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Les secrets de famille sont bien gardés, jusqu’au jour où un événement inattendu, tragique vient lever un coin du voile. Vient alors le temps de la quête pour découvrir la vérité. C’est ce qui arrive à Jules, jeune et talentueux journaliste et Emilia sa mère. Une histoire de filiation, d’enquête, d’errance et d’amour dans un pays étranger soumis à l’enfer de la dictature.
À PROPOS DE L'AUTRICE
"Le secret d’Emilia" est le premier roman d’
Alix Roche. Il fait suite à la publication d’une biographie romancée "Joanna", et d’un recueil de nouvelles et d’histoires courtes "A l’ombre des Oliviers" paru en 2023.
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Seitenzahl: 161
Veröffentlichungsjahr: 2024
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AlixROCHE
Le Secret d’Emilia
ROMAN
Photographie1
« Dans la vie, il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous »
Paul Éluard
Il est 21.30, quand le TGV entre enfin en gare Saint-Charles. J’attrape mon sac à dos et pars prestement dans la nuit. Je m’ambiance avec « Happy », la chanson de Pharrel Williams, et file en direction de la Porte d’Aix, impatient de rejoindre mon appartement.
Avec un vrai boulot, je peux enfin me loger correctement. J’ai même trouvé un colocataire, Théo pour limiter les frais. Il est photographe pigiste, dans le même journal que moi, à MarsInfo. Il a l’air très sympa, on va bosser ensemble.
J’ai vraiment de la chance ! L’appartement est situé à l’intersection de la rue de la République et de la rue Fiocca. À mi-chemin entre l’hôtel de ville et l’hôtel de Région. À deux pas du vieux port, l’agent immobilier ne tarissait pas d’éloges et d’arguments pour me le louer.
J’ai le sentiment que les planètes sont parfaitement alignées pour moi en ce moment.
Demain s’ouvre une nouvelle page de ma vie, celle tant attendue, de journaliste à temps plein ! Fini de quémander les articles au petit bonheur la chance, comme c’est le cas depuis la fin de ma formation à l’EJCAM1.
Je suis si heureux !
Je prends enfin mes fonctions, en qualité de titulaire. Je me sens comme un écolier la veille de la rentrée scolaire. Je vérifie mon matos, je relis mes fiches, une main sur le front, les doigts jouant dans les boucles de mes cheveux noirs.
Un tic que j’ai de l’enfance.
Cette fois-ci, c’est du sérieux, Louis, mon futur patron me l’a confirmé, juste avant les fêtes. J’en profite pour partir quelques jours en famille, à Bonneville en Haute-Savoie, avec mes parents et mes sœurs Mathilde et Rose, avant de commencer. Je ne les ai pas revus depuis l’été.
C’est vraiment chouette de se retrouver tous ensemble !
La neige est au rendez-vous sur les hauteurs. Nous nous offrons une virée à Avoriaz, avec Papa, pour un « Free Ride Day ». Cette sensation de liberté, le soleil dans les yeux, des embruns de neige sur le visage, un vrai bonheur !
Avec la crise du décolletage, Bonneville est devenue un peu vieillotte, mais les fêtes de fin d’année restent magiques. Maman a magnifiquement décoré la maison, le sapin occupe le salon, habillé de figurines, de rubans rouges et blancs.
Le réveillon fut un vrai festin, la ribambelle de plats et de friandises faites maison, sur le thème « recettes du monde » a ravi tout le monde. J’avais apporté en plus quelques douceurs de Provence, nougats et calissons du Roy René, une petite bouteille de vin cuit pour le dessert, Papi Nicolas et Mamie Céline étaient aux anges.
J’ai été gâté comme jamais ! Toute la famille s’est cotisée pour m’offrir le Mac book Air, un ordinateur portable léger et tout fin, facile à emporter pour les reportages, afin de marquer le coup pour mon nouveau Job. Je ne m’attendais vraiment pas à un tel présent. Je suis trop content.
À la tombée de la nuit, les illuminations embellissaient la ville, dans une féerie colorée et joyeuse. Nous avons profité de chaque instant, l’occasion, durant ces quelques jours de retrouver les copains. La plupart d’entre eux sont partis à Lyon ou à Paris pour leurs études supérieures ou pour leur job. Ils sont rentrés dans leur famille pour les fêtes, tout comme moi.
Ma famille compte beaucoup à mes yeux.
Mon père, Antoine Dumontaz, est un homme plutôt grand, les cheveux clairs grisonnants, les yeux d’un bleu acier, la cinquantaine flamboyante. Spécialisé dans le décolletage2, il est patron de l’une des nombreuses entreprises de la vallée de l’Arve, une sorte de district industriel à l’italienne. Il a repris l’usine familiale de son père « Dumontaz SARL » et l’a complètement modernisée. Ces dernières années, près de la moitié des grandes locomotives du secteur sont passées sous le contrôle de fonds de pension, ce qui a anéanti leur niveau d’investissement et la compétitivité de la filière. Heureusement pour lui, Papa a le contrôle de l’entreprise.
C’est un bosseur, assez solitaire. Contrairement à son frère, il est resté au pays. Aussi, pour recharger ses batteries, il part souvent en altitude faire quelques sommets ou s’évader en ski hors-piste.
Nous avons ça en commun : l’amour de la montagne et de l’alpinisme.
C’est un homme affable, amoureux fou de sa femme. C’est très touchant, les années passées n’ont rien entamé de leur amour.
Emilia, ma mère, très brune et menue, a grandi à Barcelone. Elle en a conservé un petit accent, surtout quand elle prononce les « r ». Ça donne à son expression, une intonation très chantante, roucoulante. Sans famille, elle a été chaleureusement accueillie par mes grands-parents paternels qui ont trouvé en elle, la fille qu’ils n’ont jamaiseue.
Je l’adore. Elle est pêchue, elle aime la littérature, la politique et les grands espaces. Elle noircit quotidiennement des carnets en moleskine, avec des petits poèmes ou des textes sur ce que lui inspire le temps présent, précieusement rangés dans un tiroir de sa chambre. Je lui ai piqué cette habitude des carnets, pour mes articles, même si j’ai toujours mon portable avec moi.
Maman est très avenante, elle accueille toujours chacun avec un grand sourire aux lèvres, mais elle a aussi son jardin secret. Gare aux indiscrets !
Mes petites sœurs ressemblent à Papa physiquement, les yeux clairs et de longs cheveux blonds raides comme des baguettes, la peau claire, sensible au froid et au soleil. Mathilde a la bosse des maths. Elle prépare Polytechnique. Elle est très réservée, tandis que Rose est plus chaleureuse, extravertie, plus tactile aussi. Elle veut êtrekiné.
Moi, j’ai toujours le pied en l’air, prêt à partir à l’aventure, un stylo à la main, un carnet dans la poche, à l’affût de l’actualité. Côté physique, j’ai plutôt pris de Maman, je suis un genre de latin lover, très brun, la peau mate. Sans me flatter, on me dit que je suis plutôt BG3.
Pas de problème avec les filles, reste juste à trouver la bonne. Haha !
Il fait très beau, mais froid ce matin. Je vais bâcher. Un bon jean, une chemise blanche, une veste en cachemire, fine, mais bien chaude, mon blouson de cuir rembourré, des boots.
L’élégance dans la décontraction. Je ne veux pas être négligé.
Nous arrivons avec Théo, dans un immense « open space » très lumineux. Pas de bureau attitré pour les journalistes, ici c’est premier arrivé, premier servi. L’ambiance est chaleureuse et joyeuse en ce début d’année.
À la conférence de direction du journal, Louis a réparti le boulot, consacré prioritairement aux vœux des personnalités. Il a défini la ligne éditoriale. La liste des interviews à réaliser qui m’est attribuée est impressionnante. C’est du non-stop, sur presque trois semaines, car il y en a toujours un pour organiser sa cérémonie, le dernier jour du mois de janvier. Mais ce n’est pas pour me déplaire. Je veux saisir ma chance.
Chaque année, les vœux à la Presse sont un véritable marronnier que nul journaliste ne peut éviter. Les correspondants se pressent dans la foule, se bousculent devant les tribunes, à l’affût de l’expression qui fera mouche dans un article au titre choc.
De leur côté, les représentants de l’État, les grands élus, rivalisent d’imagination pour faire entendre leur voix auprès du grand public, leur électorat, leurs alliés. Ils ont peaufiné leur discours, souvent préparé par leur directeur de cabinet, retouchant de-ci de-là une expression, une accroche pour le rendre plus percutant, une petite phrase assassine qui tapera dans le mille, un bilan flatteur de leur action sur l’année écoulée, les grands projets à venir. Leur intervention sera déclamée comme il se doit, autour d’un buffet généreux et sans doute très coûteux.
Un article dans la presse n’a pas deprix.
Louis est exigeant, c’est normal. Comme il l’a rappelé ce matin à toute l’équipe, il demande rigueur, réactivité et professionnalisme. Il m’a dit qu’il me faisait confiance, mais il faut que je fasse mes preuves, si je veux rester. Ce type de boulot est très convoité. Je ferai ce qu’il faut pour être disponible, ponctuel et surtout, je soignerai mon style, mon point fort, c’est ce qui fera la différence.
Juché sur la moto du journal, accompagné de Théo, je vais enchaîner les cérémonies et si je peux, je les compléterai de quelques interviews. J’ai minutieusement préparé mes rendez-vous, je suis encore peu aguerri, mais j’apprends vite.
En ce début d’année 2010, en Provence, le sujet qui fait mouche est celui de la Métropole. Le rapport Balladur a planté le décor à partir duquel Nicolas Sarkozy a construit son projet de réforme territoriale.
Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle ne laisse pas indifférent.
Un pavé dans la mare !
Le Conseiller territorial, qui pourrait supplanter les conseillers généraux et régionaux et l’idée de Métropole, ont mis le feu aux poudres dans la cité phocéenne et le pays d’Aix. Les positions sont tranchées. Il s’agit pour nous de mettre en évidence les différents points de vue. Depuis toujours, Aix, la terrienne et Marseille, porte de l’orient tournée vers la mer, sont rivales.
L’État tente de se poser en arbitre.
Marseille n’a pas bonne réputation. Les classes aisées du pays d’Aix ne voient en elle que les « quartiers nord », la drogue et les affaires. C’est un peu injuste. Marseille a également de beaux atours et un charmefou.
Je commence ma tournée, par le Président de la Communauté Urbaine Marseille Provence Métropole au palais du « Pharo ». On y a une vue imprenable sur le vieux port et le fort Saint-Jean.
Dieu que c’est beau !
Dès son introduction, Eugène Caselli, le président socialiste, appelle les agglomérations voisines de Marseille à constituer une « métropole élargie », centrée sur les grands projets autour de Marseille pour rayonner sur la façade méditerranéenne et en Europe du Sud.
On ne saurait être plus clair. Il souhaite que la métropole provençale puisse concurrencer à l’avenir Barcelone et Milan.
J’enregistre l’ensemble des propos de l’homme politique. Dès mon retour au journal, je rédige une première analyse. Je suis à la fois totalement excité, enthousiaste et inquiet de savoir ce que l’on va penser de mon premier jet.
Je n’ai pas eu longtemps à attendre. Ma foi, apparemment, j’ai convaincu tout le monde ! Ce n’est pas sans fierté que j’ai appris que mon article était validé après quelques corrections mineures. Mes collègues m’ont chaudement félicité d’une grande tape dans le dos, d’un clin d’œil ou d’un sourire. Ça fait plaisir et c’est motivant.
Aujourd’hui, je file vers Aix, à l’hôtel de ville, pour entendre ce que Maryse Joissains répond à cela. Je ne suis pas déçu.
Il règne une ambiance fébrile et impatiente. Elle a mobilisé ses troupes. « Elle a la gagne ». La proposition d’Eugène Caselli ne sied pas du tout à la présidente (UMP) de la Communauté du Pays d’Aix qui est connue pour ne pas mâcher ses mots. Celle-ci se déclare favorable « à l’idée d’organiser une fédération des intercommunalités » et à la notion de « pôle métropolitain », autour du bloc communal.
C’est une façon pour elle, d’obtenir le statuquo.
Mais elle cherche manifestement à donner des gages au Président de la République pour son projet de Conseiller territorial en avançant l’idée d’un deuxième bloc Région/Département. Elle a besoin de son soutien.
Pour l’heure, ce n’est pas conforme au projet de réforme concocté par Paris. Mais le débat est lancé, j’ai tout ce qu’il me faut pour préparer un dossier pour le journal sur le sujet.
Le 25 janvier, le ciel est très gris, il tombe quelques flocons de neige, ce qui est assez rare à Marseille. Les routes sont saturées. C’est la panique totale. C’est malheureusement ce jour-là que le Président de Région a choisi pour présenter ses vœux à la presse en fin de journée.
Alors que je prends l’A51, pour rejoindre l’hôtel de région, mon téléphone se met à vibrer. Je ne peux pas prendre la communication. Je poursuis mon chemin, car le temps compte et je dois être prudent au regard de la circulation perturbée.
Cette rencontre est importante, car les prochaines élections régionales pourraient bien être les dernières, si le conseiller territorial voyait lejour.
Photographie 2
À l’entrée, il nous faut montrer nos cartes de presse. Dans le déambulatoire trône encore un gigantesque sapin décoré de grosses boules rouges. Une myriade d’hôtesses nous accueille et nous oriente vers une cour couverte d’un chapiteau pour la réchauffer.
La Région a sorti le grand jeu. Une mise en scène digne d’un grand spectacle nous attend. Un saxophoniste joue un air de jazz, donnant un côté très festif à la cérémonie. Les buffets sont appétissants. Un écran géant est dressé, sans doute pour y projeter un petit film sur les réalisations de l’année. Il y a un brouhaha très fort, en raison du monde présent. On ne s’entend pas sans crier un peu.
C’est au moment où commence le discours de Michel Vauzelle que mon téléphone se remet à vibrer. J’y jette un œil rapide, compte tenu de l’importance de l’intervention que je ne veux pas manquer.
C’est Rose, elle veut sûrement savoir comment ça se passe, la petite curieuse !
Ce n’est pas le moment.
Je l’appellerai cesoir.
Alors que le Président de Région en appelle à sauver « le fait régional », je reçois un SMS de Rose :
–Rappelle-moi, c’est urgent !!!!
Je me résous à la recontacter.
Je fais signe à Théo d’enregistrer le discours avec son portable et décide de joindre immédiatement Rose. Tout en pianotant son numéro, je sors de la cour, à la recherche d’un endroit calme et plus discret où je pourrai l’entendre.
–Allo, Rose ? Mais, que se passe-t-il ?
Rose sanglote tellement fort que je ne comprends rien à ce qu’elledit.
–Calme-toi Rose, rien de grave ? Explique-moi ! Tu m’inquiètes !
–Oh, Jules, c’est affreux, c’estPapa.
–Quoi, Papa ?
Rose bredouille quelques mots. J’entends, vallée blanche, avalanche, mais je n’ose imaginer le pire.
Je blêmis, pris d’une angoisse soudaine.
–Papa est mort !
–Quoi ? NOOOON !!!!! Je n’ai pu réprimer un grand cri.
–Son corps a été retrouvé ce matin. Il sera rapatrié dans un ou deux jours.
Pris d’un vertige épouvantable, mon mobile tombe parterre. Une hôtesse me voit et me propose de m’asseoir.
Elle m’apporte un verre d’eau, s’approche et me rend mon iPhone.
–Ça ne va pas Monsieur ? me dit-elle
Incapable de répondre, je bois une gorgée d’eau, déglutis difficilement et reprends la communication avec ma sœur qui pleure bruyamment.
–Rose, dis-je d’une voix blanche d’émotion, Rose, je vois avec mon patron, il comprendra, j’en suis persuadé. Je prends le premier train. Essaie de te calmer, j’arrive au plus vite !
Dans le train qui me ramène à Bonneville, je suis comme tétanisé, la nouvelle m’a complètement assommé. Je regarde le paysage défiler, les yeux dans le vague, mes pensées vagabondent. Me reviennent en flash, les images de ma vie, les moments de tendre complicité avec mon père, les clins d’œil, les sourires entendus devant « les femmes » de la maison, les engueulades aussi.
Je me souviens des fêtes, il y a moins d’un mois. Jamais au grand jamais, je n’aurais cru qu’il s’agirait des dernières à ses côtés.
Je ne peux me résoudre à la réalité du décès de Papa.
Comment est-ce possible ?
Les questions sur ce qui a pu se passer concrètement me taraudent : mon père était un alpiniste expérimenté, comment a-t-il pu se faire prendre par une avalanche ? A-t-il pris des risques inconsidérés ou n’a-t-il pas eu de chance ? Il sait combien la montagne peut être cruelle. Mais lui, lui dont l’expression favorite était « un homme averti en vaut deux », comment a-t-il-pu se faire piéger ?
Je pense à ma mère et à mes sœurs. Et mes grands-parents ! Ils ne s’en remettront jamais ! Il était leur fierté, leur pilier, leur référence. Pour un oui ou un non, il fallait parler à Antoine, plutôt qu’à Jacques son frère, tellement sensible et imprévisible. Je souffre intensément poureux.
Je ressens comme un vertige, face au vide. J’aimais tant mon père. Je suis infiniment peiné, mais aussi très en colère. J’avais encore besoin de lui ! Je ne suis pas leseul.
Au téléphone, Mathilde m’a donné quelques explications sur l’accident. L’avalanche s’est produite en vallée blanche dans le secteur de l’envers des aiguilles. Elle a touché un groupe de skieurs. Antoine a été emporté par l’avalanche vers des barres rocheuses, dans l’un des couloirs derrière le refuge du requin. Il a été retrouvé enseveli, décédé, par les secouristes du PGHM4.
Mon sang se glace à cette image. Je voudrais encore des précisions, mais il n’y a rien de pire que de ressasser indéfiniment, le film d’un accident sur lequel on ne peut plus rien. Nous sommes convenus de ne plus en parler. Maintenant, il faut penser à la suite.
Les questions qui restent devant nous sont nombreuses.
Au journal, Louis s’est montré très compréhensif. Sa sollicitude m’a touché. Il m’a accordé quelques jours de congé, malgré la charge de travail, le temps des obsèques. J’ai promis de rédiger les derniers articles attendus dans les meilleurs délais. Cependant je joue gros, ça tombe mal, je n’ai même pas un mois d’ancienneté et l’actualité n’attend pas… J’ignore totalement comment vont se passer les prochaines semaines.
J’arrive à la gare de Bonneville en début d’après-midi. Le temps est glacial, la bise souffle et gèle carrément les os, le sol est glissant. Je me dirige d’un pas rapide vers le quartier du Coteau, derrière le château et l’église où habitent ma famille et mes grands-parents. Je passe par la rue des « Petites chambrettes ». Ce n’est pas très loin. Les deux maisons sont seulement à quelques rues de distance.
Je me sens très tendu. L’estomac noué, la gorge serrée. Plus rien ne passe depuis 48 heures. J’appréhende de revoir les miens, de faire face à leur douleur.
Lorsque j’arrive devant la grande maison, rue du Môle, tout à l’air calme. Il n’y a personne. Je suis presque soulagé. Je pose mon sac et décide illico d’aller chez mes grands-parents, à l’angle de l’avenue du Coteau et de la rue du Jura.
Je n’y retrouve que mon oncle Jacques qui se prépare un café. Il est arrivé de Paris, il y a peu de temps. Le cheveu en bataille, une barbe naissante et les yeux gonflés, il n’a pas dû dormir beaucoup. Il me fixe bizarrement en dodelinant, en répétant :
–Pas Antoine, pas Antoine…
Toute la famille est partie à la Maison Funéraire, avenue du Coteau où les « Pompes funèbres et marbreries bonnevilloises » ont commencé la prise en charge du corps, en vue des obsèques.
Je décide d’attendre un peu avec Jacques, avant de les retrouver. Une tasse de café fumant à la main, nous essayons de parler un peu. Il n’est pas très loquace. Cela me gêne. Heureusement, ils ne vont pas tarder.
Lorsqu’ils arrivent enfin, je me précipite vers Maman, qui s’effondre dans mes bras. Elle me paraît si frêle, si fragile, à ce moment précis. Mon cœur bat les cent coups. Mes sœurs se rapprochent et nous nous étreignons tous les quatre, les têtes au creux des épaules les uns des autres, secoués par des sanglots.
Très vite, je me reprends. Je demande à Maman ce que je peux faire pour la soulager. Il y a beaucoup de démarches à accomplir.
Les obsèques sont prévues vendredi à 10h00. Il faut préparer la cérémonie.
Agir soulage un peu la douleur, cela oblige à penser à autre chose, cela aide à se tenir droit. Chaque action, si infime soit-elle, est un pas vers le retour à la vie. Il faut bien faire face. C’est ce que voudraitPapa.