Le ruisseau de l'insouciance - Rémi Faye - E-Book

Le ruisseau de l'insouciance E-Book

Rémi Faye

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Beschreibung

Depuis deux ans à la Brigade de Gendarmerie d’Olliergues, le truculent Adjudant-Chef Constant Goupil est à l’affût du moindre fait divers pour retrouver le panache de ses missions à l’Ile de la Réunion.

Quand soudain, contre toute attente, un meurtre va secouer les habitants du bourg du Brugeron. La nature inhabituelle du crime de Ferdinand, un coutelier radin au passé trouble, va mettre à rude épreuve le flegme du gendarme et de ses collègues.

Pensant avoir trouvé le coupable idéal en la personne de Léonce « le Fada » en raison d’indices qui l’accusent, l’Adjudant-Chef va vite se rendre à l’évidence que les vrais coupables ne sont pas les plus irréfutables mais bien les plus improbables.

Au cours de son enquête pleine de rebondissements, Constant Goupil va côtoyer toute une série d’étranges personnages au caractère bien trempé comme notamment le Maire Honoré de Gouttevin, généreux mais alcoolique, Céleste-Aurore, une charmante bigote ruinée par les frasques d’un père comte décédé, Émile et Mélusine, des anciens du village chaleureux et accueillants, une veuve allemande Wivine voisine de la victime ou encore Octavie, une mère abandonnée à un an devant les portes de l’église de Marat.

Trois adolescents Océane, Terry et Colleen vont, par leur joie de vivre et leur curiosité, faire avancer cette énigme en toute insouciance.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Rémi Faye :
Auteur depuis 2018 né à Clermont-Ferrand, j’ai exercé à partir de 1999 des missions au sein des collectivités territoriales. Attaché Territorial au Conseil Régional Auvergne-Rhône-Alpes, je suis actuellement Chargé d’Affaires Juridiques.
Mes activités extra-professionnelles sont nombreuses :
Président durant sept ans de l’Association du Personnel de ma collectivité.
Bénévole au sein d’associations participant à des projets d’attractivité du territoire, Trésorier et Vice-Président d’un Comité des Fêtes, organisateur d’animations pour une commune rurale.
Altruiste, j’aime m’impliquer dans les questions de société, de management des organisations, de prévention des risques psychosociaux, de bien-être et de développement personnel.
Mes centres d’intérêt sont le jardinage, la musique, la cuisine et les bons restaurants, sans oublier bien sûr la littérature (romans, essais et poésie).

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Jo-Rémi FAYE

Gravés dans nos mémoires, les souvenirs les plus profonds remontent parfois à la surface et régissent souvent notre existence.

Même l’Alzheimer n’efface pas toujours du cerveau un air fredonné dans le passé ou des plaisirs de la petite enfance comme une cueillette de fleurs.

Nous aimons retrouver les meilleurs d’entre eux, les faire partager à notre entourage. Ils agissent sur nous comme des caresses qui nous rappellent des heures précieuses de nos premières années.

Ce sont des lieux familiers, des bruits, des paysages, des personnes pittoresques qui sont devenues avec le temps nos propres héros.

Je me souviens ainsi de ce lieu de mon adolescence au cœur du Livradois-Forez, cette maison de pierres au Brugeron de mes grands-parents.

Une atmosphère si particulière se dégageait de cette grande pièce de vie aux poutres noircies par la fumée du poêle à bois, ces odeurs de tranches de couronne grillées les matins, les rituels de mon grand-père posant d’un geste sec sur la grande table à manger son béret gris ou ceux de ma grand-mère paternelle cherchant avec ses mains gercées par le froid et l’âge de l’eau à l’abreuvoir ou encore les chapelets de perle que les doigts magiques de ma grand-mère maternelle faisaient.

Mais comme dans un mauvais rêve, il arrive parfois que sur ce chemin de la vie, des traces indélébiles d’heures sombres ou d’histoires inachevées prennent le dessus sur la raison et fassent commettre l’irréparable.

À mes grands-parents

Ce sont tous ces souvenirs agréables ou tragiques qui façonnent ce que nous sommes et qui nous poussent parfois à l’acte … de l’écriture d’une histoire.

ACTE 1

1 - De bric et de broc

La place de la Mairie commençait à se remplir. Le grouillement de la foule se faisait peu à peu entendre. Venant parfois de loin et de bon matin, chineurs, collectionneurs et passionnés de tout genre, étaient nombreux à ce rendez-vous d’objets d’un passé bien présent.

Cette communion de personnes était habitée par la même envie, celle de trouver la bonne affaire dans cet amoncellement de bibelots étalés par terre ou sur des tables rudimentaires.

Arpentant les allées, ils allaient s’en donner à cœur joie, en ce premier week-end du mois d’août, pour dénicher la perle rare sur ces stands de vide-greniers faits de bric et de broc.

Cette nouvelle édition s’annonçait sous les meilleurs auspices et cela, d’autant plus, que le temps était au beau fixe. Depuis deux semaines, le mercure avait grimpé pour atteindre des valeurs avoisinant les 35° en milieu d’après-midi.

En cette matinée, l’Adjudant-chef Constant Goupil avait décidé de s’accorder pour une fois un répit, s’aérer l’esprit et flâner tranquillement d’un stand à l’autre. 

Il commença par feuilleter de vieilles cartes postales datant de la première guerre mondiale. Il admirait ces récits d’époque, des tranches de vie qui renaissaient le temps d’une lecture.

Sur un autre stand, il s’arrêta devant des jouets de son adolescence : un tricycle rameur Bambino (1), des boîtes de cubes en bois, une voiture ancienne pour enfants, un cheval à bascule, une vieille luge en bois. Sur la table étaient posés la bande-dessinée Les Aventures de Sylvain et Sylvestre (2) et le roman scolaire de cours moyen Gobe-Lune (3).

Son regard s’illumina soudainement lorsqu’il vit un peu plus loin un stéréoscope des années 50, un poste de radio à lampes, une radio TSF, ou encore d’anciens transistors Clipper et Océanic(4).

Que de bons souvenirs !

Ce vide-greniers contenait décidemment de précieux trésors. Constant Goupil ne regrettait pas de s’être levé tôt même si en général il avait pris l’habitude de faire la grasse matinée les week-ends.

Le reste de la semaine, il le passait à la Brigade de la Gendarmerie d’Olliergues, à résoudre entre autres de simples enquêtes de routine, à recueillir des plaintes de bruit de voisinage, à intervenir dans un rayon en moyenne de 30 km sur quelques faits de malveillance, sur des signalements de petits braconnages ou encore sur des vols à l’étalage, mais rien de vraiment trépident pour cet homme aguerri qui venait de fêter ses 54 ans. Pas même un cambriolage retentissant.

Depuis deux ans dans ce charmant petit bourg médiéval d’un peu plus de sept cents âmes, l’Adjudant-chef Constant Goupil, natif de Clermont-Ferrand avait passé ses quinze premières années professionnelles à la Brigade de Tauves. Celles-ci furent plutôt mouvementées. Accusé de profiter de l’absence d’un collègue pour « fricoter » avec son épouse, l’Adjudant-Chef Constant Goupil, sans attache, demanda précipitamment sa mutation à l’île de la Réunion pour éviter un scandale. Il prétexta à l’époque à son entourage qu’il avait toujours rêvé de se rendre sur cette île.

Il fut affecté au Peloton de Gendarmerie de Haute Montagne de la Réunion.

Là-bas, il fit la rencontre, à moins de deux kilomètres de Sainte-Suzanne (5), d’une réunionnaise Marinette Payet lors d’une balade à travers les champs de canne à sucre proche de la Cascade Niagara (6).

Marinette Payet habitait dans l’une des cases créoles d’Hell-bourg (7) et aidait son père ouvrier agricole dans les champs de canne à sucre. Il l’épousa un an plus tard. Avec Marinette, il filait le parfait amour. Ses missions au Peloton de Gendarmerie de Haute Montagne lui plaisaient beaucoup.

Jusqu’au jour où il fit une chute sur les coulées de lave du Piton de la Fournaise (8). Blessé à la jambe, Constant Goupil voulut retourner à la métropole. À l’âge de 52 ans, il fit un retour aux sources pour atterrir à la brigade de proximité d’Olliergues.

Depuis son arrivée, il s’était déjà fait une réputation dans tout le Livradois-Forez pour ses excès de zèle lors des contrôles routiers ou encore à trop vouloir jouer le vieux beau.

En effet, Constant Goupil ne passait pas inaperçu : plutôt joufflu, un nez proéminant, un peu d’embonpoint, les yeux marrons, le teint mat, légèrement barbu avec une moustache en guidon légèrement courbée aux deux extrémités, il ne ressemblait pas vraiment aux habitants du coin. Lorsqu’il était en civil, sa tenue n’avait rien de militaire : il avait gardé quelques souvenirs de la Réunion, notamment une chemise de couleur orange vif à grosses fleurs tropical qu’il n’hésitait pas à porter l’été.

Après avoir fait son bain de foule, Constant Goupil leva les yeux et contempla le château fort qui surplombe ce village, cette ancienne demeure des « La Tour d’Auvergne », où le maréchal de Turenne passa son enfance.

Il s’était attaché au village d’Olliergues installé dans un méandre de la Dore, au cœur du Parc Naturel régional Livradois-Forez, surnommé « Toscane Auvergnate, à ses vieilles demeures des XVème et XVIème siècle à tour d’escalier sur rue, à son vieux pont médiéval en dos d’âne, à ses habitants, leurs modes de vie et à leurs traditions.

L’étrange clocher en bois de l’église gothique paroissiale Notre-Dame d’Olliergues datant du XVIème siècle se mit à sonner. Il se dit qu’il était temps de faire les courses que Marinette lui avait demandées.

Il profita de la présence de quelques marchands de fruits et légumes qui s’étaient installées pour l’occasion. L’un d’entre eux proposait différentes variétés de pommes de terre la Bleue d’Auvergne, la Belle de Fontenay, la BF 15, la Ratte. Il y avait aussi des melons de cavaillon et des lentilles vertes du Puy.

Mais Constant fut surtout attiré par un large panel de tomates insolites en forme de poires de couleur jaune, la Lemon Tree, la Téton de Vénus ou encore des petites violettes Indigo Rose qui deviennent ensuite noires. Cela l’amusa d’en prendre, elles lui faisaient penser au teint de peau de Marinette.

Âgée de trois ans de moins que lui, son épouse qu’il appelait par son petit nom « Pitouche » avait une peau ambrée, des cheveux noirs volumineux défaits sur les épaules, un sourire toujours gracieux « en tranche de papaye », un regard vert-noisette, des yeux couleur or, des seins et des fesses imposants. Constant aimait particulièrement ses formes très généreuses.

Plus que quelques minutes avant de retrouver sa femme. Il ne lui restait plus qu’à acheter du fromage et de la charcuterie : il prit deux morceaux de Fourme d’Ambert et de Montbrison, du Gaperon-chèvre, et un saucisson aux noix de pays.

Il regagna son domicile juste au-dessus des jardins en terrasse constitués de murets en pierre sèche, et situés sur le coteau qui surplombait le bourg. Il s’agissait d’une charmante maison de bourg en pierre de 90m2 qui avait une vue sur la rivière de la Dore.

La porte s’ouvrit et il sentit immédiatement des odeurs épicées qu’il connaissait bien.

Marinette se planta devant lui :

⸺ C’est à cette heure-ci que tu arrives mon chouchou ? J’ai bien cru que j’allais tout faire brûler ! Tu n’as rien trouvé au vide-greniers ?

⸺  J’ai surtout vu du monde, affirma Constant. Il y avait plein d’objets anciens des années 50 et 60. J’avais envie de marchander un vieux transistor.

Elle leva les yeux au ciel :

⸺ Mais qu’est-ce que tu voudrais qu’on en fasse ? Encore un ramasse-poussière de plus !

Elle s’approcha de lui et le prit dans ses bras :

⸺ Je préfère écouter de la musique et danser le maloya (9) avec toi plutôt que d’allumer une radio grésillant qui mériterait un scanner !

Il se mit à rire :

⸺ Ah toi, tu as toujours le mot pour rire.

Elle partit d’un bon pas vers la cuisine :

⸺ Allez, viens à table. Je t’ai préparé un gratin de chouchous (10) et un cari de poulet au combava-gingembre (11) ! Tu rêvais en manger à nouveau. On pourra remercier nos amis de Saint-Philippe (12) de nous avoir envoyé par colis tous ces produits.

Il se lécha par avance les babines rien qu’à l’idée d’en manger et ne tarda pas à se mettre à table.

⸺ Sacrée « Pitouche », il n’y en a pas deux comme toi pour toujours me faire plaisir ! s’exclama-t-il.

⸺ J’accepte de le faire mais à une condition, que mon Adjudant-chef ne soit pas grognon, lui répondit-elle.

Constant pris le plat à gratin pour servir Marinette :

⸺ Veux-tu s’il te plait me passer ton assiette ?

Elle fronça les sourcils et se leva d’un coup le regard fusilleur :

⸺ Ah non ! tu connais la tradition ? un Réunionnais n’aime pas qu’on le serve ! »

⸺ Ah oui ! C’est vrai j’avais oublié ! s’esclaffa-t-il.

⸺ Serais-tu donc resté « zoreil (13) » ? l’interrogea Marinette.

Elle aimait bien parfois le titiller mais cela était toujours fait dans un esprit bon enfant.

⸺ Cela te dirait-il que demain nous allions au Col du Béal profiter du « Festin de la Bruyère et des Auteurs » ? proposa Marinette.

C’était la 2ème édition du « Festin de la Bruyère et des Auteurs ». Il s’agissait d’une fête qui avait lieu le 1er dimanche d’août. Le nom de cette fête était un jeu de mots : « De la Bruyère et des Auteurs » car, à la fois, cela faisait allusion à l’écrivain Jean de la Bruyère, mais aussi, au Col du Béal, en raison des landes de bruyère à perte de vue.

Cette fête avait pour objectif de concilier la littérature, avec la présence d’auteurs et la nature, les hauteurs du Col du Béal, un des cols du Mont du Forez qui culmine à 1 390 m d’altitude. Pour symboliser cette hauteur, les organisateurs avaient installé un mât de cocagne. Il s’agissait d’un jeu traditionnel consistant à grimper en haut d'un poteau que l’on avait pris soin de savonner auparavant pour attraper au sommet des lots à gagner suspendus à des endroits les plus inaccessibles possibles.

Des artistes et des artisans venus sur place en profitaient pour présenter leurs œuvres d’arts et quelques stands faisaient la promotion de produits locaux.

Constant semblait ravi.

⸺ C’est une excellente idée, « Pitouche », ça nous sortira, annonça-t-il.

Constant et Marinette se mirent à manger, il n’y avait plus un bruit dans la cuisine. Le repas était un délice. Les différentes préparations de Marinette avaient réchauffé les pièces de la maison et plus les heures s’écoulaient, plus la chaleur devenait insupportable. Ils étaient tous les deux en sueur.

Dehors, il faisait un soleil de plomb. Le thermomètre frôlait les 40° à 16h.

Après avoir pris une douche ensemble, ils décidèrent de partir dormir à la belle étoile pour se rafraichir en direction des Hautes-Chaumes du Forez, du côté du Col du Béal.

2 - À couteaux tirés

Constant et Marinette adoraient ces hauts plateaux dénudés à couper le souffle aux airs d’highlands écossais. Sur ces terres sauvages, la gentiane et la myrtille étaient les reines. 

Ils aimaient souvent se promener à travers ces vastes étendus de landes parsemées de tâches pourpres de bruyères et de plants de myrtilles. On pouvait apercevoir au loin des jasseries, ces anciennes fermes d’estive au toit de chaume où autrefois étaient affinées les Fourmes.

Une vue époustouflante au-dessus du Col du Béal à 1 432 m d’altitude attendait les randonneurs quand ils arrivaient à la table d’orientation de Roche Courbe. Par temps clair, on pouvait deviner à l’est les Monts du Beaujolais, le Mont Blanc et les Alpes.

Constant et Marinette décidèrent de s’allonger juste à côté de cette table d’orientation. Ils pouvaient enfin respirer : la température en ces lieux à 22h n’allait pas dépasser les 20°.

Ils étendirent une couverture sur le sol. Certes, ce n’était pas très confortable car une fois couchés, quelques brindilles de bruyères se faisaient sentir sous leur corps, mais cela en valait la peine.

Aux informations, ils avaient entendu qu’il y aurait cette nuit-là une pluie d’étoiles filantes. Ils allaient pouvoir assister à un magnifique spectacle avant de fermer les yeux et de se réveiller le lendemain matin pour profiter de la fête sur place.

Constant se réveilla au petit jour, une légère brume planait au-dessus de l’auberge du Col du Béal. Déjà plusieurs voitures arrivaient sur les lieux où allaient se produire la fête.

Constant caressa doucement la joue de Marinette dans l’espoir de la réveiller.

⸺ Ferme la fenêtre j’ai froid, maugréa-t-elle.

Il pouffa de rire :

⸺ Ben voyons, je te rappelle que nous sommes dehors, en pleine nature. Il va falloir te réveiller. Nous n’allons plus bien longtemps être seul. Les gens arrivent.

Elle finit par ouvrir un œil, puis deux …

⸺ Mais qu’est-ce qu’on fait là ? dit-elle, tout étonnée.

Constant commençait à s’impatienter :

⸺ Aurais-tu oublié que c’est toi qui a voulu venir ici te rafraichir les idées et profiter du cadre dès les premières lueurs du jour avant le début du « Festin de la Bruyère et des  Auteurs » ?

⸺ Ah oui c’est vrai, soupira-t-elle. Je m’habille et on part à l’auberge déjeuner. C’est entendu.

C’était exceptionnel. L’auberge ouvrait ses portes dès 8h30 ce matin-là pour permettre aux touristes et randonneurs de passage de prendre un petit déjeuner.

D’habitude, elle n’était ouverte que certains midis et soirs des fins de semaine ou le week-end.

Sur la carte de menu, était proposé notamment le patia, cette spécialité typique auvergnate de pommes de terre noyées dans la crème fraiche qui cuisaient toute la journée dans une marmite en fonte. Elle était accompagnée d’une salade verte et de charcuterie de pays. Une tarte froide à la myrtille servie avec une boule de glace vanille était également proposée en dessert.

⸺ Deux chocolats chauds, deux crêpes au miel de montagne, commanda Marinette à la serveuse.

Sur les tables, plusieurs petits pots de confiture et des tranches d’une couronne dans une panière étaient posés. Le choix des confitures étaient conséquents : de la confiture de mûre-myrtille, de la marmelade de coing au thym-citron mais aussi de la gelée de bruyère.

La curiosité de Constant fut plus forte que tout. Cela lui rappela l’île de la Réunion quand il s’était arrêté sur la route de Maïdo(14) acheter de la gelée de géranium avant de poser la voiture quelques kilomètres au-dessus pour admirer l’impressionnant point de vue sur le cirque de Mafate(15) : il ouvrit le petit pot de gelée de bruyère. Il en étala un peu sur une des tranches de pain : c’était magique, il avait l’impression de déguster ce qu’il humait de si agréable dans ces lieux empreints de mystères et de légendes.

Vint enfin le moment tant attendu par la foule : le début de la fête. Elle se déroulait sur un terrain face à l’auberge de l’autre côté de la route. De là, on pouvait distinguer à la cime Pierre-sur-Haute, cette station hertzienne militaire à 1 634 m d’altitude.

De nombreuses animations étaient prévues tout au long de la journée, des folklores de différentes régions : de la bourrée auvergnate, des bandas (16) et même des bagads (17) de Bretagne et d’Écosse.

Sur place, des producteurs locaux étaient venus vendre les produits de leur ferme, leur miel, du pain d’épices, de l’hydromel(18), du birlou(19), des liqueurs de pissenlit et de gentiane. Des artisans montraient aussi leur savoir-faire : des souffleurs de verre, des ferronniers, des sabotiers et des couteliers. Une partie de l’espace était également occupée par une trentaine d’écrivains régionaux et un stand faisait la promotion du Papier du Moulin Richard de Bas (20).

Des bottes de foin avaient été posées un peu partout pour permettre aux visiteurs de s’asseoir.

Vers 10h30, commença la messe en plein air. Le Père Jean-Noël Saint Pierre avait accepté de faire le déplacement de l’église d’Olliergues au Col du Béal pour célébrer cette messe en ces lieux près des cieux. Même âgé de 71 ans et fatigué, il n’aurait pour rien au monde voulu manquer ce rendez-vous qui le plaçait, comme il le disait lui-même, plus près du Seigneur.

Marinette aimait bien ce curé de campagne au passé de résistant. Elle se rendait assez souvent à l’église et allait souvent se confesser. Il s’agissait plus pour elle de raconter les petites faiblesses de son mari que de parler d’elle. Cela lui procurait une forme de catharsis. Le fait d’être écoutée et parfois conseillée par le Père Jean-Noël la rassurait et lui faisait retrouver le sourire.

Durant l’heure de messe, le temps semblait s’être arrêté sauf pour l’Adjudant-Chef Constant Goupil qui commençait à regarder sa montre et à taper des pieds sur ce sol tellement sec qui souleva de la poussière jusqu’à ses narines.

Il se mit à éternuer et à tousser bruyamment.

⸺ Veux-tu bien vite t’arrêter ? On se fait remarquer, s’emporta Marinette.

Constant soupira :

⸺ Hélas ! Je n’y peux rien ! Elle n’en finit plus cette messe. J’ai mon ventre qui crie famine, pesta Constant.

Marinette regarda du côté du banquet :

⸺ Ne sois pas aussi impatient. La messe se termine. C’est vrai que toutes ces odeurs sont alléchantes, mais il n’y en a plus pour très longtemps.

En effet, pas très loin d’eux, une truffade géante prête à être servie finissait de chauffer dans de gigantesques poêles. Pour ce festin du midi, les bénévoles avaient installé des bancs et de grandes tables pliables.

Constant dut attendre la fin de la communion eucharistique. Il se leva, suivi de Marinette, pour être les premiers à table et découvrir cette fameuse truffade avec son jambon de pays. Mais au moment où ils s’apprêtaient à prendre place sur l’un des bancs, Constant se fit bousculer par Océane et Terry, deux adolescents qui s’amusaient à se poursuivre entre les tables.

Constant se redressa, visiblement agacé.

⸺ Les enfants doucement ! La truffade, ce n’est pas la débandade ! Faîtes comme tout le monde. Asseyez-vous et mangez au lieu de vous chamailler.

Si Terry était plutôt de nature réservé pour ses 14 ans, Océane était une jeune fille de 13 ans pétillante et plutôt délurée.

⸺ Excusez-moi M’sieur, on ne fait que s’amuser … Et puis c’est la fête ! lança Océane à Constant.

Constant ne semblait pas s’être remis de l’incident :

⸺ Je vois … je vois, sachez jeune fille que cela pourrait bien être aussi votre fête si vous continuez. Je vous informe qu’en tant qu’officier de police judiciaire assermenté, je dois vous rappeler certaines règles. La première d’entre elle, la politesse.

Marinette s’empressa de le calmer :

⸺ Enfin, mon chouchou ! ce ne sont que des enfants. Ils n’ont pas fait exprès.

⸺ Si tu le dis ! Ça ira pour cette fois-ci ! Allez ouste, je ne veux plus vous voir, ordonna Constant à Océane et Terry.

Les deux adolescents s’éloignèrent immédiatement.

Peu à peu, les tables se remplirent de convives et les conversations fusèrent de toutes parts.

Constant paraissait contrarié. Marinette le vit et n’attendit pas :

⸺ Ne te mets pas ainsi dans tous tes états. Cela ne doit pas te couper l’appétit. Prends un peu plus de truffade.

⸺ Oui, tu as raison, lui répondit-il.

Le repas s’acheva sur un savoureux dessert, un gâteau moelleux aux myrtilles accompagné d’une boule de glace à la gentiane. De quoi régaler n’importe quelles papilles !

Soudain, au moment où Constant avalait la dernière bouchée de sa part de gâteau, des cris, des hurlements puis des injures s’entendirent du côté des stands des artisans.

Il s’agissait de celui du coutelier.