! Il y a quelques jours, le directeur entrait dans la classe... Si vous aviez vu la grimace ! Plus horrible que jamais ! Il l’a faite en toute simplicité... Mais c’est moi qui ai reçu les reproches : on incitait la jeunesse à trop de libertés !

LE PRÉFET. — Encore une remarque au sujet du professeur d’histoire. C’est une tête bourrée de connaissances... évidemment ! mais il explique les choses avec une chaleur... il va jusqu’à s’oublier !... Je l’ai entendu une fois... Tant qu’il parlait de l’Assyrie et de Babylone, passe encore !... Mais quand il arriva à Alexandre de Macédoine, vous n’avez pas idée... J’ai cru, je vous le jure, que le feu prenait à la maison... Il descendit de sa chaire, saisit une chaise, et vlan ! de toutes ses forces sur le parquet !... Pas de doute qu’Alexandre de Macédoine ait été un grand homme, mais pourquoi casser les chaises ?... Le fisc en souffre.

LOUKA LOUKITCH. — Il est vif, c’est incontestable. Je lui en ai fait la remarque, plusieurs fois... Lui me répond : « Que voulez-vous, moi je sacrifierais ma vie pour la science ! »

LE PRÉFET. — Oui, telle est l’insondable loi du destin : un homme intelligent doit toujours être un ivrogne ou un grimacier capable de mettre en fuite tous les saints du paradis...

LOUKA LOUKITCH. — Que Dieu épargne à l’homme de servir la cause de la science !... Tout est à craindre, chacun veut avoir raison et prouver à toutes forces qu’il en sait davantage...

LE PRÉFET. — Tout cela ne serait rien... mais voilà ! cet incognito maudit... À l’heure où on s’y attend le moins : « Eh ! vous êtes là, mes bijoux... Bien... je voudrais voir le juge. — Liapkine-Tiapkine. — Que Liapkine-Tiapkine vienne... Et qui est le surveillant des œuvres de bienfaisance ? — Zemlianika. — Qu’il vienne donc ce Zemlianika... » Voilà ce qui est terrible !

SCÈNE II

LES MÊMES ET LE DIRECTEUR DES POSTES

LE DIRECTEUR DES POSTES. — Veuillez me dire, messieurs, quel est ce fonctionnaire qui arrive ?

LE PRÉFET. — Vous l’ignorez donc ?

LE DIRECTEUR DES POSTES. — Piotr Ivanovitch Bobtchineski me l’a appris... Je viens de le voir à mon bureau.

LE PRÉFET. — Eh bien ? Qu’en pensez-vous ?

LE DIRECTEUR DES POSTES. — Ce que j’en pense ? Mais c’est la guerre avec la Turquie !

AMMOSS PHIODOROVITCH. — Dame ! Je l’ai dit.

LE PRÉFET. — Vous vous fourrez tous les deux le doigt dans l’œil.

LE DIRECTEUR DES POSTES. — Je vous jure que c’est la guerre avec la Turquie... toujours les Français gâtent tout !

LE PRÉFET. — Vous m’amusez avec votre guerre... C’est nous qui écoperons et pas les Turcs... Je le sais, j’ai une lettre.

LE DIRECTEUR DES POSTES. — Si vous en êtes sûr... évidemment, il n’y aura pas de guerre avec la Turquie.

LE PRÉFET. — Alors, Ivan Kouzmitch, que pensez-vous de cette visite ?

LE DIRECTEUR DES POSTES. — Mon opinion importe peu... Mais qu’en dites-vous, vous, Antone Antonovitch ?

LE PRÉFET. — Moi ? Je ne crains rien... mais j’avoue que... les marchands et les bourgeois m’intimident... On dit qu’ils me détestent... en toute franchise, si je ne me suis pas gêné avec eux, c’est sans aucune haine... je pense même (il prend le directeur des postes par le bras et s’écartant un peu)... je me demande s’il n’y a pas eu de plainte portée contre moi... Pourquoi diable, en effet, le révizor viendrait-il ? Écoutez-moi, Ivan Kouzmitch : ne pourriez-vous, pour notre bien à tous... toute lettre qui vous arrive et qui part... Vous comprenez... Comment dire ?... la décacheter légèrement et la parcourir... Nous verrons s’il y a plainte ou simple correspondance... puis on la cachette à nouveau... D’ailleurs... vous savez fort bien qu’on peut remettre la lettre décachetée...

LE DIRECTEUR DES POSTES. — Je sais... je sais... inutile de me donner des leçons... Je ne l’ai jamais fait par prudence, mais par simple curiosité... je meurs d’envie d’apprendre ce qui se passe dans le monde... Vous n’avez pas idée de l’intérêt de ces lectures... Il y a des jours où c’est une véritable jouissance... des détails d’une saveur !... et pour ce qui est d’être renseigné... je vous jure que ça vaut les Moskovskia Viédomosti... et autres feuilles de Moscou !

LE PRÉFET. — Mais alors... dites-nous si vous avez appris quelque chose sur ce fonctionnaire de Petrograd ?

LE DIRECTEUR DES POSTES. — Rien qui concerne celui-là... mais on parle beaucoup d’un certain fonctionnaire de Kostroma... Je regrette que vous ne lisiez pas ces lettres... il y a des passages palpitants... Ainsi, récemment... un lieutenant écrivait à son ami... à propos d’un bal sur un ton très enjoué... magnifique, mon cher, écoutez-moi ça : « Ma vie s’écoule comme dans un paradis... des jeunes filles en veux-tu, en voilà... de la musique tout le temps et des jeux... » et tout cela décrit avec un sentiment !... J’ai gardé cette lettre chez moi... exprès... Si vous voulez, je vous la lirai...

LE PRÉFET. — Il s’agit bien de cette lettre, aujourd’hui ! Alors, je compte sur vous, Ivan Kouzmitch... dès que vous tomberez sur une plainte ou une dénonciation, interceptez sans la moindre hésitation...

LE DIRECTEUR DES POSTES. — Avec grand plaisir.

AMMOSS PHIODOROVITCH. — Prenez garde, il vous en cuira un jour ou l’autre...

LE DIRECTEUR DES POSTES. — C’est qu’en effet... peut-être ?...

LE PRÉFET. — Nitchevo... cela ne fait rien... ce n’est pas une affaire d’État, ça se passe en famille...

AMMOSS PHIODOROVITCH. — Sale cuisine que tout cela... Je vous avoue, Antone Antonovitch, que je venais vous voir dans un autre but... pour vous entretenir du chien de chasse... Vous savez... le procès de Cheptovitch et de Varkhovineski... j’en profite... je chasse le lièvre chez l’un et chez l’autre...

LE PRÉFET. — Batiouchka, je me fiche pas mal de vos lièvres... j’ai ce maudit incognito qui ne cesse de me trotter dans la tête... de me tracasser. Il me semble tout le temps que cette porte va s’ouvrir et que... boum, la catastrophe !

SCÈNE III

LES MÊMES, puis DOBTCHINESKI ET BOBTCHINESKI,

ceux-ci entrent tout essoufflés.

BOBTCHINESKI. — Aventure extraordinaire !

DOBTCHINESKI. — Nouvelle inattendue...

TOUS. — Quoi ?... qu’y a-t-il ?...

DOBTCHINESKI. — Histoire fantastique !... Nous arrivons à l’hôtel...

BOBTCHINESKI(l’interrompant). — Nous arrivons, Piotr Ivanovitch et moi, à l’hôtel...

DOBTCHINESKI(l’interrompant). — Eh ! permettez, Piotr Ivanovitch... je vais raconter...

BOBTCHINESKI. — Ça non... permettez que je... attendez, attendez... vous ne savez pas vous exprimer aussi bien...

DOBTCHINESKI. — Vous vous embrouillerez et oublierez la moitié...

BOBTCHINESKI. — Je me souviendrai de tout, je vous le jure... très bien... Ne m’interrompez plus... laissez-moi parler... Je vous en prie, messieurs, dites à Piotr Ivanovitch de ne plus m’interrompre...

LE PRÉFET. — Au nom du ciel, parlez, messieurs... Je défaille... Veuillez vous asseoir, messieurs... prenez ces chaises... Piotr Ivanovitch, voici... (Tous s’asseyent autour des deux Piotr Ivanovitch.) Alors, voyons... que se passe-t-il ?

BOBTCHINESKI. — Permettez, permettez... commençons par ordre... Dès que j’eus le plaisir de vous quitter... vous laissant atterré après la réception de cette lettre... oui... alors, j’ai couru... je vous en supplie, ne m’interrompez pas, Piotr Ivanovitch... Je sais tout, je suis au courant de tout... Donc, que je vous dise... je cours chez Korobkine... Et ne le trouvant pas chez lui, je fais un bond chez Rastakovski... je me casse encore le nez... et vais ensuite chez Ivan Kouzmitch pour lui annoncer la nouvelle que vous avez reçue... C’est alors que je rencontre Piotr Ivanovitch...

DOBTCHINESKI(l’interrompant). — Près du kiosque où l’on vend des gâteaux.

BOBTCHINESKI. — Près du kiosque où l’on vend des gâteaux. Dès que je l’eus rencontré, je lui dis : « Connaissez-vous la nouvelle qu’Antone Antonovitch a reçue ? » Or Piotr Ivanovitch avait été mis au courant par votre bonne Avdotia envoyée je ne sais pour quel motif chez Philippe Antonovitch Potchetchouef.

DOBTCHINESKI(l’interrompant). — Pour un petit tonneau d’eau-de-vie française.

BOBTCHINESKI(le repoussant). — Pour un petit tonneau d’eau-de-vie française. Or donc, Piotr Ivanovitch et moi nous nous sommes rendus chez Potchetchouef... Allons, allons, Piotr Ivanovitch... je vous prie de... ne m’interrompez donc pas... Nous allons chez Potchetchouef et voilà qu’en route, Piotr Ivanovitch me dit : « Entrons dans ce traktir... je ne sais ce qui se passe dans mon estomac... je n’ai rien mangé depuis ce matin... tout se contracte là dedans... » Vous comprenez, messieurs, qu’étant donné l’estomac de Piotr Ivanovitch. « Et je sais que justement du saumon frais est arrivé ce matin... Nous y goûterons », me dit-il encore... Nous entrons donc, et à peine étions-nous installés que... un jeune homme...

DOBTCHINESKI(l’interrompant). — D’un extérieur assez agréable, vêtu d’une façon particulière...

BOBTCHINESKI. — D’un extérieur assez agréable, vêtu d’une façon particulière... ce jeune homme donc arpente la pièce... et son visage exprime une telle... méditation... et sa physionomie, ses gestes et... là... (Il appuie son index sur le front.) on sentait beaucoup de choses... J’ai eu comme un pressentiment et je dis à Piotr Ivanovitch : « Tout cela me semble bien louche. » Oui. Or Piotr Ivanovitch, d’un geste discret, avait déjà appelé le patron, le traktirchtchik Vlass... Sa femme a accouché il y a trois semaines d’un solide gaillard qui rappelle tout à fait son père et saura bien le remplacer plus tard... Vlass approche et Piotr Ivanovitch lui demande tout bas... « Qui est ce jeune homme ? » Et Vlass de répondre : « C’est... » Eh ! ne m’interrompez donc pas, Piotr Ivanovitch, je vous en prie, vous ne saurez rien raconter... Vous sifflez en parlant, à cause de votre dent, je le sais bien... « Ce jeune homme, répond Vlass, mais c’est un fonctionnaire. » Telles furent ses paroles. « Il arrive de Petrograd. Et quant à son nom... Ivan Alexandrovitch Khlestakof... il doit partir pour le gouvernement de Saratof... Il est très curieux... Voilà deux semaines qu’il est là... il ne quitte pas le traktir, prend tout à crédit et ne donne pas un kopeck. » Dès que Vlass eut fini de parler, j’eus d’en haut comme une inspiration : « Ohé ! » dis-je à Piotr Ivanovitch...

DOBTCHINESKI. — Pardon, Piotr Ivanovitch, c’est moi qui ai dit : « Ohé ! »

BOBTCHINESKI. — Vous avez commencé, j’ai fini... « Ohé ! » avons-nous dit tous deux. « Mais pourquoi diable reste-t-il ici puisqu’il doit partir pour le gouvernement de Saratof ?... » Et voilà... Il ne peut y avoir de doute... C’est le fonctionnaire...

LE PRÉFET. — Quoi ? quel fonctionnaire ?

BOBTCHINESKI. — Le fonctionnaire dont il est parlé dans votre lettre... le révizor.

LE PRÉFET(épouvanté). — Dieu ! Que dites-vous ? Ce n’est pas lui.

DOBTCHINESKI. — C’est lui. Il ne paye pas... ne s’en va pas... Qui pourrait-il être ?... Et son passeport marque Saratof comme point de destination...

BOBTCHINESKI. — Je vous jure que c’est lui... vraiment... il a une manière d’observer... rien ne lui échappe... Voyant que nous mangions du saumon... surtout à cause de l’estomac de Piotr Ivanovitch, comme vous savez... il a fixé nos assiettes avec un air... j’en fus terrifié...

LE PRÉFET. — Seigneur, aie pitié de nous, pécheurs que nous sommes... Mais quelle chambre occupe-t-il là-bas ?

DOBTCHINESKI. — Le numéro cinq, sous l’escalier.

BOBTCHINESKI. — Le même numéro où des officiers se sont battus... l’année dernière.

LE PRÉFET. — Est-il arrivé depuis longtemps ?

DOBTCHINESKI. — Depuis deux semaines environ... le jour de Vassili l’Égyptien...

LE PRÉFET. — Deux semaines ! (À part.) Batiouchka ! Seigneur Tout-Puissant ! Que tous les saints du ciel me viennent en aide !... La femme d’un sous-officier a été fouettée ces jours-ci... Les prisonniers n’ont eu aucune réserve de nourriture... Les rues sont ignobles... sales... Honte, scandale !

(Il se prend la tête dans ses mains.)

ARTEMI PHILIPPOVITCH. — Il n’y a qu’une chose à faire, Antone Antonovitch... se rendre en procession à l’hôtel...

AMMOSS PHIODOROVITCH. — Attendez !... que le clergé marche devant, puis les marchands... J’ai lu dans les Faits et gestes de Jean le Maçon...

LE PRÉFET. — Je vous en prie... permettez-moi de décider... J’ai traversé de plus dures épreuves... et non seulement je m’en suis tiré à merveille, mais encore que de félicitations !.. Dieu viendra à mon aide, je l’espère, aujourd’hui... (S’adressant à Bobtchineski.) C’est un jeune homme, vous dites...

BOBTCHINESKI. — Jeune... oui... vingt-trois à vingt-quatre ans environ.

LE PRÉFET. — Tant mieux... on sait plus vite à quoi s’en tenir avec un jeune... Les vieux démons vous assassinent... un jeune, ça a plus d’expansion... Allez, messieurs, mettez de l’ordre dans vos affaires... moi... j’irai seul... ou, tenez, avec Piotr Ivanovitch, tout simplement, comme si nous nous promenions... pour voir si les voyageurs se trouvent bien à l’hôtel... Eh ! Svistounof...

SVISTOUNOF. — À vos ordres.

LE PRÉFET. — Cours chez le commissaire... Vite !... ou plutôt... J’ai besoin de toi... reste... Va dire à quelqu’un là-bas de m’amener au plus vite le commissaire de police... Et reviens aussitôt...

(L’agent sort en courant.)

ARTEMI PHILIPPOVITCH. — Allons, en route, Ammoss Phiodorovitch... Qui sait si quelque malheur ne nous attend pas...

AMMOSS PHIODOROVITCH. — Qu’avez-vous à craindre ? Des bonnets propres à vos malades... et le tour est joué !

ARTEMI PHILIPPOVITCH. — Il s’agit bien de bonnets ! Nous avons reçu l’ordre de servir aux malades une soupe légère et fortifiante... et traversez donc nos corridors... ils puent le chou à se boucher le nez.

AMMOSS PHIODOROVITCH. — Moi, je suis tranquille... Qui viendrait au tribunal, en effet ?... Et si quelqu’un désirait fouiller dans les paperasses, je vous jure qu’il en aurait vite assez !... Voilà quinze ans que je suis en fonction... eh bien... dès que je reçois un rapport quelconque, je le rejette avec une sereine indifférence... Salomon lui-même y aurait perdu son latin...

(Le juge, le surveillant des œuvres de bienfaisance, l’inspecteur scolaire et le directeur des postes sortent et heurtent près de la porte l’agent de police qui revient.)

SCÈNE IV

LE PRÉFET, BOBTCHINESKI, DOBTCHINESKI ET L’AGENT

LE PRÉFET. — La voiture est toujours là...

L’AGENT. — Oui.

LE PRÉFET. — Va-t’en... ou plutôt, non... attends.. Descends et apporte... Mais où sont les autres ? Tu es donc seul ?... J’avais cependant donné l’ordre que Prokhorof fût toujours là !

L’AGENT. — Prokhorof est maintenant chez des particuliers... incapable de tout travail...

LE PRÉFET. — Pour quel motif ?

L’AGENT. — Eh bien ! voilà... ce matin on l’a trouvé ivre-mort... On lui a jeté à la tête deux seaux d’eau... impossible de lui faire reprendre ses esprits...

LE PRÉFET(se prenant la tête dans ses mains). — Seigneur Dieu ! Ciel !... Cours vite dans la rue... ou plutôt non... Va tout d’abord dans ma chambre, tu entends... prends mon épée et mon chapeau neuf... Alors, Piotr Ivanovitch, en route...

BOBTCHINESKI. — Moi aussi... emmenez-moi, Antone Antonovitch...

LE PRÉFET. — Non, non, Piotr Ivanovitch, impossible... Cela ne se fait pas... D’ailleurs, il n’y aurait pas de place dans la voiture.

BOBTCHINESKI. — Eh bien ! soit... je courrai après... J’aurais voulu... comprenez-vous... il me suffirait de voir à travers le trou de la serrure...

LE PRÉFET(prenant l’épée que lui remet l’agent et s’adressant à ce dernier). — Cours vite... réunis quelques dessiatskis1 et qu’eux-mêmes prennent des... Dieu, que cette épée est rouillée ! Maudit marchand Abdouline... il voit que le préfet a une épée trop vieille... et l’idée ne lui vient pas d’en envoyer une neuve... Ah ! les canailles ! Je suis sûr que ces bandits préparent déjà des requêtes en secret... Donc, que chacun se saisisse d’une rue... suis-je bête, d’une rue !... d’un balai, je veux dire... et que toute la rue soit nettoyée d’un bout à l’autre... la rue qui conduit à cet hôtel... et que tout soit propre... Compris ! Et toi... prends garde, je te connais, tu fais le rusé compère... et pendant ce temps-là, tu me voles des cuillères d’argent dans mes bottes... prends garde... J’ai des yeux et des oreilles... Qu’as-tu encore machiné avec l’étoffe du marchand Tcherniaief... hein ? Il t’avait donné deux archines pour mon uniforme... et tu as subtilisé le tout... Fais attention... tu exagères, jeune homme... Va !

SCÈNE V

LES MÊMES ET