De terre et d’éternité - Alix Roche - E-Book

De terre et d’éternité E-Book

Alix Roche

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Beschreibung

"De terre et d’éternité" nous invite au voyage dans un monde où les aléas, les désordres apportés par le vent et la mer bouleversent la vie des hommes et des femmes. Il y est question de jardins à cultiver, de terres à ensemencer, de plantes à recueillir, d’îles à repeupler, de montagnes, de refuges, de songes, de prophéties, de sortilèges et de secrets au gré des saisons de la Terre. Sept petits contes pour rêver l’avenir et l’éternité de la Terre.

À PROPOS DE L'AUTRICE 

Après "le secret d’Emilia", le 4e ouvrage d’Alix Roche "De terre et d’éternité" renoue avec les histoires courtes initiées dans le premier opus "À l’ombre des oliviers" paru en 2023. Les territoires y sont toujours à l’honneur, esquissant l’écrin singulier d’une chaîne humaine et sociale qui réinvente sa relation à la nature et au vivant

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Seitenzahl: 163

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Couverture

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Publishroom Factorywww.publishroom.com

ISBN : 978-2-38625-956-2

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit, est illicite et constitue une contrefaçon, aux termes des articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Page de Titre

Alix ROCHE

De terre et d’éternité

À l’ombre des oliviers

Tome 2

Nouvelles et histoires courtes

Dédidcaces

Il y avait un jardin qu’on appelait la terre.

Il était assez grand pour des milliers d’enfants.

Il était habité jadis par nos grands-pères

Qui le tenaient eux-mêmes de leurs grands-parents.

Georges Moustaki

À Esteban, Ezio, Guillaume et Hanna

Préambule

Ce nouvel opus s’inscrit dans la droite ligne de l’ouvrage « À l’ombre des oliviers », mais il se nourrit des aléas et des défis auxquels la Terre soumet les femmes et les hommes.

Ces petites histoires, ces contes, ces paraboles mettent toujours les territoires à l’honneur ; l’aura des lieux y alimente les cultures, les aventures, les désordres apportés par le vent et la mer. Elles narrent des épopées de la grande Histoire. Situées le plus souvent en Provence, elles nous emportent vers le lointain, les îles sous le vent, le Mexique, l’Italie, l’Andalousie.

Il y est question de jardins à cultiver, de terres à ensemencer, de plantes à recueillir, d’îles à repeupler, de montagnes, de refuges, de songes, de prophéties, de sortilèges et de secrets au gré des saisons de la Terre.

Confrontés aux grands bouleversements du monde, à ses démons, les êtres nous racontent leurs espoirs, leurs regrets. Ils se réinventent en nouant une véritable chaîne humaine et sociale, réécrivant leur relation aux autres, à la nature et au vivant.

Du Mara’amu polynésien au mistral de Provence, des airs de musique aux tempêtes, au souffle qui colporte les rumeurs, le vent est un trait d’union qui nous murmure de petits contes pour rêver l’avenir et l’éternité de la Terre.

1. Mānava Fenua

Un monde dans une bouteilLE

Tahiti, Taiarapu, Papeete, Arue, Mehetia

« L’espérance est un risque à courir… »

Georges Bernanos

I - La prophétie

Depuis l’aube, je scrute l’océan en quête de La vague. J’ai waxé 1 ma planche, enfilé ma combi néoprène et j’attends. Voilà plusieurs jours que le ciel déverse des déluges de pluie sur Taiarapu, le « Petit Tahiti ». Ces conditions difficiles ne sont pas des plus favorables à l’entraînement. À huit mois des épreuves de la Tahiti Pro Teahupo’o, organisée par la World Surf League, au mois d’août de notre hiver austral, je n’ai pas le droit à l’erreur.

Vanina, signifie « pluie qui chasse une pensée triste », je devrais être au top avec ce temps. J’aime relever les défis. Je pratique le surf depuis toujours, mais la concurrence est rude, mes adversaires viennent du monde entier chez moi, ici, avec la même volonté : gagner !

Mon atout majeur est d’être née à proximité de la presqu’île. La fameuse vague de Teahupo’o ou Tchopes connue dans le monde entier, réputée pour ses tubes parfaits et déroulants sous une eau turquoise et peu profonde, est à la fois redoutable et majestueuse. La passe peut accueillir des vagues de dix à quinze mètres de haut. C’est dire…

Longtemps interdite aux femmes, elle est devenue mon principal terrain de jeu, mais j’en connais aussi les dangers. J’ai de l’ambition, toutefois pour percer dans la compétition, chaque année compte, c’est pourquoi cette saison, je dois me démarquer.

Je me mets sans doute un peu trop la pression, mais coup de blues ou de fatigue, ces dernières semaines, j’ai tendance à douter. Chaque nuit maintenant, je vois la vague, mais ce n’est pas celle avec laquelle je peux jouer. Celle-là, puissante, indomptable, submerge tout, détruisant le rivage, les habitations, mon île. J’ai peur. Je me réveille brusquement le cœur haletant, des kilos de plomb sur l’estomac, les jambes en coton, une sueur froide parcourant le long de ma colonne vertébrale.

Ce dimanche, j’ai ouvert mon cœur à māmā rū‘au, ma grand-mère, pour lui demander conseil. J’ai besoin de me reconnecter au Mana o te Moana, la force sacrée de l’océan.

Rarahu, ma māmā rū‘au, est aussi une Tahu’a 2, « celle qui voit » et « celle qui sait ». Malgré leur caractère devenu un peu clandestin, ces prêtres ou prêtresses, un peu chamanes, sont des êtres de sciences, d’humanités et de culture, ils sont reconnus, considérés comme de véritables guides porteurs de savoirs et de sagesse, dotés de pouvoirs mystérieux.

Māmā Rarahu, ne peut rien me refuser. Elle me donne rendez-vous pour une consultation à la nuit tombée, dans le marae 3 de la famille, devant l’ahu 4.

Elle est allée chercher les plantes et les herbes nécessaires pour préparer la potion de lumière. Elle les assemble avec délicatesse, une feuille dans un sens, une dans l’autre, avant de les plonger dans un liquide chaud pour les infuser, sur un feu de bois bordé de grosses pierres rondes.

Le soir, assise sur l’herbe devant l’ahu, à proximité du Ti’i5 protecteur, à peine éclairée par le croissant de lune et les flammes, Māmā Rarahu commence le cérémonial :

– Mānava ia « oe 6 Vanina, que les ancêtres nous écoutent et nous protègent ! Que veux-tu savoir ?

– Māmā, je suis inquiète et tourmentée. Je suis assaillie de doutes et de visions dans mon sommeil que je ne sais expliquer.

3 - Marae — Tahiti-AR

Māmā Rarahu me sourit et me tend la coque d’une noix de coco. Nous buvons chacune à notre tour quelques gouttes de potion. Puis, nous invoquons le tâura7 de notre famille et nous mettons en position de recueillement et d’ouverture, dans l’attente de la révélation.

Les tâura sont des animaux, végétaux et minéraux qui sont alliés avec des êtres humains, des familles, des clans. Ils sont considérés comme des pères, des mères, des frères, des sœurs. La relation avec eux est fraternelle et respectueuse. Ils apportent force et pouvoir.

La nuit nous enveloppe de son ombre profonde et calme.

Après quelques minutes, apparaît soudain un oiseau noir, qui volette au-dessus de nous en émettant des sifflements brefs et sonores, comme s’il voulait nous intimer de le suivre. C’est un monarque de Tahiti : ‘omama’o en reo tahiti surnommé « Pomarea nigra » par le naturaliste Charles-Lucien Bonaparte, le neveu de Napoléon qui associa le nom de Pomaré à celui du monarque de Tahiti.

C’est notre tâura.

Nous levons la tête vers l’oiseau, prêtes à le suivre dans son voyage. Nos pensées rejoignent le monarque et s’envolent dans le ciel jusqu’à l’emplacement d’un des plus grands maraes de l’île, au bord de la mer.

Il nous emmène à la pointe “Outu’ai’ai à Arue où repose le dernier roi de Tahiti, Pomare V (1839-1891), dans un mausolée connu sous le nom de « Tombeau du roi ». Avec sa forme imposante, pyramidale et rectangulaire à sa base, le fameux tombeau du roi est impressionnant. Ses murs sont constitués de blocs de coraux. Mais le plus surprenant, c’est que cette construction est surmontée d’une sorte d’amphore. Certains vont même jusqu’à dire qu’il s’agirait de la forme d’une bouteille d’absinthe. On sait en effet que le roi appréciait particulièrement cette boisson, qu’il considérait comme un nectar.

Devant le tombeau, il n’y a personne. En dehors du monarque, on entend seulement les aboiements de quelques chiens au lointain. C’est alors que l’oiseau s’arrête en voletant au-dessus de la bouteille. Soudain, il plonge à l’intérieur de l’amphore et en retire une sorte de petit nid en tapa 8, tissu d’écorce polynésien, empli de graines multicolores.

Puis, chargé de son précieux trésor, il repart vers le marae de la presqu’île où nous nous trouvons. Il le dépose à nos pieds et s’envole vers d’autres cieux.

Māmā Rarahu, dont l’esprit s’est empli de lumière, me dit alors :

– Vanina, mon enfant, sois sans crainte, tu seras victorieuse et couronnée telle une reine. Mais ton monde va connaître de profonds changements ! Il pourrait bien disparaître sous la puissance furieuse de l’océan et de l’orage, semant désolation et solitude. Tu devras faire preuve de beaucoup de courage. Tu perdras peut-être des amis et des membres de ta famille. Mais tu survivras. Une grande mission t’attend sur des terres lointaines issues du mariage de te Moana9et te Mau mou’a auahi. 10

Tu représentes l’avenir des peuples de l’océan. Prends les graines du monarque, elles sont la semence d’un Nouveau Monde. Dans quelques mois, quand la lune sera pleine, tu partiras avec Pahi11, la grande pirogue, à la conquête de la terre nouvelle. Suis le tâura, il te guidera !

4 - Le monarque — Tetiaora-AR

1 Ciré.

2 Sorte de prêtre polynésien, chamane, médecin.

3 Sanctuaire, lieu sacré polynésien.

4 Autel.

5 Tiki.

6 Bienvenue à toi.

7 Totem.

8 Tissu fait en écorce en Polynésie.

9 L’océan.

10 Le volcan.

11 Grande pirogue.

II - La mission

Lorsque je reviens à moi, je me sens très perturbée, comme si j’étais brutalement arrachée à ma vie, à mes projets. Je lève les yeux vers ma grand-mère et me place sous son regard bienveillant et confiant. Je prends le petit sachet de graines et le serre entre mes mains. J’ai alors l’impression d’une transformation profonde de mon être et me sens envahie d’une énergie nouvelle, d’un sentiment d’urgence.

La prophétie de Māmā Rarahu m’oblige. Je respecte infiniment les anciens, emplis de sagesse et de traditions.

Mais mon esprit bouillonne.

Dois-je poursuivre ma préparation aux épreuves sportives, me faut-il tout arrêter, pour me concentrer sur la prédiction ? Le souci, c’est que je n’ai pas encore identifié concrètement ma destination. Mais je fais confiance à la vision et à mon tâura, je le saurai bien assez tôt.

À partir de ce jour-là, loin des averses violentes, mais ponctuelles, les cieux se déchaînent sans discontinuer sur notre île durant quarante jours, rendant impossible la poursuite de notre vie habituelle : une forte dépression cyclonique emporte tout sur son passage, suivie de grosses inondations, les routes et établissements submergés doivent fermer, des bâtiments sont endommagés, voire détruits, des toitures de zinc et de tôle s’envolent dans la nature, faisant courir de grands risques à la population, des plans d’urgence sont délivrés par les autorités, obligeant tout un chacun à rester chez soi, certains motu 12, dont celui de Nono, proche deTaiarapu,disparaissent purement et simplement… Chacun doit se terrer dans sa maison, d’autres se retrouvent à la rue, contraints de faire appel à la solidarité des voisins et du fenua 13.

Gorgée d’eau, la terre devient dangereuse, des troncs arrachés et des déchets jonchent le sol. Les désordres sanitaires consécutifs à l’afflux des quantités d’eau se multiplient assortis, avec la prolifération des moustiques, des alertes à la leptospirose, la dengue.

C’est un vrai désastre, une désolation. Mais c’est aussi comme une invitation à comprendre, à prendre la mesure de la gravité de ce que nous réserve l’avenir. Pour moi, c’est comme une injonction à tout laisser, là, sur le champ.

Dans cette période catastrophique, mon esprit se met à tourner en boucle sur le sens de cette mission… Je repense aux paroles de Māmā Rarahu, les graines, l’avenir des peuples de l’océan… c’est comme une petite musique qui fait son chemin jusqu’à devenir obsédante. Ce doit être mon seul but, ma seule quête. Mais une autre question surgit. Comment le définir, comment appeler ce projet pour que l’on puisse comprendre immédiatement l’idée de fond, faciliter l’adhésion ?

Je n’imagine pas accomplir la prophétie toute seule, dans mon coin.

Je me dis qu’à bien y réfléchir, ce qui se dessine avec ces graines, c’est l’ambition d’un Nouveau Monde, un refuge, dont le fondement repose sur le pouvoir de se nourrir, un projet de « terre nourricière », de terre d’accueil, où ceux qui ont tout perdu avec les désordres climatiques seraient les bienvenus, portés par l’énergie de la terre… MānavaFenua 14 !

Étudiante à l’université, j’ai été bien formée. Il me faut de la méthode. Je décide de prendre le temps nécessaire pour organiser cette mission et lui donner une chance de réussir. Je la vois comme un grand projet, une expédition dont les contours vont se préciser petit à petit. Je compte d’ailleurs mettre à profit les prochaines semaines pour me préparer, tout en laissant l’idée mûrir, infuser dans mon esprit.

Première étape, identifier quelles sont les graines que le monarque m’a confiées. Aussitôt, je décide de consulter un botaniste ou mon professeur de biologie. Je fais suffisamment confiance aux esprits pour savoir que leur assemblage n’est pas le fruit du hasard, mais j’ai besoin d’en savoir plus pour me donner une stratégie de plantation.

Sur le plan matériel, il me faut ensuite trouver Pahi, une pirogue et constituer une petite équipe pour m’accompagner dans mon périple. Je vais avoir besoin de me doter d’un budget, d’un solide équipement, identifier des étapes et pourquoi pas des sponsors !

La tâche me paraît immense. Mais je suis déterminée.

Je n’imaginais pas être capable de changer si vite mes priorités.

Dès que l’accalmie le permet, je me rends à Papeete pour rencontrer Hautiare, une botaniste que ma grand-mère m’a conseillée. Son regard complice et curieux me séduit. Je lui confie le sac de graines. Elles sont d’une grande diversité, des petites, des grosses, des rondes, des ovales, des pointues, des pépins, des noires, des rouges, des vertes, une variété incroyable !

Hautiare me demande quelques jours de travail pour réaliser un inventaire précis et exhaustif.

Nous convenons de nous retrouver la semaine suivante.

Sans plus attendre, je m’attaque à l’épineuse question des destinations possibles. Il est plus que temps d’avoir une idée pour matérialiser l’aboutissement du projet.

L’île existe-t-elle ? Est-elle en devenir ?

Je sais qu’il existe un programme de recherche de l’IFREMER sur les îles éparses, pour en faire des territoires sentinelles sur l’évolution du climat et de ses impacts sur les écosystèmes et la biodiversité. Il arrive aussi que naissent des îles nouvelles issues des points chauds de l’océan Pacifique. Mais ces îles sont fragiles et généralement disparaissent en peu de temps, cela ne me paraît pas très compatible avec l’idée de refuge. Et puis un volcan met tout de même pas mal de temps avant d’être approché…

C’est alors que durant mon sommeil, m’apparaît Mehetia. Elle fait partie des îles sous le vent, dans l’archipel des îles de la Société.

Un reportage visionné, il y a quelques mois me revient en mémoire. La légende dit que son nom lui vient d’une cheffesse accompagnant un groupe important de personnes ayant colonisé l’île après les grandes migrations vers la Nouvelle-Zélande. Appartenant initialement aux Tuamotus, elle est donnée à Tahiti. Lors de l’accession au pouvoir de Tu, ari’i sous le nom de Pomare, encore, le nom de l’île devint Mehetia.

C’est une île volcanique autrefois occupée de façon permanente, car située au centre des échanges commerciaux entre Tahiti et les Tuamotu.

Puis, elle a perdu un à un ses habitants.

Après avoir accueilli, un ermite ces dernières années, cette île privée est à présent inhabitée. Son propriétaire, qui vit en Belgique, souhaiterait y implanter une base scientifique internationale permanente.

Je questionne mon entourage et notamment les anciens qui ont gardé en mémoire, l’histoire du Fenua. Ils me racontent qu’autrefois, cette île fut exploitée. Dans le temps on y récoltait des oranges et de la Coprah, il y a même eu une tentative d’élevage de cochons.

Parfait, parfait, me dis-je, on doit pouvoir y vivre donc, et surtout cultiver de nouvelles plantations. On pourra également y accueillir quelques personnes, voire bâtir une société nouvelle…

Pour moi, le moment est venu de formaliser le projet MānavaFenua avant de partir en quête des autorisations nécessaires et des moyens de le concrétiser. J’irai voir les autorités publiques, mais je dois d’abord convaincre le propriétaire et m’en faire un allié.

L’enjeu est de taille.

C’est une belle idée, je suis enthousiaste.

5 - peinture urbaine Tahiti-AR

12 Îlot.

13 Territoire, terre, pays.

14 Bienvenue sur la terre.

III - L’expédition

Les mois qui suivent sont particulièrement trépidants et je l’avoue absolument passionnants.

Contre toute attente, John B., le propriétaire de l’île m’accorde un rendez-vous assez facilement. Cette rencontre est incroyable, inoubliable. Quelques recherches sur internet m’ont donné une petite idée de cette personnalité hors du commun. Cet homme, entrepreneur polytechnicien, à la petite soixantaine, est un passionné de plongée sous-marine, depuis sa plus tendre enfance. S’il aime pratiquer son sport favori un peu partout dans le monde et surtout dans les îles, il met toute son énergie dans des projets innovants en Europe et particulièrement en Belgique, où il a d’ailleurs créé la première fosse au monde, hyper profonde, en eau douce, pour permettre à ses compatriotes belges de pratiquer cette activité. Il lui a donné le nom du héros de Jules Verne, le capitaine Nemo, dont il garde un souvenir ému de ses lectures enfantines. Il est également très sensible à l’environnement, il rachète et réhabilite des sites dégradés.

Après quelques années de travail comme ingénieur, il décide un jour de consacrer sa vie à réaliser ses rêves les plus fous. Son idéal pour se lever le matin ? « Partir d’une feuille blanche et tout créer ! ».

Lorsque j’arrive à notre point de rendez-vous à Saint Denis à la Réunion où il est en vacances pour quelques jours, il me met tout de suite à l’aise, m’invitant à lui raconter sans plus tarder mon projet.

Il m’écoute avec intérêt, je dirais presque avec gourmandise. Au fur et à mesure de mon récit, son regard s’éclaire, son visage affiche un sourire bienveillant.

Puis, il m’explique que depuis quelques années, il a le projet de créer une base scientifique internationale sur Mehetia et souhaite la faire reconnaître comme réserve de biosphère. Malheureusement, l’île est la petite partie émergée d’un volcan sous-marin de 4000 mètres de profondeur, toujours en activité. La dernière éruption date des années 60. Mehetia est sous surveillance, car c’est le point chaud du sud de l’archipel.

Malgré toutes les démarches entreprises, auprès de l’UNESCO, pour l’heure, le dossier n’est pas retenu. John B., comme beaucoup d’entrepreneurs, a les administrations en horreur. Il considère que ce sont des obstacles à la création, à l’initiative. « Des empêcheurs de créer en rond… ».

Pour lui, mon projet arrive à point nommé ! Il n’est pas mécontent de pouvoir contourner les obstacles et faire valoir une autre création. Revanche ou pas, il imagine aussitôt qu’elle pourrait être proposée à la « plateforme ocean-climate », au titre des initiatives Sea’ties. Ses promoteurs recherchent des projets d’adaptation au changement climatique portés par des acteurs issus de la population locale, de préférence des femmes, jeunes de surcroît, à même d’apporter des réponses à long terme, qui reflètent les pratiques et les systèmes traditionnels.

Enthousiaste, cet homme charismatique m’annonce fièrement :

– Vous cochez toutes les cases, chère Vanina ! Vous pouvez compter sur mon soutien. Je vous accorde mon autorisation pour réaliser votre projet sur mon île. Je vous ouvrirai les portes et vous accompagnerai quand vous en aurez besoin. Je peux également vous accorder une aide pour sponsoriser votre Mānava fenua. Avant de partir, je vais vous écrire une lettre de recommandation pour vos prochaines démarches qui précise mon accord. N’hésitez pas à me solliciter en cas de besoin. Je suis confiant dans l’aboutissement et la réussite de votre projet. Bonne chance !

Je suis sur un petit nuage.

Cet entretien est d’un réconfort extraordinaire. Je déborde d’énergie, mes doutes et mes angoisses sont complètement oubliés.